La séance est ouverte à quinze heures.
La commission procède à l'audition de M. Sylvain Fournel, représentant permanent adjoint de la France auprès des organisations des Nations unies à Rome (FAO – FIDA – PAM).
Nous accueillons monsieur Sylvain Fournel, représentant permanent adjoint de la France auprès des organisations des Nations unies à Rome : l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le Fonds international de développement agricole (FIDA) et le Programme alimentaire mondial (PAM).
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Fournel prête serment.)
En premier lieu, je tiens à vous présenter les trois agences des Nations unies à Rome. La première, dans l'ordre chronologique de création, est la FAO, créée en 1945 et dont la vocation est essentiellement experte et normative. Elle a en effet pour mandat de produire une expertise de référence sur les questions alimentaires et agricoles, ainsi que des données statistiques et des normes de toute nature, certaines sous la forme de recommandations générales et d'autres sous la forme plus contraignante d'instruments juridiques internationaux. La FAO déploie également des activités d'assistance technique pour les gouvernements qui le demandent, pour la mise en œuvre de leurs politiques agricoles et alimentaires.
Le mandat de la FAO est vaste, l'agriculture étant entendue au sens large : les productions végétales, mais aussi l'élevage, les forêts et les pêches. En revanche, elle n'a pas de compétence générale en matière de commerce international des produits agricoles, laquelle relève de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Outre sa fonction normative, la FAO mène également, sur des financements volontaires, des activités de développement, d'urgence et de résilience dans des situations de crise.
Le Programme alimentaire mondial, créé en 1963, est quant à lui une organisation à vocation opérationnelle, dont l'action est principalement humanitaire. Plus grande agence humanitaire des Nations unies, il vise à porter assistance aux populations dans les situations d'urgence. Son volume d'activité a oscillé entre 9 et 14 milliards de dollars lors des années récentes, soit un volume désormais bien supérieur à celui des opérations de maintien de la paix de l'ONU.
L'action du PAM s'inscrit dans le nexus entre l'humanitaire et le développement : ses activités d'urgence s'accompagnent d'activités de stabilisation et de renforcement de la résistance alimentaire à plus long terme, notamment en sortie de crise. La PAM sert également de bras armé logistique des Nations unies et de la communauté humanitaire dans son ensemble, notamment dans plusieurs domaines clés comme le transport aérien ou le prépositionnement de matériels d'urgence et de télécommunications sur les théâtres de crise. Ce rôle de bras armé logistique des Nations unies constitue la reconnaissance du savoir-faire du PAM.
Pour sa part, le Fonds international de développement agricole, créé en 1979, exerce un mandat financier. Il s'agit d'une sorte de Banque mondiale de taille réduite, exclusivement centrée sur des petits exploitants et des populations rurales pauvres dans les pays en développement. Les ressources de base du fonds sont exclusivement destinées aux pays à revenus faibles ou intermédiaires de la tranche inférieure : concrètement, plus de 60 % des financements du FIDA sont orientés vers l'Afrique. Le FIDA est la seule organisation internationale qui soit à la fois une institution financière et une agence des Nations unies.
En deuxième lieu, je souhaite évoquer les termes dans lesquels se pose, dans les agences des Nations unies, le débat sur la souveraineté alimentaire. Pour la plupart des pays – peut-être tous –, les questions de sécurité alimentaire représentent véritablement des questions de sécurité nationale. Les exemples sont légion où des crises alimentaires graves, des émeutes de la faim, se traduisent finalement par des révoltes ou des révolutions.
De ce point de vue, l'objectif de réalisation d'une sécurité alimentaire universelle, l'éradication de la faim, qui est l'objectif de développement durable numéro deux dans l'Agenda 2030, est bien est loin d'être réalisé. Selon les données les plus récentes de la FAO, environ 735 millions de personnes souffrent aujourd'hui de la faim dans le monde, contre 613 millions en 2019, soit une augmentation de 122 millions de personnes en l'espace de seulement quatre ans.
Certes, les évolutions ne sont pas homogènes sur l'ensemble du globe. La faim a plutôt régressé en Asie et en Amérique latine, mais elle a en revanche continué à gagner du terrain en Asie de l'Ouest, dans les Caraïbes et, malheureusement, sur l'ensemble du continent africain, qui demeure la région la plus touchée puisqu'une personne sur cinq y souffre de la faim, soit le double de la moyenne mondiale.
Aujourd'hui un consensus international existe sur les principales causes de l'insécurité alimentaire. Il s'agit des conflits, des effets des changements climatiques et des conséquences persistantes, d'un point de vue socio-économique, de la pandémie de covid 19. Les bouleversements géopolitiques actuels et, au premier rang de ceux-ci, l'agression russe contre l'Ukraine, entraînent évidemment des répercussions majeures sur le terrain, sur l'activité des agences onusiennes qui ont leur siège à Rome et sur les débats qui s'y déroulent.
Je voudrais par ailleurs souligner deux points qui me semblent importants pour comprendre la teneur des débats internationaux qui ont lieu aux Nations unies sur les questions de sécurité alimentaire. Tout d'abord, ces débats sont aujourd'hui largement appréhendés à travers la notion, non pas d'agriculture, mais de système alimentaire. Le système alimentaire inclut non seulement les conditions de production, mais aussi de distribution, d'échanges – par exemple la question importante des pertes et gaspillages post-récoltes –, mais aussi la préservation des ressources à long terme et l'aval de la chaîne, notamment les habitudes de consommation.
Ensuite, ce débat sur la transformation des systèmes alimentaires est appréhendé sous l'angle des trois piliers du développement durable : la durabilité économique, la durabilité sociale et la durabilité environnementale. Même si des nuances ou des divergences peuvent s'exprimer, nul ne conteste aujourd'hui que ces trois objectifs sont interdépendants et qu'ils doivent être poursuivis simultanément. De ce point de vue, il s'agit d'un changement majeur par rapport au débat qui pouvait se poser il y a encore quelques décennies, au temps de la « révolution verte ». Cependant, pour de nombreux pays, l'impératif de production demeure central, particulièrement dans les pays en développement, dans un contexte où les projections prévoient une hausse continue de la demande de produits agricoles d'environ 1,1 % par an à l'horizon 2030.
En dernier lieu, je souhaite évoquer la position de l'Union européenne et de la France. En effet, les positions défendues par la France dans le champ qui correspond à la politique agricole commune (PAC) le sont au nom de l'Union européenne et ses États membres. Très concrètement, cela implique une mécanique assez sophistiquée d'élaboration des positions communes.
Le modèle européen et français, qui résulte de la PAC, du Pacte vert pour l'Europe et de son volet agricole, dit « de la ferme à l'assiette », exerce un attrait indéniable au niveau mondial. Certes, il porte bien des intérêts, notamment ceux des principales puissances agricoles exportatrices, mais il constitue aussi une référence pour de nombreux pays en développement, notamment africains. Pour ces pays, la transition agroécologique permet, pour le dire avec les mots d'un ancien ambassadeur du Sénégal qui était par ailleurs ex-ministre de l'agriculture, de « nourrir sans nous détruire ».
Dans la même veine, force est de constater l'intérêt réel que suscite chez nos partenaires le fait de désigner en France le ministre de l'agriculture comme étant aussi celui de la souveraineté alimentaire. Je crois en effet que cet intitulé correspond à une aspiration de plus en plus nette et de plus en plus large, accentuée sans doute avec la crise du covid et les effets de la guerre en Ukraine, en faveur d'une réduction de la dépendance aux importations de la part de nombreux pays, et d'un impératif de construction d'une autosuffisance alimentaire viable à long terme.
Quels instruments permettent de défendre et de promouvoir cette position ? Il s'agit avant tout de la régulation internationale par le droit. De ce point de vue, avec ses partenaires, la France promeut des accords, des traités. Je pense par exemple au traité sur les ressources phytogénétiques, à la convention internationale sur la protection des végétaux ou encore aux accords de lutte contre la pêche illicite. Il s'agit également de droit plus mou, c'est-à-dire des recommandations à caractère volontaire. Mais dans un cas comme dans l'autre, l'idée consiste bien, sous diverses formes, à viser une mise à niveau mondiale en matière de normes, afin d'assurer une production durable, une sorte de level playing field, comme on le dit en anglais.
Par ailleurs, il faut ajouter que la France, au-delà de l'appartenance à l'Union européenne, est, à titre national, un pays qui joint les actes à la parole en matière de sécurité alimentaire et de transition des systèmes alimentaires vers plus de durabilité, de résilience et de souveraineté. Je voudrais à titre de conclusion, prendre quelques exemples au travers d'initiatives menées par la France. Il s'agit notamment de l'initiative FARM (mission pour la résilience alimentaire et agricole) lancée par le Président de la République en réponse aux conséquences de l'agression russe, mais également la coalition mondiale pour l'alimentation scolaire, qui regroupe une centaine de pays, notamment africains. Enfin, la France est de manière générale un acteur très engagé en faveur de l'action des agences onusiennes à Rome : elle a multiplié par six ses contributions financières au PAM et se positionne en tant que deuxième pays contributeur aux ressources de base du FIDA, avec une contribution record de 150 millions d'euros.
Pouvez-vous nous redire dans quelles zones la sécurité alimentaire est globalement assurée et celles où elle n'est pas ?
La sécurité alimentaire est considérée comme globalement assurée en Europe, en Amérique du Nord, dans les pays d'Asie les plus développés sur le plan économique ; elle ne l'est pas en Asie de l'Ouest et en Afrique et elle s'est plutôt améliorée en Asie et Amérique latine. Je précise qu'il faut distinguer sécurité alimentaire et sécurité nutritionnelle, cette dernière n'étant pas parfaitement corrélée au développement économique.
Vous avez également indiqué que 735 millions de personnes souffrent aujourd'hui de la faim dans le monde, contre 613 millions en 2019.
Les projections au-delà de quelques années sont extrêmement fragiles, notamment parce que la première cause de l'insécurité alimentaire, ce sont les conflits, et ceux-ci se prêtent mal à la prévision à long terme.
Pouvez-vous évoquer les impacts de l'agression russe en Ukraine sur la sécurité alimentaire mondiale ?
L'Ukraine est avec la Russie un des principaux producteurs de certaines matières premières agricoles, à commencer par les oléagineux et les céréales. L'Ukraine a notamment été dans l'impossibilité d'exporter durant les six premiers mois de l'année 2022. L'effet sur les marchés internationaux a été spectaculaire et a affecté directement des pays qui figuraient parmi ses clients majeurs, par exemple l'Égypte. En outre, l'Ukraine était le premier fournisseur de céréales du PAM, qui est chargé des interventions humanitaires d'urgence.
La politique alimentaire russe est-elle en discussion dans les enceintes internationales, notamment à Rome ?
Ce sujet est effectivement en discussion depuis deux ans, de manière ininterrompue. Les crises géopolitiques tendent à dominer nos débats. Dès le mois qui a suivi le début de la guerre, le conseil de la FAO a tenu une session spéciale pour discuter de ses impacts en matière de sécurité alimentaire. Depuis lors, les discussions sont difficiles, très polarisées et particulièrement rugueuses.
Vous avez dit que la stratégie « De la ferme à la fourchette » et plus largement le Pacte vert pour l'Europe exerçaient un attrait dans certains pays. Pouvez-vous détailler cet élément ?
Il convient d'établir un distinguo. Le Pacte vert pour l'Europe n'est pas particulièrement apprécié par mes collègues argentins, brésiliens, voire américains ou australiens. Il en va différemment d'un grand nombre de pays en développement, notamment africains. Aujourd'hui prédomine l'idée d'assurer une indépendance et une souveraineté alimentaires, dans des conditions telles qu'elles soient durables. Rares sont les pays qui veulent choisir un modèle susceptible d'aggraver les effets du changement climatique – qu'ils subissent déjà de façon assez violente – au nom d'un modèle exportateur. Même un pays qui ambitionne de devenir une grande puissance agricole, comme l'Éthiopie, n'a pas vraiment envie de devenir la nouvelle Argentine.
Pouvez-vous nous rappeler la définition de la sécurité alimentaire et de la souveraineté alimentaire ?
La sécurité alimentaire se définit comme un niveau de suffisance calorique des populations et d'adéquation en termes nutritionnels de ce qui est consommé. Dans le détail, il existe des méthodologies assez sophistiquées, qui classifient par niveau – de un à cinq – les conditions de sécurité alimentaire. En résumé, il s'agit d'une nourriture à la fois suffisante et suffisamment diversifiée.
La souveraineté alimentaire n'a pas de définition agréée au point de vue multilatéral. Cette notion avait été présentée pour la première fois à Rome en 1996, de la manière suivante : « le droit pour les populations, les communautés et les États à maintenir et développer leur propre capacité de produire leur alimentation de base, en respectant la diversité des cultures et des produits ». Cependant, ce concept n'est pas très clair aujourd'hui. En particulier, nous ne savons pas en quoi il se distingue des concepts d'autosuffisance, d'indépendance ou d'autonomie. En résumé, il n'existe pas de définition onusienne.
De quelle manière cette notion est-elle appréhendée ? Est-il communément accepté que la meilleure sécurité alimentaire consiste d'abord à pouvoir produire autant que possible, souverainement, son alimentation ?
De plus en plus, particulièrement depuis le covid et la guerre en Ukraine, se fait jour la nécessité d'être le moins dépendant possible d'importations de certaines productions jugées critiques et essentielles. Selon les produits, il peut être jugé acceptable de dépendre du commerce international, mais quand tel est le cas des mécanismes de réserve stratégique tendent de plus en plus à être évoqués. La Banque mondiale finance à nouveau de tels dispositifs pour les pays qui le souhaitent afin d'amortir les fluctuations des cours internationaux, selon des mécanismes similaires à ceux qui existent sur les produits pétroliers.
Dans un rapport de 2012, la FAO envisageait que la production alimentaire augmenterait de 60 % d'ici à 2050, pour répondre à l'augmentation de la population mondiale. Cet objectif est-il toujours d'actualité ?
Je ne saurais vous répondre précisément sur l'objectif de 60 % édicté en 2012. Il existe un vrai débat, que je ne me crois pas autorisé à trancher, entre ceux qui estiment que la production est globalement suffisante, mais mal répartie – notamment en raison des pertes et des gaspillages post-récoltes – et ceux qui considèrent qu'elle n'est pas suffisante en tendance au regard des projections démographiques.
La production française de céréales est excédentaire et principalement exportée dans le nord de l'Afrique. Pouvez-vous chiffrer ces exportations ? Comment analysez-vous les livraisons gratuites de céréales de la part de la Russie en direction de l'Afrique du Nord ?
Les excédents sont extrêmement variables d'une année sur l'autre et les exportations s'ajustent en fonction de l'offre et de la demande au niveau international. S'agissant de la Russie, j'ai oublié de mentionner son poids dans la production d'engrais.
Concernant les livraisons gratuites, la Russie n'intervient pas dans des conditions de transparence absolue. Nous pouvons cependant constater une corrélation presque parfaite entre les bénéficiaires de ses largesses et les votes à l'Assemblée générale de l'ONU, en tout cas de la part des pays pour lesquels la Russie a annoncé des livraisons entièrement gratuites de céréales, sans que nous sachions si ces annonces ont été effectivement suivies d'effets.
Il est donc possible de dire que la Russie exerce de ce point de vue une utilisation géopolitique de l'instrument alimentaire, à travers des dons effectués en faveur de pays « amis » et non « inamicaux », selon une division qu'elle a de plus en plus tendance à mettre en œuvre. Il en va de même pour les financements volontaires qu'elle peut accorder à une organisation comme le PAM. Parmi les pays concernés, il est possible de citer le Venezuela, Cuba, l'Érythrée et, plus récemment, certains pays d'Afrique de l'Ouest.
La Russie utilise donc l'alimentation comme une arme politique pour s'assurer de votes favorables dans les enceintes onusiennes.
Je le confirme.
A contrario, il existe des instruments internationaux qui ne peuvent pas, par construction, se prêter à un tel ciblage ou fléchage. Tel est le cas du FIDA, par exemple. Les financements de la Russie en direction du FIDA se sont d'ailleurs effondrés, car elle privilégie tous les outils qui lui permettent de récompenser ses soutiens ou les pays qui votent en sa faveur à l'Assemblée générale des Nations unies, par exemple.
Je souhaite revenir sur les exportations de céréales françaises. Selon les chiffres de FranceAgriMer, la France dégage une surproduction structurelle en la matière. En moyenne triennale, la production française de blé tendre est 195 % supérieure à la consommation française, de 148 % pour le blé dur, de 300 % pour l'orge et de 142 % pour le maïs. Des volumes sont donc exportés de façon relativement stable et ils peuvent être utilisés comme un outil géopolitique pour essayer de contrer l'influence russe.
