La séance est ouverte à 21 heures 05.
Présidence de M. Sacha Houlié, président.
La Commission poursuit l'examen des articles du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, d'orientation et de programmation du ministère de la Justice (n° 1346) (M. Jean Terlier, rapporteur général, MM. Erwan Balanant et Philippe Pradal, rapporteurs).
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Article 3 (suite) (art. L. 612-1 du code pénitentiaire et art. 59-1 [nouveau], 63-3, 80-1-1, 142-6, 142-6-1 [nouveau], 156, 161-2, 167, 167-2, 186, 186-1, 230-34-1 [nouveau], 230-36, 397-1, 397-2, 397-3, 706-96-1, 706-96-2 [nouveau], 706-97, 803-5 et 803-7 du code de procédure pénale) : Dispositions relatives à l'enquête, à l'instruction, au jugement et à l'exécution des peines
Amendement CL961 de M. Sacha Houlié.
Le ressort géographique des juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) est étendu, ce qui peut compliquer les déplacements. Madame la procureure de la République de Fort-de-France m'a ainsi alerté, lors de mon déplacement en Martinique en compagnie de Gérald Darmanin et Gabriel Attal, sur les difficultés à faire venir de Guyane en Martinique des prévenus appréhendés pour des trafics de stupéfiants. Elle a observé qu'il serait plus simple de recourir aux moyens de télécommunication audiovisuelle. Tel est le sens de l'amendement.
Suivant l'avis de M. Erwan Balanant, rapporteur, la commission adopte l'amendement.
Amendements identiques CL112 de Mme Cécile Untermaier et CL805 de Mme Andrée Taurinya.
L'amendement tend à supprimer les dispositions qui permettent d'activer à distance des appareils électroniques afin de capter des images et des sons. Le Conseil d'État considère que cette mesure porte une atteinte importante au droit au respect de la vie privée dès lors qu'elle permet d'enregistrer, dans tout lieu où l'appareil connecté se trouve, y compris des lieux d'habitation, des paroles et des images qui concernent aussi bien les personnes visées par les investigations que des tiers.
Le caractère intrusif de ce dispositif, qui s'apparente à une perquisition, aurait nécessité de l'entourer de garanties légales. Alors que le recours aux techniques de la géolocalisation ne nous inquiète pas, celui-ci nous effraie d'autant plus que nous avons pris connaissance, grâce à un article récemment publié, des méthodes de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui n'hésitent pas à aggraver la qualification pénale d'un fait pour être autorisées à utiliser cet outil.
Nous sommes opposés à ces méthodes d'enquête qui portent atteinte au droit à la vie privée.
L'activation à distance aux fins de sonorisation ou de captation d'images est une technique d'enquête qui existe. On peut déjà poser des micros ou des caméras pour enquêter, par exemple au domicile d'un suspect ou dans un entrepôt qui abriterait un trafic. Cependant, il devient de plus en plus difficile de recourir à ces techniques car les malfrats installent eux-mêmes des caméras dans les lieux où ils se retrouvent, pour vérifier qu'aucun policier ne viendra installer un dispositif pour les surveiller. Sonoriser un lieu ou y installer une caméra est devenu un véritable travail de titan, extrêmement risqué pour les policiers.
Les techniques spéciales d'enquête sont très encadrées. D'une part, il ne peut y être recouru que pour des infractions d'une gravité particulière : la criminalité, la délinquance organisée et le terrorisme. Moins d'une centaine d'affaires sont concernées chaque année.
Le recours à cette technique doit, d'autre part, être autorisé par un magistrat – le juge des libertés et de la détention (JLD) dans le cadre de l'enquête et le juge d'instruction dans celui de l'information judiciaire.
Enfin, ces techniques d'activation à distance sont limitées dans le temps : quinze jours lorsqu'elles ont été autorisées par un JLD, deux mois par un juge d'instruction.
L'objectif est de faire courir le moins de risques aux agents de police judiciaire car les opérations d'installation de micros et de caméras sont extrêmement lourdes et dangereuses, mais aussi de mieux lutter contre la grande délinquance, la criminalité organisée et le terrorisme.
Vous l'aurez compris : nous voulons permettre aux agents de police judiciaire de déclencher à distance la caméra et le micro des téléphones portables des suspects de ces infractions. Nous n'inventons pas une nouvelle technique d'enquête : nous changeons simplement le procédé technologique nécessaire à son utilisation. Ne cédons pas au fantasme d'une société de Big Brother. Seuls une dizaine de cas seraient répertoriés chaque année.
Cela étant, je vous présenterai bientôt un amendement afin de régler les problèmes soulevés lors des auditions.
La technique de la captation est déjà prévue à l'article 706-96-1 du code de procédure pénale mais elle suppose de se rendre sur place pour installer une caméra et un micro. Les intéressés, loin d'être sots, sont à la pointe des nouvelles technologies, et il leur arrive de poser des micros pour détecter ceux qui poseront des micros ! Le téléphone portable nous offre de nouvelles opportunités mais il convient de prévoir des garanties. Cette technique sera réservée à la criminalité organisée et au terrorisme. Rappelons à ce propos que les personnes suspectées de terrorisme sont déjà suivies par les services de renseignement qui recourent à ces techniques, sans contrôle judiciaire. Nous avons prévu de limiter les personnes concernées ainsi que la durée du recours à cette technique. Quant aux paroles et images qui pourraient être captées de personnes protégées par le secret professionnel, il sera impossible de les retranscrire à peine de nullité. Nous prévoyons même de détruire ces données – je pense en particulier à la captation d'une conversation entre un suspect et son avocat.
Nous ne sommes pas les seuls à nous inquiéter de cette mesure puisque plusieurs organisations, jusqu'au barreau de Paris, y sont opposés. Ils considèrent en effet qu'elle est liberticide et attentatoire au respect de la vie privée, d'autant plus que la technique s'étendrait à tout type d'objet connecté, quel que soit son usage ou l'endroit où il se trouve, dans le domicile. La protection de la vie privée est d'ordre constitutionnel. En l'espèce, vous n'avez pas respecté l'équilibre, si cher au Conseil d'État, entre la nécessité de mettre fin à une menace et l'atteinte aux droits fondamentaux. Vous dites que les durées sont courtes mais vous oubliez de préciser qu'elles sont renouvelables et pourraient s'étendre jusqu'à six mois. D'autre part, si les cas dans lesquels cette technique pourrait être utilisée sont, en effet, graves, vous ne tenez pas compte du fait que les débordements sont classiques en la matière. Quant à son efficacité, je reste dubitative.
La commission rejette les amendements.
Amendements identiques CL704 de Mme Naïma Moutchou, CL884 de M. Erwan Balanant et CL681 de Mme Caroline Abadie.
L'amendement tend à renforcer les garanties de mise en œuvre du dispositif de captation d'images et de son. Il prévoit qu'à peine de nullité, ne pourront être retranscrites ni les données relatives aux échanges avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense et couvertes par le secret professionnel de la défense et du conseil, ni les données relatives aux échanges avec un journaliste permettant d'identifier une source, ni les données collectées grâce à l'activation à distance d'un appareil qui se trouvait dans un lieu protégé, dans lequel les perquisitions sont strictement encadrées – locaux professionnels ou privés d'un avocat, entreprises de presse ou domicile d'un journaliste, cabinet d'un médecin, d'un notaire ou d'un commissaire de justice, juridiction ou domicile d'un magistrat.
Nous avons eu à cœur de répondre à la légitime préoccupation des avocats, non pas celle de s'opposer à une technique prétendument liberticide – puisqu'elle existe déjà – mais de sanctuariser leur cabinet. J'ajoute que nous prévoyons également de détruire ces enregistrements.
Notre groupe se soucie, lui aussi, de mieux lutter contre les infractions les plus graves tout en protégeant les droits de la défense et les secrets professionnels. L'amendement que nous vous présentons, qui est le fruit d'un travail collectif, prévoit des garanties qui permettront d'aboutir à un dispositif équilibré. Non seulement il sera interdit de retranscrire certains échanges mais il faudra également détruire les enregistrements.
Le barreau de Paris et la conférence des bâtonniers s'insurgent contre le dispositif d'activation à distance des appareils électroniques car cette technique d'enquête porte atteinte à la vie privée. Leurs raisons de s'opposer à votre mesure dépassent bien largement leur souci de protéger leurs échanges avec les clients.
La commission adopte les amendements.
Amendement CL703 de Mme Naïma Moutchou, sous-amendement CL981 de Mme Cécile Untermaier, amendements identiques CL192 de M. Ian Boucard et CL727 de Mme Naïma Moutchou (discussion commune).
L'amendement tend à ce que l'activation à distance d'un appareil électronique, à l'insu ou sans le consentement de son propriétaire, aux fins de captations d'images et de son, soit toujours justifiée par la nature et la gravité des faits suspectés. Il vise également à préciser que la durée d'autorisation devra être strictement proportionnée à l'objectif recherché.
Les amendements qui viennent d'être adoptés témoignent bien de la dangerosité du dispositif car il ne faut pas moins de quatre paragraphes pour en exclure les données les plus sensibles. Nous avons bien compris que certains échanges ne devraient pas être retranscris mais quelle garantie nous offrez-vous qu'ils ne le soient pas ? Et quand bien même le juge sanctionnerait par la nullité de la procédure des informations illégalement retenues, le mal aura été fait.
Loin de moi l'idée de blâmer les députés de la majorité qui essaient, par leurs amendements, de mieux encadrer le dispositif mais j'ai bien l'impression que ces garanties ne seront pas plus efficaces que le secret de l'instruction : elles sont vouées à l'échec.
Autoriser cette technique dans des lieux protégés me pose problème, mais puisque la mesure risque d'être adoptée, autant essayer de l'entourer des meilleures garanties. Je propose par conséquent que le juge des libertés et de la détention ne puisse autoriser l'activation du dispositif que par une ordonnance spécialement motivée indiquant l'objectif poursuivi, les motifs ainsi que les conditions de réalisation du dispositif de captation.
L'amendement vise à n'autoriser l'activation à distance d'un appareil électronique qu'aux seuls cas de risque imminent de dépérissement des preuves ou d'atteinte grave aux personnes et aux biens. Nous partageons tous la même inquiétude qu'il soit porté atteinte aux libertés fondamentales mais ce sont des mesures que nous sommes prêts à accepter si elles peuvent permettre d'empêcher la commission d'un attentat ou de faire aboutir une enquête, à condition toutefois de les encadrer mieux qu'elles ne l'étaient après l'examen du texte au Sénat. Je précise que l'amendement a été rédigé avec le barreau de Paris.
L'amendement étant en discussion commune avec le CL703, les mesures qu'ils prévoient n'ont pas vocation à se cumuler. Il s'agit, comme M. Boucard vient de l'expliquer, d'ajouter une condition supplémentaire à l'activation à distance d'un appareil électronique.
