Intervention de David Assouline

Réunion du jeudi 14 mars 2024 à 9h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

David Assouline, ancien sénateur, ancien rapporteur de la commission d'enquête sur la concentration des médias en France :

De 2008 à octobre 2023, quand mon mandat de sénateur a pris fin, je me suis consacré principalement à la question de la liberté de l'information et des médias dans notre pays. Hormis pendant trois ans, j'ai toujours été dans l'opposition, ce qui engendre beaucoup de frustrations. En 2008, j'avais toutefois réussi à faire passer un amendement, lors de la révision constitutionnelle, pour qu'à l'article 34 figurent la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias. Cet article de la Constitution offre un point d'appui pour des recours ou des requêtes. Cette victoire m'a enlevé toute frustration, estimant que mon action avait été utile.

À partir de 2008, j'ai aussi travaillé sur des propositions de loi pour l'indépendance des rédactions, pour que les propriétaires des médias ne soient pas bénéficiaires de la commande publique et éviter tout conflit d'intérêts. Une proposition commune avec l'Assemblée nationale a abouti à la loi Bloche.

Dernièrement, dans l'opposition, grâce à la collaboration de l'Assemblée nationale, j'ai réussi à faire passer la loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse pour taxer les plateformes, en particulier Google, sur les contenus qu'elles utilisaient de la presse en France. Le but était que le travail des journalistes, qui coûte cher, ne soit pas pillé par des plateformes sans rémunération. Cette loi devrait aujourd'hui permettre beaucoup plus de transparence sur les accords entre les directions de presse en France et Google, car le secret commercial empêche de connaître les montants perçus. Il s'agirait de s'assurer que la redistribution arrive jusqu'aux journalistes, qui sont quelque peu lésés.

À titre de parlementaire, j'ai été membre du conseil d'administration du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), du 27 juillet 2012 au 1er octobre 2023, et de celui de Radio France, du 15 décembre 2011 au 26 juillet 2012. Même si je n'y étais pas contraint, j'ai démissionné de ce dernier lorsque je suis devenu rapporteur des crédits de l'audiovisuel, considérant que je ne pouvais assumer les deux fonctions. Enfin, j'ai été membre du conseil d'administration de France 2, la majorité de droite à l'époque ayant bien voulu me donner cette fonction. Je n'y ai néanmoins jamais siégé, la société France 2 ayant cessé d'exister, du fait de la décision du Parlement de fusionner les sociétés au sein de France Télévisions.

Nous pouvons nous interroger sur le fait que sur un sujet aussi vaste que les processus de concentration et leurs dangers sur la démocratie, une commission d'enquête soit l'organe de travail le plus adapté. Elle offre toutefois certaines possibilités que ne permet pas une mission d'information, comme auditionner tous les grands patrons, les vrais décideurs, les propriétaires. Elle donne aussi accès à des documents et à des informations.

Nous n'avons pas eu le temps de creuser quelques faits précis, même si nous avons tenu 48 séances, avec 82 personnalités du monde des médias en France, pour plus d'une centaine d'heures d'audition. Je pense que nous avons eu raison de dresser un diagnostic. Celui-ci se voulait le plus précis possible, dans un rapport de plus de 1 000 pages, afin de proposer à tous, y compris les universitaires, une vision générale, avec des données détaillées sur le phénomène permettant d'éclairer le débat public, ce qui est le rôle des parlementaires.

Pour ma part, j'ai été très frustré des conclusions de la commission d'enquête, notamment en raison d'un réel questionnement sur CNews, chaîne d'opinion, d'information ou de débat. Nous avons subi une offensive du groupe Les Républicains, adossée à des articles récurrents dans Le Figaro pendant les travaux. La pression publique était forte – alors que je m'interdisais de parler publiquement – afin d'éviter toute référence à ce qui nous paraissait évident après les auditions, à savoir le changement de nature progressif entre I-Télé et CNews. Nous étions en pleine campagne présidentielle et il apparaissait clairement que cette chaîne avait propulsé et presque fabriqué un candidat. Pascal Praud a lui-même déclaré : « Éric Zemmour avait mis au cœur de la société française, de sa campagne électorale, ces sujets-là. On les a développés sur cette antenne. […] On avait envie parfois de défendre cette identité française, ses mœurs, ses coutumes, ses habitudes. »

Le groupe Les Républicains est majoritaire au Sénat. Je me suis retrouvé devant un dilemme : proposer ce qui semblait évident après nos travaux, c'est-à-dire que CNews était devenue une chaîne d'opinion, mais le groupe aurait voté contre le rapport, qui aurait été jeté à la poubelle, rendant tout le travail inutile, ou privilégier sa publication. J'ai choisi cette seconde option, ce qui a nécessité un compromis.

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