Je ne suis pas un spécialiste des exportations agricoles françaises à proprement parler, mais il apparaît que nos exportations obéissent à une logique assez strictement commerciale. Il ne me semble pas que l'on veuille les instrumentaliser spécifiquement. Les acteurs de ce commerce sont des acteurs privés dont je ne sache pas qu'ils répondent à des injonctions particulières en la matière. Dans le cas d'un pays comme la France, il ne s'agit pas d'un instrument géopolitique de soft ou de hard power.
Vous indiquiez que le modèle « De la ferme à la fourchette » est envié par les pays en développement et particulièrement par les pays africains, qui manifestent le souci d'un développement respectueux de l'environnement. Mais ont-ils pleinement connaissance de ce dispositif ? Savent-ils que les études d'impact envisagent des baisses de production liées à sa mise en place ?
Je n'ai pas voulu dire que chaque mesure technique de traduction du dispositif emportait l'acquiescement. Mes propos concernaient surtout les objectifs généraux de cette stratégie, c'est-à-dire les objets de transition agroécologique, d'agroforesterie, et de préservation des sols ; lesquels constituent de véritables sujets pour de nombreux pays d'Afrique, où par ailleurs les conditions de développement général et de production agricole en particulier sont difficilement comparables à celles que nous connaissons en Europe.
Ma dernière question concerne la fluctuation des prix mondiaux des denrées alimentaires. Avez-vous une idée de son impact sur les pénuries éventuelles, et sur la sécurité alimentaire en règle générale ?
Il s'agit en réalité d'une collection de difficultés, qui dépend globalement du taux de dépendance du ou des pays concernés et de la denrée sur laquelle elle porte, en fonction des habitudes de consommation. En revanche, certaines mesures de restriction à l'exportation entraînent des impacts immédiats, comme cela a été le cas lorsque l'Inde l'a décidé pour le riz. Cela s'est traduit de manière directe sur les cours et donc sur la sécurité alimentaire des pays pour lesquels le riz constitue une composante essentielle de l'alimentation.
Il y a par ailleurs un enjeu – intégré dans les initiatives françaises – concernant la transparence des marchés et des réserves stratégiques effectuées par certains pays. Ces derniers sont réticents à faire preuve de transparence sur le montant de leurs réserves pour certains aliments ou productions agricoles, entraînant un effet distorsif sur les cours mondiaux.
Je souhaite évoquer ce que je considère être le défi alimentaire mondial. Selon les démographes, la population mondiale s'accroîtra de deux milliards supplémentaires d'ici à 2050. Le nombre de bouches à nourrir sera donc en augmentation, mais il faut également mentionner une évolution qualitative. Nous savons en effet que les classes moyennes des pays émergents tendent à consommer une alimentation comparable à la nôtre.
Cette double augmentation quantitative et qualitative est donc considérable et conditionne à mon avis très largement la transition écologique et de santé. Je pense ainsi qu'il faut d'abord nourrir les gens avant d'apporter des réponses aux défis climatiques et écologiques. En revanche, je n'ai pas le sentiment que cet aspect soit au premier plan des débats dans les enceintes onusiennes. Existe-t-il des études prospectives sérieuses en la matière ? Des mesures sont-elles établies et des instruments imaginés pour faire face à ce défi alimentaire mondial ?
La souveraineté alimentaire ou la sécurité alimentaire, selon les acceptions que l'on peut lui donner, dépend malgré tout de notre capacité collective, à l'échelle de la planète, à fournir des réponses à ce défi. Or tous les pays ne sont pas égaux en termes de production et les échanges vont continuer à être nécessaires.
Ce sujet fait évidemment l'objet de débats permanents dans une organisation comme la FAO. Des modélisations et des efforts d'anticipation sont conduits.
Votre question comporte plusieurs paramètres : la production, la démographie et les habitudes de consommation, qui peuvent évoluer en fonction du développement des pays. La démographie constitue la partie dont les variables sont les plus difficiles à ajuster, à l'inverse de la production, dans une certaine mesure. La modification des régimes de consommation représente quant à elle un des leviers sur lesquels il est espéré de pouvoir jouer afin de relever le défi que vous évoquez.
Il existe une littérature extrêmement abondante, que je peux communiquer à la commission si elle le souhaite, sur l'état des perspectives à court terme et à long terme, c'est-à-dire 2050 et au-delà. Naturellement, les projections se fragilisent à mesure que l'horizon est étendu, mais l'un des objets de la FAO consiste bien à produire de la connaissance sur ces sujets et à la livrer aux États membres, pour qu'ils adoptent les politiques publiques qu'ils estiment nécessaires afin d'y faire face.
Cette connaissance se traduit-elle par des outils, des négociations internationales ? Je n'ai pas l'impression que le travail de la FAO transpire dans les débats publics nationaux, particulièrement en France. Concrètement, que fait-on de cette analyse ?
Malheureusement, il ne s'agit pas du seul sujet où les débats onusiens n'ont pas toujours une résonance automatique et immédiate dans l'opinion publique. Cependant, les débats sur le volume d'alimentation carnée ou l'équilibre à établir entre les productions végétales et ce qui peut être tiré des ressources de la mer sont loin d'être inexistants, en France ou ailleurs. En tant que citoyen, j'ai le sentiment que ces sujets sont au contraire plus présents qu'ils ne l'étaient auparavant dans l'opinion publique.
Les prévisions démographiques montrent en effet la nécessité de nourrir, demain, une population mondiale en croissance. Simultanément, la production fera l'objet de nombreuses tensions, notamment en raison du défi climatique.
Parmi les orientations que vous préconisez aujourd'hui, le changement de mode d'alimentation joue-t-il un rôle particulier ? Il a été indiqué que les pays émergents tendaient à adopter un mode de consommation qui ressemble au nôtre aujourd'hui. Est-ce finalement le bon modèle ? Conduisez-vous des réflexions pour mettre en avant un modèle différent ? Au niveau international, menez-vous un débat sur ces sujets, notamment la place des protéines carnées ?
La France n'est pas prescriptrice en matière d'alimentation carnée. Cependant, je souhaite prendre un autre exemple, pour me décentrer un peu de la problématique des habitudes de consommation. Sans parler de l'alimentation carnée, de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest constatent aujourd'hui avec inquiétude une modification, notamment dans leur classe moyenne, des habitudes de consommation en matière de céréales. Les céréales traditionnellement cultivées dans la région et assez adaptées aux conditions environnementales et climatiques, comme le sorgho, sont plutôt délaissées en faveur d'autres céréales comme le blé et toutes les productions à base de blé. Cette modification tend à rendre ces pays plus dépendants aux exportations et donc à affaiblir leur propre autonomie, sécurité ou souveraineté alimentaire. Chaque État doit s'efforcer pour lui-même d'orienter les habitudes de consommation selon ses capacités de production, pour maximiser son indépendance.
La commission procède à l'audition, dans le cadre d'une table ronde sur le thème « agriculture et libre-échange », de Mme Muriel Lacoue-Labarthe, directrice générale adjointe de la direction générale du Trésor, Mme Sabine Lemoyne de Forges, sous-directrice de la politique commerciale et de l'investissement, et Mme Anne-Célia Disdier, professeure à l'École d'économie de Paris, directrice de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE).
Nous ouvrons maintenant une table ronde dédiée à l'agriculture et au libre-échange. Pour éclairer nos discussions, nous accueillons Mme Muriel Lacoue-Labarthe, directrice générale adjointe de la direction générale du Trésor, accompagnée de Mme Sabine Lemoyne de Forges, sous-directrice de la politique commerciale et de l'investissement, et Mme Anne-Célia Disdier, professeure à l'École d'économie de Paris, directrice de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE).
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mmes Muriel Lacoue-Labarthe ; Sabine Lemoyne de Forges et Anne-Célia Disdier prêtent serment.)
Je vous remercie de votre invitation à discuter de ces enjeux de politique commerciale, qui suscitent un intérêt important, particulièrement ces derniers mois. À ce titre, il me paraît particulièrement utile de vous exposer un point de vue technicien sur les relations commerciales et les accords commerciaux, leur organisation et leurs négociations. Ces accords se déroulent dans des cadres assez réglementés. Ils interviennent soit dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), où s'appliquent des standards internationaux et des grilles de droits de douane puis nos règles internes de consommation, soit dans le cadre des accords bilatéraux, qui ajoutent au cadre de l'OMC des tarifs douaniers moins élevés, des facilitations en matière commerciale, éventuellement des contingents en matière de produits sensibles. Le bénéfice de ces droits de douane réduits et de cette facilitation du commerce est réservée aux produits originaires du pays tiers avec lequel se réalise cet accord commercial.
Vous savez aussi, en termes de cadre général, que la politique commerciale est une compétence de l'Union européenne depuis le traité de Rome, époque où nous nous sommes constitués en union douanière, ce qui signifie que nous avons un tarif extérieur commun. De fait, nous sommes en meilleure position de négociation quand nous arrivons unis, en Européens.
En premier lieu, l'agriculture dispose d'un traitement spécial dans le cadre que je viens de présenter, en raison des besoins de sécurité alimentaire et sanitaire. Le secteur est également très spécifique dans la mesure où un certain nombre de pays ne peuvent exporter que des produits agricoles. De fait, rares sont les zones du monde qui sont très industrialisées.
Au sein de l'OMC, le secteur agricole fait l'objet d'un accord spécifique qui encadre les politiques publiques en matière de commerce, mais aussi les types de soutien interne, c'est-à-dire les types de subventionnement en fonction de leur impact sur le commerce international. En réalité, la définition des soutiens au sein de l'OMC ressemble très fortement à la structure de la politique agricole commune (PAC) qui a été révisée au début des années 1990. Ainsi, toutes les subventions susceptibles d'avoir un impact sur le commerce international parce qu'elles encourageraient la surproduction ou parce qu'elles subventionneraient les exportations, sont à réduire ou à mettre sous plafond.
Au sein de l'Union européenne, le secteur agricole est très souvent traité de manière différenciée. Les produits agricoles importés en Europe sont soumis à des droits de douane en moyenne trois fois plus importants que ceux appliqués aux biens non agricoles, illustrant la volonté européenne de ne pas exposer de manière excessive les producteurs agricoles de notre continent à la concurrence internationale.
Cela vaut également pour la manière dont les accords de commerce sont négociés : lorsqu'un produit revêt une sensibilité particulière, il est soit exclu de la négociation, soit soumis à un traitement spécifique. Son importation est soumise à un contingent maximum annuel, avec des volumes limités. Les périodes d'ouverture et de mise en place de ces contingents et de ces droits de douane réduits peuvent être très progressives. En outre, ces contingents peuvent être segmentés. À titre d'exemple, on distingue un contingent de viande réfrigérée d'un contingent de viande congelée. Des clauses de sauvegarde spécifiques peuvent également être établies.
La France est extrêmement vigilante lors de ces négociations et nous avons eu gain de cause jusqu'à présent dans l'immense majorité des cas. Par exemple, en matière de viande bovine, les volumes cumulés des contingents dans les accords commerciaux soutenus par la France représentent moins de 1,3 % de la production européenne. Enfin, il existe un large éventail d'instruments de défense commerciale. Les clauses de sauvegarde permettent de remettre des droits de douane en cas d'un afflux subit menaçant de déstabiliser gravement le fonctionnement du marché européen.
En deuxième lieu, quel est le niveau de normes applicable aux produits agricoles qui entrent dans l'Union ? Le cadre général à l'importation s'applique aux produits qui entrent dans l'Union soit dans le cadre du commerce de l'OMC, soit dans le cadre des accords bilatéraux. Les produits animaux et végétaux importés doivent être sûrs, ne présenter aucun danger pour la santé des consommateurs, et tout produit qui est importé en provenance de pays tiers doit être conforme à la législation européenne. Au-delà de cette réglementation, chaque pays doit avoir été autorisé, filière par filière, à exporter vers l'Union européenne, à la suite d'un audit initial de la Commission européenne dont le résultat est soumis aux États membres.
Le modèle du certificat sanitaire applicable aux produits animaux ou végétaux est établi au niveau européen. Des audits réguliers sont conduits dans les pays tiers qui sont habilités à l'export, pour vérifier la qualité des contrôles effectués par les autorités locales et s'assurer que les obligations sont bien respectées. Enfin, à l'entrée dans l'UE, les animaux, les végétaux et les produits sont soumis à un contrôle systématique des autorités nationales au niveau des points de contrôle frontaliers. Ces points de contrôle doivent disposer d'installations spécifiques agréées par la Commission et de personnels compétents pour effectuer les analyses éventuelles de ces produits, en plus du contrôle documentaire.
Nous travaillons également à compléter le cadre réglementaire, pour pouvoir également contrôler certaines méthodes de production dans les pays tiers. Lorsqu'elles ont un impact sur la santé publique ou sur l'environnement dans l'Union européenne, nous sommes habilités à réglementer les importations en direction de l'Union. Par exemple, l'interdiction des produits animaux ayant bénéficié d'hormones de croissance est établie dans l'Union depuis assez longtemps. La même procédure d'interdiction des antibiotiques dans l'alimentation animale en tant qu'accélérateurs de croissance, déjà appliquée pour la production en Europe, sera étendue aux produits importés. L'utilisation d'antibiotiques contribue en effet à favoriser l'antibiorésistance, laquelle constitue un problème mondial de santé publique.
Un dernier exemple concerne le règlement sur la déforestation : les produits importés dans l'Union ne doivent pas contribuer à accélérer la déforestation dans les pays de production, aux termes d'un règlement déjà adopté et qui entrera en vigueur au titre des fameuses « mesures miroir » qui s'appliquent à toutes les importations. Un travail de persuasion est également cours aussi auprès de nos homologues européens.
En dernier lieu, de nombreuses filières agricoles françaises voient leur bonne santé économique dépendre de leur capacité à exporter, à accéder à des marchés tiers. Aujourd'hui l'excédent commercial agricole et agroalimentaire varie chaque année entre 6 et 10 milliards d'euros et se réalise essentiellement avec les pays tiers. Les secteurs qui sont particulièrement portés par la croissance de leurs exportations sont les vins et spiritueux, les produits laitiers, les fromages et poudres de lait, les viandes porcines. La volaille de chair trouve aussi son équilibre, puisque nous importons du blanc mais exportons des ailes et des cuisses.
De façon générale, l'exportation permet d'améliorer la valeur ajoutée perçue par les agriculteurs et par l'industrie agroalimentaire. Le cabinet Asterès a indiqué dans une étude qu'une hausse ou une baisse de 10 % d'activité à l'export implique ou une hausse ou une baisse de 11,5 % du bénéfice, de 6,6 % du ratio capitaux propres sur dette et de 4,9 % de la masse salariale. En résumé, les exportations vers les pays tiers ont un impact sur les emplois en France.
Le sujet de la dépendance aux intrants doit être mentionné : les pays susceptibles de nous fournir en engrais et en alimentation animale veulent intégrer d'autres productions dans les accords. Nous devons donc établir un équilibre général, une forme de synthèse des différents intérêts en présence. La négociation d'un accord bilatéral nous permet de disposer d'un canal privilégié pour réduire les barrières à l'accès aux marchés tiers et mettre en place une relation commerciale privilégiée, qui offre une croissance plus stable et mieux encadrée des exportations. Elle permet, en particulier pour les produits agricoles, de valoriser les indications géographiques et de gagner une place dans les marchés tiers, comme en témoigne la mise en place de l'accord bilatéral entre l'Union européenne et le Japon.
La relation entre l'agriculture et le commerce se fonde à la fois sur une rentabilité plus élevée pour les filières à l'export et sur un équilibre qui s'efforce de bien préserver les filières les plus sensibles d'une exposition trop forte à la concurrence internationale. Cet équilibre nous conduit à soutenir certaines négociations et, éventuellement, à refuser d'autres résultats de négociation.
La France reste un grand producteur agricole et un grand exportateur net de produits agricoles, avec toutefois des différences selon les filières. Les points faibles sont les produits de la mer, les viandes ovines, les protéagineux et les engrais. Mais la France connaît une perte de compétitivité et une détérioration de sa balance commerciale agroalimentaire, notamment sur le marché intra-européen.
En 2022, 64 % des importations de la France provenaient de l'Union européenne et 56 % des exportations de la France allaient vers l'Union. Il n'existe pas de risque réel sur les approvisionnements alimentaires de la France, sauf pour les protéagineux, marqués par une dépendance très forte aux productions non européennes. Le libre-échange est une notion un peu illusoire dans les faits : l'ouverture commerciale, surtout dans le secteur agroalimentaire, est loin d'être totale. Il demeure de nombreuses protections tarifaires et non tarifaires, sauf au sein du marché unique européen.
Du côté de la demande, les préférences et les habitudes alimentaires des consommateurs français évoluent et favorisent les échanges internationaux : demande pour les produits tropicaux, consommation de fruits et légumes hors saison, développement de la restauration rapide favorisant des importations de viande de volaille de basse qualité venant de l'étranger. Ensuite, l'évolution du pouvoir d'achat des ménages favorise aussi la consommation de produits étrangers plus compétitifs que certains produits agricoles français.
