Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Réunion du jeudi 14 mars 2024 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • TNT
  • arcom
  • audiovisuel
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  • diversité
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La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures.

La commission auditionne Mme Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), accompagnée de Mme Laure Leclerc, sous-directrice de la direction de l'audiovisuel, M. Ludovic Berthelot, chef du service des médias, et M. Arnaud Skzryerbak, chef de service, adjoint à la directrice générale.

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Mes chers collègues, Monsieur le rapporteur, nous poursuivons les auditions de la commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre (TNT). Nous procèderons aujourd'hui à trois auditions. Dans un premier temps, nous allons entendre les représentants de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC). Dans ce cadre, je souhaite la bienvenue à Mme Florence Philbert, conseillère maître à la Cour des comptes et directrice générale, à Mme Laure Leclerc, sous-directrice de l'audiovisuel, à M. Ludovic Berthelot, chef du service des médias, et à M. Arnaud Skzryerbak, chef de service adjoint.

La DGMIC définit, met en œuvre et évalue la politique de l'État en faveur du développement et du pluralisme des médias, de l'industrie publicitaire, de l'ensemble des services de communication au public par voie électronique, de l'industrie phonographique du livre et de la lecture et de l'économie culturelle.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie de répondre à notre invitation. Je vous laisserai la parole pour une intervention liminaire de dix minutes qui précédera notre échange sous forme de questions et réponses, à commencer par celles de notre rapporteur.

Je vous prie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et dans un souci de transparence, j'invite les députés à rappeler les fonctions qu'ils ont éventuellement exercées dans le domaine de l'audiovisuel lors de leur intervention.

Avant de vous laisser la parole et d'entamer nos échanges pendant environ une heure, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Florence Philbert, Mme Laure Leclerc, M. Ludovic Berthelot, et M. Arnaud Skzryerbak prêtent serment.)

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous aujourd'hui.

Pour commencer ce propos liminaire, je voudrais vous présenter rapidement la direction générale des médias et des industries culturelles, que j'ai rejointe en octobre 2022.

La DGMIC poursuit deux grandes missions fondamentales. La première consiste à promouvoir la diversité culturelle et le développement de la création. La seconde vise à garantir le pluralisme et la qualité de l'information en veillant à préserver la vitalité et l'indépendance des médias sous toutes leurs formes.

Pour assurer ses missions, la DGMIC peut s'appuyer sur cent quarante collaborateurs, dont une équipe de soixante-huit personnes dans le service des médias et vingt-huit personnes pour la sous-direction de l'audiovisuel. Je profite de cette occasion pour les remercier très sincèrement devant vous pour la qualité du travail qu'ils accomplissent quotidiennement.

La DGMIC peut agir sur trois leviers. Le premier levier est celui de la réglementation. La DGMIC est un acteur normatif important pour préparer des décrets et des projets de loi. Le deuxième levier réside dans l'intervention économique et la gestion des dispositifs d'aide, principalement financés par le budget de l'État. Enfin, le troisième levier réside dans le suivi d'acteurs publics structurants. Dans le champ des médias, il s'agit des six entreprises de l'audiovisuel public et de l'Agence France-Presse.

La DGMIC n'est pas directement impliquée dans les processus d'attribution de fréquences aux opérateurs privés. C'est la mission de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et, comme ses autres missions de régulateur, elle l'exerce en toute indépendance. Pour le service public, vous n'êtes pas sans savoir que le Gouvernement fait usage d'un droit d'attribution prioritaire des fréquences pour lui permettre d'accomplir ses missions de service public.

Plus généralement, le service public joue un rôle particulier pour continuer à développer l'attractivité de la TNT. C'est le cas avec la diffusion ultra haute définition de deux chaînes de France Télévisions, notamment en prévision des Jeux olympiques de Paris qui se dérouleront au cours de l'été 2024.

Plus largement, le rôle de la DGMIC consiste à veiller à l'équilibre des modèles économiques des médias, à l'équilibre des médias traditionnels et des services numériques ou à un partage équitable de la valeur entre les différents maillons de cette chaîne, à savoir les auteurs, les producteurs, les éditeurs, les distributeurs ou les diffuseurs.

La TNT conserve une place de référence dans le paysage audiovisuel français. L'enjeu consiste à moderniser ce modèle souverain afin de continuer à promouvoir une offre culturelle et une information de qualité.

Trois grands constats ou observations liminaires éclaireront ce propos. Tout d'abord, la DGMIC est un mode de réception et de consommation de la télévision qui continue à occuper une place essentielle dans le paysage audiovisuel. Pour les éditeurs, elle représente une garantie de visibilité sans équivalent. Les chaînes nationales de la TNT représentent plus de 90 % de l'audience totale de la télévision en France, soit plus de quarante-cinq millions de téléspectateurs quotidiens et, plus largement, la télévision est le seul média capable de fédérer autant de Français simultanément. Ce constat se mesure notamment lors des grands événements politiques ou sportifs, où des dizaines de millions de téléspectateurs se rassemblent en même temps devant une chaîne : vingt-quatre millions pour la finale de la Coupe du monde de football en 2022. C'est également le cas chaque soir puisqu'à 21 heures, près d'un Français sur deux regarde une chaîne de la TNT.

Au-delà des nombreux avantages qui lui sont associés tels que sa large couverture de la population, sa simplicité d'utilisation, sa gratuité, sa sobriété énergétique, son caractère souverain avec un réseau géré de bout en bout en France, elle reste l'unique moyen de réception de la télévision pour un foyer sur cinq. Nous souhaitons donc préserver cette visibilité et cette puissance d'exposition. Tel est l'enjeu de la mise en avant des services d'intérêt général, par exemple sur les télécommandes, sur les écrans d'accueil des télés connectées, et cette faculté nous est offerte par la directive du 14 novembre 2018 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, dite « directive SMA ». La France s'en est saisie, par la loi et par un décret, et elle a fait le choix de confier à l'Arcom les modalités opérationnelles de cette mise en œuvre.

Pour autant, la TNT est confrontée à des défis majeurs. Le numérique a bouleversé les usages et le paysage audiovisuel. Nous sommes passés d'un monde où les contenus, et l'information en particulier, étaient rares, à un monde où ils deviennent abondants et où ils se démultiplient, sur les réseaux sociaux notamment, par une diffusion instantanée et à la demande. Nous assistons donc à un accroissement de l'offre tous azimuts au détriment des médias traditionnels, ce qui peut conduire à un recul de la confiance des citoyens dans les médias. La profusion des contenus induit une perte des repères, voire des phénomènes de fatigue informationnelle.

La télévision linéaire décroît au profit de la vidéo à la demande qui représente aujourd'hui un tiers du temps de visionnage des contenus audiovisuels. De manière générale, le numérique a vu l'émergence de nouveaux acteurs mondialisés et encore trop faiblement régulés tels que Google, Meta, Amazon, TikTok, qui viennent concurrencer les acteurs nationaux et déstabiliser leur modèle économique.

Cette situation concurrentielle se traduit par une remise en cause des deux piliers de financement traditionnels des médias, la publicité et le modèle payant. Financièrement, par un effet de ciseaux pour ces acteurs historiques, la concurrence peut conduire, en amont, à une augmentation des coûts sur le marché de la création et des droits sportifs et, en aval, à une diminution de leurs recettes publicitaires. L'étude sur l'évolution du marché de la communication et son impact sur le financement des médias par la publicité que la DGMIC a présentée en début d'année avec l'Arcom montre une captation croissante des investissements publicitaires sur les très grandes plateformes et une forte dépendance à leur service publicitaire. Les grandes plateformes sont en position dominante puisque, en pratique, la quasi-totalité des éditeurs de médias a recours aux services de Google.

Dès lors, pour affronter cette concurrence, les grands médias traditionnels font le pari de la concentration. On assiste ainsi à la constitution de groupes plurimédia avec le développement d'émissions co-diffusées par des chaînes de télévision et des radios appartenant à un même groupe, voire à des émissions accueillant des chroniqueurs ou des journalistes d'un titre de presse également détenu par un même groupe. Cela représente un des signes de l'effacement des distinctions entre types de médias : l'écrit, la vidéo et le son convergent autour de la notion de média global. On observe ainsi des réseaux sociaux qui permettent de consulter des contenus produits par des médias ou certains médias audiovisuels qui publient sur leur site internet de l'information sous forme écrite ou encore la presse écrite qui édite des podcasts.

Le troisième constat réside dans le fait que le droit national et européen doit être continûment adapté pour répondre à ces défis et préserver la puissance et la visibilité de nos médias traditionnels. Des réformes ambitieuses ont été conduites par le ministère de la culture pour réduire ces asymétries. C'est le cas par exemple du financement de la création avec l'adaptation aux évolutions du marché, des différents décrets de soutien à la production audiovisuelle et cinématographique. Les services de médias audiovisuels à la demande tels que Netflix, Disney, Amazon, sont désormais soumis à des obligations de production assises sur leur chiffre d'affaires en France. C'est aussi le cas du dispositif de mise en avant des services d'intérêt général pour lesquels la France a fait le choix de confier au régulateur le pouvoir de mise en œuvre et, comme évoqué précédemment, l'Arcom a décidé que cette mise en œuvre concernerait l'ensemble des chaînes nationales gratuites de la TNT.

Pour autant, de nombreux chantiers sont ouverts ou encore devant nous. Je mentionnerai trois d'entre eux.

D'abord, notre mécanisme de contrôle des concentrations qui repose sur une distinction entre presse et audiovisuel. Il est rigide et en partie obsolète, notamment parce qu'il repose uniquement sur les médias traditionnels.

Le deuxième chantier concerne la publicité. Les asymétries réglementaires persistent entre les acteurs et la TNT supporte des contraintes spécifiques. Il est notamment nécessaire de poursuivre les travaux entamés sur les services de publicité en ligne et la réponse principale à apporter à cette problématique fondamentale se situe certainement au niveau européen. D'ailleurs, la régulation des médias constitue un sujet de plus en plus fréquemment traité au niveau européen.

Le troisième chantier réside dans la qualité de l'information. Le service public a évidemment un rôle incontournable à jouer, mais ces questions de qualité de l'information et de déontologie concernent tout le monde et nous devons être capables de valoriser les médias qui font le pari du contenu rédactionnel. De ce point de vue, la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dite « loi Bloche », a marqué une étape importante. Plusieurs points méritent d'ailleurs d'être à nouveau examinés, notamment pour trouver une traduction plus concrète, à savoir l'effectivité des chartes de déontologie, le renforcement des comités d'éthique et du respect des principes de déontologie journalistique. Cela renvoie aux travaux de la mission d'évaluation de la loi Bloche créée par la commission des affaires culturelles de votre assemblée, qui vient de formuler des propositions en ce sens.

La recherche d'une forme d'égalisation de la concurrence et le renforcement des modèles économiques de nos médias traditionnels, évidemment nécessaires, ne doivent pas pour autant conduire à renoncer à certaines exigences qui pèsent sur les acteurs de la TNT. Ils sont autorisés à utiliser des fréquences disponibles en nombre limité en contrepartie du respect d'obligations fixées par la loi et par les conventions. À une époque où se multiplient les fausses informations, les tentatives d'ingérence d'autres pays, particulièrement sur les réseaux sociaux, la TNT reste un mode de réception souverain qui constitue pour nos concitoyens une offre audiovisuelle nationale de référence, une offre qui doit promouvoir non seulement la diversité culturelle, mais également une information fiable et de qualité qui me semblent être des données essentielles à la structuration de l'espace public et à la qualité du débat public.

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Vous évoquez l'offre culturelle et les médias d'information de qualité. Le paysage de la TNT aujourd'hui offre-t-il une diversité d'éditeurs et de programmes satisfaisante ?

Constatez-vous une homogénéisation des contenus, notamment entre les chaînes secondaires et les chaînes principales auxquelles elles se rattachent ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

En vingt ans, la TNT est passée de cinq chaînes à trente-et-une chaînes parmi lesquelles vingt-six sont gratuites et cinq sont payantes. Le paysage s'est reconfiguré en six groupes privés nationaux dont les trois principaux offrent un paysage avec des propositions de contenus qui permettent la diversité prévue par la loi. Initialement, cette offre n'était pas assurée puisqu'il n'était pas prévu à l'origine de développer une offre gratuite sur la TNT. Elle s'est finalement imposée avec des contenus culturels variés tels que des offres audiovisuelles cinématographiques, musicales ou encore d'information.

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Ma première question est assez simple : est-ce que le modèle économique des chaînes de la TNT vous semble viable ? Très peu sont parvenus aujourd'hui à la rentabilité. Voyez-vous des raisons pour que cela puisse évoluer à l'avenir ? Ne sommes-nous pas en train d'alimenter un puits sans fond ? Existe-t-il des perspectives de réformes qui permettraient de construire un modèle qui se tienne ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Les groupes de la TNT sont rentables. Néanmoins, il est vrai qu'un tiers des chaînes de la TNT sont en déficit. De nombreuses auditions ont porté sur cette question. Au-delà de la rentabilité, il importe de mesurer la viabilité à moyen terme de ces chaînes et de tenir compte de leur évolution.

