La séance est ouverte.
La séance est ouverte à seize heures.
J'informe l'Assemblée que, le 8 mars 2024 à minuit, Mme Marie Guévenoux, M. Frédéric Valletoux, M. Guillaume Kasbarian et Mme Marina Ferrari, nommés membres du Gouvernement par décret du 8 février 2024, ont été remplacés respectivement par M. Éric Husson, Mme Juliette Vilgrain, Mme Véronique de Montchalin et M. Didier Padey, élus en même temps qu'eux à cet effet.
L'ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux (n° 2239).
La parole est à Mme Violette Spillebout, rapporteure de la commission mixte paritaire.
Samedi 17 février 2024, vers dix-sept heures trente, Jacques Montois, maire d'Hantay, petite commune de 1 200 habitants des Weppes, dans la métropole européenne de Lille, s'est fait agresser verbalement par un groupe d'individus du village alors qu'il était accompagné de son adjointe. Ces personnes l'ont insulté et ont proféré des menaces d'atteinte à ses biens, des menaces de mort contre lui et sa famille et des menaces de viol à l'encontre de son épouse. Qu'avait-il donc fait pour mériter cela ? Il prenait des photos d'arbres, avant une opération d'élagage, dans une rue calme, mais un groupe de squatteurs installés dans des bâtiments proches a considéré qu'il les dérangeait une nouvelle fois.
Tous les habitants du village, les élus locaux et les parlementaires que nous sommes ont réagi immédiatement et ont apporté, tout comme vous, madame la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, leur soutien à Jacques Montois, car rien n'est pire que la violence. Le maire a bien sûr porté plainte et il a eu très envie de démissionner, découragé devant l'immobilisme des pouvoirs publics face à l'occupation de logements par des squatteurs, situation connue de tout le village et pourrissant la vie des habitants.
Confrontés aux attaques physiques et verbales, beaucoup d'élus locaux s'épuisent, démissionnent et renoncent car ils ont le sentiment que leurs agresseurs jouissent d'une impunité. Ce renoncement, nous le combattons. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, vient de l'annoncer : sur son instruction, « ceux qui ont menacé gravement le maire de Hantay et sa famille viennent d'être expulsés de leurs logements sociaux par le préfet ». Chacun doit savoir que l'État fera preuve de fermeté contre toute personne ne respectant pas les règles élémentaires de notre pays.
C'est à cela que contribue la proposition de loi sur laquelle nous sommes appelés à voter : c'est un non au renoncement, un non au fatalisme, un non à l'impunité. C'est aussi un message fort qu'adressent les parlementaires aux élus locaux : « Nous reconnaissons votre action quotidienne, votre engagement, votre dévouement pour vos administrés. Nous sommes avec vous. »
Moins de six mois après sa première lecture au Sénat, c'est un texte essentiel pour la sécurité des élus locaux que nous vous présentons, après qu'il a fait l'objet d'un accord au sein de la commission mixte paritaire (CMP) en février. Nous allons vite, il le faut : il y a urgence. Dans la société civile comme au Parlement, nous sommes tous d'accord : soutenir les élus, ceux qui sont à portée de bises, mais aussi d'engueulade, c'est stimuler l'engagement de ceux qui sont les hussards de la République, c'est réparer notre démocratie partout en France.
Ce texte consensuel est très attendu dans chacune de nos circonscriptions. J'aurai ici, si vous me le permettez, une pensée pour Bernard Gérard, maire de la commune de Marcq-en-Barœul, située dans ma circonscription, et président de l'Association des maires du Nord, qui a récemment subi une attaque à son domicile. Je saisis aussi cette occasion pour saluer les associations d'élus, qui nous ont toutes fait part de propositions pour améliorer le texte.
Je tiens à saluer Sébastien Jumel, qui était rapporteur avec moi de la mission d'information sur le statut de l'élu local, laquelle portait plus spécifiquement sur les violences faites aux élus locaux et l'amélioration de leur statut. Il reconnaîtra quelques-unes de ses formules dans mon intervention et je sais qu'il ne m'en voudra pas pour ces emprunts. Nous n'avons pas terminé de travailler ensemble tant le sujet est riche et transpartisan. Il nous oblige à la complémentarité de points de vue au-delà des oppositions stériles. Le chemin législatif commun que nous avons entamé pour protéger les élus locaux a pour ambition de créer un choc d'attractivité pour les mandats de maires et d'élus locaux.
Avec cette proposition de loi, nous aggravons les sanctions encourues par les auteurs de violences, nous améliorons la prise en charge de ceux qui en sont victimes, nous renforçons la protection des candidats aux élections et nous facilitons les relations entre élus locaux et procureurs. Notre volonté est que les élus et leurs familles soient mieux protégés.
Je tiens à saluer le travail mené avec le Sénat, en particulier avec la rapporteure de la CMP, Mme Catherine Di Folco, que je remercie particulièrement. Nos positions étaient parfaitement alignées, exception faite de l'article 2 bis . Cet article procédait à un allongement de la durée de prescription des délits de presse que sont l'injure publique et la diffamation par des modifications apportées à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, sans pour autant atteindre l'objectif que nous nous étions fixé. Ces changements avaient même pour les journalistes de graves effets de bord que nous n'avions pas suffisamment mesurés. Sur ma proposition, la commission mixte paritaire a décidé de le supprimer.
Cependant, madame la ministre, il nous reste à combattre le phénomène que nous avons cherché à circonscrire : la haine et le harcèlement sur les réseaux sociaux, dont nos élus sont les principales victimes, exposés qu'ils sont à des particuliers pour la plupart anonymes. Retrait de contenus, bannissement, amendes forfaitaires : avec Sébastien Jumel et les élus de tous bords qui accompagnent nos travaux, je veux que nous trouvions de vraies solutions.
Nous avons encore de nombreux combats à mener. Ce texte ne constitue qu'une étape dans cette lutte et je tiens à remercier, outre François-Noël Buffet, président de la commission des lois du Sénat et auteur de la proposition de loi, l'ensemble des députés qui ont contribué à l'enrichir. Nous pouvons être particulièrement fiers du travail transpartisan que nous avons accompli ensemble.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Je voudrais commencer par remercier très sincèrement et solennellement l'Assemblée nationale et le Sénat de leurs contributions à la lutte contre les violences faites aux élus. Nous avons échangé ensemble à de multiples reprises et je ne peux qu'être ravie des conclusions positives de la commission mixte paritaire. Non seulement le Gouvernement est très favorable à la grande majorité des mesures du texte, mais il le considère comme une pierre angulaire de la lutte contre ces violences. La proposition de loi vient soutenir législativement le plan national de prévention et de lutte contre les violences aux élus.
Le phénomène des violences contre les élus est un fléau qui évolue en même que la société. S'en prendre à un élu, c'est s'en prendre à la République et il était important que nous arrivions à un consensus transpartisan pour le réaffirmer. Il y va de la préservation de notre modèle politique même. Il importe que la vie démocratique se déroule dans la sérénité et que la confrontation des opinions soit pacifiée. C'est le débat qui doit être au cœur de notre démocratie. L'état d'esprit dans lequel ce texte a été discuté au Sénat, puis à l'Assemblée nationale et enfin dans le cadre de la CMP, nous montre que c'est le cas, et nous ne pouvons que nous en féliciter.
La proposition de loi comporte des avancées législatives majeures, qui viendront compléter les mesures que nous avons déjà prises. À la suite des événements de Saint-Brévin, sous l'autorité de la Première ministre Élisabeth Borne et du ministre de l'intérieur et des outre-mer, j'ai annoncé le 17 mai 2023 différentes mesures destinées à mieux protéger les élus.
Le dispositif repose notamment sur la mise en œuvre d'un premier pack sécurité s'appuyant sur la création d'un réseau de plus de 3 400 référents « atteintes aux élus » dans toutes les brigades de gendarmerie et dans tous les commissariats afin de fournir aux élus un point de contact privilégié. Nous avons renforcé le dispositif Alarme élu, grâce auquel les élus bénéficieront de la vigilance renforcée des forces de l'ordre lorsqu'ils appelleront le 17.
Nous comptons également développer de nouvelles sessions de sensibilisation à la gestion des incivilités et à la désescalade de la violence à l'attention des élus. En outre, la mobilisation de la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements, Pharos, nous permettra de mieux détecter les violences en ligne et de les judiciariser. C'est ainsi que nous avons pu retirer les contenus postés par Papacito qui visaient un élu du Tarn-et-Garonne. Nous comptons, par ailleurs, amplifier la démarche d'« aller vers » des forces de l'ordre afin que les élus locaux soient en mesure de déposer une plainte quand ils le souhaitent, où ils le souhaitent.
J'ai également tenu à ce que soit mis en œuvre le principe « une menace égale une évaluation » : à partir des évaluations fines des menaces établies par les forces de sécurité intérieure, les préfets seront à même de décider d'éventuelles mesures de protection. Si vous le souhaitez, je vous donnerai davantage de détails sur cette démarche.
Ces mesures sont mises en œuvre par les policiers et les gendarmes et leur action est coordonnée au niveau national par le Centre d'analyse et de lutte contre les atteintes aux élus (Calae), dont j'ai décidé la création. Regroupant l'ensemble des services concernés – forces de sécurité intérieure, renseignement, ministère de la justice, direction générale des collectivités locales (DGCL) –, il vise notamment à mieux comprendre le phénomène et à examiner les situations individuelles sensibles afin de vérifier qu'au niveau déconcentré, des mesures adaptées sont déployées pour protéger les élus. Aucune situation problématique ne sera laissée de côté et chaque cas sera traité avec le plus d'humanité possible.
Nous devons également aller plus loin en matière de réponse pénale et judiciaire. Là encore, la proposition de loi, en alourdissant les sanctions, permet une avancée que nous appelions très clairement de nos vœux. Elle viendra compléter les mesures que nous avons prises récemment pour mobiliser les parquets. Dans une circulaire conjointe signée par le ministre de l'intérieur, le garde des sceaux et moi-même, adressée l'été dernier tant aux parquets qu'aux préfets, nous demandons aux procureurs de favoriser le traitement priorisé des procédures concernant les atteintes sur les élus, ainsi que la délivrance d'une réponse pénale systématique, ferme et rapide. Nous insistons sur le fait que la voie du déferrement doit être « privilégiée, au regard de la nature des faits et de la personnalité du mis en cause, afin de permettre le prononcé d'une mesure de sûreté destinée notamment à prévenir toute réitération à l'encontre de la victime ».
Nous observons d'ores et déjà une amélioration de la réponse pénale par rapport à l'année dernière. Si les personnes mises en cause sont toujours en grande majorité remises en liberté, nous constatons une augmentation des mesures répressives : le nombre des déférés a augmenté en 2023 tout comme le nombre de personnes faisant l'objet d'une convocation judiciaire, qui a crû de 8,5 %.
Plus largement, le plan national de prévention et de lutte contre les violences aux élus, que nous sommes en train de mettre à exécution, s'appuie pleinement sur votre proposition de loi. Il cherche à agir dans quatre directions : la protection physique des élus, l'accompagnement des élus victimes et de leurs familles, la réponse judiciaire, la fluidification des relations entre les maires et les parquets.
Nous avons lancé un dispositif d'aide et d'appui psychologique aux élus victimes de violences. Nous trouvons également de nouveaux moyens d'assurer la sécurité physique des élus, notamment en encourageant le déploiement de solutions de vidéosurveillance permettant d'identifier les auteurs de violences et de faire avancer rapidement les enquêtes. Ainsi, 5 millions d'euros ont été dédiés à des mesures de sécurisation ponctuelles allant de l'installation de dispositifs de surveillance à la remise d'un discret bouton d'appel.
Il est toutefois nécessaire de modifier la loi pour renforcer la protection fonctionnelle, pour améliorer sa prise en charge financière ou encore pour alourdir les sanctions pénales. Sur tous ces points, votre travail a été décisif. Étant donné le caractère essentiel de ces enjeux, je ne peux que me féliciter, comme Mme la rapporteure, que nous arrivions à travailler de façon apaisée et consensuelle.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem. – Mme la rapporteure applaudit également.
Les élus locaux font face, toujours avec dignité et courage, à une hausse inquiétante des actes violents. Ce qui se limitait par le passé à des incivilités passagères est devenu un phénomène de violences et d'agressions quotidiennes. Dans cette situation, notre premier réflexe en tant que parlementaires est bien sûr de soutenir ces élus. Aujourd'hui, je suis fière de pouvoir leur apporter bien plus qu'un simple soutien : des mesures fortes et concrètes de protection et de sécurité.
Il est malheureusement devenu banal de donner des chiffres pour illustrer ce phénomène, mais je tiens à rappeler qu'en 2023, près de 2 400 actes violents ont été commis à l'encontre des élus. La moindre de ces atteintes est pourtant inacceptable, car lorsqu'un élu est attaqué, c'est notre démocratie qui est ciblée et le lien entre représentant et citoyen qui est affaibli.
Certes, la proposition de loi ne résoudra pas toutes les difficultés auxquelles sont confrontés les élus, mais je sais déjà qu'elle sera complétée par une future loi sur le statut de l'élu local. En attendant, elle apporte à ces violences des réponses indispensables très attendues sur le terrain, en particulier par les maires. En effet, c'est là un paradoxe cruel de notre vie démocratique : les maires, qui sont pourtant les élus jouissant de la plus grande popularité auprès des Français, sont aussi les élus les plus touchés par ces agressions ! Ce phénomène a de graves conséquences sur la vie locale, et l'État comme le système judiciaire doivent se montrer à la hauteur.
Le texte permet des avancées significatives comme la hausse du quantum de la peine encourue en cas de violences contre un élu, porté à sept ans de prison et à 100 000 euros d'amende. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires ne peut qu'espérer que les juges se saisiront pleinement de ces mesures. Je salue également les avancées en matière de protection des anciens élus, car la République ne doit jamais abandonner ou oublier ses représentants.
Je tiens à aborder un point sensible qui a fait débat bien au-delà des murs de notre hémicycle. Vous l'avez rappelé, madame la rapporteure, la commission mixte paritaire a fait le choix rare de supprimer un article, l'article 2 bis, qui avait pourtant été adopté tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Si l'article 2 bis était si controversé, c'est parce qu'il visait à modifier la grande loi de 1881 sur la liberté de la presse pour porter de trois mois à un an le délai de prescription en cas d'injure ou de diffamation contre un élu. Nous nous accordons tous, je crois, à dire que l'objectif de l'article était louable ; il s'agissait d'éviter que la brièveté du délai ne prive les élus de leur droit de porter plainte face à de telles attaques publiques. Cependant, notre groupe salue le choix sage et courageux de supprimer l'article 2 bis : le texte doit certes renforcer la protection des élus, mais aussi rétablir la confiance qui les lie à nos concitoyens. Or cette mesure, perçue comme un privilège, adoptée sans étude d'impact et sans concertation, aurait entaché la proposition de loi.
J'en viens à la protection fonctionnelle sur laquelle se sont concentrés, avec raison, beaucoup de nos échanges. Alors qu'il s'agit d'un dispositif clé, il restait faillible et surtout trop complexe à activer. Le texte permettra enfin d'octroyer automatiquement la protection fonctionnelle dans certains cas, notamment en cas de violences contre un maire ou ses adjoints. Notre groupe a grandement contribué à ce débat : nous avons fait adopter un amendement tendant à inscrire comme obligatoires les dépenses liées à la protection fonctionnelle. Je salue le choix de la CMP d'étendre cette mesure aux régions et aux départements.
Malgré les nombreuses avancées que j'ai soulignées, il reste une proposition qui n'a pas pu aboutir. Comme chacun ici, j'estime qu'il faut aller plus loin et ouvrir la protection fonctionnelle à l'ensemble des élus locaux. Soyons réalistes : les individus qui attaquent les élus ne vérifient pas s'ils exercent ou non des fonctions exécutives. Il faut donc concrétiser cette mesure dans les prochains mois en l'inscrivant dans la loi à venir sur le statut de l'élu local.
Notre groupe votera résolument pour le texte et espère qu'il sera, cette fois, adopté à l'unanimité.
Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT, RE et Dem. – Mme la rapporteure applaudit également.
Le nombre d'atteintes aux élus observées en 2023 s'élève à 2 600, soit près de 15 % de plus qu'en 2022. Loin d'être anodin, ce chiffre témoigne d'une réalité propre à notre époque. Auditionné dans le cadre de la mission d'information sur l'activisme violent, dont j'étais corapporteur, l'historien Jean Garrigues constatait qu'aucune époque n'avait été autant caractérisée par la violence contre les élus que la nôtre, à l'exception de la Révolution française et de la Commune de Paris.
Cette violence prend plusieurs formes telles que la dégradation de locaux, les menaces envers l'élu ou envers des membres de sa famille, l'agression physique ou encore l'attaque contre le domicile. Aurait-on cru possible, il y a encore quelques années, que le domicile d'un maire soit incendié comme le fut celui de Yannick Morez, maire de Saint-Brevin-les-Pins ? Aurait-on cru possible que le domicile de Vincent Jeanbrun, maire de l'Haÿ-les-Roses, soit attaqué à la voiture bélier ?
Ces attaques de grande ampleur s'ajoutent aux agressions quotidiennes contre les élus, hélas parfois invisibles pour nos concitoyens.
Les causes de cette violence sont multiples – la défiance se nourrit de la radicalisation, du désaccord idéologique ou de la montée du ressentiment –, mais rien n'autorise jamais un citoyen à s'en prendre à un élu et, à travers lui, à notre contrat social républicain. Car lorsqu'on s'attaque à un élu, on s'attaque à bien plus qu'à une personne occupant de telles fonctions : on s'en prend à notre République en lui faisant subir des assauts dévastateurs qui affaiblissent les fondations mêmes de la démocratie.
La République s'appuie sur des symboles forts ; voir nos concitoyens s'en prendre à ces symboles devrait tous nous pousser à nous interroger. Au-delà du déni de démocratie, car les élus ont été désignés pour représenter les Français à l'échelle nationale ou locale, c'est avant tout la volonté d'intimidation et la croyance en la loi du plus fort qui semblent guider les auteurs de ces troubles. Leurs actes témoignent de leur souhait d'annihiler les principes de notre société – le débat contradictoire, la tolérance –, voire les principes de la civilisation qui fondent notre République.
Il s'agit pour nous d'assurer la sécurité élémentaire de tous nos élus, mais aussi de remédier au désintérêt croissant pour le mandat électif et à la perte de vocation. L'enjeu est important : il y va de la possibilité pour nos concitoyens de choisir librement leurs représentants, dans le cadre d'un débat démocratique sain et apaisé. Ainsi, nous devons nous montrer implacables face à ces violences, car la République ne doit jamais être aussi forte que lorsqu'elle est attaquée en son cœur.
Condamner l'inacceptable, combattre pour nos principes et promouvoir une certaine conception du débat public, c'est ce qui nous a guidés lors de l'examen de la proposition de loi. La commission mixte paritaire, en s'accordant sur un texte commun, ne s'y est pas trompée. Le texte alourdira les peines encourues lorsque les élus sont pris pour cible et y intégrera une dimension civique forte en promouvant les peines de travaux d'intérêt général, une mesure à laquelle le groupe Renaissance a grandement contribué.
Il s'agit aussi de mieux protéger les élus victimes de violences grâce à un profond remaniement de la protection fonctionnelle dont ils peuvent bénéficier. La République se tiendra toujours à leurs côtés face à la violence. Les élus ne sont pas au-dessus de la loi, mais le principe d'égalité devant la loi s'applique à eux comme à tous nos concitoyens – pas plus, pas moins.
Je tiens à réaffirmer mon profond respect pour tous les élus qui, dans l'ensemble du territoire, continuent de servir la République avec courage. Je souhaite également, madame la rapporteure, saluer votre travail et votre détermination.
Ne nous habituons jamais à ces violences. Jamais aucune violence ne sera acceptable dans notre République. C'est notre responsabilité et notre devoir de législateur de le rappeler. C'est la raison pour laquelle le groupe Renaissance votera pour la proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem, HOR et LIOT. – Mme la rapporteure applaudit également.
Cette proposition de loi issue d'un travail commun des deux chambres est le révélateur d'un ensauvagement de la société et d'un affaiblissement de l'État que le Rassemblement national dénonce depuis longtemps. Nous déplorons du reste que nos propositions pour lutter efficacement contre ces fléaux – durcissement des peines pour les actes de violence physique, présomption de légitime défense pour les forces de l'ordre, peines planchers, etc. – soient systématiquement rejetées.
Six actes de violence par jour sont commis contre les élus ; j'ai, en cet instant, une pensée pour chacun d'entre eux. L'un de ces élus – il se reconnaîtra – a connu le pire : des criminels, car c'est ainsi qu'il faut les appeler, ont incendié son domicile, provoquant la terreur de sa famille, blessant son épouse qui s'enfuyait, traumatisant les enfants, marqués pour de nombreuses années.
Atteints jusque dans leur vie privée et dans leur cercle familial, les maires démissionnent en cascade : on recense désormais 40 démissions par mois, contre 30 par mois entre 2014 et 2020, et on note une crise de l'engagement. Ainsi, 55 % des maires envisagent de ne pas se représenter en 2026. Le rapport d'information sénatorial rendu en 2019 par Philippe Bas, selon lequel 92 % des élus avaient déjà subi des incivilités, des injures, des menaces ou des agressions physiques, conjugué à l'aggravation des violences, a sans doute été l'un des moteurs de cette proposition de loi. Les chiffres du ministère de l'intérieur et des outre-mer sont alarmants : en 2023, ils enregistrent une hausse de 15 % des atteintes aux élus par rapport à 2022. Dans ce contexte, il était plus qu'urgent d'agir !
Bien sûr, le texte aurait pu viser d'autres victimes que les seuls élus. Son champ d'application aurait pu être plus étendu et englober les violences faites à tous les représentants de l'autorité de l'État et à ceux qui les accompagnent quotidiennement, collaborateurs compris. Laissez-moi vous citer l'exemple du petit village de Chambry, dans ma circonscription, où le maire, entouré d'une partie de son équipe municipale, a été agressé dans sa mairie par un administré, qui, vociférant et passant en force, lui a asséné un violent coup de poing au visage au motif que la nettoyeuse qui arrosait la rue passait trop près de sa maison. On le voit, la protection de l'entourage du maire aurait pu être utile dans ce cas. Monsieur Dominique Delahaye, je profite de cette tribune pour saluer votre courage et votre sang-froid, ainsi que ceux de tous les maires de France.
Cette proposition de loi va dans le bon sens, mais reste insuffisante. On regrette que le texte n'aille pas aussi loin que ce qui était attendu. Ainsi, vous avez écarté l'amendement prévoyant la remise par le Gouvernement d'un rapport sur les agressions commises contre les élus : il nous aurait éclairés de manière détaillée. Laxisme oblige, comme dans d'autres domaines pour lesquels cette disposition serait pourtant indispensable si vous vouliez réellement agir contre l'insécurité, vous avez refusé de créer des peines planchers. Vous n'avez pas non plus voulu engager une réflexion sur l'attribution automatique de la protection fonctionnelle à tous les élus, y compris aux élus des oppositions, qui sont les plus fragiles. Enfin, vous avez refusé que la totalité des articles de la proposition de loi entrent en vigueur dès sa promulgation, alors qu'il est urgent d'agir et que les élections municipales approchent à grands pas.