L'effet prix doit également être pris en compte : si nous souhaitons réduire nos exportations en taxant par exemple les produits importés et en les remplaçant par des productions domestiques, nous devons nous attendre à une forte hausse des prix des produits alimentaires, ce qui pose la question de son acceptabilité par les consommateurs, en particulier les plus précaires. Le dernier élément en matière de demande concerne « la schizophrénie » du citoyen consommateur, à la recherche de produits sains, respectueux de l'environnement et des droits sociaux, mais aussi pas trop onéreux ; ou du citoyen consommateur qui veut une agriculture française forte, mais qui refuse que des élevages ou des abattoirs soient implantés à proximité de chez lui. L'image d'Épinal du producteur-paysan en symbiose avec la nature me semble assez éloignée de la concurrence internationale actuelle.
S'agissant de l'offre, dans le cas d'une économie ouverte à la concurrence internationale, quatre éléments me paraissent essentiels. Les raisons des difficultés actuelles de l'agriculture française concernent son déficit de compétitivité, loin devant sa spécialisation produit et sa spécialisation géographique. De forts écarts demeurent entre les filières. Dans certaines filières comme les vins et spiritueux, la France reste compétitive, quand elle est en grande difficulté sur les fruits et légumes. En outre, cette perte de compétitivité s'inscrit dans un environnement mondial très dynamique, où l'agriculture française apparaît à contre-courant. D'après un rapport publié par le Sénat en 2022 sur la compétitivité de la Ferme France, cette perte de compétitivité explique plus de deux tiers des pertes de parts de marché des dernières années.
Aujourd'hui, l'Accord économique et commercial global (CETA) et celui avec le Mercosur sont remis en cause, mais comme je l'ai indiqué précédemment, plus de la moitié de nos échanges agroalimentaires s'effectuent avec les pays de l'UE. Or nous constatons une perte significative de la compétitivité de la France sur le marché européen au cours des dernières années.
Les facteurs qui pèsent sur la compétitivité-prix de l'agriculture française sont multiples. Le coût du travail pèse en particulier sur les secteurs où le recours à la main-d'œuvre est important, comme le maraîchage ; mais d'autres facteurs s'y rajoutent : les exigences des politiques environnementales, le coût des intrants, la taille relativement moyenne de nos exploitations agricoles, les frais de mécanisation.
La productivité de l'agriculture française a continué à progresser au cours des dernières années, mais lentement et moins vite que chez nos principaux concurrents, ne permettant pas de compenser les charges élevées que subit l'agriculture française. Cette faible croissance de la productivité résulte en grande partie de la faiblesse de l'investissement dans l'industrie agroalimentaire. La disparition de certaines industries et usines de transformation en France nous a conduits à exporter des produits bruts comme le blé dur ou le lait, pour ensuite réimporter des produits transformés comme les pâtes et le beurre. L'aval agro-industriel pèse sur l'ensemble de la chaîne de valeur agricole.
Enfin, la forte segmentation du marché oblige les producteurs français à se positionner au sein de la concurrence internationale. Par exemple, le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) a publié la semaine dernière une note sur la filière poulet, qui souligne le positionnement peu porteur de la France sur les poulets entiers congelés, dont la demande mondiale a relativement peu progressé.
Plus généralement, la France peut être tentée de jouer la carte de la qualité de ses productions agricoles, mais en courant un risque sur les volumes exportés. En d'autres termes, nous exportons des biens de meilleure qualité, mais en moindre quantité. Surtout, nos concurrents européens, par exemple l'Italie ou l'Allemagne, ont réussi à mettre en avant cet atout qualité tout en étant également compétitifs en termes de prix.
En dernier lieu, je souhaite aborder les politiques publiques en matière agricole et commerciale. D'abord, nous assistons à une renationalisation de différents volets de la PAC. Les normes européennes, très critiquées ces derniers temps, voient leur mise en œuvre effective varier d'un pays à l'autre, en particulier dans certains pays de l'Est, de même que les contrôles effectués a posteriori. Aussi conviendrait-il sans doute de renforcer l'homogénéité des pratiques dans le domaine agricole au sein de l'Union européenne, notamment en matière de normes.
Ensuite, je souhaite évoquer les échanges hors Union européenne, avec le reste du monde, notamment dans le cadre des accords de « commerce préférentiel », terme que je préfère à celui d'accords de libre-échange. Ces accords portent sur l'ensemble des échanges de produits agricoles, mais aussi de ressources naturelles, de biens manufacturés, de services. Dans le cadre de ces accords, les pays acceptent des concessions réciproques. Si l'Union européenne veut accroître ses exportations de produits manufacturés vers certains marchés, notamment dans le cadre des accords avec les pays émergents, les États membres doivent accepter d'ouvrir, en partie au moins, leurs marchés aux produits de ces pays. Il est donc totalement illusoire de penser que nous gagnerons sur 100 % des secteurs ou des filières. Il est également illusoire de penser que nous pourrions extraire l'ensemble de l'agriculture de ces négociations commerciales.
Un ensemble d'instruments sont à disposition des pouvoirs publics, comme les droits de douane, les quotas, les mesures non tarifaires – normes sanitaires, phytosanitaires, réglementations et régulations techniques. Il existe également des listes de produits sensibles qui peuvent être mobilisées pour protéger un marché domestique d'une trop forte concurrence internationale et de produits ne respectant pas les règles sanitaires ou environnementales que nous jugeons nécessaires.
Des évolutions significatives peuvent aussi être envisagées sur la traçabilité et l'étiquetage des produits. Les discussions sur les clauses miroirs et les règles d'origine sont complexes, notamment au regard de leur compatibilité avec les règles de l'OMC, des inspections à effectuer et des risques éventuels de rétorsion.
Enfin, les politiques publiques peuvent être mises en œuvre à différents niveaux : international, européen, mais aussi national. Au niveau français, un soutien actif doit être établi pour redynamiser le secteur agroalimentaire national, accompagner son internationalisation et ainsi renforcer ses succès à l'exportation. Cela peut intervenir par différentes mesures d'accompagnement des acteurs du secteur, comme la prospection active de nouveaux marchés ou la mise en place d'une assurance-crédit export. Plusieurs pays européens ont mis en œuvre ce type de politique au cours des dernières années, avec un certain succès.
Quels sont, selon les volumes exportés, les principaux accords commerciaux de la France en matière agricole ? Pourriez-vous nous fournir un tableau avec les données en volume des exportations françaises et européennes ?
Nous vous communiquerons dans le détail ces informations par écrit. Il sera aussi important de mettre ces chiffres en regard d'une étude fournie par la Commission européenne pour la première fois en 2021, et qui a été actualisée assez récemment. Celle-ci offre une focale spécifique sur les filières sensibles, celles qui cumulent des droits de douane, mais aussi des contingents, des quotas, des limitations de volume.
Est-il possible de dresser une typologie des accords dont profitent le plus nos exportations et ceux pour lesquels nous sommes déficitaires ?
Ma réponse sera complétée par écrit. La France enregistre un excédent en matière agricole vis-à-vis du reste du monde. Historiquement, les accords conclus avec des pays développés ont connu les résultats plus probants, y compris pour le secteur agricole. Dans les accords commerciaux, nous faisons reconnaître les indications géographiques spécifiques de l'Union européenne dont le nom d'usage est bien établi dans les pays d'exportation, pour les réserver aux productions européennes. Cela vaut également en matière de vin, notamment avec le Japon.
Les résultats sont potentiellement plus déséquilibrés face à des pays ayant assez peu d'exportations industrielles, mais simultanément gros producteurs agricoles, secteur sur lequel ils focalisent leurs demandes. En réalité, il n'existe pas tellement d'exemples de tels accords, dans la mesure où en réalité, ils n'aboutissent pas. Par exemple, les demandes de l'Australie, étaient tellement fortes qu'elles n'ont pas trouvé un écho favorable lors de la négociation, qui s'est finalement arrêtée il y a quelques mois. Ceci est également le cas pour le moment dans les négociations pour un éventuel accord avec le Mercosur.
Il est possible de citer un accord avec la Nouvelle-Zélande concernant la filière ovine, qui est assez faible en France.
La Nouvelle-Zélande est effectivement un producteur important de viande ovine. Mais elle dispose déjà d'un contingent au titre de l'OMC, avec des droits de douane plus élevés, contingent qui n'est pas pleinement utilisé. Dans la négociation tarifaire avec la Nouvelle-Zélande, nous avons été particulièrement attentifs, y compris en intégrant des conditionnalités tarifaires. Les contingents et les tarifs réduits sont réservés aux viandes qui ont été élevées en pâturage et des limitations existent en matière de surveillance. Aujourd'hui, la Nouvelle-Zélande exporte principalement vers la Chine et il était important pour elle de sécuriser un contingent d'accès potentiel à l'Union européenne, pour le cas où, un jour, l'accès au marché chinois serait fermé.
Nous aimerions obtenir des données écrites sur la filière ovine, dans la mesure où le taux français d'auto-approvisionnaient est de 53 %. Pourriez-vous également rappeler la position de la France dans la discussion avec le Mercosur et évoquer le sujet agricole dans ces négociations ?
La négociation d'un accord bilatéral entre l'Union européenne et le Mercosur a commencé il y a vingt-quatre ans maintenant. Les pays du Mercosur, très gros exportateurs agricoles, sont très offensifs. La négociation a été très longue, notamment parce que les exportations agricoles des pays du Mercosur appartiennent à des secteurs identifiés comme des filières sensibles par l'Union européenne. L'équilibre à trouver est donc particulièrement complexe, sans compter les problématiques concernant les systèmes de contrôle de la fraude ou certaines conditions de production.
Par ailleurs, les droits de douane à l'importation imposés par le Mercosur à une série de produits exportés par l'Union européenne sont traditionnellement très élevés, en sus des fortes barrières réglementaires. Nos négociations commerciales sont effectuées au sens large et ne concernent pas que l'agriculture. Dans les études d'impact qui ont été réalisées pour accompagner ces négociations, il existe aussi des intérêts offensifs assez forts, par exemple pour les exportations de poudre de lait, pour lesquelles l'ouverture du marché des pays du Mercosur offrirait des débouchés prometteurs.
Un accord technique avait été trouvé en 2019, lors de la présidence du G21 par le Japon. Un équilibre avait été trouvé en matière commerciale, mais il a affecté par le comportement du gouvernement brésilien de l'époque. En effet, ce gouvernement mettait en place un certain nombre de mesures risquant d'accélérer très fortement la déforestation, en particulier dans la zone amazonienne : un cadre réglementaire instable mettant en danger les forêts, des coupures de crédits aux agences de protection de l'environnement. En conséquence, la France a manifesté en septembre 2019 son opposition à la poursuite de la mise en place de l'accord technique et a formulé une demande de conditions supplémentaires en matière de protection contre la déforestation. À la même période, l'Union européenne également a adopté sa propre législation contre la déforestation.
La nouvelle approche de l'UE en matière de développement durable dans le commerce consiste à reconnaître que le respect de l'accord de Paris représente un élément essentiel de nos accords avec les pays tiers : si un pays tiers partenaire dénonce son appartenance à l'accord de Paris, notre relation bilatérale s'efface. Les discussions sont en cours et n'ont pas encore abouti. En juin 2022, une communication de la Commission a fait l'objet d'une résolution adoptée par le Parlement européen quelques mois plus tard, et de conclusions du Conseil. Les autorités françaises ont rappelé par la voix du Président de la République, lors de la dernière COP au mois de décembre 2023, qu'elles restaient opposées à l'accord en l'état. La relation et la discussion politico-diplomatique se poursuivent avec ces pays. Les autorités françaises continuent de marquer leur opposition à cet accord en l'état.
Je souhaiterais confronter les chiffres dont je dispose avec les vôtres. En 2016, les exportations agroalimentaires de la France vers le Canada s'élevaient à 600 millions d'euros, contre des importations de 304 millions d'euros. En 2022, ces deux chiffres étaient respectivement de 932 millions d'euros et de 422 millions d'euros. L'excédent agroalimentaire avec le Canada s'est donc accru. Si je m'en tiens aux chiffres, le secteur agroalimentaire français est bénéficiaire des relations commerciales avec le Canada et donc du CETA.
Nous disposons des mêmes chiffres, qui sont des données douanières très factuelles. Dans ce cas, l'accord a été bénéficiaire pour la filière agricole. Ensuite, en tant que représentantes de l'administration, il ne nous appartient pas de commenter les débats en cours. Je précise également que nos données chiffrées sont à la disposition de la commission.
L'industrie agroalimentaire profite largement du CETA. Selon les chiffres dont je dispose, le montant de nos exportations vers le Canada s'est accru de 29 % entre 2017 et 2023. Les fromages et vins en ont particulièrement bénéficié. Par ailleurs, l'excédent commercial a été multiplié par trois durant la même période. Comme Mme Lacoue-Labarthe l'a indiqué, l'accord prévoit également un point important, offensif, en matière d'indications géographiques.
Un certain nombre de barrières sont liées en fait aux modalités de distribution. En matière de distribution de vin, le fait d'être entré dans l'accord bilatéral permet que l'administration de cet accès au marché se déroule au niveau fédéral. Il en va de même pour les contingents de produits à base de lait.
Je rappelle que le CETA est un petit accord pour l'Union européenne, dans la mesure où le Canada seul représente un marché limité : il correspond à moins de 1 % des exportations globales de l'Union. La plupart des droits de douane ont été supprimés sur 90 % des produits ; seuls quelques produits sensibles ont été mis de côté dans les négociations.
Ces accords de libre-échange comportent-ils parallèlement une diminution des contrôles des normes sanitaires sur les importations ?
La réponse courte est négative : les contrôles ne sont pas diminués. Pour pouvoir exporter un produit d'origine animale ou végétale dans l'Union, un pays tiers doit avoir été autorisé filière par filière, à la suite d'un audit documentaire et sur place, réalisé par la Commission européenne et dont le résultat est soumis aux États membres. Ensuite, un deuxième volet porte sur l'autorisation par l'établissement, puis le produit végétal ou animal doit être accompagné de son certificat sanitaire, dont le modèle est établi au niveau européen. Lors du passage de la frontière, les points de contrôle frontaliers disposent d'installations et réalisent des tests sur le contenu effectif.
Les contrôles comportent donc le contrôle documentaire systématique sur le certificat sanitaire délivré par l'autorité sanitaire du pays tiers exportateur, un contrôle d'identité systématique sur les animaux vivants et les produits d'origine animale et un contrôle physique, dont la fréquence est déterminée par voie réglementaire en fonction des produits. Des audits réguliers sont menés pour vérifier que la réglementation est appliquée par les autorités du pays tiers et qu'elle est en conformité avec le cadre décidé pour délivrer les certifications. Si le contrôle émet un avis non conforme, le produit ne rentre pas et si cette non-conformité est récurrente, un plan de contrôle renforcé est établi sur l'établissement proprement dit.
Il est également possible de suspendre l'agrément à l'exportation d'un établissement étranger en cas de défaut du respect des normes. Cela a été le cas pour les viandes avariées frauduleuses en provenance du Brésil en 2010. Par ailleurs, les contrôles du marché intérieur continuent évidemment de s'appliquer : des contrôles aléatoires sont effectués par les autorités sanitaires. En résumé, le niveau de contrôle reste de toute façon extrêmement rigoureux.
En 1999, un accord vétérinaire est intervenu avec le Canada, prévoyant une baisse de 20 % à 10 % des contrôles, bien avant les négociations du CETA.
Vous avez également évoqué les mesures miroirs qui, finalement, ne concernent que quelques aspects limités sur les hormones de croissance et les antibiotiques. Pouvez-vous évoquer le cas des farines animales, que le Canada emploie à la différence de l'Union européenne ?
S'agissant des limites maximales résiduelles, j'ai participé l'année dernière aux travaux de la commission d'enquête sur les produits phytosanitaires. Nous avions été surpris de constater que si des molécules sont interdites sur le territoire l'Union européenne, les limites maximales sur les importations voient leurs seuils de tolérance augmenter. Comment comprendre de tels choix ?
L'Union européenne n'a pas le droit d'imposer ses normes de production à un pays tiers chez lui, mais elle est compétente pour le faire sur les produits qui passent ses frontières, comme c'est le cas pour les antibiotiques considérés comme accélérateurs de croissance, ou la déforestation. Nous pouvons également demander aux pays tiers que leurs exportations respectent certaines normes de production afin de répondre à des objectifs de santé publique ou d'environnement. En effet, le droit de l'OMC autorise à placer des restrictions au commerce quand il s'agit de protéger la santé publique ou l'environnement. Le cadre juridique multilatéral nous permet, sur cette base, d'adopter ces réglementations allant au-delà de notre souveraineté légale classique, notre périmètre classique. Pour y parvenir, il nous faut vraiment arriver à établir, pour chacune des matières traitées, un lien avec un problème de santé publique ou d'environnement opposable. Cet aspect relève véritablement de la souveraineté.
