La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
Suite de la discussion d'une proposition de loi
Suspension et reprise de la séance
Compte tenu de l'absence de M. le rapporteur, la séance est suspendue pour une durée de cinq minutes.
La séance, suspendue à vingt et une heures trente, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.
Rappel au règlement
Il se fonde sur l'article 100 relatif à la bonne tenue des débats, madame la présidente. Comme vous l'avez répété à maintes reprises, les journées de niche parlementaire sont des moments importants : elles débutent à neuf heures et s'achèvent à minuit. Nous examinons un texte important, je crois, et je ne voudrais pas que nous soyons les otages d'une élection interne à un parti politique, même si vous avez balayé tout à l'heure cet argument d'un revers de main.
Protestations sur quelques bancs du groupe LR.
Je suis très gêné que le rapporteur n'ait pas été à l'heure pour l'ouverture de la séance parce qu'il participait à un meeting.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Vous êtes minoritaires ! Combien de fois avons-nous dû attendre que vos bancs se garnissent ?
Je demande au rapporteur de nous expliquer pourquoi il était en retard, avant de poursuivre nos débats.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
La parole est à M. Aurélien Pradié, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en réponse à la discussion générale.
Madame la présidente, je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses, à votre égard et à l'égard de l'ensemble des députés, ainsi qu'à celui de M. le ministre et de Mme la ministre déléguée présents. En effet, j'ai eu une minute et demie de retard…
…et je vous présente de nouveau des excuses. Je suis d'autant plus certain que vous les accepterez que l'on excuse beaucoup plus facilement les fautes qu'on a soi-même souvent commises.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
En l'espèce, j'ai souvenir de longues et nombreuses séances auxquelles, en raison d'un dîner chez le Président de la République ou chez tel ou tel ministre, les députés du groupe La République en marche – ainsi se nommait alors leur groupe – arrivaient avec trois quarts d'heure de retard.
À cette occasion, les séances étaient allègrement suspendues. Je n'avais pas de dîner ce soir, mais un autre engagement politique.
Je viens de vous prier de bien vouloir accepter mes excuses. Comme vous le proposez, j'accepte aussi les vôtres.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.
Je voudrais répondre aux propos qui ont été tenus et aux contributions, plus ou moins heureuses, apportées au cours de la discussion générale.
Il y a trois ans, presque jour pour jour, nous étions dans cet hémicycle – vous n'y étiez pas, monsieur le garde des sceaux, vous n'étiez pas ministre à l'époque ; vous n'y étiez pas non plus, madame la ministre déléguée ; beaucoup de députés n'y étaient pas non plus, mais certains étaient présents. Or, pendant près de quinze heures, nous avons débattu d'une proposition de loi (PPL), adoptée à l'unanimité, qui nous a permis d'instaurer des mesures qui ne sont pas les miennes, mais celles de la représentation nationale et désormais celles d'une loi de la République : le bracelet antirapprochement (BAR) et la généralisation de son port dès la phase présentencielle, la réduction à six jours du délai des ordonnances de protection – à l'époque, contre l'avis manifeste de la chancellerie –, une meilleure protection du logement des victimes, le retrait quasi systématique du permis de port d'armes et de l'exercice de l'autorité parentale, et plusieurs autres mesures de cette nature.
À cette époque, comme aujourd'hui, j'avais dans l'hémicycle beaucoup d'adversaires politiques : c'est la règle. Mais nous avons su, au terme de plusieurs heures de débat en commission et en séance, nous entendre et éviter les procès d'intention et les propos méprisants. À cette époque, rien ne prédisait que nous parviendrions à un accord pour faire voter la proposition de loi à l'unanimité. Pourtant, nous l'avons fait. C'est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, je ne répondrai pas – bien que l'envie ne m'en manque pas – aux propos incroyablement méprisants que vous avez tenus lors de votre intervention. Très sincèrement, je comprends que vous ne m'appréciez pas ; si cela peut vous rassurer, je crains que ce ne soit réciproque.
Protestations sur quelques bancs du groupe RE.
Mais le sujet est ailleurs. Lorsque vous étiez à la tribune, monsieur le ministre, il ne s'agissait pas d'être dans l'invective ou dans l'attaque de tel ou tel député, que vous n'apprécieriez pas, pour je ne sais quelle raison. Il s'agissait de traiter du sujet de fond, qui aurait dû être abordé pendant la discussion générale : or vous ne l'avez pas fait. Lorsque votre prédécesseur, avec lequel j'avais autant de divergence qu'avec vous, était à ce banc pour examiner la proposition de loi, nous avons toujours eu un ton à mille lieues de celui que vous avez eu.
Je ne crois pas avoir eu, dans mon intervention, un ton d'invective, de condescendance ou de mépris à l'égard de votre travail. Je vous le dis comme je le pense et vous l'apprécierez comme vous voudrez : je considère que l'on peut attendre autre chose d'un garde des sceaux que des règlements de comptes et des matchs personnels. Je souhaite que ce ne soit pas non plus le cas pour la suite, et que nous puissions en venir au fond.
