La séance est ouverte à dix-neuf heures trente-cinq.
La commission procède à l'audition conjointe réunissant :
– Mme Maud Faipoux, directrice générale de l'alimentation (DGAL), ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;
– M. Philippe Duclaud, directeur général de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, accompagné de M. Frédéric Lambert, chef du service Europe et international, et Mme Anne Girel-Zajdenweber, sous-directrice adjointe des filières agroalimentaires ;
– M. Frédéric Michel, délégué pour les affaires agricoles, représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne (par visioconférence).
Mes chers collègues, nous accueillons Mme Maud Faipoux, directrice générale à la direction générale de l'alimentation (DGAL), M. Philippe Duclaud, directeur général à la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), accompagné de M. Frédéric Lambert, chef du service Europe et international et de Mme Anne Girel-Zadjenweber, sous-directrice adjointe à la sous-direction des filières agroalimentaires, ainsi que, par visioconférence, M. Frédéric Michel, délégué pour les affaires agricoles à la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne. Mesdames, messieurs, je vous remercie de vous être rendus disponibles pour répondre à nos questions.
Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Maud Faipoux, M. Philippe Duclaud, M. Frédéric Lambert, Mme Anne Girel-Zadjenweber et M. Frédéric Michel prêtent serment.)
Ma direction, au sein du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, s'occupe des questions économiques et de l'accompagnement des entreprises agricoles et agroalimentaires face aux défis que représentent la transition environnementale et la résilience.
Pour résumer notre activité, nous sommes chargés, en particulier, de négocier à Bruxelles, de mettre en œuvre la Politique agricole commune (PAC) en France et de coordonner l'action de l'ensemble des directions du ministère sur les aspects européens et internationaux, même si chacune a sa compétence propre. Nous déployons aussi un certain nombre de leviers nationaux en complément des leviers européens sur les thématiques que j'ai citées.
La France reste une grande puissance agricole et agroalimentaire. Nous avons eu l'occasion de vivre un « stress test » grandeur nature sur l'état de notre souveraineté alimentaire, pendant la crise du covid : notre chaîne d'approvisionnement agricole et agroalimentaire a tenu. Nous avons conduit, par la suite, d'autres travaux pour approfondir le sujet. Cela nous a permis de constater que nous restions une grande puissance agricole exportatrice nette. Le solde net de notre balance commerciale avec les pays tiers est positif, avec un excédent de 9,7 milliards d'euros en 2023, mais il se dégrade depuis 2015 vis-à-vis de l'Union européenne, avec un déficit de 4,6 milliards d'euros en 2023.
Derrière ces chiffres globaux, il y a des réalités de filières. Les points forts pour la ferme France sont les vins et spiritueux, qui représentent un excédent de plus de 13 milliards d'euros en 2023 ; les céréales, pour plus de 7 milliards d'euros ; le lait et les produits laitiers ; les animaux vivants ; la filière du sucre. Nous sommes déficitaires dans : la filière des fruits et légumes, où se pose un vrai problème de souveraineté alimentaire ; les produits de la pêche et de l'aquaculture, qui ne sont pas dans le périmètre de ma direction générale ; les viandes et produits carnés ; les oléagineux.
Chaque filière a sa logique et ses questionnements propres. Il y a des questions de compétitivité, de positionnement qualitatif ou d'évolution des préférences des consommateurs. La demande pour les fruits tropicaux a ainsi augmenté ces dernières années et la France n'est pas forcément bien positionnée pour y répondre. Dans le secteur des produits laitiers, excédentaire à hauteur de 3 milliards d'euros, nous sommes à la fois exportateurs et importateurs, notamment pour répondre à la grande consommation de beurre. Ces mouvements d'importation et d'exportation sont visibles dans la plupart des filières. Pour prendre l'exemple des viandes, nous exportons des bovins maigres vers l'Espagne et l'Italie et nous importons de la volaille.
Derrière ces chiffres globaux, qui restent positifs et montrent que nous restons une puissance agricole, il existe des points de vigilance sur lesquels le Gouvernement travaille. C'est notamment pour cette raison que nous avons élaboré ces dernières années des plans de souveraineté par filière, qui visent à accompagner celles qui sont particulièrement exposées aux déficits, en complément d'outils plus connus et plus classiques que nous déployons par ailleurs, notamment ceux de la politique agricole commune.
La direction générale de l'alimentation est la direction du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en charge de veiller sur la santé animale, la santé végétale et la sécurité sanitaire des aliments. Au-delà de ces missions de contrôle et de garantie de la sécurité sanitaire, nous avons aussi des missions dans la politique de l'alimentation et dans l'accompagnement des transitions écologique et alimentaire.
Les risques sanitaires peuvent en effet menacer la souveraineté alimentaire. C'est pour cela que les plans de souveraineté alimentaire comportent un volet sanitaire. Pour être résilients face aux crises sanitaires, il nous revient de nous donner les moyens de les prévenir et de lutter pour protéger nos productions, animales et végétales, et pour ménager la confiance de nos partenaires commerciaux et ainsi conserver nos débouchés à l'export.
Parmi ces menaces, on parle régulièrement des maladies, dont certaines sont émergentes, qui touchent les animaux. Nous avons tous en tête l'influenza aviaire hautement pathogène, qui a eu de lourdes conséquences économiques, commerciales et génétiques. L'État a été présent pour maintenir la production et préserver la souveraineté alimentaire. Le plan d'action mis en œuvre a également souligné tout l'intérêt de la vaccination contre cette maladie, si bien que cette année seuls dix foyers d'élevage ont été touchés, alors qu'il y en avait eu plus de quatre cent cinquante à la même époque l'an passé. Nous pourrons revenir sur les maladies vectorielles, c'est-à-dire qui se transmettent par un vecteur, notamment la maladie hémorragique épizootique (MHE), qui a frappé le sud-ouest de la France à l'automne dernier et nous a un peu surpris. Il a fallu créer un plan de lutte et modifier l'organisation des services de l'État.
S'agissant de la santé des végétaux, de nouveaux organismes pathogènes peuvent être transportés au gré des relations commerciales. Toute la question est de limiter leur introduction et leur dissémination grâce au contrôle des importations et à une surveillance du territoire permettant de les repérer le plus tôt possible.
La DGAL protège également les productions. Nous avons ainsi largement travaillé au plan de souveraineté pour la filière des fruits et légumes, selon un axe de protection des cultures, par le biais de la mise à disposition de nouvelles solutions, de la recherche d'alternatives ou de certains travaux réglementaires.
Je suis le chef du service agricole au sein de la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, l'un des services de ce poste diplomatique qui a pour charge de transmettre la position de la France à nos interlocuteurs de la Commission, du Conseil et du Parlement européens. Nous n'élaborons pas les positions, nous les défendons. Nous collectons des informations sur les rapports de force et sur l'actualité bruxelloise pour nourrir et éclairer les autorités françaises. Toutes les positions sont systématiquement interministérialisées au sein du secrétariat général pour les affaires européennes. Le pôle service agricole au sein de la représentation permanente couvre à la fois la partie agricole – mise en œuvre de la PAC, suivi des marchés, signes de qualité –, la partie sanitaire, phytosanitaire, et l'interface entre agriculture et environnement, en articulation avec les autres services de la représentation permanente.
La France reste une voix qui compte au niveau européen en matière agricole et alimentaire, non seulement du fait de sa position de puissance agricole mais aussi parce qu'elle est le premier bénéficiaire des aides de la Politique agricole commune. Nous sommes un État membre particulier de ce point de vue, qui bénéficie de l'écoute de ses partenaires. Cela s'est manifesté ces dernières années dans la montée en puissance de la notion de souveraineté alimentaire et de réduction de nos dépendances stratégiques. La France a vraiment contribué à faire émerger ce sujet, qui a pris sa pleine dimension lors du sommet de Versailles en 2022, où les produits alimentaires ont été définis comme un objectif majeur au même titre que les médicaments, par exemple.
Monsieur Michel, pouvez-vous expliquer, à grands traits, aux profanes que nous sommes comment se déroule un cycle de négociation de la PAC ?
