En premier lieu, je tiens à vous présenter les trois agences des Nations unies à Rome. La première, dans l'ordre chronologique de création, est la FAO, créée en 1945 et dont la vocation est essentiellement experte et normative. Elle a en effet pour mandat de produire une expertise de référence sur les questions alimentaires et agricoles, ainsi que des données statistiques et des normes de toute nature, certaines sous la forme de recommandations générales et d'autres sous la forme plus contraignante d'instruments juridiques internationaux. La FAO déploie également des activités d'assistance technique pour les gouvernements qui le demandent, pour la mise en œuvre de leurs politiques agricoles et alimentaires.
Le mandat de la FAO est vaste, l'agriculture étant entendue au sens large : les productions végétales, mais aussi l'élevage, les forêts et les pêches. En revanche, elle n'a pas de compétence générale en matière de commerce international des produits agricoles, laquelle relève de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Outre sa fonction normative, la FAO mène également, sur des financements volontaires, des activités de développement, d'urgence et de résilience dans des situations de crise.
Le Programme alimentaire mondial, créé en 1963, est quant à lui une organisation à vocation opérationnelle, dont l'action est principalement humanitaire. Plus grande agence humanitaire des Nations unies, il vise à porter assistance aux populations dans les situations d'urgence. Son volume d'activité a oscillé entre 9 et 14 milliards de dollars lors des années récentes, soit un volume désormais bien supérieur à celui des opérations de maintien de la paix de l'ONU.
L'action du PAM s'inscrit dans le nexus entre l'humanitaire et le développement : ses activités d'urgence s'accompagnent d'activités de stabilisation et de renforcement de la résistance alimentaire à plus long terme, notamment en sortie de crise. La PAM sert également de bras armé logistique des Nations unies et de la communauté humanitaire dans son ensemble, notamment dans plusieurs domaines clés comme le transport aérien ou le prépositionnement de matériels d'urgence et de télécommunications sur les théâtres de crise. Ce rôle de bras armé logistique des Nations unies constitue la reconnaissance du savoir-faire du PAM.
Pour sa part, le Fonds international de développement agricole, créé en 1979, exerce un mandat financier. Il s'agit d'une sorte de Banque mondiale de taille réduite, exclusivement centrée sur des petits exploitants et des populations rurales pauvres dans les pays en développement. Les ressources de base du fonds sont exclusivement destinées aux pays à revenus faibles ou intermédiaires de la tranche inférieure : concrètement, plus de 60 % des financements du FIDA sont orientés vers l'Afrique. Le FIDA est la seule organisation internationale qui soit à la fois une institution financière et une agence des Nations unies.
En deuxième lieu, je souhaite évoquer les termes dans lesquels se pose, dans les agences des Nations unies, le débat sur la souveraineté alimentaire. Pour la plupart des pays – peut-être tous –, les questions de sécurité alimentaire représentent véritablement des questions de sécurité nationale. Les exemples sont légion où des crises alimentaires graves, des émeutes de la faim, se traduisent finalement par des révoltes ou des révolutions.
De ce point de vue, l'objectif de réalisation d'une sécurité alimentaire universelle, l'éradication de la faim, qui est l'objectif de développement durable numéro deux dans l'Agenda 2030, est bien est loin d'être réalisé. Selon les données les plus récentes de la FAO, environ 735 millions de personnes souffrent aujourd'hui de la faim dans le monde, contre 613 millions en 2019, soit une augmentation de 122 millions de personnes en l'espace de seulement quatre ans.
Certes, les évolutions ne sont pas homogènes sur l'ensemble du globe. La faim a plutôt régressé en Asie et en Amérique latine, mais elle a en revanche continué à gagner du terrain en Asie de l'Ouest, dans les Caraïbes et, malheureusement, sur l'ensemble du continent africain, qui demeure la région la plus touchée puisqu'une personne sur cinq y souffre de la faim, soit le double de la moyenne mondiale.
Aujourd'hui un consensus international existe sur les principales causes de l'insécurité alimentaire. Il s'agit des conflits, des effets des changements climatiques et des conséquences persistantes, d'un point de vue socio-économique, de la pandémie de covid 19. Les bouleversements géopolitiques actuels et, au premier rang de ceux-ci, l'agression russe contre l'Ukraine, entraînent évidemment des répercussions majeures sur le terrain, sur l'activité des agences onusiennes qui ont leur siège à Rome et sur les débats qui s'y déroulent.