Le fond de l'affaire est simple : c'est le combat pour la création d'une juridiction spécialisée. Si certains députés de la majorité sont encore de bonne foi, ils savent que nous l'avons déjà mené en 2019. Ils se souviennent qu'alors, en commission comme dans l'hémicycle, j'avais dit que l'étape suivante était la création d'une juridiction spécialisée : nous en avions convenu. Lorsque nous avons défendu la généralisation du bracelet antirapprochement dès l'ordonnance de protection, je vous avais dit que nous ne pourrions pas véritablement les généraliser avant la sanction pénale sans juridiction spécialisée : nous en avions tous convenu. Ces débats, nous les avons eus des heures durant, avec plusieurs de vos collègues.
Monsieur le ministre, en 2019, nous avons auditionné, pendant près de cinquante heures, quarante représentants. Durant ces auditions, nous avons traité autant du bracelet antirapprochement que des ordonnances de protection jusqu'à la création de la juridiction spécialisée. Replongez-vous dans le rapport, vous y trouverez toutes les réponses aux questions que vous semblez vous poser, toute l'expertise que vous estimez nécessaire aujourd'hui.
Je ne dis pas ça !
C'est vrai que quelque chose a changé entre 2019 et 2022 : il y a désormais plus de femmes tuées chaque année dans notre pays. C'est ça, la différence ! Ce qui valait en 2019 concernant la juridiction spécialisée vaut exactement de la même manière aujourd'hui. Vous ne pouvez pas nous faire ce procès consistant à dire que nous avons traité négligemment ce texte. En le faisant, vous n'êtes pas respectueux, non pas à mon égard, c'est peu important, mais à l'égard des députés qui ont collectivement signé cette proposition de loi et l'ont inscrite dans la niche parlementaire. Accessoirement, vous n'êtes pas très respectueux à l'égard de la représentation nationale. Ce n'est pas parce qu'on est ministre qu'on est meilleur que les autres ; ce n'est pas parce que vous avez été magistrate ou avocat que vous êtes les meilleurs spécialistes de cette question.
En 2019, lorsque nous avons défendu la proposition de loi, je veux vous le rappeler, certains étaient complètement sceptiques. Je me souviens que la chancellerie et le ministère chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes étaient farouchement opposés à la généralisation du bracelet antirapprochement dès la phase présententielle.
Nicole Belloubet, elle-même assise sur le banc où vous êtes, l'a exprimé publiquement et l'a répété. Ces propos figurent clairement dans le rapport sur le texte de loi.
À cette époque, nous avons eu un débat très constructif, notamment avec les députés du groupe Dem, qui étaient sceptiques sur cette mesure. J'ai tâché de les convaincre alors que j'en doutais moi-même un peu. Lorsqu'il y a deux ans, nous avons évalué la loi, ils ont reconnu avec honneur et intelligence que cette mesure avait vraiment amélioré la protection des femmes. À l'époque, lorsque nous avons demandé que l'ordonnance soit délivrée dans un délai maximal de six jours, que n'avons-nous entendu ! Vous souvenez-vous des débats avec des techniciens experts qui nous expliquaient que c'était impossible ; avec les représentants des magistrats, madame la ministre déléguée, qui me disaient qu'ils n'y arriveraient jamais, que c'était une folie, que nous désorganiserions l'institution judiciaire, que nous allions beaucoup trop vite et que des études d'impact et des expertises supplémentaires devaient être réalisées ? Or nous l'avons fait.
Aujourd'hui, les résultats ne sont-ils pas au rendez-vous ? Dans 94 % des cas, le délai de six jours est tenu. Cela signifie simplement que, lorsque nous traçons un chemin, même à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi de l'opposition, débattue dans le cadre d'une niche parlementaire, alors même que les uns et les autres expriment des doutes, nous sommes capables de bousculer positivement l'institution judiciaire.
À cette époque, ceux qui étaient les plus farouchement opposés à la généralisation du bracelet antirapprochement étaient les représentants des avocats. Je me souviens d'une audition dans cette assemblée où on nous avait expliqué que la mesure était trop brutale, le délai trop court. Quelques années auparavant, figurez-vous que d'autres s'étaient demandé s'il ne convenait pas d'attendre un peu avant d'instaurer le bracelet antirapprochement. C'est ce que nous avons fait puisque, avant leur généralisation effective, notre assemblée a voté pas moins de quatre lois d'expérimentation. Or aucune de ces lois, voulues par les gouvernements successifs de droite et de gauche, n'a jamais été mise en œuvre : quatre lois, et pas un seul bracelet antirapprochement en circulation !
