INTERFEL est une interprofession longue, constituée de quinze familles : la totalité des syndicats agricoles, la coopération, le groupement des OP nationales, les expéditeurs, les grossistes, la restauration collective, les importateurs et introducteurs, la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) et la Fédération du commerce coopératif et associé (FCA), ou encore Saveurs commerce, représentant le commerce de détail traditionnel. Collectif visant à dégager des axes consensuels, notre organisation représente entre 80 % et 90 % des fruits et légumes frais produits, distribués et finalement consommés, soit l'immense majorité des productions en cours sur le territoire, y compris en agriculture biologique. Nous n'opposons d'ailleurs ni les modes de culture ni les circuits de distribution, qui répondent à des situations différentes.
La production française représente 60 % de la consommation nationale de légumes et 40 % de celle de fruits. Il faut cependant corriger ce dernier chiffre, puisque les fruits tropicaux comme les bananes, les ananas, les avocats, et les mangues ne se produisent pas beaucoup sur le territoire, non plus que les agrumes – sans faire injure à nos amis corses. En tenant compte de ce que nous ne pouvons produire pour l'instant – peut-être le changement climatique modifiera-t-il la donne –, la production française de fruits représente, elle aussi, 60 % de la consommation nationale, ce qui n'est pas totalement satisfaisant.
La filière se signale par des disparités très caractéristiques : pour les productions mécanisées ou mécanisables, nous sommes presque toujours autosuffisants ou proches de l'autosuffisance ; toutes celles qui nécessitent au contraire beaucoup de main-d'œuvre et connaissent de ce fait des problèmes de compétitivité comme l'arboriculture – la cerise constitue l'exemple emblématique – ou le maraîchage non mécanisé tombent généralement à des niveaux très faibles dans la consommation nationale : encore 90 % pour la pomme, mais à peine 25 % pour le raisin. Plus un produit a besoin de main-d'œuvre et moins nous sommes performants ; ce n'est pas totalement systématique, mais révélateur dans l'ensemble.
Nous avons perdu près de 15 % de parts de marché dans la consommation en vingt ans, même en excluant les fruits tropicaux, dont la consommation a continué de progresser. Assez stables en goût, présentes toute l'année, ces productions sont plus faciles à repérer par le consommateur que celles qui présentent plus de variabilité dans le temps, puisque nous ne parlons pas de produits industriels transformés.
Nous avions de longue date abordé cette question avec les pouvoirs publics et demandé un soutien. M. Julien Denormandie avait décidé de lancer un plan de souveraineté pour la filière fruits et légumes et reçu l'aval de M. Jean Casteix. M. Marc Fesneau a eu le courage de reprendre le dossier – quatre-vingts espèces de produits rendent notre filière particulièrement complexe. Il en résulte aujourd'hui un plan décennal de 200 millions d'euros par an d'aides à l'investissement, auxquels la profession ajoutera au moins autant – soit 4 milliards d'euros au total – visant à mettre la filière à niveau et à retrouver de la compétitivité. Fondé sur des analyses que nous avons co-construites avec le ministère, ce plan s'articule en quatre volets.
Le premier vise à préparer la sortie des pesticides et à anticiper les interdictions, probables ou certaines. Nous réclamions depuis longtemps un tel système, faute duquel il n'y a plus assez de temps pour la recherche quand finit l'usage d'un produit phytosanitaire et les filières se retrouvent dans l'impasse – comme l'évoquait M. Bernard toute à l'heure à propos de la cerise, confrontée à la mouche drosophila suzukii. Nous avons dénombré soixante-quinze, peut-être quatre-vingts molécules, et identifié à la fois les risques de retrait imminent et les productions les plus exposées pour chercher des méthodes de substitution.
Le deuxième volet concerne les agroéquipements, pour lesquels nous recevons 100 millions par an, auxquels les professionnels ajoutent un peu plus, le financement public représentant entre 30 % et 40 % du total. Il s'agit de rénover les vergers, de décarboner les serres, d'améliorer les matériels d'irrigation et les divers moyens de protéger les cultures, car les solutions de demain ne seront que combinatoires.