Ensuite, un certain nombre de normes de production sont un peu différentes et conduisent à des résultats quelque peu différents. Encore une fois, les normes de consommation sont applicables aux produits, que nous nous efforçons de contrôler dans la mesure du possible. Or il faut savoir que certains produits s'éliminent et qu'il est plus difficile d'en trouver la trace au moment où ils arrivent sur le sol européen. Dans d'autres cas, les produits ne s'éliminent pas complètement, raison pour laquelle nous établissons également des limites maximales résiduelles. Si vous souhaitez plus de détails sur la manière dont ces limites maximales résiduelles sont fixées en termes de microgrammes, je vous renvoie à une discussion avec les autorités sanitaires.
S'agissant des farines animales, une collègue du ministère de l'agriculture nous a indiqué que les importations canadiennes doivent respecter les obligations qui s'appliquent à toutes les importations dans l'Union européenne. Or depuis 2000, pour des raisons sanitaires, l'Union européenne comme le Canada interdisent de nourrir des ruminants avec des farines animales de viande et d'os dites de catégorie un et deux, les farines dites « vache folle », qui sont issues de sous-produits d'animaux provenant des abattoirs, de cadavres d'animaux, celles qui sont impropres à la consommation humaine ou animale.
Par ailleurs, l'usage des protéines animales transformées (PAT) issues de sous-produits d'animaux sains est interdit au Canada et dans l'Union européenne pour l'alimentation des ruminants. Certains usages sont interdits dans l'Union européenne, mais autorisés au Canada lorsqu'ils résultent non pas d'un risque sanitaire, mais d'une préférence collective. Par ailleurs, le Canada n'interdit pas l'alimentation des ruminants avec des protéines dérivées de porc ou de chevaux, considérant que cela ne présente pas de risque de transmission de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). En tout état de cause, l'Union européenne s'assure qu'aucun produit entrant sur le marché intérieur ne fait courir de risques sanitaires aux consommateurs.
Les farines animales dérivées de porc ou de chevaux sont interdites au sein de l'Union européenne, n'est-ce pas ?
Très concrètement, le Canada et l'Europe interdisent les farines animales qui ont été à l'origine du scandale de la vache folle. Ces produits émanaient d'une même espèce, par exemple des vaches nourries avec des farines animales produites à base de vache. Le risque de transmission de maladies et d'auto-contamination était alors augmenté.
Nous comprenons que les mesures miroirs sur les modes de production, les restrictions, sont fondées sur les risques pour la santé humaine, mais ne concernent pas les modes de consommation et les limites maximales de résidus (LMR). Confirmez-vous que les LMR supérieures à zéro autorisées pour les importations concernent les produits qui ne présentent pas de risques pour la santé humaine ?
Votre question va au-delà de ma zone de compétence.
Vous nous avez indiqué que le risque de déforestation accru lors l'élection de M. Jair Bolsonaro a constitué un tournant pour la position française, qui ne se fondait pas sur le risque pourtant objectif de concurrence déloyale de la part de cette grande puissance agricole. Est-ce bien le cas ?
La production agricole dans le Mercosur augmente fortement les risques de déforestation illégale. Ce risque avait d'ailleurs été pointé par la commission constituée par le gouvernement français pour étudier l'impact de l'accord technique de 2019. Son rapport soulignait que cette déforestation créait un avantage concurrentiel et un avantage en termes de coût directement lié à un moins-disant environnemental. Le Mercosur est un producteur important de ces productions considérées comme sensibles et donc particulièrement surveillées par l'Union européenne. Pour le dire autrement, puisque l'Union européenne est en train d'accroître son niveau de normes interne pour améliorer les conditions de lutte contre le changement climatique, il devient de plus en plus essentiel que les partenaires commerciaux de l'Union suivent également ce mouvement.
C'est la raison pour laquelle les accords de Paris sont intégrés dans ces accords, alors que la négociation avec le Mercosur a commencé il y a vingt-quatre ans, à une époque où les enjeux en matière de développement durable, y compris en matière agricole, n'étaient pas aussi identifiés.
Je comprends qu'il existe un enjeu de développement durable et de respect des accords de Paris. Cependant, le Mercosur présente d'autres facteurs de concurrence déloyale, comme les salaires ou le mode d'élevage. Vous nous indiquez que le refus actuel de la France de ratifier cet accord se fonde sur des questions environnementales. Est-il également fondé sur la préservation de notre agriculture ? Avant l'élection de Jair Bolsonaro, la France était plutôt favorable à la conclusion de cet accord.
L'accord technique entre la Commission européenne et les pays du Mercosur a été annoncé en juillet 2019. La procédure de validation des accords débute par un accord technique entre les négociateurs, puis les textes sont étudiés par des juristes linguistes qui s'assurent de leur rédaction dans un droit compréhensible et applicable. Ensuite, le Conseil se prononce. Mais dans le cas du Mercosur, cette étape n'a jamais été atteinte. Le temps que nous prenions connaissance du contenu de cet accord technique, la nouvelle administration brésilienne avait mis en place des mesures conduisant à accélérer la déforestation et donc à créer un déséquilibre fondamental dans l'approche de la durabilité de l'agriculture. Le Président de la République s'est donc prononcé à ce moment précis.
Un certain nombre d'autres États ont également fait valoir des préoccupations. Évidemment, l'équilibre des concessions et la capacité à les respecter est un élément extrêmement important. Concernant le Mercosur, l'attention se focalise sur la filière bovine, mais dans ce domaine les importations seraient soumises à un contingent relativement limité.
Je rappelle simplement qu'en matière agricole, l'accord contient d'autres éléments, dont des intérêts offensifs européens à l'exportation, qui sont d'ailleurs particulièrement intéressants pour la France en termes de contingent sur le fromage, la poudre de lait – dont la poudre de lait infantile –, les vins et spiritueux. Je souligne également que la reconnaissance des indications géographiques présente une vraie valeur pour les producteurs européens.
Par ailleurs, un certain nombre d'éléments industriels de l'accord sont valides. À titre d'exemple, l'Argentine est un producteur important de lithium, matière première qui compte dans la perspective de l'industrie verte et des batteries. Encore une fois, une appréciation globale est effectuée et le jugement complet interviendrait le jour où la Commission soumettrait au Conseil un accord complet. Nous n'en sommes pas là aujourd'hui, d'après les échos que nous avons obtenus. Il apparaît que les pays du Mercosur ne sont pas intéressés par la nouvelle approche que nous avons retenue sur le plan européen. À ce stade, les exigences réaffirmées ne sont pas satisfaites.
Je souhaite également évoquer l'accord de libre-échange avec le Maroc, qui est assez ancien. La barrière tarifaire fixée n'a pas été réactualisée depuis plus de vingt ans. De plus, le Maroc s'est adapté et s'est spécialisé sur des produits plus chers, comme la tomate-cerise. L'accord n'apparaît donc plus adapté. Savez-vous s'il est prévu d'actualiser les barrières, afin qu'elles soient conformes à l'inflation ?
Nous regarderons cet aspect et vous transmettrons des précisions.
Madame Disdier, vous avez évoqué la spécialisation et souligné que le choix d'une montée en gamme a été assumé, notamment dans le discours de Rungis du Président de la République. Mais vous soulignez également que l'Italie est capable de produire du haut de gamme pour moins cher. Quel est donc l'avenir de notre stratégie ? La spécialisation semble peu compatible avec la souveraineté alimentaire, qui consiste à produire un maximum sur le territoire national.
Vous avez également souligné que la balance commerciale avec les pays tiers s'améliore, mais qu'elle se dégrade avec les autres pays de l'Union européenne. Un de vos collègues nous disait hier lors de son audition qu'il convient de réaliser un bilan de toutes les surtranspositions, qui selon lui s'équilibraient au sein du marché commun. Cependant, des distorsions de concurrence existent bien en matière sociale, compte tenu des différences de salaire. Comment régler cette difficulté ?
L'Italie a réussi à développer à la fois des produits haut de gamme et à faire reconnaître une certaine gastronomie italienne, tout en restant compétitive sur d'autres produits. Par exemple, la mozzarella est un produit reconnu à l'étranger, mais l'Italie peut à la fois produire des mozzarellas de très bonne qualité et de qualité moindre. Nous n'avons pas réussi à ce jour à en faire autant en matière de gastronomie française.
Le positionnement sur la qualité est-il compatible avec la souveraineté alimentaire ? Tout dépend de la manière dont la souveraineté alimentaire est définie. Il est aussi possible d'atteindre une forme de souveraineté alimentaire lorsque les exportations permettent de financer les importations.
En matière de normes, il est souvent dit que la France a tendance à faire du zèle et à transposer davantage que d'autres pays. Je pense que la situation est en réalité plus complexe. Si certaines normes ont été transposées par la France sans forcément l'être par d'autres pays, la situation inverse existe également. À titre d'exemple, la France avait été rappelée à l'ordre sur la transposition des normes relatives aux pesticides dans des zones vulnérables.
Vous avez également posé une question sur les LMR (limites maximales de résidus). Les niveaux de LMR sont également fonction des limites techniques des détections scientifiques. Cependant, le dispositif ne se concentre que sur le niveau de LMR pour chaque substance, ignorant « l'effet cocktail » dont la mesure est difficile à établir.
La définition de la souveraineté alimentaire suscite un véritable débat. L'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime précise clairement que « La politique en faveur de l'agriculture et de l'alimentation, dans ses dimensions internationale, européenne, nationale et territoriale, a pour finalités de sauvegarder et, pour les filières les plus à risque, de reconquérir la souveraineté alimentaire de la France et de promouvoir l'indépendance alimentaire de la France à l'international, en préservant son modèle agricole ainsi que la qualité et la sécurité de son alimentation et en préservant les agriculteurs de la concurrence déloyale de produits importés issus de systèmes de production ne respectant pas les normes imposées par la réglementation européenne […]. » La souveraineté alimentaire ne consiste pas seulement à choisir ses dépendances plus ou moins maîtrisées, mais à faire en sorte que les filières françaises soient capables de nourrir les Français.
En matière de LMR, je conçois les problèmes de détection que vous avez évoqués. Cependant, en laissant un seuil de produits phytosanitaires, même faible, nous acceptons malgré tout l'entrée de produits. En revanche, si le seuil était fixé à zéro, il serait possible de bloquer le produit.
À partir du moment où des progrès scientifiques interviennent, il est possible d'obtenir de meilleurs niveaux de détection et dans ce cas de réviser à la baisse le seuil de LMR.
Je maintiens ma position : l'acceptation de seuils de LMR est un problème d'ordre politique. Instaurer des limites maximales de résidus revient à accepter des résidus de produits phytosanitaires – pourtant interdits dans l'Union européenne – dans des importations alimentaires. Ce choix peut sembler difficilement compréhensible.
La thématique du libre-échange en matière agricole est assez explosive, comme en témoignent les récentes manifestations de nos agriculteurs. Par exemple, les importations de miel mettent à mal nos apiculteurs. Vous avez mentionné les contrôles, mais quels services sont-ils chargés d'assurer ces contrôles, et avec quels moyens ? S'agit-il du service des douanes ?
Je souhaite également vous faire réagir sur une vieille revendication qui est revenue sur le devant de la scène à l'occasion du mouvement récent. Plusieurs syndicats et mouvements politiques ont revendiqué l'existence d'une « exception agriculturelle », de la même manière que l'exception culturelle que nous connaissons en France permet justement de préserver notre cinéma. Qu'en pensez-vous ? Est-elle réalisable ? Est-elle une chimère dans le contexte actuel des traités de libre-échange et du marché ouvert de l'Union européenne ?
Ensuite, Mme Disdier a évoqué la modification des comportements des consommateurs en faveur de fruits et légumes qui ne sont pas de saison ou de la restauration rapide. Pour ma part, je pensais naïvement que la restauration rapide se fournissait sur le marché local, comme elle l'évoque dans des campagnes de communication.
Vous avez aussi mentionné la consommation des ménages, qui veulent toujours consommer des produits sains, de bonne qualité, mais à des prix peu élevés. Quel est le poids selon vous, de la grande distribution et de l'agro-industrie dans la formation du prix ? Enfin, quel contrôle est effectué sur l'information relative aux produits. Par exemple, la grande distribution vend des haricots verts supposés être d'origine française, mais qui sont cultivés en réalité au Kenya.
Les contrôles aux frontières sont effectués par un service de l'Union européenne, le Rapid Alert System for Food and Feed, ou RASFF, un système d'alerte qui signale les problèmes relatifs aux produits agroalimentaires dans l'Union européenne. Quand un produit est détecté à une frontière de l'Union ou dans des pays partenaires comme étant impropre ou souffrant de problèmes de labellisation, le pays qui réalise cette détection est censé en informer les autres pays européens. Le système d'inspection se veut donc européen.
Vous avez évoqué la restauration rapide. Aujourd'hui, un poulet sur deux consommé en France est importé, mais cette proportion passe à 75 % pour la restauration rapide.
Les règles d'origine sont en effet complexes à déchiffrer : tout dépend du lieu de la dernière transformation. Si des haricots en provenance du Kenya sont transformés ou cuisinés dans un pays européen, ce dernier n'est plus obligé d'indiquer l'origine initiale du produit. Aujourd'hui, nous ne savons pas si nous consommons un poulet ukrainien ou un poulet néerlandais par exemple. De fait, les Pays-Bas exportent plus de poulets qu'ils n'en produisent. Mais cette règle établie sur la dernière transformation ne s'applique pas uniquement aux produits agricoles, elle concerne aussi les produits manufacturés, par exemple.
Les contrôles sanitaires et audits dans les pays tiers relèvent de la compétence de la Commission européenne, à travers sa direction générale Santé, en lien avec les autorités sanitaires nationales. Les points de contrôle aux frontières dépendent du ministère de l'agriculture. Pour l'ensemble des produits qui circulent dans le marché intérieur, les autorités sanitaires nationales sont chargées de mener les contrôles classiques et de répondre rapidement à la RASFF.
L'origine est en effet fixée la plupart du temps en fonction du lieu de la transformation majoritaire, lequel est également scruté dans chaque négociation bilatérale. Pour bénéficier des préférences établies dans un accord de commerce, le produit doit être originaire du pays avec lequel cet accord est établi. L'Union européenne est particulièrement vigilante en la matière.
Pouvez-vous me donner votre point de vue sur l'établissement d'une « exception agriculturelle » ?
Je ne suis pas sûre de bien saisir ce concept.
L'idée consisterait à faire en sorte que tous les produits agricoles sortent du système de concurrence établi par les traités de libre-échange. Nous avons agi de la sorte avec notre cinéma. De la même manière que nous avons préservé notre culture, il est nécessaire de préserver notre agriculture.
Personnellement, je ne pense pas que cela soit pertinent. Il n'est pas possible de se fonder sur un commerce complètement sélectif où l'on n'exporterait et n'importerait que ce que l'on veut. De plus, si nous voulons établir des relations commerciales avec les pays en développement, il faut être conscient que la plupart de leurs productions sont d'ordre agricole. Malgré tout, le commerce international a aussi pour fonction d'insérer un certain nombre de pays et de contribuer à les sortir de la pauvreté en leur offrant des débouchés, y compris des débouchés qui produisent du pouvoir d'achat. De ce point de vue, l'Union européenne constitue une zone incomparable par rapport au reste du monde.
Comme je l'ai indiqué lors de mon introduction, les accords commerciaux portent sur l'ensemble des biens. Il n'est pas possible d'imaginer sortir l'ensemble du secteur agricole des négociations ; nous ne pouvons pas être gagnants sur tous les biens. En revanche, il est envisageable de mettre en œuvre des mécanismes de compensation lorsque des secteurs et des filières sont touchés. Pour les produits réellement sensibles, il convient d'établir des listes, en accord avec les partenaires de la négociation. Mais il me semble utopique de penser que nous pourrions extraire l'agriculture des négociations commerciales.
Ma première question a trait aux accords de libre-échange. La question des filières fragiles concerne essentiellement le secteur de l'élevage, principalement l'élevage bovin. Celui-ci a été au cœur des débats récents sur le CETA, en oubliant que, depuis sa mise en œuvre il y a sept ans, celui-ci a été particulièrement favorable à d'autres secteurs de l'agriculture française et européenne.
L'argumentaire déployé par la Fédération nationale bovine met en exergue un certain nombre de risques de déstabilisation de la filière de l'élevage bovin, en particulier l'élevage bovin allaitant, dont les fonctions, économiques et sociales sont importantes dans notre pays mais qui joue également un rôle non négligeable pour le maintien des paysages, de la nature, de la biodiversité.
Il y a là un véritable facteur de blocage et un risque pour les productions et les producteurs de nos territoires, même si les quotas sont finalement peu importants par rapport aux volumes produits. Comment se fait-il que les autorités nationales, mais aussi européennes, ne mettent pas en œuvre plus de moyens d'accompagnement en Europe et en France pour ces filières fragiles ? Pour concrétiser l'accord avec le Mercosur, il faut sans doute faire un geste en direction des amis brésiliens ou argentins tout en établissant des accompagnements renforcés à l'échelle européenne et nationale pour ces filières fragiles.