À l'époque, lorsque nous avons proposé et voté cette loi, nous savions qu'elle comportait une faiblesse, que cette nouvelle proposition de loi cherche à corriger. Pardon de vous le répéter, mais nous n'avons, ni vous ni moi, aucune raison d'être fiers ou d'être satisfaits, en raison des chiffres que j'ai déjà évoqués : depuis le début de l'année, 102 femmes ont été assassinées, et de 2021 à 2022, le nombre de féminicides a explosé de 14 %. Au-delà de ce texte, qui vise à faire avancer les choses, le plus grave serait de ne pas prendre au sérieux ces chiffres, car si le nombre de féminicides a explosé de 14 % en deux ans, c'est que nous ne sommes pas à la hauteur. Oui, nous ne faisons pas tout et nous devons nous inspirer de ce que d'autres font. Depuis dix-huit ans – et non depuis deux ou trois ans –, l'Espagne expérimente les juridictions spécialisées. Leur organisation judiciaire diffère seulement de la nôtre sur le rôle du procureur et du juge d'instruction : tout le reste est équivalent. Lorsque vous nous expliquez que l'organisation judiciaire de ces pays est profondément différente, c'est une farce ! La vérité, c'est que l'Espagne est un exemple. Je ne comprends pas quelle fierté politique particulière nous conduit, en France, à ne pas vouloir s'inspirer de ce que fait l'Espagne. Nous l'avons fait en instaurant le bracelet antirapprochement. Pourquoi ne pas le faire également en créant cette juridiction spécialisée ?
Enfin, vous oubliez un écueil majeur que cette proposition de loi tend à surmonter : nous ne voulons pas apposer une étiquette sur des pôles nouveaux – cela ne nous intéresse pas –, nous voulons corriger les dysfonctionnements du dispositif des bracelets antirapprochement. Tout à l'heure, je vous ai donné un chiffre qui semble n'avoir interpellé personne : combien de bracelets antirapprochement sont délivrés aujourd'hui dans le cadre d'une ordonnance de protection, avant le passage à l'acte – le moment précis que vous avez évoqué, monsieur le garde des sceaux ? En effet, vous avez raison, le port du bracelet antirapprochement après le passage à l'acte ne présente que peu d'intérêt, puisqu'il est trop tard. C'est au stade de l'ordonnance de protection que le bracelet antirapprochement est le plus important.
Or seuls treize bracelets – vous m'avez bien entendu : treize ! – ont été délivrés, dans le cadre d'une ordonnance de protection ; en 2021, seulement douze. Ce chiffre ne vient pas de moi, c'est vous qui nous l'avez indiqué dans une réponse à un courrier que je vous ai envoyé il y a plusieurs mois dans laquelle, noir sur blanc, vous nous dites que les bracelets antirapprochement délivrés avant la mesure pénale sont un échec. La raison en est très simple et ce que vous pointiez comme un problème est en fait le cœur du sujet : nous avons confié au juge aux affaires familiales (JAF), qui est un juge civil, le soin de prendre les ordonnances de protection, dans lesquelles il peut prononcer la mesure de port d'un bracelet antirapprochement. Concrètement, le juge aux affaires familiales, car c'est un juge civil, a besoin que l'auteur consente au port du bracelet antirapprochement pour l'inscrire dans l'ordonnance de protection, qui est l'étape la plus essentielle et la plus stratégique, puisqu'elle est prise en cas de danger immense, mais avant le passage à l'acte.
À l'époque, lorsque nous avons défendu la généralisation du bracelet antirapprochement, nous avions soulevé ce problème : les juges aux affaires familiales ne prononceraient pas le port de BAR dans l'ordonnance de protection parce que cette mesure ne relève pas de leur compétence de civilistes. Nous l'avons constaté et nous le constatons encore. S'il ne fallait retenir qu'une seule grande raison de créer cette juridiction spécialisée, ce serait l'instauration d'un nouveau magistrat, compétent à la fois sur le volet civil et le volet pénal. Est-ce baroque ?
Mais oui !
Non, puisque, au risque de vous l'apprendre, monsieur le garde des sceaux – mais je n'imagine pas que tel sera le cas, vous qui êtes un si grand expert de la matière judiciaire –, il se trouve que le juge des enfants manie la matière autant civile que pénale. Il peut ordonner à la fois des mesures éducatives qui relèvent du champ civil et des mesures pénales. Des juridictions spécialisées existent déjà dans notre pays.
Le juge des enfants, créé en 1945, le juge aux affaires familiales, ainsi que le juge chargé des tutelles et des curatelles sont-ils des institutions baroques ? Ce n'est pas du tout le cas, nous vous proposons de créer le même type de juridiction spécialisée.
Enfin, nous devrons de toute façon traiter ce sujet. L'Espagne, le Québec…
…et d'autres pays d'Europe et du monde savent qu'il faut instaurer une juridiction spécialisée. La vérité, c'est que nous pouvons encore travailler ce texte qui n'est pas « écrit avec les pieds », comme vous l'avez aimablement dit.
La vérité, c'est que si vous aviez pris le temps de vraiment le lire, au-delà des notes de vos collaborateurs, vous auriez compris, madame la ministre déléguée, qu'en l'espèce, la question de la proximité des tribunaux a été résolue par voie d'amendement. Si vous découvrez la procédure parlementaire, je le regrette.
Quel mépris ! Vous ne consultez pas les notes de vos collaborateurs ?
