La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.
La commission procède à l'audition de M. André Bernard, président de l'ANIFELT (Association nationale interprofessionnelle des fruits et légumes transformés), Mme Myriam Emerit, vice-présidente, et Mme Victoire Cassignol, directrice, et de M. Laurent Grandin, président d'INTERFEL (Interprofession des fruits et légumes frais), et M. Alexis Degouy, directeur général.
Nous commençons nos auditions de la semaine en accueillant les représentants de l'interprofession des fruits et légumes frais et de l'interprofession des fruits et légumes transformés. Nous entendrons ainsi M. Laurent Grandin, président de l'Interprofession des fruits et légumes frais (INTERFEL), et M. Alexis Degouy, directeur général, ainsi que M. André Bernard, président de l'Association nationale interprofessionnelle des fruits et légumes transformés (ANIFELT), Mme Myriam Emerit, vice-présidente, et Mme Victoire Cassignol, directrice.
Mesdames, messieurs, je vous remercie de vous être rendus disponibles pour répondre à nos questions.
Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Laurent Grandin, M. Alexis Degouy, M. André Bernard, Mme Myriam Emerit et Mme Victoire Cassignol prêtent serment.)
L'ANIFELT regroupe les filières de fruits et légumes transformés – les légumes verts, la tomate d'industrie, le pruneau, la cerise, le champignon, le maïs doux, le chou à choucroute et les salades de quatrième gamme, dont les industriels qui les transforment sont avec nous – et l'Association française interprofessionnelle des fruits à destination multiple transformés (AFIDEM), qui traite notamment des pommes destinées à être transformées après un tri et du cassis. Un tiers des légumes et un quart des fruits produits en France passent par une étape de transformation – l'appertisation, la déshydratation, la surgélation, ou d'autres procédés moins répandus. La majorité de nos producteurs sont regroupés au sein d'organisations de producteurs (OP) régies par des interprofessions de branche, qui signent des accords pour chaque production, permettant un ajustement annuel des mises en culture de légumes aux besoins des industriels. Celles des fruits sont plus aléatoires, puisqu'une fois arraché, un verger ne recommencera à produire que dix ans après avoir été replanté. Cela explique les difficultés actuelles de la production de cerise d'industrie : il faudra des années avant de retrouver les vergers attaqués par les mouches drosophiles.
Les OP et les industriels passent des contrats qui prévoient un calendrier pour optimiser la récolte. Notre filière ne connaît jamais de crise conjoncturelle, mais elle est structurellement en crise : nous perdons en compétitivité depuis une vingtaine d'années par rapport aux autres pays, tant européens qu'extra-européens. Nous avons un défi à relever pour contribuer à la souveraineté alimentaire et faire cesser la dégradation d'une partie de nos filières.
Comme producteur de tomate d'industrie, je donnerai trois chiffres concernant cette filière : en 1985, nous produisions 400 000 tonnes pour 800 000 tonnes consommées – soit la moitié de notre consommation nationale ; en 2000, 350 000 tonnes pour 1 million de tonnes consommées – soit à peu près un tiers ; et, aujourd'hui, entre 150 000 et 160 000 tonnes pour 1,3 million tonnes de tomates consommées – soit 12 à 13 % de notre consommation. Nous commençons enfin à remonter la pente, mais la France importe toujours pour plus de 450 millions d'euros de produits à base de tomates – heureusement, le score n'est pas aussi mauvais dans toutes les autres filières ! Nous sommes confrontés à la diminution constante des moyens de protection des cultures contre les ravageurs et, dans certaines régions, et à la baisse des volumes de production faute d'un accès suffisant à l'eau, rendu plus compliqué encore par le réchauffement climatique – une politique d'aménagement serait nécessaire pour garantir la disponibilité de cette ressource. Quant au recrutement, nos besoins de main-d'œuvre concernent surtout les conducteurs d'engin, notre secteur étant pour l'essentiel mécanisé.
Structurée de longue date, notre filière fonctionne majoritairement de façon contractualisée avant campagne, système indispensable dans la mesure où nos outils de transformation ont besoin d'être continûment alimentés en matière première de façon à optimiser leur utilisation et à baisser les coûts de production, au bénéfice du consommateur. Historique, la contractualisation s'explique par la nature saisonnière de la production et la nécessité de faire intervenir la transformation dans un temps très court, avant la commercialisation sur l'année. Ces contraintes rendent indispensable un fort lien entre l'amont et l'aval. Le second ne peut se passer du premier, et la réciproque est vraie : à ne se préoccuper que de l'amont, on risquerait de laisser disparaître certaines filières.
Comme représentante du collège Transformation au sein de l'ANIFELT, je soulignerai, alors qu'il a été beaucoup question des problèmes de l'agriculture, la composante industrielle, qui est indispensable au maintien de notre souveraineté alimentaire. La modernisation des outils de transformation, la robotisation – essentielle dans un secteur qui peine de plus en plus à attirer, malgré nos efforts pour réduire la pénibilité –, la sobriété énergétique, les économies d'eau, et la décarbonation requièrent de lourds investissements, tout comme le moindre recours aux produits phytosanitaires dans les champs, puisqu'une matière première plus hétérogène à l'entrée des usines nécessite un tri de plus en plus performant. En perturbant la planification censée assurer une arrivée fluide de la matière première agricole, les aléas climatiques imposeront sans doute une augmentation de notre capacité de transformation instantanée, non pour produire plus, mais pour pouvoir traiter la matière première au moment de son arrivée. En effet, nous sommes de plus en plus fréquemment contraints de renoncer à la récolte de certaines parcelles à cause d'un goulet d'étranglement au niveau de l'usine, qui nous empêche de traiter toute la matière première arrivée à maturité à une date non conforme au calendrier prévu.
Pour préserver une filière, il faut aussi garantir une part de la valeur à chacun de ses maillons. Les relations avec nos clients de la distribution jouent donc un rôle crucial. À cet égard, les lois Egalim ont contribué à préserver les fondamentaux pour nos filières. La réflexion en cours, qui vise à les faire évoluer, ne doit surtout pas aboutir à en détricoter les acquis, notamment la sanctuarisation de la matière première agricole ou les dates butoir visant à prévenir les négociations permanentes, destructrices de valeur. Il reste encore à trouver une solution au problème des centrales d'achat internationales, qui contournent le droit français.
INTERFEL est une interprofession longue, constituée de quinze familles : la totalité des syndicats agricoles, la coopération, le groupement des OP nationales, les expéditeurs, les grossistes, la restauration collective, les importateurs et introducteurs, la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) et la Fédération du commerce coopératif et associé (FCA), ou encore Saveurs commerce, représentant le commerce de détail traditionnel. Collectif visant à dégager des axes consensuels, notre organisation représente entre 80 % et 90 % des fruits et légumes frais produits, distribués et finalement consommés, soit l'immense majorité des productions en cours sur le territoire, y compris en agriculture biologique. Nous n'opposons d'ailleurs ni les modes de culture ni les circuits de distribution, qui répondent à des situations différentes.
La production française représente 60 % de la consommation nationale de légumes et 40 % de celle de fruits. Il faut cependant corriger ce dernier chiffre, puisque les fruits tropicaux comme les bananes, les ananas, les avocats, et les mangues ne se produisent pas beaucoup sur le territoire, non plus que les agrumes – sans faire injure à nos amis corses. En tenant compte de ce que nous ne pouvons produire pour l'instant – peut-être le changement climatique modifiera-t-il la donne –, la production française de fruits représente, elle aussi, 60 % de la consommation nationale, ce qui n'est pas totalement satisfaisant.
La filière se signale par des disparités très caractéristiques : pour les productions mécanisées ou mécanisables, nous sommes presque toujours autosuffisants ou proches de l'autosuffisance ; toutes celles qui nécessitent au contraire beaucoup de main-d'œuvre et connaissent de ce fait des problèmes de compétitivité comme l'arboriculture – la cerise constitue l'exemple emblématique – ou le maraîchage non mécanisé tombent généralement à des niveaux très faibles dans la consommation nationale : encore 90 % pour la pomme, mais à peine 25 % pour le raisin. Plus un produit a besoin de main-d'œuvre et moins nous sommes performants ; ce n'est pas totalement systématique, mais révélateur dans l'ensemble.
Nous avons perdu près de 15 % de parts de marché dans la consommation en vingt ans, même en excluant les fruits tropicaux, dont la consommation a continué de progresser. Assez stables en goût, présentes toute l'année, ces productions sont plus faciles à repérer par le consommateur que celles qui présentent plus de variabilité dans le temps, puisque nous ne parlons pas de produits industriels transformés.
Nous avions de longue date abordé cette question avec les pouvoirs publics et demandé un soutien. M. Julien Denormandie avait décidé de lancer un plan de souveraineté pour la filière fruits et légumes et reçu l'aval de M. Jean Casteix. M. Marc Fesneau a eu le courage de reprendre le dossier – quatre-vingts espèces de produits rendent notre filière particulièrement complexe. Il en résulte aujourd'hui un plan décennal de 200 millions d'euros par an d'aides à l'investissement, auxquels la profession ajoutera au moins autant – soit 4 milliards d'euros au total – visant à mettre la filière à niveau et à retrouver de la compétitivité. Fondé sur des analyses que nous avons co-construites avec le ministère, ce plan s'articule en quatre volets.
Le premier vise à préparer la sortie des pesticides et à anticiper les interdictions, probables ou certaines. Nous réclamions depuis longtemps un tel système, faute duquel il n'y a plus assez de temps pour la recherche quand finit l'usage d'un produit phytosanitaire et les filières se retrouvent dans l'impasse – comme l'évoquait M. Bernard toute à l'heure à propos de la cerise, confrontée à la mouche drosophila suzukii. Nous avons dénombré soixante-quinze, peut-être quatre-vingts molécules, et identifié à la fois les risques de retrait imminent et les productions les plus exposées pour chercher des méthodes de substitution.
Le deuxième volet concerne les agroéquipements, pour lesquels nous recevons 100 millions par an, auxquels les professionnels ajoutent un peu plus, le financement public représentant entre 30 % et 40 % du total. Il s'agit de rénover les vergers, de décarboner les serres, d'améliorer les matériels d'irrigation et les divers moyens de protéger les cultures, car les solutions de demain ne seront que combinatoires.
On se propose de réduire de 50 % les volumes de phytosanitaires, mais à mauvais objectif, mauvais résultat : 50 % des volumes, cela ne veut rien dire. Mieux vaut s'attacher à réduire les produits les plus dangereux comme les cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques de première catégorie (CMR1), que nous avons fait baisser de 85 % en cinq ans, d'autant que les produits de phytocontrôle autorisés en bio nécessitent d'utiliser plus de volume. L'objectif que nous nous sommes fixé consiste à mesurer le risque plutôt que la quantité. S'agissant des agroéquipements, il faut chercher non pas la diminution des pesticides mais les raisons pour lesquelles on les utilise. En combinant filets protecteurs, progrès de la robotisation, systèmes parasitoïdes et d'insectes stériles, de confusion et de piégeage sexuels, nous parviendrons à réduire la pression des ravageurs. Si les raisons d'utiliser des pesticides disparaissent, je ne connais pas un agriculteur qui se lèvera le matin en disant : « Tiens, il fait beau, je vais traiter. »
D'une cohérence totale, notre plan de souveraineté prévoit aussi un appui à la recherche, jusqu'alors financée pour l'essentiel par les deniers de nos membres, à part quelques abondements. La lisibilité plus grande qu'il nous donnera pour les prochaines années permettra d'accélérer notre préparation aux problèmes du stress hydrique, aux retraits de pesticides, mais aussi de veiller à la régularité de la production, indispensable pour reprendre des parts de marché et accroître de 5 %, puis de 10 % la part de la production nationale dans la consommation, conformément aux objectifs fixés dans ce plan. Il nous faut donc protéger les cultures, avec des filets contre la grêle et des systèmes de régulation contre le gel.
Il faut disposer d'un matériel végétal mieux adapté au stress hydrique et moins consommateur de pesticides. Je ne prendrai qu'un exemple : la résistance au champignon responsable de la tavelure du pommier permet de réduire les traitements de 50 %. Les nouvelles techniques génomiques promettent d'importants progrès sur ces questions, nos programmes de recherche laissant de côté les organismes génétiquement modifiés – dont je ne souhaite pas débattre ici.
Je rappelle que les fruits et légumes font maintenant l'objet d'une politique prioritaire du Gouvernement, ce qui a notamment pour conséquence l'obligation d'évaluer la validité du plan dont je vous ai exposé l'essentiel.
Les cent premiers millions du budget agroéquipement, partagés avec nos collègues de l'ANIFELT, ont été consommés et les cent prochains le seront aussi. Nous avons déjà investi 230 millions dans cette filière l'an dernier, nous investirons la même somme cette année – tout cela en agroéquipements : pour la décarbonation des serres, la reconception des vergers, le renouvellement du matériel d'irrigation et les filets de protection. En somme, le plan vise à ajuster l'arboriculture et le maraîchage aux conditions du XXIe siècle. Les plans de filière d'origine, dont nous étions dépositaires par la volonté du Président de la République, ne prenaient pas en compte le changement climatique et évoquaient à peine la question de l'eau. Nous étions en 2017 : c'est dire comme les choses ont vite évolué, et l'importance de ce plan qui prend en considération des phénomènes en cours d'accélération pour adapter notre secteur.
Les problèmes de notre filière sont toujours les mêmes : des écarts de coûts, directement liés aux questions de main-d'œuvre, ont fait décrocher notre compétitivité sur certains produits. En pêche-nectarine par exemple, nous avons perdu la moitié de nos productions ces vingt dernières années. À cela s'ajoutent les surtranspositions et la suradministration à la française. S'agissant des premières, je prendrai l'exemple de l'interdiction des néonicotinoïdes, décidée par l'Assemblée nationale et non par un organisme scientifique. Alors que les Européens pourront les utiliser jusqu'en 2033, voire 2035, notamment pour la noisette, production très exposée, nous n'avons plus, quant à nous, le droit de les utiliser et les productions françaises sont en chute libre.
Je ne prendrai qu'un exemple de suradministration : le programme Fruits et légumes à l'école, devenu Lait et fruit à l'école. Nous avons laissé 150 millions sur la table au niveau européen, quand tous les autres pays ont su utiliser les crédits de ce programme, dont nous sommes pourtant, avec M. Barnier, les inventeurs. Le blocage était purement administratif. Le ministre et les professionnels ont dû s'impliquer pour en venir à bout : pour la première fois cette année, nous sommes parvenus à consommer la moitié des crédits alors que nous étions descendus jusqu'à 500 000 euros sur les 18 millions disponibles – ou 35 millions en comptant le lait. On le voit bien, la suradministration à la française crée des difficultés puisque les vingt-six autres pays européens ont consommé, quant à eux, la totalité du budget, y compris celui que nous ne consommions pas. Tels sont donc à nos yeux les freins essentiels.