Vous avez également évoqué la question de la spécialisation. Je me souviens qu'il y a une vingtaine ou trentaine d'années, la France était en tête des pays exportateurs mondiaux de produits agricoles bruts et transformés. Nous occupons désormais la septième place. Nous avons donc perdu de nombreuses parts de marché, alors que notre spécialisation s'est orientée vers les marchés moyen et haut de gamme, qui doivent progresser.
La demande alimentaire mondiale future combine des éléments quantitatifs, avec une hausse de la population mondiale estimée à deux milliards d'habitants d'ici à 2050, et des éléments qualitatifs, puisque les classes moyennes des pays émergents tendent à consommer une alimentation comparable à la nôtre.
Notre perte de parts de marché ne constitue-t-elle pas un échec monumental et une des causes de la perte de notre souveraineté ? Au fond, la souveraineté repose aussi sur ce que nous sommes capables d'exporter, non seulement des produits, mais aussi des idées, des techniques, des savoir-faire.
J'entends vos arguments sur les modèles gastronomiques. Mais les grands modèles alimentaires dans le monde ne sont pas si nombreux. On peut penser au modèle italien – la pizza et les pâtes sont très populaires, donc plus faciles à généraliser et à vendre –, au modèle indien, aux modèles asiatiques. En revanche, le modèle français, qui est reconnu pour sa gastronomie, n'a pas été très bien vendu. Comment l'expliquez-vous ?
Votre première question porte sur les filières sensibles, en particulier la filière bovine. Vous avez raison : les autorités françaises sont extrêmement conscientes de l'importance de cette filière, ce qui se traduit dans notre politique commerciale. Par exemple, dans un accord bilatéral, les importations de produits industriels ne sont pas placées sous quotas, quand les filières sensibles y sont maintenues et ne sont pas soumises à l'ouverture illimitée du bénéfice des droits de douane réduits accordés dans le cadre de l'accord préférentiel.
Selon les accords, il existe parfois des conditions spécifiques pour bénéficier de ces tarifs, qui sont qualifiées de « conditionnalités tarifaires ». Nous l'avons évoqué précédemment concernant la filière ovine. Ces conditionnalités sont assez nouvelles dans la pratique de la Commission européenne, mais les autorités françaises l'invitent vivement à poursuivre la réflexion dans ce domaine.
Nous réalisons un suivi particulier de ces filières sensibles, que nous avons mis en place dans le cadre du plan d'action sur le CETA et que nous sommes en train de généraliser au suivi de l'ensemble des accords. Ce travail a pris du temps car il nécessite de rassembler l'ensemble des statistiques. Nous le menons en lien avec FranceAgriMer, en particulier sur la filière bovine. Il nous permet d'assurer un suivi qui identifie une importation à hauteur de 52 tonnes l'année dernière, soit un volume qui n'est pas de nature à déstabiliser le fonctionnement du marché, surtout lorsqu'il est comparé aux 8,6 millions de tonnes produites dans l'Union européenne.
Dans le cadre de ce suivi, nous avons pu identifier que le contingent est très peu utilisé dans le CETA, dans la mesure où, pour pouvoir en bénéficier, les productions bovines canadiennes doivent aujourd'hui être certifiées sans hormones, et demain sans antibiotiques accélérateurs de croissance. Or la production et l'exportation du marché canadien sont essentiellement tournées vers le marché américain, qui autorise le bœuf aux hormones et n'a pas établi de réglementation sur les antibiotiques. En conséquence, la transition et le coût de mise à niveau pour exporter vers l'Union européenne ne sont pas rentables pour les producteurs canadiens.
Par ailleurs, un rapport de la Cour des comptes indique que le montant moyen de subventions par exploitation est de 50 000 euros pour un bovin viande, de 36 000 euros pour un bovin lait et de 33 000 euros pour la moyenne des exploitations. Par conséquent, en termes d'accompagnement financier, il existe déjà une identification particulière de la filière bovine, y compris par rapport à la filière lait. Je précise qu'une bonne partie de la consommation de viande bovine provient en réalité des élevages laitiers.
Cependant, la filière bovine demeure la plus fragile : elle est marquée par les revenus les plus faibles, malgré un taux de subvention élevé. Ce n'est pas un hasard si nous butons à chaque fois sur cette filière lors de la négociation de chaque accord commercial, particulièrement dans le cadre de la négociation avec le Mercosur.
Je ne prétends nullement que ma réponse suffise à éclairer le débat, je me contente d'apporter un éclairage sur la partie relative à la politique commerciale. Pour le reste, je ne suis pas suffisamment compétente pour vous répondre. C'est la raison pour laquelle nous agissons majoritairement de manière interministérielle sur ces questions.
S'agissant des exportations, il faut relever que le nombre de pays exportateurs agricoles était bien moins élevé il y a une vingtaine d'années. Notre politique commerciale s'efforce de trouver un cadre permettant de sécuriser une partie des relations bilatérales et l'accès au marché en termes d'exportations. Il faut également relever que le contexte commercial est confronté à des changements : au-delà des barrières tarifaires qui existaient traditionnellement, nous voyons émerger de plus en plus de barrières non tarifaires, c'est-à-dire des barrières réglementaires et sanitaires qui sont établies pour faire obstacle aux importations.
Depuis le dernier mandat de la Commission européenne, les autorités françaises ont énormément insisté et d'ailleurs obtenu que l'Europe s'attache particulièrement à la bonne application des accords négociés. Parfois, de nouvelles barrières sont en effet érigées par les pays tiers à l'encontre des exportateurs européens. Chaque année, la Commission européenne publie à l'automne un rapport qui identifie le travail conjoint que nous menons auprès des autorités locales des pays tiers dans les délégations et les ambassades sur place, ainsi que le suivi centralisé que nous faisons remonter à Bruxelles. Il s'agit de travailler, au sein de la relation bilatérale avec les pays tiers, pour réduire les barrières qui émergent des réglementations.
Je pense que nous pouvons jouer la carte de la qualité, mais il convient également d'accompagner nos entreprises à l'exportation. Le rapport du Sénat précédemment mentionné revient sur les différentes politiques qui ont pu être mises en place par d'autres pays, notamment l'Italie, qui a accordé des prêts bonifiés à des PME et aidé leur insertion et la création d'un réseau commercial à l'international.
Ces éléments ne relèvent pas de l'Union européenne, mais d'un volontarisme politique national. Le sujet n'est d'ailleurs pas spécifique à l'agriculture. Il est possible de mettre en place différents programmes d'assistance aux entreprises, qui peuvent passer par les chambres d'agriculture ou les chambres de commerce, en lien avec les ambassades. Ensuite, programme par programme, filière par filière, il importe de vérifier si ces mesures fonctionnent, c'est-à-dire évaluer l'impact de ces soutiens.
Madame Lacoue-Labarthe, vous avez parlé du rôle de votre direction dans une négociation commerciale. Quel est votre véritable poids ? Comment pouvez-vous peser dans de telles négociations ? Parvenez-vous à bloquer des accords commerciaux pour protéger certains produits ? À l'inverse, l'Union européenne vous impose-t-elle ses points de vue ?
Votre hiérarchie vous fixe-t-elle des objectifs précis pour protéger le marché français, pour protéger des filières, ou êtes-vous surtout chargés d'appliquer les traités de libre-échange, sans adopter une vision protectionniste du marché agricole français.
Il existe des différences notables entre le modèle agricole des pays européens et le modèle agricole français, qui demeure malgré tout une exception. J'aimerais à mon tour vous entendre sur la notion d'exception agriculturelle, qui pourrait s'appliquer à un pays comme la France et me semble largement nécessaire et adaptée à notre modèle agricole. On a parfois l'impression que, dans le cadre des accords commerciaux, notre agriculture française est affaiblie au profit par exemple des exportations d'automobiles allemandes.
Madame Disdier, j'ai été interpellé quand, lors de votre présentation, vous avez indiqué que la perte de parts de marché ne serait pas due aux traités de libre-échange. Je pense notamment au cas du poulet. Nous consommons toujours autant de poulet en France en quantité mais le poulet français est largement remplacé par le poulet étranger, qui est vendu moins cher. En conséquence, il est loisible de se demander si les traités de libre-échange ne font pas en réalité perdre des parts de marché à la production agricole française.
La perte de compétitivité n'est-elle pas également due au surplus normatif, à l'inflation, aux charges, qui sont exceptionnelles élevées en France par rapport à d'autres pays européens et extra-européens ?
Il existe également une divergence de point de vue sur la définition de la souveraineté alimentaire. Vous avez estimé que notre souveraineté alimentaire peut être établie grâce au solde favorable entre nos exportations et nos importations agroalimentaires. Or une majorité de produits sont aujourd'hui importés parce que nous ne les produisons plus. Dans le cadre d'une vision forte de notre souveraineté alimentaire, il serait quand même plus logique de produire à nouveau en France ces produits que nous importons aujourd'hui. En cas de crise, nous ne sommes en effet pas certains de poursuivre ces importations.
De quelle manière nous organisons-nous pour peser dans le cadre des négociations ? Une négociation avec un pays tiers s'engage au niveau européen pour la plupart des zones du monde. S'agissant des négociations bilatérales, nous donnons à la Commission un mandat pour négocier. Afin d'établir les objectifs de ce mandat, qui est assez général, nous construisons une position française qui associe l'ensemble des ministères et des secteurs concernés, ce qui permet effectivement d'identifier nos intérêts offensifs et défensifs prioritaires, ces derniers ciblant notamment nos filières sensibles.
Sur ce fondement, le mandat de la Commission est adopté, en sachant qu'elle reçoit des instructions de la totalité des États membres de l'Union européenne. En conséquence sont établis au niveau européen des intérêts offensifs et défensifs, allant au-delà de la seule position française. Dans le cadre des négociations, la Commission européenne effectue régulièrement des points d'étapes avec les État membres, des consultations. Mais il faut rappeler qu'elle est chargée de négocier au nom des 420 millions d'habitants qu'elle représente. De fait, il est préférable d'avoir un négociateur unique, pour éviter que les pays tiers n'essayaient de « diviser pour mieux régner ».
Ces consultations permettent à la Commission d'ajuster sa position au fur et à mesure. Elle est chargée de finaliser l'accord technique avec l'autre partie à la négociation. Débute ensuite la phase formelle qui mène à la procédure d'approbation : l'accord technique que la commission a finalisé est « poncé » avant d'être soumis au vote du Conseil, puis à l'approbation du Parlement européen.
Quand il est strictement question de politique commerciale, le Conseil se prononce à la majorité qualifiée. Si des éléments ne sont pas satisfaisants par exemple sur les contingents, quand les limites que nous avons fixées ont été dépassées, la France cherche des alliés pour essayer de constituer une minorité de blocage. Telle est la manière dont nous pesons dans toutes les négociations européennes. Encore une fois, la Commission n'a jamais excédé jusqu'à présent le mandat que nous lui avions donné, notamment les contingents fixés.
Votre deuxième question porte sur les différences de modèles européen et français. Cet aspect est en dehors de la compétence de la politique commerciale stricto sensu dont il est question aujourd'hui. Je ne dispose pas d'éléments chiffrés spécifiques à apporter à ce sujet.
La note du CEPII relative au secteur du poulet relève que les importations françaises proviennent essentiellement des pays européens. Il n'est donc pas possible de dire que les accords commerciaux signés avec les pays tiers sont la principale raison de notre perte de compétitivité. Ensuite, il faudrait creuser les statistiques concernant l'origine initiale des produits.
La perte de compétitivité peut concerner le coût du travail, notamment dans les filières où une main-d'œuvre nombreuse est nécessaire ; mais l'agriculture française est également confrontée à d'autres problèmes, comme la taille des exploitations ou l'insuffisance des investissements dans la mécanisation. Une attention particulière devrait être portée sur la filière aval, afin de renforcer la compétitivité en interne mais aussi à l'exportation. Nous ne pouvons pas gagner à l'export si nos industries ne sont pas fortes sur le plan national.
Je souhaite enfin revenir brièvement sur le CETA et l'usage des antibiotiques. Un article du Monde indique qu'un règlement européen a vocation à interdire les importations de viandes ayant été produites en utilisant des antibiotiques comme activateurs de croissance. Selon le journal, son application n'est prévue qu'à partir de 2026. Le confirmez-vous ?
Le règlement concernant les antibiotiques avec accélérateurs de croissance est en train d'entrer en vigueur, mais son application est décalée de trente mois pour donner un temps d'adaptation aux pays tiers qui veulent continuer à exporter vers l'Union européenne. Ce type de procédé est habituel lorsque nous essayons d'exporter notre niveau de normes.
Les antibiotiques sont éliminés par l'organisme avec le temps. Cela signifie que les 52 tonnes de viande en provenance du Canada ont contenu des antibiotiques, mais n'en contiennent plus lorsqu'elles arrivent sur le territoire européen. On ne « mange » pas plus d'antibiotiques dans un morceau de bœuf canadien que dans un morceau de bœuf européen.
Enfin, vous avez raison, le délai d'entrée est très long et peut susciter des frustrations légitimes. Dans l'intervalle, nous testons un modèle que nous pensons pouvoir répliquer dans d'autres cas, si nous trouvons d'autres substances auxquelles nous pouvons appliquer ce raisonnement de mesure miroir.
L'absence, aux États-Unis, d'étiquetage obligatoire des animaux clonés, ainsi que le commerce intense de bovins et de cochons sur pied avec le Canada, rendent fortement probable la présence d'animaux clonés dans les chaînes d'approvisionnement canadiennes. À l'heure actuelle, aucun système fiable ne permet d'identifier ni de tracer les produits à base d'animaux clonés qui quittent les États-Unis pour entrer au Canada et en Europe. Pensez-vous donc que le CETA augmentera le risque d'importation de viande clonée, pourtant interdite en Europe ?
Je ne dispose pas d'informations sur un risque accru. Encore une fois, pour bénéficier des éléments préférentiels de l'accord, la matière doit être originaire du Canada. Le schéma que vous indiquez est un schéma de fraude. Le dispositif de contrôle et de certification que je rappelais tout à l'heure doit nous permettre de traiter ce problème s'il devait survenir. Je le vérifierai auprès de mes collègues du ministère de l'agriculture.
Vous avez rappelé tout à l'heure que les pays de transformation et les pays d'origine sont indiqués, en précisant que cela était aussi le cas pour les produits manufacturés. Serait-il utopique d'indiquer à la fois le pays de transformation et le pays d'origine ? Quelles sont les difficultés juridiques ou techniques en la matière ?
Les règles d'origine dont il est question en matière commerciale sont les règles permettant à un produit d'être considéré comme originaire du pays tiers avec lequel un contrat a été établi pour bénéficier de la préférence tarifaire. Encore une fois, il existe un dispositif d'enregistrement dans la base douanière pour les exportateurs, qui doivent également être reconnus par les importateurs. Un travail d'identification, de qualification et de vérification des éléments originaires est mené pour s'assurer que le bénéfice des éléments tarifaires est bien justifié.
Il faudrait que nous vous fournissions des exemples précis de la manière dont les règles d'origine sont écrites en matière agricole.
Lorsqu'il a été question de l'exception agriculturelle, vous avez indiqué que renoncer à commercer avec certains pays qui ne peuvent exporter que des produits agricoles revient à renoncer à les aider. Ce faisant, les produits agricoles sont quelque peu détournés de leur finalité d'alimentation, pour être utilisés en faveur d'un objectif, certes louable, de développement. L'administration garde-t-elle à l'esprit que l'agriculture française doit être protégée et que cet objectif louable ne doit pas conduire à mettre en place une concurrence déloyale ?
Je peux assurer qu'il s'agit là d'une préoccupation absolument constante.
J'ai mentionné le fait que certains pays tiers ne renonceraient pas à demander du commerce agricole, dans la mesure où il constitue l'essentiel de leur production exportable. De notre côté, nous pouvons avoir un intérêt particulier à nous fournir auprès de ce pays pour un intrant dont nous ne disposons pas dans l'Union européenne, comme un intrant agricole, un engrais, ou un intrant minier comme le lithium, lequel constitue un élément clef pour les batteries électriques. C'est la raison pour laquelle il me semble illusoire de penser que nous pourrions obtenir de pays tiers d'accéder à certains de leurs produits tout en refusant leurs exportations sur d'autres produits. Nous agissons également de la sorte pour notre propre compte.
Il me semble très important de rappeler que les traités de libre-échange ne concernent pas uniquement l'agriculture. Avez-vous abordé la question d'une exception alimentaire dans la commande publique européenne, qui est régulièrement évoquée, par exemple pour la restauration collective ? Cette idée a-t-elle un avenir selon vous, ou pensez-vous que nous ne pouvons pas aboutir sur ce sujet compte tenu des règles du marché unique ?