La proposition de loi que nous avions défendue et qui avait été votée à l'unanimité en 2019, avait été modifiée par vingt-sept amendements. Ce sont tout à fait le rôle de nos commissions et la vocation d'un rapporteur, qui ne doit pas être borné mais qui doit écouter ce qui se dit en commission et corriger ce qui doit l'être. Nous avons toujours fait ainsi, y compris lorsque nous avons déposé la proposition de loi en 2019.
Je conclus définitivement en soulignant que nous avons aujourd'hui une chance réelle de mettre un pied dans la porte. Je respecte tout le travail d'études et d'évaluation qui sera réalisé par mes collègues. Madame la députée, je regrette une chose : lorsque je vous ai auditionnée – puisque vous avez omis de le dire –, vous avez à peine prononcé une phrase, vous n'avez pas voulu me dire un dixième du travail que vous aviez effectué, vous avez tout caché, comme si c'était un secret et un trésor. J'ai passé une heure avec vous : pouvez-vous affirmer devant moi que vous avez contribué à cette audition ? Vous avez tout fait pour ne rien dire et c'est votre collègue du Sénat qui m'a parlé, évoquant le peu d'auditions que vous avez commencé à réaliser. Je souhaite que votre étude et votre réflexion soient menées jusqu'à leur terme.
Ce n'est pas du mépris, ça ?
En revanche, si aujourd'hui, nous votons en première lecture ce texte, vous aurez tout le temps de nous rendre votre rapport, de nourrir la réflexion et nous aurons tout le temps de contribuer à faire voter cette proposition de loi.
S'agissant du délai, monsieur le garde des sceaux, vous aurez observé que je ne l'ai pas modifié. Si vous pouviez au moins vous retenir de faire des gestes de revers de la main lorsque je m'exprime, ce serait plus respectueux.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Mais pour qui vous prenez-vous ?
Pour un simple député de la nation, monsieur le ministre, élu par nos concitoyens et qui ne mérite pas que vous fassiez ce geste lorsqu'il s'exprime, quel que soit le mépris dont vous faites preuve à son égard.
Soyez à l'heure, ce serait déjà pas mal ! Prétentieux, je n'ai jamais vu ça !
Monsieur le rapporteur, c'est moi qui fais la police de la séance, et qui, éventuellement, interpelle les uns et les autres. Je vous remercie de conclure.
S'agissant de la question de la date et du délai, nous avons voulu inscrire un délai dans le texte. La première version de la proposition de loi n'en fixait pas, et c'est justement parce que nous en avons discuté en commission que je me suis dit qu'il serait souhaitable de fixer un délai maximal. N'avez-vous pas lu le mot « maximal » ? Cela veut tout simplement dire que, si vous vous sentez aussi prêt, alors avançons : votons cette proposition de loi en première lecture, examinons les conclusions que rendra la mission parlementaire. Vous aurez ainsi tout le temps de faire voter en deuxième lecture ce texte, et de passer des paroles aux actes.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Tout est à refaire !
Monsieur Pradié, nous nous sommes rencontrés pour la première fois en commission des lois de l'Assemblée nationale. Vous m'aviez alors reproché de ne pas avoir répondu à l'un de vos courriers que je n'avais pas reçu, mais que vous aviez déjà transmis à la presse. Cela n'augurait pas…
Ce n'est pas formidable, voyez-vous. Vous avez voulu vous faire un petit coup de publicité sur mon compte en parlant…
M. Aurélien Pradié s'exclame.
Vous allez souffrir que je vous réponde, monsieur Pradié !
Vous avez fait part de cette inimitié sans nuage qui nous unit depuis deux ans et demi, souffrez que j'en dise un mot. Voilà comment je vous ai connu, ce qui ne m'a, bien entendu, pas donné d'emblée l'envie d'être plus aimable que cela. Passons maintenant à autre chose.
Au civil, infliger un bracelet antirapprochement sans avoir obtenu l'autorisation…
Non, il n'est pas mal approprié, parce que le bracelet antirapprochement représente, d'une certaine façon, une coercition. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, vous l'avez rappelé, certains avocats étaient contre. Du reste, vous ne les avez peut-être pas à nouveau auditionnés pour cette raison.
Mais qu'il me soit permis de vous dire plus sérieusement – cela devrait nous unir, nous ne faisons plus dans le sentimentalisme – que la proposition de loi est inconstitutionnelle : ce n'est pas plus compliqué que cela. Si un juge civil prend une mesure coercitive sans respecter le contradictoire, c'est anticonstitutionnel – je vois Mme Untermaier qui acquiesce. Que vous voulez-vous que j'y fasse ? On ne peut s'affranchir des règles au motif que l'on veut absolument faire aboutir, aujourd'hui, tout de suite, sa PPL qui est mal préparée.