Je voudrais par ailleurs souligner deux points qui me semblent importants pour comprendre la teneur des débats internationaux qui ont lieu aux Nations unies sur les questions de sécurité alimentaire. Tout d'abord, ces débats sont aujourd'hui largement appréhendés à travers la notion, non pas d'agriculture, mais de système alimentaire. Le système alimentaire inclut non seulement les conditions de production, mais aussi de distribution, d'échanges – par exemple la question importante des pertes et gaspillages post-récoltes –, mais aussi la préservation des ressources à long terme et l'aval de la chaîne, notamment les habitudes de consommation.
Ensuite, ce débat sur la transformation des systèmes alimentaires est appréhendé sous l'angle des trois piliers du développement durable : la durabilité économique, la durabilité sociale et la durabilité environnementale. Même si des nuances ou des divergences peuvent s'exprimer, nul ne conteste aujourd'hui que ces trois objectifs sont interdépendants et qu'ils doivent être poursuivis simultanément. De ce point de vue, il s'agit d'un changement majeur par rapport au débat qui pouvait se poser il y a encore quelques décennies, au temps de la « révolution verte ». Cependant, pour de nombreux pays, l'impératif de production demeure central, particulièrement dans les pays en développement, dans un contexte où les projections prévoient une hausse continue de la demande de produits agricoles d'environ 1,1 % par an à l'horizon 2030.
En dernier lieu, je souhaite évoquer la position de l'Union européenne et de la France. En effet, les positions défendues par la France dans le champ qui correspond à la politique agricole commune (PAC) le sont au nom de l'Union européenne et ses États membres. Très concrètement, cela implique une mécanique assez sophistiquée d'élaboration des positions communes.
Le modèle européen et français, qui résulte de la PAC, du Pacte vert pour l'Europe et de son volet agricole, dit « de la ferme à l'assiette », exerce un attrait indéniable au niveau mondial. Certes, il porte bien des intérêts, notamment ceux des principales puissances agricoles exportatrices, mais il constitue aussi une référence pour de nombreux pays en développement, notamment africains. Pour ces pays, la transition agroécologique permet, pour le dire avec les mots d'un ancien ambassadeur du Sénégal qui était par ailleurs ex-ministre de l'agriculture, de « nourrir sans nous détruire ».
Dans la même veine, force est de constater l'intérêt réel que suscite chez nos partenaires le fait de désigner en France le ministre de l'agriculture comme étant aussi celui de la souveraineté alimentaire. Je crois en effet que cet intitulé correspond à une aspiration de plus en plus nette et de plus en plus large, accentuée sans doute avec la crise du covid et les effets de la guerre en Ukraine, en faveur d'une réduction de la dépendance aux importations de la part de nombreux pays, et d'un impératif de construction d'une autosuffisance alimentaire viable à long terme.
Quels instruments permettent de défendre et de promouvoir cette position ? Il s'agit avant tout de la régulation internationale par le droit. De ce point de vue, avec ses partenaires, la France promeut des accords, des traités. Je pense par exemple au traité sur les ressources phytogénétiques, à la convention internationale sur la protection des végétaux ou encore aux accords de lutte contre la pêche illicite. Il s'agit également de droit plus mou, c'est-à-dire des recommandations à caractère volontaire. Mais dans un cas comme dans l'autre, l'idée consiste bien, sous diverses formes, à viser une mise à niveau mondiale en matière de normes, afin d'assurer une production durable, une sorte de level playing field, comme on le dit en anglais.
Par ailleurs, il faut ajouter que la France, au-delà de l'appartenance à l'Union européenne, est, à titre national, un pays qui joint les actes à la parole en matière de sécurité alimentaire et de transition des systèmes alimentaires vers plus de durabilité, de résilience et de souveraineté. Je voudrais à titre de conclusion, prendre quelques exemples au travers d'initiatives menées par la France. Il s'agit notamment de l'initiative FARM (mission pour la résilience alimentaire et agricole) lancée par le Président de la République en réponse aux conséquences de l'agression russe, mais également la coalition mondiale pour l'alimentation scolaire, qui regroupe une centaine de pays, notamment africains. Enfin, la France est de manière générale un acteur très engagé en faveur de l'action des agences onusiennes à Rome : elle a multiplié par six ses contributions financières au PAM et se positionne en tant que deuxième pays contributeur aux ressources de base du FIDA, avec une contribution record de 150 millions d'euros.