Je consulterai mes collègues du ministère de l'économie et des finances plus compétents en la matière pour vous répondre de façon plus détaillée sur la question de la commande publique.
Le rapport sur le commerce extérieur que nous avons publié au début du mois de février détaille le poids des différentes filières dans nos exportations. Les vins et spiritueux représentent 2,9 % de nos exportations, contre 1,6 % pour les céréales, 1,4 % pour les animaux vivants, viandes et préparations, et 1,3 % pour les produits laitiers et les fromages. Le total des produits agricoles et agroalimentaires, y compris la transformation, correspond à 13,9 % de nos exportations totales.
La commission procède à l'audition de M. Olivier Le Nézet, président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), de Mme Émilie Gélard, directrice opérationnelle du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins, de M. Michel Berthommier, président du Comité interprofessionnel des produits de l'aquaculture (CIPA), accompagné de Mme Marine Levadoux, directrice générale, et de M. Philippe Le Gal, président du Comité national de la conchyliculture, accompagné de Mme Anne-Laure Prego Cauchet, directrice générale.
Nous terminons cette journée avec une table ronde consacrée aux produits de la pêche et de l'aquaculture. Je suis heureux d'accueillir M. Olivier Le Nézet, président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), accompagné de Mme Émilie Gélard, directrice opérationnelle, M. Michel Berthommier, président du Comité interprofessionnel des produits de l'aquaculture (CIPA), accompagné de Mme Marine Levadoux, directrice générale, et M. Philippe Le Gal, président du Comité national de la conchyliculture, accompagné de Mme Anne-Laure Prego Cauchet, directrice générale.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mmes Marine Levadoux Anne-Laure Prego Cauchet, Émilie Gélard et MM. Olivier Le Nézet, Michel Berthommier et Philippe Le Gal prêtent serment.)
Je vous remercie de nous recevoir. La filière de la pisciculture française est représentée par une interprofession composée de trois collèges : le collège des pisciculteurs, le collège de transformateurs et le collège des fabricants d'aliments.
La pisciculture est probablement la filière agricole la plus déficitaire en France en termes de balance commerciale, l'essentiel des produits consommés dans notre pays étant importé. L'audition de ce jour nous fournit l'occasion de mettre en lumière cette filière et d'évoquer ce que vous pourriez faire pour faciliter son développement. Il y a deux ans, nous avons signé avec les deux ministères qui exercent une cotutelle sur nos activités, le ministère de la transition écologique et celui de l'agriculture, mais aussi Régions de France, le plan « Aquaculture d'avenir ». Ce plan chiffrait un certain nombre d'objectifs de développement de nos métiers. Nous avions essayé d'y proposer des objectifs raisonnables mais deux ans après sa signature, je ne vous cache pas mon inquiétude car la situation n'a guère évolué depuis cette époque.
Nous sommes très régulièrement en contact avec les autorités qui nous pilotent et cette audition pourrait nous permettre d'évoquer les freins et difficultés auxquels nous sommes confrontés. J'indique par ailleurs que le Haut-Commissariat au plan a produit récemment un travail, très riche, sur la pisciculture et a formulé un certain nombre de conclusions.
Certains estiment qu'un choix européen a été fait en faveur d'un développement de la pisciculture dans d'autres pays plutôt que dans le nôtre, au prétexte que « cela ne fonctionnerait pas » en France. Je m'inscris en faux : contrairement à une idée reçue, la pisciculture française est rentable et les produits que nous commercialisation sont demandés par les consommateurs, comme toutes les enquêtes le prouvent.
Pourtant, depuis vingt-cinq ans, aucune pisciculture n'a été créée en France. Si vous interrogez des pisciculteurs sur les difficultés auxquelles ils sont confrontés, 99 % d'entre eux vous répondront qu'ils sont la proie d'un carcan administratif absolument insoutenable. Aujourd'hui, leur principal souci ne consiste pas à savoir s'ils pourront se développer, mais plutôt s'ils vont pouvoir continuer à exister. En effet, nos métiers sont soumis à des obligations concernant le renouvellement des autorisations de la plupart des installations de pisciculture, qui sont classées. Or aujourd'hui, lors des renouvellements, nous sommes systématiquement confrontés à des délais de traitement immenses et des demandes d'études très onéreuses. Il y a cinq ans, il fallait entre deux ans et trois ans pour obtenir le renouvellement d'une autorisation, qui engageait en outre entre 15 000 et 20 000 euros d'études. Aujourd'hui, pour un chantier à peu près identique, il faut plus de cinq ans et le budget consacré aux études demandées par l'administration est pratiquement illimité.
Dès lors, il s'agit de savoir où nous allons et comment fixer un cadre pour que nos demandes obtiennent des réponses de l'administration en temps voulu, et non plus attendre trois à cinq ans. Le processus est devenu totalement itératif, nous n'en voyons jamais la fin.
Je souhaite également porter à votre connaissance un autre élément, qui est vraiment un cas d'école : depuis plus de six ans, nous essayons de mettre en place un arrêté avec l'administration. Nous vous transmettrons les documents relatifs à ce projet, qui n'a pas encore abouti, malheureusement.
Enfin, si les préfets prennent les décisions qui nous concernent, ils sont également conseillés par un ensemble d'organismes, dont l'Office français de la biodiversité, qui ne nous est pas particulièrement favorable. À titre d'exemple, sur vingt-cinq ou trente dossiers qui sont présentés au préfet d'un département de l'est de la France, cet organisme n'émet quasiment que des avis négatifs.
Je représente devant aujourd'hui la conchyliculture française, c'est-à-dire la production des coquillages. En France, nous produisons surtout des huîtres creuses, des moules, des palourdes et des coques, les huîtres creuses constituant la principale production. Selon les années, la production globale varie entre 150 000 et 200 000 tonnes, réparties de la manière suivante : 100 000 tonnes d'huîtres creuses, 50 000 tonnes de moules et 4 000 à 10 000 tonnes de palourdes et de coques. La filière fait vivre 16 000 personnes en emplois directs et se répartit sur 16 000 hectares de concessions sur le territoire français. Nous avons par ailleurs 6 000 navires et réunissons environ 2 500 entreprises.
Nos débouchés se trouvent principalement en France, où nous sommes aujourd'hui confrontés à d'importants soucis de commercialisation. Nos exportations sont dirigées vers des pays tiers européens et le grand export, en direction de l'Asie, porte surtout sur les huîtres creuses. Nous exportons en revanche peu de moules, mais nous en importons environ 90 000 tonnes chaque année, fraîches ou congelées.
Au niveau européen, deux pays sont les principaux producteurs de coquillages, l'Espagne et la France – l'Espagne pour les moules et la France pour les huîtres, dont nous sommes par ailleurs le quatrième producteur mondial, après les pays asiatiques comme la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Le chiffre d'affaires de la filière s'établit à 663 millions d'euros.
Les facteurs limitants auxquels la profession est confrontée sont d'abord l'espace, dans la mesure où l'espace marin est prisé sur l'ensemble du littoral français. Nous étions jusqu'à présent très proches du littoral, c'est-à-dire sur l'estran. Celui-ci est convoité, mais il doit également faire face à de très fortes problématiques de pollution. Le deuxième facteur limitant concerne la qualité de l'eau, qui est d'abord fonction de ce qui sur passe sur terre. Ces dernières semaines, vous avez entendu parler du norovirus, le virus de la gastro-entérite. Le problème et le suivant : les eaux d'assainissement ne peuvent pas toutes être traitées par les stations d'épuration et les réseaux actuels. Ce phénomène engendre de graves problèmes de qualité de l'eau, qui se répercutent sur le milieu maritime. Depuis les fêtes de Noël, nous avons perdu 50 % de parts de marché sur le territoire français et le problème est récurrent depuis déjà trois ans, comme l'attestent les chiffres de FranceAgriMer.
Afin de surmonter ces problèmes, il est nécessaire de mettre en place un certain nombre d'actions. Il s'agit d'abord de soutenir la filière conchylicole, une filière d'excellence qui connaît de graves difficultés. Les exportations d'huîtres représentaient un solde positif de près de 80 millions d'euros dans la balance commerciale française jusqu'à ces dernières années. Cela n'est plus le cas, en raison de la situation sanitaire et de la défiance des pays tiers, notamment la Chine, qui en profitent pour remettre en cause la qualité de sanitaire de nos produits. La Chine tire ainsi prétexte de ce problème pour bloquer régulièrement des lots d'huîtres qui lui sont destinés. Je précise que si la France consomme surtout des huîtres crues, les pays asiatiques les mangent cuites.
Nous avons décidé d'essayer d'intervenir, notamment en établissant des indicateurs prédictifs. Nous avons ainsi la possibilité de mettre en place un bactériophage, avec des analyses récurrentes, de manière à anticiper les contaminations qui peuvent survenir en mer.
Bien évidemment, la pression demeure sur les collectivités territoriales, qui doivent gérer leurs stations d'épuration et leurs réseaux. Malheureusement, les financements manquent à l'heure actuelle, mais il sera néanmoins nécessaire de trouver des solutions. Celles-ci portent à la fois sur l'indicateur précédemment mentionné et sur des systèmes de purification efficaces. À cet effet, nous nous tournons vers nos ministères de tutelle pour mettre en place ces dispositifs et notamment les financements.
Si notre filière dispose de possibilités importantes de développement, nous connaissons aujourd'hui des moments difficiles, qui justifient de nous aider. Enfin, notre activité se concentre aujourd'hui sur le proche littoral, mais notre avenir peut aussi être au large. Nous pouvons y développer des systèmes de production, par exemple dans les parcs éoliens. Un autre axe de développement porte sur la production d'algues, afin de nous diversifier et de ne plus être dépendants d'une seule production. De fait, ce système de monoculture nous fragilise.
En préambule, je voudrais souligner qu'à nous trois, nous représentons la filière halieutique française. Notre rôle consiste à nourrir la population, au même titre que les agriculteurs ; nous sommes en quelque sorte des paysans de la mer et nous exerçons nos métiers avec fierté. Je précise à mon tour que nous avons mis en place un plan national de filière algue, dans la mesure où il ne sera pas possible de produire des algues au large sans les conchyliculteurs et sans les pêcheurs. Nous agissons donc bien de concert, dans le seul but de nourrir la population.
Le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins est composé d'administrateurs élus, ce qui nous confère une légitimité pour pouvoir nous exprimer devant vous et, simultanément, établir des règles qui s'appliquent à tous, en lien avec l'État et les préfets de région.
La pêche française représente environ 500 000 tonnes de produits chaque année, pêchés à partir de 6 000 navires, dont 4 000 en métropole et 2 000 dans les départements d'outre-mer. N'oublions pas en effet que l'aire maritime française se répartit de la manière suivante : 3 % en métropole et 97 % en dehors de la métropole.
Nos trois secteurs qui composent cette filière halieutique rencontrent aujourd'hui des difficultés. Nous subissons en effet des chocs depuis les trois à quatre dernières années : le Brexit, la pandémie de covid et le dérèglement climatique, dont nos secteurs sont les premières victimes. La qualité de l'eau est fondamentale pour notre activité ; la terre a pour vocation de nourrir la mer et non de la salir. De fait, 90 % des pollutions en mer proviennent de la terre. La directive-cadre Stratégie pour le milieu marin » (DCSMM) impose d'avoir une mer saine, propre et productive.
La politique commune européenne des pêches permet aujourd'hui de proposer une pêche durable, même si de nombreux efforts demeurent à accomplir. Aujourd'hui, 60 % des espèces sont au rendement maximum durable (RMD), contre 7 % il y a vingt ans, soit une croissance à deux chiffres. Mais nous ne maîtrisons pas un certain nombre d'éléments, comme le dérèglement climatique ou d'autres évolutions.
Il me semble nécessaire de souligner ces aspects, dans la mesure où la société française est surtout terrienne et peu maritime. Elle ne voit pas le monde de la mer et de l'espace maritime comme une activité économique, mais plutôt comme une activité de loisirs. Il faut savoir que 39 % des ressources pêchées dans le monde aujourd'hui le sont par la Chine et ses 7 000 navires-usines. Nous ne pouvons pas accepter qu'un milliard d'habitants s'octroient 40 % de la ressource et que les 7 milliards restants doivent s'en satisfaire, nombre d'entre eux étant obligés de se déplacer, car ils ne trouvent pas de quoi se nourrir chez eux. Nous ne réglerons pas le problème de la surpêche en établissant des sanctuaires, mais bien en redonnant aux pays la capacité de produire et d'aller pêcher leurs produits quand aujourd'hui ils se font piller devant leurs côtes.
Fort heureusement, l'approche est assez exemplaire en France. Au titre de cette souveraineté, nous avons défini des règles, que nous faisons respecter. Politiquement, cela signifie que nous prenons en main notre destin. Je rappelle à nouveau que l'objectif de la pêche professionnelle consiste bien à nourrir la population. Je souligne également que la pêche française ne représente que 20 % de la demande nationale : sur un étal de poissonnier, 80 % des produits disponibles sont importés.
Par ailleurs, il faut rééduquer les Français, qui consomment essentiellement quatre espèces majeures : le thon, le saumon, qui est très peu élevé en France, le cabillaud, qui n'est pas pêché par la pêche française, et la crevette, qui provient essentiellement du Mozambique, où il n'existe aucune norme environnementale ni sociale. Il est indispensable d'élargir la consommation nationale à la multitude d'espèces dont nous disposons en France et que tous les pays en Europe nous envient.
Je rappelle aussi que notre filière halieutique fait partie des activités les moins carbonées. Nous répondons à tous les standards internationaux ou communautaires. De plus, le poisson fournit une protéine à haute valeur nutritionnelle, qui est en outre la dernière protéine sauvage. Malheureusement, notre filière n'est pas aujourd'hui considérée comme stratégique et nous sommes confrontés à un carcan administratif extrêmement pesant, qu'il soit communautaire ou national.
Il faut redonner aux entreprises leur capacité à agir, avec des emplois français, ce qui implique de former des jeunes. Malheureusement, nous ne trouvons plus aujourd'hui de marins français. Il est nécessaire de remettre en valeur cette filière au sein de l'éducation nationale, de parler de ses métiers, quels qu'ils soient, privés ou militaires, mais également des autres activités liées comme le commerce ou le shipping.
Nous ne pouvons pas continuer d'exercer des métiers qui souffrent, comme toute la filière, d'un manque de visibilité : tous les onze mois, les règles sont remises en cause. Cela n'est plus possible, d'autant plus que les investissements auxquels les pêcheurs doivent consentir sont particulièrement onéreux : sur un navire de pêche, le mètre linéaire coûte 180 000 euros. Sans le soutien public national et sans le soutien de l'Union européenne, nous perdrons notre souveraineté alimentaire.
Monsieur Le Gal, le rapport de FranceAgriMer présente un tableau sur les coquillages. Les données indiquent que sur la période 2008-2010, la dépendance aux importations était estimée à 69 %, mais qu'elle avait diminué, pour s'établir à 56 % sur la période 2018-2020. Parallèlement et logiquement, le taux d'auto-approvisionnement en coquillages a progressé depuis une dizaine d'années, passant de 43 % en 2008-2010 à 63 % en 2018-2020.
Je ne conteste pas les difficultés que votre filière traverse actuellement, mais il me semble qu'elle souffre plus d'une crise de consommation que d'une crise de production. Partagez-vous ce constat ?
Nous sommes en effet confrontés à une crise de la consommation, qui est récente. En 2008-2010, nous avions connu en France une période de forte mortalité des huîtres creuses, qui a entraîné une hausse des importations. Après ces années difficiles, nous avons retrouvé voire dépassé un niveau de production normal, ce qui nous a permis d'exporter. Pendant longtemps, les exportations d'huîtres ont compensé les importations de moules. La mise en avant de notre savoir-faire et de la qualité de nos produits doit nous permettre de surmonter la crise de consommation actuelle.
La perte d'autonomie ou de souveraineté alimentaire qui peut intervenir sur certains poissons ne doit-elle pas nous interroger sur la pollution des eaux ? En Alsace, il y a un siècle, les habitants pêchaient et mangeaient des saumons du Rhin. Le saumon a ensuite disparu en quelques décennies, principalement en raison de la pollution du fleuve. Celle-ci provenait des activités industrielles, notamment des activités de la chimie, qui se sont fortement développées sur le Rhin, particulièrement en Allemagne. Des programmes européens cherchent, depuis maintenant des décennies, à renaturer le Rhin.
J'estime que la pollution constitue la raison essentielle de la disparition ou la quasi-disparition des saumons du Rhin, plus que les choix de politique publique. Partagez-vous l'idée que nous devrions nous fixer des objectifs sur un certain nombre de poissons, ce qui passe en réalité par l'établissement de chantiers écologiques majeurs ?