Je vais rappeler plusieurs éléments. L'Espagne, personne ne dit le contraire, a été un modèle et nous a inspirés – je dis « nous » car cela remonte à quelques années – s'agissant des BAR et des téléphones grave danger. J'ai expliqué qu'il avait fallu un certain temps pour que la criminalité spécifique des violences intrafamiliales (VIF) baisse en Espagne : cela ne s'est pas fait en un claquement de doigts. Je dis également que la juridiction spécialisée espagnole ne peut pas être transposée en un claquement de doigts en France et qu'il faut y réfléchir. La spécialisation, outre le mot, est une espèce de valise dans laquelle on peut mettre tout et son contraire. Or les filières d'ores et déjà dédiées aux violences intrafamiliales correspondent à une spécialisation. J'ai rappelé aussi que la formation initiale existe déjà pour les magistrats et qu'ils suivent aujourd'hui une formation continue – vous n'avez pas répondu sur ce point. Enfin, je le répète, il résulte des écrits que vous nous avez transmis que vous avez auditionné huit personnes dans le cadre de cette PPL.
Alors je veux bien que vous refassiez l'histoire, je veux bien que vous nous rappeliez le combat héroïque que vous avez mené mais, voyez-vous, monsieur Pradié, indépendamment de ce qui peut nous opposer sur le plan personnel, je reconnais – et je l'ai reconnu tout à l'heure – quelle avait été votre implication en la matière. Seulement, d'autres que vous sont préoccupés par le statut des femmes et par leur protection.
Je souhaite ajouter quelque chose : j'ai à mes côtés sur les bancs du Gouvernement ma collègue Isabelle Rome qui est magistrate…
Avant d'être ministre déléguée, elle était magistrate et elle a montré quel était son combat et il est équipollent au vôtre. Pensez-vous franchement…
En tout cas c'est mon propos et souffrez de l'entendre.
Pensez-vous franchement qu'Isabelle Rome, qui s'est battue toute sa vie pour cette cause particulière, ne voudrait pas de la juridiction spécialisée que vous proposez si elle était convaincue de son efficacité ? On marche sur la tête, monsieur Pradié. Vous n'avez pas le monopole de… d'ailleurs vous n'avez le monopole de rien !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Pardon de vous le dire mais ça suffit, les bons d'un côté et les mauvais de l'autre. Vous vous placez dans une position de victime en disant : « Ah ! mais je suis le seul à avoir conscience de la situation ! » Vous pouvez nous redonner le chiffre des féminicides, reste que si vous créez une juridiction spécialisée, ça ne changera rien à ce chiffre qui n'est pas bon. Ce qui doit changer, c'est que la justice doit être avertie plus tôt. Quand les féminicides sont commis, malheureusement, il est trop tard. Il faut renforcer le dispositif des bracelets antirapprochement, je l'entends, mais il faut le faire dans le respect de la Constitution car, excusez-moi du peu, nous ne sommes pas au café du commerce. En outre, il faut multiplier les téléphones grave danger plus encore que nous ne l'avons déjà fait.
Le procès que vous me faites est tout de même inouï. Vous êtes en effet audacieux : vous dites que je ne respecte pas le Parlement et que je fais preuve de mépris. On voit le vôtre et, en la matière, vous n'avez pas de leçon à donner, pas plus qu'en matière de ponctualité, d'ailleurs.
« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe LR.
Quant à Mme Chandler, elle est députée, comme vous.
Elle ne vous vaudrait pas et donc la sénatrice Vérien non plus ?
Je vais vous dire, monsieur Pradié, parce que ça commence à me chauffer les oreilles : la chancellerie vous a fixé cinq rendez-vous ; or à chaque fois vous étiez en réunion électorale et jamais vous n'êtes venu me voir.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Sourires.
Ce n'est pas vrai !
Pour terminer cette discussion, la parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances.
Monsieur le rapporteur, je ne pense pas qu'on puisse parler de mépris. Vous êtes un très bon politique, ce que nous savons tous, mais, pour la rédaction de votre proposition de loi, je ne pense pas que vous ayez entendu des victimes, que vous soyez allé dans une juridiction. Je reste sur ma faim en lisant votre texte, quand bien même il serait amendé.
Je dirai quelques mots sur le bracelet antirapprochement et sur son instauration en France. À l'époque j'étais à la chancellerie et je me suis rendue en Espagne pour examiner le fonctionnement du système Cometa. Lorsque je suis rentrée, j'ai dit à la garde des sceaux que notre système juridique n'était pas adapté à la mise en place d'un tel dispositif, qu'il faudrait modifier le texte pour l'imposer dès la phase présentencielle et qu'au civil ce serait très compliqué parce qu'il faudrait obtenir l'accord du mis en cause. C'est pourquoi, à l'époque, vous avez été soutenu par la majorité et que la loi du 28 décembre 2019 a été adoptée à l'unanimité. Et si, aujourd'hui, nous ne sommes pas d'accord avec vous, c'est parce que votre proposition de loi ne convient pas.
Vous brandissez le chiffre des féminicides. Je rappelle tout de même qu'à l'époque où vous étiez aux manettes…
C'était en tout cas votre parti qui était aux manettes et les chiffres n'étaient pas extraordinaires : 179 féminicides en 2007, 168 en 2008.
Eh bien, puisque vous brandissez des chiffres, j'en brandis à mon tour, voilà. Nous n'avons pas de leçons à recevoir.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
J'appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l'Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n'a pas adopté de texte.