Pour autant, force est de constater que la détention de plusieurs chaînes facilite grandement la viabilité, car elle permet des économies d'échelle et des synergies qui garantissent la robustesse du modèle. Il est vrai que nous assistons à un phénomène de reconcentration sur trois groupes principaux. Ce regroupement est nécessaire, car pour affronter cette concurrence rude, il convient d'avoir les reins solides.

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Est-ce que cela ne pose tout de même pas un problème de liberté d'expression, tout simplement ? Est-ce que cela ne ferme pas la porte à des acteurs légitimes, notamment associatifs, qui pourraient avoir la volonté d'investir ce domaine de la communication audiovisuelle, sans avoir « les reins solides », comme vous l'indiquez, mais dans une démarche qui n'est pas lucrative, tout simplement de production ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

J'ignore si des acteurs associatifs pourraient effectivement avoir les reins suffisamment solides pour opérer sur la TNT, mais il existe différents moyens de promouvoir une offre visible : la TNT mais aussi les radios associatives, une presse écrite plurielle, des télévisions locales, etc. Il existe d'autres médias qui permettent cette diversité et ce pluralisme.

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L'affectation de la bande des ultra hautes fréquences (UHF) à la TNT est garantie par la loi jusqu'en 2030. Sur quels scénarii le ministère de la culture travaille-t-il quant à l'usage de cette bande après 2030 ?

Considérez-vous que la réduction de l'usage en spectre par la radiodiffusion soit souhaitable au profit d'autres besoins éventuellement existants ?

Le cas échéant, selon vous, d'où peut provenir cette décision et quelles seraient les modalités nécessaires à cette prise de décision ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

En la matière, la France n'est pas totalement libre de ses choix puisque l'attribution des fréquences est le fruit d'un travail mené par l'Union internationale des télécommunications, agence de l'ONU, qui organise des conférences mondiales de radiocommunication. Lors de la dernière réunion, il a d'ailleurs été décidé de réexaminer l'utilisation de la bande 600 à horizon 2031.

Au-delà, ainsi que la loi le prévoit, le Gouvernement doit remettre au Parlement en 2025 un rapport sur l'avenir de la TNT. Il s'agit d'assurer la modernisation de cette technologie et notamment l'amélioration de la qualité de l'image et du son afin d'optimiser l'utilisation de la ressource radioélectrique et de nous adapter à un éventuel scénario de cession de la bande de 600 Mhz. La pérennité de cette solution impose sa modernisation qui constitue donc le principal enjeu de préservation de la TNT.

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L'Arcom a récemment publié son projet de délibération relative aux services d'intérêt général, en application de la directive SMA et de la loi évidemment. Ce projet prévoit de qualifier de service d'intérêt général non seulement les chaînes de l'audiovisuel public, mais également les chaînes privées et gratuites de la TNT. Ce choix vous paraît-il cohérent et vous satisfait-il ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Le Gouvernement a en effet confié à l'Arcom le soin de définir le contour et le périmètre des services d'intérêt général. Je ne me prononcerai pas sur le choix de l'Arcom, mais la logique de ce choix consiste à privilégier une façon de s'adapter dans le temps. Dès lors, ce dispositif n'est pas figé. Aujourd'hui, l'Arcom a choisi le périmètre de la TNT nationale gratuite ; à l'avenir, on pourrait imaginer que l'Arcom élargisse son choix par exemple à la TNT locale. L'objectif consiste à avancer en fonction de l'évolution des problématiques et de la technologie. Selon moi, tel est l'intérêt de ce dispositif.

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La question du financement de l'audiovisuel public est très prégnante. La DGMIC défend-elle un modèle en particulier ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Le ministère de la culture – et la ministre s'est prononcée très récemment à ce sujet – plaide en faveur d'une taxe affectée au service public, ce qui suppose une modification de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), et permettrait d'offrir des garanties d'indépendance au secteur public, qui sont importantes.

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Je souhaite que nous évoquions l'action du régulateur. In fine, comment s'articulent la régulation pratiquée par l'Arcom et celle que pratique à sa façon la DGMIC ? Quels sont les sujets qui relèvent précisément de vos périmètres respectifs ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

La DGMIC n'est pas compétente pour prendre des décisions individuelles, sur la situation d'un acteur donné. Ce type de décision relève du rôle de l'Arcom qui délivre les autorisations et qui peut mettre en demeure et sanctionner en cas de manquement aux obligations. L'Arcom peut aussi formuler des recommandations sur les principes qui sont énoncés par la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, recommandations qui, au demeurant, portent mal leur nom puisqu'elles sont en réalité obligatoires. Il s'agit d'un pouvoir dérogatoire et subordonné de l'Arcom par rapport à la compétence réglementaire de droit qui est celle du Premier ministre.

Dans ce cadre-là, la DGMIC prépare des décrets et des projets de loi sur lesquels, d'ailleurs, l'Arcom peut être consultée : par exemple, les cahiers des charges de l'audiovisuel public, les décrets qui concernent la publicité, les décrets qui concernent les obligations de financement de la production audiovisuelle et cinématographique.

La distinction est assez clairement définie entre nous.

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Pourriez-vous dresser un premier bilan de la transformation du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) en Arcom ? Considérez-vous que les pouvoirs du régulateur qu'est l'Arcom sont suffisants et qu'elle a les moyens de remplir sa mission ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

L'Arcom résulte de la fusion du CSA et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) imposée par la loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique, dite « loi Bachelot ». L'objectif consistait à prendre en compte la convergence croissante entre les enjeux de régulation de l'audiovisuel d'une part, et du numérique d'autre part. Depuis plusieurs années, l'Arcom s'est vue confier un grand nombre de nouvelles compétences : par exemple la lutte contre la manipulation de l'information, la lutte contre les contenus haineux en ligne, l'encadrement des activités des mineurs influenceurs, la protection des mineurs contre les contenus pornographiques en ligne, la lutte contre la contrefaçon sur les sites internet de streaming, la lutte contre le piratage sportif et désormais, la coordination des services numériques dans le cadre de la mise en œuvre de la législation européenne sur les services numériques. Ce régulateur s'est donc considérablement transformé en peu de temps sur des missions très importantes.

Il est vrai que le budget et les effectifs de l'Arcom ont augmenté. Je peux vous communiquer des chiffres, mais pense que son président M. Roch-Olivier Maistre sera plus précis que moi à ce sujet. Quoi qu'il en soit, les subventions de l'Arcom ont augmenté de 12 % entre 2021 et 2024 et le nombre d'employés a augmenté de 7 %. Au-delà de ses moyens humains et financiers, les moyens d'enquêtes de l'Arcom ont également été renforcés puisque la loi Bachelot a pris pour modèle les pouvoirs de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Dorénavant, des agents assermentés de l'Arcom peuvent notamment procéder à des auditions.

Est-ce que l'Arcom a les moyens suffisants de remplir sa mission ? Je crois que la personne la mieux placée pour répondre à cette question sera son président que vous additionnerez bientôt.

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Pensez-vous que, dans son rôle de régulateur, l'Arcom fait un usage trop prudent de son pouvoir de sanction ? Le recours aux lettres, mises en garde ou rappels plutôt qu'à des sanctions est-il conforme à l'esprit de la loi de 1986 ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Il ne m'appartient pas de porter une appréciation sur les choix opérés par l'Arcom dans l'exercice de son pouvoir de sanctions. En revanche, il revient à l'État de s'assurer qu'elle a les moyens d'exercer correctement sa mission et donc de réprimer les manquements des éditeurs. Il me semble que c'est globalement le cas. Les sanctions mises à la disposition de l'Arcom sont variées : sanctions pécuniaires, suspension d'un service ou d'un programme, réduction de la durée d'autorisation, retrait d'autorisation, communiqué à l'antenne, etc. Le régulateur a déjà fait usage dans le passé de ces différents dispositifs. Il est vrai que la sanction pécuniaire est la plus utilisée parce qu'elle est sans doute moins attentatoire à la liberté d'expression et parce qu'elle est également plus simple et plus sécurisée juridiquement. Autrement dit, le poids économique de la sanction a l'avantage d'être connu à l'avance et elle est donc plus facile à appliquer que, par exemple, un cas de suspension de publicité dont on ne connaît pas exactement la portée.

Les sanctions autorisées par la loi sont potentiellement élevées puisqu'elle prévoit que la sanction soit proportionnelle à la gravité du manquement et puisse atteindre jusqu'à 3 % du chiffre d'affaires annuel d'une chaîne, voire 5 % en cas de récidive.

Force est de reconnaître que cette procédure de sanction est critiquée. D'ailleurs, le rapport de la mission d'évaluation de la loi Bloche en fait état. Elle est critiquée sans doute sous deux aspects : les délais sont trop longs et il faut pouvoir sanctionner les éditeurs dès le premier manquement.

Sur la question des délais l'Arcom sait agir rapidement : trois mois seulement pour la sanction infligée à C8 après des insultes à l'encontre d'un député. Cependant, les délais sont en général beaucoup plus longs.

D'aucuns se sont interrogés quant à l'intervention du rapporteur indépendant. Le rapporteur indépendant a été créé pour assurer la séparation des fonctions de poursuite et de jugement. Il est important de permettre au collège du régulateur dans son ensemble de s'exprimer, plutôt que d'avoir recours à une commission spécialisée. Il me semble donc que le rôle de ce rapporteur indépendant est important. Il serait peut-être envisageable d'encadrer ces délais, mais à mon sens, ils ne constituent pas un point de blocage.

Quant à la mise en demeure préalable, c'est une exigence imposée par le Conseil constitutionnel le 17 janvier 1989. Cette jurisprudence constitutionnelle prévoit que la sanction porte sur un manquement de même nature. La difficulté consiste à élargir les termes de la mise en demeure afin de couvrir un éventail de comportements plus large. Cette problématique relève-t-elle de la loi ou appartient-il au régulateur de rédiger des mises en demeure dans des termes suffisamment larges ? Quoi qu'il en soit, la question est délicate et la réponse n'est pas complètement évidente.

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Je vous remercie pour ces précisions qui font largement écho à l'audition que nous avons menée précédemment de l'ancien président du CSA, M. Olivier Schrameck, qui nous a donné quelques précisions sur cette procédure et sur la difficulté qu'il avait rencontrée pour la mettre sur pied afin qu'elle soit conforme à la Constitution et aux conventions internationales.

Ne vous paraîtrait-il pas pertinent que l'Arcom, dans le processus de négociations des conventions, se montre désormais un petit peu plus prescriptive, plus directive, plus précise avec des recommandations à portée générale. M. Olivier Schrameck avait lui-même estimé devant notre commission qu'il était curieux que dans un premier temps, on sélectionne des groupes ou des éditeurs et que seulement ensuite, on se lance dans un processus de négociations qui préciserait le cahier des charges. Il semblait penser qu'il eût été plus logique de procéder à l'inverse.

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

L'Arcom agit dans le cadre de la loi de 1986 qui subordonne en réalité la délivrance de l'autorisation à la conclusion d'une convention préalable. Il s'agit, me semble-t-il, du premier alinéa de l'article 28. Cet ordre permet au régulateur d'être en position plus favorable dans la négociation et de traduire les engagements des candidats dans ce processus de sélection. Tant que la convention n'est pas conclue, le candidat n'a pas d'autorisation et l'Arcom a la possibilité, si elle n'arrive pas à conclure avec un candidat, de « repêcher » un autre candidat qui n'avait pas été présélectionné. Il me semble donc que ce dispositif en deux étapes est utile. Il est d'abord procédé à une première présélection de candidats et ensuite, à une adaptation dans un processus de discussion, pour chaque situation particulière. Ce renvoi à la convention me semble utile et il est très encadré par de nombreux critères qui figurent dans la loi de 1986.

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Nous aurons l'occasion d'en discuter avec M. Roch-Olivier Maistre, mais il me semble que le raisonnement de M. Olivier Schrameck ne consistait pas à remettre en cause le principe d'une discussion en deux temps, mais de constater que, dans la pratique, le deuxième temps était déjà biaisé par une forme de présélection. La critique ou les réserves émises par M. Olivier Schrameck portaient peut-être sur le fait que la présélection opérée lors du premier temps de l'appel à candidatures, très ouvert, laisse la possibilité aux groupes de faire une proposition relativement moins-disante.

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Dès lors, la question devrait peut-être se poser au regard des critères définis dans la loi pour apprécier les candidatures. Il existe des critères de premier rang et des critères de second rang. Il serait peut-être souhaitable de mener une réflexion quant aux critères qui prédéfinissent la sélection. Cela relève du domaine de la loi. Les critères sont aujourd'hui très nombreux, ce qui complexifie le rôle du régulateur.