Malgré tout, ce texte présente plusieurs mérites. D'abord, les parlementaires pourront siéger dans les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) et les conseils intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CISPD). C'est une victoire puisque les amendements en ce sens ont été adoptés grâce aux voix du groupe RN, contre l'avis du Gouvernement. Ensuite, l'examen du texte a confirmé ce que nous savions déjà, à savoir que les élus du groupe La France insoumise entendent protéger avant tout les agresseurs des élus en votant contre des mesures de bon sens. À chaque fois, nous l'avons constaté, ils ont refusé de voter les durcissements de peine et les créations de peines complémentaires. Quant à la Macronie, elle s'en tient, comme d'habitude, à des mesurettes. Comme tous vos textes, cette proposition de loi manque de courage et de volontarisme.
Néanmoins, les deux chambres se sont entendues, de sorte que la commission mixte paritaire a été conclusive. En outre, comme je l'ai dit, bien qu'elle soit insuffisante, cette proposition de loi constitue tout de même une avancée. Les élus locaux, qui sont plus de 500 000 dans notre pays, méritent qu'on les soutienne. Ils sont les relais des lois votées à l'Assemblée et les détenteurs d'une parcelle de puissance publique, car, en vertu de l'article 16 du code de procédure pénale, les maires ont la qualité d'officier de police judiciaire. Si utiles à la société, ils sont les rouages et les fondements de nos institutions : il faut donc les préserver et mieux les protéger.
C'est la raison pour laquelle nous voterons pour la proposition de loi.
Quel est le point commun entre le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes, la proposition de loi visant à renforcer la réponse pénale contre les infractions à caractère raciste, antisémite ou discriminatoire, la proposition de loi créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière et la proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux ? Tous ces textes obéissent au même principe : l'inflation pénale par l'alourdissement des peines. Le fond des questions n'est jamais traité.
Mes amis maires, je vous le dis, cette proposition de loi ne renforcera pas votre sécurité, pas plus qu'elle n'entraînera une baisse des violences.
M. Gabriel Amard applaudit.
Rien dans ce texte ne permet de combattre les mots et les gestes brutaux dont nous voulons tous qu'ils soient condamnés.
Écoutons justement les maires. Martial Foucault, qui a dirigé le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), a expliqué, après avoir réalisé une enquête auprès de 8 000 maires, qu'ils « demandent plus de protection, sans […] demander un cadre répressif plus grand. » Je trouve ces maires plus responsables que bien des députés !
Tournons-nous vers le maire d'Hantay que Mme la rapporteure a évoqué, Jacques Montois, qui a été agressé et harcelé. Témoignant au micro de France Culture, il a expliqué qu'il pensait jeter l'éponge et il a commenté la proposition de loi que nous examinons : « Je pense qu'il faut s'interroger aussi et surtout sur les raisons pour lesquelles on en arrive à une situation comme celle-ci. On est dans le curatif, en fait. Je pense qu'il faut avoir aussi une vision préventive, c'est-à-dire anticiper. » Malheureusement, monsieur le maire, rien dans ce texte ne répond à votre attente en matière de prévention.
Un autre grand défenseur de la liberté et de la République doit être convoqué ici. En 2011, Robert Badinter affirmait que personne ne pensait sérieusement dans les années 1980 qu'avec des lois plus sévères, on dissuaderait davantage les délinquants et les criminels de passer à l'acte. Selon lui, il était absurde de penser que les malfrats allaient vérifier dans le code pénal si les peines qu'ils risquaient avaient augmenté de deux ou cinq ans. Il estimait que réclamer des peines plus sévères ne servait à rien, sauf à faire la démagogie pénale, et que lutter contre cette surenchère, c'était se risquer à l'impopularité.
Que l'on interroge un grand homme, 8 000 maires ou un maire agressé, tous les avis convergent : le travail parlementaire ne sert à rien s'il ne s'attaque pas aux causes.
Le groupe La France insoumise se risquera donc à l'impopularité. Nous ne voterons pas contre un CLSPD mieux défini ou une meilleure protection fonctionnelle, mais nous ne validerons pas le principe de ne jamais traiter le fond du problème, en l'occurrence les atteintes à l'intégrité des élus locaux et à leur famille, et donc les atteintes à la République.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Je m'adresse à la partie de l'hémicycle qui n'a jamais considéré Robert Badinter comme laxiste. Vous allez voter pour ce texte. Pourtant, avec nous, vous avez goûté un peu l'impopularité en supprimant, en CMP, l'article 2 bis qui modifiait la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Ce retrait bienvenu confirme la position de La France insoumise.
Vous avez justifié cet heureux retour à la raison par des arguments de fond. Vous qui n'avez jamais considéré Robert Badinter comme laxiste, pourquoi acceptez-vous si facilement ce texte qui impose l'idée que nous ne serions pas suffisamment sévères alors qu'en réalité nous ne sommes pas suffisamment réactifs, faute d'accorder des moyens suffisants à la justice ? Alors que le budget du ministère sera une fois de plus ponctionné dans le cadre du plan d'austérité annoncé par le Gouvernement en vue d'effectuer 10 milliards d'euros d'économies, pensez-vous réellement que l'alourdissement des peines soit utile ?
Vous qui n'avez jamais considéré Robert Badinter comme laxiste, pourquoi acceptez-vous si facilement que, face au recul de la démocratie de proximité, rien dans le texte n'évoque le renforcement des moyens d'agir donnés aux élus locaux ? Croyez-vous réellement utile d'aggraver les peines ?
Vous qui n'avez jamais considéré Robert Badinter comme laxiste, pourquoi céder au dada de la droite qui, depuis Alain Peyrefitte, inspirée par Ronald Reagan, adopte une attitude de shérif ? Croyez-vous réellement utile d'aggraver les peines ?
C'est le recul de l'État qui expose les élus aux baffes, car il creuse un fossé entre les citoyens et les élus. Arrêtons de dépouiller les communes de leur autonomie financière et fiscale et donnons-leur le pouvoir d'agir.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Alain David applaudit également.
La République est aimée quand elle accroît la justice, le bien-être social, la liberté, l'égalité et la fraternité. Collègues, à l'avenir, notamment lors de l'examen de la proposition de loi portant création d'un statut de l'élu local, travaillons sérieusement à résoudre les problèmes de notre pays et arrêtons les effets de manche médiatiques. En adoptant des textes qui n'ont pas d'effet, nous augmentons le ressentiment et la colère contre la République. En soutenant cette proposition de loi, vous nourrirez la machine que nous combattons tous.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Permettez-moi tout d'abord de saluer l'excellent travail de la rapporteure Violette Spillebout, ainsi que celui de la sénatrice Catherine Di Folco et du président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale du Sénat, M. François-Noël Buffet, à l'origine de la proposition de loi. Ce texte contient des mesures attendues depuis de longues années. Pour tous les maires de la République, pour tous les conseillers municipaux sans qui rien ne serait possible, je suis fière de porter aujourd'hui la voix du groupe Horizons et de défendre ce texte.
Chaque année, 450 maires rendent leur écharpe tricolore. C'est le signe du profond malaise qui s'est installé depuis quelque temps dans nos territoires. Les élus locaux, par leur proximité et leur engagement, se trouvent souvent en première ligne face à la colère et aux incivilités. Comme le dit souvent le président du Sénat, ils sont « à portée d'engueulade » – d'autres disent « à portée de baffes ». Malheureusement, ils sont aussi à portée de coups, si ce n'est pire. Attaquer un élu est un acte d'une gravité extrême, car c'est, si j'ose dire, attaquer la République dans sa chair.
Nombreux sont les députés qui ont été maires ou conseillers municipaux – certains le sont encore – et qui ont vécu ces moments de solitude ou de violence. Madame la ministre, vous connaissez l'ampleur des tensions sociales, des incivilités et des agressions auxquelles les maires et leurs familles sont hélas exposés. Ces difficultés peuvent mener au pire, comme le tragique décès de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes, ou pousser à la décision la plus difficile lorsqu'on est un élu engagé, celle de démissionner. Si le constat de cette réalité est partagé depuis quatre ans, elle est malheureusement plus que jamais d'actualité. Qui, dans ces conditions, voudra encore s'engager, au risque de sa sécurité et de celle de sa famille, en 2026 et après ?
La proposition de loi s'inscrit dans la continuité du plan national de prévention et de lutte contre les violences aux élus et complète d'autres initiatives telles que le renforcement des moyens de la justice et la mobilisation des forces de sécurité. Nous avons lu avec consternation les chiffres publiés par le ministère de l'intérieur et des outre-mer : les plaintes ont augmenté de 32 % en 2022 et de 15 % en 2023. Il faut être réaliste : face à un tel constat, toute mesure susceptible de protéger nos élus et nos territoires est non seulement bienvenue, mais nécessaire.
La commission mixte paritaire s'est réunie le 27 février dernier. Je me félicite de l'accord qui a été trouvé. Le texte qui nous est présenté est le fruit d'un travail collectif et d'une volonté commune de garantir aux élus la sécurité qu'ils méritent, à travers deux objectifs : renforcer les sanctions encourues par les auteurs d'agressions contre des élus et mieux accompagner les victimes. Avec ce texte, nous renforçons la prise en charge des frais médicaux et l'accompagnement psychologique des victimes. Nous rendons automatique l'octroi de la protection fonctionnelle ; cette mesure était très attendue par les maires, ainsi que par les présidents de département ou de région. Nous instaurons une peine de travail d'intérêt général en cas d'injures publiques à l'encontre de personnes dépositaires de l'autorité publique ou de certains élus, ainsi qu'une circonstance aggravante en cas de harcèlement. Nous garantissons un accès aux assurances pour les locaux politiques.
Le groupe Horizons et apparentés avait émis deux réserves lors du vote de la proposition de loi à l'Assemblée nationale. D'une part, nous n'étions pas favorables à l'allongement du délai de prescription en cas de diffamation pour les seuls élus. D'autre part, nous avions indiqué qu'il ne nous semblait pas pertinent que les parlementaires soient membres de droit des CLSPD. Ces derniers doivent demeurer des espaces de dialogue fluide entre les maires et le procureur, notamment. Ils offrent un cadre local et pratique pour la coordination de la politique de sécurité ; or la présence des parlementaires leur aurait donné une dimension nationale et risquait de les transformer en espaces politiques.
En votant pour cette proposition de loi, nous envoyons un message clair aux maires et aux conseillers municipaux, qui sont les garants du respect de nos lois et de nos valeurs, un message d'unité, de force et de détermination, afin qu'à travers cette protection particulière dévolue aux maires, la République française et notre modèle démocratique continuent à s'épanouir à l'abri de la haine, du séparatisme et de toute forme de violence.
Dans l'ADN du groupe Horizons est inscrite sa proximité très forte avec les élus locaux. Nous sommes à leurs côtés et nous resterons à leur service. Cette proposition de loi est indispensable à l'édifice de la protection des élus. Il est de notre responsabilité collective de la voter à l'unanimité, même si j'ai bien compris que c'était, hélas, un vœu pieu.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.
Nous avons tous été élus pour porter la voix de nos concitoyens. Nous avons accepté cette vocation républicaine et nous avons choisi d'être les représentants du peuple. Malheureusement, nous avons aussi, toutes et tous, été confrontés à la virulence de certains individus, aux attaques physiques ou sur les réseaux sociaux, à des menaces, à des dégradations de notre domicile ou de notre permanence parlementaire. Alors que l'élu local, en particulier le maire, est l'élu préféré des Français, il est aussi le plus proche des colères et de la violence.
C'est pourquoi le Gouvernement s'est saisi du sujet dès 2017, notamment à travers la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, qui a instauré une protection fonctionnelle pour tous les maires en créant l'obligation pour les communes de souscrire à une assurance dans ce domaine. La loi du 24 janvier 2023 permet, quant à elle, aux assemblées d'élus et aux différentes associations d'élus de se constituer partie civile.
À l'écoute des élus de ma circonscription, j'ai constaté à quel point la parole des maires a besoin de se libérer et à quel point parler est difficile, notamment par peur des représailles. Madame la ministre, vous avez entendu ces témoignages lors de votre déplacement en Isère : vous avez constaté, comme moi, combien les élus sont dignes et courageux.
Nous avons tous conscience de la réalité de ces violences et de ce que nos élus vivent au quotidien. La réponse doit être ferme. En 2022, le ministère de l'intérieur a recensé 2 265 plaintes ou signalements pour des faits de violence verbale ou physique à l'encontre des élus, soit 32 % de plus que l'année précédente. La proposition de loi issue du Sénat répond donc à un réel besoin. Nous devons nous tenir aux côtés des élus pour les aider, les soutenir et les défendre avec les leviers à notre disposition, tels l'aggravation des peines en cas de violences contre les élus, prévue par la proposition de loi. Nous améliorons aussi la protection fonctionnelle, en proposant des mesures pour compléter ce volet à la fois répressif et protecteur.
Nous avons un devoir commun : celui de défendre nos élus locaux – ceux d'aujourd'hui comme ceux de demain. Comme cela a été évoqué, il importe de rassurer les futurs candidats, grâce à une réponse concrète et efficace, susceptible de lever les freins à l'engagement. Avec d'autres propositions de loi, ce texte et les mesures proposées par Violette Spillebout et Sébastien Jumel permettront un choc d'attractivité.
Sur le terrain, toutefois, certaines violences restent en zone grise. Je vous parle des agressions verbales visant des chefs de chantier mandatés par la commune, de la surveillance des domiciles du maire, des adjoints municipaux et de leur famille, de la pression exercée sur les agents afin de freiner l'action communale, et, enfin, des nombreuses procédures intentées contre toutes les décisions de la commune.
Le caractère systématique de ces procédures en fait un point de pression psychologique. Ces actions exercées volontairement sur nos élus, à la limite de la légalité, malheureusement vécues quotidiennement, banalisent les violences et les incivilités. Un élu peut être victime d'une agression physique à la sortie d'un conseil municipal ; il peut aussi être harcelé ou systématiquement dénigré sur les réseaux sociaux, comme l'a évoqué la rapporteure. Face à la proximité de cette violence, ce texte est un premier élément de réponse à destination des élus. Je me félicite de l'accord trouvé avec nos collègues sénateurs ; il démontre que les parlementaires et le Gouvernement sont à l'œuvre pour protéger les élus locaux. Protéger nos élus, c'est protéger la démocratie. Refusons la banalisation de la violence.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, RE et HOR. – Mme la rapporteure et Mme la ministre déléguée applaudissent également.
Nous en avons longuement débattu en première lecture et nous abordons régulièrement le sujet au sein de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée : l'engagement public local est en crise. Il s'agit d'abord d'une crise de la démocratie et de la représentation, qui se traduit par la réduction constante de la participation électorale, mais ce phénomène dépasse les élections locales. Ensuite, il s'agit d'une crise des vocations, qui pose des défis considérables, pour le présent comme pour l'avenir. Il n'y a jamais eu autant de démissions d'élus – en particulier de maires – que depuis 2020. Je pense aussi aux 106 communes qui, en 2020, ne comptaient aucun candidat aux élections municipales au soir du premier tour, ainsi qu'aux 323 conseils municipaux incomplets.
Si le Gouvernement est resté en retrait sur cette question – il est dans la réaction et traite principalement les collectivités à travers le prisme des fichiers Excel de Bercy –, le Parlement s'en est pleinement emparé.
M. Raphaël Schellenberger s'exclame.
Depuis le début de cette législature, comme nos collègues sénateurs, nous travaillons – en particulier au sein de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation – à apporter une réponse globale à cette crise des vocations.
Cette réponse passe par la mise en œuvre, longtemps attendue, d'un véritable statut des élus locaux. Une proposition de loi issue des travaux de la délégation vient d'être déposée à la présidence de notre assemblée ; de son côté, le Sénat vient d'adopter, à l'unanimité, sa propre proposition sur le sujet. J'espère que nous pourrons débattre rapidement de l'un ou l'autre de ces textes au sein de notre hémicycle.
En attendant, nous avons travaillé à un texte visant à mieux protéger les élus locaux contre les atteintes dont ils sont victimes, de manière croissante, dans notre pays. Je devrais parler plutôt des maires et des élus avec délégation. En effet, et c'est le principal regret de mon groupe, le Sénat a commis une erreur en n'intégrant pas les conseillers municipaux sans délégation dans plusieurs dispositifs, en particulier celui de la protection fonctionnelle.
Je l'ai dit en première lecture : ceux qui souhaitent s'en prendre à un élu en raison de ce qu'il représente ou de ses choix ne se posent pas la question de l'ordre du tableau du conseil municipal ou des arrêtés de délégation. Avec la nouvelle rédaction du texte, les parents d'un ancien adjoint au maire sont mieux protégés qu'un conseiller municipal sans délégation en exercice. Certes, nous avons renforcé la protection fonctionnelle, mais nous créons une protection à deux vitesses. Je le regrette vivement car l'article 40 de la Constitution ne nous permettait pas de corriger cette erreur et le Gouvernement, qui le pouvait, n'a pas souhaité le faire. Madame la ministre, dès qu'un vecteur législatif approprié se présentera, il vous faudra corriger rapidement le tir.
Nous regrettons également que nos débats aient été ternis par la polémique née de la proposition d'étendre aux seuls élus locaux le délai de prescription pour les délits de presse. Cette proposition des sénateurs avait été reprise par notre assemblée en commission et mon groupe s'y était opposé. Je remercie Mme la rapporteure d'avoir pris le temps d'un échange avec les sociétés de journalistes et d'avoir proposé la suppression totale de l'article afin de lever toute ambiguïté sur l'intention initiale des auteurs de la disposition, ce qui a permis de clore la polémique. Si les débats en CMP n'ont pas mené à un consensus sur ce sujet, ils ont abouti à la meilleure des solutions possibles, la suppression de l'article.
Pour le reste, le groupe Socialistes et apparentés soutient la quasi-totalité des mesures de cette proposition de loi, qui, pour beaucoup, reprennent ou complètent des mesures que nous avions nous-mêmes proposées ces derniers mois. Si ces mesures sont nécessaires, elles ne représentent que la première pierre d'un édifice dont la structure principale sera un véritable statut de l'élu local – traitant de la question de la formation, de l'indemnisation, de l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle et de l'accompagnement en fin de mandat. Nous prendrons toute notre part à la construction de ce statut.
Madame la ministre, au-delà de ces questions, il faudra aussi travailler à redonner du sens au mandat local, ce qui passe par de réels moyens d'action pour les élus locaux et par une confiance renforcée en l'État. Une nouvelle étape de la décentralisation sera également nécessaire : notre groupe en a esquissé les orientations il y a quelques semaines dans le cadre des travaux de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, GDR – NUPES et Écolo – NUPES.
C'est une belle après-midi puisque nous examinons un texte qui nous permet, encore et toujours, de parler d'engagement. Or parler d'engagement à l'Assemblée nationale, c'est toujours passer un bon moment, fût-ce pour constater que, dans notre société, l'engagement se tarit. Nous débattons de l'engagement particulier des élus locaux, mais nos discussions s'inscrivent dans un contexte qui doit nous préoccuper, nous, législateurs, qui incarnons la nation. En effet, qu'il soit associatif, politique ou électif, l'engagement se tarit.
Pourquoi cette baisse de l'engagement politique et électif ? En tant que législateurs, nous y sommes peut-être pour quelque chose. Je me rappelle, quand j'étais élu local, avoir été durement découragé par l'adoption de certaines lois, qui ne me donnaient pas envie de poursuivre mon engagement. Je pense notamment à la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi Maptam, mais aussi à la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi Notre.
De telles lois font progressivement perdre du sens à l'engagement et à l'action publique locale.
Il y a aussi eu, en 2017, une volonté de jeter l'opprobre sur la classe politique : l'urgence était de moraliser la vie publique, à travers le vote des lois organique et ordinaire pour la confiance dans la vie politique. Évidemment, avant 2017, tous les élus étaient amoraux, voire immoraux ! Voilà ce qui a contribué à construire un contexte dans lequel les élus étaient critiqués, y compris par nous-mêmes. Un ministre du budget a été jusqu'à inviter chaque concitoyen à « balancer son maire » s'il venait à ce dernier l'idée d'augmenter les taux d'imposition.
Voilà le contexte dans lequel nous débattons des moyens de revaloriser la place des élus dans notre société et de reconnaître et protéger leur engagement ! Certains, dans cet hémicycle, ne sont pas complètement innocents dans cette affaire.
Aujourd'hui, il est nécessaire de valoriser l'engagement des élus et de les soutenir.
M. Fabrice Brun s'exclame.
Pour cela, il faut bien sûr les sécuriser et les protéger dans l'exercice de leurs responsabilités. Le groupe Les Républicains votera donc en faveur de cette proposition de loi qui renforce les moyens dédiés à cette tâche. Reste qu'une réflexion globale sur le vivre-ensemble et sur notre capacité à faire nation est indispensable. Comme l'ont dit les orateurs qui m'ont précédé, on ne doit pas oublier ce qu'est l'État. Les élus représentent l'État et la République : en ce sens, ils incarnent, chacun à leur niveau, chacun dans leur territoire, une forme de violence exercée par l'État. Le dire n'est pas une catastrophe : cette situation était déjà décrite par Max Weber.
M. Pierre Cazeneuve et Mme Élodie Jacquier-Laforge s'exclament.
L'État se définit par la revendication de la violence légitime exercée sur un territoire.
Cela ne signifie pas que les violences envers les élus sont acceptables – bien au contraire –, mais cela justifie la nécessité de protéger tout particulièrement les élus parce que ce sont eux qui permettent à l'État de tenir. Il faut donc trouver un point d'équilibre : d'une part, préserver la liberté d'expression ; d'autre part, ne jamais autoriser les actes de violence. De ce point de vue, ce texte est satisfaisant. C'est pourquoi le groupe Les Républicains de l'Assemblée vous a soutenue, madame la rapporteure, lors de la CMP, lorsque vous avez proposé de ne pas retenir la modification de la loi sur la liberté de la presse.
Je souhaite que la réflexion sur l'engagement des élus locaux que nous entamons aujourd'hui ne s'arrête pas à cette proposition de loi : nous devons réfléchir au statut de l'élu local. Vous menez actuellement des travaux en ce sens avec notre collègue Sébastien Jumel, madame la rapporteure, et nous y contribuerons de manière active. Plus largement, nous devons réfléchir à ce qui donne encore du sens à notre envie de vivre ensemble et de nous engager. Nous devons donner des moyens aux collectivités et leur rendre des libertés locales.
Faisons confiance aux élus locaux : ils ne feront pas toujours ce que nous espérons qu'ils fassent, parfois même ils commettront des erreurs et prendront de mauvaises décisions, mais c'est en leur rendant leur liberté que nous leur permettrons de construire de beaux territoires et de soutenir l'innovation.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et LIOT. – M. Didier Parakian applaudit également.
Les violences contre les élus ont augmenté de 32 % en 2022 et de 15 % en 2023. Les démissions sont également en hausse. Dans mon département, la Loire-Atlantique, les cas sont nombreux. Je pense à Yannick Morez, ancien maire de Saint-Brévin-les-Pins, dont le domicile a été incendié en mars 2023, mais aussi aux menaces publiques contre Agnès Bourgeais, maire de Rezé, lors d'une réunion publique, ou à l'agression de Sandra Impériale, maire de Bouguenais, en novembre dernier, lorsque quelqu'un s'est introduit dans son bureau, armé d'un couteau. Le choc demeure toujours. Chaque fois qu'un élu est agressé, c'est une part de notre démocratie qui s'affaisse. Car la démocratie doit être une forme de gouvernance sans violence, en tout lieu et en tout temps.