En effet nous n'avons pas de leçons à recevoir mais nous avons tous à apprendre sur une question qui invite à beaucoup d'humilité et de détermination.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Nous devons tous nous retrouver malgré nos réserves sur le texte – je ferai part des miennes. L'heure n'est pas à l'invective mais à la réflexion, au débat et, je le répète, à l'humilité. Comme tous ceux qui se sont exprimés pendant la discussion générale, nous sommes face à un fléau qui assombrit l'avenir des familles concernées et les enfants de ces familles. Nous devons prendre cette situation en considération. Il serait injuste d'avancer que rien n'a été fait. Beaucoup a été fait : la gendarmerie, la police se sont mobilisées.
Leurs services accomplissent un travail très important. Les intervenants sociaux sont des plus utiles. La justice également travaille beaucoup.
Bien sûr !
Elle a mis en place des filières, des chambres spécialisées qui fonctionnent très bien.
M. le garde des sceaux opine du chef.
J'espère, à l'occasion de la défense d'un amendement, vous expliquer ce dispositif.
Le Parlement, de son côté, a fait son travail, comme l'a expliqué le rapporteur Pradié. L'ordonnance de protection est désormais prise de manière satisfaisante, à raison d'un délai de six jours qu'il a été possible de respecter. Comme quoi l'initiative parlementaire et l'esprit d'innovation parlementaire peuvent être utiles et, dans le cadre du débat qui s'ouvre, nous devons privilégier l'écoute et la volonté d'avancer sur un sujet qui nous tient à cœur.
Je suis une jeune députée, je ne connais pas tous les usages et je vous prie de bien vouloir excuser mon ignorance.
Tant mieux.
Si nous nous en tenons au droit, un cas m'est échu par malchance le 28 décembre 2019, alors que j'étais de permanence au déferrement de l'antenne des mineurs du barreau de Paris. Je n'étais pas encore parlementaire mais avocat pour enfants. Le cas était celui d'un mineur de 17 ans et demi qui commettait un inceste sur son petit frère de 4 ans – en effet, si nous voulons donner dans le pathos, les exemples abondent et nous pouvons tous avoir les larmes aux yeux en pensant qu'autour de nous les choses se passent ainsi et qu'il ne faut donc pas faire n'importe quoi avec le droit. Que fait-on, donc, de ce mineur de 17 ans et demi qui va passer devant le juge des enfants et qui, six mois plus tard, à 18 ans et un ou deux jours commettra la même horreur sur son autre petit frère ? Nous avons deux victimes et le même auteur – mineur dans le premier cas et majeur dans le second.
La juridiction spécialisée proposée qui vise à fixer un cadre pénal général pour les violences intrafamiliales ne prend pas en considération le cas que je viens d'exposer.
Il y a un vide juridique pour ce type de cas qui, pourtant, concerne un certain nombre de familles – ici un auteur et deux toutes petites victimes.
Si vous voulez que nous évoquions des drames, allons-y mais je préfère trouver des solutions juridiques cohérentes, transpartisanes.
Murmures.
Je souhaite terminer mon propos tranquillement car, au-delà de nos débats, il y a la vie des femmes, des enfants et des tout petits enfants – dont nous ne parlons pas assez.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Ce débat est intéressant et nécessaire. Je remercie M. Pradié de mettre en lumière ces problèmes même si je ne partage pas ses positions. J'ai exercé les fonctions de maire pendant seize ans et j'ai été confronté à ces questions de violences intrafamiliales auxquelles il a fallu réfléchir. Quelles sont les solutions ? Nous avons vécu un bon moment démocratique dans le cadre d'une niche parlementaire, lorsque nous avons voté l'instauration du bracelet antirapprochement. Mais quand je vous écoute ce soir, j'entends que vous défendez ce qui s'apparente à un texte d'appel.
Il ne sera pas forcément efficace. En même temps, une mission est prévue qui devra remettre un rapport censé traiter la question au fond. Aussi ne serait-il pas urgent d'attendre ce rapport afin de voir si nous pouvons travailler sereinement ? Votre texte est nécessaire parce qu'il nous interpelle. Reste que nous sommes des législateurs et que nous avons envie d'être efficaces – il faut que le texte que nous voterons serve. Car s'il s'agit d'adopter un texte qu'il faudra complètement chambouler à la lumière du rapport que rédigera la mission, cela me gêne, cela me trouble. Je ne suis pas convaincu de la nécessité d'une juridiction spécialisée. Les magistrats ont une vision et une expérience qui leur permettent d'avoir, au-delà d'une spécialisation quelque peu théorique, ce côté humain et de se montrer efficaces dans certains des jugements qu'ils auront à prononcer.
Je remercie encore une fois le rapporteur de poser le problème mais il me semble nécessaire de nous laisser un peu de temps : le rapport sera rendu en mars 2023. Encore une fois, je souhaite que nous fassions un travail sérieux et utile.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Dem et RE.
La discussion technique que nous avons à l'article 1er est intéressante mais plusieurs amendements entendent répondre à la question de savoir quelle juridiction prendra en considération les mis en cause mineurs. Aussi débattons-en au moment d'examiner ces amendements et non en préalable pour dénoncer le texte.