Nous savons clairement que la solution pour régler les problèmes des trois filières que nous représentons consiste à disposer de réseaux d'eau étanches. En Bretagne, le directeur régional de la Saur avait d'ailleurs reconnu devant la Commission européenne qu'il ne répondait pas aux normes fixées par la directive-cadre Stratégie pour le milieu marin (DCSMM). Si nous investissions 4 milliards d'euros sur les réseaux et 2 milliards d'euros supplémentaires sur les stations d'épuration chaque année, il nous faudrait 178 ans pour restaurer les réseaux.
C'est un scandale. D'une part, cela affecte la santé humaine. D'autre part, la pêche représente la variable d'ajustement des décideurs des politiques communautaires. Cet ajustement ne se fait qu'à la baisse, pour diminuer les activités de pêche, de conchyliculture, d'aquaculture. Se surajoutent les phénomènes de dérèglement climatique, que personne ne maîtrise. Nos filières survivent aujourd'hui, mais nous ne pouvons pas tout prévoir. Par exemple, en dépit des données scientifiques indiquant leur extinction en France, il n'y a jamais eu autant de civelles que cette année.
Nous sommes confrontés à des obligations communautaires telles que l'obligation de débarquement, qui oblige les bateaux à déclarer tout ce qui est pêché, y compris ce qui est rejeté, au titre des espèces sous quotas que l'équipement des criées ne permet pas de recevoir. Les pêcheurs rejettent à la mer du poisson qu'ils ne peuvent ramener, des produits sont donc détruits sans pouvoir être valorisés. La règle actuelle n'est pas adaptée à la connaissance du stock que les marins constatent au quotidien. La situation est dramatique : les pêcheurs ont du mal à vivre de leur métier, alors même qu'ils ont bien géré la ressource. Je rappelle que 61 % de la flotte de pêche française a été sacrifiée lors des trente dernières années. Qu'attendons-nous pour prendre le virage de notre souveraineté alimentaire ?
Monsieur le président, vous avez évoqué le Rhin, qui coule dans votre circonscription. Je ne dispose pas d'éléments pour me prononcer sur la qualité de ses eaux, mais je souhaite insister sur un point : les pisciculteurs sont les sentinelles de l'eau, de cet environnement. En l'absence de pisciculture, il n'est plus possible de mesurer, de vérifier et de contrôler la qualité des cours d'eau.
À ce sujet, j'ai le sentiment que la qualité des cours d'eau s'améliore dans notre pays. En revanche, nous ne maîtrisons pas les dérèglements climatiques. Les températures de nos cours d'eau s'élèvent et l'espèce que vous avez évoquée, le saumon, témoigne d'un préférendum thermique pour les eaux fraîches. Quand les températures s'élèvent, le saumon éprouve des difficultés à se maintenir, à frayer et à poursuivre sa migration naturelle.
Naturellement, nous devons y réfléchir, essayer de lutter le mieux possible et nous adapter aux conditions environnementales, en professionnels. Mais au fond, il est quand même plus que singulier de constater que nous continuons à subir alors que notre pays dispose d'un réseau hydrographique parmi les plus denses d'Europe.
Aujourd'hui, nous assistons à un déplacement de la production vers d'autres pays, conséquence de choix politiques. À l'heure actuelle, la production a lieu ailleurs. Il s'agit là du véritable sujet de la souveraineté.
Je ne suis pas issu du monde de la mer, mais je suis élu dans une circonscription qui possède une grande façade maritime, un estuaire, et je suis à quelques kilomètres du bassin d'Arcachon. Je vous invite à nous présenter des messages clairs. Monsieur Berthommier, vous avez indiqué qu'un choix européen a été effectué en faveur d'un développement de la pisciculture dans d'autres pays plutôt qu'en France, pour des raisons de rentabilité. Pouvez-vous nous donner plus de détails ?
Je pense notamment à la pisciculture marine, par exemple, qui est une filière récente. Il ne faut pas oublier que toutes les filières de truites, de bars, de daurades, de maigres ou d'esturgeons sont nées de la recherche publique française, financée par le contribuable français.
Aujourd'hui, la pisciculture marine française produit 4 000 tonnes, essentiellement en Corse et dans le Nord, qu'il faut comparer aux dizaines ou centaines de milliers de tonnes réalisées ailleurs, notamment en Grèce ou en Turquie. À un moment donné, il faut se poser les bonnes questions et se demander pourquoi cette production s'est développée là-bas et non chez nous, alors que l'intégralité des produits dont nous sommes en train de parler est consommée en France. L'ironie de l'histoire est la suivante : la plupart du temps, les alevins, les petits poissons, sont nés dans notre pays avant d'être élevés dans les pays que j'ai cités, pour finalement finir dans l'assiette du consommateur français.
Les produits que nous importons proviennent de pays qui ne pratiquent pas les mêmes standards sociaux, économiques, environnementaux que ceux qui nous sont imposés. Cela n'est plus possible. De notre côté, il nous faut respecter 7 500 règlements sur la pêche, alors que nous sommes confrontés à des produits qui ne connaissent pas de normes, ni même parfois de taxes.
À ce titre, l'accord de commerce et de coopération (ACC) signé entre l'Union européenne et le Royaume-Uni n'est plus respecté. Je demande aux élus de la République de monter au front, tant cette situation est inadmissible. Nous avons donné aux pêcheurs du Royaume-Uni 25 % des quotas européens, ainsi que la liberté de marché en Europe. Aujourd'hui, sous couvert de protection environnementale, ils nous expulsent en établissant des aires marines protégées plus grandes que la France. Celles-ci sont à présent au nombre de treize, et trente autres seront également établies. Malheureusement, personne ne réagit, nous l'acceptons sans protester. Une revoyure de la négociation est prévue en 2026, mais il n'y aura plus rien à négocier. Ils nous ont mis dehors, ce qui n'est pas acceptable. Comment encore parler de l'Europe du « vivre ensemble » ?
Par ailleurs, parmi les solutions à privilégier, les régions doivent pouvoir établir des labels régionaux de qualité, qui doivent être reconnus dans la loi Egalim. Si tel n'est pas le cas, le label MSC pourra poursuivre ce que je considère être un racket, puisque les moyennes et grandes surfaces sont pieds et poings liés. Aujourd'hui, il existe des labels comme Normandie Fraîcheur Mer, Breizh Mer, Loire Océan Filière Pêche. Ils sont tous prêts, qu'attendons-nous ?
Nous souhaitons que ces labels soient reconnus dans la loi Egalim pour permettre aux collectivités d'acheter du poisson pour nourrir nos enfants. Aujourd'hui, au Guilvinec, le maire a quantité de poisson à sa disposition, mais il ne peut pas livrer un seul kilo de poisson dans ses écoles car dans les appels d'offres, le label MSC et les prix les plus bas dominent.
Pourquoi ces labels ne sont-ils pas reconnus dans la loi Egalim ? Déplorez-vous de ne pas avoir été entendus ? Le droit européen est-il concerné ?
Lors de la loi Egalim 2, nous avions demandé le dépôt d'un amendement, qui a finalement été qualifié de cavalier législatif.
Monsieur Berthommier, vous avez mentionné le carcan administratif, mais je relève également le problème lié à la distorsion de concurrence. Nos normes sociales et environnementales sont beaucoup plus contraignantes que celles de nos concurrents, dont les prix sont plus compétitifs. J'imagine que vous avez fait remonter cette préoccupation auprès de vos ministères de tutelle. Avez-vous reçu une écoute attentive de leur part ? Je rappelle qu'il s'agit d'un enjeu de souveraineté nationale.
Le discours politique national nous est plutôt favorable concernant la production, la facilité de s'installer et la nécessité de donner à nos collègues la visibilité nécessaire pour entreprendre. Sans cette visibilité, il nous est impossible de convaincre un banquier de nous accompagner dans nos projets. Aujourd'hui, nous sommes suspendus à la délivrance d'une autorisation, qui devra d'ailleurs être renouvelée trois ans plus tard. Aujourd'hui, l'incertitude est clairement plus prononcée qu'il y a dix ou douze ans.
Je le redis : je ne pense pas que le problème soit d'ordre national, au-delà des progrès à réaliser dans nos relations avec la direction de l'eau. Un des soucis majeurs réside dans nos relations avec l'administration. Les préfets de la République, préfets de région et de département, ont besoin d'être sensibilisés à cette question puisque ce sont eux qui délivrent les autorisations. Il faut absolument qu'ils comprennent cette nécessité.
Il est invraisemblable et incroyable qu'un même dossier de pisciculture soit traité de manière si différente dans le Finistère ou dans la Gironde. Désormais, nous avons obtenu la présence d'un référent piscicole, la plupart du temps dépendant du préfet de région. Celui-ci doit faire en sorte que les différentes directions départementales traitent les dossiers d'une manière unique.
Il est également nécessaire de poursuivre le mouvement national de simplification. À ce titre, le rapport du Haut-commissaire au plan est particulièrement éclairant. Les messages doivent désormais être transmis dans les départements pour éclairer les préfets sur les enjeux. En outre, nous sommes trop souvent confrontés à des avis négatifs de certains des services qui les assistent, comme je l'ai indiqué plus tôt.
Si vous voulez améliorer la situation, il faut se persuader qu'il est possible de conjuguer agriculture et environnement, mais aussi que le message puisse être transmis à ceux qui prennent les décisions.
Monsieur Le Gal, vous avez évoqué la défiance qui s'est installée depuis Noël dernier pour la consommation des huîtres. Comment se portait la filière avant cet événement ? Les difficultés que vous avez évoquées sont-elles conjoncturelles ou structurelles ?
Il y a des précédents. Les premières fermetures en lien avec le norovirus ont eu lieu à Noël 2019. Ces épisodes de gastro-entérite interviennent toujours au mauvais moment de l'année, en hiver, à l'approche des fêtes, période durant laquelle nous commercialisons le plus d'huîtres.
L'activité économique connaît actuellement des moments difficiles, mais la crise de notre filière est principalement due aux problèmes sanitaires. Malheureusement, le coquillage est assimilé à la maladie par le grand public, ce qui n'est pas logique. Nous nous efforçons à chaque fois de faire œuvre de pédagogie, mais la tâche est ardue face aux raccourcis médiatiques.
De notre côté, nous travaillons pour améliorer la situation. Demain, j'irai à la rencontre de nos deux ministères de tutelle, pour pouvoir nous accorder sur des solutions claires. Il nous faut aboutir car le système actuel ne peut pas perdurer. La filière, qui était une filière d'excellence avant cet épisode de norovirus, souffre d'une crise de la consommation. En temps normal, nous arrivons à faire consommer nos produits en France et à les exporter. Nous sommes reconnus mondialement, notamment pour nos huîtres crues grâce au suivi sanitaire très rigoureux de la direction générale de l'alimentation (DGAL).
Nous devons améliorer le système pour ne plus subir de fermetures a posteriori, mais en anticipation. Les outils de purification et de mise en sécurité des produits existent, ils doivent être mis en place. Le fonds de transition et de souveraineté alimentaire est complètement opérationnel pour ce type de d'investissement.
La pêche à pied connaît les mêmes problématiques que la conchyliculture. Aujourd'hui, il est possible de mettre en place des systèmes de purification des coquillages et d'anticiper les fermetures. En revanche, les entreprises seules ne pourront pas supporter les coûts de purification.
Monsieur Le Nézet, lorsque je discute avec les pêcheurs, j'ai le sentiment que les problèmes qu'ils mentionnent sont bien plus vastes que ceux que vous avez évoqués. Ils me parlent notamment des quotas, que les gros bateaux rachètent ou des bateaux espagnols qui viennent pêcher sur nos côtes. Pouvez-vous nous donner des détails sur ces points ? Vous avez abordé la question de la Chine, qui pêche 40 % du poisson dans le monde : pouvez-vous éclaircir vos propos ? Pouvez-vous nous dire un mot également sur les éoliennes en mer, dont j'entends souvent parler ?
S'agissant des quotas, je rappellerai que la politique commune des pêches a été établie dans les années 1980, à l'époque les États membres étaient bien moins nombreux qu'aujourd'hui. La France avait obtenu une bonne part des quotas, qui sont aujourd'hui calculés selon le volume et la puissance de flotte. À l'époque, notre flottille était nettement plus importante. Comme je l'ai indiqué, nous avons perdu 60 % de nos bateaux en trente ans. Quand des plans de sortie de flotte interviennent, à l'image de celui qui a eu lieu pour le Brexit, nous perdons définitivement les quotas.
Les quotas sont également établis en fonction des avis scientifiques, lesquels sont revus tous les douze mois, à l'issue de négociations marathon entre différentes délégations. Un travail scientifique est produit en amont par des instituts comme le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM) ou l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER). Mais ces estimations sont en décalage avec ce que nous constatons en mer : la ressource est plus présente que ce qui est indiqué dans ces mêmes estimations, lesquelles ont deux ans de retard par rapport à nos observations. Les pêcheurs ne comprennent pas que leurs quotas diminuent de 40 % alors que la ressource est plus abondante.
Des organisations de producteurs ont été créées par l'Union européenne pour valoriser le marché et gérer les espèces sous quotas. Je précise que toutes les espèces ne sont pas sous quotas, à l'instar de la coquille Saint-Jacques ou du bar, qui relèvent du mécanisme de plafonds de capture, lesquels sont gérés par les États membres. J'ajoute que des procédures d'échanges de quotas interviennent également entre pays européens. Depuis le Brexit, nous assistons à une négociation à deux vitesses, sans oublier les accords avec la Norvège. Par exemple, le traité de la baie de Granville fait des îles anglo-normandes un pays tiers à cinq kilomètres de nos côtes. Aujourd'hui, la filière subit des chocs fulgurants, auxquels elle doit s'adapter. Parmi tous les secteurs, la pêche est certainement celui qui en subit le plus, qu'il s'agisse de la mondialisation ou du dérèglement climatique.
Vous avez mentionné les navires espagnols qui pêchent sur nos côtes. Je rappelle que la largeur maximale des eaux territoriales est fixée à douze miles marins et que la zone économique exclusive (ZEE) s'étend au total à 200 milles nautiques. Cette ZEE s'entend comme des eaux européennes, sous juridiction française. À partir du moment où il dispose de quotas dans la zone, n'importe quel navire européen peut pêcher. En revanche, la pêche dans les eaux françaises, proches du littoral, est réservée aux bateaux français. Mais certains navires battant pavillon français sont en réalité financés par des capitaux espagnols. Quand l'Espagne est entrée dans l'Europe, elle ne bénéficiait pas des quotas que la France avait obtenus à l'époque. De plus, ce pays n'a pas de plateau continental, lequel permet la présence d'espèces particulières.
La protection environnementale est légitime et la France répond déjà aux obligations communautaires et internationales : le ratio de 30 % d'aires marines protégées est déjà effectif en France. Nous allons même plus loin dans certaines zones, pour atteindre 57 % en Bretagne par exemple. Les professionnels ont d'ailleurs eux-mêmes proposé des zones de forte protection où ils s'interdisent d'aller, car ils connaissent mieux que quiconque l'existence d'écosystèmes marins vulnérables. Nous savons gérer la ressource. Par exemple, il n'y a jamais eu autant de thons rouges en Méditerranée, quand il y a vingt ans, on nous disait que l'espèce était en voie d'extinction. Il en va de même pour la coquille Saint-Jacques. Nous avons tellement bien géré l'espèce qu'en vingt ou trente ans, nous sommes passées de volumes artisanaux à des volumes industriels. Nous pouvons en être fiers. Malheureusement, l'OMC a estimé que l'appellation « noix de Saint-Jacques » peut s'étendre à la pétoncle en provenance du Chili, du Pérou, du Canada, ce qui conduit in fine à une concurrence déloyale.
Enfin, vous avez mentionné la question des parcs d'éoliennes, que je souhaite élargir à celle des énergies renouvelables dans leur ensemble. Elle implique l'existence d'une véritable planification et donc d'une concertation, laquelle fait malheureusement défaut aujourd'hui. La planification en mer n'est pas qu'énergétique, elle doit être également environnementale et halieutique. Il ne s'agit pas d'opposer les différents acteurs qui sont en réalité liés les uns aux autres ; il faut trouver les meilleures solutions possibles, permettant à chaque activité de se poursuivre. Les activités de pêche doivent pouvoir continuer dans les zones où sont implantées les installations consacrées aux énergies renouvelables.
La transition énergétique est nécessaire, comme l'est tout autant celle de notre flotte de pêche. À l'heure actuelle, la moyenne d'âge de la flotte est de trente ans en métropole et de soixante ans dans les départements d'outre-mer. Si nous ne trouvons pas le moyen que la Commission européenne autorise son renouvellement – non pas pour pêcher plus, mais pour pêcher et valoriser mieux –, nous manquerons encore une fois le virage de la continuité de nos activités d'exploitation de ressources halieutiques.
La Commission interdit les financements publics permettant de soutenir le renouvellement de flotte.