La hausse des violences envers les élus doit toutes et tous nous alerter et nous faire réagir, en tant que parlementaires bien sûr, mais en tant que citoyens surtout. Notre message est clair : quelle que soit leur forme, les violences à l'égard des élus ne sont pas tolérables dans notre société et doivent être condamnées. Il ne s'agit aucunement de faire des élus des citoyens à part, mais d'assurer leur protection dans l'exercice de leurs fonctions.
Le groupe Écologiste – NUPES votera bien sûr pour le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. Nous approuvons la sagesse du Parlement concernant la suppression de l'allongement du délai de prescription du délit de diffamation et d'injure publique contre les élus et les candidats. Si cette disposition ne visait pas la liberté de la presse, les alertes des syndicats de journalistes et de l'Association des avocats praticiens du droit de la presse ont montré que l'effet de cette mesure n'avait pas été suffisamment évalué. Les risques potentiels contre les droits des journalistes, qui doivent être préservés, ne permettaient pas d'aller dans ce sens. Nous saluons la concertation menée par Mme la rapporteure avec l'ensemble des groupes parlementaires avant la commission mixte paritaire.
Si cette proposition de loi prévoit des mesures nécessaires et attendues, elle ne réglera pas tout : elle ne préviendra pas de nouvelles violences contre les élus locaux, non plus qu'elle ne dédouanera l'État de ses responsabilités. Tout au long de l'examen du texte, nous l'avons répété : le pénal ne peut pas tout ; il permet de punir, pas de prévenir. Ainsi, aggraver les peines encourues ne doit pas nous empêcher de regarder en face les causes multifactorielles des violences : nous ne parviendrons à endiguer le mal qu'en agissant sur ses causes.
Le rapprochement des élus et des citoyens est un chantier vital pour raviver la confiance dans le système démocratique de gouvernement qui régit notre société et qui permet l'accès de chacune et chacun aux institutions sans discrimination. Or, nous le constatons, en pratique, le fonctionnement démocratique écarte et méprise trop souvent la voix de celles et ceux qui n'occupent pas les fauteuils du pouvoir.
Autre terreau des violences : l'abandon à leur sort des personnes en détresse. À portée de baffes, les maires et les élus locaux, les hommes et les femmes politiques les plus proches des citoyens, sont les premières victimes des politiques néolibérales qu'ils n'ont souvent pas décidées : tant que perdureront ces politiques qui appauvrissent les personnes, détruisent nos services publics et déshumanisent les liens sociaux, les violences ne feront qu'augmenter dans notre société.
N'oublions pas non plus l'origine des violences contre Yannick Morez, ancien maire de Saint-Brevin-les-Pins, dont la voiture a été brûlée et la maison incendiée alors qu'il y dormait avec sa famille : l'extrême droite utilise la violence pour imposer sa vision xénophobe et s'opposer à l'installation d'un centre d'accueil pour demandeurs d'asile dans une commune où le sujet n'avait jamais causé d'incident ni fait l'objet d'aucune mobilisation. L'extrême droite est de plus en plus décomplexée à mesure que ses thèmes et ses termes se répandent dans les médias et dans les discours des responsables politiques.
Pour toutes ces raisons, chers collègues, ne pensez pas et ne laissez pas penser que seule l'aggravation des peines encourues pour des faits de violences à l'encontre des élus permettra de les réduire.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES. – Mme la rapporteure applaudit également.
Sur l'ensemble du texte de la commission mixte paritaire, je suis saisie par le groupe Renaissance d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Sébastien Jumel.
Ce matin, j'ai commencé ma journée en me rendant dans la commune de Callengeville, dans le pays de Bray, où, aux côtés du maire de la commune, du maire de Vatierville et des parents d'élèves, nous étions rassemblés pour réaffirmer notre attachement à l'école en milieu rural et protester contre une fermeture de classe. Quelques heures après, je recevais un texto du maire de Criel-sur-Mer, une autre jolie commune de ma circonscription, qui a toutes les peines du monde à obtenir d'Orange le branchement d'une ligne téléphonique dans la maison de santé pour laquelle il s'est battu pendant plusieurs années. En arrivant à Paris, quelques heures plus tard, c'est le maire de la commune de Beaussault qui m'a contacté : il est préoccupé par l'avenir d'une entreprise de sa commune, bousculée par des injonctions contradictoires de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal).
Le mandat de maire, le plus beau des mandats, est tout cela : l'incarnation de la collectivité du quotidien. Sans les moyens, les outils ou la force d'élus de villes plus importantes ou des parlementaires que nous sommes, ces urgentistes de la République sont parfois en galère pour prendre soin des habitants ou répondre concrètement à leurs besoins.
Alors je le dis d'emblée : prendre soin des élus et les protéger passera par le renforcement du pouvoir d'agir des maires, mais aussi, comme le passionnant travail que j'ai mené avec Violette Spillebout l'a démontré, par notre capacité à normaliser et faciliter les relations entre les maires et les services de l'État. Ces derniers doivent tenter de moins enquiquiner les maires au quotidien et les accompagner davantage.
Prendre soin des élus et les protéger impliquera aussi de renforcer leur statut et leur formation – le mandat d'élu doit permettre un aller et retour permanent entre le monde professionnel et l'engagement citoyen. Plusieurs propositions intelligentes, issues de la réflexion transpartisane des associations d'élus, ont été formulées en ce sens. Pour ne pas renforcer encore sa déconnexion avec la vraie France, la France d'en bas, celle qui tient tout à bout de bras grâce aux piliers de la République que sont les maires, il faudra, madame la ministre, que l'Assemblée apporte sa contribution à la réflexion : j'ai confiance en notre capacité à faire avancer collectivement ces sujets.
Mais avant tout cela, face à l'essoufflement démocratique et à l'explosion des violences, il fallait en passer par l'affirmation d'un symbole clair : on ne touche pas aux élus, on ne touche pas aux maires ; on ne violente pas, on ne bouscule pas, on ne diffame pas ceux qui consacrent leur temps au service des autres, bien souvent uniquement par altruisme. Chers collègues Insoumis, je suis lucide, et je sais que ce texte ne suffira pas ; mais cette petite proposition de loi d'initiative sénatoriale, si insuffisante et incomplète soit-elle – il nous appartiendra de la compléter –, a le mérite de l'affirmer. Je le dis donc sans hésiter ni sourciller : les atteintes aux élus doivent faire l'objet de sanctions exemplaires. Alors que le nombre des démissions explose et que la fracture entre les citoyens et ceux qui les représentent grandit chaque jour un peu plus, nous devons réaffirmer notre volonté de prendre soin des hussards de la République.
C'est dans cet état d'esprit que le groupe GDR a abordé ce débat parlementaire. Grâce au climat de confiance dans lequel nous avons travaillé avec ma collègue rapporteure, Violette Spillebout, nous avons entendu les alertes des journalistes sur les risques liés à l'allongement du délai de prescription pour les élus diffamés. Il faudra y revenir pour trouver une solution consolidée sur le plan juridique et répondre à l'impérieuse nécessité d'envoyer un signal aux élus sans pour autant abîmer la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Pour toutes ces raisons, nous voterons en faveur de ce texte qui vise à prendre soin des élus.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE, SOC et Écolo – NUPES.
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, modifié par les amendements adoptés par l'Assemblée.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 110
Nombre de suffrages exprimés 96
Majorité absolue 49
Pour l'adoption 96
Contre 0
L'ensemble de la proposition de loi est adopté.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.
L'ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales (n° 2224).
La parole est à Mme Isabelle Santiago, rapporteure de la commission mixte paritaire.
C'est avec beaucoup d'émotion que je m'adresse à vous aujourd'hui. La proposition de loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales (VIF), que nous nous apprêtons à adopter définitivement, s'inscrit dans un combat que j'ai mené avec constance, d'abord en tant que vice-présidente du Val-de-Marne chargée de la protection de l'enfance, puis en tant que parlementaire. Le chemin parcouru est immense.
Je souhaite adresser plusieurs remerciements, et tout d'abord à mes collègues du groupe Socialistes et apparentés et à son président, Boris Vallaud, qui m'ont fait confiance en inscrivant ma proposition de loi à l'ordre du jour de notre niche parlementaire du 9 février 2023.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Je tiens également à remercier le Gouvernement, qui a soutenu ce texte depuis le début et a permis son inscription rapide à l'ordre du jour de nos deux assemblées, ainsi que le cabinet du garde des sceaux pour le travail que nous avons accompli ensemble.
Par deux fois, cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale : pour cela, mais aussi pour votre implication dans ce travail de coconstruction transpartisan, je vous remercie, mes chers collègues.
J'adresse aussi mes remerciements à nos collègues sénatrices et sénateurs qui ont participé à l'élaboration du texte au cours de la navette parlementaire : voilà un bel exemple de travail parlementaire, qui fait honneur à notre République !
Il est temps pour moi d'avoir une pensée pour le juge Édouard Durand, qui a toujours porté la parole des enfants avec beaucoup de justesse : je fais partie de celles et ceux qui souhaitent ardemment son retour à la tête de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), si essentielle au recueil de la parole des victimes.
Enfin, un grand merci à Mélissa Theuriau, qui partage mon combat en faveur de la protection de l'enfance, pour sa présence en tribune aujourd'hui, aux côtés de ceux qui me sont chers.
La protection des mineurs exposés aux violences intrafamiliales doit être notre priorité commune et s'inscrire dans un changement de société profond : l'inversion de la réflexion autour de l'autorité parentale défendue dans ce texte est cruciale pour prioriser le bien-être et la sécurité de l'enfant, mais aussi la sécurité du parent protecteur. Le dispositif proposé dans ce texte est attendu par notre société : en inscrivant dans la loi la suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement durant l'intégralité de la procédure judiciaire, et en posant le principe du retrait total de l'autorité parentale en cas de condamnation pour les infractions les plus graves – sauf décision spécialement motivée du juge –, nous impulsons un véritable changement de paradigme dans la culture pénale.
La proposition de loi répond à l'impérieuse nécessité de dire aux victimes de violences sexuelles qu'on les croit, mais aussi qu'on les protège. Il est temps que nous entendions la voix des plus vulnérables d'entre nous : les enfants. Pour reprendre les mots du juge Édouard Durand, le risque « n'est pas d'inventer des violences et des victimes, c'est de laisser passer des enfants sous [nos] yeux sans les protéger ». De même, Nelson Mandela a eu cette phrase magnifique : « Nous devons à nos enfants – les citoyens les plus vulnérables de toute société – une vie exempte de violence et de peur. »
Avec l'adoption de ce texte, nous pourrons être fiers d'avoir œuvré en ce sens et nous féliciter de rejoindre l'Espagne et l'Italie en légiférant sur le retrait de l'autorité parentale. À l'échelle européenne, la France possédera ainsi la législation la plus complète sur le sujet. Nous avons le devoir de continuer dans cette direction !
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
Après une semaine historique placée sous le thème des droits des femmes, nous commençons celle-ci sous le thème de l'enfance, pour parachever une avancée majeure dans la protection de nos enfants. Vous le savez, la protection de l'enfance, comme celle des femmes, constitue l'une des priorités du Gouvernement. Aussi, je me félicite que les deux assemblées soient parvenues à un compromis dans le cadre des travaux de la commission mixte paritaire (CMP).
Il faut dire que le texte était presque arrivé à maturité puisque seul l'article 1er faisait encore l'objet d'un débat entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Cet article, dans la rédaction qui est aujourd'hui soumise à vos votes, modifie l'article 378-2 du code civil afin d'étendre le mécanisme de suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement du parent poursuivi ou condamné. Désormais – enfin ! –, nous appliquerons un principe de précaution pour l'enfant : dès lors que son parent sera poursuivi pour crime ou agression sexuelle sur sa personne, aucun risque ne sera pris et l'enfant n'aura plus aucun contact avec son agresseur présumé jusqu'à l'éventuelle décision de non-lieu du juge d'instruction ou jusqu'à la décision de la juridiction pénale.
Certains ont pu penser qu'une telle suspension portait une atteinte trop importante aux droits parentaux du parent poursuivi, d'autant plus que la nouvelle écriture supprime l'obligation faite au procureur de la République de saisir le juge aux affaires familiales (JAF) dans les huit jours suivant la suspension. Il n'en est rien, puisque le parent mis en cause a la possibilité de demander au juge aux affaires familiales la mainlevée de la suspension dès le lendemain de son application. S'il ne formule pas cette demande, c'est la démonstration de son désintérêt pour l'enfant. S'il la formule, c'est l'occasion pour lui de démontrer à un juge sa capacité à assurer le bien-être et la sécurité de sa progéniture. L'écriture à laquelle vous avez abouti permet donc d'atteindre nos objectifs de protection de l'enfant en amont de la décision pénale : je ne peux que m'en féliciter.
Je veux ici saluer l'esprit de responsabilité et d'ouverture de Mme la rapporteure Santiago et de l'ensemble des groupes politiques de la majorité et de l'opposition qui ont œuvré à ce compromis. Vous avez su trouver, dans le cadre de la commission mixte paritaire, la voie de passage qui permet l'adoption de ce texte au plus vite. L'article 2, en revanche, a très rapidement fait l'objet d'un large consensus. Cet article élargit les modalités de retrait de l'autorité parentale ou de ses attributs pour renforcer la protection de l'enfant en cas de condamnation de l'un de ses parents, pour une infraction commise sur son enfant ou par son enfant. Un dispositif à triple détente – si je puis m'exprimer ainsi – est ainsi mis en place.
Le premier dispositif concerne les infractions les plus importantes : lorsque le parent est condamné pour un crime ou une agression sexuelle incestueuse sur son enfant, le juge pénal aura désormais l'obligation d'ordonner le retrait total de l'autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée. Si le juge ne décide pas le retrait total de l'autorité parentale, il ordonnera alors le retrait partiel de l'autorité parentale ou le retrait de l'exercice de l'autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée. Il s'agit d'une avancée importante puisqu'en l'état du droit positif, ce retrait n'est qu'une simple faculté pour le juge, quelle que soit l'infraction ayant donné lieu à la condamnation.
Le second volet du dispositif concerne tous les délits commis sur l'enfant, autres que l'agression sexuelle incestueuse. En cas de condamnation, le juge pénal aura l'obligation de se prononcer sur le retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou sur le retrait de l'exercice de cette autorité.
Le troisième et dernier volet concerne le cas du parent condamné comme auteur, coauteur ou complice d'un délit commis par son enfant. En cas de condamnation, le juge pénal aura la possibilité d'ordonner le retrait total ou partiel de l'autorité parentale ou de son exercice.
Je le dis et le redis ici devant vous : ces deux premiers articles, ainsi que l'article 3, qui intègre dans le code pénal les dispositions que l'article 2 introduit dans le code civil, constituent une avancée majeure en matière de protection des enfants. De même que la protection des droits des femmes revêt une dimension universelle, les droits des enfants méritent d'être promus et défendus par-delà nos frontières. Aujourd'hui, la France s'engage résolument pour protéger les plus petits d'entre nous. Elle rejoint l'Espagne et l'Italie dans le peloton de tête des pays les plus protecteurs des enfants ! J'irai même au-delà. Une fois ce texte entré en vigueur, notre législation sera la plus complète et la plus protectrice d'Europe, voire du monde, parce qu'elle prévoit dès le début de l'enquête une suspension automatique de l'exercice des droits parentaux sans intervention préalable du juge, et parce qu'elle contraint ou autorise le juge pénal à se prononcer sur le retrait de l'autorité parentale ou de son exercice pour toutes les infractions, de manière proportionnelle à leur gravité.
Mesdames et messieurs les députés, nous pouvons être fiers de la qualité des travaux parlementaires et des échanges qui furent les nôtres car ils ont démontré, si besoin était, notre engagement commun, transpartisan et total au service de la protection de l'enfance, au-delà de toutes nos différences. Ce texte, n'en doutons pas, est très attendu par nos concitoyens, parce qu'il renforce la protection des plus vulnérables d'entre nous, parce qu'il est de notre devoir de protéger l'enfant victime de son parent agresseur et parce que le foyer doit toujours rester un lieu où l'enfant peut grandir en paix et en sécurité.
Après ce vote qui, je l'espère, nous rendra fiers, la France sera à la pointe du combat pour la protection de l'enfance, comme elle l'était la semaine dernière pour la protection des droits des femmes. Décidément, la France des droits des femmes, la France des droits des enfants, la France des droits humains rayonne en ce mois de mars !
Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem. – M. Boris Vallaud applaudit également.
Le juge Édouard Durand explique les choses avec concision et clarté : « L'histoire de l'inceste, […] c'est l'histoire d'un déni. » Quelle meilleure définition sociale et politique d'un tel fléau ? Pendant des siècles, nous avons pensé qu'il fallait protéger les enfants orphelins et vagabonds exposés à la cruauté de l'inconnu, mais que ce qui arrivait aux enfants dans le silence des maisons et des familles ne nous regardait pas. C'était de l'ordre du privé. En réalité, il était davantage tabou de dire l'inceste que de le commettre. Il a fallu briser ce déni, ce silence écrasant qui faisait tant de victimes.
Grâce à l'action des uns et des autres, un basculement est heureusement en train de s'opérer dans la société. Il nous faut l'écouter, l'entendre, le saluer et l'accompagner. À ces 160 000 enfants qui subissent, chaque année, des violences sexuelles en France, à ces 5,5 millions d'hommes et de femmes adultes qui ont été victimes de violences sexuelles durant leur enfance, et pour qui le passé ne passe pas, nous disons : vous n'êtes plus seuls. Le texte que nous votons en est non seulement l'illustration, mais constitue aussi une grande avancée dont nous souhaitons l'adoption la plus large possible.
Ainsi, c'est avec fierté et émotion que le groupe Socialistes et apparentés, par la voix d'Isabelle Santiago, vous propose d'adopter aujourd'hui une loi qui vient reconnaître la parole des enfants victimes de violences intrafamiliales et les protéger.
Je tiens d'abord à remercier les associations pour leur engagement, leur pugnacité et leur obstination. La route a été longue et, nous le savons, il reste beaucoup de chemin à parcourir. Nous, députés, demeurerons aux côtés des associations. Je veux remercier aussi les parlementaires engagés sur tous les bancs, qui ont contribué, dans un esprit de concorde et de responsabilité, à faire avancer cette juste cause.
Je tiens enfin à remercier chaleureusement la rapporteure, notre collègue du Val-de-Marne, pour le travail qu'elle a fourni, forte de son expérience en matière de protection de l'enfance, en concertation avec la Ciivise, de nombreuses associations et les acteurs de terrain.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Je veux aussi la remercier pour sa détermination, qui a permis, à peine plus d'un an après la première inscription du texte dans la niche socialiste du 9 février 2023, de nous réunir aujourd'hui pour son adoption définitive.
Nous pouvons en être fiers, car cette victoire est collective. Je suis heureux que Mme Santiago inscrive ses pas dans ceux de socialistes qui ont fait avancer avant elle la cause des droits de l'enfant. Je pense à la première grande loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, défendue par Martine Aubry, alors ministre de l'emploi et de la solidarité, mais aussi à la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, défendue par Laurence Rossignol, alors ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes, et qui fit sortir la protection de l'enfance de l'angle mort des politiques publiques.
Dans un combat quotidien, nos départements mènent également un travail minutieux et difficile pour protéger les enfants. Enfin, la semaine dernière encore, la loi visant à renforcer la protection des mineurs et l'honorabilité dans le sport, proposée par notre collègue Claudia Rouaux et soutenue au Sénat par M. Sébastien Pla, était adoptée définitivement.
Ces combats sont longs, difficiles et appartiennent à tous ceux qui sont attachés à la grande cause de la protection de l'enfance. Ainsi, avec ce texte, un parent poursuivi pour crime contre l'autre parent, ou pour crime ou agression sexuelle sur son enfant, verra ses droits de visite et d'hébergement, ainsi que l'exercice de son autorité parentale, immédiatement suspendus, et ce jusqu'à ce que le juge se prononce sur le fond de l'affaire. Le parent condamné pour ces mêmes infractions se verra automatiquement retirer son autorité parentale, sauf décision spécialement motivée du juge : c'est une grande avancée.
Monsieur le ministre, ce texte nous oblige, vous et nous, parce que reconnaître la parole des enfants, c'est aussi se donner les moyens d'agir et parce que, sans un accompagnement médico-social et psychologique adapté à chacun, les enfants resteront inaudibles. Il nous incombe d'instaurer un suivi de qualité pour eux et d'alléger le fardeau qu'ils traîneront toute leur vie. Parce que, comme le dit le juge Durand, « l'inceste est une humiliation sociale avant tout, par laquelle l'enfant n'a plus de place dans l'histoire des humains », il est de notre responsabilité, non seulement de reconnaître la parole des enfants, mais aussi de leur faire une place dans la société. Je suis convaincu que nous sommes, toutes et tous, déterminés et unis autour de cet objectif.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, Dem et LIOT.
Je me réjouis que nous débattions d'un texte visant à protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales : celles-ci sont loin d'être un sujet mineur, puisqu'elles concernent près de 400 000 jeunes en France. La proposition de loi doit combler un angle mort du traitement judiciaire de ces violences : jusqu'à présent, en effet, l'autorité parentale d'un adulte poursuivi pour un crime ou des violences sexuelles sur son enfant pouvait être maintenue de nombreuses années, tant les procédures judiciaires sont longues. Ce texte représente donc une avancée ; nous le soutiendrons.
Au-delà des familles où l'un des adultes est capable d'exercer son autorité parentale – objet du présent texte –, j'appelle votre attention sur celles dans lesquelles les deux parents connaissent des difficultés qui mettent en danger leur enfant, et qui sont suivies par les services de la protection de l'enfance. Les enfants placés n'ont fait l'objet de quasiment aucune avancée législative. Entre 2017 et 2023, seules vingt-sept propositions de loi ont été déposées à leur sujet ; la moitié provenaient de la droite et de l'extrême droite et visaient à stigmatiser les enfants migrants, ainsi qu'à réduire leur prise en charge. Au cours de la même période, seules 217 questions écrites relatives à la protection des enfants ont été adressées au Gouvernement – à titre de comparaison, des thèmes comme l'environnement ou les collectivités territoriales ont occasionné, chacun, plus de 5 000 questions.
Le Parlement ne consacre qu'environ 1 % de ses travaux à l'enfance en danger ; c'est déplorable, tant il y a à faire. Même quand des lois sont adoptées, elles ne changent pas grand-chose car, bien souvent, elles ne sont pas appliquées. L'exemple le plus récent est celui de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet : une dizaine de ses décrets d'application se sont fait attendre pendant deux ans. Le décret transitoire censé encadrer les placements en hôtel, avant leur interdiction partielle, n'est même jamais paru. Il aurait pourtant évité à Lily, 15 ans, d'être hébergée dans un hôtel, dans mon département, où elle s'est donné la mort. Il est scandaleux que les lois ne soient pas appliquées.
Par ailleurs, la justice des enfants n'a plus les moyens de fonctionner correctement. Les professionnels de la justice nous expliquent que leurs conditions de travail sont extrêmement dégradées : ils sont en sous-effectifs et n'ont pas de greffier la plupart du temps, les délais ne cessent de s'allonger et les juges doivent abandonner certaines missions, comme les audiences de mainlevée et les visites de lieux de placement.
Il fallait voter les budgets ! Vous ne l'avez pas fait !