Nous avons tous conscience du caractère très particulier de cette technique mais nous avons entendu les craintes des uns et des autres, en particulier celle des avocats, et nous avons entouré le dispositif de garanties de nature à tous vous rassurer. Rappelons qu'aujourd'hui, il n'est pas ordonné de détruire ces données. C'est nous qui venons de le prévoir, par un précédent amendement. Je vous invite à retirer les vôtres.
Vous craignez le dépérissement des preuves mais lorsque des hommes s'apprêtent à commettre un attentat, nous n'en sommes plus à chercher à préserver des preuves ! Il faut les interpeller !
D'autre part, madame Moutchou, vous êtes suffisamment lucide pour deviner notre réponse. En effet, le texte a circonscrit le recours à cette technique aux infractions les plus lourdes et il en a limité la durée. Je suis donc défavorable aux amendements.
J'ai rencontré, moi aussi, les avocats. Beaucoup admettent que leurs clients les enregistrent à leur insu, sans aucun contrôle ! Je leur ai conseillé d'imposer à leurs clients de déposer leurs téléphones dans une petite armoire, à l'entrée de leur cabinet. C'est d'ailleurs ce que l'on fait lorsque l'on entre en conseil des ministres.
Pour le reste, nous avons prévu toutes les garanties nécessaires et les secrets professionnels sont protégés. Je m'étais engagé, devant les sénateurs, à aller de l'avant car il est bien évident que de tels dispositifs doivent être encadrés. M. Schreck a raison : la technologie a évolué et nous ne devons pas rester en arrière. L'un des plus importants trafics de stupéfiants en Europe a été démantelé parce que nous avons su décrypter des téléphones. Seules quelques dizaines d'affaires de terrorisme ou de grand banditismes seront concernées chaque année. De toute manière, il faut bien savoir qu'aujourd'hui, lorsqu'un suspect placé sous surveillance téléphonique appelle son avocat, l'échange est entendu mais il ne peut pas être retranscrit.
Nous devons donner à la police les moyens de travailler efficacement. C'est en empêchant les enquêteurs d'utiliser les moyens techniques susceptibles de leur permettre d'arrêter les personnes les plus dangereuses que nous porterions atteinte aux libertés. La sécurité est la première des libertés.
De quelles durées courtes parlez-vous ? Le recours à cette technique peut se prolonger jusqu'à six mois ! C'est une blague ! Et quand des amendements tendent à limiter son recours aux cas de risques imminents de dépérissement des preuves ou d'atteinte grave aux personnes et aux biens, vous les refusez ! Comment voulez-vous que votre réaction ne suscite pas des craintes ? Elle ne manquera pas, en tout cas, d'alimenter la colère des avocats et je ne doute pas qu'ils se mobilisent largement si votre mesure est adoptée en l'état. Votre refus est d'autant moins compréhensible que, nous le savons tous, il n'est pas rare que des mesures à caractère exceptionnel soient utilisées aussi largement que s'ils étaient des mesures de droit commun ! Les militants ont du souci à se faire, surtout qu'ils sont en général moins malins que les voyous qui, eux, cesseront d'utiliser tout type d'appareil connecté.
La naïveté est largement partagée. C'est être naïf, par exemple, que de croire que cette technique ne sera utilisée que dans les affaires les plus sensibles. Si c'était le cas, je n'aurais aucune inquiétude mais, vous l'avez constaté, les services de renseignement eux-mêmes outrepassent leurs droits. Comment garantir qu'il ne sera recouru à un tel dispositif que dans les seuls cas que la loi autorise ?
Mais que demande-t-on, au juge, de garantir ? Le texte prévoit-il les objectifs poursuivis ? Quant à la qualification des faits, elle ne serait, à ce stade, que présumée ! Nous devrions trouver, ensemble, le moyen de garantir que la qualification des faits ne soit pas dévoyée, comme elle a pu l'être par les services de renseignement.
La commission rejette successivement le sous-amendement et les amendements.
Amendement CL553 de M. Philippe Schreck.
L'article 706-95-16 du code de procédure pénale fixe les durées maximales et les conditions de renouvellement pour l'autorisation des techniques spéciales d'enquête. Or l'activation à distance d'un appareil électronique est une technique spéciale d'enquête. Il est inopportun de créer un nouveau régime juridique au sein des techniques spéciales d'enquête, accompagné de délais spécifiques, car cela alourdirait et complexifierait les procédures. L'amendement tend, par conséquent, à supprimer les deux dernières phrases de l'alinéa 96.
Les délais sont différents parce que les dispositifs le sont. Notre position traduit le bon équilibre entre ceux qui ne veulent aucune technique spéciale, au détriment des enquêtes, et ceux qui ne veulent aucun encadrement de ces techniques spéciales, au détriment des droits des personnes.
Madame Martin, si le juge n'accorde pas l'autorisation dans le cadre de l'enquête, la procédure sera frappée de nullité. Vos propos ne sont pas respectueux du travail réalisé par la majorité et d'autres groupes, ni des auditions que nous avons menées.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL885 de M. Erwan Balanant, amendements identiques CL193 de M. Ian Boucard et CL714 de Mme Naïma Moutchou, amendement CL44 de M. Philippe Gosselin (discussion commune).
La réécriture de l'alinéa 98 que je propose a le mérite de la clarté : elle interdit toute activation à distance des appareils qui appartiennent en propre à un député, à un sénateur, à un magistrat, à un avocat, à un journaliste, à un médecin, à un notaire ou à un huissier. C'est la rédaction la plus protectrice tout en étant opérationnelle.
Les amendements qui tendent à interdire l'activation des appareils se trouvant dans des lieux protégés, comme les cabinets d'avocat, sont problématiques car nous n'avons pas de solution technique qui le permette. On ne peut pas vérifier au moment de l'activation si les appareils se trouvent dans tel ou tel lieu et déclencher l'enregistrement ou non en fonction de cette information. Voilà pourquoi nous avons précédemment demandé et obtenu que, dans ce cas, les échanges ne soient pas retranscrits et que les bandes soient détruites.
Concernant les protections, des pistes de réflexion existent et il faudra sans doute progresser sur cette voie. Le rapport de Dominique Mattei évoque des possibilités techniques, mais qui, d'après les auditions que nous avons menées, ne sont pas encore effectives. Si nous disposons un jour de la solution technique permettant de stopper automatiquement un enregistrement quand le téléphone se trouve dans un endroit donné, il faudra l'utiliser.
Notre amendement est beaucoup plus précis et protecteur des droits de la défense. Au-delà des personnes énumérées dans l'amendement du rapporteur, il englobe les lieux. Or il est inutile d'empêcher d'écouter le téléphone d'un avocat si on le permet s'agissant de celui de son client assis en face de lui dans le cabinet. Nous avons précédemment autorisé que l'on géolocalise les téléphones ; on peut savoir grâce à la géolocalisation si la personne suspectée est ou non dans le cabinet d'un avocat. Nous géolocalisons tous avec nos téléphones sans moyens d'enquête particuliers, que l'on n'aille pas nous dire que les forces de l'ordre n'en seraient pas capables ! Elles le seront si nous en décidons par la loi.
Dès lors que nous avons accepté la géolocalisation, c'est ceinture, bretelles et parachute : nous avons tous les éléments en main. Notre amendement est beaucoup plus clair et précis que celui du rapporteur.
Avant d'avoir interrogé les experts, j'avais exactement la même idée que vous, mais les auditions nous ont montré qu'elle ne pouvait pas marcher. Quand un téléphone est sur écoute et que son utilisateur arrive chez l'avocat, les échanges sont enregistrés. Croyez-vous qu'il y ait toute la journée et toute la nuit un officier de police judiciaire pour vérifier où est le téléphone et déclencher ou non l'enregistrement ? Non : les échanges sont enregistrés et, quand ils se sont déroulés dans un lieu protégé, l'enregistrement n'est pas retranscrit et, dorénavant, les bandes seront systématiquement détruites. En plus, nous interdisons que soit activé à distance le téléphone de certaines personnes.
J'ai eu les mêmes craintes que vous, puis nous avons travaillé, et il est apparu que la solution que je propose était techniquement et juridiquement la plus protectrice. Je vous demande donc de retirer vos amendements au profit du mien.
Je suis favorable à l'amendement du rapporteur et défavorable aux autres. Il y a beaucoup de fantasmes dans cette affaire. Toutes les garanties nécessaires ont été prises. Aucune conversation d'un client, fût-il suspecté de terrorisme, avec son avocat ne sera retranscrite, pas davantage que celles qui auront lieu chez un notaire ou un huissier – désormais appelé commissaire de justice. Je suis très heureux que des garanties supplémentaires aient été ajoutées ici ; le Sénat nous avait alertés à ce sujet.
La meilleure façon d'employer ces outils conformément aux grands principes démocratiques que nous cherchons à défendre en poursuivant les actes terroristes est de ne pas les utiliser du tout.
Je ne suis pas convaincue par l'argument technique. Je comprends que des services vous disent qu'ils n'ont pas assez de personnel pour vérifier vingt-quatre heures sur vingt-quatre les déplacements de la personne identifiée comme présentant un danger. C'est là un problème, non pas technique, mais de ressources humaines. Or il faut adapter les moyens aux principes : si le danger est tel qu'il faut absolument recourir à ce type de procédure, alors chargez quelqu'un de surveiller la personne en permanence, y compris quand elle se rend dans des lieux où il est interdit de l'écouter.
Ce que vous dites aujourd'hui ne pas vouloir faire, vous y viendrez. Vous affirmez que la conversation entre une personne soupçonnée et son avocat sera détruite, mais un jour, vous nous sortirez l'argument du policier qui a entendu dans la conversation avec l'avocat des éléments annonçant la commission de tel ou tel acte criminel le lendemain. Vous mettez le doigt dans l'engrenage, demain ce sera le coude, ensuite le bras tout entier.
Écoutez votre majorité. Les amendements en discussion viennent d'amis du président Macron, pas de députés insoumis !
Actuellement, on peut parfaitement capter la conversation téléphonique entre un client et son avocat si le client est sous écoute, mais l'enregistrement n'est pas retranscrit à peine de nullité. Et c'est nous qui avons rétabli le secret professionnel, qui était totalement déliquescent. On peut fantasmer à l'envi, mais il s'agit ici du même régime : les captations ne seront pas retranscrites à peine de nullité. C'est aussi simple que cela.
La commission adopte l'amendement CL885.
En conséquence, les autres amendements en discussion commune tombent ainsi que les amendements CL133 de Mme Cécile Untermaier et CL657 de M. Jérémie Iordanoff.
Amendements identiques CL74 de Mme Caroline Yadan et CL136 de Mme Cécile Untermaier.
