Nous parlons davantage de compétitivité que de souveraineté alimentaire, mais les deux notions ne sont évidemment pas sans lien. Notre filière connaît une crise profonde dans certaines régions. Nous avons commencé, il y a quinze mois, un travail sur le plan de filière qui s'achèvera d'ici trois à quatre mois. Lorsque nous avons lancé ces travaux, au début de l'année 2023, des régions viticoles et des produits étaient en grande difficulté. Depuis, la situation s'est encore dégradée, non seulement dans ces régions mais aussi partout ailleurs. Il y a quinze mois, le vignoble de cognac allait très bien, à l'instar de la Champagne ; l'Alsace, comme la Provence, se portaient plutôt bien ; la Loire ne s'inquiétait pas outre mesure. Les autres régions productrices de vin rouge connaissaient en revanche d'assez grandes difficultés, du fait de la déconsommation de ce type de vin en France et dans le monde. Les régions fortement productrices de vin rouge et très exportatrices ont subi des crises successives, en particulier la fermeture du marché chinois fin 2018, début 2019 et l'application de taxes par l'administration Trump à la suite du contentieux entre Airbus et Boeing. La filière a perdu dans certaines régions 25 % de parts de marché aux États-Unis, qui est un marché de valeur, ce qui a pesé sur les chiffres d'affaires. Le covid, qui a suivi, a entraîné une baisse de la consommation et de la commercialisation. Il a également réduit le tourisme, qui est un marché important pour la filière viticole.
Depuis un an, certaines régions sont beaucoup moins sereines. S'agissant du cognac, par exemple, on constate une forte inversion de tendance : le marché chinois suscite des inquiétudes liées aux conflits commerciaux – l'Europe mène une enquête antidumping sur les véhicules électriques chinois. Parallèlement, le marché américain accuse une baisse, qui fait suite à l'arrêt des aides à la consommation. Cette évolution affecte le champagne, le cognac et les autres régions viticoles.
Nous restreignons volontairement notre production en application des cahiers des charges des appellations d'origine contrôlée (AOC). Celles-ci constituent une richesse pour la France et l'Europe. Toutefois, il en résulte des coûts élevés et une partie des consommateurs pourrait ne plus nous suivre. En matière de compétitivité, nous devons affronter une difficulté que ne connaissent pas la plupart des autres pays. En effet, notre législation est la plus contraignante en matière de communication. Dans le cadre de la loi Évin, nous pouvons certes communiquer sur les terroirs et les producteurs, mais plus difficilement qu'en Espagne ou en Italie, qui sont nos principaux concurrents pour l'exportation et la commercialisation. Nous avons bien compris qu'il serait difficile de revenir sur cette loi. On peut toutefois toujours trouver des adaptations.
Notre combat consistera à communiquer habilement sur le produit en faisant de l'éducation sur ce dernier – je parle ici, évidemment, de jeunes adultes et non d'enfants et d'adolescents. Notre capacité à communiquer en direction des jeunes adultes sera décisive, car nous perdons des consommateurs chaque jour. Les consommateurs réguliers appartiennent aux générations les plus âgées. Les nouvelles générations consomment très peu, voire pas du tout de vin. Nous avons à mener un travail considérable d'initiation à nos produits, car la transmission s'opère de moins en moins au sein de la famille. Nous devons apprendre à parler plus simplement de nos produits.
Nous rencontrons des difficultés d'exportation liées aux différends commerciaux. En 2013, nous avons subi les conséquences de l'enquête antidumping lancée par la Commission européenne sur les panneaux photovoltaïques chinois : les régions productrices de vin rouge qui exportent vers la Chine, notamment le Bordelais, ont vu leur commercialisation décliner. Des conflits commerciaux qui ne nous concernent pas ont entraîné, je l'ai dit, une baisse de 25 % des exportations vers les États-Unis. À cela s'ajoutent les inquiétudes s'agissant de l'exportation de cognac vers la Chine.
Les accords commerciaux sont donc, pour nous, un sujet important. Pour la filière viticole, la conclusion d'un accord commercial est généralement une bonne chose. Aussi regrettons-nous la position du Sénat à l'égard du CETA (Accord économique et commercial global), qui est plutôt un bon accord pour l'ensemble de l'agriculture mis à part quelques points de détail – même pour l'élevage, il n'est pas si mauvais que cela. Le refus d'un accord commercial est dangereux pour la filière viticole, à condition, évidemment, que l'accord soit équilibré et qu'il prenne en compte toutes les filières.
L'exportation préserve les territoires viticoles. Dans le cadre de notre plan de filière, nous sommes arrivés à la conclusion que nous devons arracher au moins 100 000 hectares de vigne sur un total de 750 000 hectares, soit près de 12 % du vignoble. Cela ne signifie pas que l'on arrachera 12 % de la vigne en Alsace ou en Champagne, mais peut-être le fera-t-on, dans une proportion de 30 ou 40 %, dans certaines régions : cela pourrait être le cas dans le Bordelais, le Languedoc, la vallée du Rhône, le Vaucluse ou le Gard. Cela provoquera des évolutions notables en matière de foncier et modifiera sensiblement l'approche sociale de ces lieux.
Si l'on recule sur les accords commerciaux, si l'on se contente de subir la déconsommation sans essayer d'inverser la tendance, de nouveaux arrachages seront inévitables. La filière subira alors une nouvelle perte de compétitivité, laquelle pénalisera notre excédent commercial. Vous le savez, la filière des vins et spiritueux dégage entre 12 et 15 milliards d'euros d'excédent chaque année – ce n'est pas une mince prouesse compte tenu des aléas climatiques et commerciaux.
Le changement climatique est l'un des facteurs qui influent sur notre compétitivité. La filière s'est dotée d'un plan pour tenter d'atténuer ses effets par une évolution des pratiques. Nous mettons l'accent sur l'anticipation pour continuer à produire du vin dans les territoires viticoles et peut-être en faire dans d'autres régions françaises. Il faut en priorité adapter les vignobles là où ils existent, là où sont installées les entreprises. Notre objectif n'est évidemment pas de déplacer les vignobles d'un bout à l'autre de la France mais de les adapter, au sein de leur écosystème, pour faire face au changement climatique.