Je m'inquiète que le Gouvernement ait décidé d'annuler près de 3 % du budget de la mission "Justice" d'un trait de plume, par décret. La situation de la justice est à l'image de la chaîne de la protection de l'enfance, qui est en train de s'effondrer sous vos yeux, monsieur le garde des sceaux. Vous pouvez vous targuer d'avoir les meilleurs textes d'Europe et du monde, mais vous ne pouvez pas ignorer les alertes qui affluent de toutes parts : des travailleurs sociaux, des soignants, des professeurs, des magistrats, des personnels de l'aide sociale à l'enfance (ASE), des assistants familiaux et même de la Défenseure des droits et de l'ONU.
Tous les maillons de la chaîne de la protection de l'enfance dysfonctionnent : des enfants appellent le 119 mais n'obtiennent pas de réponse, faute de personnel ; des informations préoccupantes ne sont plus traitées dans les délais ; des mesures ordonnées par les juges ne sont plus exécutées, faute de places ; des enfants sont hébergés dans des lieux inadaptés à leur situation et sont exposés à de graves dangers. En deux mois, deux jeunes de 14 et 15 ans sont décédés dans le cadre de leur placement.
Je dénonce l'absence de réaction des pouvoirs publics alors que les drames se multiplient. C'est pourquoi, avec quatre-vingt-quinze députés de quatre groupes parlementaires, nous avons déposé une proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête sur les carences de l'action publique en matière de protection de l'enfance. J'appelle tous les parlementaires à la soutenir.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES. – Mme Eva Sas applaudit également.
L'Assemblée doit identifier les causes de l'effondrement de ce service public essentiel et y apporter des réponses urgentes.
Les enfants voient leurs droits reculer dans notre pays : ils sont 3 millions à vivre sous le seuil de pauvreté ; plusieurs milliers d'entre eux sont toujours privés d'abri et vivent dans la rue. L'ONU et la Défenseure des droits s'alarment du recul du droit à l'éducation, en particulier dans les territoires ultramarins et pour les enfants en situation de handicap. Ne l'oublions pas : les droits des enfants ne sont ni une option, ni une variable d'ajustement budgétaire ; la France a l'obligation de les garantir, en vertu d'engagements nationaux et internationaux – même si elle oublie souvent qu'elle est signataire de la Convention internationale des droits des enfants. En la matière, nous attendons bien plus que votre réaction actuelle, monsieur le garde des sceaux.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES. – Mme Eva Sas applaudit également.
Il n'est de civilisation honorable qui ne respecte ses propres enfants. Les atteintes perpétrées contre les plus fragiles, quelle que soit leur forme, sont une infamie que nous devons combattre. S'agissant des violences commises sur les plus jeunes, y compris dans leur propre foyer, la situation est grave : elle imposait que le Parlement s'en saisisse.
La présente proposition de loi, qui vise à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, répond à un contexte dramatique : en 2021, ces violences ont augmenté de 16 % par rapport à l'année précédente et, chaque année, 160 000 enfants déclarent être victimes de violences sexuelles. Cette situation accablante impose de prendre des dispositions législatives pour freiner l'expansion alarmante de ces sévices ; aussi le groupe Rassemblement national approuve-t-il les intentions du texte issu de la commission mixte paritaire.
Nous nous réjouissons de la disparition de l'alinéa 3 de l'article 1er , dont nous avions demandé la suppression en commission des lois : il était nécessaire que la juridiction pénale garde la responsabilité d'un dossier dont elle est la meilleure connaisseuse et sur lequel elle doit pouvoir intervenir en prenant en considération l'ensemble des données qui lui sont fournies. Il ne nous semble pas infondé de considérer comme covictime un enfant qui a assisté à des violences à l'encontre de l'un de ses parents. C'est la raison pour laquelle nous nous réjouissons que le rapport relatif au repérage, à la prise en charge et au suivi psychologique des enfants exposés aux violences conjugales, ainsi qu'aux modalités d'accompagnement parental, dont nous avions demandé la réintroduction à l'article 4, ait été maintenu.
S'il faut se réjouir que la sécurité des enfants soit renforcée dans le cadre intrafamilial, notre rôle est néanmoins d'alerter le Parlement sur les difficultés que rencontrent toutes les familles – difficultés qui, hélas, peuvent être à l'origine de certaines violences. Les familles ne sont pas aidées : la baisse du quotient familial et des allocations, décidée sous la présidence de François Hollande, a plongé nombre d'entre elles dans les difficultés financières. Ce contexte de précarité est un terreau fécond pour les violences, notamment psychologiques, contre les enfants.
Faute de solutions mises à leur disposition, les parents qui travaillent doivent recourir à des auxiliaires multiples, quand ils le peuvent ; ils disposent d'un contingent de jours de congé très limité pour faire face à la maladie de leur enfant. Ce sont autant d'embûches sur le chemin des familles, qui, acculées, sombrent parfois dans la détresse. Loin de moi l'idée de justifier les violences d'une quelconque façon : elles doivent être sévèrement condamnées – c'est pourquoi nous voterons en faveur de ce texte. Cependant, il est urgent de restaurer une véritable politique familiale, garante d'un cadre familial moins tourmenté et par conséquent moins propice à la violence.
Je tire également la sonnette d'alarme pour dénoncer l'absence d'aide aux familles d'enfants handicapés, alors que ces derniers encourent un risque 2,9 fois plus élevé que les autres de subir des violences. Qu'est-il proposé à leurs familles pour les aider au quotidien ? Les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) – qui, heureusement, sont de plus en plus nombreux – ne bénéficient pas d'une vraie reconnaissance.
Mme Béatrice Roullaud applaudit.
Ils ne peuvent pas accompagner les enfants durant le temps méridien. Dans son plan de lutte contre les violences faites aux enfants pour 2023-2027, le Gouvernement dit porter une attention toute particulière aux enfants en situation de handicap ; or les seules mesures qui les concernent se rapportent aux structures d'accueil et n'abordent pas le cadre intrafamilial.
Prévenir les violences intrafamiliales, c'est aussi permettre aux familles de vivre dans un cadre apaisé – en la matière, l'État faillit à son devoir. Les diplômes d'État liés aux métiers de la petite enfance sont peu valorisés, alors que ces professionnels s'occupent des tout-petits. L'État peine à faire face au harcèlement qui touche près de 1 million d'élèves chaque année. Alors, oui : condamnons sans trembler et avec la plus grande fermeté les violences insupportables faites aux plus fragiles d'entre nous, mais battons-nous aussi pour soutenir les familles qui affrontent un quotidien souvent devenu hostile.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.
Nous examinons la version définitive d'un texte important, qui a débuté son chemin législatif en décembre 2022. Il permettra de suspendre l'exercice de l'autorité parentale et le droit d'hébergement du parent poursuivi dès l'ouverture d'une enquête pour crime ou violences sexuelles sur l'enfant ou pour crime sur l'autre parent. Dans notre culture, il reste difficile d'envisager le retrait de l'autorité parentale. Pourtant, cette option est devenue nécessaire – et même indispensable – dans l'éventail des moyens de protection de l'enfant victime de sa famille.
La proposition de loi apporte une réponse à la terrible réalité vécue par des centaines de milliers d'enfants victimes d'inceste ou de violences intrafamiliales. Chaque année, en France, près de 160 000 enfants subissent des violences sexuelles. Par ailleurs, 208 000 victimes de violences conjugales ont été recensées en 2021, dont 80 % avaient des enfants. Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase) présidée par Jean-Marc Sauvé, publié en octobre 2021, estime même que près de 15 % des femmes et plus de 6 % des hommes majeurs auraient subi une agression sexuelle lorsqu'ils étaient mineurs, soit environ 10 % de la population. C'est dire l'ampleur du phénomène et l'importance de l'enjeu dont nous sommes saisis.
Concrètement, le retrait de l'autorité parentale prive l'un des parents de l'ensemble de ses attributions, y compris les plus symboliques, comme le droit de consentir au mariage de son enfant. Ce retrait revient également à confier exclusivement à l'autre parent le soin de veiller sur l'enfant et de prendre les décisions nécessaires à sa santé, à son éducation, etc. Depuis des décennies, les philosophies des différents acteurs de la protection de l'enfance s'opposent sur le sujet. Le législateur doit trancher : il est indispensable de sanctionner le parent coupable de violences extrêmement graves sur l'enfant et de protéger cet être vulnérable physiquement en l'éloignant juridiquement de l'autorité dont il dépend et qui, hélas, parfois le détruit.
Je tiens à saluer le travail et l'engagement constant dont vous avez fait preuve pour défendre ce texte, madame la rapporteure. Grâce à votre travail, nous allons faire avancer cette cause importante. Depuis quelques années, un chemin a été engagé et des avancées ont été obtenues. Citons la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, défendue par notre collègue Aurélien Pradié, qui a été adoptée à l'unanimité : elle a créé un mécanisme de suspension provisoire de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement du parent poursuivi ou condamné, même non définitivement, pour crime contre l'autre parent. Citons également la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales : elle a étendu les cas dans lesquels les parents peuvent se voir retirer totalement l'autorité parentale ou son exercice, par une décision expresse du juge pénal, aux situations dans lesquelles un parent a été condamné pour des délits sur l'autre parent.
Notre devoir collectif est de veiller à la protection des enfants, ceux qui n'ont pas leur mot à dire parce qu'ils n'ont tout simplement pas les mots pour raconter. Il nous revient d'agir pour les aider. Rappelons que 400 000 enfants vivent dans un foyer où s'exercent des violences conjugales et que, chaque année, 160 000 enfants subissent des violences sexuelles ; dans 90 % des cas, l'agresseur est un homme ; dans la moitié des cas, c'est un membre de la famille.
L'objectif principal qui doit nous guider est la protection des victimes et la préservation de l'intérêt supérieur de l'enfant ; c'est pourquoi les députés du groupe Les Républicains voteront la proposition de loi. Le retrait de l'autorité parentale est une mesure indispensable pour mettre fin à la reproduction des violences familiales de génération en génération.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Chaque jour, plus de 200 enfants sont maltraités par leur entourage. Chaque semaine, un enfant meurt sous les coups de ses parents. Chaque année, 160 000 enfants subissent des violences sexuelles, dont presque 80 % commises au sein de la famille, là même où ils devraient vivre en toute confiance, en toute sécurité. Entre 2 ans et 4 ans, un enfant sur quatre est régulièrement victime de violences de la part de son responsable légal. La réalité est terrible : à chaque fois que nous montons à la tribune pour défendre cette cause, à chaque fois que nous approfondissons le sujet, les chiffres sont plus glaçants et insoutenables.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) alertait pourtant en 2016 : « La violence à l'égard des enfants est un problème de santé publique, de droits humains et de société, avec des conséquences potentiellement dévastatrices et coûteuses. Ses effets destructeurs nuisent aux enfants de tous les pays, touchant les familles, les communautés et les nations ». En France, les travaux de la Ciivise ont permis de mettre en évidence un phénomène que nous soupçonnions tous, mais dont nous ne mesurions pas l'ampleur, ni les dégâts pour nos enfants et notre société. Alors, aujourd'hui, agissons, avançons, donnons-nous les moyens de mieux protéger les enfants victimes ou covictimes de violences intrafamiliales !
C'est pourquoi nous vous remercions, madame la rapporteure, de cette proposition de loi au sujet épineux, mais essentiel : mieux protéger nos enfants des abus de l'autorité parentale, de son exercice, des droits de visite et d'hébergement, grâce à un nouveau cadre. Je le répète, nous sommes conscients des difficultés que suscite ce sujet et de l'absolue nécessité d'avoir pour guide l'intérêt supérieur des enfants – considération déterminante pour notre réflexion et nos décisions – sans compromettre pour autant les principes fondamentaux du droit. Le travail transpartisan que nous avons effectué à vos côtés, madame la rapporteure, avec le Gouvernement, a débouché sur un texte qui équilibre d'une part la protection de l'enfance, d'autre part la préservation des relations familiales et des liens affectifs, et garantit le caractère proportionné des peines et les droits de la défense. Le vote conforme, en deuxième lecture, de nombreux articles par l'une et l'autre chambre, ainsi que l'obtention d'un accord en commission mixte paritaire, le prouvent.
Désormais, dans les cas les plus graves, notamment en cas d'agression sexuelle incestueuse ou de crime commis par un parent sur son enfant, l'exercice de l'autorité parentale et les droits de visite et d'hébergement seront suspendus de plein droit, dès le déclenchement des poursuites par le ministère public ou la mise en examen par le juge d'instruction, jusqu'à la décision du juge aux affaires familiales. Tel est l'accord auquel nous avons abouti en CMP.
Désormais, la condamnation d'un parent pour crime ou agression sexuelle à l'encontre de l'enfant, ou pour crime à l'encontre de l'autre parent, entraînera le retrait de l'autorité parentale ou de son exercice ; si la juridiction décide de ne pas ordonner un retrait total, elle sera du moins tenue à un retrait partiel, sauf décision contraire spécialement motivée. Il reviendra donc au juge d'apprécier in concreto la situation et, encore une fois, de motiver son éventuelle décision de maintenir un lien entre le parent condamné et l'enfant.
Désormais, l'autorité parentale, l'exercice de l'autorité parentale, les droits de visite et d'hébergement pourront être suspendus lorsqu'un parent sera condamné pour violence sur l'autre parent. Désormais, dès le stade des poursuites ou de la mise en examen, et en cas de condamnation pour crime sur l'enfant ou agression sexuelle incestueuse, l'aide sociale à l'enfance, ou un membre de la famille qui aura recueilli l'enfant, pourra saisir le juge afin de se faire déléguer l'exercice total ou partiel de l'autorité parentale.
Avec cette proposition de loi, nous pouvons dire aux enfants victimes de violences intrafamiliales que nous les entendons, que nous les écoutons et que nous les protégeons. Nous leur offrons un cadre de vie plus serein où se réparer, se reconstruire et devenir les adultes de demain. Le groupe Démocrate votera donc en faveur du texte.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem. – Mme Béatrice Descamps applaudit également.
Tous les ans, près de 160 000 enfants subissent des violences sexuelles, près de 200 000 personnes, dont 80 % ont des enfants, sont recensées comme victimes de violences conjugales. Derrière chaque statistique se cache l'histoire vraie d'un enfant, une vie perturbée, des rêves arrachés, qui n'auraient jamais dû l'être. En tant que société, en tant que République, il est de notre devoir de reconnaître et de combattre ce fléau insidieux qui perdure dans l'ombre de nos foyers – car ces actes odieux se commettent souvent dans le silence, laissant, sur les âmes innocentes qui méritent notre protection la plus ferme, des cicatrices invisibles que nous connaissons : stress post-traumatique, troubles du développement du cerveau et du système nerveux, addictions, et tant d'autres, hélas. Des centaines de milliers de vies ont été ou continuent d'être broyées dès l'enfance par l'inceste, par les violences intrafamiliales.
Ensemble, nous nous efforçons de lever le voile sur cette réalité déchirante, de faire entendre la voix des victimes trop longtemps réduites au silence. Ensemble, nous pouvons faire en sorte que chaque enfant ait la chance de grandir en paix, en sécurité, dans un environnement aimant et respectueux.
La lutte contre les violences envers les enfants constitue, je le répète, un devoir moral, un engagement pour la justice, une garantie de l'épanouissement des générations futures. Tel est le sens des actions menées depuis 2017 par le Président de la République : Grenelle contre les violences conjugales, bracelets antirapprochement (BAR), téléphones grave danger (TGD) ou encore création en mars 2021, à la suite des témoignages marquants auxquels a donné lieu #MeTooInceste, de la Ciivise – je souhaite qu'elle puisse reprendre son travail en toute sérénité, dans l'intérêt des victimes qui lui ont accordé leur confiance en se manifestant massivement auprès d'elle.
N'oublions jamais que tous les acteurs de la société doivent être engagés contre les violences intrafamiliales : je pense bien évidemment aux élus, aux institutions, à l'école, aux médias, aux personnalités publiques, mais aussi et surtout aux familles. Écoutons nos enfants, quand ils nous parlent, quand ils se confient à nous ; mesurons toujours, au-delà des polémiques, ce que nous disons. D'autres enfants, murés dans le silence, prêtent l'oreille à nos propos : si nous ne sommes pas là, tous les jours, pour eux, les espoirs qu'ils fondent sur notre compréhension et notre amour s'éteindront.
C'est pourquoi, au nom du groupe Renaissance, je me réjouis que nous ayons su travailler, majorité et oppositions, Assemblée nationale et Sénat, Parlement et Gouvernement, au texte que nous nous apprêtons à adopter. Cette proposition de loi protégera nos enfants en permettant, en cas de crime à l'encontre de l'autre parent ou de crime ou agression sexuelle à l'encontre de l'enfant, la suspension de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale dès le stade des poursuites, puis le retrait total de cette autorité s'il y a condamnation.
Je tiens à saluer la détermination de Mme la rapporteure et de tous nos collègues engagés dans l'élaboration de la proposition de loi, avec une pensée toute particulière, au nom de la délégation parlementaire aux droits des enfants, pour Nicole Dubré-Chirat. Je salue également l'engagement constant du Gouvernement tout au long de l'examen de ce texte et je remercie le garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, la précédente secrétaire d'État chargée de l'enfance, Charlotte Caubel, et l'actuelle ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles, Sarah El Haïry, de lutter quotidiennement contre ce fléau des violences intrafamiliales.
Ensemble, nous avons su trouver l'équilibre le plus approprié à la protection et à l'accompagnement des enfants victimes ou covictimes ; ensemble, nous devons continuer d'agir afin de créer un monde dans lequel chacun grandit sans crainte des abus. La route sera difficile, mais la cause est noble ; il nous faut plus que jamais la soutenir. Le groupe Renaissance votera pour cette proposition de loi et espère la voir adoptée, une nouvelle fois, à l'unanimité.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR. – Mme Béatrice Descamps applaudit également.
Nous y voilà : après deux lectures dans chaque assemblée, ce texte fait désormais l'objet d'un consensus total, transpartisan, indispensable. Je remercie son auteure et rapporteure, Isabelle Santiago, dont l'engagement et l'écoute ont permis d'aboutir à une proposition de loi équilibrée.
Avant nous, nos prédécesseurs avaient déjà fait évoluer le droit : depuis 2005, nombre de lois ont mis à la disposition des associations et des personnels judiciaires des outils juridiques et pratiques conçus en vue de protéger les enfants, et souvent les femmes. En l'état du droit, l'exercice de l'autorité parentale peut être suspendu de plein droit lorsque l'un des parents est poursuivi pour un crime commis sur l'autre ; le retrait total ou partiel soit de l'autorité parentale, soit de l'exercice de celle-ci, est envisageable en cas de condamnation pénale pour crime ou délit sur l'enfant ou l'autre parent ; en cas d'inceste ou d'atteinte volontaire à la vie de l'autre parent, le juge est obligé de se prononcer sur ce point. Cependant, écrivait Victor Hugo, « toutes les violences ont un lendemain » : celles subies dans l'enfance engendrent des souffrances physiques et psychologiques durables, marquant à jamais la victime devenue adulte. Or les enfants sont témoins de 98 % des violences conjugales et, dans 36 % des cas, eux-mêmes maltraités ! C'est pourquoi il était nécessaire d'aller plus loin. Car l'arsenal juridique demeure perfectible pour protéger les enfants.
Les neuf articles de la proposition de loi tendent à un unique but : renforcer les moyens à la disposition de la justice afin de protéger plus efficacement les victimes. Au terme de longues discussions entre le Sénat et l'Assemblée, l'article 1er a atteint un équilibre qui nous semble juste : l'exercice de l'autorité parentale et les droits de visite et d'hébergement du parent poursuivi ou mis en examen, soit pour un crime commis sur la personne de l'autre parent, soit pour une agression sexuelle ou un crime commis sur l'enfant, seront suspendus de plein droit jusqu'à la décision du juge aux affaires familiales.
En revanche, en cas de condamnation pour violences conjugales ayant entraîné plus de huit jours d'incapacité totale de travail (ITT) et lorsque l'enfant a assisté aux faits, cette même suspension, prévue par le texte, en a été supprimée. Dans l'intérêt supérieur de l'enfant, nous partageons la volonté d'élargir les motifs de suspension de plein droit de l'autorité parentale. Par ailleurs, afin de sécuriser toutes les étapes de la procédure, l'article 2 vise au retrait automatique de l'autorité parentale s'il y a condamnation pour les faits que je viens d'évoquer, tout en préservant l'appréciation du juge, qui peut choisir, par une décision spécialement motivée, de ne pas appliquer cette mesure.
Le temps me fait hélas défaut pour évoquer les autres dispositions, non moins essentielles, dont il a été question à plusieurs reprises et au sujet desquelles les deux chambres ont rapidement trouvé un accord, mais vous aurez compris que le groupe Horizons et apparentés sera toujours déterminé à accompagner les évolutions favorables à l'intérêt de l'enfant et à sa protection. Par conséquent, nous voterons pour ce texte avec conviction.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes HOR et Dem.
Nous nous prononçons aujourd'hui sur la version finale de la proposition de loi de notre collègue Isabelle Santiago. En première et en deuxième lecture, le groupe Écologiste avait déjà affirmé son soutien à ce texte qui vise à mieux protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales. En effet, alors que 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles, qu'un enfant décède tous les cinq jours à la suite de mauvais traitements et qu'une large part de ces violences est commise au sein du foyer, nous devons agir.
Suspendre l'exercice de l'autorité parentale et les droits de visite et d'hébergement d'un parent lorsqu'il est poursuivi ou mis en examen pour un crime commis contre sa compagne, pour une agression sexuelle incestueuse ou pour tout autre crime commis sur son enfant est nécessaire et en plein accord avec l'intérêt supérieur de l'enfant. Il en va de même du retrait pur et simple de l'autorité parentale en cas de condamnation.
Lorsqu'un enfant dénonce des violences, il faut le croire et le protéger. En cas de violences commises par l'un de ses parents, le principe de précaution doit s'appliquer et l'enfant doit être mis en sécurité. Cela implique de suspendre l'exercice de l'autorité parentale, ainsi que les droits de visite et d'hébergement, afin de s'assurer que l'enfant n'est plus en contact avec son agresseur et que les violences s'arrêtent – c'est d'autant plus nécessaire lorsqu'il s'agit de viols ou d'agressions sexuelles incestueuses.
À l'instar du contrôle judiciaire et de la détention provisoire, la suspension de l'autorité parentale n'est pas contraire à la présomption d'innocence. Simplement, il s'agit d'opérer un choix : celui de ne pas prendre de risques et de faire passer les droits et les besoins de l'enfant avant tout. N'oublions pas qu'un enfant qui révèle des violences et qui n'est pas cru risque de s'effondrer sur le plan psychique, en plus d'être probablement exposé à de nouvelles violences.
Le texte prévoit également la suspension de l'autorité parentale si un crime a été commis contre l'autre parent. Les études sont claires : en cas de violences conjugales, les conséquences sociales et psychologiques sur les enfants sont désastreuses. C'est pourquoi, en tant que covictimes des violences, les enfants doivent être protégés et séparés du parent violent. Rappelons qu'un parent violent n'est jamais un bon parent. Je pense notamment aux auteurs de féminicide sur leur compagne ou ex-compagne : des hommes poursuivis ou condamnés pour féminicide, et qui sont en attente de leur procès ou détenus en prison, conservent leurs droits parentaux, ce qui constitue une extrême violence pour les enfants, comme pour la famille de la victime.