J'insiste sur la nécessité d'un dialogue préalable avec les filières. La loi du 10 février 2020 sur les emballages, dont les difficultés devraient se poursuivre puisque le Conseil d'État annulera certainement à nouveau le décret, en est l'illustration. Consulter la filière au lieu de passer par un amendement aurait permis de résoudre le problème en une demi-semaine de négociations et de gagner cinq ans. Nous étions en effet d'accord pour sortir des emballages. Nous demandons d'ailleurs le retrait du dispositif.
S'agissant enfin des accords de libre-échange, il est souvent question, à juste titre, des clauses miroirs à l'importation mais il faudrait aussi penser à l'exportation : nous sommes bloqués à l'entrée de plusieurs pays où nous serions pourtant en mesure d'exporter.
La situation de la filière des fruits et légumes est particulièrement suivie. Elle est ainsi régulièrement évoquée dans le débat agricole national qui se tient depuis le début de l'année. Depuis une dizaine d'années, la tendance de ces filières n'est pas la meilleure. La situation des fruits tropicaux et des agrumes ne fait pas débat, puisque nous ne sommes pas en mesure d'être autosuffisants. Pour les fruits frais tempérés et les légumes frais, on entend beaucoup dire depuis trois mois dans le débat public que la France importe ses fruits et légumes car elle ne produit plus rien. Les chiffres de FranceAgriMer indiquent pourtant que le taux d'auto-approvisionnement en fruits frais tempérés était de 95 % en 2008-2010. Certes, il est passé à 82 % en 2018-2020, mais il reste dans le vert selon les critères de FranceAgriMer. Ces chiffres ne veulent pas dire que tout va bien, mais ils montrent que la France reste capable de produire beaucoup de fruits frais. Pour les légumes frais, les ordres de grandeur sont similaires : le taux d'autoapprovisionnement était de 87 % en 2008-2010 et de 84 % en 2018-2020.
Lors de précédentes tables rondes, plusieurs intervenants ont souligné que, s'agissant des fruits et légumes, il fallait lever le loup du comportement du consommateur, qui entre en contradiction avec ce que proclame le citoyen. Quel est le point de vue de vos organisations sur l'éducation du consommateur ? Où faut-il agir ? Quel est votre rôle, celui des pouvoirs publics et celui de la grande distribution ? Cette dernière doit-elle davantage jouer le jeu pour respecter les saisonnalités ?
Nous menons déjà un travail de communication très important : la communication est le premier budget d'INTERFEL, avec près de 15 millions. J'appelle toutefois votre attention sur le fait que chaque marque de produits ultratransformés dépense entre 100 et 150 millions par an pour promouvoir des produits dont on ne connaît ni l'origine ni, souvent, la composition. L'apparition de l'obésité en France serait d'ailleurs davantage liée à la consommation de ces produits qu'à une surconsommation de viande.
La puissance publique doit régler ce problème de proportionnalité entre le budget de notre secteur, qui provient d'une cotisation volontaire étendue, et ceux des marques de produits ultratransformés. De notre point de vue, les produits transformés ne posent pas de problème et nous ne condamnons pas la consommation marginale des produits ultratransformés. Mais la différence de budget est telle que, sans action aux niveaux français et européen, nous n'aurons pas les moyens de résister.
Nous avons un réseau de cinquante diététiciennes et nous défendons, avec d'autres, le retour de l'éducation alimentaire à l'école. Nous avons d'ailleurs signé un manifeste en ce sens. Il faut agir le plus tôt possible – la baignoire n'arrêtera de se remplir que si l'on ferme le robinet. On constate en effet un décrochage assez net entre les populations plus âgées, qui sont surconsommatrices de fruits et légumes, et les populations jeunes, qui n'en consomment pas assez. Nous menons un travail de fond collectif et permanent avec notamment des associations de chefs comme Euro-Toques ou l'Association française des maîtres restaurateurs. Nous avons aussi demandé au ministère de l'éducation nationale, avec l'Agence pour la recherche et l'information en fruits et légumes (APRIFEL), un agrément national pour la promotion des fruits et légumes. Nous attendons une réponse d'ici peu.
Nous conduisons des actions sur tout le territoire mais, tant qu'il ne sera pas mis fin à la disproportion des moyens, la lutte face à des produits dont la promotion sur les écrans est permanente continuera d'être inégale.
Il faut bien faire le distinguo entre les produits hypertransformés et les fruits et légumes que nous transformons afin, par exemple, de les mettre à la disposition de la restauration collective entre la deuxième et la troisième transformation.
Je ne note pas forcément une baisse de la consommation, mais plutôt une recherche de praticité afin de pouvoir consommer facilement une ration de légumes toute l'année et à moindre coût. Ainsi, la consommation de concentré de tomates est passée de 800 000 tonnes en 1985 à 1,3 million de tonnes aujourd'hui. Durant cette période, ma production a diminué de moitié et les importations ont doublé, voire triplé. Il y a donc bien un problème d'adaptation du marché.
Posez une pomme et une gourde de compote sur une table : les enfants choisiront la gourde. Comment les inciter à consommer le fruit ? L'APRIFEL mène un travail en ce sens, notamment de formation dans les écoles. Le consommateur moderne cherche la rapidité, il ne fait plus trop la cuisine et préfère utiliser des produits préparés pour faire son assemblage.
À partir d'exemples concrets de produits de consommation courante, mais sans citer de marques, pouvez-vous expliquer la différence entre les fruits et légumes transformés et les fruits et légumes hypertransformés ?
Une boîte de petits pois est un produit transformé simple.
Aucun produit ultratransformé n'entre dans notre périmètre.
Selon la liste de représentation, il s'agit d'une quinzaine de produits, souvent déstructurés donc sans fibres, qui sont prêts à l'emploi. Leur origine et leur composition – cela peut aller jusqu'à l'utilisation de viande de synthèse – sont rarement connues alors que l'on sait qu'ils contiennent beaucoup de sucre, de sel et de gras – c'était l'objet des réflexions sur le Nutri-Score, qui par ailleurs peut être critiqué par certains aspects. La consommation de ces produits a conduit à une explosion de l'obésité. La classification internationale NOVA, reconnue par les Nations unies, permet de distinguer entre les aliments non transformés ou transformés de façon minimale, les ingrédients culinaires transformés, les aliments transformés et les produits alimentaires et boissons ultratransformés. Si rien n'est interdit, le consommateur est néanmoins incité à consommer des produits pas ou peu transformés.
Les filières de produits transformés au sein de l'ANIFELT se bornent à stabiliser des produits, le plus souvent par des traitements thermiques – appertisation pour les conserves, grand froid pour les surgelés. Les fruits et légumes ainsi traités demeurent quasiment intacts.
Monsieur le président, nous ne retrouvons pas le taux d'auto-approvisionnement que vous avez cité, ni en 2000 ni aujourd'hui. Nous menons pourtant toutes nos études avec FranceAgriMer, qui est l'organisme de référence. Nos chiffres, que nous pourrons vous communiquer, font apparaître pour la totalité des fruits et légumes hors agrumes, bananes et fruits exotiques, un taux de 75 % en 2000 et de 63 % aujourd'hui.
Je parle du taux d'auto-approvisionnement en fruits et légumes frais dans la consommation.
Ce ne sont pas les chiffres que j'ai, qui sont issus du rapport Souveraineté alimentaire : un éclairage par les indicateurs de bilan de FranceAgriMer.
Ce taux n'a jamais été de 90 % et il ne le sera jamais.
Selon FranceAgriMer, le taux d'auto-approvisionnement en fruits frais tempérés était de 95 % en moyenne sur la période 2000-2010.
Il y aurait donc une erreur dans les tableaux de FranceAgriMer ? C'est problématique car ce rapport fait autorité.
Nos chiffres indiquent un taux, pour la totalité des fruits et légumes, de 75,5 % en 2000 et de 63,6 % aujourd'hui. Je précise les chiffres que vous avez déjà donnés : la part de la production nationale dans la consommation de légumes frais est aujourd'hui de 65 % et elle est, pour les fruits frais, en excluant les fruits tropicaux, de 62 % – elle tombe à 40 % pour l'ensemble des fruits. L'écart par rapport à 2000 n'est que de 14 %. Il n'y a donc pas eu d'effondrement catastrophique puisque nous n'avons jamais été à 90 %. Une étude commune avec FranceAgriMer montre que seuls le poireau – avec 94 % – et la pomme – avec 85 % – atteignent de tels taux ; pour tous les autres, on est bien en dessous : le poivron est par exemple à 19 % et la tomate à 58 %.
J'ai sous les yeux le rapport de FranceAgriMer publié en 2023 : à la page 14, il est indiqué que le taux d'auto-approvisionnement pour les fruits tempérés est de 82 %, de 84 % pour les légumes frais et de 15 % pour les fruits tropicaux. Il s'agit du taux moyen entre 2018 et 2020.
Nous interrogerons FranceAgriMer à ce sujet.
Nos chiffres proviennent des douanes et d'Agreste, le service statistique ministériel de l'agriculture. Depuis quarante ans que je suis dans la profession, je n'ai jamais vu un taux d'auto-approvisionnement de 80 %.
Nous vous redonnerons les bases. Nous avons travaillé au plan de souveraineté avec FranceAgriMer. Je pense qu'il y a un bug dans les chiffres.
L'un d'entre vous nous a appelé à faire le distinguo entre les productions mécanisables, où la situation est correcte, et celles plus difficilement mécanisables, qui demandent beaucoup de main-d'œuvre et qui connaissent plus de difficultés. Pourriez-vous donner des exemples de ces deux types de production ?
La production des légumes racines – carottes, navets, poireaux – est mécanisable. La production de l'endive est à moitié mécanisée et le taux d'autosuffisance atteint 90 %. Pour les productions dont la plantation et la récolte sont mécanisées, nous sommes compétitifs car le coût de la main-d'œuvre n'est pas déterminant : cela ne change pas grand-chose, pour une exploitation dont le rendement est de 50 tonnes à l'hectare, de payer un tractoriste 2 000 euros plutôt que 500 comme en Bulgarie.
Le schéma est totalement différent pour la production de la cerise, qui demande 70 % de main-d'œuvre. Il en est ainsi pour la quasi-totalité de nos fruits – fraises, raisin... Les récoltes manuelles constituent un handicap. Nous avons ainsi perdu 50 % en vingt ans pour la pêche-nectarine.
La salade classique est encore récoltée à la main, mais les jeunes pousses et la mâche sont récoltées mécaniquement, ce qui explique leur développement. Pour ce qui nous concerne, toutes nos productions sont mécanisables, sinon elles auraient disparu. S'agissant de la cerise, il faut distinguer la cerise vendue sur le marché du frais de la cerise industrie, qui est récoltée mécaniquement.
Elle est longue, nous pourrons vous la communiquer ultérieurement.
Le principal exemple est celui des néonicotinoïdes. La décision de les interdire a été prise à la suite d'un vote à l'Assemblée nationale sur une proposition de Mme Barbara Pompili. Cette décision, purement politique et sans fondement scientifique, n'a pas été suivie par les autres pays européens, dont certains ont même autorisé l'utilisation des néonicotinoïdes pour quelques productions jusqu'en 2033, voire 2035
Presque tous les secteurs ont été concernés : céréales, betteraves et de nombreuses productions chez nous, car les néonicotinoïdes sont un produit très efficace qui ne présente pas de risque pour les pollinisateurs dans les cas, comme celui de la betterave, où il n'y a pas de floraison directe pendant certaines périodes.
Nous ne décidons pas à la place des pouvoirs publics ou des agences de sécurité et de santé et il ne nous revient pas de juger du bien-fondé de cette décision. Nous soulignons en revanche que si l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA, European Food Safety Authority ) considère que le produit peut être utilisé jusqu'en 2035 alors que la France l'interdit à partir de 2025, nous nous retrouvons avec un handicap pendant dix ans. Quand on sait que notre pays connaît déjà des difficultés en raison de l'inadéquation de son modèle social aux coûts de production… Je rappelle également que le glyphosate devait être interdit dans un délai de trois ans, sans aucune évaluation scientifique objective. M. Jean-Baptiste Moreau a été chargé d'éteindre le feu et le glyphosate a finalement été à nouveau homologué pour une période de dix ans.
Nous nous considérons parfois comme le phare du monde : au lieu de faire valider nos idées géniales par les vingt-six autres pays de l'Union européenne, nous les prenons au niveau national, partant du principe que les autres suivront. En attendant, un secteur a été ruiné.
Nous connaissons bien l'exemple de la betterave, mais elle n'entre pas dans le champ des fruits et légumes. Quelles productions de fruits et légumes ont été impactées par des surtranspositions ?
La noisette. Autre exemple de surtransposition : la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi AGEC. Du jour au lendemain, notre filière, sans doute mise en pénitence, a dû utiliser du plastique recyclable à marche forcée pendant la phase de transition alors que l'échéance est à 2030 pour tous les autres pays. Des dizaines de millions d'euros ont dû être investis dans de coûteuses machines alors que dans aucun autre pays la filière n'a pas été conduite à réaliser de tels investissements.
Les producteurs y sont confrontés régulièrement et elle les a conduits à descendre dans la rue. En l'occurrence, s'agissant du programme Lait et fruits à l'école, les 150 millions affectés à la partie « fruits » du programme, prévus sur dix ans, ont été laissés sur la table alors qu'il s'agit du seul programme européen qui finance directement les fruits et légumes dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). Tous les autres pays les ont utilisés.
Je rappelle qu'il faut jusqu'à cinq ans pour obtenir l'autorisation de construire un bâtiment ou une serre et jusqu'à vingt ans pour avoir une retenue permettant de stocker l'eau qui tombe avant les périodes estivales de manque. Mises bout à bout, toutes ces choses nous agacent sérieusement et contribuent au découragement.
Quelle est votre vision du dispositif d'exonération de cotisations patronales pour l'emploi de travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TODE), qui a été reconduit par le Gouvernement ?
Il a été reconduit et légèrement amélioré. L'inclusion des métiers agricoles dans la liste des métiers en tension nous simplifie la vie. Certes, le dispositif des métiers en tension n'est pas simple à mettre en œuvre, mais cela nous permettra au moins de nous affranchir de l'étape de la démonstration. Ces deux décisions vont faciliter la recherche de solutions. Nous étions au bout du bout pour le recrutement et notre secteur nécessite beaucoup de main-d'œuvre pour la taille et la récolte.
Dans le cadre du dispositif TODE, le taux a évolué, mais cela ne va pas assez loin. Nous avons besoin de faire travailler les tractoristes, les permanents et les saisonniers en heures supplémentaires au moment des récoltes. Les heures supplémentaires étant mieux rémunérées, l'employeur dépasse le taux et n'a plus droit aux exonérations. Par ailleurs, le dispositif ne devrait pas être applicable qu'aux plus bas salaires, puisque nous avons besoin de salariés qualifiés pour conduire les tracteurs ou piloter des process impliquant la manipulation de matériel. Il faut arriver à un système qui tienne compte de la situation économique de l'entreprise.
