Oui.
Nous avons essayé de légiférer sur la question des concentrations économiques puis sur l'indépendance des rédactions. Or la loi n'est pas rétroactive. Légiférer sur de nouveaux seuils et laisser en place ceux qui avaient construit leur empire mettait en difficulté ceux qui voulaient entrer et limitait d'autant plus la concurrence. Par ailleurs, la loi Bloche n'a pas été suffisamment appliquée en l'absence de mesures plus contraignantes : ce n'est pas sa nature qui était un problème, mais le fait que certains aient voulu faire du sur-place.
À l'époque, je m'étais interrogé sur l'exemple de Bouygues, un grand groupe dont les activités ne sont pas dans les médias, mais dans le bâtiment et travaux publics (BTP) et la téléphonie. Il a tout de même un savoir-faire, une antériorité, qui en fait un groupe important pour notre pays et pour l'information. Les équipes sont compétentes, avec de vrais journalistes qui enquêtent. Ce n'est pas une chaîne d'opinion ou de débat. En revanche, comment éviter l'ingérence ou les conflits d'intérêts face à un tel groupe ?
Nous avions imaginé de nommer un administrateur indépendant issu du groupe au conseil d'administration de la société mère. Il devait veiller à l'absence d'ingérence, d'interférence, d'atteinte à la déontologie, avec une capacité d'interpellation du conseil d'administration. Il devait rendre compte, par exemple chaque année, de ce qu'il avait constaté. Cette proposition a fait consensus, certains se concentrant surtout sur le fait de sauver le soldat Bolloré.
S'agissant des autres mesures que j'aurais souhaitées, je pense que nous devons aller vers l'impossibilité de détenir majoritairement de la téléphonie, des fournisseurs d'accès et des activités médiatiques. Je juge aussi nécessaire de limiter la possession d'agences publicitaires et la présence dans le monde médiatique.
Nous avons également un problème français sur le fait de participer de la commande publique et d'être en possession de médias. D'autres pays l'interdisent ou le limitent. Nous devons nous aussi prévoir des limitations, pas forcément des interdictions, sous peine de pression, de connivence avec le pouvoir politique et d'utilisation du pouvoir médiatique pour peser.
Enfin, nous pouvons agir sur les rédactions en les préservant des interférences et en leur permettant de s'appuyer sur le législateur pour conserver leur indépendance. Le directeur de la rédaction ne doit plus être avant tout tributaire de l'actionnaire. Il doit jouer son rôle d'interface réelle entre la rédaction et celui qui l'a nommé. L'actionnaire conserverait la prérogative de proposer, mais la rédaction devrait l'approuver à la majorité des deux tiers négatifs. Les modèles du Monde et de Médiapart, qui nécessitent une majorité des deux tiers de la rédaction pour rejeter la nomination de leur direction, peuvent être généralisés. Aujourd'hui, nous l'avons constaté, une rédaction peut être liquidée, comme au JDD, quand, à 95 %, elle est en opposition. Dans aucune autre entreprise, ceux qui doivent travailler avec leur enthousiasme, leur passion, leur tête ne peuvent avoir comme guide quelqu'un qu'ils rejettent aussi fortement.