Pour toutes ces raisons, les Écologistes voteront ce texte qui va dans le bon sens. Nous espérons néanmoins qu'il sera le premier d'une longue série car du chemin reste à parcourir pour prévenir les violences et accompagner les victimes. De nombreuses propositions de la Ciivise n'ont pas encore été engagées, à l'image de l'ordonnance de sûreté de l'enfant qui permettrait de protéger immédiatement les enfants dès la révélation des violences et non pas seulement en cas de poursuites du ministère public ou de mise en examen. Il est également nécessaire d'améliorer le parcours judiciaire et de soins des victimes, qui s'apparente souvent à un véritable parcours du combattant.
Alors que les travaux de la Ciivise sont au point mort, nous espérons également que le Gouvernement prendra ses responsabilités et permettra à la Commission indépendante de se remettre au travail et de conserver ses missions initiales. Nous le devons aux millions de victimes qui nous regardent et attendent de nous que nous soyons à la hauteur.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES. – M. Jiovanny William applaudit également.
Je dois concéder que la présente proposition de loi a été suivie, au sein du groupe de la Gauche démocrate et républicaine – NUPES, par notre collègue Karine Lebon que je remplace au pied levé, avec une grande fierté toutefois, tant le sujet qui nous rassemble est important et fait consensus.
Les chiffres des violences faites aux enfants et aux adolescents en France donnent le vertige, voire la nausée, au père de famille que je suis. Près de huit parents sur dix déclarent avoir recours à une violence éducative ordinaire, qu'elle soit physique ou morale. Quelque 1,2 million d'enfants scolarisés sont victimes de harcèlement. J'ai d'ailleurs organisé, il y a quelques semaines, la représentation d'une pièce de théâtre à l'Assemblée nationale – avec l'accord de la présidente – sur le thème du harcèlement, interprétée par plusieurs jeunes de la mission locale de Dieppe. Sept jeunes sur dix de cette mission locale déclaraient avoir été victimes de harcèlement ! Selon l'Unicef, 200 enfants sont maltraités chaque jour et un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de l'un de ses parents. Sans oublier les 160 000 enfants victimes d'agression sexuelle. Ces chiffres ont déjà été mentionnés mais les répéter permet d'en souligner le caractère inacceptable.
La proposition de loi de notre collègue Santiago, que je remercie et félicite pour son engagement, est donc salutaire, utile et symboliquement forte. Nous espérons qu'elle sera efficace puisqu'elle vise à mieux protéger les enfants et à prendre soin d'eux. Désormais, plus aucune violence à l'encontre d'un enfant, y compris lorsqu'elle est commise au sein du foyer familial, ne sera tolérée.
C'est donc sans hésitation et sans sourciller que nous voterons ce texte. Toutefois, il faudra continuer à accompagner les acteurs sur le terrain, en renforçant les moyens de la prévention, ceux de la justice – en particulier des juges aux affaires familiales – et ceux des départements dont relève la protection de l'enfance.
Lorsque j'ai commencé à m'engager dans ma ville de Dieppe, il y a une trentaine d'années, j'ai eu la chance de rencontrer le docteur Huguette Bonvoisin qui avait créé l'association En parler, dans le prolongement de l'association La Voix de l'Enfant, afin de faire de cette cause une priorité. Dieppe a ainsi été parmi les premières villes de France à instaurer une unité médico-judiciaire (UMJ) pluridisciplinaire, ce lieu d'écoute où l'ensemble des acteurs sont là pour entendre la parole de l'enfant, sans que celle-ci puisse être fragilisée ni contestée. S'il y a, bien sûr, un consensus sur ce point, force est de constater, le diable se cachant dans les détails, que la question des moyens financiers et humains est primordiale : c'est elle qui nous permettra d'être utiles concrètement, ou non – il faut par exemple disposer de suffisamment de psychologues pour être à l'écoute des enfants.
Je profite donc de ce beau texte pour souligner qu'il faudra que les moyens soient au rendez-vous, tant pour soutenir les UMJ pluridisciplinaires que pour aider les communes qui s'occupent seules, souvent, de trouver des logements de répit, ou de repli, pour mettre les familles à l'abri – ce sont souvent des mamans, avec des enfants malmenés ou maltraités. Nos déclarations d'intention, qui font consensus et ont une portée que je ne sous-estime pas – la force de la loi qui protège a beaucoup de sens – devront se traduire, sur le terrain, par des moyens plus importants. Faisons des droits de l'enfant une cause nationale ! Tel est l'état d'esprit qui m'anime, alors que je porte la voix du groupe communiste pour voter, avec enthousiasme, la présente proposition de loi.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et Écolo – NUPES. – Mme la rapporteure applaudit également.
Sur le texte de la commission mixte paritaire, je suis saisie par le groupe Socialistes et apparentés d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme Béatrice Descamps.
Les chiffres sont terrifiants mais il convient de les rappeler. En 2021, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH) relevait que, chaque année, 400 000 enfants sont exposés à des violences intrafamiliales. Dans ses conclusions intermédiaires, la Ciivise estime que 160 000 enfants sont victimes, par an, de violences sexuelles. Chaque semaine, un enfant meurt sous les coups de ses parents. Selon le ministère de l'intérieur, en 2021, les violences intrafamiliales non conjugales ont progressé de 16 %.
Les violences à l'égard des enfants, en particulier les violences sexuelles incestueuses, sont un fléau pour notre société et la justice doit être tenue à une obligation de résultat en la matière. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires salue le compromis trouvé en CMP et le caractère transpartisan de cette proposition de loi, qui montre la volonté commune d'avancer rapidement sur ce sujet et qui permettra de répondre aux demandes formulées par la Ciivise, visant à renforcer les mesures de suspension et de retrait de l'autorité parentale. Toutefois, notre groupe regrette les difficultés qui affectent cette commission indépendante, alors même qu'elle a effectué un travail essentiel. Le refus de reconduire le juge Édouard Durand dans ses fonctions de président et les récentes démissions en son sein nuisent à son action.
En 2019 et en 2020, deux lois ont permis d'accroître l'arsenal législatif en matière de violences familiales, notamment pour faciliter la suspension de l'autorité parentale en cas de poursuites. La lenteur du système judiciaire ne devant pas pénaliser les victimes, il était nécessaire d'être en mesure de soustraire les enfants de l'emprise du parent violent, même avant une condamnation. En ce sens, l'article 1er est essentiel : il permettra la suspension de l'autorité parentale en cas de crime ou de violences sexuelles incestueuses contre l'enfant. En effet, l'intérêt supérieur de ce dernier doit primer dans ce type de procédures.
À cet égard, nous entendons le choix de la CMP de ne pas maintenir, pour des raisons de sécurité juridique, la suspension de l'autorité parentale en cas de violences conjugales. Cependant, nous tenons à rappeler que les violences conjugales sont aussi des violences familiales qui touchent l'enfant et dont les conséquences peuvent être désastreuses et synonymes de souffrance : troubles affectifs, comportementaux, dépression, anxiété, reproduction de la violence ou encore syndrome de stress post-traumatique.
L'autre grande avancée de ce texte est qu'il incitera le juge pénal à prononcer le retrait de l'autorité parentale de façon plus systématique dès qu'un cas grave se présentera. Face à un cas d'inceste, il est nécessaire que le principe soit celui d'un retrait total. Avec ce texte, seule une décision spécialement motivée du juge pourra en décider autrement ; c'est une avancée très attendue.
Si ces dispositions sont urgentes et nécessaires, il faudra inévitablement qu'elles s'accompagnent d'un renforcement des mesures préventives et d'une augmentation des moyens octroyés, afin que ces violences cessent au sein des foyers. Et parce que ces dernières marquent l'enfant jusqu'à ce qu'il devienne adulte, il est nécessaire de garantir que l'accompagnement psychologique et la prise en charge ne s'arrêteront pas à sa majorité. À cet égard, j'ai souvent dénoncé ici le manque criant de psychologues, de psychiatres et de pédopsychiatres, qui entraîne, il faut bien le dire, un défaut dans le suivi, pourtant indispensable, des enfants.
Notre groupe votera donc la proposition de loi de Mme Santiago – que je remercie –, parce qu'elle représente une avancée majeure et qu'il est urgent d'agir. Nous espérons qu'elle entrera rapidement en vigueur.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LIOT.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 180
Nombre de suffrages exprimés 180
Majorité absolue 91
Pour l'adoption 180
Contre 0
La proposition de loi est adoptée.
Applaudissements sur tous les bancs.
Permettez-moi de tous vous remercier. Je n'allongerai pas inutilement les débats, puisque nous avons déjà tout dit dans nos interventions. Je souhaite néanmoins saluer trois femmes qui m'ont beaucoup aidée et ont travaillé, avec moi, sur ce texte : Mathilde, ma collaboratrice, Marine, administratrice à la commission des lois, ainsi que Joséphine, du groupe Socialistes et apparentés.
Applaudissements sur de nombreux bancs.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire (n° 2197, 2305) et du projet de loi organique modifiant la loi organique du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution (n° 2198, 2300).
La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie.
Je suis heureux de vous retrouver pour débattre de ce texte important pour la relance de la filière nucléaire. Il y a treize ans jour pour jour, un tsunami au large des côtes japonaises était à l'origine d'un accident nucléaire majeur – celui de Fukushima –, qui a causé la mort de 16 000 personnes et le déplacement de 160 000 autres. Le cœur de trois réacteurs sur les six que comptait la centrale a alors fondu. À la suite de cet accident historique, la France a pris ses responsabilités.
Elle a ainsi amélioré la sûreté de ses installations nucléaires, grâce à la construction de nouveaux diesels de secours résistants aux séismes – j'en ai vu plusieurs à l'occasion de visites des centrales nucléaires, vous aussi, sans doute – et de nouveaux centres de crise, à la mise en place d'une Force d'action rapide du nucléaire (Farn),…
…dotée d'équipes spécialisées mobilisables vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, en cas d'accident nucléaire majeur. À l'époque, la priorité absolue du Gouvernement était la sûreté des installations et la sécurité de nos concitoyens – c'est toujours le cas.
Soyons clairs : ce texte ne revient pas sur les exigences de sûreté – il ne modifie en rien le cadre de sûreté existant.
Nous sommes réunis pour débattre de deux sujets principaux : la création d'une autorité unique de sûreté nucléaire et de radioprotection, et l'adaptation des règles de la commande publique aux projets nucléaires. L'année dernière, quand l'Assemblée nationale a rejeté l'amendement instaurant la réforme de la gouvernance de la sûreté nucléaire, vous aviez émis le souhait de disposer de davantage de temps pour débattre et pour mesurer toutes les implications de cette réforme dans un domaine sensible. Vous aviez raison, mesdames et messieurs les députés. Vous avez eu du temps et vous avez été entendus.
Je remercie pour leurs travaux les membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), en particulier Jean-Luc Fugit, qui le représente ici, et le sénateur Stéphane Piednoir, son président, lesquels ont examiné en détail le caractère opportun et les modalités du rapprochement entre l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Je salue également les sénateurs Patrick Chaize, autre membre de l'Opecst, et Pascal Martin, rapporteur du texte, qui ont travaillé à l'applicabilité du texte. Je me réjouis enfin des travaux menés à l'Assemblée la semaine dernière en commission. Je rappelle que le présent projet de loi est accompagné d'une étude d'impact de 200 pages.
Pourquoi faut-il une nouvelle organisation ? Nous entrons dans une nouvelle ère. Nous avons devant nous vingt ans de relance du nucléaire. Grand carénage, réacteurs de type EPR 2, petits réacteurs modulaires (SMR), réacteurs innovants, recherche et développement, cycle du combustible : nous nous inscrivons dans une démarche de relance complète du nucléaire. Dans une période charnière pour le nucléaire français, nous sommes face à des défis gigantesques : il faut continuer à nous assurer de la sûreté des centrales nucléaires existantes, prolonger leur durée de vie, développer le nouveau nucléaire avec un haut niveau d'exigence, et poursuivre au-delà de 2040 la stratégie française pour l'aval du cycle du combustible – dans la perspective de fermer ce cycle.
Ce projet de loi vise à relever ces défis et à améliorer l'efficacité des moyens que l'État engage dans la relance du nucléaire. Je le répète : je ne comprends pas que ceux qui sont pour le nucléaire puissent voter contre ce texte.
Nous pouvons évidemment en discuter, en débattre, mais le rejeter sans débat préalable est incompréhensible. Certains d'entre vous sont systématiquement contre tout – tout ce qui vient du Gouvernement.
Ils s'opposent à ce projet de loi comme à tous les autres.
Nous étions pour l'inscription de l'interruption volontaire de grossesse dans la Constitution !
D'autres, précédemment opposés à la relance du nucléaire, à la création de l'ASN et au projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, sont évidemment contre ce texte.
J'appelle ceux d'entre vous qui sont pour la relance du nucléaire et qui considèrent que ce texte est perfectible à voter contre la motion de rejet préalable et à continuer à enrichir la discussion.
Pourquoi voulons-nous cette réforme ? Nous souhaitons d'abord accélérer les procédures et les simplifier, afin de disposer d'une entité dimensionnée pour gérer l'inflation du nombre de dossiers et l'intensification des contrôles. Ensuite, nous souhaitons concentrer nos talents – les experts de la sûreté nucléaire et de la radioprotection sont rares et travaillent dans des métiers en tension. Nous devons faciliter leur travail collectif en encourageant les passages, au cours de leur carrière, de l'expertise au contrôle et inversement. De tels passages entre les deux entités existent déjà – vous le savez –, mais ils sont compliqués par la lourdeur des procédures. Au cours des quinze dernières années, le nombre de personnels de l'IRSN mis à disposition de l'ASN a diminué de plus de 40 %, du fait de difficultés de recrutement et d'un accompagnement insuffisant des personnels à leur retour à l'IRSN.
Enfin, nous souhaitons qu'une organisation optimale permette à l'entité nouvellement créée de se concentrer sur les enjeux de sûreté et de radioprotection plutôt que de se disperser dans des tâches administratives ou de coordination entre structures. La complexité n'est pas un gage de sûreté, mesdames et messieurs les députés. Ce qui garantit la sûreté, c'est la clarté, l'indépendance, la transparence et l'efficacité.
Comment voulons-nous mettre en œuvre le rapprochement entre l'ASN et l'IRSN ? Nous souhaitons conserver le niveau de sûreté exigeant qui est déjà le nôtre. Nous recherchons l'excellence dans toutes les activités importantes pour la sûreté du parc nucléaire. Personne ici n'est contre la sûreté ! Imaginer que nous voulions créer cette nouvelle autorité pour baisser la garde sur la sûreté ou pour mettre sous cloche l'indépendance n'a aucun sens.
J'ai entendu dire ici et là que ce projet de loi nous mènerait au chaos. Je n'ai moi-même jamais affirmé qu'il fallait choisir entre ce texte et le chaos. Laisser entendre qu'en cas d'adoption de cette réforme, point de salut, est tellement caricatural – cela en devient aberrant.
Nous souhaitons garder l'essentiel de ce qui existe, qui n'est pas dénué de mérites, notamment la rigueur et les compétences. Mais nous voulons aller plus loin pour disposer d'une organisation qui soit plus puissante, plus efficace, plus indépendante et plus transparente.
Grâce à cette nouvelle entité, nous nous donnons les moyens de faire face à un défi industriel et énergétique sans précédent. Les grandes lignes de la réforme sont les suivantes : nous créons une autorité forte et indépendante, dont le fonctionnement garantit qu'elle restera durablement à la hauteur des enjeux ; j'ajoute qu'elle évoluera dans les meilleures conditions grâce au respect d'un ensemble de principes.
D'abord, nous voulons renforcer son indépendance, alors que l'IRSN est sous la tutelle du Gouvernement. C'est un élément essentiel que je signale à ceux qui voudraient accuser la nouvelle entité de manquer de transparence : sur ce point, l'expertise sera plus indépendante qu'aujourd'hui. Nous voulons aussi renforcer son indépendance vis-à-vis des exploitants, en introduisant des règles de déontologie strictes et rigoureusement appliquées.
Nous souhaitons aussi renforcer la transparence, grâce aux informations mises à la disposition du public. Arrêtons de croire que regrouper les activités diminuerait la transparence !
Je vais même dire tout haut ce que certains pensent tout bas : la publication systématique d'avis dans les jours qui suivent leur transmission à l'autorité n'est pas nécessairement un gain en matière de transparence.
L'abondance d'informations illisibles et non coordonnées nuit à la transparence…
On ne cache rien, et on ne cachera rien ! L'indépendance de l'expertise, disais-je, et celle de la décision sont deux piliers de ce processus ; l'expertise doit être indépendante,…
…la décision doit l'être également et, évidemment, les avis concourant à l'expertise et à la décision continueront d'être publiés. Plusieurs amendements ont trait à ce sujet et nous aurons, je n'en doute pas, l'occasion d'y revenir.
Nous souhaitons en outre renforcer l'attractivité des métiers en facilitant les parcours de carrière – le but étant de donner lieu à des carrières plus fluides et plus variées –, mais aussi en encourageant la capacité des membres de chacune des deux organisations à prendre des responsabilités dans ce qui relevait jusqu'à présent de l'autre, et vice versa. Nous voulons aussi dégager – c'est dans le projet de loi – une enveloppe pour augmenter les salariés de l'IRSN dès 2024, et une autre pour augmenter les contractuels de droit public de l'ASN, également dès 2024. Nous augmenterons aussi les fonctionnaires de l'ASN – Christophe Béchu s'y est engagé au Sénat, je m'y engage devant vous ; les montants et les modalités de cette hausse seront précisés au cours de l'année.
Enfin, nous souhaitons assurer une culture de l'excellence, reposant sur des compétences fortes et sur un socle de recherche ambitieux et partenarial. À ce sujet, je souhaite répondre à plusieurs questions qui m'ont été adressées. Les activités de recherche actuellement conduites par l'IRSN conserveront une place centrale au sein de la future entité qui pourra évidemment employer différents profils de chercheurs ; elle pourra en outre conclure des partenariats de recherche, y compris avec les exploitants, mais aussi participer à des programmes de recherche et bénéficier de fonds européens, comme c'était déjà le cas pour l'ASN et pour l'IRSN.
Les principes régissant la future autorité sont-ils conformes aux meilleures pratiques ? La réponse est oui. Ils sont évidemment conformes aux recommandations de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui préconise d'ailleurs que l'autorité de contrôle dispose en interne des compétences lui permettant d'assumer ses responsabilités. La Commission européenne a confirmé, le 9 février dernier, que le projet de loi était pertinent pour transposer les directives applicables. Le rapprochement entre expertise et décision n'est pas la règle partout, mais celui que nous prévoyons n'est pas unique au monde, bien au contraire : aux États-Unis, le système est intégré ;…
…il l'est également au Canada, en Espagne ou en Inde. Au Japon, à la suite de l'accident de Fukushima, les autorités ont décidé de simplifier leur organisation : en 2014, elles ont regroupé dans une entité indépendante unique, la NRA – Nuclear Regulation Authority –, l'autorité et son principal appui technique.
Le projet de loi est-il une attaque contre la qualité de travail de l'IRSN ?
Non, trois fois non !
Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Je sais que certains veulent faire courir ce bruit ;…
…d'autres ont pu le comprendre ainsi en étant, d'une certaine manière, de bonne foi. Je souhaite donc rassurer les employés de l'IRSN : en aucun cas nous ne mettons en cause la qualité de leur travail. Au contraire, ce haut niveau de compétences est une chance pour la France ; demain, il le restera.
Nous disposons d'infrastructures de qualité à l'IRSN ; d'ailleurs, alors que chacune des deux instances dispose d'une cellule de crise, celle qui résultera de leur regroupement s'inspirera très largement de la structure présente au sein de l'IRSN. Au sein des deux entités, il y a aussi deux directions des ressources humaines (DRH), deux systèmes d'information, deux systèmes de paie mais aussi deux équipes interagissant avec les instances internationales.
Est-ce la manière la plus efficace d'agir, ne vaut-il pas mieux que la nouvelle entité se concentre sur ce qu'elle devrait faire ?
En fait, vous allez éparpiller les compétences ! Et vous trouvez cela plus efficace ?
Nous devons avant tout nous assurer que notre système nucléaire est un système sûr, qui garantira – c'est essentiel – la sécurité de nos concitoyens.
Il est primordial que les travaux préfigurant la fusion permettent d'assurer à tous qu'une entité n'absorbera pas l'autre ; c'est pour cela que nous maintenons les garanties prévues pour les agents des deux structures. Mais il est tout aussi essentiel de garantir qu'elles ne seront pas simplement juxtaposées. Ainsi, nous ne souhaitons pas nous contenter de créer une direction de l'expertise au sein de l'ASN : nous souhaitons bel et bien rassembler les deux entités, de manière à les rendre plus efficaces. Et sur ce point, mesdames et messieurs les députés – je le dis au risque de vous choquer un peu –, le travail ne s'arrêtera pas avec le vote du projet de loi : il ne fait au fond que commencer.
Non ! Le rapprochement de deux entités ne peut réussir que grâce au succès de la phase de préfiguration menée par des groupes de travail spécifiques ; or il reste beaucoup à faire, sur le plan opérationnel, d'ici au début de l'année 2025.
Pour que ce soit fait, et bien fait, je m'engage devant vous à nommer très vite, après le vote du projet de loi à l'Assemblée, un préfigurateur ou une préfiguratrice, mais aussi à suivre de très près la mise en œuvre opérationnelle du rapprochement.
Le but de ce rapprochement, je le rappelle, c'est de créer un collectif plus puissant, plus indépendant, plus transparent et plus attractif. Il nous faut un collectif fort pour une autorité puissante, et c'est ce que permet le projet de loi.
Avant de conclure, j'évoquerai deux autres volets du texte, qui sont tout aussi essentiels. D'une part, nous entendons rattacher le haut-commissaire à l'énergie atomique au Premier ministre, afin de renforcer son implication dans la coordination de la politique nucléaire ; d'autre part, nous permettons aux maîtres d'ouvrage de projets nucléaires, en particulier EDF pour les projets d'EPR 2, de passer des marchés publics selon des modalités plus adaptées à leurs contraintes industrielles…
…et au temps de leur action qui, en matière de nucléaire – vous le reconnaîtrez –, est en général un peu plus long qu'ailleurs.
Ça, vous pourrez le mettre dans le projet de loi de finances rectificative !
Le fait de regrouper ces trois objets dans un même texte a été critiqué, mais je vous rappelle qu'ils ont un but commun : relever, dans les meilleures conditions, le défi que constitue la relance du nucléaire. C'est essentiel et c'est urgent : allons-y !
Je salue enfin le travail parlementaire accompli, et j'espère que je pourrai faire de même concernant les travaux à venir. Celui du Sénat nous a fait progresser, et celui de la commission de l'Assemblée…
…a permis notamment de clarifier la portée de la distinction entre expertise et décision. Au fond, c'est l'essentiel. En commission, vous avez voté pour qu'au sein de la nouvelle entité, les responsabilités de ceux qui décident et de ceux qui expertisent soient bien séparées. Vous avez également doté la future autorité d'un conseil scientifique.
En revanche, la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a décidé de supprimer l'article 1er …
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES
…qui, je vous le rappelle, édicte le principe même du rapprochement ; nous proposerons évidemment de le réintroduire.