Habituellement, il y a deux négociations : d'une part, une discussion budgétaire, où le seul Conseil négocie le cadre financier pluriannuel de sept ans, voté à l'unanimité ; d'autre part, les négociations sectorielles, dont celle de la PAC. Dans les deux cas, c'est la Commission qui le pouvoir d'initiative. Ses propositions sont examinées au niveau du Conseil et au niveau du Parlement.
Au niveau du Conseil, une discussion préparatoire a lieu au sein du comité spécial pour l'agriculture, où je suis un porte-parole. Chaque État membre exprime ses attentes, fait des propositions de modification, prépare les discussions qui auront lieu au niveau du conseil des ministres de l'agriculture, l'objectif étant d'avoir une orientation générale, soit une position qui puisse être acceptée à la majorité qualifiée.
Au niveau du Parlement, de manière similaire, une discussion a d'abord lieu en commission de l'agriculture et, s'il y a des compétences partagées, avec d'autres commissions. Cette commission essaie également de proposer une orientation générale qui sera ensuite votée en plénière.
Après que les deux colégislateurs ont adopté une orientation, on en vient au trilogue qui rassemble des représentants du Conseil, du Parlement et de la Commission. Le but est d'arriver à un compromis. Si ce compromis est trouvé, il est présenté par les rapporteurs du Conseil et du Parlement à leurs instances respectives. Si le compromis du trilogue est accepté, on a un accord. S'il y a des modifications à apporter, on peut repartir dans un second cycle avec une deuxième lecture, et, en cas de difficultés, arriver à un système de conciliation.
Ce processus peut durer relativement longtemps, puisqu'il faut environ deux ans pour parvenir à une position finalisée.
Depuis la dernière programmation, la déclinaison se fait par le biais de plans stratégiques nationaux (PSN), lesquels comprennent les aides du premier pilier, notamment les aides directes aux agriculteurs, et les aides du second pilier, celles pour le développement rural. Le premier pilier est financé par le FEAGA (Fonds européen agricole de garantie) et le deuxième par le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural), qui est cofinancé. Chaque État membre élabore son PSN en le négociant avec la Commission qui, en tant que garante de la correcte application des textes, s'assure qu'ils sont compatibles et ne génèrent pas de distorsions.
Monsieur Duclaud, quelle a été la genèse des PSN ? M. Pascal Lamy nous a dit tout le mal qu'il pensait du mouvement de renationalisation de la PAC.
En un mot, le PSN consiste à introduire dans l'univers du premier pilier la logique qui prévalait dans le deuxième. Les composantes du FEADER relevaient déjà d'une logique de programmation pluriannuelle. Budgétairement, c'est aussi un fonds pluriannuel, quand le FEAGA est un fonds annuel.
Dans la négociation de la réforme de la PAC, nous avons été très attentifs à la dimension de renationalisation. Nous avons cherché un équilibre entre la nécessaire subsidiarité et le fait de conserver des règles communes pour éviter les distorsions de concurrence. Le plan stratégique national est probablement le fruit de l'élargissement de l'Union européenne. Les États membres s'étendant de la Finlande jusqu'à Chypre, leurs réalités et leurs défis agricoles n'ont rien à voir. Sur la PAC, il faut trouver un accord à la majorité qualifiée qui permette de prendre en compte l'ensemble des intérêts nationaux. Cela explique la présence, dans les PSN, d'une subsidiarité à options. Parce que nous sommes attachés au caractère communautaire de la PAC, la France a veillé à ce que les règlements fixent un certain nombre de règles communes, afin de définir une sorte de level playing field, si vous me permettez l'expression, soit des règles équitables.
En France, par exemple, nous avons instauré des aides couplées au sein du premier pilier. Cette faculté est encadrée par le texte européen, qui définit une liste des secteurs éligibles, ainsi que le pourcentage de l'enveloppe que l'on peut leur dédier. Il existe aussi des cibles en matière environnementale – une certaine part des enveloppes doit y contribuer – ou pour l'installation.
Nous avons recherché un tel équilibre non seulement parce qu'il était nécessaire pour trouver un compromis dans une Europe à vingt-sept, mais aussi parce que la France a considéré que l'on avait besoin de flexibilité. Nous voulions avoir le choix d'adapter nos interventions au niveau national, à tel point qu'il a été décidé qu'une partie de notre deuxième pilier serait décentralisé et que les régions disposeraient d'une faculté d'adaptation.
De mon point de vue, pas fondamentalement. La nouveauté, c'est qu'il faut entrer dans une logique de programmation pluriannuelle pour le premier pilier, avec des indicateurs de réalisation et de résultats. Nous avons toujours des aides découplées, des aides couplées, l'ICHN (indemnité compensatoire de handicaps naturels) et, dans le deuxième pilier, des aides à l'installation aux jeunes agriculteurs ou à l'investissement. Ce qui a surtout changé, c'est que l'on a retravaillé sur le volet environnemental pour trouver un équilibre entre la conditionnalité des aides, le nouvel écorégime, qui a remplacé le paiement vert, et les mesures agro-environnementales et climatiques du deuxième pilier. Si les équilibres ont un peu changé, les interventions, en revanche, s'inscrivent dans une continuité.
Les causes sont multifactorielles et s'analysent sur vingt ou vingt-cinq ans.
L'élargissement a certainement joué sa part, dans la mesure où des pays comme la Pologne sont entrés dans l'Union européenne et ont su se montrer compétitifs sur certains produits, comme la pomme ou la volaille. Ces pays ont bénéficié d'aides de préadhésion qui les ont aidés à moderniser leur système de production – les bâtiments d'élevage, par exemple.
Par ailleurs, dans la mesure où il s'agit d'un marché intérieur, les chaînes de valeur ont pu être amenées à se recomposer. Certaines entreprises dans l'agroalimentaire ont pu considérer qu'elles avaient intérêt à diversifier leurs approvisionnements et à ne pas être dépendantes du seul marché national, en estimant que l'Union européenne était un espace de solidarité assez fort, avec des partenaires fiables, et qu'aller se fournir auprès d'un autre État membre ne représentait pas une prise de risque aussi grande qu'auprès d'un pays tiers, où existe un aléa géopolitique et de politique monétaire.
Enfin, même si c'est un peu difficile à appréhender, il y a aussi un effet du positionnement qualitatif des exportations françaises. Nous avons plutôt fait le choix d'une montée en gamme de notre production sur beaucoup de segments, ce qui nous permet d'être bien positionnés sur les marchés des États-Unis, du Royaume-Uni ou du Japon. D'autres pays de l'Union européenne ont fait le choix de se placer sur l'entrée ou le milieu de gamme, ce qui peut expliquer une forme de recomposition dans certaines filières.
Quelle a été la genèse du Pacte vert et de la stratégie « De la ferme à la fourchette » ? Cela a-t-il commencé en 2019 ou y avait-il déjà eu des réflexions en amont ? Comment les administrations françaises ont-elles alimenté ou non la Commission européenne ?
Le Pacte vert, qui est un outil protéiforme, concerne globalement des textes de nature législative au plan européen, soit des directives, soit des règlements, qui relèvent essentiellement du champ de compétences du ministère de la transition écologique. Le ministère de l'agriculture a été impliqué dans les échanges interministériels avec ses collègues du ministère de la transition écologique pour construire la position française, qui a ensuite été défendue dans les négociations par la représentation permanente. Certains textes nous concernent plus que d'autres : ceux sur le volet forestier, sur les emballages ou sur les émissions industrielles (directive IED).
La première véritable orientation de la Commission en faveur du Pacte vert date en effet de 2019. S'il pouvait donner l'impression d'être une contrainte pour nos opérateurs économiques, on voit, en approfondissant l'analyse, que ce type de texte offre aussi l'occasion de s'assurer d'une forme d'équité dans les conditions de concurrence sur le marché intérieur.
Est-ce que c'est aussi le ministère de la transition écologique qui avait la main sur la stratégie « De la ferme à la fourchette » ?
C'est une communication. Je ne connais pas de textes qui soient directement rattachables à cette stratégie. Le règlement SUR (sur l'usage durable des pesticides) relève du périmètre de la DGAL, mais il n'a pas abouti. Nous attendons une communication de la Commission sur les systèmes alimentaires durables, avec une composante sur l'étiquetage de l'origine.
La semaine dernière, l'ancien ministre de l'agriculture Julien Denormandie nous a dit qu'il avait fait le siège de la Commission pour obtenir les fameuses études d'impact sur la déclinaison agricole du Pacte vert. Les services du ministère français n'étaient donc pas consultés par la Commission européenne, par exemple pour ce qui concernait la décapitalisation du cheptel ?
Nous avons en effet dû demander à la Commission européenne de nous fournir les études d'impact, réalisées par l'université de Wageningen, aux Pays-Bas, notamment sur les volumes de production agricole des différentes composantes du Pacte vert. Un début de transparence a été fait sur ces travaux. Puis d'autres acteurs sont venus alimenter le débat. Des études allemandes et françaises, ainsi que du JCR (Joint Research Centre), le centre commun de recherche de la Commission, ont été produites sur le sujet. Elles allaient dans le même sens, en considérant que les principaux leviers du Pacte vert risquaient de faire baisser la production agricole dans l'Union européenne.
Madame Faipoux, beaucoup de choses se disent sur le CETA (Accord économique et commercial global). La filière bovine, notamment, s'inquiète de la possibilité qui serait ouverte d'importer de la viande aux hormones. Ce n'est pas ce que dit la direction générale du Trésor, ni dans ses communications publiques ni dans un courrier que le directeur général m'a adressé, à la suite de l'audition d'INTERBEV (Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes). Les acteurs évoquent le manque de contrôle. J'ai interrogé les douanes qui m'ont orienté vers la DGAL. Comment la viande de bœuf qui vient du Canada est-elle contrôlée quand elle arrive sur notre territoire ? Comment vous assurez-vous qu'il n'y a pas d'hormones ni de produits interdits en Europe dans cette viande ?
Les contrôles aux frontières françaises sont bien effectués par des services qui dépendent de la DGAL, les services d'inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières (SIVEP). Ce peuvent être des contrôles documentaires ou des contrôles physiques, notamment sur des denrées animales ou des animaux vivants, ou par analyses. Il y a deux façons de connaître le mode de production. S'il laisse des traces, on vérifie si les résidus – hormones, antibiotiques – dépassent ou non le plafond réglementaire. Sinon, on procède à des audits de filières. La filière, qui s'est engagée à ne pas recourir à tel produit ou à telle pratique, est auditée sur place par une direction de la Commission européenne qui vérifie qu'elle respecte bien son cahier des charges et garantit ainsi le processus et la traçabilité.
Un règlement interdit toute importation de produits issus d'animaux traités aux hormones. Si le cas s'est présenté, les produits ont été refoulés – je n'ai pas les chiffres en tête.
Monsieur Duclaud, vous avez suggéré des pistes pour justifier la dégradation de notre balance commerciale sur le marché européen. Lors de nos auditions, la question de la surtransposition est revenue à de nombreuses reprises. Votre service a-t-il réalisé une étude sur la surréglementation en général ?
Aucune étude globale n'a été réalisée mais nous avons conduit des travaux sur certaines filières à la suite d'auditions organisées au Sénat l'année dernière sur la souveraineté alimentaire. L'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), placé sous la tutelle du ministère et dont vous avez auditionné les représentants, effectue des études sur la compétitivité des filières, dans lesquelles il insiste sur les aspects social et fiscal.
Dans le champ d'action de ma direction générale, environ 80 % du droit est d'origine européenne ; la plupart des normes étant des règlements de l'Union européenne, les directives, donc les actes de transposition, sont peu nombreux. La complexité de la réglementation nous pose davantage de problèmes que la transposition. Dans le cadre national, nous pouvons aller plus loin que le droit européen, comme le montrent les lois Egalim, sans qu'il s'agisse de surtransposition.
La fiscalité et le coût du travail sont des éléments importants, au même titre que le positionnement qualitatif de nos productions. Dans la filière des fruits et légumes, l'exonération de cotisations patronales pour l'emploi de travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TODE) ramène le coût du travail à un niveau comparable à celui de la Belgique, des Pays-Bas et de l'Allemagne ; toutefois, ce type de dispositif ne suffit évidemment pas pour atteindre le niveau de l'Espagne et a fortiori du Maroc. Quant à la fiscalité, le sujet dépasse largement le champ agricole, mais la politique de diminution des impôts de production affecte favorablement le secteur.
Est-il exact que nous ne disposons pas de vision d'ensemble des distorsions de concurrence dont souffrent les producteurs français sur le marché unique ?
Il est compliqué d'avoir une vision erga omnes, d'où le choix d'étudier la compétitivité de chaque filière séparément. Un travail aggloméré nous conduirait à additionner des choux et des carottes ; au sein de chaque filière, les dynamiques divergent en fonction du positionnement qualitatif des produits. Il serait très difficile de quantifier théoriquement l'impact économique de la surréglementation.
La vision d'ensemble à laquelle je faisais allusion s'entend bien filière par filière : c'est un état des lieux exhaustif dont nous aurions besoin. Les représentants de la filière des fruits et légumes m'ont remis un tableau présentant les impacts de la surréglementation. Le ministère a-t-il une vision exhaustive de ce phénomène ?
Les études de FranceAgriMer offrent un panorama sur l'ensemble de ces enjeux, du moins pour les filières principales.
Je le pense. Ils sont diffusés aux professionnels dans le cadre des conseils spécialisés et plusieurs d'entre eux doivent figurer sur le site de FranceAgriMer.
Un plan d'arrachage de 8 000 hectares a été engagé l'année dernière dans le vignoble bordelais ; les producteurs doivent choisir entre la diversification et la renaturation pendant vingt ans : selon le communiqué du préfet, cette deuxième solution doit concerner 4 000 hectares. La renaturation interdit même de laisser une vache paître sur les parcelles. Pourquoi a-t-on imposé une telle obligation de renaturation ?
Il y a deux bases légales et deux guichets pour cette aide à l'arrachage. Les services de l'État agissent sur le fondement des règles relatives aux aides d'État, lesquelles stipulent que toute aide à la diminution de la capacité de production impose l'absence d'usage à des fins économiques pendant vingt ans : voilà l'origine de la renaturation des parcelles. Le deuxième guichet est géré par l'interprofession, qui, n'étant pas un acteur étatique, n'est pas contrainte par les règles européennes sur les aides d'État et n'est donc pas soumise à l'obligation de renaturation.
Je ne comprends pas cette exigence européenne de renaturation. Dans une optique de souveraineté alimentaire, pourquoi les viticulteurs n'ont-ils pas pu vendre les parcelles à des personnes voulant les utiliser pour des céréales, de l'élevage ou du maraîchage ? Ces 4 000 hectares ne vont plus servir à rien.
On pourra y implanter des couverts forestiers, lesquels pourront bénéficier d'une valorisation économique, certes étrangère au champ de l'agriculture en tant que tel.
Les règles européennes sur les aides d'État sont différentes de celles de la PAC négociées par les ministres et le Parlement européen. C'est la Commission européenne qui les édicte sans consulter le Conseil ni le Parlement, au titre de sa compétence de gardienne du droit de la concurrence et du marché intérieur. Ce corpus n'est pas négociable et s'impose aux États membres. Une aide d'État doit s'accompagner d'une notification du régime d'aide à la Commission, en l'occurrence à la direction générale de la concurrence, charge à celle-ci de valider le dispositif. C'est le processus suivi pour l'arrachage dans le vignoble bordelais : la direction générale de la concurrence a accepté l'aide parce que les conditions réglementaires étaient remplies.
Avez-vous tenté de convaincre la Commission d'accepter le maintien d'une activité productive sur ces surfaces afin de contribuer à notre souveraineté alimentaire ?
Nous avons effectivement soumis le sujet à la direction générale de l'agriculture et à la direction générale de la concurrence pour explorer toutes les pistes de souplesse voire de contournement de la réglementation, mais la Commission nous a répondu que celle-ci n'était soumise à aucune interprétation particulière et qu'il nous fallait la mettre en œuvre.
Le Président de la République a annoncé au Salon de l'agriculture l'instauration de prix planchers : votre direction a-t-elle été consultée sur cette mesure avant son annonce ? Est-elle associée à son élaboration ?
Des réflexions sont menées depuis longtemps sur la rémunération des agriculteurs puisque plusieurs initiatives législatives ont été lancées sur le sujet. Le Président de la République a également fait part de sa volonté de défendre l'édiction d'un dispositif Egalim à l'échelle européenne. Nous travaillons donc sur la traduction de mesures de prix planchers dans le droit national et sur l'élaboration d'un Egalim européen. La Commission européenne a publié un « non-papier » – une note libre – présentant des thématiques de travail, dans lequel figurent la contractualisation en amont et la révision de la directive sur les pratiques commerciales déloyales en aval : cette initiative, totalement en phase avec les idées françaises, montre l'accueil positif réservé à la perspective d'un Egalim européen. La DGPE travaille en lien avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sur ces questions, cette dernière ayant la compétence en matière de contractualisation et de régulation économique.
En quoi le dispositif annoncé par le Président de la République sur les prix planchers se distinguera-t-il des mesures contenues dans les lois Egalim ?
Je ne sais pas si je suis bien placé pour faire l'exégèse des propos du Président de la République. La notion de prix plancher est polysémique. Les lois Egalim font référence aux indicateurs interprofessionnels : édictés par l'interprofession, les acteurs peuvent s'en emparer pour les négociations contractuelles. Certaines filières ont souhaité être dispensées de l'application d'Egalim, mais la question de leur entrée dans le périmètre de ce corpus législatif se pose désormais. Ces filières n'utilisent pas d'indicateurs interprofessionnels, donc leur introduction dans les négociations contractuelles pourrait représenter un progrès vers l'édiction de prix planchers assis sur les indicateurs.
La DGPE conduit-elle un travail spécifique sur les prix planchers depuis l'annonce du Président de la République ?
Une mission parlementaire est en cours sur le sujet : nous attendons de connaître l'orientation de son rapport avant de nous pencher sur sa traduction juridique. Parallèlement, nous œuvrons beaucoup à l'échelle européenne et nous sommes en contact avec la DGCCRF pour le volet national du dispositif. Certaines filières réfléchissent également à l'opportunité de revenir sur certains de leurs choix opérés sur Egalim, notamment en matière de contractualisation. Nous allons rencontrer leurs représentants d'ici au début de l'été pour nourrir notre travail.
Je ne comprends pas davantage le dispositif des prix planchers, mais nous poserons la question à la DGCCRF.
Madame Faipoux, les limites maximales de résidus (LMR) sur les hormones sont-elles bien nulles ?
De quels moyens la DGAL dispose-t-elle pour effectuer le contrôle sanitaire des importations animales ?
La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) nous a expliqué le périmètre de chacune de vos missions. Quelle est la part des importations animales que vous contrôlez ? Quel est le taux de non-conformité à la réglementation ?
Le contrôle des produits végétaux est en partie du ressort de la DGDDI, la DGCCRF lui ayant transféré cette compétence avant le déploiement de la police unique chargée des contrôles de sécurité alimentaire, placée sous l'égide de la DGAL. Cette police unique contrôle l'ensemble des denrées alimentaires, compétence jusqu'à présent partagée entre la DGCCFR et la DGAL ; l'installation de la police unique s'étant opérée après le transfert du contrôle des produits végétaux à la DGDDI, celle-ci en conserve la responsabilité.
En 2023, 160 128 contrôles de produits animaux et d'animaux vivants ont été effectués : 1 787 envois ont été refusés, soit 1,12 %. S'agissant des aliments pour animaux d'origine non animale, 4 609 contrôles ont été opérés, 0,3 % d'entre eux ayant décelé une absence de conformité à la réglementation. La DGAL a réalisé 64 636 contrôles de produits phytosanitaires végétaux, dont 1,53 % ont fait apparaître une non-conformité.
Est-ce la DGAL ou la DGDDI qui effectue les contrôles sur les résidus de produits phytosanitaires ?
Les deux directions se partagent la tâche : la DGDDI contrôle les aliments d'origine végétale et la DGAL les plantes.
Dans le rapport de la commission d'enquête sur les produits phytosanitaires, rédigé par notre collègue Dominique Potier à la fin de l'année dernière, on lit que M. Éric Dumoulin, sous-directeur de la sécurité sanitaire des aliments à la DGAL, avait pointé l'existence de produits destinés à masquer la présence de certaines molécules, notamment des hormones. Pourriez-vous faire un point sur les produits masquants ? Un travail est-il conduit sur la question ?
Les protocoles d'analyse de ces denrées sont normés ; nous faisons appel à des laboratoires de référence et utilisons des méthodes d'analyse certifiées à l'échelle européenne. L'évolution des modes d'action de certains opérateurs peu scrupuleux peut nous conduire à modifier nos protocoles mais l'élaboration et le déploiement de ceux-ci requièrent du temps ; je n'ai pas connaissance d'un développement récent de nouveaux protocoles opérationnels.
Lors de son audition, M. Éric Dumoulin avait déclaré : « Nous sommes convaincus que nous devons nous efforcer d'améliorer les performances dans les techniques analytiques pour identifier les produits masquants. C'est une lutte identique à celle contre le dopage ; une véritable course se joue pour anticiper les stratégies de triche. Il conviendra d'effectuer un effort concernant le travail des laboratoires nationaux de référence (LNR), têtes de proue de l'évolution des techniques de détection et de dépistage. »
Les produits masquants nous empêchent-ils de déceler certains résidus ? Des produits alimentaires non conformes à la réglementation peuvent-ils entrer en France grâce aux agents masquants ?
C'est évidemment difficile à dire. Nous nous efforçons d'améliorer nos méthodes analytiques, surtout lorsque nous les soupçonnons d'être imparfaites. Nous nous appuyons sur les protocoles des LNR, qui eux-mêmes se réfèrent à des laboratoires de référence de l'Union européenne (LRUE) ; le processus de développement et d'étalonnage des protocoles est long. Je ne pense pas que nous disposions de protocoles capables d'annihiler l'action de tous les produits masquants, mais la DGCCRF, la DGAL et la DGDDI poursuivent, notamment dans des laboratoires communs, le travail de recherche visant à perfectionner nos méthodes analytiques.
La Commission européenne doit prendre plusieurs actes juridiques après l'entrée en vigueur, le 28 janvier 2022, du règlement européen relatif aux médicaments vétérinaires. Dans un arrêté du 21 février 2022, le ministre de l'agriculture et la souveraineté alimentaire, M. Julien Denormandie, avait décidé que l'importation et la mise sur le marché en France de viandes et de produits issus d'animaux ayant reçu des antibiotiques facteurs de croissance étaient interdites à partir du 22 avril de cette même année. Cet arrêté est-il appliqué ?
Oui. Le règlement européen du 11 décembre 2018 relatif aux médicaments vétérinaires représente la première concrétisation de la mesure miroir dans un texte sectoriel. À l'initiative de la France, ce règlement interdit toute importation de denrées animales produites à partir d'animaux traités par des antibiotiques dits critiques, c'est-à-dire utilisés également par l'homme, ou par des antibiotiques destinés à accélérer la croissance. L'adoption de ce règlement a constitué une belle victoire.
Pour être mis en œuvre, des textes secondaires d'application doivent être élaborés. Deux actes d'exécution ont été pris en février 2023 et en janvier 2024, le dernier devant entrer en vigueur en septembre 2026. Comme le processus normatif se révélait long, le ministre de l'époque a en effet pris un arrêté en février 2022 pour anticiper les effets du règlement européen : le texte interdit l'importation en France et la mise sur le marché national de produits élaborés à partir d'animaux ayant reçu des antibiotiques facteurs de croissance. L'application de l'arrêté, prévue pour seulement un an, a été prolongée en février puis en juin 2023 jusqu'à l'entrée en vigueur du règlement européen.
J'ai demandé à la DGDDI si elle effectuait des contrôles sur les produits importés d'autres pays du marché unique et qui pourraient provenir de pays tiers : qu'en est-il à la DGAL ?
Les produits issus d'un pays tiers transitant dans un État de l'Union européenne avant d'entrer en France sont contrôlés dans ledit État européen, si bien que l'arrêté de 2022 ne s'applique pas. En revanche, les opérateurs savent que la France ne peut pas importer de produits issus d'animaux ayant absorbé des antibiotiques facteurs de croissance. Les contrôles de routine portant sur les LMR des denrées en circulation dans notre territoire peuvent aboutir à démasquer la présence de tels produits interdits, mais de telles vérifications ne peuvent pas s'opérer à la frontière.
L'absence de contrôle à la frontière ne rend-elle pas théorique l'interdiction d'importation de ces produits ?
Elle la rend moins opérante, d'où l'intérêt de déployer la mesure à l'échelle européenne, ce qui se concrétisera à l'automne 2026.
Les clauses de sauvegarde, appliquées par exemple au diméthoate, ne sont, selon certains acteurs, pas suffisamment utilisées. Pourquoi n'y avons-nous pas davantage recours pour empêcher l'importation de molécules interdites en France car jugées dangereuses pour la santé humaine ?
Les clauses de sauvegarde permettent l'adoption de mesures nationales, sachant qu'elles s'appliquent à des domaines dans lesquels il y a lieu de privilégier la voie européenne. L'interdiction du diméthoate a été décidée à l'échelle européenne mais des décalages d'application peuvent être tolérés entre les États membres : dans ce cas, une mesure de sauvegarde peut être prise au niveau national, comme la France l'a fait pour l'interdiction des produits issus d'animaux ayant reçu certains antibiotiques. Notre pays a pris des mesures de sauvegarde pour le diméthoate, le phosmet et le thiaclopride, puisqu'elle a pu démontrer que ces insecticides représentaient un risque pour le consommateur. Pendant l'application de ces clauses, les travaux se poursuivent afin d'aboutir à des mesures européennes. La France a pris, en début d'année, une clause de sauvegarde contre le thiaclopride, lequel devrait être interdit dans l'ensemble de l'Union européenne avant la fin de l'année.
Toutes les substances classées cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction de niveau 1 (CMR1) ne pourraient-elles pas faire l'objet d'une clause de sauvegarde ?
Avant d'envisager de prendre une clause de sauvegarde, on révise la LMR : si le produit est dangereux pour la santé, la LMR peut être abaissée à la limite de quantification. Quand un texte européen interdit l'importation d'une molécule, on fixe la LMR à la limite de quantification, ce qui revient à prohiber toute présence de la molécule en question.
Une réglementation interdit une substance active de produits phytosanitaires et une autre fixe la LMR : l'existence de deux textes peut entraîner un décalage de calendrier qui empêche toute automaticité entre l'interdiction de la molécule et la révision de la LMR. C'est cet écart qui a conduit la France à prendre une mesure de sauvegarde contre le thiaclopride.
Monsieur Frédéric Michel, les études d'impact du Pacte vert ont révélé des pertes de rendement substantielles, contraires à l'objectif de souveraineté alimentaire. Que fait la France pour que le Pacte vert n'affecte pas les productions nationales ?
Chaque État membre pouvait contribuer à l'étude d'impact du JRC, la plus importante de toutes, en fournissant des analyses sur les conséquences du Pacte vert, celles-ci variant selon les filières et l'environnement du pays concerné. Chaque État membre est intervenu au fil de la négociation, dans le but de dégager une orientation générale.
Lors de la négociation de la directive sur les émissions industrielles (IED), la France a contribué à la définition des seuils sur le fondement de ses propres analyses.
La France a-t-elle mis en garde ses partenaires sur les conséquences du Pacte vert sur sa souveraineté alimentaire ?
Le Conseil ne s'est pas penché sur l'impact du Pacte vert sur les capacités de production européennes. En revanche, la nécessaire réduction de nos dépendances a été régulièrement mise en avant. Nous avons défendu, pour chaque texte, une approche équilibrée entre l'exigence environnementale et la préservation de notre capacité de production, mais nous n'avons jamais élaboré de position transversale visant à limiter l'impact du Pacte vert sur nos capacités de production.
Le Gouvernement s'est-il opposé à l'étude d'impact du règlement relatif à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques (SUR) envisageant des réductions de production ?
Non, la France a toujours soutenu le règlement SUR, mais pas à n'importe quel prix. Nous avons travaillé à l'harmonisation européenne des indicateurs de suivi de l'utilisation des pesticides. Nous voulions définir des seuils raisonnés ménageant des alternatives pour assurer le biocontrôle et la protection des plantes.
Le sujet de l'harmonisation des indicateurs n'est apparu que très récemment ; en effet, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, répondant à l'une de mes questions lors de son audition par la commission d'enquête sur les produits phytosanitaires, avait affirmé qu'il n'était pas question de remettre en cause l'indicateur français du « nombre de doses unités » (NODU).
La remise en cause du NODU est certes récente, mais la fixation de deux indicateurs de suivi de l'utilisation des pesticides a toujours été sur la table de négociation du règlement SUR. Ce texte offrait d'ailleurs une vision harmonisée de la situation en Europe, le NODU restant un indicateur français.
Le feu vert donné au règlement SUR ne valait-il pas acceptation des impacts sur la production ?
Il n'y a pas eu de débat d'orientation dans les enceintes du Conseil sur l'ensemble du Pacte vert ou sur la stratégie « de la ferme à la fourchette », cette dernière étant une communication de la Commission, laquelle a considéré qu'elle devait fournir des études d'impact pour les textes législatifs et non pour les communications, assimilées à des orientations politiques générales.
Nous avons débattu de l'impact de chaque texte sur la capacité de production agricole ; lors des négociations sur la directive IED, nous avons insisté sur la prise en compte des enjeux de souveraineté alimentaire et de compétitivité des filières d'élevage. Dans les discussions sur le règlement SUR, nous avons plaidé pour une harmonisation européenne et certains États membres ont interpellé la Commission sur l'impact du texte sur la production.
Le règlement SUR visait à définir des objectifs communs de réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques, mais aussi à déployer des méthodes alternatives. Pour la première fois, nous avons élaboré, à l'échelle européenne, une définition des produits de biocontrôle et arrêté une stratégie visant à développer leur utilisation. L'enjeu principal résidait dans la diminution du recours aux produits phytosanitaires, notamment les plus dangereux : dans cette optique, les discussions se sont concentrées sur l'indicateur de risque harmonisé (HRI 1).
La négociation du règlement SUR est abandonnée, mais la directive sur l'utilisation durable des pesticides (SUD), toujours en vigueur, commande aux États membres le déploiement d'un plan de réduction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques ; c'est pour répondre à cette injonction que la France a élaboré les plans Écophyto.
L'indicateur NODU figurait dans le plan Écophyto II+. Le HRI 1 existait déjà à l'échelle européenne et servait à comparer les données entre les pays, mais chaque État membre était maître de la définition de son plan et de sa méthode de suivi. Le règlement SUR visait à définir un objectif commun de réduction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, assis sur un indicateur unique qui aurait pu être le HRI 1. Le plan Écophyto II+ est arrivé à échéance et a été remplacé, le 6 mai dernier, par la stratégie Écophyto 2030, dans laquelle nous avons retenu l'indicateur européen HRI 1.
Monsieur Michel, le Président de la République et la France ont été confrontés, en janvier 2024, à la colère des agriculteurs : après plusieurs changements de positions historiques, M. Macron a rappelé son opposition à la signature du traité de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur. Le site Vie publique indique que la Commission européenne a affirmé sa volonté de poursuivre les négociations : le nombre de pays s'opposant à cette démarche se réduit, à l'image de l'Allemagne, qui souhaite que les négociations, notamment sur le volet industriel, aboutissent en raison de leur importance géostratégique. Pouvez-vous nous garantir que la Commission européenne ne passera pas en force dans ce dossier ?
Je ne suis pas en mesure, depuis ma position, de vous apporter une réponse tranchée. Plusieurs États membres militent en effet avec vigueur pour que les négociations débouchent sur un accord avec le Mercosur. La position française reste entendue, comme l'est la sensibilité que cet accord provoque dans notre pays mais également ailleurs en Europe. La Commission poursuit sa réflexion, notamment sur les gages supplémentaires qu'elle pourrait demander aux pays du Mercosur ; elle est en tout cas habilitée à poursuivre les discussions, la politique commerciale étant une compétence exclusive de l'Union européenne.
On entend dire que la Commission renoncerait à passer par un traité de libre-échange nécessitant l'aval des États pour le transformer en accord commercial. Êtes-vous en mesure de nous garantir que le traité initial ne passera pas sous la forme d'un accord commercial ?
Non, depuis ma position, je ne peux pas vous le garantir.
Si la Commission usait de ses prérogatives pour faire passer un tel accord commercial avec le Mercosur, avez-vous déjà reçu des directives du ministère sur des mesures à prendre pour contrer ses effets négatifs pour la France ?
Non. À ce stade, la position française consiste à rappeler partout et tout le temps que nous sommes opposés à la signature et à l'entrée en vigueur de cet accord. Le coût politique d'un passage en force apparaît d'ailleurs démesuré pour le moment.
Y a-t-il des accords commerciaux en application qui auraient été imposés par la Commission contre la volonté de la France ?
Non, pas à ma connaissance.
Tous les traités de libre-échange en vigueur ont donc été voulus par les gouvernements qui se sont succédé dans notre pays.
Dans vos propos introductifs, vous avez tous souligné l'influence croissante du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires dans le domaine agricole, ce qui me rappelle mon expérience passée au Parlement européen où la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire tendait à capter les sujets agricoles. Peut-on dire que le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires a une influence déterminante dans l'élaboration des PSN et de la PAC ? Cette influence peut-elle être même supérieure à celle du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ?
Les PSN comme la plupart des autres dossiers font l'objet d'un travail interministériel. Nous avons travaillé avec la DGCCRF pour les lois Egalim et avec les collègues du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires pour le PSN. Cela étant, il a toujours été très clair que le ministère agriculture et de la souveraineté alimentaire était le chef de file de l'élaboration du PSN. Au cours du processus d'un travail interministériel normal, les éventuelles divergences entre ministères sont soumises à des arbitrages. Soyez rassuré : l'élaboration du PSN s'est faite dans de bonnes conditions et n'a donné lieu à aucune difficulté significative.
Votre question nous ramène à l'équilibre entre la subsidiarité et les caractères communs de la PAC, que j'ai évoqué plus tôt. Dans les textes européens, il existe des règles qui encadrent le volet environnemental des PSN – la France l'avait d'ailleurs demandé car elle préférait que ce volet soit défini à l'échelle de l'Union européenne. Dans la déclinaison nationale, nous avons respecté ces règles, notamment les objectifs de dépenses à consacrer au volet environnemental. Ce cadrage européen faisant consensus, nous n'avons pas rencontré de difficulté particulière puisqu'il s'agissait de l'appliquer.
Pendant la crise agricole, des agriculteurs ont intercepté des cargaisons d'œufs ukrainiens qu'ils disaient non conformes à réglementation européenne, ce qui a été confirmé par des enquêtes journalistiques. Lorsque nous les avons auditionnés, les représentants de la filière avicole nous ont aussi indiqué que 50 000 ou 75 000 tonnes d'œufs ukrainiens non conformes étaient arrivées l'an dernier sur le marché français. Comment est-il possible de commercialiser des œufs non conformes, qu'ils soient destinés à l'industrie ou aux particuliers ? Sur le site de France Info, qui ne peut pas être taxé de complotiste, on pouvait voir des photos de ces cargaisons où la mention « œufs non conformes CE » était écrite en caractères minuscules, sous une grosse étiquette « œufs frais de catégorie A » ornée d'une poule sympathique.
Tout dépend de la raison de leur non-conformité. À la DGAL, on s'occupe des non-conformités sanitaires, c'est-à-dire de produits faisant courir un risque au consommateur – des œufs porteurs de pathogènes, par exemple. Si leur non-conformité tient à d'autres causes telles que le non-respect de certaines normes de commercialisation, ils relèvent de la DGCCRF. En tout cas, la DGAL n'a pas eu à traiter ce sujet.
Les représentants de la filière avicole française nous ont aussi indiqué que de nombreux éleveurs brésiliens continuaient à utiliser un antibiotique, la flavomycine, interdit en Europe depuis 2006. Des aviculteurs brésiliens confessent qu'ils cessent de l'utiliser trois à quatre jours avant l'abattage de la volaille pour en « blanchir » la viande, afin de limiter la possibilité d'identifier cette substance lors de tests. En fait, cette précaution paraît inutile puisque, selon les dires des personnes auditionnées, cet antibiotique n'est pas inscrit sur la liste des quatre-vingt-huit agents recherchés, alors qu'il est interdit depuis 2006 sur le marché européen. La flavomycine ne sera ajoutée à cette liste qu'en 2026, ce qui signifie que ce produit aura été interdit en Europe sans que sa présence ne soit recherchée dans les volailles d'importation, en l'occurrence du Brésil.
La date de 2026 fait référence au règlement de 2018 sur les médicaments vétérinaires, évoqué plus tôt, qui a introduit une mesure miroir : l'interdiction d'importation de viande issue d'animaux traités par des antibiotiques de croissance ou par des antibiotiques critiques car réservés à l'usage humain. Ce règlement ne peut entrer en vigueur avant la publication de textes d'application, dont le dernier est paru en février 2024, avec une date de prise d'effet reportée à septembre 2026 pour laisser aux opérateurs le temps de s'adapter. En France, la mesure a été appliquée par anticipation par le biais d'un arrêté pris en 2022, puis prolongé. Elle n'est pas forcément appliquée par les autres États de l'Union européenne aux produits qu'ils importent d'un pays tiers.
Le mot « anticipation » me paraît un peu paradoxal compte tenu du calendrier que vous avez donné.
La France applique depuis 2022 des réglementations qui n'entreront en vigueur sur le territoire européen qu'en 2026. C'est pour cela que j'ai employé le mot « anticipation ».
Je ne comprends pas : le responsable de la filière volaille nous a dit que la flavomycine n'était pas recherchée dans les produits d'importation, alors que vous nous dites que les contrôles sont effectifs en France depuis 2022.
Les opérateurs s'engagent à respecter la réglementation française qui interdit l'entrée de volailles traitées avec ce produit, même s'il n'est pas forcément recherché par des analyses – je ne sais pas si le protocole est opérationnel. En tout cas, les opérateurs s'engagent à pas utiliser ce produit.
On s'en remet donc à la bonne foi des opérateurs sans procéder au moindre contrôle ? Ce n'est pas une question piège, mais j'ai eu un peu de mal à comprendre.
Si la méthode analytique de cet antibiotique n'est pas disponible, il n'est pas traité. En revanche, chaque opérateur s'engage à ne pas l'utiliser, ce qui permet des contrôles de traçabilité. Les contrôles ne seront harmonisés au niveau européen qu'en 2026 et, dans l'intervalle, les produits circulent entre pays de la zone.
D'une manière générale, qu'il s'agisse de ce produit ou d'un autre, le profane que je suis ne comprend pas la logique de l'interdiction. Comment se prend la décision d'interdire puisqu'elle ne s'applique pas de manière uniforme, même à l'intérieur de l'Union européenne, ce qui aboutit le plus souvent à des règles plus strictes en France que chez nos voisins ? En cas de dangerosité avérée, pourquoi les interdictions ne sont-elles strictes que pour nos agriculteurs ? Je ne comprends pas. Quant au consommateur, il est soumis en permanence à des injonctions contradictoires : d'un côté, on lui dit que le produit est dangereux, que lui et ses enfants vont tomber malades et mourir dans d'atroces souffrances s'ils le consomment ; de l'autre, l'interdiction à géométrie variable semble contredire le premier message.
Il y a plusieurs raisons d'interdire une substance. Si elle est dangereuse pour la santé humaine, l'interdiction sera appliquée plus rapidement et de manière effective. S'agissant d'un antibiotique comme la flavomycine, il n'est pas interdit en raison de sa dangerosité pour la santé humaine mais dans le cadre de la lutte contre l'antibiorésistance. Dans certains cas, l'interdiction vise alors l'usage de l'antibiotique à des fins non vétérinaires – non pas pour soigner ou protéger l'animal mais pour augmenter artificiellement sa production. Dans d'autres cas, il s'agit d'interdire l'usage vétérinaire d'un antibiotique dit critique, c'est-à-dire utilisé aussi pour les humains : une trop grande utilisation crée des résistances et réduit l'efficacité du produit, y compris en médecine humaine. Le produit n'est pas dangereux pour le consommateur, mais son interdiction obéit néanmoins à des préoccupations de santé publique puisqu'elle répond au besoin de préserver l'efficacité d'un médicament.
Je m'interroge aussi sur la pertinence économique des filières. Les plans se succèdent depuis vingt ans, notamment dans les domaines des protéines végétales, de la laine ou du lin, donnant l'impression que chaque ministre repart de zéro. De Stéphane Le Foll à Julien Denormandie, c'est un éternel recommencement. On nous annonce ainsi depuis vingt ans la renaissance de la filière lin : la transformation et la valorisation sur place de cette matière dont la France est le premier producteur mondial – entre 60 et 70 % de la production totale selon les années. Ces plans ne semblent répondre qu'à un objectif de communication, alors que les enjeux sont importants, notamment en ce qui concerne les protéines végétales.
Autre filière en déshérence : celle de la betterave, plante dont on connaît pourtant les vertus pour la transition écologie et sa capacité à être utilisée dans la chimie verte. Ne revenons pas sur l'interdiction de produits phytosanitaires et parlons de la suppression des quotas sucriers, dont on aurait pu penser qu'elle entraînerait une augmentation de la production. Or il n'y a aucun plan sur la transformation, les raffineries. Au conseil régional des Hauts-de-France, on lance des plans chimie verte complètement anecdotiques et déconnectés des enjeux. Lors des auditions, je n'obtiens que très peu de réponses à mes nombreuses questions sur le sujet. Comment ces filières sont-elles pensées, construites, suivies ? Alors que beaucoup d'argent public est mobilisé et que les enjeux économiques sont importants, on se retrouve avec des plans sous forme de PowerPoint, des choses qui paraissent sympathiques au départ mais qui ne mènent à rien.
Je comprends votre sentiment car, en particulier dans le domaine des protéines végétales, plusieurs plans successifs ont été élaborés au cours des dernières années. Lors de la dernière stratégie nationale en faveur du développement des protéines végétales, les travaux ont d'ailleurs commencé par un diagnostic sur l'échec des plans antérieurs, ce qui a conduit à un changement de méthode. Ce plan a été élaboré en concertation avec les organisations professionnelles agricoles, les interprofessions et les chercheurs de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE).
Au cours du travail préparatoire avec ces différents acteurs, il est apparu que les plans antérieurs étaient trop focalisés sur l'amont agricole, sans forcément beaucoup de moyens associés, et que deux composantes avaient été négligées : la recherche, notamment en génétique ; les débouchés en aval. En termes de recherche, ces végétaux riches en protéines pâtissent d'un déficit historique, contrairement aux grandes cultures mieux valorisées comme le blé, la betterave et autres, ce qui a nui à la création de variétés performantes du point de vue économique et environnemental. Il est apparu aussi que l'insuffisante prise en compte des débouchés en aval a eu des répercussions négatives sur l'amont : à bien des égards, c'est l'aval qui tire l'amont. La nouvelle stratégie protéines, qui bénéficie des moyens du plan de relance et des outils de la planification écologique, prend désormais en compte ces deux composantes jusqu'alors négligées. Elle s'inscrit aussi dans un changement d'échelle puisqu'il a été décidé de doubler les aides couplées aux cultures riches en protéines pendant la période de mise en œuvre du plan, ce qui va se traduire par une montée en puissance progressive entre 2023 et 2027.
S'agissant de la filière de la betterave, la suppression des quotas sucriers répondait à une demande des producteurs français – je m'en souviens très bien car, à l'époque, j'occupais le poste de M. Michel à Bruxelles. Ils pensaient tirer avantage de la suppression des quotas aussi bien sur le marché intérieur que sur celui des pays tiers, car la filière française était la plus compétitive d'Europe. Considérant que les quotas constituaient une forme de soutien aux prix et donc de subvention à l'égard des producteurs européens, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) leur avait interdit d'exporter vers des pays tiers. Les producteurs français et allemands étaient donc favorables à la suppression des quotas sucriers, mais celle-ci s'est d'abord traduite par une surproduction et une baisse des prix, avant que la crise du covid-19 et la guerre en Ukraine ne provoquent une remontée des cours à un niveau historiquement élevé.
Même si vous l'estimez en déshérence, c'est une belle filière qui reste exportatrice, y compris vers l'Union européenne : elle fournit en particulier les marchés du sud de l'Europe. Elle n'est d'ailleurs pas livrée à elle-même en matière de décarbonation : tous les grands opérateurs de cette filière ont soumis des projets au guichet gouvernemental. Cet accompagnement dépasse d'ailleurs le secteur agricole et agroalimentaire car il concerne les cinquante sites industriels les plus importants du pays.
Ce n'était pas le sens de ma question sur les filières, d'autant que je connais bien l'origine de la suppression des quotas sucriers. Pour moi, il n'y a pas de réflexion globale. Si je me place dans la logique des producteurs qui s'estiment les plus compétitifs, capables d'accroître la production et de battre leurs concurrents, je ne comprends pas les raisons des fermetures de raffineries. Pourquoi ne pas investir dans une perspective de décarbonation et d'en faire des raffineries hypermodernes au lieu de les fermer ? Dans la Somme, celle d'Abbeville a depuis longtemps laissé la place à un centre de commercial et un cinéma – quel symbole de la désindustrialisation ! – et celle d'Eppeville a fermé plus récemment. Les décisions semblent dénuées de sens : si nous sommes les meilleurs, il faut créer une filière capable de traiter les surplus et ne pas laisser les betteraves pourrir sur le sol.
Le ministère a pensé cette filière, dites-vous. Les torts sont peut-être partagés par certains acteurs dominants de la filière qui ont intérêt à exporter. Si je parle de déshérence, ce n'est pas pour critiquer les betteraviers qui sont formidables et que je soutiens comme beaucoup d'autres députés. Ce que je critique, c'est l'attitude qui consiste à prétendre que l'on va gagner sans y mettre les moyens industriels, à prendre une décision concernant les produits phytosanitaires sans en anticiper les conséquences. Je ne vois pas la stratégie de filière telle que conçue dans la pensée colbertiste française. C'est la même chose pour le lin, que vous n'avez pas évoqué dans votre réponse.
On pourrait avoir une vision colbertiste de la filière betteravière, mais nous ne sommes pas dans une économie complètement administrée : même à l'époque des quotas sucriers où les volumes globaux étaient contingentés, chaque groupe industriel restait maître de sa stratégie. Dans un environnement rendu plus concurrentiel par la suppression des quotas, les groupes ont fermé des usines pour concentrer la production dans certains sites et assurer la rentabilité à long terme de leur outil industriel : ils estimaient que leurs sucreries étaient plutôt sous-dimensionnées par rapport à certains mastodontes européens. Le contexte économique a été très fluctuant mais, à l'époque, la filière et l'administration s'accordaient à penser qu'il fallait supprimer les quotas, pensant avant tout aux exportations.
Des travaux sont en cours sur la laine et le lin. L'État aide à la constitution de la filière lin par le biais du plan de relance. Il s'agit de créer des unités de transformation en France, au lieu d'exporter la matière première en Chine et d'importer le produit fini. Quand les concurrents sont chinois, il faut du temps pour finaliser des projets qui nécessitent de la matière grise, de l'ingénierie et un tour de table financier.
Un travail similaire a été entrepris plus récemment sous l'égide de FranceAgriMer pour constituer une filière laine et valoriser la matière première sur le territoire national. On ne va pas inverser d'un coup de baguette magique une tendance installée depuis une vingtaine d'années. Quand l'État et la filière partagent une même vision stratégique, il est possible de s'inscrire dans le long terme et de soutenir les projets par des financements publics issus notamment du plan de relance ou du plan France 2030. Si l'État joue son rôle en matière d'accompagnement, il faut aussi qu'une dynamique collective émerge à l'intérieur de la filière de la part des acteurs impliqués dans l'aval.
Dans le cadre de cette commission, j'essaie aussi de comprendre pourquoi il a été décidé d'interdire tous les organismes génétiquement modifiés (OGM) – choix soutenu par l'ancien ministre Denormandie –, ce qui n'est pas sans conséquences sur la souveraineté alimentaire. Le ministère dispose-t-il d'au moins une étude justifiant cette interdiction pour des considérations sanitaires – je ne parle pas de raisons culturelles ou liées à la propriété intellectuelle ? Nous attendons toujours les études promises par Greenpeace.
N'ayant pas de conviction de principe, j'aimerais comprendre ce qui justifie la position unanimiste de l'Union européenne, qu'aucune étude ne vient étayer. L'ancien ministre Denormandie ne m'a fait part que de convictions personnelles lorsque je lui ai demandé si des études scientifiques avaient fondé cette décision et l'information donnée au public. En tant que parlementaires – et vous, en tant que fonctionnaires –, nous sommes au service de nos concitoyens. Je repose donc la question : existe-t-il, au ministère ou dans des institutions qui y sont liées, des études qui ont permis à des décideurs politiques de se former une opinion sur ce sujet de santé publique ? À bientôt quarante ans, je constate que les OGM n'ont pas provoqué les morts annoncées, et c'est tant mieux. Que s'est-il passé pour qu'on en arrive à interdire les OGM et à en faire un sujet tabou ?
À ma connaissance, il n'y a pas d'étude qui montre que la consommation de produits issus d'OGM est dangereuse pour les humains. Si l'on met de côté les convictions ou l'application du principe de précaution, l'interdiction est plutôt liée à des préoccupations de nature environnementale.
Il serait long et fastidieux de dresser une liste de citations, mais nul ne peut contester que, dans le débat public français, les commentateurs et décideurs politiques – notamment les ministres concernés à divers titres – n'ont fait état que de problèmes environnementaux ou culturels et de convictions d'ailleurs tout à fait légitimes. En revanche, il a été dit aux Françaises et aux Français que leur consommation présentait un danger pour la santé humaine. Ces alertes étaient lancées sur des sites internet comme celui de Greenpeace, mais, au bout de trois clics, on se rendait compte qu'il n'y avait rien sur la santé humaine.
Comment expliquez-vous que nous en arrivions à la situation où, dans le débat public, tout le monde prétend que ces produits présentent un danger pour la santé humaine sans que quiconque, dans les ministères, ne soulève un problème d'information des citoyens ? L'observation vaut aussi pour le glyphosate. Comment en vient-on à faire croire aux gens des choses sur la santé qui ne sont pas fondées en sciences et en raison ? Étant spécialiste de l'énergie nucléaire, j'ai envie de hurler quand j'entends des énormités sur le sujet. Comment vivez-vous la situation concernant les OGM, que vous y soyez ou non favorables ?
Au Gouvernement, nous nous appuyons sur les avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), à laquelle nous pouvons demander des études. Mais vous soulevez une question transversale : le poids respectif de la parole scientifique et de la parole médiatisée ; la capacité de l'opinion publique à écouter les scientifiques dans le bruit ambiant alimenté par des personnes qui énoncent des opinions comme s'il s'agissait de faits scientifiques.
J'ai essayé de retrouver les études de FranceAgriMer auxquelles vous faisiez référence, monsieur Duclaud. Ne s'agirait-il pas plutôt d'études sur la compétitivité ? Ma préoccupation est d'avoir une liste des cas où la France applique des normes plus strictes que l'Union européenne, comme ce fut le cas pour les porcheries – le nombre de porcs était moins élevé en France pour que le bâtiment soit considéré comme une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE). A-t-on dressé ce genre de liste, à un moment ou un autre ? A-t-on essayé d'évaluer les effets de ces surréglementations et essayé d'y remédier ?
En effet, j'avais en tête les différentes études sectorielles de FranceAgriMer sur la compétitivité des différentes filières, parfois appelées veille concurrentielle, où il est tenu compte de composantes réglementaires telles que le coût du travail, la fiscalité, les charges sociales, etc. Ces composantes sont étudiées sous l'angle de leurs effets sur la compétitivité, mais il n'y a pas d'investigation systématique, filière par filière, de ce qui pourrait être qualifié de surréglementation.
Cette notion, difficile à approcher, a été abordée par le biais de la simplification dans des travaux conduits au cours des derniers mois tant au niveau local qu'au niveau national. Les préfets ont ainsi fait remonter de leur département au ministère de nombreuses propositions de simplification qui font l'objet de travaux nationaux dans des groupes de travail thématiques. Cette notion étant très englobante, il n'y a, à ma connaissance, aucune étude dessinant le panorama global de ce que l'on pourrait qualifier de surréglementation. L'analyse par filière est privilégiée.
Votre réponse m'étonne. Lorsque nous l'avons auditionné, le président de l'interprofession nationale porcine (Inaporc) nous a expliqué que la filière demandait depuis longtemps la rectification des seuils français concernant les porcheries considérées comme ICPE, fixés à un niveau plus bas que dans les autres pays européens. Les représentants de l'interprofession des fruits et légumes frais (INTERFEL) m'ont envoyé une liste de ce qu'ils estiment être des surtranspositions. En matière d'emballages ou de serres, par exemple, nous allons au-delà de ce qui est exigé par la réglementation européenne.
Comme je commence à avoir une toute petite expérience de la vie politique, je crains que le travail engagé avec les préfectures sous l'angle de la simplification n'aboutisse pas à grand-chose. Pourtant, il ne me semble pas très compliqué de dresser une liste de ces cas de surtransposition et d'évaluer leurs effets, notamment en interrogeant les filières sur ceux qu'elles ont identifiés au niveau national. J'en reviens à mon exemple de normes ICPE pour les poulaillers et les porcheries, même si ce cas a été réglé : la différence de seuil a été perçue comme un frein évident au développement de ces filières, mettant même en jeu leur survie. Or je reste avec mes doutes : le travail est-il réellement fait ? Existe-t-il une volonté de dresser un état des lieux et de régler les cas les plus évidents ?
Votre exemple des ICPE illustre un peu mon propos, monsieur le rapporteur, à savoir que cette notion de surréglementation doit être approchée en prenant des cas concrets, filière par filière. Lors des négociations concernant la directive sur les émissions industrielles (IED), nous avons travaillé avec tous les représentants des filières pour défendre leurs intérêts. Nous n'avons pas eu connaissance de la liste de surréglementations qui vous a été transmise par INTERFEL mais nous la regarderons avec soin si nous en sommes destinataires. Nous dialoguons de manière institutionnalisée et régulière avec toutes les filières que sont les conseils spécialisés de FranceAgriMer, qui peuvent nous faire remonter toutes les demandes de ce type.
Au cours des derniers mois, nous avons passé beaucoup de temps à élaborer le plan de souveraineté fruits et légumes – cibles, moyens, etc. – avec les acteurs de la filière. Dans mon souvenir, ils n'avaient pas évoqué les surréglementations, mais s'étaient focalisés sur des actions concrètes, susceptibles de faire l'objet d'un accompagnement, y compris financier, de la part de la puissance publique par le biais du plan de relance et, ultérieurement, de la planification écologique : les points de souveraineté à regagner pour couvrir la demande nationale par la production nationale, les serres, les vergers. Au cours de ce travail approfondi avec les représentants de cette filière, le thème de la surréglementation n'a pas émergé. Comme nous sommes dans un processus d'amélioration continue de nos travaux avec les représentants de ces filières, nous les rencontrons régulièrement et nous regarderons toute liste qu'ils pourraient nous soumettre.
La séance s'achève à vingt et une heures quarante-cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Grégoire de Fournas, M. Jordan Guitton, M. Serge Muller, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy
Excusé. – Mme Mélanie Thomin