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J'en conclus que nous devons nous dépêcher si nous voulons peser sur la procédure en cours.

Des questions avaient été soulevées à propos de l'émission de télé-réalité « Frenchie Shore ». La ministre d'alors, Mme Rima Abdul-Malak, avait précisé dans Le Parisien : « L'Arcom, contrairement à ce que j'ai pu lire, a compétence pour les plateformes au titre de la protection des mineurs ». Pourtant, l'Arcom a décliné cette compétence parce que l'émission était diffusée sur une chaîne basée en République tchèque et sur une plateforme basée en Allemagne. Pouvez-vous nous aider à faire le point quant à l'état du droit en la matière ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

« Frenchie Shore » est un programme de télé-réalité diffusé par un service de média audiovisuel à la demande, Paramount+, et un service de télévision qui ne sont pas établis en France et relèvent donc de la compétence des États membres dans lesquels ils sont établis. Pour autant, l'Arcom n'est pas démuni lorsque la programmation méconnaît de manière persistante un intérêt fondamental tel que la protection des mineurs. Il existe une procédure, complexe et très lourde, qui permet à l'Arcom d'engager un dialogue avec les États membres d'origine, la Commission européenne et les éditeurs de services compétents.

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Madame la directrice générale, vous avez rappelé votre attachement à la TNT. Sa pérennité impose une modernisation, par un développement non seulement de l'ultra haute définition, mais également, afin d'augmenter son interactivité, de la norme de télévision interactive numérique Hybrid Broadcast Broadband TV (HbbTV). Une expérimentation est en cours avec Arte. Quels en sont le bilan et les perspectives ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Il s'agit d'une technologie actuellement peu utilisée en France et uniquement par Arte. Elle reste assez confidentielle puisque la France n'a pas choisi de la développer. Je crois que les éditeurs privés s'orientent davantage vers le développement de leurs services de médias à la demande (Smad) associés.

La décision de l'Arcom d'intégrer à son périmètre non seulement les chaînes de la TNT gratuites, mais également leurs services associés, permet en réalité de combiner les avantages de la TNT, sa qualité d'image et de son, et les spécificités de l'interactivité du Smad associé.

J'ignore si nous disposons d'un bilan de l'HbbTV, mais nous pourrons éventuellement vous transmettre le bilan d'Arte. Néanmoins, je ne crois pas que ce soit le sens des évolutions actuelles ni la demande des éditeurs privés.

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Vous avez évoqué la pertinence de la notion de média global de sorte non seulement, évidemment, à faire des économies d'échelle, mais également à être plus efficace. Partout en Europe, les modèles sont plus convergents entre télé, radio et numérique, y compris chez les acteurs privés. Quand l'audiovisuel public s'orientera-t-il vers cette globalité ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

C'est le sens des travaux qui sont en cours. La ministre s'est exprimée à ce sujet très récemment. Les acteurs privés ont bien compris que l'enjeu consiste à penser les évolutions à 360 degrés, avec des médias globaux, afin de profiter de la puissance tout à la fois du son, de la vidéo et de l'écrit.

Pour l'audiovisuel public, cette puissance permet de couvrir une information de manière très fine, que ce soit l'information de proximité, l'information nationale ou l'information internationale. Le rassemblement de ses forces permet à l'audiovisuel public de toucher le plus grand nombre. Les émissions co-diffusées ou le fait de pouvoir passer d'un média à l'autre permettent également de promouvoir des programmes d'un support à l'autre.

Le Gouvernement travaille en ce sens. La ministre a souhaité que le rythme s'accélère par rapport aux coopérations par le bas qui étaient envisagées. Il s'agit bien de progresser plus rapidement vers un audiovisuel public plus fort. Dans le contexte de concurrence accrue, c'est bien pour accroître cette puissance de l'audiovisuel public que cette réforme est pensée.

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J'ai abordé la question de la gouvernance parce que je fais le lien avec la question du financement, notamment du financement affecté à l'audiovisuel public. Vous avez rappelé que cela passait par une modification de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Je souhaiterais que vous nous indiquiez si vous êtes favorable à cette modification de la LOLF. Dans l'affirmative, quel serait le délai ? Il y a urgence. L'échéance du 31 décembre 2024 est très proche. À défaut, nous nous orienterions vers une budgétisation à laquelle sont défavorables tous les acteurs de la filière audiovisuelle que nous avons auditionnés à ce sujet.

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Je vous confirme mes propos précédents, à savoir que la ministre de la culture et la DGMIC plaident pour cette modification de la LOLF dans le courant de cette année.

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Je vous remercie, Madame la directrice générale, ainsi que vos collègues, pour les éclairages extrêmement précieux que vous nous apportez.

J'espère que nous aurons rapidement l'occasion d'évoquer à nouveau le financement de l'audiovisuel public. En effet, nous mentionnons souvent la notion d'indépendance, notamment l'indépendance des médias privés vis-à-vis de leurs actionnaires, mais à défaut d'annonces et d'actes législatifs prochains, cette budgétisation que nous voyons arriver à grands pas nous inquiète quant à l'indépendance de notre service public de l'audiovisuel.

Par ailleurs, quel est votre sentiment par rapport à la procédure actuelle mise en œuvre par l'Arcom ? Elle débute par une phase de consultation du public qui, en raison d'un défaut de publicité, s'avère en réalité réservé davantage aux acteurs qu'aux citoyens et aux citoyennes. Ne pensez-vous pas qu'il serait souhaitable qu'à l'avenir, cette procédure élargisse la place laissée aux citoyens et aux citoyennes ? En effet, les canaux TNT diffusent dans tous les foyers. Pensez-vous qu'il serait souhaitable de modifier la loi sur cette procédure ? À défaut, quelles évolutions envisager ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Je ne pense pas qu'une modification de la loi s'impose pour organiser une consultation citoyenne. Une consultation citoyenne a été lancée dans le cadre des États généraux de l'information afin de mesurer l'intérêt des Français pour la TNT et l'information. Ce que les citoyens attendent de la télévision me semble en effet une question essentielle au débat public et qu'il importe d'analyser.

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Pour ma part, je considère que le débat public serait probablement plus constructif pour l'Arcom si elle laissait une part plus large aux citoyens et aux citoyennes.

Ma deuxième question porte sur le coût d'entretien des canaux TNT gérés par l'Arcom, évoqué précédemment par M. Schrameck devant cette commission. Pouvez-vous nous en fournir une évaluation ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

J'ignore si nous disposons de cette donnée, mais nous nous renseignerons.

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Nous avons appris que le coût de diffusion par chaîne est de l'ordre de 5 ou 6 millions d'euros, sous réserve de vérification. Rapporté au nombre de chaînes, le total s'élèverait à environ 180 millions d'euros.

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Il s'agit des coûts de diffusion payés à Télédiffusion de France (TDF). Quoi qu'il en soit, la diffusion n'est pas gratuite puisqu'elle est autorisée en contrepartie d'obligations qui en constituent l'enjeu. L'attribution de fréquences a réellement de la valeur : quand certaines fréquences ont été cédées, c'est beaucoup d'argent qui est en jeu. Le succès que rencontrent les candidatures de la TNT démontre la valeur de ces fréquences de la TNT puisque tous les acteurs historiques sont candidats au renouvellement.

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Cette notion d'obligations en contrepartie de l'autorisation peut être discutée. M. Olivier Schrameck l'a d'ailleurs évoqué dans son audition. Il serait possible d'arguer que l'autorisation implique non seulement des obligations, mais également une redevance. Dans le domaine de l'occupation de l'espace public, on pourrait argumenter dans ce sens. Il n'y a pas d'exclusive à apporter et il me semblerait intellectuellement délicat de limiter les obligations à l'idée de gratuité de la fourniture de ce service. Une redevance pourrait être créée par analogie à l'occupation de l'espace public. À titre d'exemple, l'occupation d'une terrasse génère des obligations d'urbanisme et l'acquittement d'une redevance.

Je vous propose d'évoquer le bilan de la loi Bloche. Le sujet est pertinent pour évoquer le rôle et l'activité des comités relatifs à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes (CHIPIP). Paradoxalement, il me semble que plus on en parle, plus il a de sanctions et moins ils semblent actifs. N'avez-vous pas l'impression que jusqu'à présent, ils ont servi à une forme de déontologie « washing » ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

L'objectif de la loi Bloche était louable. Deux critiques principales ont été formulées quant aux comités d'éthiques : d'une part l'important déficit de visibilité et de notoriété et d'autre part, la difficulté de cette instance à trouver son positionnement.

Les travaux menés par le Sénat lors de la commission d'enquête sur la concentration des médias ont conduit à formuler des propositions sur le renforcement de la composition de ces comités, sur le fait de leur permettre d'avoir une meilleure visibilité par exemple sur les pages d'accueil des sites internet, sur une meilleure articulation avec le Conseil de déontologie journalistique ou encore le renforcement de la coopération avec l'Arcom.

La mission d'évaluation de la loi Bloche de la commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale formule également des propositions intéressantes sur les nominations en prévoyant un avis conforme de l'Arcom qui garantira l'indépendance de ces comités et la publication systématique de la composition de ces comités.

Ces éléments de transparence et d'amélioration de la gouvernance pourront être examinés et sont de nature à renforcer le rôle de ces comités qui contribuent à l'objectif de qualité, de déontologie et de qualité de l'information.

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La loi Bloche de 2016 donne à l'Arcom la possibilité de tenir compte du respect passé des obligations déontologiques par l'éditeur pour éventuellement refuser la reconduction simplifiée de l'autorisation hors appel à candidatures ou pour délivrer une nouvelle autorisation lorsque l'autorisation initiale arrive à son terme. M. Roch-Olivier Maistre nous l'a confirmé lors de sa première audition qui était aussi la première audition de notre commission.

Au regard de l'usage extrêmement prudent de son pouvoir de sanction jusqu'à présent, considérez-vous que l'Arcom est en capacité de recourir pleinement à ces deux dispositifs que, pourtant, la loi lui reconnaît ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Le dispositif d'attribution est très encadré par la loi parce que le nombre de places est limité. Il s'agit donc en réalité d'une sorte de concours de beauté qui permet de retenir les candidats les mieux-disants, au regard des nombreuses obligations, qui traduisent l'exception culturelle française, mais qui sont spécifiquement définies.

Les critères d'autorisation sont très nombreux. Il existe d'abord des critères impératifs prioritaires tels que la sauvegarde du pluralisme, la diversification des opérateurs, la nécessité d'éviter les abus de position dominante. Ensuite, il existe d'autres critères, très nombreux, tels que l'expérience acquise du candidat, son financement, ses perspectives d'exploitation, l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information, ou encore la diversité musicale, la production de programmes locaux, la production et la diffusion d'œuvres cinématographiques françaises et européennes.

En réalité, ainsi que le prévoit la loi Bloche, l'Arcom tient compte du respect passé des principes d'honnêteté, d'indépendance et de pluralisme de l'information, mais au sein d'un ensemble de critères, dans cet examen comparatif entre les candidatures en concurrence les unes avec les autres. L'Arcom est donc contrainte par cette philosophie portée par la loi de 1986.

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Le fait est que, pour une chaîne d'information, l'idée que le respect de l'honnêteté de l'information soit le critère prépondérant ne semble pas absurde et elle est conforme à l'esprit du législateur.

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

En tout cas, si ce critère devait devenir impératif et prioritaire, il faudrait envisager une modification de la loi.

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Je vous remercie pour cette précision.

Au regard des nouveaux modes de diffusion et des nouvelles formes de concentration que vous avez déjà largement évoquées, c'est-à-dire des concentrations diagonales, verticales et horizontales, le dispositif anti-concentration qui est issu de la loi de 1986 vous semble-t-il encore pertinent ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Le dispositif anti-concentration au regard du pluralisme des médias a été créé parce que le nombre de fréquences est limité. Depuis plusieurs années, ce dispositif fait l'objet de débats relatifs à sa modernisation et à son adaptation. En ce qui concerne l'audiovisuel, il est régulièrement adapté. Toutefois, il est légitime de s'interroger quant à l'adaptation des règles fixées par la loi de 1986 et à certains seuils de la réglementation actuelle.

La question se pose également d'avoir une approche un peu plus souple et par exemple de confier à l'Arcom, au cas par cas, un contrôle des concentrations au regard de cet objectif de pluralisme.

D'ailleurs, le projet de règlement européen sur la liberté des médias nous obligera, s'il est adopté définitivement, à créer une procédure d'évaluation des concentrations dans le secteur des médias dans une approche plurimédia intéressante. Il s'agira en effet de fixer une procédure sur l'ensemble des médias, non seulement l'audiovisuel, la presse et la radio, mais également les plateformes numériques. Cette approche intègre donc les plateformes numériques, ce qui constituera une avancée positive, si ce texte est adopté.

On peut se demander si cette procédure doit remplacer les critères fixés par la loi, donc se substituer ou compléter la loi, au-delà d'une grille d'analyse que pourrait établir l'Arcom quant à l'impact d'une concentration sur le pluralisme. Ces deux dispositifs se cumulent-ils ou bien est-ce que l'un se substitue à l'autre ?

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Je vous propose une forme d'intermède un peu philosophique entre ces considérations un peu techniques.

Au sein de cette commission d'enquête, nous évoquons des notions que les acteurs eux-mêmes peinent à définir et qui sont pourtant fondamentales. Sauriez-vous définir précisément ce qu'est une ligne éditoriale ? Le sujet revient souvent et cette notion de ligne éditoriale sert souvent de paravent. Votre expertise me permettrait-elle de définir ce qu'on peut apprécier comme une ligne éditoriale ? Identifiez-vous différentes lignes éditoriales, notamment dans les chaînes d'information qui diffusent sur la TNT ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

La question est délicate. La ligne éditoriale peut être définie par le choix des sujets traités, l'ordre des sujets mis en avant et les thématiques abordées.

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Par conséquent, diriez-vous que le recours aux chroniqueurs est conforme à la notion de ligne éditoriale, qui repose sur la hiérarchie de l'information, quand l'éditorialiste, de l'avis de nombreuses personnes auditionnées, semble plutôt donner un point de vue ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Il importe de ne pas mélanger la ligne éditoriale et ensuite la manière de traiter le sujet ou l'information. Au sein d'une ligne éditoriale, le traitement des faits est distingué des commentaires et des émissions de débat opérées par des éditorialistes ou des chroniqueurs.

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Pour aller sur un terrain quelque peu original, l'un d'entre vous serait-il en mesure de décrire la télévision idéale ? Jusqu'à présent, j'ai été bien en peine de la faire définir un peu précisément par ceux-là mêmes qui pourtant produisent des contenus.

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Selon le ministère de la culture, la télévision idéale répond aux missions qui lui sont confiées, à savoir une télévision qui promeut la diversité de l'offre culturelle d'une part, et qui promeut une information de qualité d'autre part. Tels sont les deux grands fondements de la télévision idéale qui permet de promouvoir non seulement la diversité culturelle, la diversité de la société, mais également une information de qualité et pluraliste.

Dans ce cadre, je pense que le rôle des journalistes est essentiel à la qualité de la télévision.

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Vous évoquez la diversité de l'offre culturelle et le pluralisme en matière d'information. Il me semble déceler des analogies. En effet, il importe que l'information soit pluraliste et, parallèlement, les contenus culturels doivent être divers.

Le fait est que s'agissant du pluralisme, nous sommes déjà mieux équipés que sur la question de la diversité culturelle. Nous reconnaissons les notions de pluralisme interne et de pluralisme externe. Pensez-vous que, par analogie, il serait souhaitable de reconnaître un besoin de diversité externe et de diversité interne ? Estimez-vous que les chaînes de la TNT respectent cette diversité interne ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Le pluralisme est le pluralisme des courants de pensée et d'opinion. Selon moi, il n'est pas uniquement politique, mais également socioculturel. Cette notion de diversité culturelle est incluse dans les critères imposés aux chaînes de télévision de la TNT. Cette obligation n'empêche pas que certaines chaînes soient dédiées à des thématiques particulières, à la musique, à l'audiovisuel ou encore à l'information.

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Poursuivant dans ma logique de diversité interne ou de pluralisme socioculturel interne, le décret du 30 janvier 1987 pris pour mettre en œuvre le mieux disant culturel, imposait au groupe TF1 de diffuser des programmes de théâtre, d'opéra, de danse, etc. Les dispositions législatives servant de base juridique à ce décret ont été abrogées en 2021, mais ces obligations n'ont jamais été respectées. Identifiez-vous un problème à ce sujet ?

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Ludovic Berthelot

Je crois que c'est l'ouverture des heures de diffusion du cinéma à la télévision qui a été modifiée en 2021. Le Gouvernement a alors assoupli considérablement les contraintes qui pesaient sur les chaînes, non seulement sur les chaînes du groupe TF1, mais également sur les autres chaînes gratuites, en matière de diffusion du cinéma à la télévision. La notion de jours interdits, notamment, a été très fortement assouplie.

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

S'agissant de la diversité, il me semble que l'ensemble des chaînes est soumis à des quotas de diffusion qui permettent cette diversité.

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Je vous remercie en tout cas pour ces précisions d'ordre juridique. Les spectateurs que nous sommes se feront leur propre opinion quant à la diversité des programmes proposés sur les autres chaînes.

Je reviens vers des considérations plus techniques et je m'interroge quant à la limite fixée à sept du cumul d'autorisations d'émettre par un même opérateur sur la TNT. Vous paraît-elle devoir être assouplie ou, à l'inverse, durcie ? Vous semble-t-elle tout simplement pertinente ? À quels besoins répondait-elle ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Le débat est ancien. Je ne suis pas sûre que la modification de ce critère à cinq, six ou huit autorisations changerait grand chose. Il importe d'examiner la situation dans sa globalité, c'est-à-dire en couplant ces critères à une appréciation plus souple de la concentration avec un avis au cas par cas.

J'insiste sur le fait que, pour donner une assise et une puissance à nos opérateurs et assurer une certaine rentabilité, cela passe par un nombre de chaînes significatif ou alors sur une assise d'un groupe économique puissant. Tout est une question d'équilibre qui permet à des modèles économiques d'être viables. La question ne peut pas être examinée indépendamment de considérations économiques associées à la viabilité des chaînes de la TNT nationale.

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Si j'étais taquin, je vous dirais que je décèle dans vos propos un postulat que je qualifierais d'ordo-libéral, qui assigne à l'État la fonction d'ordonner un marché garantissant la rentabilité pour certains acteurs. Le fait est que le coût d'entrée est tellement élevé que le nombre d'acteurs pouvant opérer sur ce marché est très limité. J'avoue que je ne suis pas tout à fait certain de partager cet a priori.

La considération du public touché, de la force de frappe en quelque sorte, des groupes ne doit-elle pas être envisagée ? Le mécanisme de l'information, de la diffusion des contenus et de sa circularité, passant de la télévision aux réseaux sociaux, n'est-il pas de nature à interroger sur les phénomènes de concentration ? Ne serait-il pas pertinent d'évoluer vers une force de frappe du groupe envisagée à l'aune de cette capacité à faire circuler, à influencer, à prescrire, beaucoup plus importante que lorsqu'elle se limitait à quelques centaines de milliers de téléspectateurs ?

Je ne suis pas certain de me faire comprendre. Autrement dit, la logique des seuils est double. Elle répond non seulement à une logique économique, mais également à une forme de logique démocratique qui évite la prépondérance de certains acteurs dans la capacité à diffuser des messages. Il me semble que cette prépondérance des acteurs – cette force de frappe – pourrait également s'apprécier à l'aune de leur participation à d'autres médias. Dans ce domaine, la DGMIC dispose-t-elle d'instruments ou d'indicateurs qui nous permettraient éventuellement d'affiner l'octroi des autorisations à l'avenir ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

La question que vous posez est tout à fait au centre des réflexions menées dans le cadre de la réforme du dispositif anti-concentration. En effet, au-delà de la philosophie de départ, qui était liée à la rareté de la fréquence, nous assistons à une projection de ces médias sur les réseaux sociaux, sur des plateformes, etc.

La question du contrôle du pluralisme se pose non seulement sur leurs médias traditionnels, mais également sur leur capacité à se projeter et à diffuser leurs programmes sur d'autres plateformes. L'appréciation de la concentration doit être menée plus globalement et en intégrant les diffusions sur les plateformes numériques, à savoir les offres de ces médias sur les plateformes numériques ou la diffusion par exemple de leur compte X ou la diffusion de leurs programmes sur TikTok, etc.

La philosophie consiste donc à opérer une approche globale et à raisonner en capacité de projection de ces médias.

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J'aborde maintenant le thème de la réglementation de la publicité à la télévision. Le 30 janvier 2024, le ministère de la culture et l'Arcom ont publié une étude relative à l'évolution du marché de la communication et à son impact sur le financement des médias par la publicité à l'horizon 2030. Selon cette étude, le marché publicitaire continuera de croître jusqu'en 2030, mais cette augmentation bénéficiera presque exclusivement aux acteurs numériques qui capteront une part croissante de ce marché - 65 % en 2030 versus 52 % en 2022 -, et notamment sur les quatre grandes plateformes extra européennes Alphabet, Meta, Amazon et TikTok.

Quels enseignements tirez-vous de cette étude face à un marché publicitaire appelé à se contracter ? Les chaînes de la TNT sont-elles trop nombreuses ?

L'étude a été réalisée à cadre réglementaire constant. La mise en œuvre du règlement européen du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique, dit « Digital Markets Act (DMA) », et du règlement européen du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques, dit « Digital Services Act (DSA) », permettra-t-elle de modifier les équilibres du marché publicitaire sur le numérique ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Cette étude conduite conjointement par l'Arcom et la DGMIC pose des chiffres sur ce que tout le monde pressent et mesure en projection la capacité des acteurs traditionnels à préserver la ressource publicitaire. Force est de constater que la captation par les plateformes numériques est très rapide. L'étude montre que, dans certains pays, la progression est encore plus rapide qu'en France. L'enjeu consiste donc à réguler la captation numérique par les plateformes. Ce sujet ne concerne pas tant le nombre de chaînes de la TNT que le transfert massif de la publicité vers ces plateformes.

Le DMA offre déjà des aspects intéressants notamment en ce qui concerne la transparence. Au-delà, la question reste de contenir l'avantage de Google sur l'ensemble des segments de la chaîne d'intermédiation publicitaire, d'ouvrir à la concurrence des environnements fermés et d'étendre l'interdiction d'autopréférence imposée par le DMA, mais qui n'est pas réservée à la publicité.

Le DMA permet des avancées, mais il importe de progresser encore. Il s'agit bien du sujet le plus important de notre réflexion sur ces questions de publicité. La DGMIC a lancé une consultation. Les acteurs doivent répondre avant le 25 mars et leur point de vue sera éclairant, je l'espère, sur ce sujet fondamental. En effet, cette étude montre que 40 % de la valeur sont captés par les services d'intermédiation sur la publicité programmatique. Il nous semble qu'il s'agit d'un des sujets essentiels des réflexions et des modifications qu'il est nécessaire d'opérer au niveau européen.

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Pouvez-vous nous présenter les grandes lignes qui se dégagent des réponses que vous avez d'ores et déjà obtenues de votre consultation ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Nous n'avons encore reçu aucune réponse. La date limite est fixée au 25 mars, mais souvent, les acteurs attendent la dernière minute pour répondre.

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La consultation lancée sur l'opportunité d'ouvrir à titre expérimental la publicité télévisée pour l'édition littéraire s'est terminée le 19 février 2024. Disposez-vous d'informations que vous pourriez nous communiquer ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Les expertises sont en cours et nous procédons aux analyses. Aucun arbitrage n'a encore été rendu.

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Sur la question de la publicité, la DGMIC considère le modèle économique, mais je suppose que d'autres impératifs sont pris en compte. Il me semble qu'il existe une forme de consensus dans la société quant aux objectifs de réduction des émissions de CO2 et de réduction de la pollution qui devraient conduire à une forme de désinflation publicitaire, de réduction de certaines consommations, etc. Cette logique de désinflation publicitaire va bien sûr à l'encontre des demandes exprimées par les groupes qui visent la dérégulation dans ce domaine.

La DGMIC travaille-t-elle sur des projets ou des propositions de scénarii permettant d'entamer cette désinflation publicitaire ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

La publicité constitue le mode de financement des médias privés. La diminution de la publicité induirait un problème de viabilité des médias privés.

La DGMIC et l'Arcom travaillent beaucoup sur les engagements volontaires tant dans les domaines environnementaux que dans le domaine alimentaire. Une action importante a été menée avec les acteurs non pas pour envisager des réductions par la loi, mais pour obtenir des engagements via des chartes. Ce mécanisme nous semble intéressant parce que l'engagement volontaire permet aussi de capter des acteurs qu'on ne peut pas toucher par la loi, notamment des acteurs étrangers. Cela permet d'élargir la vision et d'intégrer l'ensemble des acteurs. Une règlementation ou une interdiction par la loi toucherait uniquement les acteurs français et la publicité se retrouverait sur les acteurs numériques qui sont regardés par de jeunes publics. Il existe donc un intérêt à essayer de rassembler tout le monde et de favoriser ce dialogue. Telle est l'approche du ministère de la culture, en lien avec l'Arcom.

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J'insiste un peu. Si le postulat que je posais d'une nécessité de désinflation publicitaire est pertinent, peut-on considérer que le système actuel, qui repose sur la publicité, est vertueux ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

La publicité constitue le mode de financement des médias traditionnels. Une publicité encadrée selon une logique de corégulation paraît un équilibre intéressant à rechercher. Il est vertueux dans le sens où il permet le financement de l'offre médiatique actuelle. Si cette ressource diminuait ou disparaissait, cela mettrait en péril la viabilité de ces modèles économiques. Il importe donc de chercher un équilibre global et de s'efforcer de diffuser des publicités vertueuses qui protègent les publics sur des aspects sociétaux tels que l'environnement ou l'alimentation.

