C'est avec plaisir que nous vous présentons notre filière face aux enjeux de souveraineté alimentaire. Il est vrai que nous sommes peut-être un peu moins présents dans les débats autour de l'agriculture, mais nous le sommes davantage dans les débats sociétaux autour de cette thématique, notamment concernant les nouvelles techniques génomiques (NGT).
Je m'appelle Pierre Pagès. Je suis agriculteur multiplicateur de semences dans le Sud-Ouest, dans la région de Pau. Je suis président de l'Interprofession des semences et plants depuis septembre 2022. SEMAE s'inscrit dans une alternance de représentation avec les entreprises. Je suis également vice-président de la coopérative Euralis à Pau et responsable de toutes les activités de semences. À ce titre, je préside Lidea, la société filiale de semences du groupement.
SEMAE regroupe tous les acteurs de la filière des semences plants et a des missions de concertation et de dialogue. Il convient toutefois de noter une certaine spécificité. En effet, depuis notre fondation en 1962, une mission de service public nous a été confiée par l'État pour assurer toute la certification des semences et leur contrôle sanitaire. En 2021, nous avons encadré cette mission avec un contrat d'objectifs et de performance passé avec le ministère de l'agriculture. La filière est très diverse. SEMAE compte cinquante-quatre organisations professionnelles dans cinq collèges.
Parmi les acteurs, on peut noter cinq ou six grands groupes, souvent mondiaux. Soixante-dix entreprises exercent des activités de sélection et de création variétale de semences en France. Nous comptons également 17 000 agriculteurs multiplicateurs, 250 entreprises qui produisent des semences sur notre territoire et 6 000 entreprises de distribution, à la fois des coopératives, des sociétés de négoce agricole pour le secteur professionnel et des distributeurs grand public. Quelque 16,5 millions d'amateurs de jardin et 390 000 agriculteurs utilisent nos semences. Neuf centres de conservation de ressources phytogénétiques sont membres de l'interprofession ainsi que des artisans semenciers entrés à la suite d'une réforme d'ouverture de l'interprofession il y a quatre ans.
De nombreuses attentes pèsent sur le secteur. Nous avons la mission de fournir des semences de qualité et en quantité suffisante. À ce titre, nous sommes un pilier de la souveraineté alimentaire. Par ailleurs, les semences doivent être productives. Enfin, nous faisons face à des attentes liées à de nouveaux défis, notamment les transitions agroécologiques et les changements climatiques. On attend de nos semences une meilleure adaptation au milieu, une résistance aux bioagresseurs, la maîtrise des intrants et une meilleure utilisation de l'eau. Les plantes de service à travers les couverts végétaux jouent également un rôle important. Les acteurs de la filière attendent de nous un maintien de la capacité de création variétale et de production ainsi qu'un accompagnement de la transition.
Aujourd'hui, la filière représente un chiffre d'affaires de 3,9 milliards d'euros, 11 000 emplois, des investissements entre 11 et 15 % du chiffre d'affaires de la filière et 372 000 hectares de production en France, premier pays producteur européen. La France est le premier exportateur mondial en semences agricoles et le deuxième toutes semences confondues. Elle est le premier exportateur européen, avec une balance commerciale excédentaire de 1,2 milliard d'euros, qui ne cesse de progresser. Les exportations s'établissent à 2,2 milliards d'euros, soit un peu plus de 50 % du chiffre d'affaires. Le premier secteur d'exportation concerne les semences de maïs, de sorgho et d'oléagineux, essentiellement de tournesol. Nous exportons d'abord au sein de l'Union européenne des semences de grandes cultures, dans les pays tiers dans un second temps.
Je tiens à émettre une alerte : en 2022-2023, pour la première fois, les exportations ont augmenté en valeur, en lien avec la hausse de tous les produits agricoles, mais ont baissé en volume. En effet, les tensions politiques nous impactent, notamment le conflit entre la Russie et l'Ukraine. Notre flux d'exportation d'oléagineux vers la Russie est très significatif et des entreprises, dont la mienne, sont installées dans le pays. Elles possèdent des outils industriels et nous rencontrons de grandes difficultés d'exportation qui font évoluer les équilibres en Europe. La Russie se repositionne et recentre la production de semences sur son territoire. Or, la Russie est le premier pays tiers client de la France.
En outre, comme je l'expliquais au ministre du commerce extérieur au Salon de l'agriculture, l'Ukraine est devenue un pays important en production de semences de maïs ; elle a accès à l'exportation vers l'Union européenne et nous concurrence. Ce sujet est une vraie préoccupation et nous avons demandé à la filière maïs d'activer une clause de sauvegarde pour les semences afin de tenter de protéger notre marché européen contre les importations de semences ukrainiennes.
Nous devons faire face à des fragilités de production puisque nous sommes soumis au dérèglement climatique, avec des aléas importants. Ainsi, en 2022, nous avons été confrontés à la baisse des moyens de production. Certaines espèces de production de semences sont sans protection des plantes. Or le marché est très international et les opérateurs trouvent des solutions ailleurs pour produire des semences que nous retrouvons ensuite sur le territoire européen et français. Il s'agit de petites productions, mais ce sont des signaux négatifs qui sont envoyés.
Enfin, les effets du réchauffement climatique sur la disponibilité en eau et la capacité de production génèrent des difficultés au sein des réseaux d'agriculteurs multiplicateurs, avec une diminution qu'on pense structurelle du nombre d'agriculteurs multiplicateurs de semences en France.
Il convient également de garder à l'esprit que notre filière est une filière d'innovation. La recherche constitue une part importante de nos activités et il est nécessaire de soutenir l'effort de recherche des obtenteurs pour conserver la position de la France. La recherche privée est aujourd'hui très peu présente sur nos activités. Or, dans un contexte de virage technologique comme celui des nouvelles technologies de sélection, de grands groupes internationaux lancent des brevets. Qui plus est, le débat sur la propriété intellectuelle émerge au niveau européen. Nous avons donc besoin que la recherche publique investisse davantage dans les technologies de sélection afin que les entreprises françaises aient accès à des innovations sans être obligées de passer par des entreprises internationales qui ont déjà breveté ces technologies. L'enjeu est réel.
Le financement dans le domaine de la recherche et du développement (R&D) est significatif. La filière n'a jamais demandé d'aide publique pour se structurer, malgré notre mission de service public. Le crédit d'impôt recherche (CIR) finance une partie non négligeable des activités de recherche. Environ 68 % des investissements de la recherche sont financés sur des fonds propres tandis que le CIR finance le montant restant.
Nous n'avons aucune visibilité pérenne sur le CIR, qui dépend de la loi de finances annuelle alors que nous aurions besoin de perspectives. La question du maintien du CIR se pose assez régulièrement, une question handicapante pour nos entreprises.
Enfin, nous avons besoin d'un cadre réglementaire européen. Auparavant, les règles de commercialisation fonctionnaient à travers douze directives et il n'existait pas d'harmonisation au niveau européen. La Commission européenne a proposé un texte afin de reformater toutes ces règles. Cette démarche est importante car il existe une distorsion de concurrence entre les États à travers la transposition des directives.
En parallèle, nous avons besoin d'un règlement sur les NGT. Ces technologies nécessaires à la transition mais ne sont pas encadrées, et les entreprises françaises et européennes n'investissent pas aujourd'hui sur ces sujets.