Nous sommes par ailleurs attentifs à l'ajout par le Sénat, confirmé par la commission du développement durable de l'Assemblée, d'une demande de rapport à travers lequel le Gouvernement évaluera, au plus tard le 1er juillet prochain, la possibilité d'instituer un préfigurateur chargé de mener la création de la future autorité. Je vous l'ai dit et je vous le répète : nous nommerons ce préfigurateur très vite après le vote du projet de loi, c'est en effet crucial.
Mesdames et messieurs les députés, ce projet de loi essentiel va nous permettre de procéder de manière accélérée à la relance du nucléaire,…
…que la grande majorité d'entre vous appelle de ses vœux. Ayons un beau débat et ne rejetons pas le texte avant qu'il ait été examiné ! Débattons, débattons, débattons, et votons !
Applaudissements sur de très nombreux bancs des groupes RE et Dem.
La parole est à M. Jean-Luc Fugit, rapporteur de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Pour chacun de nous, il est évident que la réussite de la filière nucléaire repose sur la garantie d'une exploitation sûre et sur un cadre clair du contrôle en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection. L'organisation actuelle a permis de gérer de façon satisfaisante les enjeux relatifs à la sûreté nucléaire et à la radioprotection ces vingt dernières années, dans un contexte de calme relatif pour l'industrie nucléaire.
Or le contexte a radicalement changé. Nous sommes au seuil d'un bouleversement d'ampleur du paysage nucléaire français et nous avons de nombreux défis à relever : la prolongation des réacteurs actuels, les impacts du changement climatique, le déploiement d'une filière EPR 2 ou encore l'apparition de nombreuses innovations dans le domaine des petits réacteurs.
Les projets qui émergent dans ce contexte vont accroître significativement et durablement le volume et la complexité des dossiers relatifs à la sûreté et à la radioprotection. Nous devons par conséquent nous interroger sur le fait de savoir si l'organisation actuelle est suffisamment efficace et robuste pour garantir les meilleurs standards de sûreté.
Le système de contrôle actuel, qui repose d'une part sur une autorité de sûreté nucléaire créée en 2006, et d'autre part sur un institut de radioprotection et de sûreté nucléaire créé en 2002, résulte de réorganisations successives s'étalant sur plus d'un demi-siècle. Sans retracer toutes les étapes de cette histoire, je rappelle que l'IRSN est né de la fusion entre l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) et l'Office de protection contre les rayonnements ionisants (Opri). L'ASN, quant à elle, a d'abord été un service placé sous l'autorité du Gouvernement, avant de devenir indépendante en 2006. Aujourd'hui, les deux entités travaillent ensemble, le plus souvent en « mode projet », « au pied du réacteur », comme le rappelle l'Opecst dans son rapport de juillet 2023.
Alors que l'approche institutionnelle pourrait laisser croire qu'expertise et décision sont séparées de manière rigide, il existe en fait une continuité entre les deux activités. Le présent projet de loi consacre l'indépendance de l'entité chargée du contrôle de la sûreté nucléaire civile et de la radioprotection vis-à-vis du Gouvernement et des exploitants, grâce au statut d'autorité administrative indépendante qui lui est conféré.
En créant une Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection, l'ASNR, qui intégrera, en plus des missions de l'ASN, l'essentiel des missions d'expertise et de recherche de l'IRSN, le texte permettra de fixer un calendrier unique des priorités et de renforcer le partage d'informations ainsi que le pilotage des moyens. En réunissant les compétences des personnels très bien formés de l'ASN et de l'IRSN et en facilitant leur travail collectif, la réforme améliorera la qualité de l'expertise, de l'instruction et de la décision s'agissant des dossiers soumis à l'autorité de contrôle. Par sa taille et son haut niveau de compétence, la future autorité sera mieux à même d'attirer de nouveaux talents.
Pour consacrer l'indépendance de la nouvelle autorité et garantir son bon fonctionnement, favorable à la fois aux salariés et à la sûreté nucléaire, il est essentiel de rétablir l'article 1er du projet de loi qui a été, à mon grand regret, supprimé en commission. Le texte préserve les principes fondamentaux que sont la distinction entre expertise et décision, la transparence de l'information et la publication des rapports d'expertise. Ces principes sont inscrits à l'article 2 et se déclinent dans d'autres articles. Quant aux exigences d'indépendance, de déontologie et de transparence, elles ont été renforcées lors de l'examen du texte au Sénat. Nous avons précisé ces dispositions en commission, notamment en élargissant le champ de compétence de la commission d'éthique et de déontologie.
Je suis particulièrement attaché à ce que les activités de recherche conduites actuellement à l'IRSN soient maintenues au plus haut niveau d'expertise car la relance du nucléaire est également celle de la recherche et de l'innovation. À cet égard, je me réjouis que, sur ma proposition, notre commission ait décidé de doter la future autorité d'un conseil scientifique.
En matière de dialogue social, le projet de loi prévoit de préserver les statuts privé et public des personnels et de conserver les instances de dialogue social existantes jusqu'à l'instauration d'une entité spécifique. Notons aussi qu'il est prévu, à l'article 11, une revalorisation, dès cette année, des salariés et agents de droit privé. En commission, nous avons également précisé que le rapport d'évaluation des moyens financiers et humains de la nouvelle autorité devra comporter une évaluation des moyens techniques nécessaires à son bon fonctionnement.
Nous avons également prévu, à la demande des syndicats, que le changement soit spécifiquement accompagné.
Enfin, j'insiste sur ce point, le Parlement devra suivre avec une attention particulière l'application de la réforme.
C'est le sens de l'amendement, adopté en commission, qui prévoit de permettre à l'Opecst de suivre l'état d'avancement des travaux préparatoires d'installation de l'ASNR puis de demander au Gouvernement de lui remettre régulièrement des bilans du fonctionnement de cette nouvelle autorité.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
La parole est à M. Antoine Armand, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.
Nous sommes à la veille du plus grand chantier qu'ait connu notre pays depuis les années 1970 : la relance de toute une industrie, de l'enrichissement du combustible à son retraitement, de la construction de centrales à la production d'électricité. Ce chantier, c'est celui de la relance nucléaire, grâce à notre industrie, au service de la transition énergétique.
Pour y parvenir, pour relever le défi de l'urgence, pour maintenir et renforcer la filière qui présente un atout écologique immense et participe de notre souveraineté, plusieurs conditions doivent être réunies.
La première est de disposer des savoir-faire techniques et industriels, ce qui impose de réaliser un effort de formation et d'orientation professionnelle majeur.
La deuxième est de garantir notre capacité à exécuter un chantier de cette ampleur, en simplifiant autant que possible les procédures administratives, en réduisant les délais et en sécurisant au maximum les porteurs de projets qui investissent pour notre pays, pour l'écologie.
C'est l'objet des dispositions dont la commission des affaires économiques a été saisie au fond. On pourrait penser spontanément que leur place n'est pas dans ce texte. À la réflexion, il s'avère qu'elles sont au contraire nécessaires. Elles ont été enrichies et affinées, à la suite de leur examen au Sénat mais aussi au sein de notre commission puis de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Enfin, ultime condition : il faut disposer d'un appareil administratif et technique qui garantit la sûreté de notre parc. Nous avons eu cette chance, grâce au plan Messmer. Depuis les années 1970, nous avons fait évoluer tous les dix ans environ l'organisation des instances de sûreté et, aujourd'hui, nous nous apprêtons à les fusionner en une nouvelle autorité indépendante, dont les moyens seraient mutualisés et les procédures simplifiées.
Le contexte l'appelle, du fait du triple défi que nous devons relever : la multiplication des réexamens de sûreté décennaux du fait de la prolongation des cinquante-six réacteurs du parc nucléaire, qui s'étalent à chaque réexamen sur plusieurs années, le lancement des chantiers des nouveaux réacteurs EPR 2, dont la configuration différente imposera de nouvelles expertises, enfin l'émergence de nouvelles technologies déclinées dans plusieurs réacteurs, de taille et de puissance différentes.
À ce propos, je demanderai à ceux qui font les gros yeux lorsqu'ils entendent parler de la technologie nucléaire, de quoi ils ont peur : que la France conserve son leadership dans la course à l'innovation technologique ? Qu'elle prenne de l'avance dans la transition énergétique ? Qu'elle relève ce défi industriel ?
Que nos start-up fassent la fierté de notre pays dans la course à l'innovation mondiale ?
Je ne crois pas que nous ayons à craindre quoi que ce soit de l'innovation ou du progrès industriel.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Ce n'est qu'une question de temps.
C'est ce triple défi qui guide le Gouvernement lorsqu'il propose à l'Assemblée une nouvelle organisation. Forcément, comme cela arrive à chaque fois que l'on fait évoluer une structure, des questions se posent. Elles sont légitimes, elles méritent que l'on y réfléchisse et que l'on y réponde, comme ce fut le cas en commission du développement durable et en commission des affaires économiques. J'en profite pour saluer le travail des présidents des commissions mais aussi celui du rapporteur, Jean-Luc Fugit, avec qui les échanges furent fructueux.
Mais j'y insiste : il s'agit bel et bien d'une nouvelle organisation et non d'un nouveau référentiel de sûreté – le ministre l'a rappelé. Aucun des mots qui définissent notre doctrine de sûreté ne sera changé.
Il ne s'agit pas davantage d'adopter une nouvelle approche méthodologique : les méthodes d'expertise et d'instruction restent inchangées, la séparation entre expertise et décision perdure. Et le dispositif ne perdra pas de sa transparence puisque, au contraire, il est prévu d'inscrire dans la loi des principes qui n'y figuraient pas – je pense en particulier à la séparation entre les personnes chargées de l'expertise et celles amenées à prendre une décision, ou à la publication des décisions et des avis associés.
Il vous est proposé, à travers ce texte, une nouvelle architecture, dont la structure pratique, l'organisation technique et scientifique, seront décidées par les instances compétentes, par les partenaires sociaux, bref par les spécialistes. Je salue la préfiguration de cette nouvelle organisation qui sera entourée de toutes les garanties qu'a permises la coconstruction de ce texte au Sénat et à l'Assemblée.
Ne nous trompons pas de combat : soutenir la relance nucléaire, c'est bien être capable de faire évoluer notre organisation de sûreté, précisément pour en maintenir et en renforcer la qualité et l'efficacité.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes RE et HOR.
La parole est à M. le président de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Notre système de sûreté et de sécurité nucléaire doit faire face à de nouveaux enjeux, cruciaux : un environnement géopolitique incertain, le réchauffement climatique dont les conséquences pèsent sur toutes les activités productives, y compris énergétiques, une relance historique du nucléaire pour relever le défi majeur de la décarbonation.
La construction de nouveaux réacteurs EPR 2, la poursuite de l'exploitation du parc actuel, le renforcement des infrastructures du cycle du combustible doivent être réalisés dans un cadre de sûreté nucléaire très élevé. C'est dans ce contexte que s'inscrit le projet de réorganisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire.
Il s'agit, comme par le passé, d'adapter notre modèle aux nouvelles contraintes qui pèsent sur lui, en faisant évoluer son organisation afin de lui permettre de répondre toujours plus efficacement aux exigences de la sûreté nucléaire. Il nous est donc proposé de regrouper l'IRSN et l'ASN dans une nouvelle autorité administrative indépendante : l'ASNR.
Afin de garantir son indépendance, l'ASNR aura le statut d'autorité administrative indépendante, comme l'ASN actuelle. Elle sera un interlocuteur unique, indépendant du Gouvernement et des exploitants, chargée du contrôle, de l'instruction des dossiers de sûreté et de la radioprotection dans toutes ses composantes.
Ce projet ne vient pas de nulle part, il découle des dix-sept recommandations que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a formulées dans le rapport du député Jean-Luc Fugit et du sénateur Stéphane Piednoir, publié le 11 juillet 2023.
En commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, les nombreuses auditions menées par le rapporteur, en toute ouverture et transparence, et la durée des débats – plus de douze heures –, ont permis à chacun d'exprimer ses doutes et ses interrogations, tout en conservant les avancées du Sénat pour renforcer la transparence, la lisibilité et les garanties d'indépendance. Je tiens à saluer de nouveau le travail de notre rapporteur Jean-Luc Fugit, très investi, qui s'est efforcé de répondre à chacun, et bien évidemment celui de M. le ministre, qui a apporté les précisions demandées. Si des doutes subsistent, il sera de notre responsabilité d'y répondre et je sais que ce sera fait.
J'ajoute enfin que la suppression de l'article 1er par notre commission résulte d'une nouvelle épreuve du vote que j'ai acceptée, dans un esprit constructif,…
Chacun jugera s'il est étonnant que le résultat obtenu à l'issue de dix minutes de suspension diffère de celui obtenu dix minutes plus tôt. En l'espèce, un minimum de sincérité me semble s'imposer, pour la dignité des débats à venir.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire est évidemment soucieuse que les exigences en matière de gouvernance nucléaire ne soient jamais réduites au profit d'autres considérations, celles d'une logique de filière ou d'activité productive, et elle a souhaité répondre à toutes les inquiétudes. C'est dans cet esprit qu'elle restera attentive à l'avenir, puisque l'article 14 du projet de loi prévoit qu'elle nommera le président de la future ASNR.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
Le projet de loi relatif à la gouvernance de la sûreté nucléaire que nous nous apprêtons à examiner a fait l'objet d'un travail approfondi du Gouvernement avec l'Autorité de sûreté nucléaire d'une part, et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire d'autre part, afin de créer une nouvelle autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection qui conserverait les mêmes exigences en matière de sûreté nucléaire mais dont les capacités seraient renforcées. Il était important de prendre le temps nécessaire pour bâtir cette réforme dans le cadre d'un projet de loi plutôt que par voie d'amendements comme cela fut tenté l'an passé.
Cette réforme s'inscrit dans la droite ligne du discours de Belfort du Président de la République, en février 2022, qui a décidé de la relance de la filière nucléaire et de la loi d'accélération du nucléaire que nous avons votée l'année dernière. Élu d'un territoire qui accueille les centrales de Flamanville et l'usine de retraitement de La Hague, je soutiens pleinement cette industrie qui nous permet, et nous permettra, de produire une électricité décarbonée et compétitive.
La commission des affaires économiques s'est saisie pour avis de l'ensemble du texte, avec une délégation au fond des articles 2 ter, 12 et 16 à 18. Je salue, à cet égard, le travail réalisé par le rapporteur pour avis Antoine Armand.
La commission des affaires économiques et son rapporteur pour avis ont d'abord contribué à l'amélioration des articles non délégués, en supprimant un article superflu, le 4 bis, ainsi qu'un dispositif procédural problématique ajouté par le Sénat à l'article 4. Notre commission a enfin permis de réintroduire, dans les attributions reprises de l'IRSN, les prestations de mesure ou de recherche que l'institut peut aujourd'hui réaliser pour des organismes français ou étrangers.
Il me semble important d'insister sur un point pas assez souvent mentionné : la date retenue pour l'application de cette réforme. Le 1er janvier 2025 n'est que le point de départ légal du processus. Certains choix pratiques, les « incontournables », devront certes avoir été arrêtés à cette date mais les nouvelles modalités de travail seront affinées en prenant le temps nécessaire.
Je terminerai mon propos sur les articles dont nous étions saisis pour avis en saluant le travail du rapporteur Jean-Luc Fugit et de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire. Néanmoins, en tant que président de la commission des affaires économiques, je me dois de regretter que la compétence de la commission des affaires économiques n'ait pas été maintenue pour émettre un avis, en application de l'article 13 de la Constitution, sur la nomination du président de la future ASNR, tel que cela était prévu par le projet de loi initial.
Sourires.
Il est en effet logique que ce soit notre commission, aujourd'hui compétente pour la nomination du président de l'ASN, qui se prononce.
Nous disposons d'une compétence exclusive et intégrale en matière d'énergie, et la sûreté nucléaire est éminemment liée à des enjeux de production. La commission des affaires économiques du Sénat partage évidemment notre déception. Je compte sur la sagesse de l'hémicycle pour reconnaître la légitimité de la commission des affaires économiques à statuer sur cette nomination.
En ce qui concerne les articles pour lesquels nous avions reçu une délégation au fond, nous avons, à l'article 12, simplifié les dispositions fixant les missions du haut-commissaire à l'énergie atomique, désormais placé sous l'autorité du Premier ministre, afin que ses missions correspondent davantage à son rôle : celui d'un expert technique et scientifique qui conseille le Gouvernement.
Au titre II, les articles 16 à 18, dont nous étions également saisis au fond, se rapportent à des mesures qui permettent de déroger à certaines règles du code de la commande publique pour des projets nucléaires, telles que la construction de réacteurs ou d'installations d'entreposage et de stockage de combustibles. Ces mesures sont fondamentales pour garantir aux exploitants une commande publique qui allie sécurité juridique et efficacité. Elles le sont aussi pour protéger les intérêts essentiels de la nation puisque l'article 18 permet de déroger au code de la commande publique pour les ouvrages nucléaires les plus sensibles. Je me félicite que nous ayons pu parachever le travail du Sénat et apporter quelques précisions quant au champ d'application des dérogations.
Je suis certain que nous pourrons avoir cette semaine des débats de qualité qui permettront d'aboutir à une réforme adaptée aux enjeux de relance de la filière nucléaire et qui prête une attention particulière aux personnels concernés, dans un calendrier qui, je le redis, me semble être le bon.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe HOR.
La parole est à M. Sacha Houlié, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Exactement !
Je ne me ferai pas l'arbitre des élégances entre la commission du développement durable et la commission des affaires économiques pour déterminer celle qui participera à la désignation du président de la future autorité nucléaire, j'interviens devant vous car le projet de loi organique inscrit à l'ordre du jour modifie la loi organique du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Cette modification rend nécessaire l'adoption de dispositions organiques qui relèvent de la compétence de la commission des lois.
L'article 1er du projet de loi organique tire les conséquences de la fusion, prévue par la loi organique du 23 juillet 2010, de l'ASN et de l'IRSN pour créer l'ASNR. Il s'agit d'ajouter à la dénomination de l'ASN un volet « radioprotection » et, par conséquent, de supprimer la mention de l'IRSN.
La nomination du président de cette nouvelle ASNR par décret du Président de la République, après avis des commissions compétentes des assemblées parlementaires, ne sera possible qu'une fois la loi ordinaire adoptée. Le projet de loi organique n'a donc d'intérêt qu'en cas d'adoption préalable de la loi ordinaire.
La nomination du président de l'ASNR fera l'objet d'un contrôle démocratique renforcé, conformément aux dispositions issues de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Elle n'interviendra qu'à compter du 1er janvier 2025, si vous votez la loi créant la nouvelle autorité.
Le Sénat, qui a examiné le texte, a adopté trois nouvelles dispositions.
En premier lieu, il a ajouté le haut-commissaire à l'énergie atomique au nombre des nominations relevant du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, pour tenir compte de l'extension de ses compétences et de son rattachement auprès du Premier ministre.
En second lieu, le Sénat a supprimé dans la loi organique du 23 juillet 2010 la mention du Haut Conseil des biotechnologies (HCB). Cette instance a en effet disparu, à compter du 1er janvier 2022, en application d'une ordonnance du 13 octobre 2021, ses missions ayant été dévolues à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). La mention du HCB étant devenue obsolète, il était nécessaire de toiletter la loi organique de 2010 sur ce point.
Enfin, le Sénat a adopté un article 3 précisant que la nouvelle procédure de nomination du haut-commissaire à l'énergie atomique, après avis public des commissions compétentes, ne s'applique pas au mandat en cours.
Si la commission des lois a confirmé la suppression de la mention relative au HCB, elle est revenue sur la disposition relative à la nomination du haut-commissaire à l'énergie atomique en application du cinquième alinéa de l'article 13. En effet, la nomination du haut-commissaire présentait un très fort risque d'inconstitutionnalité car celui-ci est placé dans une situation de subordination à l'égard du Premier ministre. Or l'exposé des motifs de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 précise qu'il ne doit pas y avoir de lien hiérarchique direct entre le Gouvernement et les personnalités nommées au titre du cinquième alinéa de l'article 13.
Le projet de loi organique qui vous sera soumis, après le vote de la loi ordinaire, comporte ces ajustements, utilement réalisés par la commission des lois.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
J'ai reçu de M. Bertrand Pancher et des membres du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement, sur le projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire.
La parole est à M. Benjamin Saint-Huile.
Je voudrais mettre fin à une fable simple laissant à penser que si l'on est en faveur du nucléaire, il faut voter ce texte, raccourci auquel vous vous êtes risqué, monsieur le ministre.
Ce soir, au nom du groupe LIOT, j'ai l'honneur d'emprunter le chemin, inhabituel pour nous…
…du dépôt d'une motion de rejet préalable. Je vais en expliquer les raisons.
Je tiens à expliquer pourquoi l'élu nordiste que je suis – issu de terres industrielles sur lesquelles le poids du nucléaire dans l'économie est significatif – se trouve dans cette situation.
Tout nous amène à parler du nucléaire, des opportunités et des espoirs qu'il suscite comme des menaces et inquiétudes qu'il fait naître : la réalité du réchauffement climatique, la volonté, toujours réaffirmée, d'assurer notre indépendance énergétique, la nécessité absolue de sortir des énergies fossiles mais aussi la confiance de la majorité des Français dans cette énergie, l'excellence de la sûreté nucléaire française, reconnue en France, en Europe et partout dans le monde.
Ces éléments ont été pris en compte par le Président de la République lorsqu'il a prononcé en 2022 son – désormais fameux – discours de Belfort. Après avoir hésité, comme d'autres…
…il a tracé avec clarté une feuille de route. Depuis, à défaut de loi de programmation, nous avons voté deux textes importants sur les questions énergétiques : l'un sur les énergies renouvelables, l'autre sur l'accélération des procédures liées à la construction des nouvelles installations nucléaires. Nous sommes enfin en situation de parler des EPR 2, de la prolongation de la durée de vie des centrales, des hypothèses de technologies nouvelles autour des petits réacteurs modulaires…
Alors que tout va bien, que la grande majorité des parlementaires se présentent comme favorables au nucléaire, voilà que le Gouvernement a envisagé, il y a un peu plus d'un an, par voie d'amendement, de proposer une réforme de la sûreté nucléaire. Cela s'est produit après le vote par le Sénat d'un texte relatif au nucléaire qui n'envisageait pas de modification en la matière. Cette proposition a été refusée ici par une majorité de députés qui ont considéré que la méthode, l'argumentaire et le calendrier étaient contestables.
Mais voilà qu'un an après, nous nous retrouvons pour évoquer de nouveau cette réforme. Je mesure, monsieur le ministre, que vous êtes là en service commandé, comme avant vous Mme Agnès Pannier-Runacher, pour tenter de lui donner des justifications.
C'est pourquoi, face à l'entêtement dont fait preuve le Gouvernement depuis un an, le groupe LIOT dépose cette motion de rejet.
Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
Nous le faisons, conscients que, sur ces bancs, d'autres députés, hostiles au nucléaire ou plus réservés, défendent des arguments différents qui peuvent rejoindre les nôtres.
Je l'affirme avec force : notre organisation duale, avec l'expertise et la recherche d'un côté et la décision de l'autre, fonctionne ; elle est saluée partout dans le monde. Pourquoi taire qu'au moment de la catastrophe de Fukushima, ce sont les experts français qu'on a appelés à la rescousse ,
M. Gérard Leseul applaudit
de même qu'au moment des inquiétudes sur la centrale de Zaporijjia, ce sont nos compétences auxquelles on a recours ?