Il en va de même pour les juridictions spécialisées, dont vous savez que nous ne sommes pas de grands fanatiques. Or nous avons prévu un amendement qui vise à transformer celle que prévoit le texte en un pôle, qui ne serait pas une juridiction d'exception mais serait composé de magistrats s'étant spécialisés dans les violences intrafamiliales, ce qui ne revient pas au même. Nous pouvons tous nous retrouver sur ce point.
Applaudissements quelques les bancs du groupe LFI – NUPES.
Les députés des différents groupes ont échangé des arguments et, j'y insiste, plutôt que de passer notre temps à dire que le texte est mal rédigé ou qu'il faut attendre la publication du rapport, faisons notre travail de parlementaires. Si ce que vous dites est vrai, si vous avez raison sur la question de la minorité de certains mis en cause, si vous penchez pour un pôle de magistrats plutôt que pour une juridiction spécialisée, eh bien, votez les amendements et le texte à la fin.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur quelques bancs du groupe LR. – Mme Sandra Regol applaudit également.
Nous en venons aux amendements.
La parole est à Mme Edwige Diaz, pour soutenir l'amendement n° 54 .
Comme nous l'avons précisé dans la discussion générale, les amendements déposés par M. le rapporteur, qui s'inspirent largement des propositions du Rassemblement national, vont dans le bon sens. Néanmoins, le présent amendement pourrait, s'il était adopté, constituer un ajout positif pour la justice. Il vise à ce que chaque tribunal judiciaire – à savoir au plus proche de nos concitoyens – compte un collège de trois juges spécialisés dans les violences intrafamiliales. Ce collège serait chargé de connaître de ce contentieux pénal ainsi que des ordonnances de protection.
Ces affaires de violences, celles exercées tant sur les conjoints que sur les enfants, méritent toute l'attention des institutions judiciaires et il est important de pouvoir se reposer sur un ensemble de magistrats spécialisés pour leur traitement. Une victime de violences de la part d'un conjoint ou d'un parent se trouve dans une situation bien particulière, qui nécessite l'appréciation d'acteurs spécialisés à tous les stades de l'enquête et du jugement par ailleurs. Se retrouver face à des juges spécialisés serait donc une excellente avancée pour la cause que nous défendons. Ainsi, par cette nouvelle rédaction, nous procurerions au système judiciaire un arsenal plus important et plus efficace dans la lutte contre les violences intrafamiliales.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
J'ai, sur le sujet, un point d'accord avec vous et vous l'avez d'ailleurs évoqué en commission : la nécessaire proximité des juridictions, qui est le principal objet de votre amendement.
Mais avant de vous donner une réponse plus complète, je note que, contrairement à ce que vous aviez fait en commission, vous n'avez pas déposé d'amendement visant à supprimer l'article 1er en séance. Vous savez que je n'ai pas de sympathie particulière pour votre groupe politique : je trouve que cette démarche va dans le bon sens et je tenais à le dire.
Pour le reste, votre amendement me semble poser un problème majeur que mon amendement n° 5 pourrait régler en visant à créer un tribunal des violences intrafamiliales dans chaque tribunal judiciaire, afin d'assurer la proximité géographique de la juridiction que ce texte tend à instaurer. En effet, vous proposez trois juges par ressort de tribunal judiciaire affectés aux violences intrafamiliales, ce qui me paraît tout à fait impossible, aussi bien dans une circonscription comme la vôtre que dans la mienne. Il ne saurait y avoir trois juges à demeure sur une juridiction spécialisée : cela n'est d'ailleurs le cas ni des juges pour enfants, ni des juges aux affaires familiales, ni des juges des tutelles et des curatelles. J'insiste : un tel dispositif me semblerait impossible à appliquer.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement au profit du mien, lequel, je vous l'assure, garantira la proximité que nous appelons de nos vœux. Et, à défaut de retrait, j'émettrai un avis défavorable.
Madame Diaz, comme l'a dit tout à l'heure Mme Untermaier, des filières existent déjà. Nous pouvons utiliser les mots « filières », « spécialisations », « juridictions spécialisées », « pôles » : je l'ai dit tout à l'heure, la dénomination est une immense valise dans laquelle on peut mettre beaucoup de choses. J'ajoute que nous disposons déjà de référents VIF, à raison d'un par parquet, et que nous avons envoyé plus de 105 contractuels exclusivement chargés de ces questions dans toutes les juridictions françaises.
Je le répète, je n'ai pas d'opposition de principe à la création d'une juridiction différemment spécialisée, si je puis dire les choses ainsi. Mais, bon sang, il faut tout de même que nous disposions d'une étude d'impact ! On ne peut pas chambouler les juridictions de cette manière, en n'ayant auditionné que huit personnes et sans avoir interrogé ni les conférences ni les avocats. On ne peut pas partir ainsi à l'aventure.