On se propose de réduire de 50 % les volumes de phytosanitaires, mais à mauvais objectif, mauvais résultat : 50 % des volumes, cela ne veut rien dire. Mieux vaut s'attacher à réduire les produits les plus dangereux comme les cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques de première catégorie (CMR1), que nous avons fait baisser de 85 % en cinq ans, d'autant que les produits de phytocontrôle autorisés en bio nécessitent d'utiliser plus de volume. L'objectif que nous nous sommes fixé consiste à mesurer le risque plutôt que la quantité. S'agissant des agroéquipements, il faut chercher non pas la diminution des pesticides mais les raisons pour lesquelles on les utilise. En combinant filets protecteurs, progrès de la robotisation, systèmes parasitoïdes et d'insectes stériles, de confusion et de piégeage sexuels, nous parviendrons à réduire la pression des ravageurs. Si les raisons d'utiliser des pesticides disparaissent, je ne connais pas un agriculteur qui se lèvera le matin en disant : « Tiens, il fait beau, je vais traiter. »
D'une cohérence totale, notre plan de souveraineté prévoit aussi un appui à la recherche, jusqu'alors financée pour l'essentiel par les deniers de nos membres, à part quelques abondements. La lisibilité plus grande qu'il nous donnera pour les prochaines années permettra d'accélérer notre préparation aux problèmes du stress hydrique, aux retraits de pesticides, mais aussi de veiller à la régularité de la production, indispensable pour reprendre des parts de marché et accroître de 5 %, puis de 10 % la part de la production nationale dans la consommation, conformément aux objectifs fixés dans ce plan. Il nous faut donc protéger les cultures, avec des filets contre la grêle et des systèmes de régulation contre le gel.
Il faut disposer d'un matériel végétal mieux adapté au stress hydrique et moins consommateur de pesticides. Je ne prendrai qu'un exemple : la résistance au champignon responsable de la tavelure du pommier permet de réduire les traitements de 50 %. Les nouvelles techniques génomiques promettent d'importants progrès sur ces questions, nos programmes de recherche laissant de côté les organismes génétiquement modifiés – dont je ne souhaite pas débattre ici.
Je rappelle que les fruits et légumes font maintenant l'objet d'une politique prioritaire du Gouvernement, ce qui a notamment pour conséquence l'obligation d'évaluer la validité du plan dont je vous ai exposé l'essentiel.
Les cent premiers millions du budget agroéquipement, partagés avec nos collègues de l'ANIFELT, ont été consommés et les cent prochains le seront aussi. Nous avons déjà investi 230 millions dans cette filière l'an dernier, nous investirons la même somme cette année – tout cela en agroéquipements : pour la décarbonation des serres, la reconception des vergers, le renouvellement du matériel d'irrigation et les filets de protection. En somme, le plan vise à ajuster l'arboriculture et le maraîchage aux conditions du XXIe siècle. Les plans de filière d'origine, dont nous étions dépositaires par la volonté du Président de la République, ne prenaient pas en compte le changement climatique et évoquaient à peine la question de l'eau. Nous étions en 2017 : c'est dire comme les choses ont vite évolué, et l'importance de ce plan qui prend en considération des phénomènes en cours d'accélération pour adapter notre secteur.
Les problèmes de notre filière sont toujours les mêmes : des écarts de coûts, directement liés aux questions de main-d'œuvre, ont fait décrocher notre compétitivité sur certains produits. En pêche-nectarine par exemple, nous avons perdu la moitié de nos productions ces vingt dernières années. À cela s'ajoutent les surtranspositions et la suradministration à la française. S'agissant des premières, je prendrai l'exemple de l'interdiction des néonicotinoïdes, décidée par l'Assemblée nationale et non par un organisme scientifique. Alors que les Européens pourront les utiliser jusqu'en 2033, voire 2035, notamment pour la noisette, production très exposée, nous n'avons plus, quant à nous, le droit de les utiliser et les productions françaises sont en chute libre.
Je ne prendrai qu'un exemple de suradministration : le programme Fruits et légumes à l'école, devenu Lait et fruit à l'école. Nous avons laissé 150 millions sur la table au niveau européen, quand tous les autres pays ont su utiliser les crédits de ce programme, dont nous sommes pourtant, avec M. Barnier, les inventeurs. Le blocage était purement administratif. Le ministre et les professionnels ont dû s'impliquer pour en venir à bout : pour la première fois cette année, nous sommes parvenus à consommer la moitié des crédits alors que nous étions descendus jusqu'à 500 000 euros sur les 18 millions disponibles – ou 35 millions en comptant le lait. On le voit bien, la suradministration à la française crée des difficultés puisque les vingt-six autres pays européens ont consommé, quant à eux, la totalité du budget, y compris celui que nous ne consommions pas. Tels sont donc à nos yeux les freins essentiels.
J'insiste sur la nécessité d'un dialogue préalable avec les filières. La loi du 10 février 2020 sur les emballages, dont les difficultés devraient se poursuivre puisque le Conseil d'État annulera certainement à nouveau le décret, en est l'illustration. Consulter la filière au lieu de passer par un amendement aurait permis de résoudre le problème en une demi-semaine de négociations et de gagner cinq ans. Nous étions en effet d'accord pour sortir des emballages. Nous demandons d'ailleurs le retrait du dispositif.
S'agissant enfin des accords de libre-échange, il est souvent question, à juste titre, des clauses miroirs à l'importation mais il faudrait aussi penser à l'exportation : nous sommes bloqués à l'entrée de plusieurs pays où nous serions pourtant en mesure d'exporter.