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LIOT, LFI – NUPES et SOC.
Nous sommes considérés comme faisant partie des meilleurs au monde en matière de sûreté nucléaire et pourtant vous voulez changer les règles du jeu sans justification sérieuse.
De quelle décision parlons-nous ? De celle du Président de la République, de celle du conseil de politique nucléaire, peut-être d'une décision fondée sur un rapport classifié auquel nous n'avons pas accès ? Rien…
Ah si ! Il y a bien un rapport, celui de l'Opecst – je salue le rapporteur Fugit et à travers lui les membres de l'Office. La réforme s'appuierait sur le travail de l'Opecst. Ce rapport s'intitule « Les conséquences d'une éventuelle réorganisation de l'ASN et de l'IRSN sur les plans scientifiques et technologiques ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection ».
M. Gérard Leseul applaudit.
Jamais, à aucun moment, vous ne nous avez proposé un document, une étude d'impact sérieuse qui répondrait à la question : « Faut-il changer notre organisation de sûreté nucléaire ? » Y a-t-il un seul rapport, une seule ligne, un seul chiffre établissant que l'organisation actuelle ne nous permettrait pas d'atteindre les objectifs que la représentation nationale a fixés dans la loi d'accélération du nucléaire ?
Applaudissements sur de très nombreux bancs des groupes LIOT, LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
Malheureusement, il n'y a rien.
Ce rapport de l'Opecst est éclairant sur des modes de fonctionnements, peut-être sur des avancées à accomplir ou des éléments à modifier ; il est presque à contretemps d'une décision présidentielle qu'il faut maintenant légitimer ; il ne nous dit jamais « pourquoi » mais simplement « comment ».
Finalement, il nous reste l'inquiétude que cette réforme se fasse sous la pression des exploitants et envoie un signal tout à fait désagréable.
Vous pensez sans doute légitimement accélérer, vous qui êtes convaincus par l'énergie nucléaire ; nous, nous prenons le risque d'enrayer. Les personnels de l'ASN, de l'IRSN, du CEA, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives – je parle des personnels et non des syndicats –, sont majoritairement opposés à la réforme.
Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Gérard Leseul applaudit également.
Vous souhaitez réunir, or vous allez éparpiller ; vous nous parlez d'une autorité intégrée, comme si l'ASN allait simplement absorber l'IRSN. C'est un mensonge !
Non !
La majeure partie des activités de l'IRSN ne seront pas reprises par l'autorité indépendante ,…
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LIOT, LFI – NUPES et SOC
…vous devrez vous tourner vers le CEA et le ministère des armées pour trouver des réponses. Cela vous embête car vous n'avez ni argument ni chiffre sur ce point. Vous serez bien en peine de démontrer le contraire.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LIOT, LFI – NUPES et SOC.
Vous nous dites que vous voulez simplifier mais vous allez complexifier. Certes, là où il y avait deux outils – l'un permettant la recherche, l'autre la décision – vous n'en faites qu'un seul. Mais au sein de l'organisme unique, vous allez reconstruire cette division et complexifier ce qui est aujourd'hui lisible et clair pour tous.
Vous nous dites que vous voulez rassurer.
La question nucléaire est basée d'abord sur la transparence et sur la confiance.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI – NUPES, Écolo – NUPES et GDR.
Or, lorsque vous modifiez un système qui fonctionne, vous entamez la confiance des citoyens. J'en suis fâché parce que je suis en faveur de l'énergie nucléaire.
Vous nous dites que vous voulez regrouper les compétences mais en réalité, depuis quelques mois, les compétences sont en train de quitter nos autorités. Le nombre de départs est plus important aujourd'hui que par le passé.
MM. Maxime Laisney et Gabriel Amard applaudissent.
Le niveau d'inquiétude est grand.
Pour les promoteurs de la réforme, l'excès de précaution représente un problème ; pour nous qui sommes en faveur du nucléaire et opposés à cette réforme, il constitue un gage de qualité.
Un mot sur le Parlement. Il y a un an, nous avons refusé cette fusion. Il y a moins d'une semaine, dans une commission qui vous est très favorable, un recomptage, monsieur Zulesi, a fait apparaître un vote négatif.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et sur quelques bancs du groupe Écolo – NUPES.
Ne pas respecter le message envoyé deux fois, en essayant de gagner une troisième fois sur tapis vert jette le doute sur notre capacité à travailler ensemble.
Parce que les arguments favorables à la fusion sont fragiles – n'est-ce pas, monsieur Millienne ? –, vous avez ajouté dans ce texte des dispositions qui n'ont rien à voir, ni de près ni de loin, avec ce projet. Je pense au volet relatif à l'adaptation des règles de la commande publique. Certes, une telle réforme est nécessaire – elle est d'ailleurs attendue par nos collègues, par l'exploitant et par tous ceux qui souhaitent l'accélération du nucléaire –, mais on peut trouver bizarre que vous l'ayez intégrée à ce texte. Si vous l'avez fait, c'est sans doute un peu pour donner envie, à ceux qui n'y trouvent que peu d'arguments en faveur de la fusion, de voter malgré tout ce projet de loi mal ficelé – il faut le dire avec netteté.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES, Écolo – NUPES et SOC.
Par ailleurs, vous nous dites, avec sincérité je crois, que vous voulez une organisation plus puissante, plus efficace, plus indépendante – comme si l'indépendance de la structure actuelle était en question ! – et plus transparente. Je vous réponds très tranquillement qu'il est tout à fait possible d'y parvenir sans qu'il soit nécessaire pour cela de procéder à une telle fusion. Moi qui suis pronucléaire, et fier d'avoir voté pour le projet de loi relatif à l'accélération du nucléaire, je peux vous dire que ce dont nous avons besoin, c'est de moyens financiers et humains.
Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT, LFI – NUPES, SOC, Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
Si vous donnez des moyens à la structure actuelle, alors nous serons à vos côtés.
Depuis le discours de Belfort, vous n'avez pas accordé de moyens supplémentaires.
Vous le faites seulement maintenant. Que ne l'avez-vous fait avant ? Vous avez perdu trop de temps.
Enfin, en déposant une motion de rejet préalable, nous rappelons qu'une caricature est rapide tandis qu'une explication technique nécessite du temps. Si la motion n'était pas adoptée, nous pourrions néanmoins, après le vote, entamer la discussion du texte qui poursuivrait dès lors son parcours législatif. Reste que celui-ci doit reposer sur une règle fondamentale : lorsqu'elle vote, l'Assemblée nationale exprime un point de vue et il doit être respecté.
Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT et LFI – NUPES ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.
Or, s'agissant de la fusion, rien n'a été construit, rien n'a été réellement défendu. C'est la raison pour laquelle nous vous invitons à adopter avec fierté cette motion de rejet afin d'élaborer un nouveau calendrier et une nouvelle méthode en travaillant de façon plus sérieuse et avec davantage de contenu.
Cela suppose par exemple d'écarter les mesures relatives aux règles de la commande publique qui sont légitimes mais qui, hélas, n'ont rien à faire dans ce texte.
Les députés des groupes LIOT, LFI – NUPES, Écolo – NUPES et SOC applaudissent. – Plusieurs députés des groupes LFI – NUPES, Écolo – NUPES et SOC se lèvent pour applaudir.
Sur la motion de rejet préalable, je suis saisie par les groupes Gauche démocrate et républicaine – NUPES, et Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Saint-Huile m'avait habitué à un peu plus de rigueur – et je suis sûr qu'il en fera de nouveau preuve dans la suite de ce débat.
Il y a un an, vous nous aviez reproché la méthode, l'argumentaire et le calendrier. Or la méthode a changé, l'argumentaire a changé et le calendrier a changé.
Nous avons travaillé pendant un an – vous aussi.
Je vous ferai d'ailleurs remarquer que l'étude d'impact compte 200 pages – je reconnais que l'amendement sur le sujet, déposé il y a un an, était un peu plus léger.
J'en viens à l'argumentaire. Vous le savez, nous avons affiné les missions de la nouvelle autorité afin de couvrir presque toutes les activités de l'IRSN ;…
…nous avons également ouvert une possibilité de recrutement pérenne en fonction des différents statuts et pérennisé les structures de dialogue social ; nous avons – avec vous – distingué l'expertise et la décision et insisté sur l'obligation de publier des résultats de recherche, obligation préservée puisqu'elle sera inscrite dans la loi, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent ; vous avez aussi décidé de la mise en place d'une commission d'éthique et de déontologie…
Madame la députée, nous pourrons débattre de la question de savoir s'il est préférable de publier les résultats en amont ou en aval des décisions. Si c'est le seul point qui nous sépare, discutons-en !
Repoussons la motion de rejet préalable et discutons du texte.
Monsieur Saint-Huile, vous avez laissé penser que si ce projet de loi était adopté, cela risquerait de remettre en cause la confiance des Français dans le nucléaire. Franchement, je m'attendais à mieux de votre part.
Nous aussi, nous nous attendions à mieux ! Vous êtes d'une légèreté indigne !
Par ailleurs, vous avez eu raison d'évoquer les personnels de l'IRSN. Je souhaite m'adresser à eux aussi en leur disant…
…que si nous ne menons pas cette réforme pour eux,…
…nous ne la menons pas non plus contre eux.
Nous ne nous sommes pas réveillés un matin en pensant : tiens, et si nous allions embêter les personnels de l'IRSN ? Nous ne nous sommes pas dit non plus que nous allions lancer ce projet pour leur faire plaisir. Tout changement est anxiogène, je le reconnais, il introduit forcément de l'incertitude. Nous menons cette réforme pour les Français, pour la sûreté nucléaire.
Je prends un engagement : nous mènerons cette réforme avec les personnels de l'IRSN et de l'ASN et nous accélérerons les travaux de préfiguration afin de bâtir, une fois que cette réforme aura été – comme je l'espère – adoptée, une organisation efficace.
Comme l'a d'ailleurs très bien dit le président Travert, ce processus ne sera pas terminé le 1er janvier 2025. Le travail ne fera alors que commencer. Nous avons bien prévu des périodes de transition.
Prenons donc le temps de débattre plutôt que de rejeter la discussion. Votons cette réforme et attelons-nous tranquillement à sa préfiguration puis à sa mise en œuvre. La sécurité des Français et la sûreté de nos installations nucléaires seront ainsi mieux garanties.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et HOR.
Je ne sais pas si vous avez bien écouté les interventions des orateurs en commission ainsi que pendant la discussion générale, monsieur Saint-Huile. Il me semble en tout cas que nous y avons rappelé tous les avantages de la réforme.
Vous devez, chers collègues, repousser la motion de rejet préalable car ainsi vous respecterez le travail du Parlement – je n'imagine pas une seule seconde que des députés s'opposent au travail parlementaire. Car l'origine de ce texte est un rapport de l'Opecst, dans lequel sont formulées plusieurs recommandations, rapport examiné le 11 juillet dernier au cours d'un débat qui fut si long que son compte rendu occupe une trentaine de pages. En le lisant, nous pouvons remarquer que des questions ont alors été soulevées auxquelles nous apportons ici des réponses. Il serait donc assez déplorable de s'opposer à un projet de loi issu d'un rapport parlementaire.
Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Il faut poursuivre le débat. Après le rapport de l'Opecst, un autre travail a été mené pour aboutir au projet de loi. On a omis de rappeler que douze groupes de travail ont été constitués, avec les personnels de l'ASN et de l'IRSN, pour commencer à réfléchir à l'organisation de la future autorité.
N'oublions pas non plus le Sénat qui a amélioré le texte – n'est-ce pas, monsieur le ministre ? En commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, nous avons poursuivi ce travail afin d'essayer d'améliorer à notre tour le projet de loi. Nous avons ainsi précisé la distinction entre l'expertise et la décision, doté l'Autorité d'un conseil scientifique ou encore renforcé le pouvoir du Parlement en matière de suivi de la réforme. Tout cela devrait vous rassurer.
Enfin, notre plus grand défi est de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles. Nous devrions tous nous rassembler autour de cet objectif. Pour l'atteindre, nous avons fait le choix de la sobriété, de l'efficacité et du développement des énergies renouvelables mais aussi de la relance du nucléaire. Celle-ci nécessite un accompagnement en matière de sûreté, c'est pourquoi nous devons bâtir ensemble une nouvelle autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection, beaucoup plus indépendante. À cet effet, nous rassemblerons, au sein d'une structure au statut d'autorité administrative indépendante, qui est le plus protecteur, les personnels de l'ASN et une grande partie de ceux qui, au sein de l'IRSN actuelle, sont chargés de la recherche et de l'expertise.
Nous renforcerons aussi l'attractivité de l'Autorité car il est vrai que nous avons assisté ces temps-ci à quelques départs. Voici les chiffres que m'a transmis l'intersyndicale lors de l'audition de ses représentants, à laquelle certains d'entre vous ont d'ailleurs assisté : en 2023, on a compté 55 départs parmi les 1 750 employés à l'IRSN, soit 3 %. Certes, ce n'est pas négligeable, mais ce n'est pas non plus l'hémorragie que d'aucuns ont annoncée. En revanche, il est vrai que des personnels manquent dans certains services, en partie peut-être en raison du projet de réforme mais aussi parce que, en ce moment, avec la relance du nucléaire, les métiers du secteur industriel connaissent un regain d'attractivité et qu'on constate par conséquent, en matière de salaire, un écart important en défaveur des personnels de l'IRSN et de l'ASN.
C'est pourquoi nous devons nous interroger non seulement sur la réorganisation mais aussi sur l'augmentation des salaires – d'ailleurs, M. le ministre, qui en est conscient, l'a dit et la mesure est prévue dans le projet de loi. Sachez que si vous n'acceptez pas de discuter de ce texte,…
…cela signifie que vous refusez le premier alinéa de l'article 11, qui prévoit précisément une augmentation de salaire pour les personnels de l'IRSN et de l'ASN dès cette année. C'est particulièrement important.
Pour l'ensemble de ces raisons, nous devons poursuivre le débat. Je vous invite donc à repousser massivement cette motion de rejet préalable car ainsi, je le répète, vous respecterez le travail parlementaire.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.
…et cela pour une raison très simple. M. Saint-Huile nous a reproché de ne pas avoir d'arguments. Or nous ne pourrions pas les faire valoir si nous ne discutions pas du texte.
Nous devons débattre de la fusion de l'ASN et de l'IRSN car nous devons évoquer des questions de fond comme les enjeux de sûreté auxquels nous sommes confrontés dans le cadre de la relance du programme nucléaire.
Sur la forme, je suis surpris que certains se plaignent de ne pas entendre d'arguments alors même qu'ils ne souhaitent pas que nous débattions. Je suis souvent surpris par les motifs invoqués à l'occasion des motions de rejet de préalable. Certes, on peut toujours exprimer des réserves. Toujours sur la forme, par exemple, dans la première phase du processus, le Gouvernement n'a peut-être pas systématiquement été à la hauteur – nous l'avons d'ailleurs dit nous-mêmes dans le cadre des travaux de l'Opecst.
Cependant, comme l'a précisé M. le ministre, le calendrier a été revu. En outre, nous avons travaillé en amont pendant un an au sein de l'Opecst afin d'être convenablement informés sur ces questions.
Il est donc temps d'avoir un débat éclairé sur l'avenir de la filière nucléaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs du groupe RE.
Tout d'abord, j'entends rendre hommage aux femmes et aux hommes de l'ASN et de l'IRSN.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES, SOC, GDR, LIOT et sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Car la sûreté nucléaire, en France, nous a permis, jusqu'ici, de ne pas connaître d'accident nucléaire majeur. Elle ne dépend pas des ministres ni des députés mais des ingénieurs, des experts et des chercheurs.
Comme nous le faisons ici pour les policiers et les gendarmes qui nous protègent, pour les militaires qui nous défendent ou encore pour les personnels qui nous soignent, nous devons nous lever pour les applaudir.
Les députés des groupes Écolo – NUPES, RE, LFI – NUPES, Dem, SOC, HOR, GDR – NUPES et LIOT, ainsi que plusieurs députés des groupes RN et LR, se lèvent et applaudissent.
Or ces personnels sont très majoritairement opposés à cette réforme. Ne pouvons-nous pas les écouter ? Faut-il vraiment leur répondre, de façon caricaturale, qu'ils seraient des antinucléaires ? Ceux qui sont favorables à l'énergie nucléaire savent très bien qu'en cas de problème en matière de sûreté, c'en serait fini de cette énergie. De même, ceux qui sont opposés au nucléaire savent qu'il existe actuellement dans notre pays des installations nucléaires et qu'elles doivent donc fonctionner dans des conditions de sûreté absolues.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES et SOC.
Cette réforme remet en cause les principes de transparence et de prise en compte du facteur humain dans la sûreté mais aussi l'approche intégrée de la sûreté des installations civiles et militaires et les enjeux de sécurité intérieure liés au travail de l'IRSN.
Mêmes mouvements.
Nous avons élevé les standards de sûreté mais cette réforme les affaiblit. Le groupe Écologiste confirmera ses votes de l'année dernière. Il votera donc pour la motion de rejet et s'opposera à cette réforme.
Mêmes mouvements.
Je commence par une question : y a-t-il des choses qui ne marchent pas dans ce pays et qui justifieraient qu'on y consacre du temps dans cet hémicycle ? Je pense que oui, qu'il y en a plein, mais au lieu de cela, vous décidez de casser un dispositif dont la dualité fait l'originalité, un système de sûreté dont tout le monde reconnaît l'exemplarité au plan national comme au plan mondial.
Deuxième point : vous essayez de caricaturer vos opposants, monsieur le ministre. En ce qui me concerne, je suis favorable à la relance du nucléaire. Mais mon rapport de confiance avec la filière est un rapport exigeant. Or la logique de marché est incompatible avec la relance du nucléaire car la transparence, l'indépendance et la dualité entre l'expertise et l'autorité de sûreté nécessitent d'être préservées. Je le dis, moi qui habite entre deux centrales nucléaires, Paluel et Penly, et qui milite pour la relance de la filière avec l'EPR à Penly.
Monsieur le ministre, par cette mauvaise réforme, menée à la hussarde, et avec des arguments d'autant moins convaincants que vous en êtes peu convaincu, vous donnez des arguments aux antinucléaires et c'est la raison pour laquelle, sans sourciller, je vais voter cette motion de rejet. Cette réforme n'est ni opportune, ni efficace, ni, pour le moins, de nature à nous rassurer.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES. – Mme Martine Froger applaudit également.
…pour trois raisons.
La première s'explique par la manière dont est organisée la sûreté nucléaire dans les différentes démocraties, soit le système intégré et donc unitaire, comme aux États-Unis, soit le système dual, comme en France mais aussi, entre autres, au Royaume-Uni. Est-ce que ces deux systèmes fonctionnent ? La réponse est oui. Monsieur le ministre, je vais vous poser une question : y a-t-il un seul pays qui a abandonné son système pour passer à l'autre, en l'occurrence d'un système dual à un système unitaire ? Pas un seul.
Le Japon, comme je l'ai dit !
Je vais y revenir.
La deuxième raison, c'est que ce texte va entraîner une perte de confiance chez nos concitoyens,…
…alors que nous sommes pratiquement la dernière démocratie en Europe dans laquelle une majorité de la population soutient la filière électronucléaire. On peut être pour ou contre, mais c'est un fait. Mais vous aurez gagné, monsieur le ministre ! Vous et vos collègues allez réussir à déstabiliser la confiance de nos concitoyens dans la filière électronucléaire.
La troisième raison, vous l'avez évoquée vous-même, monsieur le ministre : vous demandez à l'Assemblée de se déjuger. Or il y va du respect du Parlement. Nous avons déjà délibéré sur cette affaire, concluant contre le système intégré !
Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
Je le rappelle, même si cela ne vous fait pas plaisir. Et encore tout récemment en commission, nous avons rejeté l'article 1er de ce nouveau texte. Voilà, mes chers collègues, pourquoi il faut voter cette motion.
Mêmes mouvements.
Notre groupe votera évidemment contre cette motion de rejet. Et je tiens à rappeler ici à quel point cette réforme n'entraînera aucun nivellement par le bas du niveau de sûreté en France : l'Autorité restera-t-elle indépendante ? La réponse est oui. Y aura-t-il toujours une séparation entre la décision et l'expertise ? La réponse est oui.
Mmes Christine Arrighi et Delphine Batho font un signe de dénégation.
Est-ce que les exigences croissantes de sécurité par le biais des référentiels de sûreté changeront ? Absolument pas. Ces derniers n'ont d'ailleurs cessé de monter en gamme depuis des années : je pense au projet post-Fukushima, en particulier au concept de noyau dur, et au projet Grand carénage. On ne touche pas à ces exigences croissantes.
Je dirai ensuite que, contrairement à ce qu'on peut entendre ou laisser croire ici ou là, l'IRSN n'est pas le seul garant de la sûreté nucléaire en France.
L'Autorité de sûreté nucléaire, en effet, a largement démontré par les décisions qu'elle a prises ces dernières années
Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES
qu'elle privilégiait toujours la sûreté à la production, les exemples en sont nombreux : la gestion de la centrale de Cruas après le séisme du Teil ; le renforcement de la digue protégeant la centrale du Tricastin ; la mise à l'arrêt de Fessenheim pendant deux ans, à la suite d'un problème de ségrégation carbone. À chaque fois, c'est l'ASN qui a pris la décision et non l'IRSN.
On entre dans une nouvelle ère du nucléaire qui nécessite de fluidifier et d'adapter les organisations ,
Brouhaha
tout en préservant l'indépendance de la nouvelle structure face aux nouveaux défis que sont l'EPR 2, la prolongation du parc et les SMR, ainsi que tout le travail sur l'amont et l'aval du cycle sur lequel M. le ministre est intervenu. Voilà les raisons pour lesquelles on a besoin de simplifier l'organisation du système et de rejeter cette motion.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – MM. Jean-Paul Mattei et Laurent Marcangeli applaudissent également.
Dans son combat pour défendre, seul, la filière nucléaire depuis trente ans ,…
Protestations prolongées sur de nombreux bancs
…le Rassemblement national doit faire face à deux méthodes. La première, reprise par la NUPES aujourd'hui, est celle d'une attaque folle, frontale, qui vise à détruire ce fleuron national qu'est le nucléaire français – on les connaît, mais au moins ont-ils le mérite de leur courage, au moins assument-ils leur position devant les Français. L'autre méthode, beaucoup plus pernicieuse, celle qui a détruit, dans les faits, la filière nucléaire, c'est la lâcheté, qui consiste à dire : « Oh oui, nous sommes pour le nucléaire, mais soyons très prudents, tellement prudents que, surtout, ne faisons rien, ne lançons rien. À cette fin, prenons un avis et s'il est positif, prenons un contre-avis et si d'aventure celui-ci confirme le premier avis, il faudra alors demander un contre-avis du deuxième avis sur le premier avis. »
Exclamations prolongées sur de nombreux bancs.
Voilà ce qui tue la filière française depuis trente ans !
Mais le Rassemblement national assume toujours sa position : si les démocraties veulent faire face aux régimes autoritaires qui ont malheureusement repris de l'avance en matière de progrès scientifique à travers le monde, il faut qu'elles renouent avec la foi dans le progrès, qu'elles aient à nouveau confiance dans la science et dans ses ingénieurs, et que la sûreté soutienne le progrès et non pas que le progrès soit paralysé par la peur du progrès !
Le brouhaha et les exclamations rendent les propos de l'orateur difficilement perceptibles.
