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Intervention de Florence Philbert

Réunion du jeudi 14 mars 2024 à 9h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) :

Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous aujourd'hui.

Pour commencer ce propos liminaire, je voudrais vous présenter rapidement la direction générale des médias et des industries culturelles, que j'ai rejointe en octobre 2022.

La DGMIC poursuit deux grandes missions fondamentales. La première consiste à promouvoir la diversité culturelle et le développement de la création. La seconde vise à garantir le pluralisme et la qualité de l'information en veillant à préserver la vitalité et l'indépendance des médias sous toutes leurs formes.

Pour assurer ses missions, la DGMIC peut s'appuyer sur cent quarante collaborateurs, dont une équipe de soixante-huit personnes dans le service des médias et vingt-huit personnes pour la sous-direction de l'audiovisuel. Je profite de cette occasion pour les remercier très sincèrement devant vous pour la qualité du travail qu'ils accomplissent quotidiennement.

La DGMIC peut agir sur trois leviers. Le premier levier est celui de la réglementation. La DGMIC est un acteur normatif important pour préparer des décrets et des projets de loi. Le deuxième levier réside dans l'intervention économique et la gestion des dispositifs d'aide, principalement financés par le budget de l'État. Enfin, le troisième levier réside dans le suivi d'acteurs publics structurants. Dans le champ des médias, il s'agit des six entreprises de l'audiovisuel public et de l'Agence France-Presse.

La DGMIC n'est pas directement impliquée dans les processus d'attribution de fréquences aux opérateurs privés. C'est la mission de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et, comme ses autres missions de régulateur, elle l'exerce en toute indépendance. Pour le service public, vous n'êtes pas sans savoir que le Gouvernement fait usage d'un droit d'attribution prioritaire des fréquences pour lui permettre d'accomplir ses missions de service public.

Plus généralement, le service public joue un rôle particulier pour continuer à développer l'attractivité de la TNT. C'est le cas avec la diffusion ultra haute définition de deux chaînes de France Télévisions, notamment en prévision des Jeux olympiques de Paris qui se dérouleront au cours de l'été 2024.

Plus largement, le rôle de la DGMIC consiste à veiller à l'équilibre des modèles économiques des médias, à l'équilibre des médias traditionnels et des services numériques ou à un partage équitable de la valeur entre les différents maillons de cette chaîne, à savoir les auteurs, les producteurs, les éditeurs, les distributeurs ou les diffuseurs.

La TNT conserve une place de référence dans le paysage audiovisuel français. L'enjeu consiste à moderniser ce modèle souverain afin de continuer à promouvoir une offre culturelle et une information de qualité.

Trois grands constats ou observations liminaires éclaireront ce propos. Tout d'abord, la DGMIC est un mode de réception et de consommation de la télévision qui continue à occuper une place essentielle dans le paysage audiovisuel. Pour les éditeurs, elle représente une garantie de visibilité sans équivalent. Les chaînes nationales de la TNT représentent plus de 90 % de l'audience totale de la télévision en France, soit plus de quarante-cinq millions de téléspectateurs quotidiens et, plus largement, la télévision est le seul média capable de fédérer autant de Français simultanément. Ce constat se mesure notamment lors des grands événements politiques ou sportifs, où des dizaines de millions de téléspectateurs se rassemblent en même temps devant une chaîne : vingt-quatre millions pour la finale de la Coupe du monde de football en 2022. C'est également le cas chaque soir puisqu'à 21 heures, près d'un Français sur deux regarde une chaîne de la TNT.

Au-delà des nombreux avantages qui lui sont associés tels que sa large couverture de la population, sa simplicité d'utilisation, sa gratuité, sa sobriété énergétique, son caractère souverain avec un réseau géré de bout en bout en France, elle reste l'unique moyen de réception de la télévision pour un foyer sur cinq. Nous souhaitons donc préserver cette visibilité et cette puissance d'exposition. Tel est l'enjeu de la mise en avant des services d'intérêt général, par exemple sur les télécommandes, sur les écrans d'accueil des télés connectées, et cette faculté nous est offerte par la directive du 14 novembre 2018 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, dite « directive SMA ». La France s'en est saisie, par la loi et par un décret, et elle a fait le choix de confier à l'Arcom les modalités opérationnelles de cette mise en œuvre.

Pour autant, la TNT est confrontée à des défis majeurs. Le numérique a bouleversé les usages et le paysage audiovisuel. Nous sommes passés d'un monde où les contenus, et l'information en particulier, étaient rares, à un monde où ils deviennent abondants et où ils se démultiplient, sur les réseaux sociaux notamment, par une diffusion instantanée et à la demande. Nous assistons donc à un accroissement de l'offre tous azimuts au détriment des médias traditionnels, ce qui peut conduire à un recul de la confiance des citoyens dans les médias. La profusion des contenus induit une perte des repères, voire des phénomènes de fatigue informationnelle.