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Je retiens le concept de publicité vertueuse. Je crois que nous aurons matière à l'explorer pendant plusieurs années.

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Selon une analyse communiquée par le Syndicat national de la publicité télévisée (SNPTV), représentant les régies publicitaires, le régime d'interdiction ne serait pas conforme au droit européen, car la restriction apportée aux médias devrait répondre à une raison impérieuse, d'intérêt général, être propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre. Pensez-vous que cette analyse est fondée ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Je crois que cette question a déjà été jugée par le Conseil d'État dans sa décision Société Lidl du 29 décembre 2021. De mémoire, la réglementation est fondée pour protéger les médias que sont la radio et la presse.

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L'expérimentation, lancée en 2020, autorisant la publicité télévisée pour les films de cinéma, arrivera à échéance le 6 avril 2024. Pouvez-vous nous dire quel bilan vous en tirez ? Quel impact cette ouverture a-t-elle eu sur les transferts de valeur entre médias et sur la fréquentation des cinémas ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Nous avons également conduit une consultation à ce sujet au mois de février. Le bilan de cette expérimentation a mis trois éléments en lumière. Cette autorisation a eu un impact assez négligeable sur les transferts de budgets publicitaires entre médias.

Nous avons constaté – ce qui constituait un point particulier d'attention – une diversité des œuvres promues à la télévision avec une majorité de films français et des budgets relativement variés.

L'étude a également révélé un effet positif sur la fréquentation en salle dans certaines régions et notamment, pour s'adresser à des publics un peu plus éloignés des autres formes de publicités.

L'étude révèle que l'expérimentation est globalement positive. Nous avons constaté que les organisations professionnelles du secteur avaient évolué et portaient un regard un peu différent sur cette expérimentation.

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Envisagez-vous de la pérenniser définitivement ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

La question n'est pas encore tranchée, mais nous avons sollicité l'avis du régulateur.

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Je voudrais revenir sur l'idée de publicités télévisées pour l'édition littéraire. Empiriquement, ou comme simple spectateur, il me semble évident que la libéralisation de la publicité de l'édition littéraire à la télévision conduirait à la création de blockbusters ou superproductions littéraires tels que ceux que nous observons dans les couloirs du métro. Je ne suis pas certain que la diversité de l'offre et l'originalité de la production en soient accrues. Quelle est l'analyse du ministère de la culture ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Il importe de se méfier des comparaisons. Nous nourrissions exactement les mêmes craintes lorsque nous avons lancé l'expérimentation pour le cinéma. Il convient d'identifier les garde-fous qui permettent de promouvoir une certaine diversité et pour qu'une diversité d'acteurs puisse bénéficier de la mesure. Alors que le Gouvernement promeut la lecture, l'élargissement de la publicité est susceptible de contribuer à donner cette envie de lire. L'enjeu consiste donc à identifier des parades pertinentes de sorte que ce que vous craignez ne se produise pas, c'est-à-dire que l'ouverture de la publicité puisse bénéficier à des publics plus éloignés et à une diversité d'éditeurs.

Le cinéma et l'édition littéraire étaient interdits pour des raisons de diversité culturelle. L'enjeu consiste donc à préserver la diversité, et c'est en ce sens que nous conduisons nos travaux et nos réflexions.

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Je vous avoue qu'il me semble un peu curieux que les réflexions émises par le pouvoir réglementaire, selon lesquelles la publicité menacerait nécessairement la diversité de l'offre littéraire, puissent aujourd'hui être surmontées. Le professeur de lettres classiques un peu poussiéreux que je suis doute qu'une publicité télévisée puisse donner envie de lire au plus grand public. Il y aurait matière à un débat et je ne veux pas vous contraindre à sortir du périmètre de vos prérogatives.

Je souhaiterais que nous évoquions le financement de la création, notamment cinématographique. Quel bilan dressez-vous de l'intégration des plateformes de vidéo à la demande (VOD) au dispositif de contribution au financement de la création audiovisuelle et cinématographique par le décret du 22 juin 2021 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande, dit « décret SMAD » ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

L'Arcom a dressé un bilan sur la contribution des plateformes au titre de l'année 2022 : la contribution des trois acteurs que sont Netflix, Disney+ et Amazon Prime s'est élevée à 345 millions d'euros en 2022. Les plateformes contribuent donc au financement et le décret est appliqué.

Nous disposons de peu de recul sur la mise en œuvre plus fine de ce décret. Au regard des inquiétudes de certains producteurs, nous nous interrogeons toujours au sujet de la diversité des investissements des Smad. Les films financés sont-ils suffisamment nombreux et suffisamment divers ? Ces plateformes ne privilégient-elles pas un genre plutôt qu'un autre ? N'existe-t-il pas une trop forte concentration sur la fiction, par exemple, au détriment de l'animation ou du documentaire ? Tels sont les premiers éléments qui ressortent, bien qu'il soit encore un peu tôt pour délivrer un avis définitif.

Le ministère de la culture, donc la DGMIC, en lien avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et l'Arcom réalisent actuellement un bilan plus qualitatif et plus fin qui sera publié à l'été. Sur cette base, il sera peut-être possible d'envisager d'éventuels ajustements des décrets production.

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Canal+ a menacé à plusieurs reprises, et pour diverses raisons, de renoncer à sa fréquence TNT. Quelles en seraient les conséquences pour la chaîne, sur le taux de TVA applicable, par exemple, la place dans la chronologie des médias, la perte de visibilité permise par la numérotation logique ?

Dans le cas où elle deviendrait une chaîne du câble-satellite (« cab-sat ») ou une plateforme, confirmez-vous que ses obligations de financement de la production cinématographique ne s'en trouveraient pas sensiblement réduites ?

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Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

Cette question comporte plusieurs aspects. Sur le financement de la création, avec la réforme des décrets de production qui a été conduite en 2021, il nous semble que la situation ne serait pas fondamentalement modifiée si Canal+ devenait un Smad ou une chaîne cab-sat.

De même - mais je sors un peu de mes attributions puisqu'il faudrait interroger le CNC - je crois que la sortie de Canal+ de la TNT n'impliquerait pas de modification de la chronologie des médias.

S'agissant du taux de TVA, pour un certain nombre de ses offres liées à sa diffusion linéaire, Canal+ bénéficie d'un taux de TVA à 10 % et s'il devenait un Smad, il n'en bénéficierait plus.

L'aspect visibilité est important sur la TNT avec la chaîne numéro 4, qui représente une position très avantageuse pour un éditeur, et qu'il ne faut pas négliger dans sa valeur patrimoniale, car il s'agit d'un actif qui se valorise fortement.

Vient enfin la question de la revente puisque la loi prévoit que pour les chaînes de la TNT, les opérateurs extra-européens ne peuvent pas détenir plus de 20 % du capital d'une chaîne. Si Canal+ sortait de la TNT, cette protection sur le capital ne serait donc plus garantie.

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Je vous remercie beaucoup pour vos réponses.

Madame la présidente, je souhaiterai que la commission d'enquête utilise le temps dont elle dispose avant la prochaine audition pour se prononcer sur l'opportunité d'auditionner l'ancienne ministre de la culture, Mme Rima Abdul Malak.

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Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour nos échanges et nous vous saurions gré de répondre par écrit aux questions posées par le rapporteur qui vous seront remises par un message du secrétariat et de joindre à vos réponses les documents que vous jugerez utiles à la commission d'enquête. Je vous remercie.

La commission auditionne M. Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, ancien président de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France, et M. David Assouline, ancien sénateur, ancien rapporteur de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France.

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Nous allons à présent entendre le président et le rapporteur d'une précédente commission d'enquête. À la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, le Sénat a créé, en novembre 2021, une commission d'enquête visant à mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France et à évaluer l'impact de cette concentration sur la démocratie. Son rapport d'enquête a été adopté à l'unanimité, le 29 mars 2022.

Je souhaite la bienvenue à M. Laurent Lafon et à M. David Assouline, respectivement ancien président et ancien rapporteur de cette commission d'enquête.

Je vous remercie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Dans un souci de transparence, j'invite aussi les députés à rappeler le passé qu'ils ont pu avoir dans l'audiovisuel public ou privé lors de leur intervention.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, messieurs les sénateurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Laurent Lafon et M. David Assouline prêtent serment.)

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Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, ancien président de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Notre travail a été réalisé dans le cadre d'une niche demandée par le groupe des sénateurs socialistes sur la question de la concentration des médias. Il était comparable à celui que vous menez, avec un large tour d'auditions. Notre thématique, la concentration des médias, concernait des éléments d'actualité très présents au moment de nos travaux tels que l'émergence du groupe Canal+ et le projet de fusion entre M6 et TF1. Ce dernier n'est plus d'actualité, mais il a dirigé un certain nombre de nos questions.

Après de nombreuses auditions des acteurs qui font les médias eux-mêmes, mais aussi d'universitaires, de ministres, du CSA, nous avons remis un rapport en deux parties. La première était un diagnostic. Nous tenions à apporter une vision d'ensemble de cette question de la concentration, chiffrée, la plus détaillée possible. Ce sujet doit nous préoccuper, nous, les législateurs, du point de vue du fonctionnement démocratique. La seconde partie du rapport présentait des préconisations.

J'insiste sur le fait que le rapport a été voté à l'unanimité. Le rapporteur et moi-même souhaitions que ce travail aboutisse, non seulement sur l'aspect diagnostic, mais aussi avec des recommandations. Toutes celles que nous aurions souhaité formuler n'apparaissent pas dans le rapport afin d'obtenir cette unanimité que nous recherchions. Celles qui s'y trouvent représentent néanmoins le point d'accord sénatorial des actions qui peuvent être entreprises sur la révision de la loi de 1986 ou sur la manière d'appréhender les notions d'information et de pluralisme dans l'information. Il est possible que depuis 2022, les réflexions des uns et des autres aient évolué.

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David Assouline, ancien sénateur, ancien rapporteur de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

De 2008 à octobre 2023, quand mon mandat de sénateur a pris fin, je me suis consacré principalement à la question de la liberté de l'information et des médias dans notre pays. Hormis pendant trois ans, j'ai toujours été dans l'opposition, ce qui engendre beaucoup de frustrations. En 2008, j'avais toutefois réussi à faire passer un amendement, lors de la révision constitutionnelle, pour qu'à l'article 34 figurent la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias. Cet article de la Constitution offre un point d'appui pour des recours ou des requêtes. Cette victoire m'a enlevé toute frustration, estimant que mon action avait été utile.

À partir de 2008, j'ai aussi travaillé sur des propositions de loi pour l'indépendance des rédactions, pour que les propriétaires des médias ne soient pas bénéficiaires de la commande publique et éviter tout conflit d'intérêts. Une proposition commune avec l'Assemblée nationale a abouti à la loi Bloche.

Dernièrement, dans l'opposition, grâce à la collaboration de l'Assemblée nationale, j'ai réussi à faire passer la loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse pour taxer les plateformes, en particulier Google, sur les contenus qu'elles utilisaient de la presse en France. Le but était que le travail des journalistes, qui coûte cher, ne soit pas pillé par des plateformes sans rémunération. Cette loi devrait aujourd'hui permettre beaucoup plus de transparence sur les accords entre les directions de presse en France et Google, car le secret commercial empêche de connaître les montants perçus. Il s'agirait de s'assurer que la redistribution arrive jusqu'aux journalistes, qui sont quelque peu lésés.

À titre de parlementaire, j'ai été membre du conseil d'administration du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), du 27 juillet 2012 au 1er octobre 2023, et de celui de Radio France, du 15 décembre 2011 au 26 juillet 2012. Même si je n'y étais pas contraint, j'ai démissionné de ce dernier lorsque je suis devenu rapporteur des crédits de l'audiovisuel, considérant que je ne pouvais assumer les deux fonctions. Enfin, j'ai été membre du conseil d'administration de France 2, la majorité de droite à l'époque ayant bien voulu me donner cette fonction. Je n'y ai néanmoins jamais siégé, la société France 2 ayant cessé d'exister, du fait de la décision du Parlement de fusionner les sociétés au sein de France Télévisions.

Nous pouvons nous interroger sur le fait que sur un sujet aussi vaste que les processus de concentration et leurs dangers sur la démocratie, une commission d'enquête soit l'organe de travail le plus adapté. Elle offre toutefois certaines possibilités que ne permet pas une mission d'information, comme auditionner tous les grands patrons, les vrais décideurs, les propriétaires. Elle donne aussi accès à des documents et à des informations.