Depuis la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, notre droit consacre la possibilité pour le bâtonnier ou ses délégués de visiter les lieux de privation de liberté afin de les contrôler. Je propose de remplacer « ou » par « et ». En effet, des difficultés pratiques se posent, notamment lorsqu'il s'agit de visiter des lieux très étendus. Il semble logique que le bâtonnier puisse être accompagné d'un délégué ou de plusieurs, pour un contrôle plus efficace.
Je précise que l'amendement répond à une demande de l'ordre des avocats du barreau de Paris.
Défavorable, même si votre préoccupation n'est pas illégitime et mériterait que l'on poursuive la réflexion.
Dans cette hypothèse, le droit de visite serait considérablement étendu – pourquoi pas – et le bâtonnier pourrait alors organiser des visites en groupe, sur le modèle de ce que peuvent faire les parlementaires, que j'encourage à exercer ce droit. Or, recevoir ces groupes poserait des difficultés de gestion à l'administration pénitentiaire.
L'introduction du droit de visite est récente puisque nous l'avons instauré dans le cadre de la loi « confiance ». Mieux vaudrait attendre que l'administration nous ait fait part de son expérience à ce sujet et d'avoir procédé à une évaluation avant de le faire éventuellement évoluer.
Enfin, par définition, quand le bâtonnier est présent, il n'a pas besoin de déléguer son droit de visite.
J'ai effectivement introduit cette possibilité dans le cadre de la loi « confiance » ; c'est une avancée importante. Les parlementaires peuvent aussi visiter ces lieux, et rien dans la loi ne dit s'ils sont accompagnés et par qui : ces points sont réglés par voie de circulaire. Il en sera de même des bâtonniers. La circulaire est en cours de finalisation et je serai évidemment très sensible à ce qui vient d'être dit.
Cela signifie-t-il que le bâtonnier pourra se rendre dans des lieux de privation de liberté avec un délégué, ou plusieurs ?
Si le problème pour l'administration est une arrivée en groupe, on peut parfaitement limiter dans la loi à un ou deux maximum le nombre des délégués autorisés à accompagner le bâtonnier.
Je comprends l'objectif de nos collègues, mais il ne faut pas compliquer un dispositif très simple. Lorsque nous – la majorité, avec l'exécutif et d'autres groupes – avons défendu cette mesure, l'idée était que le bâtonnier en personne se rende dans les prisons et noue des relations avec l'administration pénitentiaire et son directeur. Le garde des sceaux l'a rappelé : les députés, sénateurs et députés européens n'ont pas de délégués. C'est la qualité de celui qui se déplace qui importe, eu égard aux relations à entretenir – il ne s'agit pas de visiter pour visiter, mais bien d'établir des contacts.
La commission rejette les amendements.
Amendements identiques CL173 de M. Philippe Gosselin, CL340 de Mme Emeline K/Bidi et CL508 de M. Paul Molac.
C'est bien la qualité de bâtonnier qui importe ; je remercie M. le ministre de prendre en compte dans la nouvelle circulaire ce qui vient d'être dit.
Nous proposons pour notre part d'allonger la liste des établissements pouvant faire l'objet d'une visite. Si les hôpitaux en général ne font pas partie des lieux de privation de liberté, il n'en va pas de même des hôpitaux psychiatriques en raison des hospitalisations sous contrainte, par exemple à la demande d'un tiers, des mesures d'entrave physique qui y ont cours – chambre d'isolement, contention – et de la limitation de la liberté d'aller et venir des patients. Pour ces raisons, il est souhaitable d'ajouter ces établissements à la liste des lieux de visite.
L'hospitalisation sans consentement est une privation de liberté. En outre, certaines personnes sont internées en hôpital psychiatrique après avoir commis une infraction et avoir été jugées, parce qu'elles ne sont pas en mesure d'être détenues dans un établissement pénitentiaire classique : elles sont retenues contre leur gré. Il existe d'ailleurs trop peu d'établissements qui le permettent, de sorte que l'on incarcère trop souvent des personnes qui relèveraient de l'hôpital psychiatrique ; la France a un gros travail à faire dans ce domaine.
Il s'agit de permettre à un parlementaire ou à un avocat de visiter les établissements de soins psychiatriques. Certaines personnes y sont enfermées contre leur volonté, parfois à la demande de personnes extérieures à leur famille : il faut vérifier que l'enfermement est bien nécessaire. Cela permet de mettre en œuvre le droit de ces personnes à faire appel à un avocat.
Si certaines personnes sont en effet hospitalisées d'office sur décision préfectorale – sous le contrôle du juge –, la situation dans les hôpitaux psychiatriques n'est pas la même qu'en prison, où tous les détenus ont un lien avec le monde de la justice, ce qui fonde la légitimité des visites des bâtonniers.
En outre, la mesure proposée n'a pas sa place dans le code de procédure pénale : le droit des parlementaires de visiter les établissements chargés d'assurer les soins psychiatriques sans consentement figure à l'article L. 3222-4-1 du code de la santé publique.
Demande de retrait.
La commission rejette les amendements.
Amendements identiques CL333 de Mme Emeline K/Bidi, CL388 de Mme Andrée Taurinya et CL527 de M. Jean-Félix Acquaviva.
Les alinéas 101 à 103 permettent, au cours de la garde à vue d'un majeur, une dérogation à l'intervention de l'interprète lors de la notification des droits et pendant les quarante-huit premières heures de la garde à vue en autorisant le recours à un moyen de télécommunication avec l'interprète.
À nouveau, parce que l'on manque de moyens et que la justice doit faire toujours plus vite, on privilégie la dématérialisation. La situation est la même qu'à propos des téléconsultations. En donnant une place croissante aux outils de télécommunication tout au long de la procédure, on rogne de plus en plus sur les droits de la défense, au détriment de l'efficacité de la justice. Nous nous opposons à cette déshumanisation et à la place donnée aux nouvelles technologies au détriment des droits de ceux qu'il faut protéger.
Voilà une nouvelle proposition qui vise à gérer la pénurie. On l'a fait pour la téléconsultation, on nous la ressort pour les interprètes ; nous sommes contre dans les deux cas. La communication passe par tout un panel d'éléments qui ne sont pas seulement vocaux – la gestuelle, le regard. On parle ici de gardés à vue étrangers, qui doivent se sentir en confiance pour pouvoir communiquer. Or cette technologie ne le permet pas. C'est de la déshumanisation.
Il faudrait que le Gouvernement ait déjà la décence de payer les interprètes judiciaires, qui nous alertent au sujet du retard avec lequel ils perçoivent leur rémunération. Monsieur le garde des sceaux, je vous ai adressé à ce propos une question écrite à laquelle je n'ai pas encore reçu de réponse. Puisque le budget de la justice est inédit, payons-les et recrutons-en !
En effet, la gestuelle et les mimiques font partie de la langue. L'audition n'est pas la même selon que l'on a la personne en face de soi ou au téléphone. La distance peut entraîner une mauvaise compréhension, on le voit bien quand on en fait l'expérience dans une autre langue que sa langue maternelle. Je crains que, par ces méthodes, on n'amoindrisse les droits de la défense.
D'abord, une remarque : nos débats passent d'un sujet à l'autre parce qu'ils suivent l'ordre de progression du code de procédure pénale ; cela confirme la nécessité de recodifier celui-ci pour le rendre plus intelligible.
Le texte tend à permettre, pendant les quarante-huit premières heures de garde à vue ou lors d'une audition libre, de recourir aux services d'un interprète par visioconférence, sans que cela soit nécessairement subordonné à l'impossibilité pour lui de se déplacer. Après ce délai, le recours à l'interprète selon cette modalité renoue avec les conditions de droit commun : l'impossibilité de se déplacer et l'autorisation du magistrat. Il n'y a là rien de révolutionnaire.
En vous écoutant, j'ai été conforté dans mon sentiment que la mesure a tout son sens. Que l'on ait ou non des interprètes en nombre suffisant, la garde à vue n'est habituellement pas prévisible : il est donc difficile de planifier l'intervention d'un interprète, à la différence de ce qui se passe au stade de l'instruction. Exclure la visioconférence dans ce cas empêche une personne qui, parfois, ne parle pas un mot de français de bénéficier rapidement de l'assistance d'un interprète. L'intéressé est dans une cellule et ne sait pas ce qui se passe ; il doit attendre que l'on trouve un interprète, que celui-ci se déplace ; on ne peut même pas lui lire ses droits. Est-ce qu'il ne vaut pas mieux les lui lire en visioconférence que ne pas les lui lire du tout ?
Monsieur Molac, il ne s'agit pas uniquement de téléphone, mais aussi de visioconférence. Celle-ci n'est pas parfaite et m'a souvent inspiré beaucoup de doutes – vous pourrez retrouver mes prises de position à son sujet dans le cadre des textes précédemment examinés. Mais j'assume d'avoir changé d'avis, parce que l'on a progressé dans ce domaine et que nous avons tous beaucoup plus l'habitude de cet outil.
Enfin, le dispositif est bien encadré, et il ne concerne ni les mineurs ni les majeurs protégés.
Allez chercher à vingt-deux heures un interprète en mongol ou en swahili pour une garde à vue à Cusset, vous verrez si ce n'est pas utile de recourir aux moyens modernes !
Cela n'a rien à voir. Ne m'interrompez pas ; moi, j'ai la courtoisie de vous écouter. À Paris, on peut trouver un interprète dans toutes les langues, mais dans d'autres endroits, ce n'est pas le cas. La télécommunication audiovisuelle est alors bien utile. Ce n'est pas la même chose que d'avoir l'interprète à ses côtés et certains gestes peuvent échapper à l'attention, je l'entends, mais quand on n'a pas d'interprète, la garde à vue est bloquée. C'est cela, la réalité ! Il faut être pragmatique. Ceux qui ont déjà mis les pieds dans un palais de justice savent comment les choses se passent au quotidien. Je préfère la télécommunication audiovisuelle avec un interprète plutôt que rien du tout.
Le rapporteur l'a dit, les mineurs et les majeurs protégés ne sont pas concernés.
Pourquoi faire simple quand on peut faire très compliqué ? C'est un peu le principe de ces amendements, auxquels je suis évidemment défavorable.
Je soutiens ce que vient de dire monsieur le ministre. Nous l'avons montré dans notre rapport sur l'accueil de l' Ocean Viking, nous n'avons pas les traducteurs qui permettent de satisfaire tous les besoins dans tous les territoires. Là où une grosse population de migrants est présente, il faut recourir à la téléconsultation, au téléphone, à la visioconférence, et cela fonctionne très bien. Les traducteurs eux-mêmes le disent : il peut être plus simple de répondre à vingt-deux heures à un appel en visio que de faire deux heures de route, qui coûtent très cher au contribuable, pour une demi-heure d'intervention, sans compter les personnes et les familles que l'on bloque ainsi toute une soirée. Il faut penser à l'aspect humain au sujet de tous les intervenants, pas seulement des personnes qui se retrouvent devant la police.