La télévision linéaire décroît au profit de la vidéo à la demande qui représente aujourd'hui un tiers du temps de visionnage des contenus audiovisuels. De manière générale, le numérique a vu l'émergence de nouveaux acteurs mondialisés et encore trop faiblement régulés tels que Google, Meta, Amazon, TikTok, qui viennent concurrencer les acteurs nationaux et déstabiliser leur modèle économique.

Cette situation concurrentielle se traduit par une remise en cause des deux piliers de financement traditionnels des médias, la publicité et le modèle payant. Financièrement, par un effet de ciseaux pour ces acteurs historiques, la concurrence peut conduire, en amont, à une augmentation des coûts sur le marché de la création et des droits sportifs et, en aval, à une diminution de leurs recettes publicitaires. L'étude sur l'évolution du marché de la communication et son impact sur le financement des médias par la publicité que la DGMIC a présentée en début d'année avec l'Arcom montre une captation croissante des investissements publicitaires sur les très grandes plateformes et une forte dépendance à leur service publicitaire. Les grandes plateformes sont en position dominante puisque, en pratique, la quasi-totalité des éditeurs de médias a recours aux services de Google.

Dès lors, pour affronter cette concurrence, les grands médias traditionnels font le pari de la concentration. On assiste ainsi à la constitution de groupes plurimédia avec le développement d'émissions co-diffusées par des chaînes de télévision et des radios appartenant à un même groupe, voire à des émissions accueillant des chroniqueurs ou des journalistes d'un titre de presse également détenu par un même groupe. Cela représente un des signes de l'effacement des distinctions entre types de médias : l'écrit, la vidéo et le son convergent autour de la notion de média global. On observe ainsi des réseaux sociaux qui permettent de consulter des contenus produits par des médias ou certains médias audiovisuels qui publient sur leur site internet de l'information sous forme écrite ou encore la presse écrite qui édite des podcasts.

Le troisième constat réside dans le fait que le droit national et européen doit être continûment adapté pour répondre à ces défis et préserver la puissance et la visibilité de nos médias traditionnels. Des réformes ambitieuses ont été conduites par le ministère de la culture pour réduire ces asymétries. C'est le cas par exemple du financement de la création avec l'adaptation aux évolutions du marché, des différents décrets de soutien à la production audiovisuelle et cinématographique. Les services de médias audiovisuels à la demande tels que Netflix, Disney, Amazon, sont désormais soumis à des obligations de production assises sur leur chiffre d'affaires en France. C'est aussi le cas du dispositif de mise en avant des services d'intérêt général pour lesquels la France a fait le choix de confier au régulateur le pouvoir de mise en œuvre et, comme évoqué précédemment, l'Arcom a décidé que cette mise en œuvre concernerait l'ensemble des chaînes nationales gratuites de la TNT.

Pour autant, de nombreux chantiers sont ouverts ou encore devant nous. Je mentionnerai trois d'entre eux.

D'abord, notre mécanisme de contrôle des concentrations qui repose sur une distinction entre presse et audiovisuel. Il est rigide et en partie obsolète, notamment parce qu'il repose uniquement sur les médias traditionnels.

Le deuxième chantier concerne la publicité. Les asymétries réglementaires persistent entre les acteurs et la TNT supporte des contraintes spécifiques. Il est notamment nécessaire de poursuivre les travaux entamés sur les services de publicité en ligne et la réponse principale à apporter à cette problématique fondamentale se situe certainement au niveau européen. D'ailleurs, la régulation des médias constitue un sujet de plus en plus fréquemment traité au niveau européen.

Le troisième chantier réside dans la qualité de l'information. Le service public a évidemment un rôle incontournable à jouer, mais ces questions de qualité de l'information et de déontologie concernent tout le monde et nous devons être capables de valoriser les médias qui font le pari du contenu rédactionnel. De ce point de vue, la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dite « loi Bloche », a marqué une étape importante. Plusieurs points méritent d'ailleurs d'être à nouveau examinés, notamment pour trouver une traduction plus concrète, à savoir l'effectivité des chartes de déontologie, le renforcement des comités d'éthique et du respect des principes de déontologie journalistique. Cela renvoie aux travaux de la mission d'évaluation de la loi Bloche créée par la commission des affaires culturelles de votre assemblée, qui vient de formuler des propositions en ce sens.

La recherche d'une forme d'égalisation de la concurrence et le renforcement des modèles économiques de nos médias traditionnels, évidemment nécessaires, ne doivent pas pour autant conduire à renoncer à certaines exigences qui pèsent sur les acteurs de la TNT. Ils sont autorisés à utiliser des fréquences disponibles en nombre limité en contrepartie du respect d'obligations fixées par la loi et par les conventions. À une époque où se multiplient les fausses informations, les tentatives d'ingérence d'autres pays, particulièrement sur les réseaux sociaux, la TNT reste un mode de réception souverain qui constitue pour nos concitoyens une offre audiovisuelle nationale de référence, une offre qui doit promouvoir non seulement la diversité culturelle, mais également une information fiable et de qualité qui me semblent être des données essentielles à la structuration de l'espace public et à la qualité du débat public.

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