Nous n'avons pas eu le temps de creuser quelques faits précis, même si nous avons tenu 48 séances, avec 82 personnalités du monde des médias en France, pour plus d'une centaine d'heures d'audition. Je pense que nous avons eu raison de dresser un diagnostic. Celui-ci se voulait le plus précis possible, dans un rapport de plus de 1 000 pages, afin de proposer à tous, y compris les universitaires, une vision générale, avec des données détaillées sur le phénomène permettant d'éclairer le débat public, ce qui est le rôle des parlementaires.

Pour ma part, j'ai été très frustré des conclusions de la commission d'enquête, notamment en raison d'un réel questionnement sur CNews, chaîne d'opinion, d'information ou de débat. Nous avons subi une offensive du groupe Les Républicains, adossée à des articles récurrents dans Le Figaro pendant les travaux. La pression publique était forte – alors que je m'interdisais de parler publiquement – afin d'éviter toute référence à ce qui nous paraissait évident après les auditions, à savoir le changement de nature progressif entre I-Télé et CNews. Nous étions en pleine campagne présidentielle et il apparaissait clairement que cette chaîne avait propulsé et presque fabriqué un candidat. Pascal Praud a lui-même déclaré : « Éric Zemmour avait mis au cœur de la société française, de sa campagne électorale, ces sujets-là. On les a développés sur cette antenne. […] On avait envie parfois de défendre cette identité française, ses mœurs, ses coutumes, ses habitudes. »

Le groupe Les Républicains est majoritaire au Sénat. Je me suis retrouvé devant un dilemme : proposer ce qui semblait évident après nos travaux, c'est-à-dire que CNews était devenue une chaîne d'opinion, mais le groupe aurait voté contre le rapport, qui aurait été jeté à la poubelle, rendant tout le travail inutile, ou privilégier sa publication. J'ai choisi cette seconde option, ce qui a nécessité un compromis.

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Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, ancien président de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

J'ai omis de préciser qu'en tant que sénateur, j'ai été membre du conseil d'administration de France Télévisions, d'octobre 2020 à fin 2023. Depuis, je suis membre du conseil d'administration de Radio France.

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En parallèle d'une concentration horizontale et diagonale, le rapport d'enquête publié en mars 2022 souligne l'accélération de la concentration verticale, avec l'émergence d'acteurs cumulant des activités sur l'ensemble de la chaîne de valeur. Alors que certains estiment cette forme de concentration nécessaire à l'émergence de grands groupes français face aux géants américains, pourquoi y voyez-vous une menace pour le pluralisme ?

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David Assouline, ancien sénateur, ancien rapporteur de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Nous avons besoin de groupes solides, ce qui nécessite beaucoup d'investissements compte tenu du coût des technologies permettant d'être compétitif, écouté et regardé. En aucun cas la limitation des concentrations ne signifie pour moi l'affaiblissement de la performance des entreprises en question. En revanche, les plateformes, comme les géants du numérique dits Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), portent atteinte à la démocratie. Ces systèmes intégrés, plus puissants que les États, diffusent de la production d'information, mais aussi culturelle, ce qui fait que les êtres humains vivent ensemble et partagent des valeurs. Des géants de ce type ont des capacités d'investissement plus importantes que des États comme la France, dans la recherche, dans ce qui leur permettra de dominer et d'être en avance sur tous les autres. Si nous pensons que ce modèle doit être copié parce qu'il s'agirait uniquement d'une compétition, le résultat est celui que nous constatons. Nous aboutissons à une diversité tuée et à des citoyens qui perdent de plus en plus le contrôle de leur avenir et du débat démocratique, parfois sans en être conscients. Ainsi, copier ce que l'on dénonce ne me semble pas être la meilleure façon de concurrencer.

En outre, l'argument économique est fallacieux. La fusion entre TF1 et M6 aurait conduit à un géant générant autour de 45 % de l'audience au moment du « 20 heures ». Dans cette position ultradominante, il aurait capté et donné le rythme des recettes publicitaires. Il aurait pesé 1,3 milliard d'euros, alors que Netflix investissait déjà 17,4 milliards d'euros. La concurrence n'existe donc pas sur ce point. L'avance prise au niveau économique et financier ne permet pas de les concurrencer sur ce terrain, mais sur le modèle, la diversité, la qualité, la différence, avec un marché français où nous continuons de regarder autre chose que ces plateformes.

Nous devons continuer à penser que l'information et la culture ne sont pas des biens comme les autres. Nous portons une responsabilité politique, culturelle, démocratique. Nous n'avons pas à copier ce qui détruit la démocratie pour les concurrencer. Nous devons aussi agir au niveau européen, pour être en concurrence sérieuse. Nous en avons les moyens.

Il nous faut également promouvoir un autre modèle et, pour être à armes égales, les contraindre aux obligations que les médias français respectent dans notre pays, comme l'investissement dans la création ou la participation à des pots communs. Le combat a été quelque peu tardif, mais il avance, y compris au niveau européen.

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Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, ancien président de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Je suis en accord sur certains points, notamment concernant les plateformes. La question de l'équilibre entre le poids économique des groupes de médias et celui du respect du pluralisme et de la diversité de l'information n'est pas nouvelle. Elle existait déjà dans les années 1980, avec ces questions sur le groupe Hersant. La nouveauté provient de la taille des acteurs et de la concurrence des plateformes américaines, qui n'entrent pas dans notre champ de la législation.

Sur le marché français, les acteurs sont petits à l'échelle mondiale, par rapport à d'autres groupes comme Bertelsmann, que nous avons auditionné. Nos acteurs français, peut-être à l'exception de Canal+, ne sont pas sur les mêmes logiques. De ce point de vue, nous pouvons considérer comme un point de fragilité le fait que nos groupes de médias n'aient pas forcément la taille pour résister à une concurrence venue d'ailleurs.

Cette question de la concentration est complexe. Sur la presse quotidienne régionale (PQR), cette concentration est même plus grande que dans les médias nationaux. Nous pouvons ainsi nous interroger sur la pertinence de notre législation pour assurer une diversité d'information dans ce secteur. Par contre, il est évident qu'une régulation par la loi est nécessaire. Personne ne l'a remise en cause. La pertinence de la loi de 1986 a ainsi été au cœur de nos travaux.

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David Assouline, ancien sénateur, ancien rapporteur de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Dans la loi de 1986, nous avons abordé ces concentrations horizontales. Elle comprend quelques imperfections, dont le fait de ne pas pouvoir être présent sur plus de trois des supports de l'époque, presse écrite, radio, télévision. Dans la presse écrite, la presse hebdomadaire et magazine avait été oubliée, c'est-à-dire que le Journal du Dimanche (JDD), Paris Match ou d'autres pouvaient échapper à la loi, comme s'ils n'influaient pas sur l'opinion, ce qui est une erreur. Ainsi, aujourd'hui, vous pouvez être propriétaire d'une radio, d'une télévision, de Paris Match et du JDD. À l'époque, il n'était pas non plus possible d'anticiper l'explosion du numérique, qui a conduit à des mesures largement incomplètes.

Je considère que les systèmes complètement intégrés de médias sont un vrai sujet pour la démocratie. Être fournisseur d'accès, avoir la production, l'édition et le marché publicitaire devient une accumulation très dangereuse, car elle constitue une possibilité évidente d'atteinte au pluralisme.

Je soutiens ceux qui se sont battus, au plus haut niveau, pour démanteler les Gafam, ce qui a failli se produire aux États-Unis où le débat a été très concret sur une possible séparation des activités. Tout le monde voyait le danger.

En France, nous devons ouvrir un réel débat créatif entre tous ceux qui sont concernés. Je pense qu'il faudrait d'abord interdire ou limiter la possibilité d'être fournisseur d'accès et de posséder des médias. Or, dans notre pays, paradoxalement, trois des quatre fournisseurs d'accès, Free, Altice et Bouygues sont aussi de grands groupes de médias. Nous l'avons échappée belle avec Orange, qui est sorti du jeu.

La question de la publicité est aussi essentielle. Les grands groupes privés en vivent. Si l'un détient l'essentiel du marché publicitaire, la concurrence n'est pas équitable.

Enfin, en raison de l'achat d'Hachette, nous avions commencé à réfléchir au domaine de l'édition. Le livre est un média, le tréfonds culturel d'un pays, de la maternelle jusqu'à la fin de sa vie. Il est problématique qu'un seul acteur soit dominant dans le monde du livre, dans celui de la publicité et dans celui de la radio et de la télévision, tout en étant celui qui apporte ces signaux jusque dans la maison. Nous avons d'ailleurs assisté à des conflits entre chaînes et diffuseurs.

Ces sujets sont cruciaux pour la démocratie, qui se place au-dessus de tous les intérêts financiers des uns et des autres.

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Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, ancien président de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Nous avons eu des débats sur ces sujets, notamment sur le fait que l'organisation actuelle des médias remettait ou non en cause la pluralité. Le système français a en plus cette spécificité que des grands groupes de médias se constituent avec des groupes non issus du secteur. Est-ce que c'est forcément dangereux ? Les remarques de David Assouline n'étaient pas forcément partagées par tous.

En revanche, tout le monde s'interrogeait sur le fait que la loi de 1986 modifiée permette toujours, en dépit de la montée en puissance de ces groupes de médias, que la diversité de l'information et des opinions soit assurée.

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Monsieur Assouline, quelles propositions avez-vous dû retirer que vous auriez aimé pouvoir défendre ?

Par ailleurs, lors de l'audition de la DGMIC, qui vous précédait, nous avons évoqué l'idée d'autoriser la publicité télévisée pour l'édition littéraire. Elle me semble très mauvaise, car elle conduirait à présenter des blockbusters littéraires, un peu comme dans les couloirs du métro, avec une diversité forcément amoindrie. Partagez-vous cette appréciation ?

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David Assouline, ancien sénateur, ancien rapporteur de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Oui.

Nous avons essayé de légiférer sur la question des concentrations économiques puis sur l'indépendance des rédactions. Or la loi n'est pas rétroactive. Légiférer sur de nouveaux seuils et laisser en place ceux qui avaient construit leur empire mettait en difficulté ceux qui voulaient entrer et limitait d'autant plus la concurrence. Par ailleurs, la loi Bloche n'a pas été suffisamment appliquée en l'absence de mesures plus contraignantes : ce n'est pas sa nature qui était un problème, mais le fait que certains aient voulu faire du sur-place.

À l'époque, je m'étais interrogé sur l'exemple de Bouygues, un grand groupe dont les activités ne sont pas dans les médias, mais dans le bâtiment et travaux publics (BTP) et la téléphonie. Il a tout de même un savoir-faire, une antériorité, qui en fait un groupe important pour notre pays et pour l'information. Les équipes sont compétentes, avec de vrais journalistes qui enquêtent. Ce n'est pas une chaîne d'opinion ou de débat. En revanche, comment éviter l'ingérence ou les conflits d'intérêts face à un tel groupe ?

Nous avions imaginé de nommer un administrateur indépendant issu du groupe au conseil d'administration de la société mère. Il devait veiller à l'absence d'ingérence, d'interférence, d'atteinte à la déontologie, avec une capacité d'interpellation du conseil d'administration. Il devait rendre compte, par exemple chaque année, de ce qu'il avait constaté. Cette proposition a fait consensus, certains se concentrant surtout sur le fait de sauver le soldat Bolloré.

S'agissant des autres mesures que j'aurais souhaitées, je pense que nous devons aller vers l'impossibilité de détenir majoritairement de la téléphonie, des fournisseurs d'accès et des activités médiatiques. Je juge aussi nécessaire de limiter la possession d'agences publicitaires et la présence dans le monde médiatique.

Nous avons également un problème français sur le fait de participer de la commande publique et d'être en possession de médias. D'autres pays l'interdisent ou le limitent. Nous devons nous aussi prévoir des limitations, pas forcément des interdictions, sous peine de pression, de connivence avec le pouvoir politique et d'utilisation du pouvoir médiatique pour peser.

Enfin, nous pouvons agir sur les rédactions en les préservant des interférences et en leur permettant de s'appuyer sur le législateur pour conserver leur indépendance. Le directeur de la rédaction ne doit plus être avant tout tributaire de l'actionnaire. Il doit jouer son rôle d'interface réelle entre la rédaction et celui qui l'a nommé. L'actionnaire conserverait la prérogative de proposer, mais la rédaction devrait l'approuver à la majorité des deux tiers négatifs. Les modèles du Monde et de Médiapart, qui nécessitent une majorité des deux tiers de la rédaction pour rejeter la nomination de leur direction, peuvent être généralisés. Aujourd'hui, nous l'avons constaté, une rédaction peut être liquidée, comme au JDD, quand, à 95 %, elle est en opposition. Dans aucune autre entreprise, ceux qui doivent travailler avec leur enthousiasme, leur passion, leur tête ne peuvent avoir comme guide quelqu'un qu'ils rejettent aussi fortement.