Je ne comprends pas ce dernier argument : les travailleurs de nuit travaillent la nuit pendant que leur famille les attend à la maison ; cela existe dans de nombreux corps de métier et cela coûte certes de l'argent au contribuable, mais comme tout service public.
Monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, vous êtes d'accord pour dire que l'humain, c'est mieux, et que la télécommunication audiovisuelle sert de solution de repli. Mais, dans la rédaction actuelle du projet de loi, il n'est pas question que la télécommunication soit audiovisuelle. Je suppose donc qu'après votre argumentaire enflammé, vous allez vous-même défendre un amendement pour que la communication soit bien audiovisuelle et non uniquement téléphonique.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL528 de M. Jean-Félix Acquaviva.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Amendements identiques CL40 de M. Philippe Gosselin, CL331 de Mme Emeline K/Bidi et CL542 de M. Jean-Félix Acquaviva.
L'alinéa 104 annule dans les faits la mise en liberté qui résulterait d'une détention irrégulière. Alors que l'article 803-7 du code de procédure pénale prévoit la mise en liberté immédiate, l'assignation à résidence sous surveillance électronique (Arse) prévue ici est en contradiction avec ce principe.
Nous proposons de supprimer cette disposition.
Une personne qui se trouve en détention provisoire en raison d'une procédure dans laquelle une erreur a été découverte doit être remise en liberté. À quoi sert la procédure pénale, censée garantir les droits et libertés fondamentaux, s'il est possible de placer sous Arse cette personne présumée innocente ? Ce n'est pas acceptable. Si l'on s'engouffre dans cette brèche, c'est tout le code de procédure pénale qui est en danger. Il ne faut pas légitimer les erreurs. La justice est rendue par des êtres humains, mais cela ne peut pas tout justifier.
Avis défavorable. Je comprends vos préoccupations, mais cette personne peut être dangereuse.
Certes, mais elle n'a pas été placée en détention provisoire sans raison ; par exemple des faisceaux d'indice permettent parfois de dire que cette personne est dangereuse et la détention provisoire vise alors à prévenir le renouvellement de l'infraction. La solution proposée n'est pas parfaite mais un garde-fou est prévu.
Il y a en ce moment des gens qui devaient comparaître devant une cour d'assises et qui ont été remis en liberté parce que certains délais procéduraux n'ont pas été respectés. Je vais demander des explications.
Il n'est pas invraisemblable que l'on cherche à contrôler des gens dangereux, certes présumés innocents, mais qui sont sortis de prison non par ordre du juge mais à la suite d'une erreur de procédure. Aujourd'hui, le code de procédure pénale prévoit qu'on peut utiliser le contrôle judiciaire. Cela peut être insuffisant. S'il y a un risque de fuite, par exemple parce que le suspect est étranger, l'Arse est intéressante : on peut aller et venir, avec quelques contraintes.
Préféreriez-vous un contrôle judiciaire, qui renverrait l'intéressé en détention s'il n'est pas capable de le respecter ? Ce serait déloyal.
Si je suis bien le raisonnement, au lieu d'être remise en liberté ou placée sous contrôle judiciaire, la personne sera remise en détention provisoire le temps de mener l'étude de faisabilité indispensable pour une Arse. Le type ne va pas sortir, et c'est bien le but ! On le remet en prison dix jours le temps qu'il ait un bracelet.
À vous entendre, ce serait mieux que le contrôle judiciaire ; mais celui qui veut fuir prend une paire de ciseaux et coupe le bracelet, et s'il ne prend pas son smartphone, il ne pourra pas être géolocalisé, et vous ne le retrouverez pas. Le contrôle judiciaire est souvent plus intrusif et plus coercitif qu'une Arse, mais ce n'est pas quelque chose que vous portez en permanence à la cheville, qui vous fait sonner et qui rend fous les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) et tous les acteurs de la chaîne pénale.
Le problème, ici, c'est que les procédures sont le fondement de l'état de droit. Une fois de plus, la norme, ce n'est plus la liberté. On bascule dans autre chose, comme vous nous y avez habitués depuis plusieurs années.
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, monsieur le ministre : oui, quand une erreur a été commise, il existe des dispositifs. C'est parce que le contrôle judiciaire existe que l'Arse ne me paraît pas nécessaire.
Vous introduisez cette disposition parce que des gens, sans doute très dangereux, ont été remis en liberté à la suite d'erreurs de procédures. Quelques dossiers anecdotiques, et on légifère sous le coup de l'émotion.
Les magistrats sont tellement submergés de dossiers que les erreurs sont sans doute un peu plus nombreuses : au lieu de remédier à cette situation et d'embaucher, vous couvrez leurs erreurs et vous trouvez un moyen de laisser en détention provisoire des gens qui auraient dû être libérés. Dans un État de droit, ce n'est pas acceptable.
Une infraction doit être sanctionnée : il ne s'agit pas de remettre tout le monde dans la nature. Le contrôle judiciaire existe parce que nous ne vivons pas au pays des Bisounours.
Mais la mesure que vous proposez heurte fondamentalement l'État de droit – vous m'entendrez rarement aussi véhément, et je n'engage pas mon groupe. Si une irrégularité procédurale est constatée, le code de procédure pénale prévoit la remise en liberté de la personne détenue ; mais non, vous prévoyez maintenant une nouvelle mesure privative de liberté – ce que n'est pas le contrôle judiciaire ! Ce n'est pas un changement de degré mais de nature. Bien sûr, vous pourrez toujours citer des cas exceptionnels et jouer l'opinion publique contre nous. Mais je suis un vieux schnock et, sur le plan des principes, cela me choque encore.
La commission rejette les amendements.
Amendements CL113 et CL114 de Mme Cécile Untermaier, CL543 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL682 de M. Jérémie Iordanoff (discussion commune).
Ces deux amendements, qui reprennent des propositions du sénateur Jean-Pierre Sueur, visent à améliorer la procédure de recours contre les conditions indignes de détention, dont le bilan est mitigé.
Par l'amendement CL113, le juge pourrait enjoindre à l'administration pénitentiaire de prendre des mesures pour mettre fin aux conditions indignes de détention ; la cellule où a été constatée une situation d'indignité ne pourrait pas être occupée avant que cette situation d'indignité y ait cessé ; si le requérant était transféré dans un autre établissement pénitentiaire, il serait assuré de ne pas y subir à nouveau des conditions de détention indignes.
L'amendement CL114 inscrit le transfèrement dans un autre établissement pénitentiaire comme un dernier recours pour le juge judiciaire, et non plus comme la première des solutions.
Il nous semble essentiel de garantir un recours effectif contre ces situations insupportables.
L'amendement CL543 tend à supprimer la possibilité de transfèrement vers un autre établissement lorsqu'un détenu a formulé une requête concernant ses conditions de détention.
En janvier 2020, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France pour la surpopulation structurelle de ses prisons et l'indignité des conditions de détention. Depuis, notre pays n'a jamais autant incarcéré : en novembre 2022, nous avons même battu un record. En janvier 2023, il y a 72 000 personnes enfermées dans des prisons, dont plus des deux tiers dans des maisons d'arrêt aux conditions de vie indignes – le taux d'occupation y est en moyenne de 141 %, et atteint parfois 200 %. Plus de 2 000 personnes dorment sur des matelas à même le sol.
En 2021, une nouvelle voie de recours devant le juge des libertés et de la détention a été ouverte. Elle ne tient pas ses promesses. Les associations de défense des droits des détenus observent que la possibilité qu'un transfèrement soit prononcé a un effet dissuasif, car les détenus ont peur d'être éloignés de leur famille. Nous proposons donc de supprimer cette possibilité de transfèrement.
Le texte de 2021, voté sous l'impulsion de Mme Abadie à l'Assemblée nationale et de M. Buffet au Sénat, a constitué une avancée. Le juge dispose de trois possibilités : transfert, aménagement, mise en liberté. Il n'y a pas de hiérarchie entre elles : l'amendement CL114 n'aurait pas de portée normative.
Cette procédure devrait fonctionner de mieux en mieux. Je suis défavorable aux amendements.
On ne peut pas balayer d'un revers de main la question de l'hébergement indigne des détenus ! La loi de 2021 a été un premier pas, je propose d'en faire un deuxième parce que le bilan n'est pas bon, il faut le reconnaître. Une personne détenue doit disposer d'un recours autre que le transfèrement. Je ne parle pas d'obligation de résultat, mais les recours doivent être effectifs.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements CL794 et CL793 de M. Jean Terlier.
Ces deux amendements concernent le code de la justice pénale des mineurs.
L'amendement CL794 vise à permettre au procureur de la République d'avancer la date d'audience afin de faire comparaître le mineur en détention provisoire, ce qui ferait diminuer le nombre de mineurs en détention provisoire.
L'amendement CL793 permet aux greffiers de recourir à un seul acte d'huissier, et donc à un seul acte de procédure, pour la signification du jugement de culpabilité et les citations à l'audience de sanction. Cette possibilité est aussi offerte lorsque la date de l'audience de sanction ou la juridiction saisie sont modifiées.
La commission adopte successivement les amendements.
Elle adopte l'article 3 modifié.
Après l'article 3
Amendement CL399 de M. Ugo Bernalicis.
Cet amendement vise à permettre aux associations de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations d'avoir qualité à agir en tant que partie civile devant les juridictions pénales pour les dégradations de stèles ou de sépultures.
Cet amendement fait suite à l'arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 2023 concernant la constitution de partie civile de l'association Maison des potes dans la procédure judiciaire relative au saccage du cimetière juif de Sarre-Union, où la nature antisémite de l'acte a été reconnue.
Nous sommes unanimes pour reconnaître le caractère symbolique des stèles et statues dans notre espace public. Ces dernières années, les violences qui les visent, venant surtout de l'extrême droite, se sont répandues dans notre société. Des fresques, notamment représentant Simone Veil, ont été dégradées. Nous déplorons aussi des dégradations dans des cimetières : au cimetière juif de Quatzenheim en 2019, au cimetière musulman de Carros en 2012, au carré catholique de Nîmes en 2022, au cimetière juif de Bayonne en 2020.
Seules les associations dont les statuts prévoient la défense des intérêts moraux et de l'honneur de la Résistance ou des déportés, conformément à l'article 2-5 du code de procédure pénale, peuvent se porter partie civile. Nous proposons d'étendre cette possibilité.
À l'avenir, nous pourrions d'ailleurs étendre encore cette possibilité notamment pour ce qui concerne la LGBTphobie.
C'est une idée tout à fait pertinente, défendue depuis longtemps par Ugo Bernalicis. Avis favorable.
La commission adopte l'amendement.
Amendement CL660 de M. Jérémie Iordanoff.
L'urgence d'agir pour le climat et le vivant est connue. Le droit de l'environnement s'enrichit, mais les atteintes se poursuivent et la réponse judiciaire n'est pas à la hauteur. Le rapport Molins de décembre dernier évoquait même une « dépénalisation de fait » des atteintes à l'environnement.
Le problème ne vient pas de nos lois elles-mêmes mais de la façon dont elles sont appliquées. Malgré le déploiement depuis 2021 des pôles spécialisés en matière d'atteintes à l'environnement, le droit de l'environnement n'a pas trouvé son garant.
Nous proposons de redonner à l'autorité judiciaire la place qui lui revient dans le suivi de l'exécution des conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP), qui sont des alternatives aux poursuites qui permettent d'accélérer la réparation du préjudice écologique, de mieux encadrer la mise en conformité et de renforcer la responsabilité des personnes morales. Actuellement, le contrôle des engagements pris dans ces conventions est confié au ministère chargé de l'environnement et à l'Office français de la biodiversité (OFB). Or, leurs effectifs sont faibles et ils sont placés au niveau local sous l'autorité des préfets, dont les arbitrages se font souvent au détriment de la défense de l'environnement, et plutôt au profit des intérêts économiques. Il n'existe donc aucune autorité chargée de la mise en conformité imposée par la convention judiciaire d'intérêt public. L'idéal serait d'instaurer une autorité indépendante, chargée du suivi de l'exécution de ces mesures, sur le modèle de l'agence anticorruption, comme le préconise le rapport de la Cour de cassation sur le traitement pénal du contentieux de l'environnement. Nous ne pouvons pas le proposer dans le cadre de ce projet de loi.
Cet amendement vise à redonner au parquet le monopole du contrôle de la bonne exécution des peines.
C'est une préoccupation que j'avais exprimée quand nous avons débattu de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « climat et résilience ». Je suis favorable à l'évolution que vous proposez.
Excellent amendement. La justice doit évidemment être associée au combat écologique. Avis favorable.
La commission adopte l'amendement.
Amendement CL115 de Mme Cécile Untermaier.
Nous revenons à la question essentielle de la régulation carcérale, dont je sais que vous mesurez l'importance, monsieur le ministre.
L'amendement propose de convertir les peines d'enfermement en peine d'assignation à résidence avec surveillance électronique (Arse) pour les personnes à qui il ne reste que trois mois de détention à accomplir et lorsque ces personnes ont été condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans. Une telle condition impose des preuves suffisantes de bonne conduite, et certains crimes et délits sont exclus.
Cet amendement n'est pas particulièrement innovant : il reprend simplement ce qui a été fait pendant la période de crise sanitaire. Ce dispositif de régulation avait permis de faire disparaître la surpopulation carcérale. Celle-ci fait des prisons des lieux qui préparent à la récidive, et rend très difficile le travail des surveillants pénitentiaires.
Je partage votre préoccupation. Ce texte comprend différentes mesures qui permettront de limiter la pression carcérale. Je ne suis pas sûr qu'elles seront suffisantes. C'est un sujet qui doit être encore travaillé. Je vous demande de retirer l'amendement pour que nous continuions à travailler sur ce sujet afin de dégager des solutions transpartisanes.
C'est en effet un sujet préoccupant. Sur les reliquats de trois mois, la mesure de libération sous contrainte a pris effet le 1er janvier dernier. Nous parlerons plus tard des travaux d'intérêt général (TIG) et de diverses mesures relatives à l'Arse.
À ce stade, je vous invite à retirer votre amendement.
On entend beaucoup l'argument selon lequel il faut encore travailler sur la régulation carcérale, comme si le sujet était nouveau. Il ne l'est pas, les propositions sont nombreuses. Nous disposons là d'un véhicule législatif qui devait permettre d'aborder la question de la surpopulation et de son traitement par la loi, et ainsi de traiter de ce sujet à un niveau politique, en cessant de laisser la chaîne pénale porter seule cette charge. Nous insisterons au cours des débats, car je crois que nous sommes prêts à agir. Il y a urgence.
Pourquoi repousser ce débat alors que nous sommes tous conscients du problème ? La surpopulation est alarmante, les visites de prison permettent de la constater. Il faut agir vite et cet amendement me paraît de bon sens.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL381 de M. Ugo Bernalicis.
Il s'agit de supprimer les cours criminelles départementales (CCD). Expérimentées pour remplacer les assises, elles devaient notamment éviter la correctionnalisation d'infractions à caractère sexuel. Elles ont été généralisées très rapidement, sans attendre une véritable évaluation. Des rapports ont ensuite montré que les cours criminelles départementales n'avaient pas eu d'impact sur la décorrectionnalisation des viols et, pire…
Je parle du rapport du Sénat. Quand vous commandez les vôtres, ils vont dans votre sens, mais ceux de gens qui ne sont pas de chez vous vous dérangent !
Le rapport a été publié et il atteste du bon fonctionnement et de l'intérêt des cours criminelles départementales.
Je reprends mon argumentation. Elles devaient aussi permettre des audiencements plus rapides. Mais elles consomment davantage de magistrats que les assises, à tel point que, dans certains ressorts, leur mise en place a dû attendre car on manquait de magistrats ! Là où elles existent, elles fonctionnent au détriment d'autres activités.
Il serait donc sage de supprimer ces cours criminelles départementales. De plus, aux assises, c'est un jury populaire qui rend le verdict. Or, depuis la Révolution, la justice est rendue au nom du peuple français.
Avis défavorable. Votre présentation est partiale. Je me souviens bien des débats sur la loi de 2019 ; deux députés avaient fortement contesté les cours criminelles départementales : vous-même et Antoine Savignat. M. Savignat a, par la suite, participé à une mission « flash » sur ce sujet, et il est largement revenu sur son opposition, reconnaissant qu'il s'agissait d'une vraie avancée.
Le comité d'évaluation et de suivi de la cour criminelle départementale a souligné que les plaidoiries se déroulent « dans un climat moins pesant, davantage centré sur les aspects techniques et juridiques » et que les CCD permettent « d'éviter l'aléa judiciaire très souvent constaté devant les cours d'assises ».
S'il reste sans doute des choses à améliorer dans le fonctionnement de cette jeune juridiction, je pense que ce choix courageux était le bon. Supprimer ces cours serait une profonde erreur.
Nous n'avons vraiment pas lu les mêmes rapports, monsieur Bernalicis !
Dans les huit premiers départements qui ont expérimenté ces cours, 182 décisions criminelles ont été rendues en 2019 – hors cours criminelles départementales car elles n'étaient pas encore en place ; 269 l'ont été en 2022. C'est une augmentation de moitié, et la montée en puissance continue. Les cours criminelles départementales, ce sont des audiencements plus rapides et des affaires « en stock » – pardon pour cette expression – qui sont jugées. Elles évitent aussi la correctionnalisation des viols, qui était insupportable pour les victimes.
Je n'oublie pas Stéphane Mazars, membre de la majorité et comme M. Savignat avocat de profession, et qui a participé à la mission flash citée par le rapporteur : il a aussi estimé le fonctionnement satisfaisant.
On peut être nihiliste et vouloir détruire ce qui marche ! Mais une augmentation de 50 % du nombre de crimes jugés, en un an, cela ne vous intéresse pas ?
Vous parlez du jury populaire, mais c'est bien moi qui ai redonné à l'expression « souveraineté populaire » une vraie définition puisque j'ai souhaité qu'il y ait un juré de plus pour prononcer une culpabilité.
Je remercie la majorité d'avoir voté la cour criminelle départementale : c'est bon pour les victimes, pour les accusés et pour la justice.
Enfin, que n'a-t-on pas dit des avocats honoraires ! Eh bien, nous venons de recevoir la deuxième promotion à l'École nationale de la magistrature. Ils aident les magistrats professionnels à rendre la justice. C'est un mécanisme qui fonctionne, je ne vois vraiment pas pourquoi il faudrait le mettre à bas.
Le rapport de la mission « flash » sur les cours criminelles départementales n'a pas été rédigé par deux parlementaires acquis à cette cause, même si les réserves émises par Antoine Savignat n'étaient pas exactement de même nature que les miennes. Quant au rapport de 2022 du comité d'évaluation et de suivi, qui a failli n'être jamais publié, il montre que le taux d'appel des jugements de cours criminelles départementales est plus élevé que celui des jugements de cours d'assises, alors même que l'on promettait une justice plus prévisible, rendue uniquement par des magistrats professionnels – on nous faisait bien comprendre que le citoyen n'avait pas vraiment sa place dans ces cours et que la justice devait rester une affaire de professionnels.
Tel a été le péché originel : on a laissé aux cours d'assises les petits dossiers et on a mis le paquet sur les cours criminelles départementales. Dans le cadre d'expérimentations, on a poussé les chefs de juridiction à dédier à ces cours des moyens importants afin que l'on puisse dire qu'elles fonctionnent bien, ce qui n'est pas vraiment le cas en vitesse de croisière.
Je continuerai donc de soutenir la mobilisation contre les cours criminelles départementales, qui n'est pas de mon seul fait – j'appartiens à un groupe de soixante-quinze députés, lui-même membre d'un intergroupe bien plus large. Une pétition circule pour demander la disparition de ces cours : il ne s'agit pas de supprimer quelque chose qui marche, puisque tel n'est pas notre point de vue, mais de revenir à l'essence même de notre système judiciaire fondé sur la participation du jury citoyen, un acquis chèrement arraché à l'Ancien Régime par les révolutionnaires après 1789.
Je sortirai de la référence à la période révolutionnaire habituellement citée par nos collègues insoumis, chez qui je perçois un brin de nostalgie, pour évoquer les retours du terrain.
À l'invitation du procureur général et de la première présidente de la cour d'appel de Bordeaux, j'ai récemment assisté à un conseil de juridiction. Je me réjouis que les parlementaires puissent désormais assister à ces réunions, car c'était une expérience très intéressante : nous avons entendu le témoignage d'un juré d'assises et avons longuement évoqué les cours criminelles départementales. Je puis donc vous assurer que, dans le ressort de la cour d'appel de Bordeaux, les retours sont très positifs et que les choses se font assez naturellement. Tous les bénéfices énumérés par le garde des sceaux m'ont été confirmés. La mise en place de ces cours est très bien perçue, y compris par les citoyens et les jurés d'assises, qui n'expriment aucune défiance particulière. Il ne faut pas polémiquer ni essayer d'opposer encore une fois les Français à leurs institutions – ce serait là un jeu dangereux.
Je me souviens très bien de nos débats lors de la création des cours criminelles départementales : à l'époque, je comptais parmi ceux dont l'avis était en demi-teinte. J'avais donc quelques doutes, jusqu'à ce que soient publiés les premiers résultats de l'expérimentation, mis sur la table par nos collègues Antoine Savignat, membre du groupe Les Républicains, et Stéphane Mazars, député de la majorité. Ces résultats s'imposent à nous, et ils sont plutôt bons. De l'aveu même des professionnels pratiquant devant ces cours, les principes de l'oralité et du contradictoire y sont tout à fait respectés. Les parties civiles et les associations de victimes témoignent d'une ambiance apaisée et du respect de leurs droits. Il me semble par ailleurs que les décisions rendues par ces cours suscitent moins d'appels.
Absolument : le rapport auquel s'est référé M. Bernalicis ne tient pas compte des désistements.
Tout cela est dans l'intérêt du justiciable, qui souhaite que les choses se passent bien et que la justice aille plus vite. J'admets donc que je m'étais trompée et que la mise en place des cours criminelles départementales, qui seront peut-être amenées à évoluer, était une idée intéressante.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL662 de M. Jérémie Iordanoff.
Nous proposons d'élargir le référé pénal environnemental aux atteintes à l'environnement pour lesquelles les pôles régionaux spécialisés sont compétents. Cet outil permet au juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, de prendre toute mesure utile, y compris la suspension ou l'interdiction des opérations menées en infraction de la loi pénale, pour éviter l'aggravation d'un dommage. Le juge d'instruction dispose des mêmes prérogatives en cas d'ouverture d'une information judiciaire. Le procureur peut être saisi à la demande d'une autorité administrative, de la victime ou d'une association agréée de protection de l'environnement.
Le champ d'application de ce dispositif très efficace se limite cependant à certains manquements, à savoir aux cas de non-respect des règles de la procédure environnementale ou des règles générales et spéciales de préservation de la qualité et de la réparation des eaux superficielles souterraines et des eaux de la mer. Le référé pénal environnemental n'est pas applicable aux autres atteintes à l'environnement pour lesquelles les pôles spécialisés sont compétents lorsque la complexité de l'affaire l'impose.
Pour renforcer l'efficacité de cet outil, il convient de le rendre applicable à toutes les affaires prises en charge par les pôles régionaux spécialisés, qui verraient leurs prérogatives étendues. Inspiré des recommandations de la mission « flash » sur le référé spécial environnemental, cet amendement présente l'avantage de ne pas concerner l'ensemble des atteintes à l'environnement, mais seulement celles qui sont traitées par les pôles régionaux.
Vous avez mentionné l'excellent rapport rédigé lors de la législature précédente par Mme Moutchou et Mme Untermaier, qui préconisaient « d'élargir le champ d'application du référé pénal spécial prévu par l'article L. 216-13 du code de l'environnement à l'ensemble des atteintes à l'environnement ». J'ai moi-même défendu un amendement dans ce sens, dont la portée était cependant un peu moins importante, lors de l'examen du projet de loi « climat et résilience », dont j'étais l'un des rapporteurs. Je ne vais pas me dédire : je donne donc un avis favorable à votre amendement, qui renforcera l'efficacité du traitement des affaires environnementales.
Cet élargissement du référé pénal environnemental ne me paraît pas justifié. Le critère de compétence des pôles spécialisés en matière d'atteintes à l'environnement est celui de la complexité des faits ; il ne me semble pas possible d'en tirer des conclusions sur l'applicabilité ou non des dispositions relatives au référé pénal environnemental. Si ce dernier devait être étendu, ce serait à des infractions précisément définies, et non à tous les délits prévus par le code de l'environnement au motif qu'ils présenteraient une complexité justifiant la saisine d'un pôle spécialisé. Avis défavorable.
Je suis très heureuse que l'on parle ce soir de justice environnementale, un sujet sur lequel nous avons beaucoup travaillé ces dernières années. La loi relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée a créé des juridictions spécialisées en matière environnementale. Avec Cécile Untermaier, nous avons planté la graine de la convention judiciaire d'intérêt public environnementale, qui rencontre un certain succès, puis travaillé sur le référé spécial environnemental, au sujet duquel nous avons défendu des amendements lors de l'examen du projet de loi « climat et résilience ». Nous continuons notre travail commun puisque nous sommes en train de préparer un texte transpartisan.
Je rejoins cependant les explications de monsieur le garde des sceaux : le référé doit répondre à des situations urgentes et évidentes. Cette procédure ne convient pas à des dossiers plus complexes. Si votre amendement est intéressant, il n'en demeure pas moins que sa mise en œuvre s'avérerait très difficile ; c'est pourquoi je ne le voterai pas.
La commission rejette l'amendement.
Amendements CL639 et CL665 de M. Paul-André Colombani.
Ces amendements visent à renforcer le statut de repenti.
Aux termes de l'article 706-63-1 du code de procédure pénale, les individus mentionnés à l'article 132-78 du code pénal, ayant coopéré avec la justice dans le cadre de la résolution de certains crimes et délits, peuvent bénéficier d'un dispositif de protection et de réinsertion. En pratique, ce dispositif est sous-utilisé, alors que de telles garanties s'avèrent essentielles pour renforcer l'attractivité et l'efficacité du statut de repenti, qui pourrait constituer un véritable atout pour la justice française, en particulier dans le cadre de la lutte contre la mafia.
En ce sens, l'amendement CL639 prévoit que les mesures de protection et de sécurité s'appliquent automatiquement, sauf opposition expresse de la part du repenti, et que ce dernier bénéficie de plein droit d'une aide à la réinsertion.
Sur l'ensemble du texte, nous avons beaucoup travaillé, mené de nombreuses auditions et eu le temps de nous forger certaines opinions solides. Or, vous soulevez ici une question supplémentaire, à propos de laquelle je n'ai rien lu ni auditionné personne. À première vue, votre amendement me semble partiellement satisfait, puisque l'article 706-63-1 du code de procédure pénale prévoit que la protection peut être accordée sans délai. Par ailleurs, la disposition selon laquelle cette protection est systématique, sauf opposition expresse et écrite de la part du repenti, n'est pas vraiment opérationnelle. Il convient de décider de cette protection et de son format au cas par cas, en fonction des besoins, comme le prévoit actuellement le code de procédure pénale.
Je vous demande donc de retirer vos amendements, faute de quoi je leur donnerai un avis défavorable, puisque nous n'avons pas suffisamment étudié cette question.
Je suis allé en Italie, où j'ai rencontré mon homologue Carlo Nordio. Nos échanges m'ont beaucoup inspiré, d'autant que les Italiens ont adopté une législation très avancée sur ces sujets. Nous sommes donc en train de travailler spécifiquement sur cette question. Notre réflexion n'est pas encore aboutie, mais je peux vous affirmer que le statut de repenti constitue à mes yeux un outil très important dans la lutte contre la très grande criminalité.
Je me réjouis qu'un travail soit en cours. J'ai moi-même rencontré en Sicile les acteurs de la lutte anti-mafia, qui m'ont présenté les dispositifs en vigueur chez eux. En comparaison, on voit bien que le régime français des repentis, très peu utilisé, ne fonctionne pas, tandis que le système italien produit des résultats dans la répression de la mafia.
Cette politique est particulièrement importante au vu des constats que nous avons dressés, notamment, lorsque nous avons évalué l'action de la police judiciaire dans le cadre de la réforme de la police nationale. Les plus hautes autorités judiciaires du pays ainsi que les magistrats exerçant dans les juridictions interrégionales spécialisées nous alertent quant aux menaces que les organisations mafieuses, dont les ramifications sont loin d'être négligeables, font peser sur un certain nombre de démocraties européennes, où elles sont insuffisamment réprimées. Je ne voudrais pas que l'on tente de kidnapper notre garde des sceaux, comme cela a failli arriver dans un pays voisin ! J'espère que la représentation nationale sera associée à ces réflexions, car notre contribution pourrait être bienvenue.
Monsieur Colombani m'a expliqué que le système actuel ne fonctionne pas : certaines personnes mises en cause rechignent à demander le statut de repenti car elles ne se sentent pas protégées. Il faudrait donc que les mesures de protection deviennent systématiques.
Nous sommes en train de travailler, avec le président Marcangeli et en lien avec le garde des sceaux, à une proposition de loi relative au statut de repenti. Notre objectif est de soumettre ce texte au Parlement avant la fin de l'année 2023.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL463 de M. Ugo Bernalicis.
Nous avons tous bien compris le caractère très particulier des techniques spéciales d'enquête (TSE) que sont l'infiltration, l'enquête sous pseudonyme, et peut-être malheureusement bientôt la sonorisation et l'accès à des images via n'importe quel type d'objet connecté. Afin qu'il en soit fait un usage proportionné, la moins mauvaise des garanties serait que ces enquêtes, compte tenu de leur caractère particulièrement intrusif nécessitant un contrôle effectif et complet, ne puissent être déclenchées que par l'autorité judiciaire. Cette dernière est, du fait de son indépendance, la seule à même de garantir le respect des libertés fondamentales, conformément à la Constitution et à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Il est heureux que les TSE ne puissent être mises en œuvre que sur décision de l'autorité judiciaire – ce principe est enseigné en fac de droit, dès la première année ! Nous ne parlons pas ici de décisions administratives ou politiques. C'est même seulement un magistrat du siège qui peut décider d'y avoir recours. Vous faites une confusion assez importante : je vous demande donc de retirer votre amendement, faute de quoi je lui donnerai un avis défavorable.
La situation est assez cocasse. Tout à l'heure, M. Bernalicis nous appelait à utiliser tous les moyens possibles pour lutter contre les mafias. Tel est précisément l'objet des TSE : les représentants de la police judiciaire et des gendarmes enquêteurs, que nous avons auditionnés, nous ont confirmé que ces moyens donnés aux forces de l'ordre et aux équipes d'enquête sont notamment utilisés pour combattre le développement du grand banditisme.
Vous m'accusez d'encourager la lutte contre la mafia par toutes les techniques possibles tout en refusant ici le recours à certaines d'entre elles. Tel n'est pas le sens de notre amendement : nous demandons que l'utilisation des TSE ne puisse être autorisée que par un juge judiciaire dans le cadre d'une instruction. J'ose imaginer que les enquêtes relatives aux organisations mafieuses sont entre les mains de l'instruction, et non du parquet.
J'ose espérer que ce sont les enquêteurs spécialisés du service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco) qui traitent ces dossiers, en lien avec la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) et sous le contrôle des magistrats du siège. Le parquet peut évidemment exercer un droit de regard – les Jirs font leur travail –, mais les TSE sont tellement attentatoires aux libertés que le magistrat le mieux placé pour veiller au respect des garanties légales n'est pas le procureur ou son substitut, mais le juge d'instruction, du fait de son indépendance.
Vous n'avez pas écouté ma réponse. Votre amendement est satisfait : ce n'est pas le parquet, mais un magistrat du siège ou le juge des libertés et de la détention qui peut autoriser le recours à ces techniques.
La commission rejette l'amendement.
Amendements identiques CL578 de Mme Caroline Abadie et CL397 de Mme Elsa Faucillon.
Il s'agit de lutter contre la surpopulation carcérale.
En préambule, je souhaite préciser que la majorité, dont je fais partie depuis six ans, a toujours été très fière de voter des budgets en augmentation, qui ont notamment permis de prévoir la construction de 15 000 places nettes de prison. Cela ne nous empêche pas d'avoir, dans nos prisons, 13 000 détenus de plus que de places, ce qui nous vaut quelques condamnations internationales. Tout le monde ici conviendra par ailleurs que des conditions dignes de détention permettent toujours une meilleure réinsertion, et donc une lutte plus efficace contre la récidive.
La majorité a voté – encore ce soir – un grand nombre de mesures permettant de recourir davantage aux Arse, aux TIG et aux contrôles judiciaires lorsque les juges estiment ces dispositifs appropriés. Cependant, dans le cadre de la mission d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, que je mène depuis plusieurs mois avec Elsa Faucillon, nous avons notamment constaté que la libération sous contrainte de plein droit, en vigueur depuis janvier dernier, était inégalement appliquée sur le territoire.
Le dispositif que nous proposons ne s'apparente pas à un numerus clausus. Il ne porte pas non plus atteinte à l'indépendance des juges et ne vise pas à libérer 13 000 dangereux criminels.
Nous entendons nous attaquer d'abord aux difficultés rencontrées dans les maisons d'arrêt, qui sont les principales concernées par les problèmes de surpopulation carcérale. Nous proposons un dispositif progressif, dont la mise en œuvre s'étalerait jusqu'en 2027, lorsque les 15 000 places de prison envisagées seront normalement sorties de terre. Nous souhaitons que les juges et les établissements pénitentiaires puissent passer des conventions, sur leur territoire, pour trouver le moyen de limiter à 100 %, d'ici à 2027, le taux d'occupation des maisons d'arrêt et des quartiers maison d'arrêt des centres pénitentiaires.
Mon amendement identique est le fruit de nos travaux communs, mais aussi de l'écoute de toutes les personnes qui, dans le monde de la justice et les établissements pénitentiaires, s'inquiètent de l'augmentation de la population carcérale et du fait que la prison ne peut assurer convenablement le service qu'elle est censée rendre à la société. Non seulement la surpopulation carcérale porte atteinte à la dignité humaine, mais elle entraîne également, pour le personnel pénitentiaire, des conditions de travail qui rendent impossibles une bonne surveillance et une bonne préparation de la réinsertion des personnes détenues. La surpopulation d'aujourd'hui est la délinquance de demain : nous ne pouvons donc pas nous abstenir de traiter ce sujet.
Nous avons essayé de chercher quelques pistes. Nous en proposerons d'autres, dans le cadre de notre rapport d'information – je pense notamment à une meilleure utilisation des peines alternatives existantes –, mais avant de poser ces questions à la chaîne pénale, nous devons d'abord régler le problème de la surpopulation.
Je ne comprends pas, monsieur le garde des sceaux, que vous refusiez d'aborder pleinement ce sujet dans le cadre d'un projet de loi consacré à la justice, d'autant que nous devrons respecter d'ici à 2027 le principe de l'encellulement individuel. En repoussant notre proposition, vous avouez en quelque sorte que vous n'y arriverez pas. J'ai l'impression que vous confondez les mesures de régulation carcérale avec l'instauration d'un numerus clausus. Nous ne proposons pas ici de porter atteinte à la liberté du juge de prononcer une peine de prison, même si nous considérons que l'emprisonnement doit cesser d'être, dans les esprits, une peine de référence – en tout cas, ce n'est pas la plus utile ni celle qui permet la meilleure réinsertion.
J'estime, comme vous, que la résolution du problème de la surpopulation carcérale est une priorité – c'est d'ailleurs l'un des engagements de ce projet de loi et du rapport annexé.
Madame Abadie, je reconnais votre expertise sur ce sujet et je salue le travail que vous menez avec Madame Faucillon. Vous faites preuve d'un engagement sans faille dans ce combat, que vous avez d'ailleurs commencé lors de la législature précédente – je me souviens d'avoir visité avec vous une prison en Corse. J'ai hâte de lire le rapport que vous êtes en train de finaliser et que vous remettrez, je crois, le 19 juillet. Pour ma part, je ne suis pas un spécialiste de ces questions et je me trouve très embêté de devoir vous donner aujourd'hui un avis sans avoir développé ma propre expertise. Au vu de son importance et de sa complexité, ce sujet mérite de faire l'objet d'un texte spécifique, transpartisan.
Toutefois, je suis d'accord avec vous sur le fond : on doit réduire la pression carcérale, qui rend les conditions de vie des détenus indignes, les conditions de travail du personnel pénitentiaire, difficiles, et surtout la réinsertion des anciens prisonniers particulièrement compliquée. Je demande le retrait de ces deux amendements, que nous ne pouvons pas adopter aujourd'hui en toute connaissance de cause.
Il vous suffit peut-être de lire un amendement pour avoir une expertise. Pour ma part, j'ai besoin de travailler davantage, mais je suis peut-être beaucoup moins intelligent que vous, monsieur Bernalicis.
Comme l'a très bien dit madame Abadie, nous avons développé depuis six ans divers mécanismes non exclusifs les uns des autres pour tenter de lutter contre la surpopulation carcérale. À l'occasion de l'examen d'un amendement de madame Untermaier, nous avons parlé des TIG, des Arse et du plan de construction de 15 000 places de prison. Malgré ces efforts, nous constatons tous, lorsque nous visitons les maisons d'arrêt de nos circonscriptions – je le fais moi-même à Albi –, que le phénomène n'est pas régulé. Pour ma part, j'ai appelé de mes vœux l'ouverture d'une prison dans le sud du Tarn – le garde des sceaux en sait quelque chose.
Je salue votre travail, que nous avons cherché à mettre en valeur lors d'une audition à laquelle vous avez accepté de participer. Ce n'est pas banal d'auditionner des collègues, mais monsieur Balanant et moi-même étions très intéressés de connaître les premières conclusions de votre mission d'information. Votre proposition de phasage nous paraît intéressante.
En ma qualité de rapporteur général, je me permettrai de faire une proposition àmonsieur le garde des sceaux : il serait intéressant de nous revoir, avant la séance, pour réfléchir de manière transpartisane, en lien avec les services du ministère de la justice, à la façon de mettre en œuvre le dispositif que vous avez conçu. À l'instar de Erwan Balanant, je vous demande donc de bien vouloir retirer vos amendements afin que nous puissions aboutir, d'ici à la séance, à une proposition concrète.
Il y a un point sur lequel nous pouvons tous tomber d'accord : priver un homme de liberté, ce n'est pas le priver de dignité.
Dans notre pays se pose un problème ancien de surpopulation carcérale. Le développement des TIG, la mise en place de la libération sous contrainte (LSC), la modification des modalités de l'Arse et la construction de nouvelles places de prison sont des leviers d'action. Cependant, la question est complexe et je vous remercie, mesdames Abadie et Faucillon, de vous être longuement penchées dessus et d'avoir formulé des propositions qui n'avaient pas encore été envisagées.
Nous devons évidemment lutter contre la surpopulation carcérale. Les dispositifs de régulation que vous proposez me paraissent cohérents et s'inscrivent dans une logique de progressivité, leur échéance coïncidant avec la livraison des 15 000 nouvelles places de prison. Toutefois, ils ne sont pas pleinement satisfaisants, pour un certain nombre de raisons.
Dans certains cas, ils empêcheraient les magistrats de prononcer des peines d'emprisonnement, même pour un temps donné, ce qui pourrait menacer la sécurité de nos concitoyens. Cela me préoccupe. Je revendique depuis longtemps la fermeté sans démagogie et l'humanisme sans angélisme.
Le dispositif de réduction supplémentaire de peine que vous préconisez s'apparente par ailleurs à celui qui a été mis en œuvre, durant un temps limité, dans le contexte très particulier de la crise sanitaire. Dans la période actuelle, ce mécanisme poserait une difficulté au regard du principe d'égalité devant la loi, dans la mesure où ces réductions de peine ne seraient pas nécessairement appliquées dans l'ensemble des établissements pénitentiaires.
Enfin, d'une certaine façon, le principe d'individualisation de la peine peut sembler remis en question.
Je souhaite que les dispositifs favorisant les alternatives à la détention, déjà inscrits dans la loi, comme la libération sous contrainte, soient pleinement utilisés par les magistrats. Avant de créer un mécanisme généralisé de régulation carcérale, qui repose notamment sur des seuils de densité carcérale, je suggère que l'on mène une action concertée et transpartisane. Les quotas ne font pas partie des mesures retenues par le plan d'action pour la justice, pas plus que le seuil de criticité. Les acteurs concernés se réunissent déjà, aujourd'hui, pour évoquer la question de la surpopulation. Vos propositions présentent toutefois un caractère innovant.
Partageant l'avis du rapporteur général, je suggère que vous retiriez votre amendement afin que nous y travaillions avec tous les groupes, car nous partageons tous le même constat. Nous devons en particulier réfléchir aux leviers nécessaires à la réduction pérenne de la surpopulation carcérale et de l'indignité qu'elle engendre. J'ajoute que nous n'avons jamais autant investi dans la rénovation des établissements pénitentiaires et dans la création de places nouvelles. Par ailleurs, nous ne disposons pas d'étude d'impact ; nous devons y réfléchir.
En ma qualité de rapporteur pour avis sur le budget de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, j'ai constaté les efforts que vous avez accomplis pour développer les placements extérieurs et d'autres mesures alternatives à la prison. Cela témoigne de votre volonté de favoriser la réinsertion et de lutter contre la récidive. Parallèlement, vous agissez pour améliorer les conditions de détention en milieu fermé. J'approuve pleinement le plan de construction des 15 000 places.
Cela étant, je m'exprimerai aussi en tant que député de la Gironde, pour vous faire part de la situation catastrophique de la maison d'arrêt de Gradignan, qui connaît un taux d'occupation de plus de 200 % et où une mesure de stop écrou a été prise. Je vous remercie pour l'effort engagé pour la construction de la nouvelle prison, mais on sait que l'augmentation du nombre de places ne réduira pas la suroccupation, car le nombre de détenus continuera de croître.
Tout le monde appelle de ses vœux la régulation carcérale, y compris l'administration pénitentiaire. Il faut réfléchir au développement des mesures alternatives à l'incarcération et aux sorties accompagnées – je connais votre attachement aux structures d'accompagnement vers la sortie (SAS).
Il est regrettable que le rapporteur et le Gouvernement soient aussi timides sur un sujet comme celui-là. On nous explique que la question est discutée parce qu'un rapport va être rendu le 19 juillet : non ! Le problème avait déjà été débattu au cours des états généraux de la justice, monsieur le ministre, dont vous dites qu'ils ont constitué la base du projet de loi de programmation. Vous avez écarté ce sujet, par principe. Vous aviez tenu un discours différent au Sénat, affirmant que les Français n'étaient pas prêts à voir les détenus sortir. Cela a pourtant eu lieu pendant le covid, et nous n'avons pas connu l'été Orange mécanique qu'avait prédit Éric Ciotti – autrement dit, pas plus d'incarcérations ni de délits que d'habitude.
Le dispositif proposé est progressif, adapté à vos objectifs de construction de places de prison – que je ne partage pas – et laisse toute liberté au juge pour prononcer une peine de prison. Il ne s'agit pas d'instaurer un numerus clausus à l'entrée. Le procureur général Rémy Heitz, qui a été l'un des artisans de la précédente loi de programmation et qui nous avait promis que, grâce à ce texte, il y aurait moins d'incarcérations et de courtes peines, reconnaît que cela n'a pas fonctionné et admet aujourd'hui la nécessité d'un mécanisme de régulation carcérale. Que vous faut-il de plus ? On devrait tous s'attacher à prévenir la récidive.
Je peux observer, dans la maison d'arrêt de ma circonscription, les difficultés éprouvées par les détenus et les atteintes au principe de dignité, qui nous valent des condamnations de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et des rappels à l'ordre de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL). Il faut trouver des remèdes à la surpopulation carcérale. Comme l'ont fait remarquer nos rapporteurs et monsieur le ministre, il manque une étude d'impact. Monsieur Bernalicis, la proposition qui nous est soumise n'avait pas été faite lors des états généraux. Elle présente un caractère innovant, propose une évolution progressive et nous oblige à revoir l'ensemble de notre système de sortie de prison et d'accompagnement – je pense, par exemple, aux Spip. Les professionnels pénitentiaires sont en grande difficulté. Même si on construit les 15 000 places, il est possible que cela ne suffise pas, compte tenu de l'accroissement de la population et de l'augmentation potentielle du nombre de peines complémentaires. Nous devons travailler collectivement pour apporter une réponse technique à un sujet hautement politique et émotionnel.
Je constate qu'il y a une volonté unanime de trouver une solution à cette difficulté et que chacun a salué la qualité du travail transpartisan mené par nos collègues. Les positions évoluent dans chaque groupe. L'occasion se présente de faire entrer dès maintenant ces dispositions dans la loi. Comment ne pas la saisir après avoir développé des arguments aussi positifs ? Si vous décidez de reporter sine die l'adoption d'un texte sur ce sujet, ce sera un véritable problème. C'est un choix politique que de ne pas agir lorsqu'on a la possibilité de prendre un engagement ferme. Assurez-nous que l'amendement sera retravaillé et adopté en séance.
Monsieur le ministre s'est engagé clairement, me semble-t-il, à ce que l'amendement soit retravaillé. Reste que nous devons continuer à limiter l'incarcération, en amont : c'est le facteur principal pour éviter l'engorgement des prisons. Parallèlement, il faut faciliter les sorties de prison – un travail considérable a déjà été mené en ce domaine. Nous avons voté en 2021 une loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention. La dignité n'est pas seulement la résultante de la baisse du nombre de détenus mais est aussi déterminée par la manière dont la détention est assurée. Dans ma circonscription, une maison d'arrêt est en surpopulation sur le papier mais, en réalité, les choses se passent relativement bien.
L'une de vos propositions – le conventionnement par juridiction – m'inspire un certain scepticisme car les détenus tournent beaucoup entre les maisons d'arrêt ; lorsqu'ils sont impliqués dans une même affaire, on les sépare systématiquement. Je ne vois donc pas comment cela répondrait au problème. Par ailleurs, je ne pense pas que l'on puisse imposer à un juge de l'application des peines (JAP) une limitation automatique d'exécution de la peine, car cela contreviendrait aux principes d'individualisation des peines et d'égalité.
Il faut retravailler sur cette question essentielle, privilégier les moyens d'éviter l'engorgement des prisons et mieux respecter les principes fondamentaux du droit pénal.
La réunion est suspendue de vingt-trois heures quarante à vingt-trois heures cinquante-cinq.
Si nous nous accordons tous à dire qu'il faut lutter contre les conditions indignes de détention, nous ne proposons pas tous les mêmes solutions. Je prends acte de votre volonté de réduire la surpopulation carcérale mais je ne pense pas que le remède consiste à ouvrir les portes à tout-va. Nous voterons les crédits nécessaires à la construction de prisons, qui est une grande partie de la solution.
L'amendement suscite des interrogations, en particulier en ce qui concerne la réduction automatique de peine, qui me paraît totalement inconcevable. Cette mesure serait injuste vis-à-vis de détenus incarcérés dans d'autres centres et reviendrait à se substituer à la décision prise par un magistrat ou un tribunal. En outre, cela fait fi des droits des victimes. Personnellement, je suis plus attachée aux victimes qu'aux détenus. Je ne voterai donc pas cet amendement.
Il y a un consensus sur l'urgence d'agir contre la surpopulation carcérale. Des mesures ont déjà été prises. Nous travaillons sur l'augmentation du parc pénitentiaire, la réhabilitation des juridictions, les mécanismes à l'entrée – les aménagements de peine, en particulier –, les alternatives à la peine, la sortie, la lutte contre la récidive… Je suis persuadée qu'il faut développer ces mécanismes pour atteindre l'objectif de régulation carcérale. Les mesures proposées sont intéressantes mais très contraignantes. Je m'interroge sur le nombre de détenus qui pourraient sortir de prison : seront-ils 13 000, 5 000, 1 000 ? En tout état de cause, ce ne sera pas anodin. Il nous faut des précisions. Je ne suis pas certaine que la solution vienne de la régulation carcérale. Il n'est pas évident que la lutte contre la surpopulation passe par la sortie d'un certain nombre de détenus ou l'absence d'incarcération, alors qu'une peine a bel et bien été prononcée par un magistrat.
La surpopulation carcérale constitue un problème structurel. Le programme dit « 15 000 » a pris trop de retard et n'a pas encore produit d'effets. Nous doutons que le Gouvernement atteigne ses objectifs d'ici à la fin de la législature.
Pour autant, je ne suis pas sûr que la solution ici proposée soit la bonne. La surpopulation touche essentiellement les maisons d'arrêt. L'amendement est très contraignant, et il est à craindre que les engagements de construction ne soient pas tenus d'ici à 2027. En outre, il ne me paraît pas souhaitable de reproduire ce qui s'est passé pendant la covid, où 13 000 détenus avaient été libérés au fil de l'eau. En l'espèce, on ne sait pas combien de détenus seraient concernés. Pensons au message que l'on enverrait aux victimes et, plus généralement, à l'ensemble de la société. Je ne fais pas de la prison l'alpha et l'oméga mais, lorsqu'une peine est prononcée, elle doit être exécutée.
Le projet de loi prévoit des crédits élevés pour la création de prisons. Je pense qu'on sera loin des 15 000 places en 2027 – si on en a 3 500 ou 4 000, on devra déjà être contents. Nous ne vous en faisons pas le reproche, car nous savons que c'est difficile, mais le postulat sur lequel repose l'amendement me gêne.
Néanmoins, cette proposition a été élaborée sérieusement, de manière transpartisane, et lance des pistes de réflexion. Nous pourrions très bien adopter l'amendement afin de disposer d'une base de travail en vue de la séance. Cela nous obligera à trouver une solution à ce problème que vous avez reçu en héritage et qui devient trop lourd. Il serait regrettable qu'en regard des investissements programmés, le texte ne propose pas un dispositif de régulation, pourvu que celui-ci respecte le principe que le juge doit continuer à juger comme il l'entend.
J'observe le constat partagé, même si les solutions proposées divergent ; je vois la main tendue de messieurs les rapporteurs et de monsieur le garde des sceaux, et j'entends leur invitation à retravailler le dispositif d'ici à la séance. Je répète tout de même qu'il y a urgence. Qu'un directeur interrégional décide courageusement, de sa propre autorité, pour préserver un bâtiment – autrement dit, pour ne pas en laisser les clés aux détenus , d'instituer un stop écrou, sans véritable fondement juridique, doit nous interpeller.
Des conventions entre le président du tribunal, le procureur de la République, les établissements pénitentiaires et le Spip ont été signées à Varces et en d'autres lieux : elles donnent toute satisfaction mais ne sont pas pérennes. Nous ne proposons pas la création de nouveaux outils – la demande de LSC, par exemple, fait déjà l'objet d'un examen de droit – mais souhaitons qu'ils soient pleinement utilisés.
J'ajoute, à l'attention de nos collègues du Rassemblement national, que nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il faut s'occuper des victimes. Beaucoup de choses sont faites pour elles, et il faut continuer à le faire. Mais s'il y a moins d'auteurs et de récidive, il y aura également moins de victimes.
Je retire mon amendement mais, par loyauté au travail que nous avons effectué, je voterai, à titre personnel, pour celui d'Elsa Faucillon.
Ce travail a été entamé par beaucoup d'autres collègues, comme Ugo Bernalicis, Éliane Assassi, Cécile Untermaier et, avant eux, d'autres parlementaires socialistes, tels Dominique Raimbourg et Jean-Pierre Sueur. Cela nous appelle à créer de l'expertise sur le sujet. Personne ne peut invoquer l'argument de la surprise, car il était prévisible que la question de la régulation carcérale serait abordée à l'occasion de ce texte.
La mesure présente, à la demande des professionnels, un caractère contraignant car les expérimentations nous ont montré que, lorsque les bonnes volontés cessent, le rythme d'incarcération et l'inflation pénale reprennent leur cours. À Gradignan, le directeur de la prison, qui connaît un taux d'occupation de 236 %, demande des dispositions contraignantes et espère que l'on fera preuve de courage politique pour ne pas laisser les personnels pénitentiaires supporter seuls le problème. Magistrats, avocats et surveillants pénitentiaires le demandent aussi.
Nous sommes prêts. Je vous invite à voter l'amendement afin que nous disposions d'une base de travail pour la séance.
L'amendement CL578 est retiré.
La commission rejette l'amendement CL397.
La séance est levée à 00 heure 10.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, Mme Elsa Faucillon, Mme Raquel Garrido, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Marie Guévenoux, M. Benjamin Haddad, M. Sacha Houlié, M. Jérémie Iordanoff, Mme Emeline K/Bidi, M. Andy Kerbrat, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, Mme Marie Lebec, M. Emmanuel Mandon, Mme Élisa Martin, M. Ludovic Mendes, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, M. Thomas Portes, M. Éric Poulliat, M. Philippe Pradal, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Sandra Regol, M. Davy Rimane, Mme Béatrice Roullaud, M. Thomas Rudigoz, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, Mme Sarah Tanzilli, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier
Excusés. - M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, Mme Danièle Obono, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Aurélien Pradié, M. Guillaume Vuilletet
Assistaient également à la réunion. - M. Paul Molac, Mme Caroline Yadan