S'agissant des chiffres, je pense que vous parlez de deux choses différentes : M. le président se référait à la première colonne du rapport de FranceAgriMer, qui concerne le taux d'auto-approvisionnement, c'est-à-dire le rapport entre la production nationale et la consommation, sachant qu'une partie de la production nationale est exportée, et vous à la part de la production dédiée à la consommation, de laquelle il faut donc retrancher les exportations et à laquelle il faut ajouter les importations pour couvrir les besoins de consommation.
Comment expliquez-vous que, en moyenne, au cours de la période 2018-2020, 16 % de la production de fruits tempérés et 15 % de celle de légumes frais ait été exportée alors que ces produits manquent pour la production nationale ?
Nous exportons des produits pour lesquels nous sommes plus qu'autosuffisants. Ainsi, notre taux d'auto-approvisionnement pour les pommes est de 90 %, mais notre production est bien supérieure à ce taux de couverture de nos besoins. En 2000, avec 2,2 millions de tonnes produites, la France était le premier exportateur mondial. Aujourd'hui, avec 1,4 million de tonnes, elle est à la septième place. Outre la partie de cette production dédiée à la consommation, une partie non négligeable est destinée à la transformation et une autre reste disponible pour l'exportation. Nous exportons nos produits de qualité vers quatre-vingt-dix pays. Globalement, ce qui est produit sur le territoire est consommé sur le territoire. Nous n'exportons que dans des périodes où la production est excédentaire par rapport à la consommation.
Concernant les néonicotinoïdes, la surtransposition a eu des effets sur la betterave et la noisette. Mais la filière des pommes et des poires, qui utilise une solution bientôt en fin d'autorisation, risque aussi d'être concernée car les néonicotinoïdes sont la seule alternative.
Nous arrivons au bout du bout. Le diméthoate, déjà supprimé pour les cerises, est en fin d'homologation pour certaines productions et, pour les produits utilisés pour les pommes et les endives, les filières se trouveront dans deux ans dans une impasse technique réelle puisque nous n'avons pas de solutions de substitution.
Nous avons toujours soutenu l'arrêt des molécules les plus dangereuses. Ainsi, l'utilisation de substances CMR1 (cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction) a été réduite de 85 % au cours des cinq dernières années, grâce notamment à des dispositions légales et à une baisse considérable de la dangerosité des produits. Mais il ne faut pas laisser les filières dans l'impasse : si rien n'est fait d'ici à cinq ans, la production nationale passera à 35 % selon les projections faites avec les producteurs de notre secteur.
Pour éviter cette impasse, il ne faut pas, bien sûr, rétablir les produits posant des questions de santé publique majeures, mais la réintroduction de quelques produits pour certaines productions, en conformité avec les autorisations de l'EFSA, permettrait de sauver des cultures. Les néonicotinoïdes n'ont pas d'impact sur les pollinisateurs quand ils sont utilisés dans des productions de fruits et légumes qui, comme la betterave, ne fleurissent pas.
Un autre cas de surtransposition concerne également les herbicides, je crois.
J'ai lu votre plan de souveraineté pour la filière fruits et légumes. Il contient un volet dressant un état des lieux des impasses techniques qui se profilent et un autre sur la recherche. Qu'est-il prévu pour les surtranspositions ? Quelle est la position du ministère quand vous l'interrogez sur une éventuelle révision des surtranspositions ? Une discussion est-elle engagée sur ces sujets, notamment sur celui de l'interdiction des néonicotinoïdes, dont le fondement scientifique est contestable ?
L'axe A du plan de souveraineté, qui porte sur la protection des cultures, a déjà porté de nombreux fruits. Il va au-delà d'un simple état des lieux puisqu'il met en évidence les évolutions réglementaires et les simplifications administratives permettant de fluidifier le processus d'autorisation de certaines solutions de protection des plantes. Au cours des derniers mois, des évolutions ont déjà permis de changer le statut de certaines de nos filières, qui sont de tout petits clients pour les firmes vendant des produits de protection des plantes, et ainsi de leur faciliter la vie. Plus qu'une question de surtransposition, il s'agit d'une question de rationalisation pour prendre en compte la taille de nos filières.
Nos filières sont très diverses et les démarches pour l'autorisation de commercialisation d'un produit phytosanitaire sont différentes pour chaque espèce. C'est un processus très lourd qui pourrait être allégé dans les cas où il existe déjà une homologation dans d'autres pays européens et pour les usages dits mineurs, c'est-à-dire situés en dessous de certaines surfaces et de certains volumes. Pour certains produits phytosanitaires qui ne sont pas interdits, le producteur renonce à des démarches qui lui prennent trop de temps et d'argent et le produit se trouve indisponible sur le marché.
Sur la question plus spécifique des impasses techniques provoquées par la fin de l'autorisation de certains produits phytosanitaires et qui concernent par exemple la noisette, les pommes ou les poires, avez-vous des pistes ?
C'est tout l'objet du PARSADA, le plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures. Dans ce cadre, plusieurs solutions ont été actées : un plan de financement pour les insectes stériles, des travaux concernant les insectes piqueurs suceurs, un volet sur les herbicides. Le PARSADA est doté de 146 millions d'euros en première intention dans le cadre du plan Écophyto.
Un autre dossier que vous évoquez, très important pour nous, est en train d'être ouvert par Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture. Il s'agit de faire en sorte qu'un produit utilisé dans un pays puisse être automatiquement agréé dans un autre, pour éviter des coûts et des délais excessifs. En outre, une partie des producteurs et des syndicats agricoles demande à revenir sur l'interdiction en France de produits autorisés dans les autres pays – sous l'égide de l'EFSA. Il existe des possibilités exceptionnelles de dérogation pendant des périodes de jonction, quand un produit doit être arrêté mais que l'on n'a pas eu suffisamment de temps pour trouver une autre solution. Ici, je parle de produits autorisés partout en Europe et qui subissent une réduction en France, soit en eux-mêmes, soit dans leurs usages – un produit peut être homologué pour trois usages en France, mais pour dix-huit en Italie ou en Espagne.
Nous plaidons pour l'harmonisation des décisions au niveau européen. À nos yeux, la non-surtransposition veut simplement dire que si les décisions sont bonnes pour nous, en France, alors elles doivent l'être pour tout le monde, de sorte que l'on ne crée pas de distorsion de concurrence sur le territoire national. C'est à cela que nous travaillons, non sans quelque difficulté à nous faire entendre car il existe une sorte d'effet cliquet qui rend difficile de revenir en arrière. Mais cela redonnerait de la compétitivité à notre agriculture là où elle en a besoin, sans revenir sur ce qui est acté en matière de santé publique, bien entendu.
Je parle souvent d'une valse à trois temps. Dans un premier temps – c'est le moment actuel –, nous voulons être alignés sur ce qui se fait dans les autres pays européens : il n'y a pas de raison qu'il y ait six produits sur l'étagère en Espagne ou en Italie, contre un seul ou pas du tout en France. Ensuite, il y a le moyen terme – trois, cinq, dix ans. C'est le temps qu'il faut pour trouver des solutions efficaces, et c'est le sens du PARSADA. Enfin, il y a le temps d'une évolution complète de l'agriculture. C'est par exemple l'objet du plan TOMMATES (techniques, outils et méthanisation pour la multiperformance agricole des territoires et des systèmes) sur quinze ans, qui vise à modifier entièrement les pratiques dans les exploitations, en introduisant des cultures intermédiaires pièges à carbone qui vont produire de la biomasse et alimenter nos méthaniseurs afin de produire du gaz renouvelable destiné à la transformation. Mais cela demande du temps, pour organiser les rotations de cultures et pour élaborer les technologies. Si, cette année, je ne peux pas travailler comme mes collègues espagnols et portugais, je me fais disqualifier. Il faut rester dans la compétition.
Le changement climatique fait partie des éléments qui viennent bousculer les pratiques. Il y a cinq ou six ans, on ne s'en préoccupait pas. Depuis quelques semaines, on dit que l'on risque d'avoir un été très pluvieux. Nous verrons bien.
Quel est votre point de vue sur le déploiement du plan de souveraineté pour la filière fruits et légumes ? J'ai entendu dire à l'automne que la filière s'impatientait un peu car le plan promis en début d'année peinait à se concrétiser. Les choses avancent-elles ? Les moyens et les solutions sont-ils au rendez-vous ?
Il y a clairement eu du retard à l'allumage. Le plan avait été annoncé au Salon de l'agriculture 2023. On pensait qu'il serait lancé au plus tard en septembre – du moins pour l'agroéquipement, car les autres aspects ont été travaillés au fur et à mesure. Mais il fallait au préalable une notification à la Commission européenne, dont la réponse n'est arrivée qu'en décembre. C'est ce qui a retardé jusqu'à cette date le lancement du volet agroéquipement. Toutefois, dès février, les 100 premiers millions d'euros de ce volet étaient consommés. Le plan n'a donc pas été vraiment retardé, mais cette situation a un peu usé les nerfs des professionnels et nous nous en étions fait l'écho.
Certains volets doivent encore être consolidés, mais, à ce stade, les moyens déployés correspondent aux engagements pris. En ce qui concerne la consommation – un facteur qui explique en partie la crise du bio –, l'axe D du plan a été amélioré grâce au programme Lait et fruits et légumes à l'école, qui requiert encore des efforts. Quels sont les moyens que l'on consacre à la filière des fruits et légumes, dont on dit qu'ils sont bénéfiques pour la santé et pour l'environnement, au regard des centaines de millions dépensés par l'industrie des produits ultratransformés pour dire aux gens ce qu'ils doivent consommer ?
Les attentes étaient grandes. Or on a eu un peu l'impression de patiner, si vous me permettez l'expression. Le plan de souveraineté fruits et légumes a été lancé en 2023, en même temps que le plan Écophyto 2030, devenu le PARSADA ; il a fallu le temps que toutes les filières se mettent en ordre de marche : nous avions commencé le travail en 2022, il a fallu recommencer pour se couler dans le moule du PARSADA s'agissant de la protection des cultures. De plus, les investissements étaient suspendus à une décision de Bruxelles. Pour l'arboriculture, tous les crédits n'ont pas été consommés, mais ils étaient fongibles au profit des autres lignes du plan. Cette année, les choses ont été revues car, l'an dernier, il fallait passer par France 2030 pour que les entreprises soient agréées. Bref, la machine a mis un peu de temps à démarrer, mais elle est partie ! Maintenant, il faut la renforcer.
En effet, l'impatience vis-à-vis du plan était grande, à la mesure des attentes qu'il a suscitées. Mais, globalement, nous sommes très satisfaits de la dynamique du travail de diagnostic et de co-construction qui a été effectué ainsi que des actions qui ont été lancées par la suite. Les choses ne vont jamais assez vite, mais la situation a indéniablement évolué dans un sens favorable à nos filières et nous avons le sentiment d'un soutien historique.
Un autre sujet d'impatience est le fait qu'il a été décidé de consacrer le plan de souveraineté fruits et légumes aux problèmes de l'amont et de renvoyer les questions concernant l'aval au plan de soutien aux industries agroalimentaires, pour lequel il nous faut encore attendre. Or, sans aménagement ni modernisation des usines pour la transition, toute la filière des fruits et légumes transformés va avoir des problèmes.
Au-delà de la surtransposition et de la surréglementation, le déficit de compétitivité de la production française est principalement dû au coût de la main-d'œuvre. Comment se fait-il que la production de concentré de tomates, même mécanisée, ne suive pas la consommation ? Pour la partie du travail qui ne sera jamais mécanisable, la solution est-elle de trouver de la main-d'œuvre moins chère ? Ne faut-il pas réfléchir aussi à des instruments de protection ou de régulation face à la concurrence étrangère ?
Les coûts de main-d'œuvre sont plus élevés en France que dans les pays voisins. Cela vient de notre modèle social, que nous défendons, mais qui est coûteux, bien que le dispositif TODE corrige la trajectoire.
Il est possible, dans le cadre d'accords, de clarifier certains points – des clauses miroirs concernant les résidus de pesticides, la protection de nos frontières à certains moments. Dans le marché unique européen, nous sommes grands exportateurs ; cela concerne moins la filière des fruits et légumes frais, si l'on excepte la pomme, mais c'est le cas pour les céréales, le vin ou l'alcool. L'espace unique européen est une bonne chose. Mais, à l'origine de la création de ce marché, l'agriculture n'était pas dans le champ de la concurrence. Peut-être serait-il encore possible que les organisations de producteurs se parlent entre elles dans le contexte de concentration de la grande distribution – nous ne sommes pas opposés à cette concentration, mais face à des opérateurs qui représentent 70 % du marché et alors que 56 % passe par les centrales, il pourrait être intéressant, y compris pour les distributeurs, que leurs interlocuteurs se coordonnent.
Initialement, l'idée était de faire entrer dans l'Union européenne des pays dont on savait qu'ils n'étaient pas alignés socialement et fiscalement sur nous, mais dont on escomptait qu'ils nous rattraperaient avec le temps. En réalité, beaucoup de pays, notamment parmi les derniers entrants, ont tout fait pour que cela n'arrive pas, ce qui leur donne un avantage compétitif objectif dans tous les domaines qui utilisent beaucoup de main-d'œuvre. La stratégie n'a donc pas fonctionné et cette histoire représente une sorte de vice originel.
Plutôt que d'y répondre par des systèmes de prix planchers, qui sont mal adaptés, du moins à notre filière doublement météo-sensible – en production et en consommation –, donc soumise à de forts aléas, et puisque l'Europe a souhaité favoriser les opérateurs organisés dans le cadre des programmes opérationnels, il faudrait aller au bout de cette logique en les autorisant à se coordonner pour rendre les prix et les volumes mis sur le marché cohérents et concordants avec un marché fluctuant.
Cette solution serait préférable à une réduction des échanges, du moins à l'intérieur de l'Europe. Au niveau extra-européen, la filière agricole estime que, trop souvent, la matière agricole a servi de monnaie d'échange lors d'accords internationaux qui ont favorisé l'industrie. Quelquefois, cela a permis de limiter des flux et de stabiliser des populations, comme dans l'accord avec le Maroc, mais, de manière générale, cela a créé d'importantes distorsions. Dans nos relations avec ces pays, il faut trouver le juste équilibre entre stabilisation d'une population et ouverture à l'échange compte tenu de notre capacité à produire suffisamment sur notre territoire.
Dans le cas de la tomate, l'effondrement de 2000 est lié d'une part à la montée en puissance de la Chine – passée d'une production inexistante à 7 millions de tonnes sur les 40 millions consommées dans le monde, entièrement destinées à l'exportation puisqu'il n'y a pas de consommation sur place –, d'autre part à l'arrivée sur le marché européen de l'Espagne et du Portugal, qui avaient bénéficié des fonds structurels pour développer leur activité. Quand vous êtes subventionné à 80 % sur un devis représentant 120 % du coût de l'usine, ça ne vous revient pas cher ! À l'époque, nous nous sommes fait laminer car le travail, en France, n'était pas entièrement mécanisé.
Aujourd'hui, nous travaillons comme les Californiens, les Argentins, les Espagnols et les Portugais, avec les mêmes variétés et les mêmes machines. Quand tout se passe bien, je ne descends pas dans le champ et je ne touche pas le plant de tomate. C'est à ce prix-là que ça marche.
Grâce à la loi Egalim, nous avons pu faire remonter le prix il y a trois ans. Il est passé de 85 à 105 euros la tonne, et, aujourd'hui, il est à 140. Quand il était à 85, on disait qu'il aurait dû atteindre 105 ou 110. Avec l'explosion du coût des matières premières à la suite de la guerre en Ukraine, il a fallu monter d'un cran. L'IPAMPA (indice des prix d'achat des moyens de production agricole) a été pris en compte et les producteurs et transformateurs sont parvenus à un accord. Cette année, on refuse 25 000 tonnes de tomates que les producteurs voulaient faire, car notre capacité de transformation est à saturation. Alors qu'une entreprise connue et déjà présente sur le marché français arrive en France pour y pratiquer la deuxième transformation – sauces, plats – en bénéficiant du logo français, nous nous demandons comment installer une unité de première transformation dans le couloir rhodanien pour nous rapprocher de la production, car les besoins de cette entreprise équivalent à la moitié de la production française actuelle.
À un moment, la Chine était si indispensable au fonctionnement de l'industrie agroalimentaire européenne qu'il était impossible de demander que la filière tomate européenne soit protégée : au niveau macroéconomique, l'intérêt de l'Union européenne était de continuer d'importer le concentré chinois. Les fabricants de plats préparés ou de pizzas s'étaient structurés pour travailler avec ce concentré, de sorte que les acteurs de l'agroalimentaire européen étaient défavorables à des mesures de protection. En Italie, on utilisait beaucoup de concentré chinois alors que le pays produisait des tomates. L'écroulement a été progressif. Maintenant, c'est le rebond.
Beaucoup de ketchups présents sur le marché français sont fabriqués en Hollande et en Allemagne, où on ne fait pas pousser de tomates. Ces pays reçoivent du concentré de Chine ou de Turquie.
J'ai cinq questions.
La première concerne le coût de la main-d'œuvre. On nous dit qu'en France, les prix de revient chargés à l'heure travaillée sont les plus élevés d'Europe : au moins 21 euros, contre 7 ou 8 euros pour les travailleurs détachés bénéficiant d'une dérogation temporaire dans le cadre de l'adhésion de leur pays. C'est un problème central.
Ne faudrait-il pas amplifier le dispositif TODE, qu'il a été envisagé de supprimer ?
Ne conviendrait-il pas aussi de relever en période de récolte le nombre maximal d'heures travaillées, jusqu'à un plafond à discuter avec la profession ? Le système est complètement inadapté ; en Champagne, il faut demander chaque année une dérogation et, chaque fois, on nous dit que c'est la dernière. Les conditions climatiques peuvent requérir de travailler beaucoup ; ensuite, les gens récupèrent.
Ne devrait-on pas autoriser les travailleurs saisonniers à cumuler rémunération et prestations sociales ? Certains font leurs calculs et constatent que, s'ils travaillent, le niveau des prestations qu'ils touchent va chuter et qu'il leur restera peu une fois déduits leurs frais professionnels, notamment de déplacement. Chez moi, du coup, on importe de la main-d'œuvre étrangère qui ne cotise pas en France et qui est beaucoup plus compétitive. Et ensuite, on déplore qu'il y ait 5 millions de chômeurs et des centaines de milliers de bénéficiaires du RSA...
Deuxième question : vous faites partie d'une des rares professions à déclarer avoir été plutôt aidée par les lois Egalim, quand certaines autres vont jusqu'à dire qu'elles leur ont nui. Il n'y a que quatre centrales d'achat, dont deux déjà hors de France, en Belgique et en Espagne, et une troisième qui envisage de les suivre ; que faut-il faire, puisqu'une économie « administrée » ne fonctionne pas ?
Troisième question : si l'étiquetage mentionnait obligatoirement l'origine des produits, y compris transformés, pensez-vous que cela modifierait le comportement des consommateurs ?
Quatrièmement, où en est-on pour les fruits et légumes du respect de l'obligation faite aux cantines scolaires de servir 50 % de production locale dont 20 % de bio ? Une obligation que nous avons votée sans l'assortir d'aucune sanction, bref uniquement pour nous faire plaisir… Dans les collèges de mon département, malgré des efforts, on n'a pas dépassé 2 ou 3 % – mais il n'y a pas beaucoup de fruits et légumes chez nous.
Cinquièmement, auprès de quels industriels vos filières se procurent-elles l'agroéquipement ? Avons-nous en France une industrie qui le fabrique ou devons-nous l'importer ?
Le TODE est un bon dispositif, mais peu adapté à nos besoins actuels alors qu'il peut coûter cher à l'État. Je propose donc une solution très simple : sur l'ensemble de la masse salariale, toutes catégories de travailleurs confondues – car quand une entreprise va mal, tout le monde en pâtit –, considérer les charges patronales au même titre que la TVA sur les achats d'intrants et de services dans les autres secteurs de l'activité. Si je vends bien et que je fais un gros chiffre d'affaires à la vente, je récupérerai moins ; si cela s'effondre ou que j'ai beaucoup de main-d'œuvre, je récupérerai davantage. En effet, quand la main-d'œuvre occupe une part importante du coût de production, on a moins de charges soumises à la TVA ; or, alors que le régime de TVA régule le poids de ces charges pour l'exploitant qui en a beaucoup, celui qui doit investir dans la main-d'œuvre ne bénéficie d'aucune régulation.
Cela nous ramène à la question de l'agroéquipement. Prenez un engin fatigué que vous n'avez pas les moyens de remplacer : vous allez profiter de l'hiver pour changer les roulements, remettre des dents, bref le préparer à faire la campagne suivante. Mais on ne peut pas faire revenir un salarié d'une année sur l'autre sans le payer à nouveau plein pot.
Aujourd'hui, on bloque les salaires pour conserver le bénéfice de l'exonération de charges. D'où le fait que le salarié, comme vous le disiez, n'a pas intérêt à venir travailler et à perdre ses aides. On pourrait faire monter son salaire en augmentant ses heures de travail – ça n'a jamais tué personne de faire quarante-cinq ou cinquante heures hebdomadaires pendant quelques semaines ! On en faisait bien plus avant ! Il y a trente ans, les travailleurs payés à la tâche commençaient à l'aube, en venant à vélo, et faisaient jusqu'à soixante-dix-sept heures – je peux le dire, il y a prescription. Il ne s'agit pas d'aller jusqu'à cet extrême. Mais avec trente-cinq ou quarante heures au SMIC, on ne gagne pas sa vie. Maintenir un complément de revenu pour ceux qui font peu d'heures et dont le salaire est bas, pourquoi pas ? Mais quand on peut accumuler les heures et permettre au salaire d'augmenter, il faut le faire, sans perdre l'exonération de charges. Chez moi, les exonérations de charges représentent beaucoup plus que les aides de la PAC.
Pour en revenir à l'agroéquipement, le matériel dont nous avons besoin est fabriqué par des PME. Un gars de chez moi ne peut plus faire homologuer son enjambeur parce que celui-ci n'a pas de cabine ; donc on va reprendre la brouette et en prendre plein la figure ? C'est aberrant. Parmi ces petits constructeurs, peu sont français, hélas, car nous avons perdu le savoir-faire ; il y en a de plus en plus en Italie ou en Espagne.
Certains types de matériel peuvent réduire la pénibilité. Il y a des systèmes où le salarié qui ramasse est assis ou allongé et se laisse porter par l'engin au lieu d'être à genoux et mouillé. Payer un salarié pour qu'il reste couché, ça perturbe ; mais j'ai essayé, et ça marche.
L'étiquetage de l'origine est un sujet ancien dont on entend de nouveau beaucoup parler depuis quelques semaines. Il est totalement légitime que le citoyen consommateur ait droit à cette information. En tant que transformateurs, nous voulons pousser le plus loin possible la transparence en la matière. Malheureusement, c'est plus compliqué qu'il n'y paraît.
Est-ce que cette information changerait le comportement des consommateurs ? Certains regarderont le prix ; d'autres, qui ont les moyens financiers d'être des « consom'acteurs », préféreront payer un peu plus un produit venant de France.
Néanmoins, même pour des produits mono-ingrédient, ce n'est pas si simple lorsque l'ingrédient varie dans le temps. Les systèmes d'information déployés au sein de nos entreprises permettent bien sûr d'assurer une traçabilité arrière totale – quand on a un problème avec un lot, on peut regarder d'où il vient – mais il est beaucoup plus compliqué d'avoir sur la boîte, en temps réel dans la chaîne de production, une étiquette mentionnant l'origine de la matière première, et cette difficulté est multipliée lorsqu'un produit a plusieurs ingrédients : leur origine va fluctuer, non parce que nous serions sans foi ni loi et que nous ne tiendrions pas à ce que les choses viennent d'aussi près que possible, mais parce que nous allons les chercher là où les conditions météo sont les plus propices. Les légumes du soleil, par exemple, viendront de régions où il y a plus de soleil. Cela peut être l'Espagne ou le Portugal, ce qui n'est pas à l'autre bout du monde, mais l'origine variera en fonction des possibilités d'approvisionnement et on ne peut avoir une étiquette pour chaque fluctuation d'un des ingrédients. Même si nous voulons aller dans le sens de la transparence, faire apparaître l'origine sur l'étiquette serait extrêmement compliqué et peu réaliste.
C'est effectivement un point très important : l'information doit être dématérialisée.
Lorsqu'on garantit une origine à 100 % française, cela figure déjà sur l'étiquette. Ce n'est pas de ces produits qu'il faut discuter, mais de ceux dont les ingrédients sont multiples ou dont les origines varient selon les aléas climatiques, lesquelles iront crescendo. Vous savez peut-être que la réglementation européenne ne nous autorise pas à dire qu'un ingrédient peut venir de tel ou tel pays selon les conditions d'approvisionnement et les périodes : un tel « ou » est interdit.
Oui, j'allais le dire : on peut préciser, s'agissant de l'origine, « UE » (Union européenne) ou « non-UE », mais pas les pays. Il y a des discussions à ce sujet, mais ce serait extrêmement compliqué sur le plan technique et opérationnel car la réglementation ne permet pas d'utiliser « ou » : il faudrait avoir un code différent pour chaque produit.
Nous ne sommes pas en mesure, sur le plan technique et en restant à un coût raisonnable – je pourrais entrer dans les détails, mais ce serait extrêmement ennuyeux –, de préciser l'origine par pays. L'alimentation, on revient toujours à cela, doit rester accessible, en particulier nos produits pour lesquels les marges sont extrêmement limitées, alors que nous devons investir dans la transition agroécologique, énergétique, etc. Les exigences à l'égard de nos secteurs doivent être réalistes. Néanmoins, nous avons engagé une réflexion. Il est inévitable d'avancer dans la direction que vous indiquez, mais il faut le faire d'une manière dématérialisée et on doit envisager que l'information donnée soit « UE » ou « non-UE », sinon le déploiement prendra plus de temps.
S'agissant du TODE, une de nos revendications est qu'il soit étendu aux permanents des exploitations.
En ce qui concerne la loi Egalim, nous avions demandé, compte tenu de nos spécificités, à ne pas entrer dans le champ de la contractualisation obligatoire – mais certains concluent des contrats. Une des caractéristiques de notre secteur est que nous ne produisons pas une matière première, mais un produit fini – il n'y a pas d'industrie de transformation. Or presque toutes les lois sont conçues pour des produits industriels, qui sont transformés. Le système était donc mal adapté et c'est aussi pour cette raison que nous sommes sortis du dispositif SRP (seuil de revente à perte), à l'initiative des sénateurs.
Pour ce qui est de l'étiquetage, il existe depuis plus de cinquante ans pour les fruits et légumes frais une obligation de mentionner systématiquement l'origine. On ne peut, à moins de tricher, vendre des fruits et légumes frais sans mention de l'espèce, de la variété, du calibre, de la catégorie et de l'origine. Dans ce domaine, la traçabilité est totale et le suivi a lieu par colis. On peut donc facilement vérifier chez le détaillant si tout est conforme ou non.
L'enseignement primaire, qui était le premier concerné par la loi Egalim, en est à peu près à 12 % de bio et, je crois, un peu au-delà de 20 % pour l'autre seuil. Je rappelle que celui-ci ne concerne pas, conformément aux règles de la commande publique, des produits locaux – c'est interdit, puisqu'assimilé à une origine. Il est question d'externalités environnementales en fonction de l'analyse du cycle de vie, blabla, mais même l'Ademe (Agence de la transition écologique) n'a pas été capable d'élaborer un outil de calcul. C'est donc mort, dans ce domaine, pour le « local ».
Plusieurs tentatives ont été faites par le ministère de l'agriculture et d'autres acteurs, notamment dans le cadre d'Agoralim, pour trouver des solutions, mais cela revient à faire la danse du ventre pour essayer de contourner une règle bien connue.
L'association France urbaine demande, en revanche, que l'on puisse mettre en concurrence régionalement les produits frais : il ne s'agirait pas de sortir du système de mise en concurrence, mais de l'appliquer de façon dérogatoire pour les produits dont la traçabilité, en matière d'origine, est certaine. Ce serait la seule façon de s'en sortir sans contourner les textes et sans exposer à un risque l'acheteur final, que les organismes de contrôle français se chargent parfois de redresser.
Quant aux agroéquipements, il y avait dans France 2030 une volonté manifeste, que je n'exposerais pas devant la Commission européenne, de privilégier du matériel national quand c'était possible. On est plutôt allé dans ce sens, mais le matériel permettant de satisfaire les besoins de l'arboriculture et du maraîchage n'est pas toujours là dans les territoires.
S'agissant de la filière bio, l'Union européenne parle souvent d'un objectif d'un quart des exploitations. Cela vous paraît-il utopique, étant entendu qu'on finance déjà beaucoup le bio dans le cadre des politiques publiques françaises et qu'on y a lancé beaucoup de jeunes agriculteurs ? Existe-t-il vraiment à terme, compte tenu des problèmes d'inflation et de pouvoir d'achat, un marché du bio pour les fruits et légumes ?
J'en viens à la question de l'eau, dont on parle peu. Député de l'Aube, j'ai rencontré beaucoup d'agriculteurs produisant des pommes de terre, lesquelles sont assez dépendantes de l'eau. Aujourd'hui, et cela continuera dans les décennies à venir, pour les jeunes agriculteurs et ceux de demain, on a certes de plus en plus d'eau l'hiver, mais de moins en moins l'été, si j'ai bien compris ce que disent les météorologues. Le développement d'une politique de retenue collinaire dans de nombreux départements serait-il une clef pour assurer notre souveraineté en matière de production de légumes durant cette décennie, pour ne pas dire ce siècle ?
J'ai été élu dans un secteur betteravier. N'est-on pas allé un peu trop vite, à la suite de la décision qui a interdit l'utilisation des néonicotinoïdes dans ces départements, vers la solution de l'aide financière au lieu d'explorer des pistes alternatives ? Le groupe Cristal Union, qui est implanté près de chez moi, m'a expliqué qu'une graine sans néonicotinoïde serait disponible en 2026. L'euro-idéologie ne nous impose-t-elle pas des décisions contraires à nos intérêts alors que la science fait de gros efforts ? En tout état de cause, ne risque-t-on pas de réduire à terme la production de betterave en France ?
Vous êtes libre de faire part de votre point de vue, mais je signale que la question de la betterave n'entre pas vraiment dans le champ de cette audition. Nous entendrons jeudi prochain les acteurs de la filière du sucre.
On constate effectivement une baisse assez substantielle des volumes produits, mais je ne me mêlerai pas trop de la question de la betterave.
En ce qui concerne le bio, notre position est claire depuis toujours : nous n'avons jamais cru aux 25 % préconisés par l'Union européenne pour 2030. Quand on prévoit 18 % sur le territoire national, nous considérons qu'on envoie les producteurs dans le mur : on fixe un objectif, mais ensuite le marché n'est pas là. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons fait ajouter dans le plan de souveraineté, je l'ai dit tout à l'heure, un volet concernant le soutien à la consommation. Sans cela, nous n'aurions pas participé au plan en tant qu'interprofession.
On est à peu près à 8 % en bio pour les fruits et les légumes, contre environ 6 % pour la consommation alimentaire, malgré toute la communication qui peut être faite à ce sujet. Il faut quand même nourrir les 94 % restants. On produit, par exemple, 200 000 tonnes de pommes bio pour 100 000 tonnes consommées. Des gens perdent ainsi 5 000 à 10 000 euros par hectare parce qu'on les a envoyés, même s'ils ont aussi leur propre responsabilité, dans une voie qui consistait à penser que les arbres monteraient jusqu'au ciel et que le marché croîtrait éternellement dans des proportions colossales. Il existe des freins liés au pouvoir d'achat mais aussi à la perception de la valeur obtenue pour l'argent dépensé, comme disent les Anglais.
Le bio a perdu 20 % en deux ans. Nous disons qu'il faudrait se fixer comme objectif de passer des 6 % actuels à environ 10 % et ensuite voir ce que l'on peut faire, au lieu de se fixer comme objectif 25 %. Les Allemands disent 30 % et nous 18 %, mais c'est incohérent avec le marché, qui n'est pas stabilisé. Essayons d'abord de faire en sorte qu'il le soit. Nous avions alerté le ministère de l'agriculture il y a trois ans et nous lui avions demandé de passer d'un soutien à l'offre à un soutien à la demande. Cela commence à être fait : quelques millions y sont désormais consacrés. Nous avons soutenu, en tant que filière interprofessionnelle, ce mouvement mais nous pensons qu'il faut attendre que le marché recolle au niveau antérieur avant de faire des projections. J'ai demandé au Président de la République, lors du Salon de l'agriculture, d'éviter d'envoyer des producteurs dans le mur en annonçant des chiffres qui ne sont pas réalistes. Je l'ai également dit au ministre de l'agriculture et je peux le répéter très tranquillement devant vous : il ne faut pas pousser en ce sens.
La question de l'eau est majeure pour nous. « Maraîchage » vient de « marais ». Si on n'a pas d'eau, on ne produit rien. Il faut donc trouver des solutions, comme les retenues collinaires que vous avez évoquées. Il est également question d'utiliser les « eaux grises ». Certains pays utilisent 90 % d'eau recyclée : on peut certainement avancer dans ce domaine.
Pour en revenir à la betterave, nous faisons un peu de betterave maraîchère. Nous en vendons, mais nous ne sommes pas concernés par la question du sucre. Je laisse en parler qui de droit.
Je suis producteur de plants de betterave. Il existe effectivement des variétés résistantes à la jaunisse : on en trouve déjà sur le marché cette année. C'est bien la preuve qu'avec la recherche, à un moment donné, on peut trouver, mais il faut y consacrer des moyens. La profession en a mis, l'État aussi, un travail a été fait. Nous allons trouver des solutions. Des tomates qui résistent quinze jours ou trois semaines à maturité dans les champs – on ne peut pas récolter quand il y a, par exemple, des orages – ont également un intérêt, de même que des variétés résistantes aux pucerons et à certaines maladies.
J'en viens à la question de l'eau, que je connais un peu. Il tombe 330 milliards de mètres cubes d'eau sur la France et nous en consommons 3 milliards de litres pour l'irrigation agricole, soit 1 % de l'eau qui tombe. On dit que l'agriculture consomme 58 %, car les autres usages ne sont pas considérés comme de la consommation. Mes chiffres dérangent, mais regardez-les bien.
Imaginons qu'une bouteille d'un litre représente les précipitations annuelles : nous sommes capables de stocker, Voies navigables de France comprises, l'équivalent d'un petit gobelet dans lequel on boit son café, c'est-à-dire 5 centilitres, et ce que nous consommons pour l'irrigation tient dans un dé à coudre. Il faut se fixer l'ambition de stocker davantage et d'avoir ainsi à notre disposition au moins trois dés à coudre. Quand la bouteille est pleine, ils ne se voient pas, mais si on attend qu'elle soit vide, au mois de juillet, cela pose un problème. Prendre de l'eau pour la mettre dans un réservoir ne présente pas de difficulté en ce moment – il y a des endroits où on a trop d'eau. Nous avons la chance d'être un pays qui en reçoit beaucoup par rapport à d'autres, qu'ils soient européens ou méditerranéens. Plus au sud, les précipitations ne sont pas les mêmes que chez nous, mais l'Espagne est capable d'en stocker 50 %, contre 5 % en France. Il faudrait donc mener, en matière d'eau, une véritable politique d'aménagement, structurante et multi-usages, au-delà de l'agriculture.
S'agissant du bio, nous sommes allés jusqu'à 22 % de la production dans la filière tomate d'industrie il y a quelques années – pour le reste, le marché était difficile. Cela fait trois ans que les chiffres sont en baisse – ils sont passés à moins de 10 % cette année. On a du stock en bio et pas assez en conventionnel – mais il est vrai qu'il s'agit d'un produit très standard.
Oui, il faut du bio mais, comme l'a dit M. Grandin, il faut ajuster. On ne doit pas pousser les gens vers un système. J'ajoute que les IFT, les indices de fréquence de traitement, sont plus élevés en bio qu'en conventionnel. Quand on utilise vingt kilos de soufre et qu'il pleut, il faut en remettre vingt kilos, alors que si on se sert d'un produit de synthèse, on peut appliquer 300 grammes sans avoir à recommencer dans les vingt et un jours suivants.
Ne pensez-vous pas, s'agissant de la betterave, que le Gouvernement actuel a complètement failli ? Il n'est pas capable, après la décision de la Cour de justice de l'Union européenne, de renégocier avec Bruxelles, sauf pour des indemnités : il a complètement abandonné ce secteur. Vous dites, et nous le savions déjà, qu'un travail a déjà été fait du côté scientifique.
Je fais simplement un constat : il y a eu une disparition ou un abaissement de la production française, alors que les autres pays ont continué. Par ailleurs, la France est leader en matière de semences, et elle est même très loin devant. Un travail a été fait. Mais qui a décidé d'interdire les néonicotinoïdes ? Ce n'est pas moi.
Si j'ai bien compris, vous connaissez une baisse significative des matières à traiter – les fruits et légumes. Est-ce lié à une diminution du nombre d'exploitations autour de vos usines ? Si tel est le cas, que préconisez-vous pour le renouvellement des générations dans l'agriculture ?
Je laisserai M. Bernard s'exprimer au sujet des usines.
Nous sommes tous conscients du saut générationnel à venir, au sein d'une population plutôt vieillissante. Cela étant, je rappelle que les surfaces sont très petites, dans le maraîchage comme dans l'arboriculture. Nous avons beaucoup progressé mais nous n'en sommes qu'à 13 hectares en maraîchage et à un plus de 20 pour les fruits. Personne ne considère qu'on peut vivre grâce aux fruits en dessous de 20 hectares, sauf circuits très courts, très ramassés.
Il faut redonner une perspective aux jeunes, ce qui est l'objet du plan de souveraineté. Si on leur dit que c'est foutu pour les fruits, qu'on va couper les arbres et qu'ils ne gagneront pas leur vie dans ce métier, personne, à moins d'avoir un caractère suicidaire, ne viendra. Si on dit aux jeunes, au contraire, que le Gouvernement et la filière y croient, que le Gouvernement met 200 millions par an et la filière aussi, qu'on va établir des plans de recherche, qu'on va continuer à travailler, qu'on va stabiliser les parts de marché puis les regagner, alors on a quelques chances d'intéresser des jeunes, qui se diront qu'il y a peut-être des exploitations à reprendre. Pour nous, la solution est de recréer une perspective, pour qu'on retrouve des jeunes intéressés. Ils sont nombreux à sortir des écoles, mais ils ne viendront vers nous qu'à la condition de se dire qu'il y a des perspectives dans ce métier et non une impasse démesurée dans les années qui viennent.
S'il y a des perspectives en matière de revenu, on peut faire venir des jeunes. Pour la tomate, le prix est redevenu à peu près correct cette année et on voit que des jeunes veulent venir. On produit 180 000 tonnes, mais on en a refusé 25 000.
Le secteur des fruits et légumes est petit par sa surface, mais très important en matière d'emploi, de création de valeur et de souveraineté alimentaire. On peut tout acheter ailleurs, mais quelques difficultés peuvent se produire. On va chercher des fruits et légumes en Espagne, mais ce pays, malgré ses réserves, a des problèmes d'eau. Au Maroc, on assèche les nappes jusqu'à 3 500 mètres de profondeur. En Argentine, où je suis allé l'année dernière, il n'y a plus rien à certains endroits, c'est le désert. En Provence, nous avons le Rhône d'un côté et la Durance de l'autre, et nous ne prenons que de l'eau qui passe. Si on ne le fait pas, elle se retrouve quelques heures plus tard dans la Méditerranée, et la mer monte : si on prend un peu d'eau, cela ira moins vite – je plaisante.
À mon avis, il va dégueuler, excusez-moi pour ce terme, dans les semaines qui viennent. Heureusement qu'il a été construit. Sinon, il y aurait des inondations et l'été nous serions à sec. Certains, il y a cent ans, ont été visionnaires : ils ont imaginé le barrage de Serre-Ponçon pour limiter les crues et garder de l'eau l'été. La région la moins affectée par la sécheresse – je siège au comité des calamités agricoles –, c'est la Provence. Elle ne connaît pas de problème de sécheresse parce qu'il y a de l'eau.
Et au Rhône. La CNR (Compagnie nationale du Rhône) accorde 112 mètres cubes par seconde à l'agriculture, mais nous n'en utilisons que 27. Quand on me dit que le débit du Rhône va baisser, je réponds que même s'il était divisé par deux, il nous resterait 54 mètres cubes par seconde et que nous pourrions encore doubler les prélèvements. Par ailleurs, je vous garantis qu'on peut faire beaucoup mieux avec les technologies d'irrigation actuelles. On passe de 40 000 mètres cubes par hectare à 6 000 ou 7 000 quand on se met à arroser par aspersion, à moins de 5 000 au goutte-à-goutte et à 3 500 au goutte-à-goutte piloté. Et si l'on intègre certaines pratiques agricoles, on réduira encore la consommation. Tout cela nécessite de la technique, des formations, des moyens pour investir et surtout que l'eau soit dans le tuyau au moment où la sonde va déclencher l'arrosage. Enfin, l'eau doit être économisée, partagée et sécurisée : on ne peut pas la partager si elle n'est pas sécurisée – on n'en aura pas assez.
Merci de nous avoir accueillis et écoutés. Nous restons à votre disposition si vous avez besoin de compléments – il faudra notamment régler la question des chiffres.
Soyez assurés que le secteur des fruits et légumes travaille collectivement pour faire avancer les choses. Nous avons besoin de notre agriculture et de productions chez nous. Nous avons le potentiel, de l'eau, des hommes et du sol – nous n'avons pas besoin de beaucoup d'espace. Nos cultures, je parle des légumes transformés, s'intercalent parfois dans des exploitations qui produisent aussi des céréales et des semences : ce n'est pas du mono-produit.
Les productions de plein champ, notamment les légumes, sont des cultures de diversification qui, souvent, ne représentent que 10 % de l'assolement. Ces cultures servent à avoir un complément de revenu et elles cesseront si elles deviennent trop compliquées – si on dit que ce n'est plus possible en ce qui concerne l'eau et qu'on n'a plus de solutions pour la protection des plantes. Cela fait deux campagnes qu'on commence à avoir du mal à trouver des hectares. Les agriculteurs se disent que cela représente beaucoup de soucis et qu'ils n'ont pas la certitude d'arriver, en bout de course, à produire. On revient donc à la question de savoir comment on fait pour décider des jeunes à choisir ces productions. On ne s'installe pas en se disant qu'on va faire du légume de plein champ : cela s'insère dans un assolement et il faut qu'on puisse dire aux gens qu'il y a des possibilités en la matière.
Selon les derniers chiffres que j'ai – ils datent de 2019, me semble-t-il –, 10 % des enfants et 32 % des adultes suivaient les recommandations du PNNS (programme national nutrition santé). Imaginez les quantités de fruits et légumes qu'il faudrait être capable de produire en France si les gens se mettaient à en manger suffisamment pour leur santé. Il existe un lien entre cet enjeu de santé publique et les problèmes de filière : on a besoin de faire progresser la consommation de fruits et légumes, mais ce serait également bien qu'ils soient produits à proximité des Français.
La commission procède à l'audition de M. Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins d'appellation d'origine et à indication géographique (CNIV), et M. Didier Delzescaux, directeur.
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins d'appellation d'origine et à indication géographique (CNIV) et M. Didier Delzescaux, directeur du CNIV.
Il nous a semblé utile d'évoquer avec vous la situation de la filière viticole. Bien que celle-ci puisse paraître un peu à la marge du sujet de la souveraineté alimentaire, on peut considérer qu'elle fait partie de ce que le mouvement La Via Campesina – initiateur du concept de souveraineté alimentaire – appelait la « diversité culturelle et agricole ».
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Bernard Farges et Didier Delzescaux prêtent serment.)
Nous parlons davantage de compétitivité que de souveraineté alimentaire, mais les deux notions ne sont évidemment pas sans lien. Notre filière connaît une crise profonde dans certaines régions. Nous avons commencé, il y a quinze mois, un travail sur le plan de filière qui s'achèvera d'ici trois à quatre mois. Lorsque nous avons lancé ces travaux, au début de l'année 2023, des régions viticoles et des produits étaient en grande difficulté. Depuis, la situation s'est encore dégradée, non seulement dans ces régions mais aussi partout ailleurs. Il y a quinze mois, le vignoble de cognac allait très bien, à l'instar de la Champagne ; l'Alsace, comme la Provence, se portaient plutôt bien ; la Loire ne s'inquiétait pas outre mesure. Les autres régions productrices de vin rouge connaissaient en revanche d'assez grandes difficultés, du fait de la déconsommation de ce type de vin en France et dans le monde. Les régions fortement productrices de vin rouge et très exportatrices ont subi des crises successives, en particulier la fermeture du marché chinois fin 2018, début 2019 et l'application de taxes par l'administration Trump à la suite du contentieux entre Airbus et Boeing. La filière a perdu dans certaines régions 25 % de parts de marché aux États-Unis, qui est un marché de valeur, ce qui a pesé sur les chiffres d'affaires. Le covid, qui a suivi, a entraîné une baisse de la consommation et de la commercialisation. Il a également réduit le tourisme, qui est un marché important pour la filière viticole.
Depuis un an, certaines régions sont beaucoup moins sereines. S'agissant du cognac, par exemple, on constate une forte inversion de tendance : le marché chinois suscite des inquiétudes liées aux conflits commerciaux – l'Europe mène une enquête antidumping sur les véhicules électriques chinois. Parallèlement, le marché américain accuse une baisse, qui fait suite à l'arrêt des aides à la consommation. Cette évolution affecte le champagne, le cognac et les autres régions viticoles.
Nous restreignons volontairement notre production en application des cahiers des charges des appellations d'origine contrôlée (AOC). Celles-ci constituent une richesse pour la France et l'Europe. Toutefois, il en résulte des coûts élevés et une partie des consommateurs pourrait ne plus nous suivre. En matière de compétitivité, nous devons affronter une difficulté que ne connaissent pas la plupart des autres pays. En effet, notre législation est la plus contraignante en matière de communication. Dans le cadre de la loi Évin, nous pouvons certes communiquer sur les terroirs et les producteurs, mais plus difficilement qu'en Espagne ou en Italie, qui sont nos principaux concurrents pour l'exportation et la commercialisation. Nous avons bien compris qu'il serait difficile de revenir sur cette loi. On peut toutefois toujours trouver des adaptations.
Notre combat consistera à communiquer habilement sur le produit en faisant de l'éducation sur ce dernier – je parle ici, évidemment, de jeunes adultes et non d'enfants et d'adolescents. Notre capacité à communiquer en direction des jeunes adultes sera décisive, car nous perdons des consommateurs chaque jour. Les consommateurs réguliers appartiennent aux générations les plus âgées. Les nouvelles générations consomment très peu, voire pas du tout de vin. Nous avons à mener un travail considérable d'initiation à nos produits, car la transmission s'opère de moins en moins au sein de la famille. Nous devons apprendre à parler plus simplement de nos produits.
Nous rencontrons des difficultés d'exportation liées aux différends commerciaux. En 2013, nous avons subi les conséquences de l'enquête antidumping lancée par la Commission européenne sur les panneaux photovoltaïques chinois : les régions productrices de vin rouge qui exportent vers la Chine, notamment le Bordelais, ont vu leur commercialisation décliner. Des conflits commerciaux qui ne nous concernent pas ont entraîné, je l'ai dit, une baisse de 25 % des exportations vers les États-Unis. À cela s'ajoutent les inquiétudes s'agissant de l'exportation de cognac vers la Chine.
Les accords commerciaux sont donc, pour nous, un sujet important. Pour la filière viticole, la conclusion d'un accord commercial est généralement une bonne chose. Aussi regrettons-nous la position du Sénat à l'égard du CETA (Accord économique et commercial global), qui est plutôt un bon accord pour l'ensemble de l'agriculture mis à part quelques points de détail – même pour l'élevage, il n'est pas si mauvais que cela. Le refus d'un accord commercial est dangereux pour la filière viticole, à condition, évidemment, que l'accord soit équilibré et qu'il prenne en compte toutes les filières.
L'exportation préserve les territoires viticoles. Dans le cadre de notre plan de filière, nous sommes arrivés à la conclusion que nous devons arracher au moins 100 000 hectares de vigne sur un total de 750 000 hectares, soit près de 12 % du vignoble. Cela ne signifie pas que l'on arrachera 12 % de la vigne en Alsace ou en Champagne, mais peut-être le fera-t-on, dans une proportion de 30 ou 40 %, dans certaines régions : cela pourrait être le cas dans le Bordelais, le Languedoc, la vallée du Rhône, le Vaucluse ou le Gard. Cela provoquera des évolutions notables en matière de foncier et modifiera sensiblement l'approche sociale de ces lieux.
Si l'on recule sur les accords commerciaux, si l'on se contente de subir la déconsommation sans essayer d'inverser la tendance, de nouveaux arrachages seront inévitables. La filière subira alors une nouvelle perte de compétitivité, laquelle pénalisera notre excédent commercial. Vous le savez, la filière des vins et spiritueux dégage entre 12 et 15 milliards d'euros d'excédent chaque année – ce n'est pas une mince prouesse compte tenu des aléas climatiques et commerciaux.
Le changement climatique est l'un des facteurs qui influent sur notre compétitivité. La filière s'est dotée d'un plan pour tenter d'atténuer ses effets par une évolution des pratiques. Nous mettons l'accent sur l'anticipation pour continuer à produire du vin dans les territoires viticoles et peut-être en faire dans d'autres régions françaises. Il faut en priorité adapter les vignobles là où ils existent, là où sont installées les entreprises. Notre objectif n'est évidemment pas de déplacer les vignobles d'un bout à l'autre de la France mais de les adapter, au sein de leur écosystème, pour faire face au changement climatique.
Vous avez souligné à juste titre l'importance du commerce international pour la filière viticole. Pouvez-vous nous rappeler quels sont les principaux clients de la France, tant dans l'Union européenne qu'à l'échelle mondiale ?
On compte deux marchés très importants dans l'Union européenne : la Belgique et l'Allemagne. Hors de l'Union, nos principaux clients sont le Royaume-Uni, les États-Unis, la Chine et, dans une moindre mesure, le Canada, le Japon et Hong Kong – ces deux derniers marchés étant axés sur la valeur. Nos trois principaux clients, en matière de chiffre d'affaires, sont, si je ne me trompe, le Royaume-Uni, les États-Unis et la Chine.
La viticulture française, malgré certaines difficultés sectorielles ou géographiques, demeure une filière puissante où les choses vont moins mal – du moins sur le plan des exportations – que dans d'autres secteurs agricoles. Quelles leçons pourrait-on tirer des succès de la viticulture pour les autres filières agricoles ?
La filière viticole donne l'impression de bien marcher, dans l'ensemble, mais, comme je le disais, elle est en grande difficulté dans plusieurs régions. Parallèlement à l'accompagnement de l'État, il nous faut conduire la restructuration, à savoir réduire les surfaces, adapter les produits et travailler sur l'image de ceux-ci. Cela dit, il y a encore quelque temps, notre filière était globalement assez prospère. Aujourd'hui encore, des secteurs demeurent très efficaces, comme la Champagne.
On peut tirer des leçons des succès comme des difficultés de la filière. Pour ce qui est des réussites, il faut insister sur l'importance de la montée en gamme dans les performances obtenues. Les signes de qualité, qui représentent 90 % de notre chiffre d'affaires, sont essentiels. On exporte grâce aux signes de qualité et à la protection qui leur est apportée. Certes, la marque, le nom du viticulteur confèrent parfois une notoriété supérieure à un vin mais l'appellation permet d'être reconnu et protégé dans le monde entier. Elle aide parfois à traverser les crises. Autre enseignement : nous avons développé la capacité à aller chercher de nouveaux marchés grâce à un réseau de distribution, à des négociants, à des viticulteurs qui vont loin et sont formés pour ce faire. Les acteurs de la filière viticole, y compris ceux qui sont à la tête d'une toute petite entreprise, ont appris ce qu'était l'exportation. Le maillage des entreprises exportatrices de toutes dimensions est une force de la filière.
Une leçon que l'on peut tirer de nos difficultés est qu'il faut veiller, lors de la montée en gamme, à garder une capacité de conquête des marchés d'entrée de gamme et de valeur différente. En effet, la montée en gamme ne suffit pas à alimenter tous les marchés. La France s'est coupée des produits d'entrée de gamme parce qu'ils n'étaient pas suffisamment valorisés et parce que la contractualisation entre les producteurs et les industriels n'était pas assez développée. On est donc allé chercher des produits moins chers ailleurs. L'attention portée à l'entrée de gamme permettrait à certaines entreprises, organisées de manière très industrielle, de conquérir des marchés qui ont été totalement abandonnés. La démarche industrielle ne saurait toutefois remplacer le modèle de la valorisation, qui doit rester et restera le socle de notre production dans les territoires et de notre chiffre d'affaires.
Votre préconisation concernant l'entrée de gamme concerne-t-elle le marché intérieur ou l'export ?
Je parle surtout du marché international, même si cela peut aussi concerner la France, pour des vins très industriels. L'entrée de gamme, qui peut représenter des volumes élevés, est un marché occupé par des vins espagnols, chiliens ou autres. Ce type de production exige un raisonnement spécifique, car on ne produit pas un vin industriel comme un vin d'Alsace, de Bordeaux ou du Languedoc.
Le nombre de caisses vendues annuellement au Canada a augmenté de 6 % entre 2016, date de la signature du CETA, et 2023. Quel regard portez-vous sur cette hausse modeste ?
Que pensez-vous de la proposition du président des Vignerons indépendants de France de faire sortir le vin du volet agricole des traités de libre-échange afin de lui réserver un traitement particulier ?
L'évolution des exportations vers le Canada est sans doute modeste mais n'en reste pas moins positive, alors que nous avons connu, au cours de la même période, une diminution des exportations vers de nombreux pays. L'accord a commencé à s'appliquer assez récemment. Je crains que, si cela devait s'arrêter, on n'accuse une baisse assez nette.
L'idée d'extraire la viticulture des accords commerciaux me paraît bonne, mais je ne suis pas certain que ce soit une solution miracle, ni que l'on arrive à isoler le vin aussi facilement. D'autres filières pourraient nourrir la même ambition.
FranceAgriMer indique que notre dépendance aux importations de vin est de 25 %. Le vin importé est-il réemployé pour l'exportation ? Nous importons 4 millions d'hectolitres de vin espagnol et 2 millions d'hectolitres de vin italien, majoritairement d'entrée de gamme, ce qui représente des volumes considérables ; à titre de comparaison, la récolte 2023 de Bordeaux s'est élevée à près de 4 millions d'hectolitres. N'a-t-on pas créé au sein du marché commun des distorsions de concurrence qui pénalisent la production française ? Je pense en particulier à la surtransposition des normes, qui dégrade notre compétitivité face à nos concurrents espagnols et italiens.
L'importation de vin espagnol en France n'est pas la cause de nos difficultés. Il y a certes des problèmes tenant à la francisation ; un certain flou est parfois entretenu dans la présentation. La DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) se penche sur ces pratiques, qui nécessitent un recadrage. Une grande partie des 6 millions d'hectolitres importés sont réexportés, en particulier vers la Chine. Cela concerne des vins bas de gamme et d'entrée de gamme. Nous achetons à l'Italie des vins tels que le prosecco, mais cela ne représente pas des quantités extraordinaires. Le consommateur français est très chauvin, ce dont nous nous félicitons !
Il y a en effet de la surtranposition, par exemple en matière d'utilisation de matières actives destinées à la défense des végétaux ou au travail à la vigne. Je pense au glyphosate et à d'autres molécules qui ont été interdites en France mais demeurent autorisées à l'étranger.
Afin d'éviter des impasses, nous travaillons intensément avec le Gouvernement et les équipes ministérielles sur le Plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures (PARSADA). Toutefois, rien n'est acquis. Il est essentiel que l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) ne soit pas la seule à décider : le politique doit reprendre la main.
Pour nous viticulteurs, il n'est pas question de considérer que des molécules qui ont disparu depuis vingt ans doivent revenir. En tant qu'utilisateurs, parents, employeurs, habitants de nos villages et consommateurs, nous estimons qu'il est heureux que de tels produits aient disparu. Nous devons nous engager dans cette transition mais il nous faut garder notre capacité à produire en conservant les molécules qui le permettent, tout en investissant fortement pour trouver des solutions de remplacement.
La filière étant capable d'exporter, elle est moins tributaire de ces enjeux que d'autres secteurs. Nous sommes aussi moins confrontés à des problèmes de concurrence, notamment sur les salaires, que certaines filières recourant à une main-d'œuvre plus importante.
L'export apparaît comme l'une des solutions pour redresser le secteur. Or la profession critique fréquemment le manque d'accompagnement en la matière. Avez-vous le sentiment que l'État et l'appareil diplomatique se mobilisent pour le vin comme ils le font pour d'autres produits d'exportation ?
La diplomatie économique est importante : nous rencontrons les hautes autorités de l'État – le Président de la République, les représentants du Quai d'Orsay – pour évoquer les conflits commerciaux, par exemple l'installation de panneaux photovoltaïques ou les conséquences du contentieux aéronautique. Nous nous trouvons en grande difficulté lorsque l'État prend une décision qui peut être légitime mais dont il n'assume pas les conséquences. Il nous faut alors intervenir, notamment en demandant à accompagner les acteurs de la diplomatie économique lors des déplacements, ce qui doit être mieux structuré qu'aujourd'hui.
Par son organisation commune du marché (OCM), la filière viticole dispose de moyens. Les fonds européens pour la viticulture sont des aides non à l'hectare mais aux investissements : leurs 265 millions annuels permettent notamment d'investir dans le vignoble, les chais ou l'export. Dans ce domaine, nous rencontrons toutefois des difficultés pour instaurer des dispositifs simples, efficaces et utilisables par les entreprises.
La profession est en partie responsable de la sous-consommation des budgets alloués au soutien à l'exportation. Les viticulteurs, les négociants ou les membres de caves coopératives militent plus facilement pour obtenir des aides permettant d'installer une vigne ou un chai que pour soutenir l'exportation. Nous devons travailler avec l'État pour simplifier ces dispositifs très complexes, risqués, voire dangereux car des pénalités peuvent être prononcées si les dossiers ne sont pas montés correctement.
Nos amis italiens et espagnols sont plus efficaces que nous pour tirer parti des fonds européens mis à leur disposition : ils travaillent activement avec leur administration pour utiliser les budgets de promotion. En France, bien que certaines améliorations aient été constatées, nous devons faire beaucoup mieux.
Des entreprises qui ont investi plusieurs centaines de milliers d'euros dans des programmes de promotion dans les pays tiers, aidés à hauteur de 40 % ou 50 %, ont été rattrapées par FranceAgriMer deux à quatre ans plus tard : ses services leur ont demandé de rembourser les subventions, ce qui a mis les entreprises en grande difficulté.
Le manque de clarté du dispositif et l'absence d'engagement de l'administration française et de l'État aux côtés des entreprises ont conduit des exploitants à refuser de monter de tels dossiers.
J'entends que l'on réexporte des volumes de vins plus compétitifs, mais ce sont des volumes en moins pour l'exportation : on pourrait aussi réexporter ou exporter le vin français. Des questions se posent aussi sur la capacité de la France à produire des vins de cœur de gamme.
Quand vous dites que le politique doit reprendre la main, vous semblez faire référence à la réforme de 2014 relative au transfert à l'ANSES des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires. Quelles en sont les conséquences pour la viticulture ?
Pouvez-vous dresser un bilan de la capacité de la filière à garder des outils de production malgré la suppression des produits phytosanitaires ? Les efforts consentis, qui impliquent des pertes de solutions, sont-ils viables ?
La filière viticole est identifiée comme une grande consommatrice de produits phytosanitaires : cela est vrai, notamment en tonnage. Or nous utilisons des produits de biocontrôle comme le soufre ou le cuivre, qui sont lourds : dès lors que le bio progresse ou que les entreprises utilisent davantage ses produits, les tonnages augmentent, mais mieux vaut du soufre à trois kilos à l'hectare qu'un produit de synthèse à 10 centilitres. Il en résulte pourtant des titres très négatifs. On peut malheureusement faire dire beaucoup de choses aux chiffres.
La filière viticole voit dégringoler son utilisation de substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction les plus dangereuses, les CMR de catégorie 1 qui sont interdites, et les CMR de catégorie 2. C'est une excellente nouvelle mais des situations délicates peuvent en résulter. En 2023, du fait d'un printemps très humide, les vignes du Sud et du Sud-Ouest de la France ont connu des pertes considérables liées au mildiou, notamment parce que les viticulteurs n'utilisent presque plus de CMR de catégorie 2 et que certaines molécules ont disparu.
Au cours du travail d'anticipation du retrait des molécules, mené avec l'État, la filière viticole a identifié quatre maladies pouvant conduire à des impasses : le mildiou, le black-rot et l'oïdium, qui sont responsables de pertes dans les récoltes, ainsi que et la flavescence dorée, apportée par les cicadelles de la flavescence dorée, qui peut nécessiter d'arracher des parcelles et menacer la pérennité du vignoble. Certaines régions la découvrent ; d'autres vivent avec depuis dix, vingt ou trente ans, et, dans certains endroits, des parcelles ont disparu.
Si, comme nous le craignons, une famille d'insecticides, également utilisée en bio, est retirée, une partie du vignoble disparaîtra car il n'existe pas de solution de remplacement. Une décision prise unilatéralement pour une filière, comme elle l'a été pour les betteraviers l'an dernier, pourrait être dramatique si elle n'est pas contrebalancée. L'ANSES a certes son rôle à jouer mais le politique doit peser pour que les filières ne sombrent pas et ne se trouvent pas démunies, acculées dans des impasses insurmontables.
Le tribunal de commerce de Bordeaux, considérant que le prix ne devait pas être inférieur au coût de production, a récemment donné raison à un viticulteur contre deux négociants ayant acheté du vin à un prix abusivement bas : il s'agit de la première décision judiciaire prise sur le fondement de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Egalim 1, qui a étendu les prix abusivement bas aux prix agricoles. Qu'en pensez-vous ?
La loi étant susceptible de modifier fortement les équilibres de certains bassins de production, notamment le Bordelais, le CNIV a-t-il été accompagné pour la comprendre et adapter la profession ?
Contrairement à ce que l'on entend parfois, la filière viticole est concernée par la loi Egalim. Nous avons souhaité déroger à l'une de ses mesures phares, l'obligation de contractualisation écrite, car certaines régions pratiquent celle-ci depuis longtemps. Peut-être n'avons-nous pas montré suffisamment de curiosité pour approfondir notre compréhension de la loi – ou le service après-vente n'a pas été suffisant.
Après Egalim 1, 2 et 3, nous attendons avec impatience Egalim 4, dans certaines régions et pour certains produits. L'idée avancée par le Premier ministre le 21 février de renforcer Egalim pour donner aux agriculteurs leur poids légitime dans la construction d'un prix « en marche avant », à partir d'indicateurs, peut être décisive pour certains produits de notre filière.
La loi Egalim a permis des progrès – la filière du lait le montre, même si des accompagnements, des renforcements et des clarifications sont encore nécessaires. Il nous semble dangereux de nous fonder sur la première décision, sans attendre les jugements d'autres juridictions ou en appel, pour déterminer comment les choses doivent se passer. La décision a eu le mérite d'attirer l'attention sur la pratique des prix abusivement bas et sur la nécessité de clarifier l'article L. 442-7 du code de commerce qui définit cette notion.
Parce que la porte a été ouverte par le Premier ministre, puis par le Président de la République, il faut renforcer Egalim, c'est-à-dire construire « en marche avant » un prix, à partir d'indicateurs de coûts de production, du producteur au consommateur. À l'heure actuelle, les industriels de la filière viticole saisissent un marché à un certain prix et cherchent un produit pour l'alimenter, quel que soit le coût de production du producteur : si ce marché est déséquilibré, ils trouveront toujours un producteur. Cette construction doit être inversée. Le Premier ministre l'a dit, il faut construire le prix « en marche avant », et partir du prix qui permet à l'entreprise de tourner.
Il s'agit de prendre en compte des indicateurs globaux et non entreprise par entreprise, ce qui conduirait à des aberrations. Au sein des départements, des indicateurs existent, qu'ils soient indépendants ou qu'ils reprennent la moyenne des coûts des entreprises suivies par les centres de gestion. Lorsque nous saurons les déterminer, nous serons enfin sur le bon terrain : la loi nous aura permis de bâtir un prix payé au producteur à partir d'indicateurs.
Actuellement les dispositions du code de commerce interdisent la revente à perte, et personne n'y trouve à redire, tandis que la vente à perte est tolérée dans le contrat amont entre un producteur et un industriel. Ce qui est cohérent d'un côté doit l'être de l'autre. Il n'y a pas de raison que les entreprises puissent travailler à perte et que le travail ne soit pas rémunéré : la loi doit y veiller.
La loi Egalim a apporté des éléments positifs, notamment pour la filière laitière. Sur d'autres volets, elle doit être complétée : nous travaillons à combler ce qui doit l'être, notamment la prise en compte d'indicateurs dans la construction du prix.
Je comprends bien que vous vouliez aborder cette question en évoquant les perspectives et l'amélioration de la loi, mais le jugement, s'il est confirmé, pourrait inciter les autres viticulteurs ou les agriculteurs à introduire des actions similaires, ce qui aura de lourdes conséquences pour les négociants et les industriels. Notre commission d'enquête ne peut pas exclure cette question et il est fondamental de déterminer comment les interprofessions ont été sensibilisées.
L'obligation d'indicateurs et la notion de prix abusivement bas concernent aussi la viticulture : elles n'entrent pas dans le champ d'une dérogation. Il en va de même pour l'article 1er de la loi Egalim 1, qui prévoit une construction inversée du prix : le producteur présente une proposition de prix qu'il appuie sur des indicateurs. Or, malgré les dispositions de la loi, il semble que la filière viticole n'a pas publié d'indicateurs – elle n'est pas la seule dans ce cas. Depuis la promulgation de la loi, les services de l'État vous ont-ils alertés sur ce point ?
Non, pas à ma connaissance. Il n'y a rien de plus simple que de justifier un indicateur. Je l'ai dit, les indicateurs existent, même si les interprofessions ne les publient pas : ils sont à disposition dans tous les départements. Nous n'avons pas reçu de relance ou d'appel pour les publier.
Si nous devons publier des indicateurs, nous les choisirons de manière interprofessionnelle, mais à condition qu'ils soient utiles et utilisés comme point de départ de la construction du prix. Aujourd'hui, même après la décision de justice mentionnée, la définition du prix abusivement bas reste à clarifier – nous y travaillons. Pour déterminer sa sanction, le juge de Bordeaux n'a pas retenu les indicateurs de coûts de production, ni ceux d'enregistrement de contrat publiés par l'interprofession : il a choisi les indicateurs d'enregistrement, également légitimes, établis par le Conseil national des courtiers de marchandises assermentés.
Si les interprofessions doivent publier des indicateurs, ils le feront, comme ils publient aujourd'hui les indicateurs de marché.
Vous dites que vous êtes capables d'établir des indicateurs mais que ceux-ci ne sont pas publiés. Il existe tout de même une obligation légale de les publier.
On peut se demander pourquoi le juge n'a pas retenu les indicateurs de coûts de production : est-ce parce qu'ils sont peu nombreux ou qu'ils ne sont pas opportuns pour l'exploitation concernée ? Les indicateurs d'enregistrement de l'interprofession dont vous parlez ne correspondent pas à l'esprit de la loi : le législateur n'entend pas prendre en compte des indicateurs de transaction, qui sont largement en dessous des coûts de production.
Si l'on s'en tient à cette première décision, on note que la loi Egalim peut fonctionner, bien qu'elle reste à préciser – la décision en appel donnera l'occasion d'un éclaircissement. Il y a une incompréhension générale de cette loi de la part des acteurs concernés, sans que le Gouvernement et les services de l'État ne cherchent à s'assurer de son application.
La loi Egalim doit être complétée, notamment sur la partie amont du contrat, pour partir d'un prix du producteur défini à partir d'indicateurs. Sur ce point, la loi est insuffisante. Il s'agit de faire en sorte que ce prix soit la base de la construction du prix, pour aller ensuite vers l'industriel, puis le distributeur et le consommateur. Dans la décision du tribunal de Bordeaux, le juge s'est appuyé sur des indicateurs de marché, mais pas ceux que nous publions. Nous ne publions pas d'indicateurs de coûts de production mais ceux-ci existent et sont connus.
Quelle est la part de vins sous signes officiels de qualité parmi les volumes exportés, notamment en Europe ? Ces signes d'identification de l'origine et de la qualité (SIQO) protègent-ils les productions viticoles ? Souhaitez-vous voir évoluer leurs cahiers des charges ?
En tant qu'ancien président de la Fédération européenne des vins d'origine, il me sera difficile d'être impartial : j'ai beaucoup travaillé à défendre les SIQO avec nos amis espagnols, italiens et portugais car nous les considérions comme des outils formidables. C'est la principale richesse collective que nous avons créée dans le monde viticole européen.
À l'exportation, la part française des vins sous SIQO est de 90 à 95 % en volume et de 98 % en valeur. En France, la part des vins sans indication géographique est très faible, suivant un modèle pyramidal inversé par rapport au schéma habituel où les nombreux produits industriels constituent la base de l'offre.
Il a fallu un demi-siècle pour parvenir à ces SIQO, qui ont créé la richesse viticole de la France et de l'Italie. L'Espagne vend davantage de produits d'entrée de gamme, même si les vins sous signes de qualité y existent aussi. Au Portugal, les produits d'entrée de gamme qui ne sont pas sous signes de qualité ne rémunèrent pas les producteurs.
Ce modèle est une chance ; il faut le défendre, le protéger au niveau européen, ce qui est fait, ainsi qu'à l'échelle internationale, par exemple lors du congrès mondial de la vigne et du vin, qui rassemblera la quarantaine de ses pays membres en octobre à Dijon. J'espère que ce sera l'occasion pour l'État français, ainsi que pour un certain nombre de pays, de faire une déclaration d'amour à ce produit, à ces cultures et à ces terroirs.
La valorisation par les signes de qualité permet à des territoires de vivre de la production viticole et d'y maintenir le niveau d'activité économique. J'ai travaillé avec nos amis de Champagne et je sais que, même si l'on y trouve de belles terres agricoles, chaque hectare de vignes champenoises produit une richesse formidable pour l'entreprise, le secteur et la France. C'est la protection offerte par les SIQO qui le permet.
Ma première question porte sur le rapport entre le marché du vin et la politique de santé publique en France. Selon vous, la politique menée est-elle cohérente si on la compare à celle d'autres grands pays européens ?
Deuxièmement, la consommation globale de vin augmente dans le monde, mais les évolutions sont très différentes selon les pays. Elle baisse en France mais augmente en Chine et dans d'autres pays. Le dynamisme du marché mondial permet-il de compenser le déclin sur le marché national ?
Ma troisième question concerne les vignerons indépendants. On recherche de plus en plus des vins typiques, lesquels sont le propre des vignerons indépendants. La gamme des produits des grandes maisons n'est en effet pas aussi étendue. Soutient-on suffisamment ces indépendants pour les aider à exporter ? J'entends beaucoup dire qu'ils font face à la complexité et à la lourdeur des procédures d'exportation, y compris au sein de l'Union européenne. Cette constatation est-elle valable dans tous les pays de l'Union ?
Quatrième question : quelle est l'incidence du réchauffement climatique sur la viticulture française ? Est-il encore possible de cultiver la vigne dans le Sud-Ouest et le Sud-Est sans un minimum d'irrigation ? Et, si votre réponse est non, quelle politique de l'eau faut-il mener pour essayer de conforter la viticulture ?
Enfin, une dernière question sur les vendanges, dont vous n'avez pas du tout parlé. Le contrat vendanges comportait une petite exonération de cotisations sociales pour les salariés, afin d'encourager les Français à y participer – notamment les plus modestes d'entre eux. Cette exonération a été supprimée et, dans le cas de la Champagne, les vendanges sont désormais faites à plus de 50 % par des étrangers.
Ne faudrait-il pas encourager les nationaux, notamment les demandeurs d'emploi et les bénéficiaires du RSA, à venir travailler pendant cette période qui dure entre quinze et vingt jours ? Ne faudrait-il pas également augmenter la durée hebdomadaire de travail pour faire face à des conditions climatiques qui exigent parfois de vendanger dans l'urgence – en passant par exemple à quarante-cinq heures tout en payant davantage les intéressés ?
La France a une politique de santé publique un peu singulière s'agissant des boissons alcoolisées – particulièrement en ce qui concerne le vin, alors qu'elle est un pays producteur. C'est un peu comme si l'Allemagne menait des politiques drastiques sur l'usage de l'automobile.
Il est évidemment important de se préoccuper du fléau de l'alcoolisme et nous souhaitons participer à des messages de prévention pour inciter à une consommation responsable du vin. Nous souhaiterions pouvoir être reçus au ministère de la santé, mais ses portes nous sont fermées depuis bien longtemps. La politique de communication officielle sur le vin est très particulière en France et elle n'a pas fait la démonstration de ses effets positifs sur la consommation et la santé publique.
Les ministres de la santé sont tout à fait disposés à nous recevoir. L'approche et les propos du Président de la République sur le vin sont très positifs – ce qui n'a pas toujours été le cas de ses prédécesseurs, quelle que soit leur affiliation politique. Pourtant, les portes du ministère de la santé nous restent fermées lorsqu'il s'agit de participer à des politiques de communication sur la consommation modérée et responsable.
Pourquoi ? Je n'en sais rien. Nous sommes un lobby et nous l'assumons. Il est normal qu'il y ait également des lobbies de la santé. Il est clair qu'ils sont plus forts que nous au sein du ministère de la santé, dont l'approche consiste à réduire toute consommation de vin plutôt que d'inciter à une consommation responsable tout en luttant contre les excès.
Nous sommes évidemment satisfaits que l'État mette en place des politiques de santé publique pour lutter contre la consommation excessive de produits quels qu'ils soient. Pour autant, il est nécessaire de mener un vrai travail pour éduquer à la consommation de nos produits. Des rassemblements de plusieurs centaines de milliers de personnes sont régulièrement organisés en France sans que l'on constate d'excès. Ces occasions devraient être mises à profit pour éduquer à la consommation de nos produits.
La consommation mondiale de vin est plutôt stable, mais on constate une baisse de la consommation de rouge. C'est vrai partout. Nos amis américains arrachent des vignes en Californie. C'est également le cas au Chili et en Australie, comme en France. On assiste à une mutation de la consommation.
Si la consommation de vin avait augmenté assez fortement en Chine, on constate que les exportations vers ce pays baissent, qu'il s'agisse de vins français ou australiens. Nous pensons cependant que les Australiens vont repartir à l'assaut du marché chinois, car des taxes importantes vont être prochainement supprimées.
Reste que le marché mondial du rouge est en difficulté. Il est nécessaire de fournir des outils de soutien à l'exportation aux vignerons indépendants et aux caves coopératives. Pour autant, prospecter des marchés pour y vendre des volumes importants suppose des qualités professionnelles bien particulières. Nous avons besoin de grandes entreprises qui soient de vrais exportateurs et qui soient calibrées pour cela. Nous avons aussi besoin de viticulteurs et de caves coopératives pour conquérir des marchés qui sont un peu différents et plutôt de niche.
Je ne veux pas opposer les deux démarches, pour lesquelles il est nécessaire de simplifier l'accès aux aides à l'exportation existantes. Il ne s'agit pas de réclamer des moyens supplémentaires, mais bien de mieux utiliser les dispositifs déjà prévus afin d'obtenir un effet de levier important. Il faut éviter de marcher sur les platebandes des entreprises dont l'objet même est de conquérir des marchés internationaux en dépêchant suffisamment de personnel à l'étranger pour y parvenir.
S'agissant des effets du réchauffement climatique, les difficultés sont plus importantes dans le Sud et le Sud-Est que dans le Sud-Ouest, où l'eau est pour l'instant plus disponible – ce qui ne veut pas dire que nous n'aurons pas de problèmes dans trente ans.
Je regrette que la question de l'eau soit abordée au sein de notre filière seulement sous l'angle technique – c'est-à-dire en s'interrogeant sur l'allongement du canal depuis le Rhône afin de pouvoir irriguer les Pyrénées-Orientales ou une plus grande partie de l'Occitanie. Il est certes nécessaire de réfléchir à ces aspects ainsi qu'aux investissements que cela représente, mais il faut aussi se pencher sur la question de l'acceptation par la société. Il sera difficile d'expliquer aux Français que l'on emploie de l'eau pour produire quelques litres de vin supplémentaires alors que l'on restreint les usages des habitants d'une ville à proximité. Je caricature, mais très souvent, c'est ainsi que sont posés les termes du débat.
Il faudra bien entendu procéder à des investissements, mais seulement une fois que l'on sera en mesure de bien expliquer à quoi les installations sont destinées, car toutes les solutions techniques ne sont pas acceptables par la société. Faute d'anticipation et d'acceptation, des conflits très importants surgiront et une partie du vignoble comme de l'agriculture pourra disparaître dans certaines régions.
En ce qui concerne la main-d'œuvre pour les vendanges, les besoins sont beaucoup plus importants en Champagne, en Bourgogne et en Alsace que dans le Bordelais. La législation sur le temps de travail est extrêmement restrictive – c'est normal et je ne la remets pas en cause. Il faut pouvoir trouver des adaptations afin d'éviter que ne s'installent des marchands d'heures de vendanges qui ont recours à une main-d'œuvre étrangère parfois mal logée et maltraitée. Lorsque c'est le cas, c'est dramatique d'abord humainement et socialement, mais aussi pour l'image de la viticulture.
Parmi les aménagements possibles, vous avez cité les horaires et les exonérations de charges, notamment pour les salariés. On peut aussi envisager le cumul du RSA et du salaire tiré d'un emploi saisonnier, pour inciter davantage la main-d'œuvre locale.
Il faut aussi améliorer les conditions de logement. Les exigences et l'instabilité actuelles de la réglementation ont amené des exploitations à déléguer l'hébergement à des prestataires peu sourcilleux. Il faut sans doute inciter les collectivités locales à investir dans des hébergements pour les saisonniers, par exemple dans des campings. Cela permettra d'employer la main-d'œuvre locale dans de bonnes conditions.
Les assouplissements nécessaires doivent permettre de mieux payer et mieux traiter les saisonniers.
Je suis député de l'Aube et ma circonscription comprend la Côte des Bar.
La question de la lutte contre les contrefaçons – notamment les faux champagnes – semble moins présente dans les débats qu'il y a quelques années. Les moyens dont disposent les douanes sont-ils suffisants ? Doit-on craindre une recrudescence du trafic de contrefaçons ?
Selon les organisations représentatives de producteurs de champagne, les règles relatives aux zones de non-traitement (ZNT) pourraient faire perdre 1 500 hectares de vignoble. On le voit, de nombreuses vignes sont accolées aux villages. Selon vous, que faut-il faire en la matière ?
Les étiquettes pourraient être affectées par l'action des lobbies anti-alcool dont vous avez parlé. Alors que les vignerons ont fait des efforts avec les QR codes qui permettent de connaître les substances entrant dans la composition du vin, certains fous furieux à Bruxelles envisageraient de faire figurer des photos de maladies sur les étiquettes, comme c'est le cas pour les paquets de cigarettes. C'était vraiment le danger numéro un. Qu'en pensez-vous ?
J'en viens au renouvellement des générations dans la viticulture. Cela me fend le cœur de voir dans ma circonscription des viticulteurs obligés de vendre un hectare parce qu'ils ne peuvent pas payer les droits de succession. Ils subissent les effets de l'augmentation du prix du foncier, qui dépasse parfois 1 million d'euros par hectare. Nous proposons de baisser la taxation pour assurer un avenir aux générations de viticulteurs. Qu'en pensez-vous ?
Même si cela ne concerne pour l'instant pas du tout la Champagne, on entend de plus en plus parler de l'utilisation des robots, notamment pour faire les vendanges. Je n'ai pas forcément de point de vue sur la question mais je souhaiterais connaître le vôtre.
(Présidence de M. Charles de Courson, secrétaire de la commission.)
Afin de lutter contre les contrefaçons, il est important que l'enregistrement des indications géographiques se développe dans tous les pays du monde et que ceux-ci collaborent entre eux. Les douanes françaises font leur travail, mais en l'occurrence c'est vraiment aux douanes d'autres pays de faire le leur. Or leurs moyens sont parfois très limités, comme en Chine – pays très vaste et où les comportements peuvent être erratiques lorsque l'administration est très éloignée de Pékin et très décentralisée. La difficulté est moindre pour le champagne – qui est exporté déjà mis en bouteille – que pour les vins expédiés en vrac et pour lesquels on assiste parfois à une « multiplication des pains ».
Néanmoins, la question est moins celle des douanes que celle de la protection des marques. Le comité interprofessionnel du vin de champagne et l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) travaillent beaucoup sur les contrefaçons. Il ne faut jamais baisser la garde et il faut insister sur la protection des signes de qualité lorsque sont négociés des accords commerciaux internationaux.
Nous avons été plutôt rassurés par le retrait par la Commission européenne de la proposition de règlement sur une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable (SUR), car les dispositions sur les ZNT nous auraient mis en grande difficulté. Nous espérons que cette proposition ne reviendra pas à la faveur d'une évolution politique future. Nous serons très vigilants sur ce point.
En Champagne, nous avons obtenu de pouvoir planter des cépages résistants, en particulier dans les ZNT. La vigne étant plantée pour de nombreuses années, nous avons besoin de visibilité sur l'avenir de la réglementation qui nous autorise à utiliser des produits de biocontrôle. C'est absolument décisif. Sans cela, des milliers d'hectares pourraient disparaître en Champagne, en Bourgogne, en Provence et dans le Bordelais.
Depuis le 8 décembre 2023, les étiquettes doivent permettre d'accéder à des informations sur les calories et les ingrédients. Cette réglementation européenne a été adoptée à l'initiative de la profession, ce qui nous vaut de prime abord des réactions virulentes de certains de nos collègues viticulteurs. Il faut donc bien expliquer les raisons de notre démarche.
Les boissons alcoolisées étaient les seuls produits agroalimentaires dispensés de l'obligation d'indiquer les calories et les ingrédients. Or plusieurs États membres envisageaient d'édicter leur propre réglementation pour combler ce vide. Nous avons donc travaillé pour bâtir une législation commune au niveau européen afin d'éviter d'être confrontés à une vingtaine de réglementations qui auraient constitué autant d'obstacles à l'exportation. Les producteurs de vins pétillants ont été malmenés puisque le texte leur est applicable depuis octobre 2023 alors qu'il ne le sera qu'à compter de la récolte 2024 pour les autres produits viticoles.
Il était important que l'accès aux informations sur les calories et les ingrédients puisse être totalement dématérialisé – ce qui est le cas grâce au QR code – sans avoir l'obligation de préciser en plusieurs langues sur l'étiquette que le QR code est porteur d'une information – comme le demandait l'administration française, notamment la DGCCRF. Chacun sait bien qu'un QR code permet d'accéder à une information…
Vous avez raison : il est difficile de renouveler les générations d'exploitants quand l'activité est florissante. La valeur du patrimoine et le montant des droits de mutation sont alors très importants. Lorsque l'hectare est très cher, il est difficile à un enfant de succéder à ses parents, et ce d'autant plus que les autres enfants demandent légitimement à bénéficier de leur part. Nous suggérons donc que la mutation ne soit pas constatée tant que l'un des héritiers continue d'exploiter la propriété viticole ; elle ne le serait que lorsque celui-ci vend ou transfère ses parts.
Les exploitations agricoles peuvent bénéficier de la loi Dutreil, mais cela implique de monter des usines à gaz qui ne sont pas adaptées à des structures petites et moyennes.
Il nous faudra discuter de cette mesure lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole, puisqu'elle n'y figure pas.
En effet.
Il est également difficile de reprendre l'exploitation familiale lorsque l'équilibre économique n'est pas assuré. Dans ce cas, il n'y a pas d'acheteur et les vignes sont laissées à l'abandon.
On voit désormais des vignobles en friche, à Bordeaux mais aussi dans le Languedoc, dans la vallée du Rhône et dans celle de la Loire. J'avais entendu parler des problèmes de déprise foncière depuis trente-cinq ans, mais il n'est apparu dans la viticulture que depuis trois ans, de manière très brutale et très douloureuse. Des fermiers abandonnent des vignobles et les rendent à leurs propriétaires, lesquels n'ont plus de revenus pour vivre puisque leur patrimoine ne trouve pas preneur. Les paysages qui en résultent sont très difficiles à supporter pour tout le monde et le tissu économique et social des régions concernées est affecté.
S'agissant des robots, si la Champagne arrive à trouver des solutions auprès d'entreprises qui fabriquent des engins capables de vendanger en préservant l'intégrité des raisins, pourquoi pas ? On sait que des entreprises travaillent sur les robots, sans se limiter aux vendanges, pour offrir des solutions aux vignobles dont la valeur ajoutée est forte. Il n'y a pas davantage de raisons de s'opposer à une telle évolution qu'il n'y en avait de refuser de remplacer le cheval et le bœuf par le tracteur.
Sur 500 000 hectares de vignes en France, on n'en compte plus qu'à peine 50 000 – dont 34 000 en Champagne – où l'on n'a pas recours à des machines à vendanger. C'est une décision de la profession.
Dans une étude d'impact, la Commission européenne a estimé que l'application du règlement SUR entraînerait une baisse de 28 % des rendements viticoles. Elle y a également considéré que la culture du raisin n'était pas « essentielle » pour la sécurité alimentaire européenne. Quelle est votre réaction ?
Je réagis aujourd'hui beaucoup plus calmement que je ne l'ai fait lorsque cette étude d'impact a été publiée, puisque le projet de règlement SUR est désormais retiré. Je ne commenterai pas l'impact d'un règlement qui n'est pas appliqué.
À l'époque, nous avons réagi très fortement. Nous avons été particulièrement meurtris du faible cas que la Commission faisait de la filière viticole européenne, de son histoire et de son rôle dans la culture, la vie sociale et l'aménagement de territoires où il n'y a pas grand-chose d'autre. La vallée du Douro ne serait pas ce qu'elle est sans ses vignobles ! L'approche de la Commission était parfaitement scandaleuse. Nous nous y sommes opposés, notamment en activant nos réseaux politiques afin que les choses ne se passent pas comme la Commission l'avait annoncé.
Nous avions également été outrés lorsque la Commission avait considéré, il y a dix-huit mois, au moment de la réforme des signes de qualité, que ces derniers n'étaient pas des outils de durabilité. Nous avons alors travaillé pour prouver le contraire, puisque nous nous considérons comme les garants de cette durabilité, depuis longtemps et plus encore depuis que ce concept a pris davantage d'importance. Les signes de qualité émanent de groupes de producteurs qui, dans un lieu particulier, décident de se donner des règles spécifiques, strictes et communes en vue de fabriquer un produit un peu original qui leur « ressemble ». Ils demandent à l'État et à l'Europe de leur apporter une reconnaissance. Il s'agit donc d'une idée courageuse, très moderne, qui permet de mettre en avant des productions locales en prenant en compte un facteur humain formidable.
Le projet de règlement SUR a certes été retiré, dans le contexte que nous connaissons, mais nous ne savons pas s'il ne reviendra pas un jour. Du reste, le plan Écophyto, mis en œuvre au niveau national, vise peu ou prou les mêmes objectifs et pourrait donc avoir les mêmes conséquences, notamment la diminution de la production. La situation reste donc assez inquiétante.
Nous nous interrogeons quant à l'état d'esprit des personnes qui prennent ces décisions. Au-delà d'une forme de désamour à l'égard de la viticulture qui sévit dans certains ministères, comme vous l'avez très bien rappelé, on impose aux producteurs des réglementations complexes. Dans ce contexte, il n'est pas toujours facile aux viticulteurs que nous sommes tous les deux de se sentir considérés…
Effectivement, le nouveau plan Écophyto s'inspirait beaucoup du projet de règlement SUR. Maintenant que ce dernier est retiré et, je l'espère, enterré, la mise en œuvre du plan Écophyto relèverait de la surtransposition. Or nous avons bien entendu qu'il n'en était plus question… Dont acte.
La séance s'achève à vingt heures dix.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Véronique Besse, Mme Anne-Laure Blin, M. Charles de Courson, M. Grégoire de Fournas, M. Jordan Guitton, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Serge Muller, M. Hubert Ott, M. Rémy Rebeyrotte, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Juliette Vilgrain
Excusé. – M. Benoît Bordat