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Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, ancien président de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Nous aurons éventuellement à légiférer dans quelques mois sur l'ouverture du marché de la publicité au livre et à d'autres secteurs. Je ne partage pas forcément vos craintes. Les salles de cinéma ne se plaignent pas de l'existence des blockbusters américains, bien au contraire puisqu'ils sont un élément important de la fréquentation. Des blockbusters dans la littérature peuvent avoir le même effet positif sur la capacité d'attirer dans les librairies un public qui ne s'y rend pas. Je n'aurais pas une réticence de principe à cette ouverture.

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David Assouline, ancien sénateur, ancien rapporteur de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Je suis pour ma part très prudent, voire critique sur cette possibilité. Si nous étions dans un monde vertueux, la possibilité de faire de la publicité serait régulée par le fait d'être juste et de mettre en avant ceux qui sont géniaux, mais inconnus et petits, sans starisation. La littérature est déjà un domaine très divers, avec un écrémage entre ceux qui écrivent et ceux qui sont publiés.

Actuellement, l'édition est fragile et en grande difficulté financière. Elle doit donc être vigilante, car le papier commence à coûter cher. Ce constat entrave les créateurs, qui ont pourtant des réflexions très importantes à porter à la connaissance du public. Nous n'allons pas en plus permettre à la publicité de valoriser ceux qui ont déjà tout, qui vendront ainsi deux fois plus. J'aimerais, si la publicité pouvait le permettre, que ceux qui vendent 1 000 exemplaires puissent en vendre 10 000, ce qui aiderait tout le secteur de l'édition, mais ce n'est pas ce qui arrivera.

Le problème n'est pas la publicité, mais le fait que dans le système actuel, elle invisibilisera encore plus les petits. Le législateur devrait promouvoir l'inverse et mettre plus en avant la diversité de la création littéraire dans le monde et dans notre pays.

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Vous aviez auditionné l'Autorité de la concurrence dans le cadre de votre commission d'enquête. Que vous a appris cette audition ? L'Autorité est-elle proactive ? A-t-elle formulé des propositions à votre égard ? A-t-elle manqué d'aplomb ?

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David Assouline, ancien sénateur, ancien rapporteur de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Elle m'a agréablement surpris par son efficacité, son audace et son indépendance, à deux reprises. D'abord, quand j'ai fait cette proposition de taxer les plateformes au profit de la presse, les sanctions qu'elle a prises à l'encontre de Google, qui essayait de ne pas se soumettre à la législation française, ont permis de débloquer la situation. Elle a décidé d'amendes très lourdes, d'une centaine de millions d'euros.

Ensuite, dans la commission d'enquête, alors que j'avais écrit dans le rapport que la fusion entre TF1 et M6 était inéluctable, elle a pointé les conséquences sur le marché publicitaire, avec une atteinte à la concurrence. Elle a posé des conditions qui ont conduit TF1 et M6 à renoncer. L'Arcom était en revanche plutôt bienveillante.

L'Autorité de la concurrence n'est donc pas la moins active pour faire appliquer la législation telle qu'elle existe, mais sa prérogative n'est pas de la changer.

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Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, ancien président de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Je ne partage pas totalement ce point de vue. Nous avons auditionné l'ancienne présidente et le nouveau président. La situation était embarrassante parce que deux autorités indépendantes ont été saisies sur ce projet de fusion et ont émis des avis différents. L'une a prédominé, compte tenu des contraintes imposées, dans le choix final. Nous pouvons nous interroger sur le fait que l'autorité la plus qualifiée pour apprécier l'évolution du secteur de l'audiovisuel soit finalement moins écoutée dans le processus de décision finale qu'une autorité qui, si elle a toute légitimité, découvrait le secteur.

Quand l'Autorité de la concurrence a été consultée, elle a examiné ce projet de fusion principalement sous le prisme du marché publicitaire. D'autres questions, comme la manière de résister à une concurrence d'autres acteurs médiatiques au niveau international, ont été occultées.

Je ne conteste pas la décision, je note juste qu'une étude de l'Arcom sur le marché publicitaire, rendue il y a quelques semaines, montre que le glissement vers le numérique est inéluctable. Si l'Autorité de la concurrence était saisie aujourd'hui, je ne sais pas si elle aurait toujours la même position par rapport au projet de fusion.

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David Assouline, ancien sénateur, ancien rapporteur de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Il est évident qu'il faut aujourd'hui apprécier l'ensemble du regard et des législations dans le domaine des médias en intégrant le numérique, qui n'est pas dans la loi de 1986. L'Autorité de la concurrence a de tout temps jugé le marché publicitaire des médias comme un marché en tant que tel, sans le numérique. De façon constante, elle a considéré qu'il y avait une position dominante. TF1 et M6 plaidaient pour un élargissement à l'internet, ce qui ne les plaçait plus dans cette position dominante.

Il revient aux législateurs d'intégrer la manière de prendre en compte le numérique dans la loi audiovisuelle qui réglemente les concentrations. Lorsque l'on ouvrira le débat sur la loi de 1986, certains demanderont de lever les barrières, les limitations, qui empêchent la constitution de géants français. D'autres argumenteront le contraire et souhaiteront inventer de nouvelles régulations, car nous n'avons pas les instruments pour l'ère de la révolution numérique.

Le débat sera politique et tranché par le législateur. En revanche, continuer à pointer ceux qui doivent faire appliquer la loi, l'Autorité de la concurrence et l'Arcom, alors que tout le monde estime cette loi caduque revient à se déresponsabiliser. Je pense qu'il faut continuer à réfléchir avec les cadres existants et changer la législation pour qu'elle ait un regard global sur les médias à l'ère de la révolution numérique.

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Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, ancien président de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

L'Autorité de la concurrence ne s'est pas prononcée au regard de la loi de 1986, mais au regard des dispositions législatives applicables à la concurrence dans le secteur de la publicité, ce qui est totalement différent.

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Face aux perspectives limitées de rentabilité du secteur de l'audiovisuel, confronté à l'attrition des audiences et des recettes publicitaires, n'est-ce pas avant tout la capacité d'influence offerte qui explique l'intérêt des capitaines d'industrie pour les médias ?

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David Assouline, ancien sénateur, ancien rapporteur de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Les travaux de la commission d'enquête du Sénat m'en ont convaincu tant les arguments des capitaines d'industrie ou financiers qui possèdent les médias en France étaient contradictoires. À la question sur son intérêt pour la presse, Bernard Arnault nous a répondu qu'il était un bon patriote et qu'il aidait un secteur en difficulté parce qu'il en avait les moyens, mais qu'autrement, il n'était pas demandeur . Hier, vous avez entendu Vincent Bolloré vous dire que Bernard Arnault rêvait de Paris Match, qui n'est pas en mauvaise santé, c'est pourquoi il fera cette faveur à son ami.

L'intérêt économique et l'intérêt idéologique expliquent beaucoup des propos de Vincent Bolloré. Lors de son audition devant nous, il n'a cessé de clamer que son groupe était petit. Or, hier, il a montré qu'il était le premier groupe européen et qu'il fera bientôt partie des grands groupes mondiaux.

Ces patrons ont principalement construit leur fortune, leur activité, dans le monde de l'industrie ou de la finance, Bernard Arnault avec LVMH, le luxe, Dassault avec les avions et le militaire, Vincent Bolloré avec les ports en Afrique, les batteries, les papiers à cigarettes, etc. Pourquoi viennent-ils tous ensuite dans le domaine des médias ? Vincent Bolloré vous a dit que celui-ci était très rentable, l'inverse des propos de Bernard Arnault devant nous et de la situation de CNews, qui est déficitaire.

Ils ne sont pas misanthropes, ils ne souhaitent pas perdre trop d'argent. Cette volonté d'un monde qui n'a rien à voir avec celui des médias de les posséder a clairement pour but de peser dans les décisions politiques et d'avoir un outil de reconnaissance des marques. On constate tout de même une contradiction, avec des rédactions qui se battent, des journalistes, des syndicats qui imposent leur indépendance et ne sont pas aux ordres.

Ce modèle français ne se retrouve pas ailleurs en Europe, où seuls les grands groupes de presse sont actifs dans les domaines de la presse et des médias, comme en Allemagne.

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Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, ancien président de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Ce constat est une caractéristique de notre organisation des médias en France. Avant-guerre, nous avions exactement le même phénomène, avec des industriels qui possédaient déjà à l'époque la presse écrite.

Je n'ai pas la réponse à la question sur les raisons de ces grands patrons, qui sont multiples. Je ne sais pas si ces activités leur sont rentables. Ils ont tendance à nous dire qu'ils ne gagnent pas d'argent, mais ils restent. J'en déduis donc qu'ils n'en perdent pas non plus. Ont-ils un souci de reconnaissance, une volonté de pouvoir, d'influencer les décisions ? Je me pose encore la question. L'état d'esprit de ces actionnaires n'est pas forcément le même. Il existe des différences dans l'approche, dans la relation aux médias qu'ils possèdent, dans leur confiance aux personnes qu'ils mettent en place.

Je pense que la vraie interrogation est de savoir pourquoi nous avons ce modèle et pas un autre, pourquoi des groupes historiques de médias, indépendants des autres secteurs d'activités économiques, n'organisent-ils pas le secteur, à l'image du modèle allemand construit sur une structuration différente.

De ce point de vue, je m'interroge aussi sur la stratégie du groupe Canal+, qui, à l'origine, vient d'un tout autre secteur d'activité économique, a investi les médias et se sépare des autres secteurs économiques pour investir davantage dans les médias. Le groupe Canal+ est-il vraiment un acteur qui développe une stratégie économique uniquement sur les médias ? Cette question mérite d'être posée.

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Le rapport de votre commission d'enquête comporte toute une partie relative au biais idéologique de l'actionnaire et au débat qui a irrigué l'ensemble de nos travaux sur l'existence ou non d'une chaîne d'opinion. Au-delà des cas particuliers qui peuvent défrayer la chronique, pensez-vous qu'à terme, dans la loi de 1986 révisée, la notion de pluralisme interne, qui s'impose aux chaînes autorisées, a encore du sens ? Une évolution vers la reconnaissance de chaînes d'opinion en tant que telles, pas pour toutes les chaînes autorisées, en cohérence avec le pluralisme externe qui existe pour la presse écrite, serait-elle une piste pour sortir de cette ambiguïté ?

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David Assouline, ancien sénateur, ancien rapporteur de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Cette reconnaissance est impossible sur la TNT, qui est une ressource rare. Elle nécessite des candidatures et une autorité, émanation de la puissance publique, qui doit attribuer ces canaux. Pour que le pluralisme soit préservé, il faudrait que toutes les opinions puissent avoir leur chaîne, ce qui est impossible. Je précise qu'il ne s'agit pas d'une liberté d'expression bafouée dans la mesure où une chaîne d'opinion peut se développer sur l'internet. Si CNews est une chaîne d'opinion, elle peut très bien migrer.

Nous devons revenir aux fondements. La liberté de la presse est totale, même si le barrage financier existe et que nous nous sommes toujours battus pour qu'il soit démocratisé socialement. Tout le monde peut diffuser son opinion, en restant dans le cadre de la loi. Le moment le plus clair du modèle français a été la Libération, avec un foisonnement de la presse quotidienne, avec plusieurs titres par département, représentant toutes les nuances politiques de la Résistance – démocrates-chrétiens, socialistes, communistes, républicains, etc. Cette presse d'information et de politique avait une déontologie. Le pluralisme existait par la diversité de l'offre.

La situation est identique sur l'internet, où l'espace est infini. Par contre, avec la TNT, la ressource est rare, avec une trentaine de chaînes, dont quatre chaînes d'information, ce qui a fait l'objet de nombreux débats, certains estimant que le service public ne devait pas en avoir au risque de raréfier encore plus l'audimat. Le but n'est pas d'exprimer le pluralisme d'opinion, mais d'instituer une compétition sur la recherche d'information et différents regards.

L'Arcom a une responsabilité sur ce point. La décision du Conseil d'État, que je salue car historique, lui confère des moyens et un soutien plus important pour juger ce que va signifier l'expression pluraliste, qui ne peut pas se limiter qu'aux représentants des partis politiques. L'application sera toutefois délicate.

En revanche, dans cette décision, nous avons glissé de chaîne d'information à chaîne de débat. Or, ce n'est pas le cadre de la convention avec l'Arcom. Sur une chaîne d'information, la dominante doit être l'information, ce qui nécessite un certain nombre de cartes de presse, d'aller chercher cette information et que dans la programmation, elle ne soit pas écrasée par le commentaire.

Or ce n'est pas le sujet avec CNews qui est une chaîne d'opinion. Vincent Bolloré est dans un jeu assez cynique. Il se moque de tout le monde, tranquillement et avec brio. Dès qu'il aborde concrètement la question de l'avortement, on perçoit bien le fond idéologique. Dans notre pays, nous avons une extrême droite qui, sur des questions culturelles, a une opinion, que ce soit sur le danger que pourrait représenter l'immigration, sur les questions liées aux religions, y compris sur le rapport de la religion catholique à la laïcité, sur la conception même de ce qu'est la culture et l'histoire de France.

Sur cette question de la chaîne d'opinion, Laurent Lafon partageait mon point de vue. Si toutes les nuances politiques du pays avaient une chaîne d'information, le tollé serait général. Serions-nous favorables à donner une chaîne à une gauche radicale, à une gauche non radicale, au courant écologiste, où tous feraient valoir leur fondement politique et idéologique ? Nous sommes dans le faux-semblant. Tout le monde sait que dans ce groupe, Europe 1, I-Télé, Journal du Dimanche, dès qu'un média passe sous la coupe de Vincent Bolloré, il prend une connotation repérable dans le champ du débat politique. Elle est nette et dépasse la question du pluralisme sur ces chaînes.

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Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, ancien président de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Je partage l'avis de David Assouline sur le fait d'accepter des chaînes ouvertement d'opinion sur la TNT. Les autorisations d'y émettre relèvent du domaine public et sont en nombre limité. Ainsi, nous ne pouvons pas accorder une chaîne à tous les courants d'opinion, sachant que définir ceux-ci ne serait pas simple. Nous prendrions même le risque que l'État ou un gouvernement, quel qu'il soit, oriente vers telle ou telle opinion, ce que nous ne souhaitons pas. La question principale est surtout de définir ce que nous attendons des chaînes d'information.

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Jugez-vous nécessaire d'objectiver ce qu'est l'information sur une chaîne d'information ? Faut-il se baser sur une sorte de comptabilité analytique, avec un nombre de cartes de presse ou le montant des budgets qui y sont consacrés, pour définir un certain pourcentage ?

Dans votre rapport, vous dites qu'il faut questionner la force de dissuasion du CSA, désormais Arcom. Hier, Vincent Bolloré nous a déclaré que l'audience protégeait Cyril Hanouna, en sous-entendant qu'il était prêt à payer du moment qu'il conservait cette audience. Faut-il faire évoluer le dispositif pour que, par exemple, la réitération des sanctions puisse entraîner la suspension temporaire, voire le retrait de l'autorisation ? Ce point est prévu, mais jamais appliqué. Une gradation dans les sanctions pourrait induire un changement de comportement.

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Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, ancien président de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Notre rapport formule des propositions en lien avec votre première question. J'avais fait un article dans Le Figaro qui partageait cette idée de qualifier l'information, ce qui n'est pas simple. Nous pouvons estimer de manière assez consensuelle, partagée et objective que la présence de journalistes professionnels qui délivrent de l'information est un élément qualifiant d'une chaîne d'information, même s'il n'est pas le seul. Nous pouvons y ajouter la présence de reportages ou de journaux, à horaires réguliers, qui reprennent des éléments d'actualité.

Une chaîne d'information ne doit pas forcément proposer 100 % d'information, il est aussi normal d'avoir des débats. En revanche, son pourcentage doit être dominant dans le temps d'antenne. La loi de 1986 et ses nombreuses révisions n'abordent pas cette question. Je pense qu'il y a matière à légiférer.

Nous observerons d'ailleurs les commentaires de l'Arcom dans les six mois suivant la décision du Conseil d'État. Parviendra-t-elle à définir ce que peut être une chaîne d'information de manière plus précise à partir de l'outil législatif existant ou une intervention du législateur sera-t-elle nécessaire ?

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David Assouline, ancien sénateur, ancien rapporteur de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

À une époque, les procédures étaient longues, mais les sanctions minimes. Je considérais alors que l'Arcom n'allait pas au bout des moyens, des alertes et qu'elle était trop prudente. Nous sommes depuis passés à un stade où, dans la gradation des mises en demeure puis des sanctions, les peines sont relativement lourdes.

Quand j'étais sénateur, j'ai saisi l'Arcom pour des propos insultants de Cyril Hanouna envers Anne Hidalgo. L'Arcom a infligé une amende de 300 000 euros à Cyril Hanouna. Cette sanction devrait être dissuasive, ce qui n'est pas le cas. M. Bolloré a dit qu'il assumait et payait. La justice devient alors une prime à ceux qui peuvent payer, ce qui constitue la limite.

Le dernier point de la convention avec CNews prévoit la suspension de la fréquence pour un maximum d'un an. Cette disposition n'a jamais été utilisée. Elle pourrait l'être en cas de récurrence. Sinon, l'autorité est remise en cause dans ses fondements. Pour moi, ce levier doit être utilisé, ne serait-ce que pour faire respecter l'Arcom elle-même et l'équité, c'est-à-dire le fait que la démocratie et le respect de la convention ne s'achètent pas.

De même, le renouvellement de l'attribution était souvent automatique, d'autant que les investissements doivent être pris en compte. Je ne sais plus si ma proposition avait été acceptée, mais j'avais demandé que la récurrence d'infractions à la convention soit un élément du débat lors des discussions sur la réattribution. Si elle est formellement écrite, cette mesure peut s'avérer dissuasive.

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Je partage votre analyse sur le fait que le pluralisme interne doit continuer à être la règle sur la TNT et que puisque les sanctions n'ont pas produit d'effet, la question du renouvellement se pose objectivement.

Faut-il conserver l'état d'esprit de la loi de 1986, en changeant les seuils et en intégrant les travaux européens sur les parts d'audience, en prenant en compte toute la diversité des médias ? Ou faut-il n'avoir qu'une seule forme de contrôle de la concentration, peut-être en s'appuyant uniquement sur la part d'audience et les travaux européens ? Vers quel type de réflexion s'orienter pour faire évoluer les seuils qui fixent la concentration ?

Quelles seraient les obligations, les contraintes qui pèsent actuellement sur nos médias et auxquelles ne sont pas assujettis les énormes groupes internationaux et qui seraient prioritaires pour instituer une saine concurrence ?

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Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, ancien président de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Sur le premier point, nous avons plutôt opté pour une modification des seuils, en évoquant une prise en compte de parts d'attention. Elles sont plus larges que les seules audiences et intègrent l'effet duplicateur des réseaux sociaux. La difficulté reste toutefois de disposer d'outils fiables sur ce point.

De manière plus générale, nous nous sommes interrogés sur la pertinence de certains seuils fixés en 1986, notamment la limite à 49 % de la part qu'une même personne peut détenir dans le capital d'un service national de télévision dont l'audience moyenne annuelle dépasse 8 % de l'audience totale des services de télévision. La vision paraît quelque peu dépassée par rapport à la réalité économique.

Les éléments de distorsion engendrés par Internet sont tellement nombreux qu'il est difficile d'en cibler un. Je peux citer l'exemple du secteur publicitaire. Des contraintes fortes existent pour les médias traditionnels, mais pas pour Internet. De même, la lutte contre la désinformation n'y existe pas, alors qu'elle est quand même présente dans nos médias français. J'ajoute que la convention oblige les éditeurs à respecter un certain nombre de règles, alors qu'aucune convention n'est signée avec les acteurs de l'internet.

Néanmoins, pour appréhender la question des médias de manière pertinente, il convient d'observer le contexte économique dans lequel ils agissent. La question de l'accès à la ressource publicitaire est devenue un enjeu, y compris sur le plan démocratique. Nous ne pouvons pas faire fi de cette dimension et nous abstenir de réfléchir à la manière de financer nos médias traditionnels.

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David Assouline, ancien sénateur, ancien rapporteur de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Il ne faut pas tout confondre. Ainsi, les Gafam ne sont pas présents sur la TNT. Aujourd'hui, personne ne bride les ailes d'un groupe français qui voudrait concurrencer sur leur propre terrain ces géants qui créent des systèmes intégrés sur le l'internet.

Peut-être que certains cherchent à remettre en cause la spécificité de la TNT. Est-elle toujours pertinente ? Je pense que oui. Elle est comme un sanctuaire de diversité où la puissance publique offre des fréquences qui permettent de satisfaire, dans une pluralité conséquente, non seulement l'information, mais aussi la proposition de loisirs, de films, de création culturelle, garantie, sans rien payer. Cet ancien modèle va perdurer. Il est assez prescripteur d'opinion. D'ailleurs, si tel n'était pas le cas, il n'intéresserait plus. Ainsi, le cadre doit être préservé.

Ensuite, dans la loi, qui régule le monde médiatique pour garantir la démocratie et la liberté de communication, il n'est pas possible de réfléchir uniquement en termes d'audience ou de territoires couverts, à l'heure où les moyens de communication dépassent toutes les frontières. L'audience n'est pas mesurable comme celle de la radio, de la télé ou de la vente de presse écrite. Nous nous sommes intéressés aux travaux d'universitaires américains sur la part d'attention, que développe Nathalie Sonnac dans son livre et ses études. Elle aide à appréhender globalement l'impact que les diffusions ont sur le public, même si la mesure est plus complexe.

Nous pourrions rassembler des gens de bonne volonté, qui ont des savoirs, de l'expérience, voire des opinions politiques pour inventer ensemble, face à l'une des plus grandes révolutions technologiques, dans un domaine essentiel pour la démocratie, qui percute toutes les régulations créées auparavant. Nos prédécesseurs ont toujours inventé. Nous devrions faire de même pour dégager de nouvelles manières d'appréhender la situation.

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Vous déclarez que les géants de l'internet ne sont pas sur la TNT. Pour ma part, je persiste à dire qu'il existe une vraie concurrence déloyale. Ils assèchent les revenus publicitaires et captent les audiences, notamment des plus jeunes. Sur cette question de lutter contre les asymétries avec les plateformes, je soutiens particulièrement le travail du sénateur Lafon inscrit dans sa proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle.

Dans le cadre de cette commission d'enquête, nous avons auditionné beaucoup de producteurs indépendants. La proposition de loi, dans son article 13 me semble-t-il, évoquait cette question de la définition de la production indépendante, avec une volonté d'exclure les mandats d'exploitation, de commercialisation, pour inciter les chaînes à investir davantage. N'existe-t-il pas un risque de porter atteinte à certains grands champions, y compris français, à l'international ? D'ailleurs, France Télévisions n'utilise pas toute la part de productions indépendantes auxquelles le groupe a droit.

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David Assouline, ancien sénateur, ancien rapporteur de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Il faut bien entendu lutter contre les asymétries. Comme je l'ai indiqué dans mon propos introductif, je considère qu'au lieu de s'adapter au modèle des Gafam pour les concurrencer, il faut les obliger à respecter un certain nombre d'obligations auxquelles sont assujetties les entreprises françaises. Je pense à des taxations équivalentes, à la participation de la création en France, à des contraintes en termes de conventionnement, contractualisées par une discussion, notamment avec l'instance de régulation. La première arme pour les concurrencer, avant la puissance financière et technologique, est de rétablir un certain équilibre sur un territoire donné, en Europe et dans notre pays.

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Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, ancien président de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France

Nous devons aussi nous interroger sur le secteur de la production, avec un réel phénomène de concentration qui se met en œuvre, au bénéfice des acteurs français, encore faut-il qu'ils le restent. Il nous faut déterminer jusqu'où nous pouvons l'accepter, dans un système législatif qui a plutôt été conçu sur une diffusion des petits producteurs, avec une notion d'indépendance qui pose question en cas de concentration. Nous sommes donc dans un cadre législatif qui a tout son sens, mais la réalité économique est en train de modifier assez profondément ce secteur.

La proposition de loi et l'article mentionnent tout simplement le partage de la valeur entre éditeurs et producteurs. Je suis attaché à notre système de financement de la production. Il repose essentiellement sur des financements publics, à travers les taxes. Il a permis l'émergence de ces grands groupes, en assurant une diversité culturelle, fondement de ce système.

Les éditeurs, qui financent aussi largement cette production, peuvent être plus en difficulté que les producteurs, notamment du fait de la concurrence des Gafam, de la rareté de l'accès au marché publicitaire. Nous ne pouvons pas éluder la question d'un rééquilibrage du partage de la valeur pour définir quelle part doit revenir à la production et laquelle doit rester à l'éditeur.

Dans la relation entre éditeurs français et producteurs, nous devons aussi éviter une distorsion de concurrence de la relation que peuvent avoir les Gafam avec les producteurs. Les règles de droit mondial sont ainsi beaucoup moins protectrices de l'intérêt des producteurs que nos règles françaises. Nous devons faire en sorte que nos éditeurs français ne soient pas pénalisés par rapport aux Gafam dans le fait qu'ils financent assez largement la production française.

Nous sommes dans un système favorable à la production, en forte croissance, grâce à nos règles qui s'imposent désormais à certains acteurs américains.

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Messieurs les sénateurs, je vous remercie et vous propose de prolonger nos échanges en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles à la commission d'enquête, ainsi qu'en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé. La séance est levée.

La séance s'achève à douze heures cinquante-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Fabienne Colboc, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Jérôme Guedj, M. David Guiraud, M. Aurélien Saintoul, Mme Sophie Taillé-Polian

Excusés. - M. Quentin Bataillon, M. Ian Boucard