La Commission limite les puissances motrices mesurées en kilowatts et les capacités des navires. Un règlement européen plafonne ainsi par État membre la taille de la flotte.
Si nous voulons consommer moins de carburant, il faut cesser de construire des bateaux carrés ou rectangles. En effet, pour consommer moins, il faut moins de retenues d'eau. Les flottes de pêche européennes sont calculées en fonction de leur poids et de leur puissance motrice, et selon les volumes du navire et de leur puissance motrice. Or un chalutier a besoin de disposer d'une traction suffisante pour traîner un chalut de fond ou un chalut pélagique. En revanche, la transition décarbonée impliquera de disposer du volume.
Monsieur Berthommier, vous avez évoqué les difficultés administratives auxquelles vous êtes confrontés. Avez-vous dû déplorer un nombre conséquent de fermetures de fermes piscicoles lors de la dernière année ?
S'agissant de la pêche, tous les pêcheurs du Pays basque que je rencontre évoquent la problématique des quotas de pêche pluriannuels. Par ailleurs, notre collègue Jean-Pierre Pont nous fait régulièrement part des difficultés soulevées par les accords du Brexit pour les ports du nord de la France.
Je souhaite pour ma part revenir sur les fermetures que nous avons connues en raison de la protection des dauphins dans le golfe de Gascogne et qui concernent une zone allant de Lorient au Pays basque. Cette mesure porte notamment sur le mois de février, qui est le mois le plus rentable pour nos pêcheurs. Elle pourra être reconduite dans les années à venir, pour s'étaler finalement sur deux à trois mois de fermeture.
Les pêcheurs me disent qu'elle a entraîné un changement de comportement des consommateurs, qui se sont tournés vers des produits venant de l'étranger au détriment de la consommation de la production locale. Partagez-vous ce constat ?
Les pêcheurs n'ont pas pour objectif de pêcher des dauphins. Le plan d'action que nous avons co-construit avec mes homologues et qui concerne les régions Bretagne, Pays de la Loire et Nouvelle Aquitaine a été validé par la Commission européenne. Pour éviter les captures accidentelles, nous ne pourrons trouver des solutions que grâce à la technologie et la connaissance fine de notre milieu. Au mois de décembre, nous étions en ordre de marche pour répondre à ce plan d'action : le comité national des pêches, en lien avec les comités en région et les producteurs, avait équipé 380 navires en deux mois et demi, pour un montant de près de 20 millions d'euros d'argent public.
À la suite d'un recours en référé émanant de quatre associations, le Conseil d'État a mis à bas ce plan d'action en imposant une fermeture d'un mois lors des années 2024, 2025 et 2026. Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale des pêcheurs n'avaient été ainsi obligés de laisser leurs bateaux à quai. Les pêcheurs respectent le droit. Je suis pro-européen et je suis respectueux de la République, mais j'estime qu'une telle décision est dramatique sur le plan économique. La filière a perdu 40 % des volumes et ce sont surtout les bateaux de plus petite taille qui n'ont pas pu prendre la mer.
Nous avons besoin d'entreprises pour trouver des solutions technologiques. On nous dit qu'il faut tester de nouveaux dispositifs, alors même que le pic de captures accidentelles est passé. J'ajoute également que nous devrions tirer fierté de la présence des dauphins, car elle qui signifie que la ressource est disponible : les dauphins viennent dans ces zones parce qu'ils y trouvent à manger. Je rappelle qu'une autre décision communautaire avait déjà conduit au préalable à fermer la pêche à l'anchois pendant six ans, alors que la durée de vie de cette espèce est de trois ans. Ce faisant, nous avons détruit nos entreprises de transformation et nos emplois. Malheureusement, nous n'en avons pas tiré les leçons.
Trouvons les solutions qui permettent de continuer les activités. N'oublions pas qu'au-delà des pêcheurs, d'autres maillons de la chaîne ont été impactés, comme les criées, qui sont désormais menacées de déposer leur bilan, sans bénéficier d'aides. Comment pouvons-nous faire pour maintenir ce trait d'union entre le pêcheur qui vend sa pêche, la criée qui offre des services intermédiaires, et la filière aval ? Cette filière devrait certes être aidée – du moins je l'espère –, mais comment allons-nous agir en faveur des mareyeurs qui ont perdu 40 % de leurs produits du jour au lendemain ? Nous avons été prévenus le 22 décembre dernier de la mise en place en place du dispositif, alors que celui-ci débutait le 22 janvier 2024. Trouvez-vous cela humain ? Mettons-nous au travail pour trouver des solutions et ne pas reproduire de telles erreurs !
Monsieur le député, vous avez demandé si le nombre d'exploitations piscicoles avait diminué. La réponse est clairement négative : le nombre d'entreprises est resté à peu près stable. En revanche, l'enjeu porte sur l'attractivité de la filière et la conservation des emplois, voire la manière dont nous pouvons inverser la tendance.
Votre action pourrait être extrêmement utile à nos métiers dans deux domaines. Premièrement, il ne s'agit de ne plus opposer la production et la protection de l'environnement. Il doit être possible de parler d'agriculture en France sans systématiquement considérer que cette production sera néfaste à l'environnement. Il me semble que vous devez travailler sur cette question précise.
Deuxièmement, nos concitoyens demandent des produits français. Dans ces conditions, il faudrait à tout le moins travailler sur l'étiquetage, non seulement sur les étals, mais également à travers l'ensemble des réseaux de distribution et de restauration. Ce sujet relève de la compétence de la Commission, mais il me semble que vous pouvez malgré tout jouer un rôle.
Je vous confirme que lors de nos prochaines auditions, nous poserons ce type de questions, notamment à la grande distribution.
Monsieur Le Nézet, il serait important que vous expliquiez le nombre de bateaux que nous avons dû céder à la suite du Brexit, afin que nous puissions prendre la mesure de l'enjeu.
Je souhaiterais aussi que vous reveniez sur les aires marines protégées, qui constituent un moyen pour le Royaume-Uni de prendre des mesures protectionnistes. Quel est le régime des aires marines protégées en France ? Est-il possible d'y pêcher ? En quoi aboutissent-elles à une concurrence déloyale avec nos voisins britanniques ?
Enfin, vous avez évoqué la loi Egalim. Un cavalier législatif a été écarté, car dans sa première partie la loi aborde le partage de la valeur mais pas l'alimentation.
L'enjeu des labels de qualité et de proximité a déjà été relevé par ailleurs, de même que la commande publique dans les collèges, dans les lycées, et dans les hôpitaux. Ma dernière question concernera donc la conchyliculture. À votre connaissance, les acteurs de la filière ont-ils formulé des recours administratifs pour non-respect par les collectivités locales de leurs obligations en matière d'entretien des réseaux, notamment les réseaux d'évacuation des eaux usées ? Une telle action pourrait ouvrir la porte à une indemnisation par les assurances au titre d'une fermeture ou d'une non-exploitation des parcs, notamment en Bretagne.
Parmi les outils à notre disposition figure effectivement la possibilité d'exercer des recours devant les cours administratives d'appel. Ces recours prennent la forme de « référés expertise » : nous demandons aux juges de comprendre ce qui se passe sur le littoral, c'est-à-dire les raisons de ces pollutions. Un certain nombre de référés sont donc en cours, et deux sont achevés. Ils concernent les départements du Morbihan et de la Loire-Atlantique. Dans ces deux derniers cas, un expert indépendant a clairement relevé la responsabilité des collectivités territoriales dans des cas de débordement de stations d'épuration des réseaux, qui sont obsolètes, ou de mauvais fonctionnement des postes de relèvement.
Une fois cette expertise obtenue, chaque entreprise concernée s'en est emparée pour demander des indemnisations, dans le cadre d'une procédure civile à l'encontre des collectivités concernées. Ces procédures sont en cours. Le juge administratif a indiqué que l'instruction serait close le 8 mai prochain et nous espérons que nous obtiendrons gain de cause. Nous avons demandé que les intercommunalités concernées participent au règlement des coûts d'expertise et le juge administratif l'a accepté. En l'espèce, les frais d'expertise ont été divisés en trois : un tiers pour l'interprofession, un tiers pour l'agglomération de La Baule et un tiers pour l'exploitant Veolia. Ces procédures sont longues : elles ont été entamées en 2020.
Un autre type de procédure, que je connais peu, est en cours d'établissement dans le bassin d'Arcachon. Dans ce cas précis, le procureur s'est saisi du dossier au titre de sa compétence en matière environnementale.
Le dernier mode de procédure concerne celles qui peuvent être ouvertes en matière pénale. Mes collègues de différents secteurs ont ainsi déposé des plaintes au pénal.
Vous avez évoqué les conséquences du Brexit. Le plan d'accompagnement individuel (PAI) lié à l'accord post-Brexit s'est traduit par un plan de sortie de flotte. Malheureusement, nous n'avons pas pu utiliser une grande partie de la réserve d'ajustement, qui a été rendue à l'UE, à hauteur de 400 millions d'euros. Je regrette que l'État français n'ait pas su utiliser intégralement cette enveloppe. Le PAI a concerné quatre-vingt-dix navires, principalement des navires hauturiers à gros volumes. Il n'existe pas d'opposition entre la pêche artisanale et la pêche hauturière, qui se complètent. Quand les navires hauturiers disparaissent, les mises en marché diminuent et les produits ne sont plus valorisés.
Il existe également un PAI européen. Il faut être bien conscient que les Irlandais ou les Écossais commercialisent le poisson européen en France : ils demandent à nos criées de vendre leurs produits. De leur côté, nos entreprises de mareyage ont besoin de volume, dans la mesure où leurs excédents bruts d'exploitation sont faibles. Or quand les volumes chutent de 40 %, l'ensemble du modèle s'écroule. Du côté irlandais, soixante-quinze navires de quarante mètres ont disparu dans le cadre du PAI européen. Les conséquences ont été dramatiques, en termes d'approvisionnement. En cumulant les bateaux français et irlandais, cent soixante-dix navires de vingt-quatre à quarante mètres ont ainsi disparu. À l'époque, j'avais discuté avec Michel Barnier, qui était chargé de la négociation du côté européen. Connaissant nos amis d'outre-Manche, la véritable négociation a débuté lorsque l'accord a été signé, puisque le diable se niche dans les détails. Aujourd'hui, nous en payons le prix.
Nous n'avons pas perdu les quotas, mais, ces quotas concernent des navires qui évoluent souvent dans les zones ouest Irlande, sud Irlande, ouest Écosse. Ils ne peuvent donc pas être réattribués à des navires côtiers.
Enfin, une aire marine protégée n'implique pas une interdiction de pêche pleine et entière. Il faut d'abord observer les objectifs de cette aire marine protégée. Parfois, certains engins de pêche sont interdits dans certains écosystèmes marins vulnérables (EMV), au large du plateau continental du golfe de Gascogne, qui part du Portugal pour remonter jusqu'à l'Écosse. Je rappelle par ailleurs qu'un chalutier ne part pas pêcher dans les zones rocheuses ou les zones à coraux, qui risquent d'endommager son matériel.
J'entends souvent dire qu'une aire marine protégée permet de régler tous les problèmes, mais cela est erroné. Par exemple, une aire marine protégée ne permettra pas de lutter contre l'acidification des océans, qui provoque la mort des coraux. En revanche, différents outils peuvent être mis en place. Les pêcheurs n'ont pas attendu les aires marines protégées pour mettre en place des zones de cantonnement. Par exemple, il nous a fallu cinquante ans pour restaurer la langouste dans le golfe de Gascogne, mais nous y sommes parvenus. Ces zones ont été notamment établies après l'hiver 1963. L'excellence de notre savoir-faire est reconnue en Europe et dans le monde entier. Il est donc regrettable que les soutiens ne soient pas plus affirmés.
(Présidence de Mme Laurence Maillart-Méhaignerie.)
Monsieur Berthommier, la question de relation entre la production et la protection de l'environnement animera naturellement l'intégralité des travaux de notre commission d'enquête. Une des dispositions envisagées dans la loi d'orientation agricole vise à faire reconnaître l'agriculture comme étant « d'intérêt général majeur ». Cette disposition permettra-t-elle de rééquilibrer la situation selon vous ?
Les pêcheurs de ma circonscription m'ont également alerté des mesures prises dans le but de protéger les dauphins. Nous avons eu du mal à comprendre cette décision, d'autant plus que la ressource en dauphins est stable.
Monsieur Le Gal, vous avez indiqué respecter la décision du Conseil d'État, dont les arrêts nous obligent tous. Cependant, cette décision se fonde sur la loi, que nous, législateurs, sommes en mesure d'amender ou de modifier. Quelles suggestions pouvez-vous émettre à ce sujet ?
Je ne connais pas bien le principe de reconnaissance de l'agriculture comme « intérêt général majeur ». Je sais néanmoins que le Président de la République s'en est fait fortement l'écho lors du Salon de l'agriculture. En revanche, je ne peux qu'être d'accord avec l'idée d'ériger l'agriculture comme un principe essentiel, dans le but de nourrir la population et de privilégier la production.
Ensuite, un arbitre est toujours nécessaire et le bon sens des préfets doit être mis en valeur. De leur côté, les services de l'environnement doivent également prendre conscience de cette transformation. Enfin, la parole publique qui met parfois en avant une approche « en même temps » devra conduire des arbitrages et établir des choix clairs.
Nous étions tous les trois présents au Salon de l'agriculture et nous avons eu l'opportunité de discuter avec le Président de la République. Naturellement, nous nous réjouissons de cette annonce, dans la mesure où nous considérons faire partie du monde agricole. Mais nous ignorons si les produits maritimes halieutiques seront effectivement inclus dans ce périmètre. Nous devons procéder à des vérifications.
Il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures dans ce domaine. La notion d'« intérêt général majeur » se rapproche selon moi d'un autre concept, celui de « raison impérative d'intérêt public majeur », qui porte sur les fondamentaux de la protection d'un État démocratique : la défense, la sécurité des biens et des personnes, mais aussi l'énergie et le volet alimentation. Je l'ai dit dans mon introduction : au même titre qu'il existe des paysans de la terre, nous nous considérons comme les paysans de la mer. L'un et l'autre vont de pair, notre sort est inextricablement lié.
Selon moi, les produits maritimes halieutiques doivent être considérés comme relevant de l'intérêt général majeur. À ce titre, il me semble nécessaire d'introduire un peu de bon sens dans le déséquilibre que nous connaissons aujourd'hui. En effet, le bon sens prime avant toute autre chose, et il est souvent plus intéressant que tout texte législatif ou tout règlement de plusieurs centaines de pages. Le développement durable doit être envisagé comme un équilibre entre plusieurs dimensions, qu'elles soient économiques, sociales ou environnementales.
La préservation de l'environnement doit naturellement être au cœur de nos préoccupations, y compris quotidiennes. Mais n'adoptons pas de postures dogmatiques, soyons constructifs. Si cette protection se réalise uniquement de manière punitive, nous aurons échoué.
Le stock de cétacés est stable depuis les vingt dernières années, non seulement dans le golfe de Gascogne, mais aussi dans l'Atlantique nord-est. Il n'y avait pas d'urgence à procéder à des interdictions. À moyen et long terme, nous ne disposons pas de connaissances scientifiques suffisantes.
Ensuite, je suggère que l'État et la représentation nationale exigent une plus grande transparence de la part de l'observatoire Pelagis, association financée par de l'argent public à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros chaque année. Certains membres de cette association font passer le militantisme avant la rigueur scientifique et ne font plus preuve d'impartialité. Nous avons demandé plusieurs fois par écrit au ministre concerné de remettre les choses à plat. Malheureusement, cela n'est toujours pas le cas.
Je rappelle que l'expérimentation des différents dispositifs d'éloignement des dauphins constituait une mesure inédite, qu'aucun autre pays au monde n'aurait menée avec autant de navires, autant de scientifiques, dans le seul but de trouver des solutions. Aujourd'hui, la frustration, voire la colère des pêcheurs ne peuvent qu'être entendues. Ils ne peuvent pas être punis pour des captures accidentelles. Avant, ils étaient fiers de voir des dauphins, aujourd'hui ils en ont peur. Cela n'est pas acceptable.
Cette audition s'achève. Il me reste à vous remercier d'être venus jusqu'à l'Assemblée nationale. N'hésitez pas à nous transmettre tout élément utile qui pourrait être porté à la connaissance de la commission d'enquête et de ses membres.
Je souhaite vous répéter les propos que j'ai tenus au ministre : au-delà de l'audition de ce jour, nous sommes candidats à des rendez-vous réguliers de bilan.
La séance s'achève à vingt et une heures.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Anne-Laure Blin, M. Philippe Bolo, M. Benoît Bordat, M. Vincent Bru, M. Nicolas Forissier, M. Grégoire de Fournas, M. Charles Fournier, M. Jordan Guitton, M. Pascal Lavergne, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Stéphane Mazars, M. Serge Muller, M. Hubert Ott, M. Rémy Rebeyrotte, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Juliette Vilgrain