Par défiance envers la NUPES et par défiance envers la lâcheté qui a tué la filière nucléaire, le groupe Rassemblement national votera contre cette motion et ainsi, vraiment, pour la relance de la filière nucléaire !
Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Exclamations sur de nombreux bancs.
Si, au sein du groupe LFI – NUPES, nous considérons qu'il est urgent de planifier la sortie du nucléaire, nous sommes conscients qu'un réacteur ne refroidit pas en quinze jours, qu'il faudra bien gérer les milliers de tonnes de déchets, mais aussi poursuivre la recherche pour démanteler les centrales ou faire face à une possible crise radiologique, bref que nous aurons toujours besoin d'expertise et de contrôle en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Je m'adresse ici à celles et ceux qui croient dans le nucléaire : ne vous tirez pas une balle dans le pied, ne nous tirez pas non plus une balle dans le pied à tous. Car qu'on soit pour ou contre ce projet de fusion de l'IRSN et de l'ASN, vous proposez une désorganisation dont on ne connaît ni les conséquences ni les limites temporelles.
Ce que l'on sait, c'est que la relance atomique se traduit déjà par l'examen de volumineux dossiers et que la tâche immense imposée par cette fusion ne saurait donc rimer avec accélération dans les temps qui viennent, et aussi que la grande majorité des personnels concernés n'en veulent pas, que la vague de démissions ne fait que commencer. Nous partageons leurs inquiétudes sur la fin de la séparation entre une entité chargée de l'expertise et une autre du contrôle, et sur l'éclatement des expertises de sûreté et de sécurité des centrales, de même que sur l'éclatement des expertises de dosimétrie interne et externe ou encore sur les complications imposées dorénavant à la recherche et sur laquelle s'appuient toutes ces expertises.
Nous sommes le 11 mars 2024. Il y a treize ans commençait la catastrophe de Fukushima. Ce projet de loi contient beaucoup des ingrédients qui ont conduit à l'accident japonais, dont une cause majeure a été la défaillance conjointe de l'exploitant et du régulateur.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Vous voulez fluidifier le système ? On peut alors faire quelques progrès sans dissoudre l'IRSN dans l'ASN. Et si vous êtes sincèrement préoccupés de sûreté autant que de relance – à la différence de M. Tanguy –, ne cassez pas ce qui a fonctionné jusqu'à présent, ne nous jetez pas dans l'inconnu et votez cette motion de rejet.
Vifs applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur plusieurs bancs des groupes SOC et Écolo – NUPES.
Le groupe LR s'opposera à cette motion de rejet pour au moins trois raisons, la première étant que nous sommes globalement d'accord avec le fond du texte. Cette fusion, c'est l'occasion d'optimiser notre système de sécurité et de sûreté pour relever le défi de la relance du nucléaire, une relance que nous appelions de nos vœux, pour ceux qui l'auraient oublié, depuis plus de douze ans.
La deuxième raison, c'est que plusieurs dispositifs prévus dans le texte restent à améliorer et que nous souhaitons pouvoir le faire par voie d'amendement. À cette fin, une discussion constructive doit avoir lieu sur le fond, comme ce fut le cas au Sénat. Des réserves doivent pouvoir être exprimées article après article, et non pas par le rejet pur et simple du débat.
La troisième raison est la suivante : la mobilisation soudaine de la gauche contre ce texte…
…ne peut que révéler des intentions différentes des préoccupations de sûreté nucléaire. Une motion de rejet préalable est un acte politique fort. Or la dernière en date portait sur un projet de loi beaucoup plus médiatique que celui-ci qui a nettement moins retenu l'attention du grand public. Si cette motion de rejet était vraiment liée à des enjeux de sécurité, on aurait pu s'attendre que les objectifs de leurs auteurs soient défendus à l'occasion du débat par le biais d'amendements. Mais leur rejet en bloc de toute idée de fusion, alors que c'est la gauche qui a créé l'IRSN en 2001 – en réalisant d'ailleurs une fusion –, trahit un agenda caché… Tout se passe comme s'il y avait des intérêts politiques, au-delà des questions de sécurité, à conserver deux entités au lieu d'une, et ce, alors que l'essentiel des grands pays nucléaires n'en ont qu'une.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette motion de rejet.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur quelques bancs du groupe RE.
Qui dit projet de loi, dit motion de rejet, mais nous avions davantage l'habitude de les voir déposées par la famille Contre-tout, à l'extrême gauche de cet hémicycle… force est de constater que la famille s'agrandit – je n'ai pas reçu de faire-part, je le signale.
Sourires.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES
car, comme d'habitude, on nous empêche de débattre. Et là, je ne suis pas d'accord.
Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Malgré tout ce qui s'est passé depuis mars 2023 et le rapport de l'Opecst, et malgré le temps qu'a pris le Gouvernement pour préparer ce projet de loi, vous ne voulez pas qu'on débatte.
Oui, monsieur Saint-Huile, vous êtes toujours contre. Je peux parfaitement comprendre que vous soyez opposé à cette fusion, c'est votre droit le plus strict ,
« Ah ! » sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES et LIOT
mais cela justifie-t-il d'être contre le fait même d'en débattre ? Je ne le pense pas.
Vous me permettrez d'être surpris de voir une telle motion présentée par vous, vous qui intervenez régulièrement pour réclamer plus de débats dans l'hémicycle, plus de pouvoirs pour le Parlement.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Et lorsque vous avez l'occasion de débattre et de présenter vos arguments, l'occasion de légiférer, vous présentez une motion de rejet !
Brouhaha.
Permettez-moi de vous poser une question : souhaitez-vous réellement que le Parlement débatte et légifère, qu'il ait plus de pouvoir ? Ou bien est-ce uniquement une posture ? Je me le demande, monsieur Saint-Huile.
« Quelle question ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Et cette question ne s'adresse pas qu'à vous dans cet hémicycle : comment pouvez-vous, chers collègues, à la fois demander que le Parlement débatte et déposer des motions de rejet sur tant de projets de loi ? Comment reprocher au Gouvernement de vouloir gouverner par le moyen de mesures réglementaires quand on refuse de légiférer à l'Assemblée ?
Soyez cohérents : laissez l'Assemblée débattre, laissez les députés présenter leurs arguments, et laissez-nous voter en conscience et en responsabilité. Là est notre rôle ! Le groupe Démocrate votera contre cette motion de rejet.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs du groupe RE.
Votre réforme, monsieur le ministre, remet en cause la transparence en supprimant la séparation de l'expertise et de la décision.
De nombreuses questions sur votre projet de loi sont restées sans réponse depuis plus d'un an.
Et le Gouvernement a pourtant décidé de déclarer l'urgence sur une telle réforme.
Sur quels fondements – rapport public, diagnostic des forces et faiblesses du système dual actuel – la décision présidentielle a-t-elle été prise ? Je rappelle que le rapport de l'Opecst, souvent évoqué, est du reste postérieur à la décision présidentielle.
Quels seraient les avantages de cette fusion, au-delà de quelques mots-valises ? Aucun !
Quel va être le devenir de l'expertise de l'IRSN conduite pour le compte d'autres partenaires que l'ASN ? Rien !
Les auditions menées par les commissions, comme celles que nous avons menées de notre côté, ont laissé toutes ces questions sans réponse, et pas davantage, ou si peu, lors des débats en commission des affaires économiques, laquelle s'est concentrée sur la suppression de quelques amendements de clarification ou de précision votés par le Sénat.
En commission du développement durable, toutes nos questions sont, de même, restées sans réponse. Estimant que la séparation fonctionnelle de l'expertise et du contrôle – une séparation que votre projet de loi ne garantit pas – était nécessaire pour maintenir un haut niveau de confiance dans notre sûreté nucléaire ,
Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et LFI – NUPES. – Mme Julie Laernoes applaudit également
la commission a supprimé l'article 1er du projet de loi, qui prévoyait la fusion entre les deux entités.
De nombreux experts et instances professionnelles de la filière nucléaire ont émis des avis réservés, voire négatifs, sur ce texte. Je ne vais pas les citer tous, mais la liste comprend entre autres des présidents de l'Opecst, le Conseil supérieur de la fonction publique de l'État, le comité national du CEA, les salariés de l'IRSN et le Conseil national de la transition écologique. Vous êtes à contre-courant.
Mêmes mouvements.
Vous cherchez à masquer le manque de moyens de ces institutions. En un an, monsieur le ministre, vous n'avez pas réussi à convaincre les principaux intéressés. Bien sûr, des améliorations sont toujours possibles, mais vous voulez tout bousculer.
Que nous soyons pour ou contre le nucléaire, notre seule motivation dans la réflexion sur ce texte doit être d'assurer la pertinence de notre système de sûreté. Le système actuel n'a pas failli ; il est bon, il faut le renforcer. Les députés du groupe Socialistes et apparentés voteront avec fierté cette motion de rejet.
Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI – NUPES, Écolo – NUPES et LIOT.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 269
Nombre de suffrages exprimés 268
Majorité absolue 135
Pour l'adoption 83
Contre 185
La motion de rejet préalable n'est pas adoptée.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Pierre Henriet.
La motion de rejet préalable n'ayant pas été adoptée, nous pouvons entrer au cœur des débats sur le projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour relever le défi de la relance de la filière nucléaire.
Le lancement du programme nucléaire, voté en juin 2023, pose plusieurs questions pratiques et techniques quant à la manière d'atteindre les objectifs fixés par la loi. Face à l'accélération du programme, l'exigence d'une sûreté renforcée doit être au centre de nos préoccupations. L'Opecst travaille depuis quarante ans au contrôle parlementaire de la sûreté nucléaire ; ce sujet est même à l'origine de la création de cette instance. Nous y avons consacré plus d'une vingtaine de rapports, notamment celui qu'avait rédigé le sénateur Jean-Marie Rausch, ancien président de l'Office, qui nous a quittés il y a quelques semaines et dont je salue la mémoire.
Tirant les conséquences de l'accident de Tchernobyl, ce rapport préconisait de créer une agence de sécurité et d'information indépendante des pouvoirs publics et des exploitants d'installations nucléaires, autrement dit la future ASN. En effet, pour l'Opecst, les structures de contrôle internes au CEA et au ministère de l'industrie n'étaient clairement plus susceptibles d'assurer un contrôle vraiment indépendant de notre sûreté nucléaire. L'analyse des systèmes étrangers, qui sont loin d'être tous identiques, avait également convaincu nos prédécesseurs. Voilà la boussole qui doit nous guider.
Ce projet de loi a pour ambition de renforcer l'expertise scientifique au sein de l'unique autorité chargée de la sûreté des installations nucléaires de notre pays. Contrairement à ce que certains prétendent, il est faux de dire que les relations entre l'ASN et l'IRSN sont celles d'un pouvoir et d'un contre-pouvoir – tous les cas pratiques le prouvent. La question essentielle que nous devons nous poser est de savoir si, dans le contexte de la relance du nucléaire, les prises de décision de l'ASN s'effectuent dans des conditions satisfaisantes. À cette question, la réponse est non. Notre rôle est par conséquent de garantir à l'ASN les meilleures conditions d'expertise possible.
Au fil des politiques qui ont délaissé le nucléaire, nous faisant perdre en souveraineté énergétique, nous n'avons pas été suffisamment attentifs aux conditions de travail de l'ASN. Nous nous retrouvons donc aujourd'hui avec un écart énorme de moyens humains entre les deux institutions : l'IRSN dispose de près de 1 760 équivalents temps plein travaillé (ETPT), alors que l'ASN n'en comptait, au 31 décembre 2022, que 516.
En disant que la fusion des deux entités est indispensable, je pèse mes mots. Il ne s'agit pas de s'interroger sur le fonctionnement actuel de l'écosystème qu'elles forment et qui fonctionne bien – le rapport 2023 du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES), pour n'en citer qu'un, en atteste ; il s'agit de penser à l'avenir. Actuellement, l'ASN procède à 2 000 inspections et délivre 2 000 décisions individuelles d'autorité et d'enregistrement chaque année. En 2030, dans la perspective du programme de relance du nucléaire, ce nombre sera trois à cinq fois plus élevé. Sans changement, l'insuffisance de ses effectifs ne permettra pas à l'ASN d'assurer une organisation à la hauteur des exigences en matière de sûreté. Nous devons lui offrir de meilleures conditions de prise de décisions, voilà l'enjeu de fond ! L'ASN doit bénéficier de moyens renforcés et intégrer en son sein les compétences techniques de l'IRSN afin de fluidifier le processus de décision et de gagner en coordination.
J'en viens au cœur du réacteur, si je puis dire : l'indispensable réintroduction de l'article 1er du projet de loi, essentiel pour garantir la sûreté des futures installations nucléaires. La relance à venir fera peser sur l'ASN une charge de travail considérable : il s'agira à la fois de garantir la prolongation du parc dans de bonnes conditions, de superviser la construction des nouveaux EPR, d'examiner les options pour les réacteurs de nouvelle génération tels que les SMR et de relancer la fermeture du cycle du combustible avec les réacteurs à neutrons rapides. Nous devons renforcer l'attractivité et l'efficacité de cette instance.
La majorité des députés du groupe Horizons et apparentés se prononceront en faveur de ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs du groupe RE.
C'était il y a treize ans jour pour jour : un séisme de magnitude 9 et un tsunami ravageaient les côtes du nord du Japon et endommageaient gravement la centrale nucléaire de Fukushima, conduisant à l'évacuation de 200 000 personnes d'une zone désormais maudite. Avec la fusion des cœurs des réacteurs, une catastrophe climatique a entraîné une catastrophe nucléaire.
L'anatomie de la catastrophe, la deuxième plus grave de l'histoire, révèle qu'on trouve à son origine une défaillance du système de sûreté. Les nombreux rapports rédigés depuis pointent une négligence de l'opérateur japonais et, plus en amont, une absence d'indépendance de l'organe de réglementation et une complaisance à l'égard de l'opérateur.
Cet accident conduira de nombreux pays à abandonner l'atome et d'autres, comme le nôtre, à rehausser à juste titre leurs exigences de sûreté pour éviter un nouveau scénario catastrophe. En effet, rappelons-le, la France est le pays le plus nucléarisé au monde. Il ne s'agit donc pas de prendre position pour ou contre le nucléaire, mais de savoir comment vivre en sécurité avec celui-ci. Dans un pays qui compte cinquante-six réacteurs, il est évident que lorsqu'on traite d'objets aussi dangereux que des matières radioactives, il est essentiel d'être intransigeant sur la sûreté et la sécurité.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe Écolo – NUPES.
C'est d'autant plus nécessaire que le Gouvernement avance à marche forcée, mettant une pression de dingue sur notre opérateur historique EDF.
Les réacteurs, dont la moitié a été à l'arrêt à l'hiver 2022 pour des défaillances liées à leur vieillissement, n'ont plus droit à la moindre faiblesse : ils doivent tourner et être prolongés de dix, vingt, trente ans – des annonces faites sans attendre les analyses de nos autorités de sûreté. Ajoutons à cela la précipitation autour des nouveaux EPR 2 : le design n'est pas encore sur la table qu'on nous annonce report et augmentation exponentielle des coûts. En plus de tout cela, EDF fera désormais face à de nouveaux concurrents, avides et sans vergogne, censés disséminer partout dans nos territoires des petits réacteurs, ce qui engage de nouveaux – et très lourds – enjeux de sûreté et de sécurité.
C'est dans ce contexte, où la pression sur notre exploitant n'a jamais été aussi élevée, que nous allons démanteler notre système de sûreté et de sécurité nucléaire – je dis bien « démanteler », car c'est la réalité de ce qui se passe.
Mais non !
L'IRSN sera écarté, écartelé façon puzzle. Vous dites « fluidifier », je dis « complexifier ». Les experts de l'IRSN qui travaillent sur le nucléaire militaire, sur les petits réacteurs et sur les SMR seront d'un côté au CEA et de l'autre au sein de la nouvelle autorité.
« La sûreté nucléaire, ce n'est pas un nirvana que l'on atteint un jour, c'est un combat de tous les jours. Si j'étais parlementaire aujourd'hui, je ne voterais pas ce texte. C'est une faute politique », estime Jean-Yves Le Déaut, ancien président de l'Opecst.
« C'est un projet technocratique dangereux. Le principe de précaution serait d'exiger un rapport sérieux. Si ce rapport existe, il est grave de ne pas le sortir »,…
Arrêtez avec ça !
…souligne Jean-Claude Delalonde, président de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (Anccli), avant de poursuivre : « Laissons aux gens qui font la confiance du nucléaire le temps de travailler. Il n'y a aucune urgence. Si ce projet était mis en œuvre au 1er janvier 2025, ce serait une catastrophe. »
« En fusionnant l'ASN et l'IRSN, on considère exclusivement l'aspect conformité. Cela va appauvrir la démarche d'analyse des risques, et donc créer de plus en plus de normes et de plus en plus de risques de conflit. La nouvelle autorité va subir une double pression : celle de l'exploitant avec l'État, et de l'autre côté celle des agents sur l'application des normes », prévient Jacques Repussard, ancien directeur général de l'IRSN.
Après la catastrophe de Tchernobyl, nous étions, en matière de sûreté nucléaire, la risée du monde.
Aujourd'hui, notre modèle de sûreté est reconnu de tous et partout pour sa qualité technique, son indépendance et sa transparence. Ce qui fait sa force, c'est la séparation claire entre les fonctions d'expertise et de décision, qui garantit l'autonomie et la neutralité de l'expert.
Non !
Ce qui fait sa qualité, c'est le dialogue technique entre les deux organisations et avec l'exploitant EDF, sous l'œil de la société civile. C'est la garantie d'une meilleure analyse des enjeux, de la neutralité et de la transparence des décisions en matière de sûreté.
On va donc casser quelque chose qui marche. Le Gouvernement veut mettre ces principes à terre, dans la précipitation et avec une légèreté sans pareille, en balayant l'aspect humain de la sûreté nucléaire. Chers collègues, prenons-en conscience, les catastrophes technologiques, que ce soit dans le domaine spatial, chimique, aéronautique ou nucléaire, ont souvent, dans l'histoire, été liées à des problèmes de réorganisation. Ce que propose le Gouvernement, dans un temps si court et un contexte si tendu, ne peut être qu'un échec et, je le crains fortement, entraînera un accident.
Nous avons une responsabilité immense. Si vous votez cette loi et qu'un accident survient, vous en serez en partie responsables.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES et LFI – NUPES.
Carrément ! Vous en serez même totalement responsables ! Vous êtes dangereux !
Vous n'avez pas honte ?
Je suis, vous le savez, favorable à la relance de la filière nucléaire – pas par idéologie et certainement pas par amour, mais parce que je veux préserver le climat. J'y suis favorable parce que notre pays a besoin d'une énergie sûre, pilotable et décarbonée, garante de notre souveraineté énergétique et industrielle. Je le suis parce que j'ai confiance dans notre sûreté nucléaire et dans les personnels qui réalisent un travail exceptionnel, confiance dans le système dual qui, depuis plus de quarante ans, permet à la France d'être le pays le plus nucléarisé au monde sans risquer d'incident. Je suis pronucléaire parce que j'ai confiance dans l'ASN et l'IRSN.
Notre pays a construit, du plan Messmer à aujourd'hui, un modèle unique qui s'est inspiré des catastrophes du passé et du présent, avec un haut degré d'exigence dans le traitement des retours d'expérience. Ce modèle a, dès l'origine, cherché à maintenir une séparation étanche entre l'expertise et la décision, en préservant deux entités – non par goût du doublon ou de la dépense budgétaire, mais parce que « démontrer la sûreté, c'est confronter des doutes ».
Ce modèle, organisé autour de l'ASN et de l'IRSN, a su au fil des années intégrer la participation du public et garantir la transparence de l'information, notamment grâce aux commissions locales d'information (CLI), dans lesquelles j'ai siégé pendant de nombreuses années. Il a été à la pointe de la recherche scientifique, questionnant les pratiques de l'exploitant, allant plus loin que les recommandations usuelles et permettant de débattre sereinement, dans un échange démocratique, de la place d'une telle technologie et des risques que nous sommes prêts à prendre. Ce modèle, on nous l'envie, ainsi que cela a déjà été dit. Personne, aucune institution française ou internationale, de la Cour des comptes aux comités les plus spécialisés, n'a remis en cause son existence ou son efficacité.
Pourtant, depuis un an désormais, nous assistons à un triste feuilleton, qu'on pourrait qualifier de comique si le sujet n'était pas si sérieux. Nous discutons d'un projet de réforme sans motifs ni justifications, décidé par un fait du Prince dans le silence du Conseil de politique nucléaire. Un projet de réforme géante que ni le rapporteur ni le ministre – que je ne souhaite d'ailleurs pas blâmer – ne savent réellement justifier. Aux « pourquoi ? » ne répondent que des éléments de langage peu convaincus et peu convaincants.
Lorsque le projet de réforme est apparu, par le biais d'un amendement, pas même une étude d'impact ne l'accompagnait. Nous l'avons rejeté. Et maintenant, alors que le rapport à l'origine de cette réforme reste secret, opaque, nous devrions l'accepter ? On nous demande de voter à l'aveugle, de signer un chèque en blanc ; de voter une réforme contestée par tous, des anciens présidents de l'Opecst aux organisations syndicales des deux organismes concernés en passant par des associations de consommateurs ; de voter une réforme et de céder au chantage à la relance du nucléaire ; de voter pour aller plus vite, pour être plus efficace.
Chez vous, les libéraux, amoureux de l'agilité disruptive, casser ce qui marche pour aller plus vite, pour uniformiser, ressemble à une obsession pathologique.
Allons, allons…
Casser notre modèle de sûreté en pleine relance de la filière nucléaire, alors que la charge de travail est inédite pour les personnels et que les défis de recrutement font peser sur toute l'industrie de l'énergie une pression sans précédent. Casser, enfin, en pleine période de confiance du pays dans l'énergie nucléaire, un modèle qui rassure et dont nos concitoyens savent qu'il n'est pas synonyme de complaisance.
Il y a dans cette réforme tous les ingrédients du fiasco : un manque de travail, une absence de justifications, des motifs de désorganisation des personnels responsables de notre sécurité collective et, surtout, l'envie, pour le chef de l'État, de transformer notre système de sûreté nucléaire en un grand accompagnateur du business de l'énergie. Il y a aussi des intentions inavouables d'économies budgétaires. Les ressources de l'IRSN ont baissé de près de 10 % en dix ans et la fusion avec l'ASN pourrait faire courir le risque de nouvelles coupes. Cela serait dangereux, au moment où l'IRSN connaît une vague de départs et où l'ASN peine à recruter.
Je n'irai pas jusqu'à dire que vous êtes fous de défendre une telle réforme à un tel moment. Je dirai simplement que vous êtes inconscients. Désorganiser le système actuel ne manquerait pas d'accroître les retards dans l'instruction des dossiers, le risque de passer à côté de failles et le sentiment antinucléaire dans le pays.
Monsieur le ministre – j'en terminerai par là pour écourter mon propos –, vous devriez vous inquiéter quand des personnes attachées à la relance de la filière nucléaire, comme Saint-Huile ou moi-même, vous disent leurs doutes sur l'efficacité de cette réforme. Écoutez ceux qui doutent : la sûreté a besoin de dualité, de confrontations, de débats. En matière nucléaire, la démontrer, c'est douter, et non être assertif.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire ;
Suite de la discussion du projet de loi organique visant à modifier la loi organique du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures cinq.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra