Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Réunion du mercredi 3 avril 2024 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • maïs
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La réunion

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La séance est ouverte à quinze heures.

La commission procède à l'audition de M. Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE), et Mme Marie Bigot, responsable des affaires publiques.

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Mes chers collègues, nous commençons nos auditions de ce mercredi après-midi en accueillant l'Interprofession des semences et des plants, SEMAE, avec M. Pierre Pagès, qui est son président, et Mme Marie Bigot, responsable des affaires publiques. Les filières que vous représentez sont peut-être un peu moins connues du grand public et moins présentes dans le débat public agricole. Elles n'en sont pas moins essentielles pour l'agriculture française et la souveraineté alimentaire de la France. Nous attendons de cette audition qu'elle nous éclaire sur la structuration de la filière des semences en France, ses forces et ses éventuelles faiblesses et dépendances. Il sera également intéressant de vous entendre sur le sujet plus large de la souveraineté alimentaire.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité.

(M. Pierre Pagès et Mme Marie Bigot prêtent serment.)

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

C'est avec plaisir que nous vous présentons notre filière face aux enjeux de souveraineté alimentaire. Il est vrai que nous sommes peut-être un peu moins présents dans les débats autour de l'agriculture, mais nous le sommes davantage dans les débats sociétaux autour de cette thématique, notamment concernant les nouvelles techniques génomiques (NGT).

Je m'appelle Pierre Pagès. Je suis agriculteur multiplicateur de semences dans le Sud-Ouest, dans la région de Pau. Je suis président de l'Interprofession des semences et plants depuis septembre 2022. SEMAE s'inscrit dans une alternance de représentation avec les entreprises. Je suis également vice-président de la coopérative Euralis à Pau et responsable de toutes les activités de semences. À ce titre, je préside Lidea, la société filiale de semences du groupement.

SEMAE regroupe tous les acteurs de la filière des semences plants et a des missions de concertation et de dialogue. Il convient toutefois de noter une certaine spécificité. En effet, depuis notre fondation en 1962, une mission de service public nous a été confiée par l'État pour assurer toute la certification des semences et leur contrôle sanitaire. En 2021, nous avons encadré cette mission avec un contrat d'objectifs et de performance passé avec le ministère de l'agriculture. La filière est très diverse. SEMAE compte cinquante-quatre organisations professionnelles dans cinq collèges.

Parmi les acteurs, on peut noter cinq ou six grands groupes, souvent mondiaux. Soixante-dix entreprises exercent des activités de sélection et de création variétale de semences en France. Nous comptons également 17 000 agriculteurs multiplicateurs, 250 entreprises qui produisent des semences sur notre territoire et 6 000 entreprises de distribution, à la fois des coopératives, des sociétés de négoce agricole pour le secteur professionnel et des distributeurs grand public. Quelque 16,5 millions d'amateurs de jardin et 390 000 agriculteurs utilisent nos semences. Neuf centres de conservation de ressources phytogénétiques sont membres de l'interprofession ainsi que des artisans semenciers entrés à la suite d'une réforme d'ouverture de l'interprofession il y a quatre ans.

De nombreuses attentes pèsent sur le secteur. Nous avons la mission de fournir des semences de qualité et en quantité suffisante. À ce titre, nous sommes un pilier de la souveraineté alimentaire. Par ailleurs, les semences doivent être productives. Enfin, nous faisons face à des attentes liées à de nouveaux défis, notamment les transitions agroécologiques et les changements climatiques. On attend de nos semences une meilleure adaptation au milieu, une résistance aux bioagresseurs, la maîtrise des intrants et une meilleure utilisation de l'eau. Les plantes de service à travers les couverts végétaux jouent également un rôle important. Les acteurs de la filière attendent de nous un maintien de la capacité de création variétale et de production ainsi qu'un accompagnement de la transition.

Aujourd'hui, la filière représente un chiffre d'affaires de 3,9 milliards d'euros, 11 000 emplois, des investissements entre 11 et 15 % du chiffre d'affaires de la filière et 372 000 hectares de production en France, premier pays producteur européen. La France est le premier exportateur mondial en semences agricoles et le deuxième toutes semences confondues. Elle est le premier exportateur européen, avec une balance commerciale excédentaire de 1,2 milliard d'euros, qui ne cesse de progresser. Les exportations s'établissent à 2,2 milliards d'euros, soit un peu plus de 50 % du chiffre d'affaires. Le premier secteur d'exportation concerne les semences de maïs, de sorgho et d'oléagineux, essentiellement de tournesol. Nous exportons d'abord au sein de l'Union européenne des semences de grandes cultures, dans les pays tiers dans un second temps.

Je tiens à émettre une alerte : en 2022-2023, pour la première fois, les exportations ont augmenté en valeur, en lien avec la hausse de tous les produits agricoles, mais ont baissé en volume. En effet, les tensions politiques nous impactent, notamment le conflit entre la Russie et l'Ukraine. Notre flux d'exportation d'oléagineux vers la Russie est très significatif et des entreprises, dont la mienne, sont installées dans le pays. Elles possèdent des outils industriels et nous rencontrons de grandes difficultés d'exportation qui font évoluer les équilibres en Europe. La Russie se repositionne et recentre la production de semences sur son territoire. Or, la Russie est le premier pays tiers client de la France.

En outre, comme je l'expliquais au ministre du commerce extérieur au Salon de l'agriculture, l'Ukraine est devenue un pays important en production de semences de maïs ; elle a accès à l'exportation vers l'Union européenne et nous concurrence. Ce sujet est une vraie préoccupation et nous avons demandé à la filière maïs d'activer une clause de sauvegarde pour les semences afin de tenter de protéger notre marché européen contre les importations de semences ukrainiennes.

Nous devons faire face à des fragilités de production puisque nous sommes soumis au dérèglement climatique, avec des aléas importants. Ainsi, en 2022, nous avons été confrontés à la baisse des moyens de production. Certaines espèces de production de semences sont sans protection des plantes. Or le marché est très international et les opérateurs trouvent des solutions ailleurs pour produire des semences que nous retrouvons ensuite sur le territoire européen et français. Il s'agit de petites productions, mais ce sont des signaux négatifs qui sont envoyés.

Enfin, les effets du réchauffement climatique sur la disponibilité en eau et la capacité de production génèrent des difficultés au sein des réseaux d'agriculteurs multiplicateurs, avec une diminution qu'on pense structurelle du nombre d'agriculteurs multiplicateurs de semences en France.

Il convient également de garder à l'esprit que notre filière est une filière d'innovation. La recherche constitue une part importante de nos activités et il est nécessaire de soutenir l'effort de recherche des obtenteurs pour conserver la position de la France. La recherche privée est aujourd'hui très peu présente sur nos activités. Or, dans un contexte de virage technologique comme celui des nouvelles technologies de sélection, de grands groupes internationaux lancent des brevets. Qui plus est, le débat sur la propriété intellectuelle émerge au niveau européen. Nous avons donc besoin que la recherche publique investisse davantage dans les technologies de sélection afin que les entreprises françaises aient accès à des innovations sans être obligées de passer par des entreprises internationales qui ont déjà breveté ces technologies. L'enjeu est réel.

Le financement dans le domaine de la recherche et du développement (R&D) est significatif. La filière n'a jamais demandé d'aide publique pour se structurer, malgré notre mission de service public. Le crédit d'impôt recherche (CIR) finance une partie non négligeable des activités de recherche. Environ 68 % des investissements de la recherche sont financés sur des fonds propres tandis que le CIR finance le montant restant.

Nous n'avons aucune visibilité pérenne sur le CIR, qui dépend de la loi de finances annuelle alors que nous aurions besoin de perspectives. La question du maintien du CIR se pose assez régulièrement, une question handicapante pour nos entreprises.

Enfin, nous avons besoin d'un cadre réglementaire européen. Auparavant, les règles de commercialisation fonctionnaient à travers douze directives et il n'existait pas d'harmonisation au niveau européen. La Commission européenne a proposé un texte afin de reformater toutes ces règles. Cette démarche est importante car il existe une distorsion de concurrence entre les États à travers la transposition des directives.

En parallèle, nous avons besoin d'un règlement sur les NGT. Ces technologies nécessaires à la transition mais ne sont pas encadrées, et les entreprises françaises et européennes n'investissent pas aujourd'hui sur ces sujets.

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Merci beaucoup. Je tiens à rappeler que les données sourcées FranceAgriMer et SEMAE montrent que nous sommes dans le vert d'un point de vue financier. Le taux d'autoapprovisionnement s'établit à 103 % pour les céréales à paille, à 209 % pour le maïs et le sorgho, à 193 % pour les oléagineux, à 138 % pour les plants de pommes de terre, et à 98 %, pour les protéagineux. L'industrie des semences fait partie des points de force de l'agriculture française. Vous avez indiqué que nous étions le deuxième pays exportateur de semences au monde. Quel est le trio de tête ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

La France est première pour les espèces cultivées agricoles. Nous avons moins de visibilité pour les espèces potagères et fourragères, qui sont liées au marché amateur.

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Marie Bigot

La France est le premier exportateur mondial pour les espèces de grandes cultures. Elle est suivie par les États-Unis et l'Allemagne. Toutes espèces confondues, les concurrents directs sont les Pays-Bas, notamment pour les espèces potagères.

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Pouvez-vous nous fournir un ordre de grandeur du ratio des exportations destinées au marché intérieur et destinées aux États tiers ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Le ratio est de 70 % pour l'Union européenne.

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Au sein de l'Union, vous avez cité l'Allemagne, qui est un grand concurrent, et les Pays-Bas. Qui sont nos autres grands compétiteurs ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Dans le secteur du maïs, la Roumanie et la Hongrie sont les deux principaux concurrents.

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Le libre-échange fait partie des sujets de débat en agriculture en ce moment. Quelle est la perception au sein de votre filière concernant le commerce international et le libre-échange ? Comment analysez-vous le rejet de l'Accord économique et commercial global (CETA) par le Sénat, même s'il n'a pas force décisionnelle ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Le marché des semences est globalisé et régi par des règles de certification. Pour qu'un pays puisse accéder au marché européen, il doit répondre aux règles de certification en vigueur dans l'Union européenne. Cependant, la réglementation ne concerne pas les volumes. Notre demande d'activation de la clause de sauvegarde concernant l'Ukraine est assez nouvelle. La France exporte de nombreuses semences, mais dans un marché qui est relativement libre. En effet, il est surtout nécessaire d'obéir aux règles d'accès au marché concernant la certification et les règles sanitaires. On ne nous applique pas de contraintes commerciales sur le marché des semences. Cet état de fait nous permet aussi de conserver notre position de premier exportateur mondial en semences de grande culture.

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J'ai cru comprendre que vous appeliez au développement des technologies NGT. Était-ce bien le sens de vos propos ? Comment appréhendez-vous le débat actuel en France ? En effet, les NGT sont parfois apparentés aux organismes génétiquement modifiés (OGM).

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Globalement, nous avons besoin d'innovation et les semences nous permettront d'accompagner les transitions. Il s'agit d'un axe de recherche essentiel. Nous sommes capables d'adapter les variétés pour qu'elles développent des résistances variétales aux bioagresseurs et à la sécheresse.

Nous avons inscrit certains de ces leviers dans la démarche de sélection et d'accès au catalogue d'inscription national des semences, régi par le comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées (CTPS), organe du ministère de l'agriculture. Tous les acteurs de la filière qui sont représentés au CTPS se sont réunis pour écrire le plan Semences et plants pour une agriculture durable. La deuxième version nous a permis d'intégrer ces critères de durabilité dans les critères d'inscription des variétés.

Les NGT auraient un effet accélérateur sur la recherche. Huit à dix années sont nécessaires pour créer une variété de maïs, de tournesol ou de légumes. Ces technologies permettront de raccourcir ces délais de sélection grâce à un meilleur pilotage. Le sélectionneur a une meilleure maîtrise de la sélection et des outils adéquats.

Le règlement européen a segmenté les NGT en deux parties. Les NGT1, que nous devrions voir apparaître sur le territoire européen, sont des technologies dont l'effet accélérateur permettra la mise au point de variétés que l'on aurait pu obtenir par sélection conventionnelle et de variétés qui répondent à des critères environnementaux. Quant aux NGT2, elles correspondent davantage à des modifications apportées au génome et entreraient dans une version du règlement OGM adapté, un cadre réglementaire extrêmement restrictif.

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Dans la dynamique mondiale, sommes-nous en avance ou en retard en matière de NGT ? D'autres pays ou continents sont-ils susceptibles de nous dépasser ? Quel est l'état actuel de la recherche sur les NGT au niveau mondial ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Les NGT ne sont plus une nouveauté et l'Union européenne a pris du retard. Certaines entreprises globales ont déjà investi ces secteurs et ont déposé de nombreux brevets de maîtrise des technologies. Ainsi, une Française a mis au point le système CRISPR-Cas9 et a reçu un prix Nobel pour cette technologie.

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Elles sont majoritairement américaines, comme Corteva. Les États-Unis, la Chine et l'Inde investissent massivement dans ces technologies. Nous ne pouvons faire de même en raison de l'absence de cadre réglementaire clair sur les NGT, mais aussi sur la propriété intellectuelle, un enjeu majeur. L'interprofession s'est positionnée sur ces enjeux de propriété intellectuelle après une réflexion menée par un comité des enjeux sociétaux indépendant.

Notre position est la suivante : ces technologies sont nécessaires, mais doivent s'inscrire dans un cadre réglementaire et un cadre de propriété intellectuelle qui les rendent accessibles. Ces cadres doivent empêcher certaines entreprises de verrouiller le système à travers les brevets posés sur les technologies et les produits qui en découlent. Nous devons préserver la diversité des acteurs et tous les acteurs, quelle que soit leur taille ou leur statut, doivent disposer d'un accès à ces technologies.

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Je ne m'attendais pas à ce que vous mentionniez le crédit d'impôt recherche, qui fait l'objet de nombreux débats à chaque discussion budgétaire. Comment appréhendez-vous les velléités, présentes dans le débat public depuis plusieurs années, de limiter le CIR ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Le CIR est un élément de compétitivité pour les entreprises de sélection. Je suis président de Lidea, une entreprise de création variétale, et le CIR nous est essentiel. Nous investissons entre 11 et 15 % de notre chiffre d'affaires dans la recherche parce que nous recevons un soutien de l'État via le crédit d'impôt recherche. Les entreprises françaises et européennes de taille intermédiaire ont besoin de ce soutien pour maintenir un effort de recherche nous permettant de nous mesurer à nos compétiteurs internationaux, tels que Bayer ou Corteva. Le CIR est un dispositif clé pour le secteur.

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Pourriez-vous nous donner une définition de la souveraineté, comme vous l'aviez fait dans un livre blanc publié il y a un an ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

La souveraineté correspond d'abord à l'indépendance en matière de production de semences, premier maillon de la filière. Selon moi, cette indépendance est un enjeu extrêmement important pour la capacité de production française et pour la souveraineté française. Par ailleurs, l'exportation et la capacité de production agricole globale constituent également des éléments de souveraineté. En effet, une crise alimentaire commence au niveau des semences. C'est grâce à la capacité d'innovation des entreprises mise au service d'enjeux alimentaires globaux que la France est premier exportateur.

La souveraineté dépend également de la sécurité et de la capacité du réseau d'agriculteurs à produire les semences nécessaires pour le marché français, mais aussi pour les autres marchés. Nous sommes fragiles dans ce domaine, notamment du fait d'évolutions réglementaires importantes. Il s'agit d'espèces très mineures : radis, épinards, que nous ne sommes plus capables de produire sur le territoire français car nous n'avons plus de solutions de protection des plantes. Ainsi, les semences d'épinards viennent de Nouvelle-Zélande ou d'Inde.

Aujourd'hui, nous avons besoin de molécules de traitement pour protéger les plantes pendant le cycle de production des semences. Des molécules ont été supprimées alors que nous n'avions pas d'alternative et nous ne sommes désormais plus en mesure de sécuriser la production de certaines espèces.

Les entreprises qui produisent ces semences sont internationales. Si elles ne peuvent pas produire en France, elles produiront dans des pays hors Union européenne utilisant les solutions qui nous sont refusées en France. Ainsi, une interdiction européenne a été prononcée sur une molécule de désherbage, le S-métolachlore, entraînant une diminution de la capacité de production de semences en France. Les agriculteurs français auront toujours du maïs à semer, mais nous devenons dépendants d'autres pays : les semences de maïs sont importées d'Ukraine, une zone du monde qui est peu sécurisée.

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Marie Bigot

Nous perdons également la technicité des agriculteurs et leur savoir-faire, qui est aujourd'hui reconnu et qui fait la valeur de notre secteur semencier dans le monde entier pour tous les opérateurs internationaux. La multiplication de semences est une activité très exigeante, qui requiert des compétences bien particulières que l'on ne retrouve pas dans les autres productions.

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Je vous invite à nous envoyer une contribution écrite sur toutes ces interdictions sans solutions qui nous amènent à des impasses et sur l'état des transpositions, car je ne suis pas certain que nous disposions de ces informations au sein du ministère.

Pourriez-vous nous expliquer pourquoi la suppression du S-métolachlore serait plus problématique pour la semence que pour la culture ? Par ailleurs, pourquoi demandez-vous une clause de sauvegarde concernant l'Ukraine ? Avez-vous demandé d'autres clauses de sauvegarde par le passé ? En connaissez-vous d'autres qui ont été pratiquées ? Avez-vous à l'esprit d'autres clauses qu'il serait pertinent de mettre en œuvre ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

J'ai donné l'exemple du S-métolachlore. Il est important de garder à l'esprit que les semences de maïs sont un matériel génétique d'amont, ce sont des parentaux. En tant que telles, elles ont une sensibilité aux molécules qui est plus importante que le maïs et cet élément n'a pas du tout été mesuré dans le retrait de la molécule. Nous devons donc gérer la situation avec des solutions de remplacement qui peuvent être efficaces sur le maïs grain, mais qui présentent des risques de phytotoxicité.

Je n'ai pas connaissance d'autres demandes de clause de sauvegarde. Nous avons décidé d'engager la démarche, car si l'Ukraine a été autorisée à exporter ses semences de maïs dans l'Union européenne il y a quatre ans, elle développait alors sa production mais elle n'était pas autosuffisante. Contrairement aux attentes, la guerre n'a pas freiné la capacité de production de semences de maïs en Ukraine. La production a continué d'augmenter, avec un niveau de surfaces qui est revenu à celui d'avant-guerre et avec une capacité technique de production équivalente à la nôtre. Ainsi, l'Ukraine produit autant de semences que nous, avec des coûts de revient beaucoup plus bas que les coûts européens et français.

Par ailleurs, des investissements industriels sont prévus par des entreprises occidentales. Ils ne visent pas le marché ukrainien, d'ores et déjà alimenté, mais bel et bien l'exportation dans des pays comme la Pologne et la Roumanie. On commence à constater l'arrivée de semences ukrainiennes en France et, au vu des perspectives, nous avons demandé à activer cette clause de sauvegarde pour protéger le marché européen, au même titre que les demandes qui ont pu être formulées pour d'autres productions.

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Je déduis de vos propos que cette clause de sauvegarde ne concerne pas les produits phytosanitaires qui seront interdits sur le territoire, mais plutôt le coût de production ukrainien qui serait inférieur. Comment a été reçue cette demande ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

La demande a été portée par l'Association générale des producteurs de maïs (AGPM) et la réponse prendra du temps. Nous souhaitons imposer un quota d'importations et des droits de douane au-delà de ce quota. Il s'agit vraiment d'une demande des agriculteurs français.

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Dans le tableau de FranceAgriMer, il semble normal que le taux d'auto-approvisionnement soit au vert dans la mesure où la filière est très exportatrice. Cependant, la hauteur de cet indicateur ne signifie pas que les producteurs vont bien et on constate des signes de faiblesse, notamment en matière de dépendance aux importations. Nous importons 31 % de notre consommation de semences de maïs et de sorgho, tandis que nous enregistrons 91 % de capacité d'exportation et 87 % de dépendance aux importations pour les oléagineux.

Par ailleurs, il me semble avoir entendu lors d'une audition que les terroirs français ne possédaient plus de semences adaptées à ces productions.

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Du fait de son statut de grand pays exportateur, la France est un carrefour pour les semences, par lequel transitent des flux d'importations et d'exportations. Il serait intéressant d'étudier l'équilibre de ces flux mais, quoi qu'il en soit, les besoins français sont couverts par la production française. Ainsi, les importations de tournesol sont significatives, mais les exportations le sont aussi. Actuellement, les marchés du tournesol sont faibles en Europe de l'Ouest et se concentrent surtout en Ukraine et en Russie, tandis que les deux premiers pays producteurs de tournesol en Europe sont la France et l'Espagne, pour une surface totale comprise entre 1,5 et 2 millions d'hectares. La surface de culture de tournesol s'élève à 5 millions d'hectares en Ukraine et à 10 millions d'hectares en Russie. Les espèces appartiennent globalement à la même famille génétique dans toute l'Europe.

Certains pays sont des lieux de passage pour les entreprises qui produisent de grandes cultures exportatrices. Nous produisons du tournesol en Roumanie, en Turquie, aux États-Unis, en Espagne, et nous exportons essentiellement vers la Russie et vers l'Ukraine, mais les semences passent dans les entrepôts français. En tout état de cause, les besoins français sont couverts.

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Pouvez-vous apporter des précisions concernant une éventuelle difficulté de rentabilité sur les protéagineux au regard de la concurrence internationale et d'un manque de disponibilité des semences adaptées ? Ces éléments ont été relevés dans le cadre de la commission d'enquête sur les produits phytosanitaires.

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Je ne crois pas que nous rencontrions de problèmes de disponibilité. Notre offre variétale est large et l'agriculteur peut effectuer ses choix. À l'avenir, nous devrons réfléchir à l'adaptation au milieu. Le travail de recherche en matière de capacité des plantes à résister aux bioagresseurs et au changement climatique est essentiel.

Les seules problématiques auxquelles nous faisons face concernent les espèces mineures pour lesquelles le renouvellement variétal est faible, notamment les protéines végétales. Nous avons relancé toute une dynamique de production de protéines végétales en France, dont le pois. Il s'agit de réenclencher des processus de sélection et un renouvellement variétal quelque peu laissé à l'abandon.

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Vous nous avez parlé d'un manque de cadre réglementaire sur les NGT. À quel niveau ce manque se fait-il sentir, à partir du moment où le Parlement européen autorise les NGT ?

Par ailleurs, vous nous dites qu'il est nécessaire de garantir la propriété intellectuelle. Existe-t-il un risque que les entreprises de grande taille, en capacité de mener des recherches, monopolisent la propriété intellectuelle au détriment des plus petites entreprises ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

À l'heure actuelle, il n'existe pas de cadre réglementaire sur les NGT. Il existe uniquement une position du Parlement européen qui rappelle un certain nombre de critères, notamment la traçabilité, et qui a introduit l'absence de brevet sur les NGT. Aujourd'hui, nous avons besoin d'une position du Conseil, mais la présidence ne parvient pas à obtenir une majorité au Conseil pour faire passer ce texte.

Par ailleurs, nous vous transmettrons la note de compréhension sur la propriété intellectuelle rédigée par l'Interprofession. Il est nécessaire de protéger les variétés et de prévoir une rémunération de l'innovation à travers les brevets. Cependant, il est important de ne pas mettre en place des systèmes de brevets qui confisquent l'innovation. En l'absence de plateforme qui les recense, les brevets en vigueur sont peu connus. Il existe donc toujours un risque pour les petites entreprises, qui se mettent en danger quand elles fondent la sélection sur des variétés existantes.

Nous sommes extrêmement attachés à la préservation du certificat d'obtention végétale qui régit la propriété intellectuelle autour des semences en Europe et au-delà, puisqu'une centaine de pays sont aujourd'hui membres d'une convention internationale. Ce certificat d'obtention végétale permet à un sélectionneur d'utiliser des variétés existantes sans payer de droits pour procéder à des redémarrages de sélection, avec une diversité génétique extrêmement large. Si des brevets existent dans ces variétés et que le sélectionneur ne le sait pas, il se met en danger. Il est donc important d'avoir une visibilité sur les brevets et les droits de licence doivent être encadrés, de sorte qu'un petit opérateur qui veut utiliser ces brevets ne soit pas complètement asphyxié par les droits de licence. Il est impossible d'évoquer les nouvelles technologies sur la génétique sans aborder la propriété intellectuelle. En parallèle, il est crucial de préserver la diversité des acteurs et un schéma ouvert.

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Il existe un catalogue officiel des variétés (COV) et la possibilité de commercialiser des semences qui sont dans le domaine public est un débat qui a animé plusieurs fois notre assemblée. Quel regard portez-vous sur cette disposition ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Il s'agit d'un sujet à tiroirs et le texte des règles de commercialisation aujourd'hui en préparation doit cadrer ces enjeux. Dans le cadre du COV, nous devons protéger la propriété intellectuelle sur les variétés et il convient de se montrer extrêmement vigilant quant à une éventuelle ouverture de ce champ d'application. Nous avons déjà avancé sur les espèces de conservation et les variétés anciennes. Le catalogue officiel est aujourd'hui incontournable et le restera tant que la réglementation ne changera pas. Nous y sommes attachés.

Par ailleurs, nous avons besoin d'une vision et d'une traçabilité sur les échanges de semences, quels qu'ils soient, afin de répondre aux enjeux sanitaires qui nous sont imposés par le règlement européen sur la santé des végétaux. Il s'agit de s'assurer que les semences ne vont pas véhiculer des parasites sur le territoire. Le cadre est nécessaire : il est impossible de fonctionner avec un système complètement ouvert – en tout cas, nous ne défendons pas une telle position.

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Vous avez évoqué une baisse du nombre de producteurs de semences, ce qui n'est pas forcément un aspect rassurant pour notre commission d'enquête. Vous avez également mentionné une restriction des outils de production ainsi que la concurrence étrangère avec l'Ukraine et les difficultés relatives à la Russie. Ces problèmes sont-ils liés à la rémunération des producteurs et à la répartition de la valeur au sein de la filière ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

La loi Egalim donne à l'interprofession la capacité de mettre en place des observatoires des prix de revient. Nous y travaillons. Toutes les filières n'ont pas avancé de la même façon et l'harmonisation est en cours depuis deux ans. Dans la filière maïs, nous avons recours à un observatoire de répartition de la valeur de l'agriculteur multiplicateur jusqu'à l'utilisateur.

Ces outils sont nécessaires pour que la répartition de la valeur soit la plus équitable possible et que tous les maillons de la filière soient en mesure de rémunérer le travail réalisé. Il s'agit d'un élément important de maintien du réseau d'agriculteurs, mais d'autres aspects doivent être pris en compte, tels que les moyens de production et la main-d'œuvre. Dans les années à venir, nous allons devoir faire face à un problème de renouvellement de générations. Nous ne pourrons attirer des jeunes sur nos métiers que si nous sommes capables d'assurer valeur et moyens de production.

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Marie Bigot

Il convient de rappeler que 100 % des relations commerciales entre agriculteurs multiplicateurs et entreprises semencières sont contractualisées. Avant la loi Egalim, la filière s'est construite en nouant des liens étroits entre agriculteurs multiplicateurs et entreprises semencières via notamment ces conventions interprofessionnelles. L'interprofession met à disposition des agriculteurs un cadre permettant de rédiger le plus facilement possible ces conventions. Par ailleurs, depuis les lois Egalim, nous avons également développé l'organisation de producteurs afin que les agriculteurs multiplicateurs puissent s'assembler s'ils le souhaitent.

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J'ai noté, monsieur Pagès, que vous êtes fortement demandeur d'un cadre réglementaire européen pour harmoniser les législations et les réglementations en la matière. Par ailleurs, pouvez-vous me confirmer que vous consacrez 11 à 15 % de votre chiffre d'affaires à la recherche, et que ces montants vous permettent un autofinancement à hauteur de 68 % ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Le CIR en fait partie de ces 11 à 15 %. Il s'agit d'un appui financier tout à fait déterminant pour notre secteur d'activité.

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Avez-vous été victime de destructions de plants et de semences de la part d'organisations non gouvernementales ?

Concernant le maïs, vous nous avez indiqué que l'interdiction de molécules pouvait réduire la production de semences, donc entraîner le recours aux importations. Quels sont le taux, la dynamique et le pays d'origine de ces importations ? J'aimerais connaître les règles applicables en la matière.

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Les interdictions et les arrêts de production concernent des espèces vraiment mineures, quelques dizaines d'hectares qui sont partis hors Union européenne. Il sera nécessaire d'étudier les statistiques d'importation, mais les pays d'origine sont sans doute l'Inde ou de la Nouvelle-Zélande, qui sont les autres principaux pays producteurs sur ce type d'espèces. Il existe un impact économique pour les agriculteurs multiplicateurs et les entreprises, mais cet impact est surtout symbolique. Nous devons rester vigilants, car les enjeux de compétitivité sont toujours présents. Nous comptions 80 000 hectares de semences de maïs l'année dernière et la production diminue de 30 % cette année. Les décisions qui sont prises affaiblissent la filière et ouvrent les portes aux autres opérateurs. Les semences ukrainiennes dans les départements français doivent nous alerter.

Nous n'avons pas observé de destructions depuis un certain temps. Les dernières destructions ont eu lieu chez Arterris, il y a deux ans. Il est révoltant pour nous de regarder des activistes entrer sur les parcelles des agriculteurs ou dans les installations d'entreprises pour tout saccager. Le positionnement de la force publique interroge, car elle intervient uniquement après les effractions.

Les Soulèvements de la Terre ont annoncé qu'une intervention était prévue à Sainte-Soline, mais aussi en Limagne, où deux réservoirs d'eau sont en construction pour sécuriser la production de semences de maïs. Je pense qu'il s'agit de mouvements globaux et il est important de s'interroger sur la marge de manœuvre qui leur est accordée. Quoi qu'il en soit, selon nous, ces actions sont inacceptables. Nous faisons partie d'une filière qui est ouverte aux discussions et nous défendons un modèle de production. Au sein de l'interprofession cohabitent des entreprises comme Bayer et des artisans semenciers, ils tentent de trouver des positions communes et c'est par le débat que nous avançons. Nous sommes attachés à préserver notre diversité.

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Vous représentez un secteur hautement stratégique dans la question alimentaire et agricole. Je souhaite connaître votre point de vue sur les NGT. Il convient de rappeler que les OGM et les NGT sont deux éléments distincts. Dans quelle mesure contribuez-vous à clarifier le débat ? En effet, vous réalisez des échanges de matériel génétique, comme le fait la nature en phase de division cellulaire. Cette distinction est difficile à comprendre pour le grand public, mais il est essentiel de transmettre ce message. Il s'agit d'un processus d'accélération des sélections et il est important de rassurer la population.

Lorsque l'on pourra y recourir de manière courante, la technologie des NGT sera-t-elle en mesure de répondre, au moins partiellement, au non-remplacement des molécules pour protéger les cultures ? Les agriculteurs se prêtent-ils volontiers à la recherche appliquée ? Est-il possible d'accélérer l'observation sur le terrain et la contribution scientifique en intégrant ces agriculteurs dans des programmes de recherche appliquée ? Comment les pouvoirs publics peuvent-ils vous accompagner ?

Enfin, nous nous trouvons face à une équation difficile à résoudre, celle du changement climatique. Cherchez-vous à anticiper, à vous projeter dans l'avenir ? Avez-vous d'une part une stratégie, d'autre part une visibilité via vos propres canaux de compréhension et de recherche de ces phénomènes ? Comment pensez-vous que la filière française se projette dans cette transition ? Finalement, la rétention d'eau sous toutes ses formes n'est peut-être qu'une réponse à court ou moyen terme ; quelles seront les évolutions si jamais la situation s'aggrave ? Disposez-vous de nouvelles stratégies pour les filières que vous représentez ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Il est en effet important d'expliquer au grand public l'utilité des NGT afin d'apaiser les craintes. La crise sanitaire a entraîné des évolutions au sein de la société sur les enjeux d'innovation, mais la sensibilisation reste essentielle. Je vous encourage à lire un document qui a été signé par les élus allemands des Verts en 2020 sur ces NGT. Ils écrivent : « Pour faire face au changement climatique, nous aurons besoin de toutes les technologies et de toutes les innovations, y compris les NGT. » Il convient de souligner que nous avons eu tendance à placer des attentes importantes dans ces technologies, lesquelles ne permettront pas de tout régler. Elles sont complexes et leur application prend du temps. Ainsi, les résultats des investissements conséquents qui ont été réalisés en matière de technologies d'édition génomique commencent seulement à se faire sentir dans le monde et en Europe.

Tous ces enjeux, qu'il s'agisse du réchauffement climatique ou de la résistance aux bioagresseurs sont multifactoriels. Nous avons besoin des semences, et les agriculteurs redécouvrent l'agronomie. Les instituts techniques jouent un rôle important, notamment dans l'articulation entre génétique et technique. Arvalis réalise un travail significatif sur les grandes cultures. Par ailleurs, des fonds ont été débloqués par l'État afin de nous accompagner dans le cadre de la sortie des produits phytosanitaires en 2030 et du plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures (PARSADA). Des moyens importants ont été mis à la disposition des filières pour trouver des solutions de substitution aux produits phytosanitaires. La filière semences s'est engagée ; elle est très active et collabore avec les instituts.

La génétique a d'ores et déjà apporté des solutions. L'helminthosporiose, maladie due à un champignon qui attaquait le maïs, a complètement disparu car nous avons créé, via une sélection conventionnelle, des variétés tolérantes ou résistantes à ce champignon. Les nouvelles techniques doivent nous permettre d'accélérer ce type d'innovation et de réponse. Au sein de l'interprofession, nous avons mis en place un fonds dédié à l'innovation sur le maïs afin de faire face à des ravageurs pour lesquels il n'existe plus de solutions phytosanitaires : le taupin, la géomyze…

Concernant l'évolution et l'adaptation climatiques, l'interprofession a lancé l'année dernière une étude prospective sur l'évolution du climat à l'horizon 2050 afin de réaliser des projections de la manière dont nos zones de production de semences évolueront et seront impactées par le changement climatique. Il s'agit de prendre la mesure des risques auquel nous faisons face dans les différentes zones. On pense parfois qu'il est nécessaire de déplacer les productions dans des zones où la chaleur sera moindre, mais, selon moi, il ne s'agit pas d'une solution satisfaisante. Je préfère me battre pour tenter de pérenniser les productions et trouver des leviers d'adaptation sur les territoires existants. Il est plus cohérent de garder les productions sur nos territoires plutôt que de délocaliser ailleurs en France ou en Europe. Nous en revenons aux leviers de la génétique et de l'agronomie.

Il est également intéressant de constater certains faits. Nos zones du Sud-Ouest ont été très impactées par le manque d'eau en 2022-2023. Avec le renforcement des ressources en eau, on ne règle pas le problème, mais on apporte des solutions. La sécurisation des réserves d'eau en Limagne est essentielle ; la gestion de l'eau sera un levier important. Par exemple, le Pas-de-Calais est une région qui produit des céréales à paille et des plants de pommes de terre. L'hiver a été difficile après les restrictions d'irrigation auxquelles elle a fait face durant l'été 2023. Nous devons donc vraiment nous interroger sur le stockage de l'eau. Dans mon exploitation, entre le 1er septembre 2023 et le 31 mars de cette année, nous enregistrons la pluviométrie d'une année complète. Chez nous, le manque d'eau ne se fait pas sentir. C'est pour cette raison qu'il convient de mettre tous les éléments en perspective et que nous avons lancé une étude pour mesurer les impacts.

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La conservation des variétés anciennes et locales, qui n'est pas toujours rentable pour les entreprises semencières, joue tout de même un rôle crucial dans la variété génétique. Quel est votre point de vue sur ce sujet ? Assure-t-on une certaine pérennité ? Où en est-on dans les recherches de semences de betterave sans néonicotinoïdes, pour s'adapter à la décision européenne ?

Un ministre de l'agriculture venu l'année dernière dans mon département de l'Aube nous avait expliqué que, dans les années qui arrivent, nous serions contraints de procéder à des changements de cultures à cause du réchauffement climatique. Cependant, avec la recherche des nouvelles semences et des investissements publics et privés, certaines semences pourront être adaptées au réchauffement climatique et demander moins d'eau. En outre, le stockage de l'eau sera nécessaire dans les années qui viennent.

On constate l'entrée d'une vision décroissantiste dans les textes européens votés récemment. Finalement, ces textes qui proposent une vision dissuasive de la croissance et qui visent à réduire la production en Europe et en France ne poussent-ils pas les entreprises privées et publiques à désinvestir dans l'avenir des semences ? Le marché sera-t-il toujours là demain si la production baisse en France ou en Europe ? Enfin, les nouveaux plans nationaux de la dernière politique agricole commune (PAC) ont-ils entraîné des évolutions dans le domaine des semences ? Ont-ils permis des réinvestissements au niveau national dans les semences pour assurer une souveraineté française ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

La sélection des variétés anciennes est largement réalisée via le certificat d'obtention végétale sur des variétés qui existent déjà. Il est nécessaire d'avoir une visibilité sur des ressources génétiques différentes, notamment dans le cadre de l'adaptation au milieu. La conservation des vieilles variétés et des ressources génétiques constitue donc un élément clé. L'interprofession a mené deux démarches. D'une part, nous avons intégré les conservatoires régionaux de ressources génétiques à l'interprofession en créant une nouvelle section, « Diversité des semences ». Nous avons besoin qu'ils participent à l'organisation de la filière. D'autre part, nous avons investi dans la mise en place d'un fonds de préservation des ressources génétiques. Ce fonds est porté par le groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences (GEVES) et il est présidé par Mme Marion Guillou, l'ancienne présidente de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). Afin de consolider ces fonds de ressources génétiques, nous lançons des appels à projets qui vont dans le sens de la conservation.

Il convient enfin de mentionner que l'interprofession est le premier financeur du traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture (TIRPAA), qui vise globalement à préserver les fonds de ressources phytogénétiques. Nous sommes tournés vers l'avenir et l'innovation, mais nous avons également besoin de cette histoire de la génétique, qui constitue en elle-même une réserve d'innovation.

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Marie Bigot

La base du travail des sélectionneurs est constituée par le patrimoine génétique dont ils disposent, et toutes les entreprises de sélection réalisent un travail de sélection conservatrice dans le cadre duquel elles entretiennent les ressources génétiques anciennes. En France, de nombreuses collections de ressources génétiques sont entretenues par le secteur semencier et la filière, soit par des aides, soit par des financements, soit dans la mise à disposition de ressources génétiques.

Par ailleurs, le CTPS oriente la recherche en sélection et compte une section très active consacrée aux ressources génétiques, à laquelle prend part l'interprofession. Nous sommes très mobilisés sur ce sujet essentiel.

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Les betteraves et les néonicotinoïdes illustrent parfaitement le problème lié à l'arrêt d'une solution phytosanitaire sans alternative pour les agriculteurs, avec une mise en danger de toute la production de betteraves en France. Heureusement, les infestations ont été peu nombreuses durant les deux dernières années, mais la filière entière est exposée à un risque. Il me semble qu'une clause de sauvegarde a été demandée sur les importations de sucre ukrainien en Europe. Je crois que la filière des betteraves à sucre a réussi par la génétique à résoudre des problèmes de bioagresseurs, mais les résultats ne se feront sentir qu'à partir de 2026.

Concernant la décroissance et les investissements liés à la PAC, je dirais que nous appartenons à une filière d'innovation. Nous devons résoudre le changement climatique, la résistance aux bioagresseurs et l'adaptation globale de l'agriculture par l'innovation et la technologie, tout en préservant des modèles d'agriculture différents. Ainsi, il y a cinq ans, nous avions pris la mesure du développement de l'agriculture biologique. Dans le plan de filière de 2017, nous avions inscrit que l'objectif de la filière était d'arriver à l'autosuffisance en matière de semences en 2025. Nous accompagnons tous les types d'agriculture, mais pas dans une vision décroissante. Nous constatons la fragilité globale des équilibres alimentaires. Selon moi, nous n'avons pas aujourd'hui la capacité, au niveau européen, de nous refermer sur nous-mêmes. La filière semencière est largement exportatrice et nous avons besoin de ces exportations.

Enfin, la PAC n'a pas véritablement amené davantage de solutions. Je mentionnerai simplement les changements du schéma assurantiel concernant la sécurisation des risques, pour lesquels la PAC a accompagné les agriculteurs.

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Je souhaite revenir sur les tensions qui peuvent s'exercer sur un certain nombre de semences et de plants. Je suis député de la Somme et on m'alerte au sujet de tensions sur les pommes de terre depuis trois ans, sans que cela suscite la moindre réaction au niveau français ou européen. Existe-t-il un pilotage, une concertation ? Tout le monde a conscience de l'aggravation de la situation, mais rien n'est mis en place. Quels sont les facteurs du problème ? Je m'interroge sur le lien avec la baisse des agriculteurs multiplicateurs. J'ai noté une diminution de 7 % des exploitations consacrées à ces cultures en cinq ans. Vous avez évoqué des plans pour pallier les problèmes, mais je ne les ai pas trouvés détaillés ni rassurants. Quelles sont les mesures qui ont été prises ? En tant que législateurs, comment pouvons-nous vous accompagner ? Existe-t-il une contestation, une compétition des surfaces sur le sujet ? Existe-t-il un problème de marché ? Ces cultures sont peut-être moins rentables, moins spéculatives que d'autres, et sont peut-être moins soumises à des opportunités de marché...

Les problèmes d'accès au fourrage sont fréquemment évoqués. Au-delà de la sécheresse, sont-ils liés à des difficultés de production de semences de fourrage ? Le manque de fourrage vient peut-être d'une production insuffisante de semences, car la tendance est tout de même de – 20 % sur cinq ans.

On constate également des tensions sur les oléagineux, avec une diminution de 20 %, aussi bien pour l'alimentation animale qu'humaine. Qu'en est-il des tensions sur les agrocarburants ? Les surfaces diminuent, tandis que les cultures se multiplient et se concurrencent, avec des pratiques et des structurations différentes. J'imagine que le passage de l'une à l'autre requiert une technicité particulière et peut entraîner des pertes de compétences.

Vous avez évoqué l'échec régulier des plans de protéines végétales. Quel est le rôle joué par les semences ? On entend régulièrement parler d'un plan de protéines végétales imminent et de la fin de la dépendance au soja grâce au pois et à la luzerne, sans qu'il y ait de véritables avancées. Quelles en sont les raisons ?

Je ne comprends pas la vision d'ensemble du secteur des semences, les liens avec l'État, avec la recherche publique ou encore avec l'industrie chimique, puisque j'ai l'impression qu'il existe des groupes très intégrés avec la chimie et concurrents d'entreprise française. Je ne comprends pas le lien spécifique des acteurs français par rapport à leurs concurrents suisses, américains ou allemands.

J'aimerais également mieux comprendre le succès de la filière française, dont on parle peu. Il semblait que Monsanto, Syngenta et Bayer allaient l'emporter, mais les Français ont résisté avec succès. Quelle était la solution ? Les clés de cette solution sont-elles toujours actives et prometteuses ou sont-elles en crise ?

Quelle est la position de la filière sur les OGM ? Ce n'est pas parce que certains ont clos le débat qu'il n'existe pas. Où est le scandale sanitaire des OGM dans le monde ? Qu'en est-il des milliers de morts et des catastrophes qui ont été annoncés dans le monde ? Nous n'avons aucun retour d'expérience. Je ne suis pas un spécialiste, mais quand j'avais vingt ans on m'expliquait qu'il s'agissait d'un tsunami sanitaire à venir, contre lequel l'Europe avait pris des dispositions contrairement à d'autres pays du monde. C'est aujourd'hui un non-sujet, alors qu'on pourrait tenir compte de dix, vingt, ou trente ans de retours d'expérience.

Nous faisons face à un certain nombre de défis climatiques et alimentaires. Il semble que la filière exporte de manière significative en Europe, tandis que les exportations en Afrique et en Asie, des marchés qui devraient théoriquement être dynamiques, sont plus faibles.

Enfin, il y a quelques années, on parlait de la valeur nutritive des productions alimentaires, notamment des fruits et légumes. Il était très compliqué de distinguer le vrai du faux. On entendait que la rentabilité, la productivité apparente, l'esthétique et la conservation dans les transports avaient été privilégiées au détriment de la valeur nutritive intrinsèque des produits. Quelle est la part de vérité dans ces affirmations ? Si elles sont vraies, il me semble que nous faisons face à un problème de société d'importance. Pour vous, est-ce un sujet de réflexion ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Il convient de distinguer les pratiques des semenciers et celles des utilisateurs. Il est important de ne pas globaliser. Les variétés sélectionnées, notamment parmi les légumes, sont très nombreuses et elles ne sont pas sélectionnées uniquement pour des raisons de stockage ou de conservation. Plusieurs centaines de variétés de tomates et de salades sont inscrites au catalogue.

Ensuite, les utilisateurs, que ce soit les distributeurs ou les metteurs en marché, choisissent en fonction de leurs clients ou de l'utilisation prévue pour leurs produits. Quoi qu'il en soit, on ne peut pas reprocher au secteur semencier d'avoir rétréci le champ et diminué la diversité en termes de production. Cette diversité est vraiment très large : plus de 2 000 variétés de semences de maïs sont inscrites au catalogue. Nous ne sommes pas maîtres de la commercialisation des produits ; nous fournissons au marché une offre de semences.

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Existe-t-il un problème de valeur nutritionnelle dans les semences vendues ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Je ne pense pas. Il ne s'agit pas d'un aspect référencé, mais l'offre est extrêmement diversifiée et c'est l'utilisateur qui choisit parmi les variétés qu'il va mettre en marché.

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Marie Bigot

Il y a une vingtaine ou une trentaine d'années, l'objectif de sélection principale était le rendement et le transport ou la conservation. Pendant longtemps, la sélection s'est davantage préoccupée de ces objectifs plutôt que ceux de la nutrition. Notre rôle est de répondre aux demandes des agriculteurs et de la consommation in fine. Depuis une vingtaine ou quinzaine d'années, la nutrition et le goût sont devenus essentiels et ont été réintégrés de manière très forte dans nos programmes de sélection. Dans le sud de la France, des entreprises comme Gautier Semences mènent des travaux importants sur le goût du melon ou de la tomate. Ce sont aujourd'hui des objectifs de sélection qui sont prioritaires pour nos sélectionneurs. La question nutritionnelle se pose particulièrement dans le cadre de la sélection des semences potagères, car il s'agit de produits proposés directement à la consommation.

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Concernant les plants de pommes de terre, nous faisons face à des besoins croissants, avec l'ouverture de deux sites industriels dans le nord de la France l'année dernière, et la production a du mal à suivre. En effet, les agriculteurs prennent des risques supplémentaires sur la production. Par ailleurs, ils font face à une augmentation des prix et à une concurrence avec les autres productions. Un agriculteur doit arbitrer entre la valeur ajoutée de sa production de semences et celle d'autres productions. De même, les coûts de production des oléagineux ont fortement augmenté du fait de la hausse des intrants en 2021, 2022 et 2023, tandis que les prix de vente des semences n'ont pas toujours suivi.

Le prix de toutes les productions agricoles augmente et l'agriculteur doit faire des choix, dont certains ne vont pas dans le sens de la production de semences. Les mêmes tendances existent sur les espèces fourragères. C'est pour cette raison que l'interprofession a mis en place un observatoire des prix de revient afin d'objectiver ces données et de disposer d'un véritable outil de mesure de répartition de la valeur dans la filière. La situation se rééquilibrera et la filière pommes de terre travaille pour trouver des solutions qui lui permettront de faire face aux besoins croissants de plants.

Il est vrai que des plans protéines se sont succédé. Le secteur des semences n'a pas suivi, du fait d'un manque d'opérateurs. Pour le pois ou le soja, les volumes des semences de ferme ont augmenté progressivement, sans mise en place d'une réelle rémunération de l'innovation, contrairement à la contribution à la recherche et à l'innovation variétale déployée pour les céréales à paille. Il s'agit d'une contribution demandée aux agriculteurs qui multiplient eux-mêmes leurs semences. Sans financement, la recherche ne peut se poursuivre.

Le plan protéines en place actuellement comprend un volet semences conséquent, avec des moyens importants d'accompagnement de l'innovation et de la recherche variétale, mais il convient également de réfléchir à des moyens de financer la recherche en déployant des schémas similaires à ceux des céréales à pailles. Nous conduisons ce type de réflexion au sein de l'interprofession.

Les OGM sont massivement mis en culture ailleurs qu'en Europe depuis trente ans. Le cadre réglementaire européen et la directive qui régit les OGM actuellement ne permettent pas de mettre en place ces productions, car il existe des interdictions globales. Seule la lignée MON 810 avait été autorisée et se trouve encore peut-être en Espagne. Réglementairement, nous ne disposons pas des moyens nécessaires à l'autorisation des OGM en Europe et les coûts d'inscription élevés sont rédhibitoires pour les entreprises qui seraient intéressées. Nous devons utiliser cet exemple pour les NGT : il est important de définir les productions que nous souhaitons lancer sur le territoire européen et celles que nous souhaitons interdire, puis de mettre en place des outils de protection intellectuelle qui rendent ces innovations accessibles à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille et quel que soit leur format. Il est crucial d'avancer rapidement pour ne pas répéter les erreurs des OGM.

Concernant la vision d'ensemble, il ne faut pas prêter à la filière semences un rôle plus important que la réalité. Nous rencontrons des problèmes ponctuels sur certaines espèces, mais la ligne est claire : le maintien de la diversité des acteurs, des types d'agriculture et du tissu d'entreprises qui existent en France, ainsi que l'accès à la génétique pour le plus grand nombre. Nous organisons la filière pour répondre à ces enjeux. Nous faisons face à des problèmes de production et il est important de sécuriser les réseaux d'agriculteurs multiplicateurs. Au niveau de l'interprofession, les entreprises semencières ont commencé aussi à comprendre que, sans agriculteurs multiplicateurs, il n'y aurait pas de production de semences sur le territoire. La prise de conscience doit être globale.

J'évoque longuement les moyens de production car je suis agriculteur multiplicateur de semences. Si je n'ai plus les moyens de protéger mes cultures ou de les arroser, je serai contraint d'interrompre la production et de trouver des solutions qui revaloriseront mon exploitation. Nous travaillons beaucoup en collaboration avec notre autorité de tutelle, la direction générale de l'alimentation (DGAL). Nous devons trouver des solutions pour les toutes petites espèces afin de préserver les moyens de production pour les agriculteurs et sécuriser l'accès à l'eau. Certains préfets possèdent des outils pour déclencher des restrictions d'irrigation dans les périodes en tension. Il est essentiel d'aller plus loin dans l'exemption des productions de semences dans les zones critiques, car il s'agit d'enjeux stratégiques pour nos filières et pour l'agriculture.

Le premier pays de destination des exportations est la Russie. L'interprofession ne s'occupe pas des exportations, qui sont gérées par les entreprises. Cependant, depuis sa création, SEMAE remplit une mission d'accompagnement des pays de destination. En effet, une exportation de la part d'un opérateur requiert une sécurisation du cadre juridique, notamment en matière de propriété intellectuelle. Nous accompagnons les pays pour accéder aux normes internationales de certification. L'Afrique et l'Asie sont concernées ; je me suis rendu au Kazakhstan et en Ouzbékistan dans le cadre des déplacements du Président de la République afin d'évoquer ces sujets avec les autorités locales.

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Vous avez évoqué l'épisode de fortes précipitations sur votre région. Cette intermittence climatique et ces perturbations peuvent engendrer des complications pour les plantes qui doivent s'adapter et survivre aux nouvelles contraintes. Est-il possible d'améliorer la résistance des variétés que vous sélectionnez à la chaleur, au stress hydrique et aux bioagressions ? Les semences que vous proposerez à l'avenir concerneront-elles de nouvelles espèces, de nouvelles variétés ? Peut-on imaginer l'enrichissement de l'offre agricole française avec de nouvelles plantations, de nouvelles cultures, compte tenu de toutes ces évolutions ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Nous avons défini des orientations pour orienter la recherche sur les critères de résistance. J'ai évoqué le plan Semences et plants pour une agriculture durable (SPAD) : avec le CPTS, qui fait partie du ministère de l'agriculture, nous définissons les critères d'inscription des variétés au catalogue. La productivité et le rendement restent des axes majeurs, mais les enjeux d'adaptation au milieu entrent petit à petit dans les critères d'inscription.

Il convient de garder à l'esprit que ces évolutions s'inscrivent sur un temps long. Huit à dix années sont nécessaires pour créer une variété. Par ailleurs, les semences font partie d'un schéma et l'approche doit être systémique. L'agronomie et la sécurisation des moyens de production, dont les ressources en eau, constituent également des leviers primordiaux.

Sur mon exploitation, la pluviométrie de l'année a été couverte en neuf mois. Mon père produisait des semences depuis 1956 dans la région du Vic-Bilh. Dès 1972, nous avons créé des ressources afin de sécuriser les semences et aujourd'hui, les réserves d'eau sont pleines et le risque de sécheresse est couvert pour cet été. Encore une fois, l'exemple du Pas-de-Calais est intéressant. Nous devons stocker l'eau qui tombe durant l'hiver afin de sécuriser la production pendant l'été.

Enfin, certaines espèces qui ne sont pas développées aujourd'hui vont prendre de l'importance. Nous n'allons pas remplacer les 3 millions d'hectares de maïs en France par une surface équivalente en sorgho, mais nous pouvons diversifier la production, notamment dans des zones où l'accès à l'eau n'est pas sécurisé. La filière semences anticipe ces mouvements et nous avons mis en place une organisation pour mieux piloter le sorgho au niveau européen.

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Vous avez rappelé l'importance du CIR pour la recherche privée, mais vous avez aussi évoqué la recherche publique, car la recherche privée n'est pas suffisante. Pourriez-vous préciser votre appréciation de cette recherche publique ? Vous expliquez qu'elle n'est pas suffisamment financée. Êtes-vous convaincu qu'aujourd'hui, la recherche est correctement orientée afin de réussir la transition environnementale ?

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Pierre Pagès, président de l'Interprofession des semences et plants (SEMAE)

Nous avons besoin d'une recherche publique proactive sur les nouvelles technologies elles-mêmes et sur les produits qui en sont issus. Il convient d'investir dans l'adaptation de ces technologies à nos métiers. Presque toutes les utilisations de CRISPR-Cas9 en matière de génétique végétale ont été brevetées par des sociétés internationales. On peut donc nous empêcher d'accéder à ces techniques et c'est précisément ce problème que nous souhaitons éviter. Nous avons besoin de l'appui de la recherche publique pour nous aider à défricher ces technologies puis à les garder ouvertes pour nos entreprises.

Les outils d'aide à la sélection évoluent fortement : avec le développement de la bio-informatique et des techniques d'observation des plantes pendant le processus de sélection sur du phénotypage à haut débit, les volumes d'informations à traiter deviennent très significatifs. Le sélectionneur est toujours dans la crainte de ne pas identifier le potentiel d'une certaine variété. Nous avons vraiment besoin d'outils informatiques et il est possible de les mutualiser au niveau de la filière. Actuellement, nous déployons des programmes afin d'obtenir un accompagnement. Ces outils doivent rester accessibles aux entreprises de taille moyenne : Lidea ne dispose pas des mêmes moyens d'innovation que Bayer ou BASF. C'est dans ce cadre que nous avons besoin d'appuis financiers ou d'appuis de la recherche publique.

La commission procède à l'audition de Mme Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation (UNIFA), et de Mme Florence Nys, déléguée générale.

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Nous poursuivons nos auditions en accueillant Mme Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation (UNIFA), et Mme Florence Nys, déléguée générale.

Mesdames, je vous remercie de vous être rendues disponibles pour parler de ce sujet auquel on ne pense pas spontanément dans le débat public, mais qui est essentiel pour l'agriculture.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Delphine Guey et Florence Nys prêtent serment. )

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Je vous remercie de nous auditionner sur le rôle clé des engrais et de la fertilisation dans la souveraineté alimentaire, un sujet encore assez méconnu.

L'UNIFA représente l'ensemble de l'industrie de la nutrition des plantes et de la santé des sols. Nous regroupons trente-cinq producteurs présents sur l'ensemble du territoire français. Les solutions de fertilisation englobent les engrais minéraux, les engrais organiques, les organo-minéraux, les amendements et les biostimulants. Cette palette de solutions de fertilisation des plantes s'adresse à l'ensemble des agricultures : l'agriculture biologique, l'agriculture conventionnelle, l'agriculture régénérative et tous types de cultures.

L'UNIFA produit également les statistiques officielles des livraisons d'engrais minéraux en France métropolitaine, par délégation du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Un point important qui fait aussi la fierté de nos adhérents : l'UNIFA est à l'origine de la création de la SOVEEA, la Société de valorisation des emballages, des écoactions, des engrais et amendements, un éco-organisme créé en 2007 qui organise la collecte et le recyclage des emballages usagés de l'ensemble des acteurs, distributeurs, fabricants et importateurs d'engrais. Aujourd'hui, 93 % des emballages collectés sont recyclés et nous atteindrons les 100 % en 2030.

Nos entreprises ont une grande diversité des profils : des PME, des entreprises familiales, des entreprises européennes, des groupes internationaux. Cette diversité nous permet de profiter d'une vision complète des besoins et des évolutions du marché.

Le chiffre d'affaires 2023 s'est établi à 2,33 milliards d'euros, et le budget consacré à la R&D à 56,36 millions d'euros.

Les quatre-vingt-deux sites de production et de stockage pour tous les types d'engrais forment un maillage territorial conséquent, au plus près des besoins des agriculteurs.

La filière compte 4 166 emplois directs et 12 490 emplois indirects. Le chiffre à l'export s'élève à 137,5 millions d'euros. L'UNIFA représente environ 58 % des livraisons d'engrais minéraux en volume.

S'agissant des actions des professionnels de la nutrition des plantes et de la santé des sols, nous pouvons citer quatre objectifs prioritaires.

Il s'agit d'abord de contribuer à soutenir la souveraineté alimentaire française. Le deuxième objectif est de contribuer à la décarbonation de la filière agricole, car les engrais restent un point noir important pour l'empreinte carbone des productions agricoles françaises. Le troisième objectif vise à accompagner les agriculteurs et les industriels dans leur transformation, tout en préservant leur performance économique et, bien sûr, en réduisant l'empreinte environnementale. Le dernier objectif est d'atteindre la neutralité climatique en 2050.

Un chiffre montre le rôle clé des engrais dans les productions alimentaires mondiales : on estime que plus de 48 % de la population mondiale est nourrie grâce aux engrais minéraux azotés et surtout grâce à une technologie mise en place en 1909, la fameuse technologie Haber-Bosch. Conçue par un chimiste allemand, Fritz Haber, et son compatriote Karl Bosch, elle nous permet aujourd'hui de fixer l'azote de l'air et de l'associer à de l'hydrogène, principalement du gaz et du méthane. L'ammoniac est à la base de la production de l'ensemble des engrais minéraux azotés.

Depuis 1909, cette innovation est reconnue comme la plus importante, ayant sauvé plus de 3 milliards de vies selon les données de la FAO.

Dans les années 1990, on consommait 11,7 millions de tonnes d'engrais en France, contre 6,48 millions de tonnes en 2023. On a donc réduit de 45 % la consommation d'engrais en trente ans. Cette réduction s'explique par plusieurs raisons, dont le volet économique. Une première rupture a eu lieu dans les années 1980, après la crise pétrolière, lorsque les agriculteurs ont dû rationaliser leur production.

Le volet écologique est lié aux années 1990, à travers la nouvelle PAC, les mesures agro-environnementales, les éco-conditionnalités. Les agriculteurs ont été invités à réduire leur consommation par nécessité.

Suit une grande période d'optimisation dans les années 2000, avec les développements technologiques, notamment les outils d'aide à la décision, un pilotage et un fractionnement des apports, une approche de plus en plus précise des besoins des plantes et de la nutrition.

La déprise agricole signifie que l'on produit moins en France, ce qui entraîne un moindre besoin de nourrir les plantes.

De nombreuses missions se sont succédé ces dernières années pour davantage réglementer les productions d'ammonitrates en France.

Il faut enfin mentionner le volet climatique. Nous assistons aujourd'hui à des changements de rotation, le remplacement du maïs par le tournesol, le développement de légumineuses, fixatrices d'azote, et surtout la réduction de l'élevage, en sachant que les prairies consomment beaucoup d'engrais minéraux azotés.

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Quel est le chiffre de la production nationale d'engrais ? La consommation, vous l'avez précisé, se situe à 6,48 millions de tonnes.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Nous parlons de 30 à 35 % de production nationale pour cette consommation. Il y a quarante ans, nous étions autour de 60 %. Lorsque nous parlons d'engrais, nous parlons des engrais majeurs, des engrais azotés que sont le L, le P, le K, l'azote, la potasse et le phosphore. Ce sont les engrais composés, simples et les engrais de type ammonitrate, urée et solution azotée.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Elle provient d'abord de la baisse de la consommation. Ensuite, il est important de rappeler que nous nous situons dans un marché international de commodités soumis à une forte concurrence. Les entreprises françaises sont concurrencées du fait de leur dépendance aux matières premières, aux potasses et aux phosphores, que nous ne produisons pas en France puisque tout est importé.

La production d'ammoniac et d'ammonitrate forme la base de la production d'engrais azoté, de type urée, ammonitrate et solution azotée.

Il faut aussi parler de notre dépendance au gaz. Produire de l'ammoniac suppose l'utilisation de gaz. On capte l'azote de l'air en l'associant à de l'hydrogène qui provient du méthane. Le gaz représente 90 % du coût de production de l'ammoniac. Nous ressentons cette dépendance à la moindre tension géopolitique, comme c'est le cas aujourd'hui en Ukraine. Le gaz a atteint des niveaux de prix jamais vus auparavant, nécessitant de s'appuyer sur d'autres sources d'approvisionnement ou de baisser nos productions d'ammoniac en France et en Europe.

Ces trois dernières années, nous avons constaté le déplacement d'une dépendance au gaz à celle aux produits importés, notamment russes, sans contrainte sur le prix du gaz. D'autres pays ont pu approvisionner le marché français avec des produits plus compétitifs.

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Je comprends que le potassium et le phosphore imposent une importation complète puisque nous n'en possédons pas.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Oui, nous n'avons plus de mines d'extraction.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Les sites de production français fournissent environ 30 % du marché.

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Quels sont les principaux pays d'importation du phosphore, du potassium et de l'azote ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

En ce qui concerne la potasse, 45 % de nos importations proviennent d'Allemagne. La Belgique représente 10,4 %, le Royaume-Uni 10,3 %, l'Espagne 9,1 %, la Russie 8,6 %.

Le Maroc est notre principal fournisseur de phosphate, à hauteur de 33,6 % de nos importations. La Belgique, via ses infrastructures portuaires – puisque le pays ne produit pas de phosphate –, représente 15,6 % de notre consommation, Israël 12,8 %, les Pays-Bas 11,2 % et la Tunisie 9,3 %.

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Les Pays-Bas doivent aussi profiter de l'activité de leurs ports.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Oui.

La Biélorussie et la Russie produisent 45 % de la potasse mondiale.

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Connaissons-nous l'origine des matières qui transitent par les ports belges et néerlandais ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Nous la présumons.

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Florence Nys, déléguée générale de l'UNIFA

Ces origines directes ne sont pas forcément indiquées sur les codes des douanes. Il est donc assez difficile de tracer les flux d'importation. Nous pouvons vous préciser l'import direct de la Russie ou de la Biélorussie pour certains produits, mais pas sur les flux qui traversent les Pays-Bas ou la Belgique. Nous avons été confrontés à cette difficulté lors d'une mission du Conseil général de l'agriculture consacrée à la dépendance.

Il faut considérer que les ports des Pays-Bas et de la Belgique, notamment celui d'Anvers, sont des lieux de transit de produits importés.

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Vous dites que la production française d'azote se situe à 30 %.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Entre 50 et 60 % des agriculteurs français utilisent l'ammonitrate, principalement pour les prairies et les céréales.

L'urée, qui est entièrement importée, se place en deuxième position d'utilisation. Elle provient essentiellement d'Égypte, à hauteur de 28,2 %. L'Algérie contribue à hauteur de 18 % et la Russie pour 15 %. L'Allemagne représente 10,7 % de nos importations et les Pays-Bas 6,8 %.

La troisième forme d'engrais azoté est la solution azotée, également importée dans sa globalité. Ce sont les États-Unis qui sont nos principaux fournisseurs, pour 39 %, suivis des Pays-Bas (19,4 %), de Trinité-et-Tobago (13,9 %), de la Russie (13,1 %) et de la Lituanie (7,2 %).

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D'où vient la matière des 30 % produits en France ? Où se trouvent les usines ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Le pays dispose de sites de production d'ammoniac. Certains sites l'importent et le transforment sous forme d'ammonitrate.

L'approvisionnement en ammoniac de ces sites peut varier en fonction de l'implantation des entreprises ou du prix du gaz.

Au total, il existe cinq sites en France.

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S'agissant du N, du P et du K, les approvisionnements apparaissent très diversifiés.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Oui.

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Le phosphore s'entend surtout à l'échelle du marché européen. L'origine de la potasse se veut plus diversifiée, impliquant des pays du Moyen-Orient. Nous retrouvons cette diversification en ce qui concerne l'azote. Les pourcentages de produits issus de la Russie et de la Biélorussie ne sont pas négligeables, mais ne sont pas non plus substantiels en réalité.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

En effet. Nos entreprises ont accéléré leur diversification depuis le conflit en Ukraine. Elles se tournent vers d'autres pays fournisseurs.

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Voulez-vous dire que les importations de Russie et Biélorussie étaient plus importantes ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Oui. Elles ont fortement baissé depuis la guerre, même si la Biélorussie était déjà soumise aux sanctions.

À l'échelle mondiale, la production d'ammoniac s'établit à environ 200 millions de tonnes. L'ammoniac russe représente 25 % des exportations mondiales.

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La production française ne suffit pas à couvrir la consommation et n'a jamais permis de le faire. Vous dites que nous étions à 60 % il y a une quarantaine d'années. Le sentiment est que nous sommes un pays structurellement dépendant de l'extérieur en matière d'engrais.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Oui, de par l'approvisionnement en matières premières, c'est-à-dire le P et le K. La capacité européenne de production d'ammoniac et d'ammonitrate reste forte.

Je ne peux pas vous dire que nos sites fonctionnement aujourd'hui à plein régime. Nous faisons face à une réelle guerre des prix, à cause notamment des importations d'urée russe qui ont inondé le marché. Au début du conflit ukrainien, des craintes de pénuries d'engrais minéraux ont pu être exprimées en Europe. Finalement, nous n'avons pas subi la moindre pénurie, même s'il faut mentionner l'arrêt temporaire des taxes douanières à l'importation d'urée et d'ammoniac en Europe. Cet arrêt temporaire a contribué à augmenter les importations d'urée, même celles de l'autre bout de la planète. Un de nos commerciaux nous a même signalé un bateau en provenance du Vietnam.

Aujourd'hui, le marché est mondialisé. N'importe quel industriel peut passer une commande d'urée, avec une livraison assurée dans nos ports.

En 2023, la Russie fournissait les besoins en nutriments de l'agriculture française un jour sur sept. Selon les derniers chiffres des douanes, 750 000 tonnes d'engrais ont été importées l'année dernière contre 400 000 en 2021, avant le déclenchement de la guerre. Cette hausse des deux dernières années a été de plus de 80 %. Nous constatons une véritable politique du « prix prédateur », comme le disent les économistes.

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S'agit-il des engrais finaux ? Ils n'entrent pas dans le périmètre des N, P et K dont nous parlons.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Je vous parle des importations d'urée, un engrais produit et fini.

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Vous disiez que la Russie fournissait 8,6 % de P, 10 % d'urée et 13,1 % de solution azotée. Si j'effectue un calcul rapide, nous n'arrivons pas à un jour sur sept.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Nous avons importé 15 % d'urée russe, mais l'augmentation de ces importations par rapport aux campagnes antérieures à la guerre en Ukraine s'est établie à 80 %. Vous vouliez connaître l'état des importations russes d'urée. Je vous ai fourni le chiffre des douanes pour 2024. La progression s'est élevée à 80 %. Je ne dis pas que 80 % de notre urée vient de Russie, j'explique que l'augmentation des importations d'urée russe a été de 80 % ces deux dernières années.

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Vous dites que la Russie fournit les besoins en nutriments de l'agriculture française un jour sur sept, soit 15 %. Parlez-vous de tous les engrais confondus ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Nous avons déplacé notre dépendance au gaz russe vers une dépendance aux engrais russes.

S'agissant de l'azote, nous constatons une forte importation européenne.

J'ai fait allusion aux « prix prédateurs » mis en place par la Russie. Dans notre secteur, les écarts constatés sont de l'ordre de 10 à 15 %.

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Compte tenu de l'absence de matières premières en France, nous sommes, d'une certaine façon, condamnés à être dépendants. L'autosuffisance est-elle atteignable au regard de notre géographie et de notre géologie ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Non. En ce qui concerne nos besoins en potasse et phosphore, nous restons totalement dépendants et nous ne serons jamais autonomes.

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C'est donc une dépendance subie et non choisie, c'est-à-dire qui résulterait de choix d'acteurs économiques ou politiques. L'absence de ces matières premières dans notre environnement nous condamne à cette dépendance et aux importations.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Nous nous appuyons sur des alliés historiques, à l'instar du Maroc et de l'Allemagne.

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Le procédé Haber-Bosch a fait l'objet d'une véritable bataille lors de la négociation du Traité de Versailles. La France voulait récupérer l'ensemble des brevets de l'industrie chimique allemande, notamment de BASF. Historiquement, les Allemands ont été précurseurs.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Oui.

Aujourd'hui, les innovations permettent de décarboner la production d'ammoniac. Lorsqu'on capte l'hydrogène du méthane, on dégage du carbone. Une tonne d'ammoniac produite dégage deux tonnes de CO2. C'est la raison pour laquelle certains de nos sites en France intègrent la liste des cinquante sites les plus émissifs en CO2. La technologie en cours de développement, notamment en Europe, repose sur l'électrolyse de l'eau. L'objectif est de récupérer l'hydrogène de l'eau, et non plus du CH4, de remplacer cet hydrogène et de ne plus être dépendant du gaz et des énergies fossiles en cassant la molécule d'eau à l'aide d'électrolyseurs qui utilisent des énergies renouvelables – ou bas carbone s'agissant du nucléaire. Ce procédé supprime les dégagements de CO2. Il s'agit d'un positionnement stratégique visant à réduire notre dépendance au gaz et à apporter des solutions à nos agriculteurs et à la filière agroalimentaire.

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Il serait intéressant que vous nous transmettiez vos chiffres, qui méritent d'être affinés.

L'Allemagne produit de l'ammonitrate que nous pourrions produire nous-mêmes. J'imagine qu'elle utilise du gaz russe pour assurer sa production.

Vous avez évoqué les capacités de production en France, en expliquant que les usines ne tournaient pas à plein du fait de problèmes de compétitivité. D'où vient ce manque de compétitivité ? Vous dites que 80 % du coût de l'engrais est lié au gaz.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Personne ne parlait des engrais avant la guerre en Ukraine. Les agriculteurs les achetaient sans trop s'interroger sur leur prix. Depuis le conflit, nous avons constaté que nous sommes fortement dépendants du prix du gaz et du marché. Surtout, les agriculteurs ont subi, ces dernières années, une perte de compétitivité. Ils doivent réduire leurs coûts au maximum. Il leur est demandé aujourd'hui de réduire leur impact environnemental et de continuer à produire. Ils se sont donc tournés vers des formes d'engrais peut-être moins efficientes, moins-disantes d'un point de vue environnemental et moins coûteuses que la forme ammonitrate.

Ramenée à la quantité d'azote, la forme ammonitrate n'est pas plus chère, aussi bien la forme nitrate que la forme uréique. C'est simplement un choix, qui se comprend parfaitement, des agriculteurs français.

S'agissant des engrais minéraux, nos adhérents proposent des solutions plus complètes. L'UNIFA mise sur la fertilisation associée, c'est-à-dire les synergies des différentes solutions de nutrition proposées aux agriculteurs. Nous avons vu ces synergies entre les organiques et les minéraux, entre les amendements et les minéraux, entre les biostimulants. Cette offre qualitative peut faire la différence dans la redynamisation des productions françaises.

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Vous ne m'avez pas répondu sur l'aspect de la compétitivité. Selon vos chiffres, nous sommes passés de 11 millions à 6,5 millions de tonnes entre 1990 et aujourd'hui en termes de consommation d'engrais. Dans le même temps, la France a vu sa production passer de 60 % à 30 ou 35 %. Il s'agit quand même d'une diminution considérable des tonnages.

Que pouvez-vous répondre sur cette difficulté d'être compétitif dans la mesure où le prix du gaz semble être le même pour tout le monde ? La réglementation française serait-elle plus complexe que celle de l'Union européenne ou à l'échelle mondiale ? Ne permettrait-elle plus la capacité de production de l'azote ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Comme je vous l'ai dit, la baisse de la consommation se poursuit. Les pratiques agricoles ont été améliorées, ainsi que les outils d'aide à la décision. L'intelligence artificielle aide nos adhérents à mieux travailler, en sorte que chaque nutriment apporté à la plante soit consommé par la plante. Il s'agit aussi de réduire les pertes et les émissions. Les quantités sont donc appelées à diminuer.

En matière de souveraineté industrielle française, je peux dresser une liste d'explications, dont la première s'attache à l'économie. Nous traversons une conjoncture inédite. Les choix économiques des agriculteurs sont plus que jamais d'actualité.

Il est aujourd'hui demandé d'accélérer la décarbonation de nos sites. Il en résultera un coût susceptible de se répercuter sur les productions françaises. La question est de savoir de quelle manière répartir ce surcoût. Le coût de production et d'achat d'engrais décarbonés par les agriculteurs a été multiplié par deux. Le consommateur est-il prêt à acheter plus cher un produit affichant un meilleur profil climatique ?

Le fait de passer d'une forme classique à une forme décarbonée entraîne une réduction de 20 % de l'empreinte carbone de la récolte de blé, ce qui équivaut à 12 % pour une baguette de pain.

Il faut également mentionner l'érosion des surfaces cultivées et la forte progression de l'artificialisation des sols ces dernières décennies.

La France n'affiche pas les mêmes coûts de production que les grands pays exportateurs, à l'instar de la Russie et de l'Ukraine. Une tonne de blé produite en Ukraine se situe à 70 euros. En France, elle coûte trois fois plus cher.

Si nous devions faire sortir de terre une nouvelle usine de production d'ammoniac, même décarboné, de type Seveso seuil haut, les riverains ou les élus accepteraient-ils un tel projet ? Nos sites sont attaqués et remis en cause et il nous faut prendre en considération la demande sociétale.

Il faut enfin mentionner le développement des surfaces faiblement productives prévu dans la PAC.

Nous suivons aujourd'hui plusieurs axes, notamment celui des engrais biosourcés à partir de la récupération des pertes de nutriments des assiettes.

S'agissant du phosphore et du potassium, nous craignons des impasses. Les agriculteurs achètent moins d'engrais, reportant leurs acquisitions. Les chiffres communiqués par l'INRAE montrent que nous nous dirigeons vers une impasse et donc vers une réduction de la production et une baisse de la qualité.

Les amendements minéraux ne s'accompagnent pas de problèmes de dépendance, ce qu'il convient de souligner. La maîtrise de l'acidité des sols est une des solutions pour améliorer la mise à disposition des nutriments à la plante en profitant de la santé des sols. L'augmentation du pH constitue un mauvais signe : il faut conserver un pH proche de 6,8 pour préserver la santé des sols et assurer une meilleure nutrition des plantes.

Vous avez évoqué les aspects réglementaires. Nous faisons face à un problème de surtransposition et de surréglementation des textes européens. L'UNIFA a demandé à ses adhérents de dresser une liste de l'ensemble des textes surtransposés ou surrèglementés. Dans le cadre de ma fonction de directrice de la communication des affaires publiques et de l'engagement sociétal chez Yara France, nous avons réalisé ce travail et identifié les textes. Les aspects réglementaires constituent un frein. Des pays, dont les États-Unis, mettent en place des programmes dans le cadre de l'IRA (Inflation Reduction Act) visant à faciliter l'implantation de nouveaux sites et à apporter une certaine visibilité. Cette visibilité pour nos entreprises est à mes yeux le principal sujet. La visibilité de nos investissements et de nos développements est liée à celle que l'on donne aux productions agricoles.

J'évolue dans le monde agricole depuis vingt-cinq ans et, si je devais compter le nombre de projets de loi d'orientation, j'arriverais à un chiffre conséquent.

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La question de la capacité industrielle est importante. Depuis trente ans, nous avons diminué par trois la capacité de production en France. Vous avez parlé de la surrèglementation et il serait intéressant d'avoir connaissance de l'état des lieux dressé par Yara.

La main-d'œuvre ne pèse pas beaucoup dans le coût de production de l'engrais. Nous importons de l'ammonitrate depuis l'Allemagne, ce qui montre qu'elle est capable d'en exporter en plus d'assurer sa production nationale. La capacité de production allemande se révèle beaucoup plus importante, alors que nos deux pays ont une situation économique assez comparable.

Selon vous, la surrèglementation est-elle la seule responsable de la baisse de notre production ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Nous vous fournirons tous les chiffres, notamment ceux relatifs à l'ammonitrate, que nous importons d'Espagne ou d'autres pays voisins.

Pour répondre à votre question, mes collègues des autres pays me disent également être confrontés à des problèmes de surtransposition. Je pense que cette situation n'est pas spécifique à la France.

En vingt ans, nous avons fermé deux ou trois sites de production d'ammoniac. Le vrai problème est celui de la visibilité. Par exemple, nous recevons aujourd'hui différentes demandes visant à accélérer la décarbonation de nos sites. Nous jouons le jeu et nous investissons pour développer de nouveaux sites. Parallèlement, des missions interministérielles et de nouveaux règlements pénalisent nos productions d'ammonitrate en France. Les injonctions contradictoires ne nous aident pas à trouver la bonne place. Notre rôle consiste à diriger les investissements vers la France, où la dynamique apparaît très importante pour soutenir les industries dans leur démarche de décarbonation. Parallèlement, nous recevons peu ou pas de soutien pour organiser la communication auprès des agriculteurs sur les fertilisants, les produits de nutrition de plantes fabriqués en France et leurs avantages environnementaux et économiques. Nous avons tous manqué cette communication sur le rôle clé de nos sites de production et de la grande famille de la fertilisation. Je n'ai jamais vu de communication du ministère de l'agriculture, parce que nous sommes plus proches de l'industrie. Il est vrai que nous sommes à cheval entre plusieurs ministères. De fait, nous recevons, de la part de ces ministères, des injonctions différentes qui contribuent à ce manque de visibilité et d'investissement. Aux États-Unis ou au Moyen-Orient, vous avez accès à une énergie renouvelable, compétitive, et à un soutien actif au stockage du carbone. Je vous ai parlé de l'hydrogène de l'eau, mais, dans un premier temps, nous pouvons aussi stocker ce carbone. Je parle du fameux CCS, la capture et le stockage du carbone produit dans nos sites. Concrètement, les États-Unis n'ont pas la même réglementation que celle en vigueur en Europe, notamment sur le suivi à long terme des stockages de carbone.

J'évoque donc ces nombreux points réglementaires, de surtransposition et aussi de soutien. Je ne parle pas de soutien financier, mais de soutien aux entreprises françaises qui proposent des innovations. Nous présenterons notre feuille de route sur la fertilisation associée lors de notre assemblée générale en juin. L'objectif est d'initier un mouvement afin de renforcer le soutien aux producteurs et la nouvelle approche consiste à additionner les synergies et les bénéfices.

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En attendant les nouvelles solutions, il faut être capable de produire. Nous voyons les limites de cette dépendance. Il n'y a rien de vertueux à ne plus produire, ni à produire des engrais carbonés.

Vous parlez d'un manque de visibilité. Pouvons-nous en conclure qu'il résulte d'un manque de stratégie claire ? Elle consisterait à acter la fin de la production carbonée, sous prétexte de solutions décarbonées, en sachant toutefois que les solutions décarbonées prennent du temps avant de pouvoir être utilisées. Il existe aussi un sujet de viabilité, puisque ces solutions sont plus onéreuses.

Pouvons-nous conclure que vous ne parvenez pas à trouver votre place dans cette stratégie de décarbonation, faute d'avoir les moyens d'assurer la transition en maintenant les capacités de production ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

La période de transition, sur une dizaine d'années, sera difficile à gérer. Nous avions besoin de l'innovation et nous l'avons. Il nous faut aussi transformer nos sites. La mise en place d'électrolyseurs prend du temps, tout comme l'installation de consortiums pour capter et stocker le CO2.

En France, nous profitons d'une dynamique agricole, avec des agriculteurs pleinement engagés dans cette transition. Lorsque je croise un agriculteur, j'ai toujours droit à la même question sur les engrais décarbonés et leur future utilisation. La demande se veut très forte. La décarbonation est importante pour apporter de la compétitivité à nos entreprises. Cet élan ne sera possible que si nous recevons un accompagnement visant à aider l'agriculture française à passer ce cap. Nous parlons des engrais minéraux parce qu'ils constituent le point noir de l'empreinte carbone de nos cultures, alors que nos sites de production d'engrais organiques ou de biostimulants ont consenti des investissements conséquents pour réduire leur empreinte carbone. Nous avons besoin de créer ce nouveau marché dédié aux engrais décarbonés, qui n'existe pas vraiment.

Nous attendons un soutien des gouvernements européens en faveur des agriculteurs dans cette période, que nous souhaitons la plus courte possible.

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J'essaie de comprendre pourquoi la production carbonée, qui doit continuer le temps que la décarbonation s'impose, s'effondre. Pourquoi ne sommes-nous pas capables, en attendant les nouvelles productions, de continuer à produire cet engrais carboné ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Les agriculteurs doivent procéder à un choix pour la compétitivité de leur exploitation. Changer de forme d'engrais pour un produit moins cher est un choix que nous comprenons parfaitement. Un agriculteur sera tenté d'acheter de l'urée à un prix moins élevé pour assurer la rentabilité de son exploitation.

Comment protéger le marché européen de ces importations ? Nous attendons beaucoup du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, le MACF. Il vise à protéger nos productions européennes, dont le profil environnemental et carbone se révèle meilleur, à hauteur de 50 à 60 %, que celui des engrais importés. Le MACF sera en place en 2026.

Nous traversons une période assez critique, qui mérite que l'on apporte un soutien à nos agricultures et à nos sites. C'est une démarche globale. Notre souveraineté industrielle est liée à la compétitivité des agriculteurs français et européens dans un marché mondialisé.

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Vous avez évoqué la levée des droits de douane concernant l'urée russe, quand, dans le même temps, le gaz était soumis aux sanctions. Finalement, nous nous sommes un peu tiré une balle dans le pied. Nous pénalisons l'importation de gaz qui sert à la production d'ammoniac et nous levons les droits de douane sur l'urée. Vous nous avez dit qu'il n'y a jamais eu de difficultés d'approvisionnement en engrais. Quel regard portez-vous sur ces choix ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

L'urée et l'ammoniac ont fait l'objet d'une suspension temporaire des droits de douane. Celle-ci a été finalement levée pour soutenir les productions européennes. La difficulté, aujourd'hui, est liée aux sanctions appliquées à la Russie. Nous avons participé dernièrement à une réunion constructive avec les équipes du ministère des affaires étrangères pour savoir comment mesurer, à l'échelle européenne, l'efficacité de ces sanctions. Concrètement, les importations n'ont pas été freinées. Le but est d'avoir une vision par secteur de l'application des sanctions. Il me semble que la Commission européenne se penche sur le sujet.

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Vous êtes engagés dans une transition. La production d'hydrogène par électrolyse suppose des créations de capacités industrielles. Voyez-vous des freins à ces développements en France ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Encore une fois, c'est une question de visibilité du marché. Comment soutenir l'agriculteur dans son choix d'acheter des fertilisants décarbonés ? Aujourd'hui, le marché n'existe pas, pas plus que le soutien clair aux engrais décarbonés.

Il faut aussi parler de l'accès à une énergie à un prix compétitif pour alimenter les électrolyseurs. Le premier frein à ces investissements, très lourds, est celui de l'existence d'un marché. La création d'un bonus ou d'une incitation serait un signe en faveur des agriculteurs ayant choisi d'accélérer la décarbonation de leur production. Si la France était le premier pays à mettre en place cette incitation, elle serait imitée par les autres pays européens. Tous les pays s'accordent à dire que la démarche doit être menée si l'on souhaite que l'Europe soit l'exemple à suivre en matière de décarbonation des productions agricoles. En termes de visibilité, ce serait un signe très positif. Les investissements pour créer ou transformer les sites sont importants.

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Vous dites que l'engrais décarboné serait deux fois plus cher que l'ammoniac carboné. Est-ce par rapport aux coûts actuels de l'engrais ou bien avant le conflit ukrainien ?

Voyez-vous, à moyen terme, des possibilités de gagner en productivité et de baisser le coût de l'engrais décarboné ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Je vous livre la vision actuelle du marché. Lorsque j'ai commencé à travailler dans ce secteur, nous étions au-dessus. La mobilisation pour accéder à une énergie renouvelable en France génère une forte dynamique. Le fait que l'énergie nucléaire ait été reconnue comme une énergie bas carbone est l'atout de la France. Nous observons un accès à l'électricité qui peut rapidement atteindre un prix compétitif par rapport aux États-Unis et au programme IRA.

Des projets se font jour à tous les niveaux. Certains sites pourraient fonctionner à l'énergie photovoltaïque, notamment en Australie. Je pense aussi à l'éolien, à l'hydroélectricité. Une vraie dynamique de recherche est initiée. Il est encore trop tôt pour préciser la perspective, mais nous constatons un soutien en faveur des acteurs pour les aider à profiter d'une énergie compétitive.

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L'électrolyse s'accompagne d'une consommation stable. Si vous vous appuyez sur le photovoltaïque, il sera difficile d'avoir de l'énergie la nuit.

Ma dernière question concerne la potasse et le phosphore, au sujet desquels vous dites qu'il n'existe pas de mines en France. Savons-nous s'il reste de la ressource à exploiter ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Les mines les plus connues ont été fermées en Alsace. Ces fermetures s'expliquent sûrement par l'épuisement des ressources.

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Florence Nys, déléguée générale de l'UNIFA

Il y a également une raison qualitative. Même si nous parlons de P, K et N, le travail consiste à rechercher la qualité pour la nutrition et l'innocuité. Ces mines françaises n'étaient plus adaptées au marché et n'offraient plus la ressource nécessaire.

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Je pars du constat émis par le président, à savoir la dépendance structurelle typiquement française aux engrais minéraux. En dépeignant votre filière, vous avez évoqué les producteurs, les formes entrepreneuriales que vous représentez, mais aussi les quatre types d'engrais que vous proposez, à savoir les minéraux, les organiques, les amendements divers et les biostimulants. Vous avez parlé de mixité de la réponse de demain. Nous sommes confrontés, comme nous l'avons vu lors des précédentes auditions, à ce fameux sujet de la transition climatique dans laquelle s'inscriront les futures démarches agricoles, notamment les vôtres.

Pouvez-vous nous préciser les pistes que vous-même envisagez ? Je parle du rééquilibrage de la demande et de l'offre. Nous pouvons prendre le problème par tous les bouts, force est de constater que nos sols agricoles, lorsqu'ils sont amendés aux engrais minéraux classiques, s'appauvrissent davantage, notamment dans la rétention d'eau, que s'ils étaient enrichis parallèlement aux engrais organiques. Ils sont plus facilement soumis au lessivage et génèrent des eaux souterraines plus polluées.

N'avons-nous pas l'opportunité de répondre d'une façon plus équilibrée en renforçant cette mixité ? Quelles propositions organiques pouvez-vous faire en faveur du monde agricole de demain ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Aujourd'hui, les agriculteurs français n'utilisent pas qu'un seul type d'engrais. Nous savons qu'une plante a besoin d'un bol alimentaire complet, apporté par les engrais minéraux mais aussi par les engrais organiques élaborés. Nous sommes en capacité d'améliorer la qualité de ces engrais organiques pour nourrir la plante et interagir sur la santé du sol. C'est la raison pour laquelle nous sommes des acteurs de la nutrition des plantes et de la santé des sols. Cet aspect n'est pas suffisamment pris en compte selon l'UNIFA. Nos experts et adhérents travaillent sur le sujet. L'objectif est d'associer ces solutions pour entretenir le microbiote racinaire des plantes. Ce microbiote facilite l'assimilation des nutriments. Notre travail consiste à améliorer ces signaux et ces interactions entre la plante et son microbiote racinaire afin de réduire les pertes au champ. Je vous parle de l'organique, du minéral, mais il faut savoir qu'un agriculteur sur trois utilise des biostimulants en France. Ces biostimulants peuvent être d'origine végétale ou issus d'algues ou de micro-organismes. Ils nous permettent d'entretenir ce microbiote.

Les agriculteurs attendent des solutions adaptées à leur situation et à leur programme cultural. Nos entreprises étudient les microbiotes, à l'aide notamment de biotechnologies qui nous apportent une connaissance plus fine des bactéries qui entrent en symbiose avec les racines des plantes. Ce travail nous permet d'orienter la vie des sols afin de faciliter l'absorption et la disponibilité de ces nutriments déjà présents dans le sol.

Le but est de montrer l'impact sur la vie du microbiote et la santé du sol. En gérant correctement le pH du sol par des amendements, nous réduisons les émissions de protoxyde d'azote. Nous communiquerons toutes ces données à notre prochaine assemblée générale.

Nous voulons également travailler avec les instituts de recherche publics et les instituts techniques pour savoir comment traduire ces éléments auprès des agriculteurs. Il faut leur proposer des solutions clés en main. Nous sommes convaincus que la fertilisation associée à différentes formes d'engrais permet à chaque nutriment de bien arriver à la plante. Il faut aussi savoir mobiliser les ressources nutritives présentes dans le sol des agriculteurs.

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N'est-ce pas une réponse pertinente aux importations et pour l'amélioration du bilan de nos cultures ? En réduisant la part des engrais de première catégorie et en favorisant les deux ou trois autres, n'améliorons-nous pas notre souveraineté ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

L'impact sera important. La question est de savoir comment nous mesurerons cet impact. L'UNIFA formalise cette approche, avec le souhait de la partager avec les organismes et les instituts techniques afin de mesurer concrètement cet impact. Comme je vous le disais, nous profitons d'un maillage au plus près des agriculteurs à travers nos quatre-vingt-deux sites. L'objectif est d'améliorer la santé des sols, de mobiliser au mieux la capacité du microbiote des plantes et, en fin de compte, de renforcer notre souveraineté nationale en matière d'engrais. Néanmoins, nous resterons toujours dépendants des matières premières.

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La France importe totalement son urée. Sauf erreur, votre entreprise a racheté en 2010 une société française qui produisait de l'urée. L'entreprise n'en produit plus aujourd'hui. Pourquoi ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Ce rachat correspond à une décision du groupe. Je suis auditionnée aujourd'hui au titre de l'UNIFA. Je vous propose de vous répondre après la séance, si vous en êtes d'accord.

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Cette décision est-elle protégée par le secret des affaires ? Sinon, on m'indique que vous êtes tenue de répondre.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Je ne connais pas la réponse, puisque j'ai rejoint l'entreprise il y a deux ans et demi.

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Monsieur Tanguy, souhaitez-vous une réponse immédiate ou pouvons-nous laisser Mme Guey vous proposer une réponse écrite ?

L'administration m'indique que si le sujet est protégé par le secret des affaires, vous n'êtes pas tenue de répondre dans l'immédiat. Sinon, vous devez répondre.

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Je ne suis pas en mesure d'exiger une réponse. En tant que représentante de la filière, vous avez constaté que la France ne produit pas d'urée. Vous travaillez pour une entreprise qui a fermé une usine de production d'urée. Vous pouvez répondre en tant que représentante de filière. Pourquoi une usine, quelle qu'elle soit, qui produisait de l'urée, n'en produit plus ? Est-ce un choix d'entreprise ? Est-ce un abandon d'un gouvernement ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Pour être plus précise, et je réponds avec ma casquette Yara, il existe toujours un site en France qui produit de l'urée. Cette urée est destinée au marché industriel. Notamment, nous sommes le dernier site à produire de l'AdBlue pour les voitures qui fonctionnent au diesel. C'est un marché totalement différent.

Pour répondre à votre question, je me tournerai vers mon entreprise. Je pense que c'est simplement un problème de compétitivité. Comme je le disais au début, les agriculteurs français utilisent préférentiellement l'ammonitrate. L'ammonitrate est d'ailleurs la seule forme décarbonable par rapport à l'urée. L'urée doit passer par une phase d'hydrolyse au champ par des enzymes, les uréases. Afin la rendre accessible et assimilable par la plante, elle va redégager son CO2. Le choix fait en France privilégie l'ammonitrate, qui est la forme la plus adaptée aux conditions pédoclimatiques.

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Votre réponse est faite sous serment et il me semble important que vous apportiez une réponse écrite, au titre de vos deux fonctions puisque votre entreprise appartient à la filière que vous représentez. À l'issue de la commission, idéalement avant la fin de la semaine, il serait opportun que vous nous adressiez une réponse écrite, destinée à Jean-Philippe Tanguy, Grégoire de Fournas et moi-même.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

C'est bien noté.

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Un plan social, ou en tout cas une réaffectation de site, est en cours à Montoir-de-Bretagne. Deux plans industriels se dessinent. Le premier permet de produire en France, le second ne le permet pas. Les entreprises restent libres de leurs choix d'investissement. En France, nous traversons une crise majeure de souveraineté au sujet des engrais. Un site dédié à la production d'engrais est appelé à être transformé en terminal d'importation des engrais. Des syndicats de salariés ont proposé un projet alternatif.

Comment expliquer qu'un arbitrage favorise l'importation d'engrais au lieu de la production d'un outil qui existe ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Je vous réponds en tant que représentante de Yara. En effet, cette usine située à Montoir-de-Bretagne produit exclusivement des engrais composés type NPK. Le marché des engrais composés NPK, depuis vingt ans, baisse de 5 % chaque année. Nous avons subi – 40 % l'année dernière. Les agriculteurs ne consomment plus ces engrais, car ils ont été remplacés par des engrais de mélange et par l'approche sur mesure que j'ai décrite.

La raison économique est claire : le marché disparaît. Le projet présenté aux représentants du personnel consiste justement à transformer le site en plateforme d'importation et en unité de mélange pour pouvoir fournir ces engrais spécifiques sur mesure et répondre aux nouvelles attentes des agriculteurs, qui adoptent une approche d'agriculture régénérative, une approche de solution plus complète. Cette plateforme d'importation a aussi pour ambition de pouvoir rapidement introduire sur le marché français les engrais, notamment décarbonés.

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Yara a fermé un certain nombre de sites industriels. J'aimerais comprendre l'historique de la filière de production d'engrais dans notre pays. Quelle est la structure de vos adhérents ? S'agit-il d'acteurs étrangers ou français ? Ces acteurs étrangers ont-ils créé des sites propres en France ? Ont-ils racheté des sites français ?

Aujourd'hui, ceux qui sont en charge de la filière d'engrais française ont-ils des intérêts à ce que la France soit souveraine sur ces engrais, ou défendent-ils des intérêts d'entreprises légitimes ? La mission sociale de Yara est-elle que la France soit souveraine en engrais ? Pouvons-nous chercher la souveraineté française si vos adhérents représentent une somme d'intérêts sociaux, au sens juridique du terme, étrangers ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Nous vous communiquerons la liste des trente-cinq adhérents, sauf si vous souhaitez que je vous la cite maintenant.

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Florence Nys, déléguée générale de l'UNIFA

Puis-je avoir une définition claire d'une entreprise entièrement française ?

Les engrais minéraux qui font du NPK représentent 65 % des emplois en France. Je peux citer l'entreprise Timac Agro, l'un des plus importants acteurs économiques français dans le secteur des engrais. C'est une entreprise exportatrice, elle avait un site en Ukraine, elle possède des sites au Brésil.

Nous sommes dans un système où tout le monde fabrique des produits et exporte. L'ambition d'une entreprise française est aussi d'exporter certains produits. Les biostimulants, par exemple, sont des produits très dynamiques en termes de marché, mais représentent une facilité d'exportation différente de celle des produits de commodité.

Nos adhérents se composent effectivement d'acteurs étrangers, si vous considérez que Yara, norvégien d'origine, est un acteur étranger. Nous sommes pluriels.

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Le fait de demander de la repréciser est une forme de réponse.

Si je reçois des représentants de la filière automobile en France, qu'il s'agisse de Renault, de Stellantis ou de Toyota, ils seront capables de quantifier les entreprises françaises qui défendent la filière automobile française. Je veux bien que l'on s'enferme dans des définitions juridiques de ce qui est français, mais si l'on n'est pas capable, dès lors que l'on représente une filière industrielle, de préciser la part des acteurs français et étrangers, cela me paraît surréaliste.

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Florence Nys, déléguée générale de l'UNIFA

Je vous ai cité l'exemple d'un représentant majeur du secteur des engrais minéraux français. Nos adhérents se composent également de PME familiales françaises de troisième génération, au nombre de trois ou quatre. La crise énergétique les a impactées, elles sont peut-être plus fragiles. Ces entreprises produisent dans un souci de qualité et s'imposent comme des acteurs spécifiques dans la production d'engrais organiques minéraux pour l'agriculture, principalement la viticulture et le maraîchage.

Si vous le souhaitez, nous pourrons vous détailler la liste de nos adhérents – qui compte aussi des entreprises étrangères, venant par exemple d'Israël –, dont certains gèrent des sites et d'autres pas.

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Florence Nys, déléguée générale de l'UNIFA

Oui.

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Quel est le ratio entre les entreprises françaises et les entreprises étrangères ?

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Florence Nys, déléguée générale de l'UNIFA

Le critère d'adhésion consiste à avoir un site de production industrielle en France ou en Europe. Aujourd'hui, nous comptons trente-cinq sites qui répondent à ce critère.

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Combien de sites français le groupe Yara a-t-il rachetés ? Dans combien de sites a-t-il investi ? Ma question vise à savoir si vous avez remplacé les entreprises françaises.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Yara possède trois sites de production en France. Le premier est situé à Ambès, dans le port de Bordeaux. Le deuxième se trouve dans le port de Saint-Nazaire, à Montoir-de-Bretagne. Le dernier est au Havre.

Je pourrai vous communiquer l'historique des rachats de Yara, qui est un acteur européen. La majeure partie de nos sites de production se situe sur le territoire européen, où nous gérons dix-huit sites hors Norvège.

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Vous avez dit que vous aviez assisté, en tant qu'actrice économique, à de nombreuses lois de programmation agricole. À vos yeux, combien de ces programmations ont vraiment considéré la question des engrais souverains comme importante, et non pas comme une variable d'ajustement ? Y a-t-il eu un changement entre les lois ? Est-ce progressif ? Entre l'occupation de la Crimée et les difficultés dans le Donbass, on vous a peut-être fait savoir qu'il serait préférable de diminuer notre dépendance envers la Russie ou autre régime totalitaire, à l'instar de la Biélorussie. Jusqu'à une période très récente, ces sujets n'intéressaient personne.

J'ai cru comprendre qu'aux États-Unis, à la suite des tensions apparues sur le marché mondial des engrais, un programme d'amplification de production de fertilisants avait été initié. Ce programme prévoit des dotations de 500 millions à 3 milliards de dollars. Ce plan existe-t-il ? La filière a-t-elle demandé un plan équivalent en Europe ou en France ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Lorsque je parlais de mon expérience agricole, je faisais allusion aux projets de loi susceptibles de fixer une orientation à l'agriculture française. Je ne parlais pas des engrais. Je ne suis donc pas en mesure de vous dresser un historique des différentes lois agricoles qui ont pu influencer la production d'engrais.

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Florence Nys, déléguée générale de l'UNIFA

Je ne suis pas certaine non plus de pouvoir répondre directement. Nous devons aussi appliquer les directives européennes, qui passent par une procédure législative nationale. Je pense par exemple à la directive sur les nitrates, parfaitement contrôlée et maîtrisée, s'agissant en tout cas des producteurs d'engrais. Je ne saurais pas vous dire s'il existe un focus spécifique qui nous concerne.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Je réponds à votre question relative aux États-Unis. En effet, le programme IRA a été mis en place pour soutenir la construction de nouveaux sites de production d'ammoniac décarboné. Je vous ai parlé de l'ammoniac issu de l'électrolyse de l'eau, c'est-à-dire l'ammoniac décarboné vert. Les Américains misent sur l'ammoniac bleu, qui résulte d'une production permettant de capter le CO2 avant de le liquéfier et de le stocker. Le programme mis en place vise à soutenir cette production, qui représentera quand même un atout pour le territoire européen. Nous importerons ces engrais de nos sites.

La France a relevé l'intérêt de mettre en place des systèmes de CCS, les systèmes de captage et de stockage du carbone, notamment dans les grandes zones portuaires comme le site du Havre. Un consortium est en cours de création. Le Gouvernement a reconnu l'importance de soutenir, dans une période de transition, cet ammoniac décarboné par CCS pour accélérer, encore une fois, la décarbonation

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Si je comprends bien, vous recevez des directives assez claires et des demandes de planification pour décarboner votre production. Je vous pose à nouveau ma question : des directives sont-elles lancées pour encourager la souveraineté française ou européenne en matière de production d'engrais ? Nous pouvons estimer qu'il est aussi important de lutter contre l'effet de serre que de nourrir nos habitants.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Aujourd'hui, nous ne pouvons pas être indépendants s'agissant d'une bonne partie des matières premières de nos engrais du fait que nous ne les produisons pas en France.

En ce qui concerne les amendements et les fertilisants organiques, le contexte est différent. Nous pouvons augmenter nos capacités de production, à la condition que nous soyons en mesure d'accéder aux matières premières, qui peuvent aussi être utilisées pour produire de l'énergie. Je pense par exemple aux produits de l'élevage utilisés par nos adhérents dans l'élaboration des engrais organiques.

Notre souveraineté en matière d'engrais minéraux passe par la sécurisation de l'approvisionnement en matières premières. Nous avons évoqué la diversification de cet approvisionnement. Le souhait est bien de confirmer et de poursuivre cette diversification. Nous observons les nouveaux comportements de certains États, qui s'associent à d'autres. La diversification sécurise l'apport des matières premières dédiées à nos engrais.

L'innovation constitue un point fort. J'en reviens à la fertilisation associée, avec une approche locale des acteurs locaux, en réponse aux besoins des agriculteurs. La démarche permettra de sécuriser davantage nos productions, dès lors que la filière intégrera cette approche sur laquelle nous communiquerons cette année. Nous faisions déjà de la fertilisation associée, mais pas sur l'entièreté de nos fertilisants. Aujourd'hui, l'objectif est de généraliser la pratique, d'aider les agriculteurs à trouver des solutions qui réduisent leur impact climatique et de confirmer le niveau de production pour assurer notre souveraineté alimentaire.

Sans souveraineté industrielle, la souveraineté alimentaire disparaît. Des acteurs ont fait le choix de la France à travers leurs investissements. Ils contribuent à la décarbonation en réponse aux attentes du Gouvernement et des agriculteurs. Il existe aujourd'hui des solutions qui renforcent notre souveraineté en matière d'engrais, tout en sachant que nous ne serons jamais autosuffisants s'agissant de certaines matières premières, pour des raisons essentiellement géologiques.

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Je n'ai pas bien compris si un plan avait été mis en place et j'en tire des conséquences personnelles.

Selon vous, nous n'avons pas de ressources propres. Votre filière a-t-elle procédé à des recherches géologiques ? Les études montraient par exemple qu'il était impossible de trouver de l'hydrogène blanc sur terre, mais on a fini par en trouver.

Vos propos se fondent-ils sur des recherches géologiques réelles ou sur ce que vous estimez devoir penser aujourd'hui ? Votre filière intègre-t-elle des entreprises chargées d'exploiter des mines ? Des acteurs exploitent-ils des mines de phosphate ou de potasse ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

C'est le cas en Allemagne. Leur métier consiste à savoir où ils peuvent trouver de nouvelles ressources, en s'appuyant sur leurs experts en géologie.

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Des recherches ont-elles été lancées en France ou chez nos partenaires européens ? D'après mes recherches sur les mines alsaciennes, leur exploitation apparaissait plus coûteuse que les chantiers d'excavation dans des pays peu soucieux des conséquences environnementales et sociales. Décarboner la production finale mérite d'être salué, mais si cette exigence impose de sacrifier des contrées entières et leurs habitants, nous pouvons estimer que tout cela reste très relatif.

J'aimerais donc savoir si les impossibilités géologiques sont avérées ou si elles correspondent plutôt à des choix économiques.

J'ai l'impression que certains processus industriels de votre filière souffrent d'une véritable médiocrité technologique. La rentabilité semble davantage s'appuyer sur les délocalisations, la baisse du coût du travail et des normes environnementales. Les processus engagés aux États-Unis se fondent sur une exploitation massive du gaz de schiste, même si vous l'appelez gaz bleu. Pour moi, c'est un gaz gris, aussi polluant que le méthane, voire plus.

Initiez-vous vraiment des démarches de recherche pour permettre à l'Europe de prétendre à sa souveraineté en respectant l'environnement et les travailleurs ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Les sites de production des adhérents de l'UNIFA, en France ou en Europe, présentent une empreinte environnementale parmi les plus faibles en Europe et par rapport aux autres pays du monde. Nous considérons que les engrais produits en Europe ont un profil environnemental de 50 à 60 % plus réduit, s'agissant par exemple des gaz à effet de serre.

Je cite l'exemple de la technologie catalytique, reconnue comme l'une des meilleures techniques disponibles à l'échelle européenne. Cette innovation a permis de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre de nos sites.

Je ne peux pas laisser dire que notre secteur n'est pas innovant : bien au contraire ! Nous disposons de centres de R&D, en France ou en Europe, qui travaillent avec les instituts publics, notamment sur les outils d'aide à la décision. Ce sont nos entreprises qui, les premières, ont développé ces technologies qui déterminent avec un degré de précision exceptionnel le besoin nutritionnel des plantes.

Vous parlez peut-être d'innovations de rupture. Nous en avons justement une, celle consacrée à la production d'engrais décarboné.

Il me semble que notre secteur a joué un rôle innovant, notamment grâce à ses investissements en R&D conséquents. Certaines de nos entreprises localisées en France collaborent avec des chercheurs universitaires ou de l'INRAE. Nous participons à de nombreux consortiums de recherche, si je peux parler de consortiums.

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Dans cinq ans, produirons-nous davantage d'engrais sous différentes formes en France et dans le Marché commun ou en produirons-nous moins ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Je reviens encore une fois sur notre approche de la fertilisation associée. Ce n'est pas une question de quantité. Nous avons constaté la baisse de la consommation d'engrais en France et en Europe grâce aux innovations et à une connaissance plus fine du besoin nutritionnel des plantes. Il faut faire en sorte que chaque nutriment apporté soit consommé par la plante. C'est bien notre enjeu, qui guide nos programmes de recherche.

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J'aimerais connaître la part que les industries de la fertilisation consacrent à la recherche et à l'innovation et pour quel montant. Sommes-nous plutôt dans une évolution positive ou négative ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

En 2023, cette part s'est établie à environ 54 millions d'euros. Elle a augmenté par rapport à l'année précédente. Nous pourrons vous communiquer nos chiffres des dix dernières années, ce qui vous permettra de constater la nette progression.

Il est en revanche plus difficile de vous préciser le pourcentage, au regard de la diversité de nos entreprises adhérentes. Néanmoins, il est tout à fait possible de le calculer.

L'innovation reste stratégique pour nos entreprises, justement pour trouver ces nouvelles solutions et être compétitives.

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Notre commission d'enquête se consacre aux raisons de la perte de souveraineté alimentaire. Dans toutes nos précédentes auditions, la question des engrais a été récurrente et s'est imposée presque comme une priorité, au-delà de la production agricole. La question des intrants est considérée comme primordiale.

Notre commission d'enquête doit trouver les raisons qui expliquent l'effondrement de la production d'engrais en France, source de nombreuses difficultés géopolitiques ou économiques.

N'hésitez pas à nous transmettre des chiffres complets. Les entreprises que vous représentez ont peut-être été confrontées à un contexte économique et réglementaire ou à un manque de vision stratégique ayant contribué à baisser la production. Elles ont peut-être aussi procédé à des choix, qui pourraient être jugés comme contestables.

Vous disiez que l'UNIFA représentait 58 % des livraisons d'engrais. Quelles sont les entreprises restantes ?

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Florence Nys, déléguée générale de l'UNIFA

Nous interrogeons l'ensemble des acteurs, des adhérents et des producteurs. Certaines entreprises sont des fournisseurs d'engrais de mélange, regroupées au sein d'une structure appelée l'AFCOME (Association française de commercialisation et de mélanges d'engrais). Il s'agit surtout de coopératives. Elles importent des produits qu'elles retravaillent sous la forme de commodités. Il s'agit en fait de l'aval ayant intégré une partie de la chaîne de valeur. Ces structures produisent pour l'agriculture sans se placer dans le périmètre industriel que nous avons défini au départ.

Une autre partie correspond à des déclarations de livraisons d'importations.

Il existe une différence, sur le marché, entre nos produits et les leurs, mais ce sont aussi des acteurs dudit marché.

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J'essaie de mieux comprendre. Tous les producteurs français sont-ils adhérents de l'UNIFA ?

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Florence Nys, déléguée générale de l'UNIFA

Certains possèdent des sites en Europe mais ne sont pas adhérents de l'UNIFA. Ce sont des choix d'entreprise. Quelques acteurs, mais leur nombre est minime, ne sont pas adhérents, en tout cas dans la filière des engrais minéraux.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Nous avons élaboré treize propositions concrètes pour renverser la tendance. Elles sont liées aux raisons de cette perte de la souveraineté industrielle en France. Nous revenons donc aux sujets clés.

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Vous avez longuement exposé votre stratégie de décarbonation. Pour ma part, cela reste quand même une inquiétude parce que c'est une production assez énergivore. Elle repose essentiellement sur la production nucléaire.

Je n'ai pas bien compris comment les énergies renouvelables pouvaient être capables d'accompagner une production stable capable de satisfaire la consommation de vos installations.

Dans le même temps, il n'est pas fait mystère des inquiétudes sur la capacité du parc nucléaire de pouvoir répondre à la croissance de la consommation.

Notre commission d'enquête vise aussi à trouver des solutions et des axes d'avenir. Nous nous demandons de quelle manière cette voie de décarbonation pourra être suivie.

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Nos sites de production d'ammoniac gris sont déjà très énergivores, c'est-à-dire qu'on passe d'une énergie à l'autre. Vous avez raison, nous fonctionnons en continu 24 heures sur 24. Lorsque je parle des expérimentations sur l'éolien, l'hydroélectrique ou le photovoltaïque, l'objectif est de pouvoir utiliser toutes les formes d'énergie et d'accéder à toutes ces formes d'énergie renouvelable ou bas carbone comme le nucléaire.

C'est la raison pour laquelle j'ai insisté sur l'étape de transition qui est l'ammoniac bleu. Dans un premier temps, on pourra capter et stocker le carbone, ce qui permettra une montée en puissance progressive de l'ammoniac vert, avec bien sûr l'objectif d'atteindre la décarbonation totale d'ici 2050.

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La captation du carbone dans les sites actuels renchérit-elle le coût de l'engrais, au même niveau que celui de l'hydrogène vert ?

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Delphine Guey, présidente de l'Union des industries de la fertilisation

Nos entreprises sont issues de la chimie, c'est-à-dire que nous produisons du CO2 extrêmement pur, déjà capté dans notre process. Le surcoût s'explique par le transport maritime de CO2 liquéfié et par le stockage.

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Mesdames, je vous remercie pour cette audition très intéressante. Nous attendons vos réponses écrites aux questions de M. Jean-Philippe Tanguy, si possible avant la fin de la semaine.

La séance s'achève à dix-huit heures cinquante

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Vincent Bru, M. Grégoire de Fournas, M. Jordan Guitton, M. Serge Muller, M. Hubert Ott, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, Mme Juliette Vilgrain

Excusé. – M. Benoît Bordat