Vous dites, monsieur le rapporteur, que l'idée de rendre les ordonnances en six jours avait suscité beaucoup de réticences, mais que cela a fonctionné malgré tout. D'une certaine façon, nous avons eu de la chance, et heureusement que les choses ont fonctionné. Je précise d'ailleurs que la chancellerie a tout fait pour que cela marche, mais que ce ne fut pas simple. Les délais ont été réduits et nous parvenons donc à rendre les ordonnances dans les temps impartis. Mais ce n'est pas pour cela que les choses marcheraient à nouveau ici, sans que nous disposions du minimum minimorum, c'est-à-dire d'une étude d'impact.
Le fait est que nous n'avons pas de cadre de discussion et qu'une mission parlementaire est en cours. Les uns et les autres envisagent la spécialisation en fonction non pas de leurs caprices – ce serait désobligeant de dire cela –, mais de leur vision de la justice, sans pour autant bien la connaître. Madame Diaz, vous proposez qu'il y ait trois magistrats, quand d'autres préféreront une autre spécialisation. Je le répète, nous n'avons pas une bonne base de travail : c'est pourquoi je vous engage à attendre la conclusion de la mission parlementaire, laquelle sera conduite sérieusement.
S'agissant du présent amendement, il est juridiquement infondé, car la création d'un juge spécialisé nécessite une modification de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : cette création ne peut donc avoir lieu que dans le cadre d'une loi organique – ce n'est pas plus compliqué que cela. En outre, imposer par la loi un nombre de magistrats spécialisés par juridiction ainsi qu'un examen des affaires concernées en formation collégiale entraînerait une rigidité d'organisation et de fonctionnement absolument incompatible avec la réalité de terrain que vivent nos magistrats au quotidien. On ne saurait enfin modifier l'organisation juridictionnelle sans les avoir au moins consultés ! Avec une telle mesure, vous prendriez le risque d'une embolie, d'un dysfonctionnement.
Vous le verrez dans quelques jours, nous faisons tout, dans le cadre des états généraux de la justice, pour donner davantage de moyens à la justice.
Oui, et je rappellerai d'ailleurs que certains n'ont pas voté le budget de la justice.
Alors que nous faisons tout pour simplifier et fluidifier les procédures pénale et civile, vous cherchez à nous imposer un dispositif nébuleux de nature à contraindre les magistrats à un chamboulement complet de leurs habitudes quotidiennes : il faut tout de même penser à cela ! Vous affirmez agir au nom de l'efficacité, mais vous prenez des risques tout à fait considérables. Je rappelle que les magistrats suivent tous une formation initiale et continue.
Comment ferons-nous s'il manque un magistrat à votre formation collégiale de trois personnes ? On ne jugera plus les affaires ?
Mais aujourd'hui les affaires sont jugées. J'ai donné…
Je vous remercie, monsieur Pradié, de m'interrompre à nouveau. Vous ne voulez pas entendre les réponses. Vous faites cavalier seul. Vous voulez avoir raison contre tout le monde, même contre la Constitution – je l'ai rappelé il y a quelques instants.
Pas vous en l'occurrence, puisque vous persistez.
Exclamations sur divers bancs.
Veuillez me laisser terminer mon propos. Votre but est évidemment de l'interrompre. Pardonnez-moi de vous le dire, mais la spécialisation que vous souhaitez représente un véritable danger. D'ailleurs, je l'ai dit tout à l'heure, dans certaines hypothèses, votre dispositif contraindrait des victimes à accomplir de longs déplacements, alors que nous faisons justement tout – absolument tout ! – pour que le recueil de la parole de la victime et sa prise en charge aient lieu sur place et dans des délais raccourcis. Pardonnez-moi à nouveau de vous le dire, votre proposition de loi aurait pour effet de désosser tout ce qui a été entrepris dans ce domaine et qui fonctionne.
Je l'ai évoqué tout à l'heure, mais vous ne voulez pas l'entendre pour mieux persister sur votre texte : le nombre de réponses pénales sont en augmentation et les décisions rendues sont de plus en plus sévères. Si l'organisation de filières spécifiques au sein de chaque tribunal judiciaire permet une coordination de l'action de la juridiction en matière de violences intrafamiliales, ce fonctionnement est à poursuivre. Je le répète une fois de plus : il convient d'attendre les conclusions de la mission consacrée au traitement judiciaire des violences intrafamiliales afin, tout simplement, d'identifier les moyens les plus efficaces de l'améliorer. Ce n'est pas du dogmatisme, je ne cherche pas à m'opposer à M. Pradié : mesdames et messieurs les députés, c'est tout simplement…
…du bon sens !
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
J'ai dit que l'avis était défavorable, car il faudrait passer par une loi organique pour adopter une telle mesure. Vous voyez que vous ne m'écoutez pas.
Je souhaite vous partager ce que j'ai entendu à la barre pendant des années. C'est systématiquement le même scénario qui y était déroulé, scénario sur lequel je ne mettais d'ailleurs pas de nom. Je me disais simplement qu'il était étrange qu'il se passe toujours la même chose dans les affaires de féminicides. Que se passait-il ? Une femme rencontrait un homme, leur relation démarrait très vite, leur relation démarrait très vite…
Leur relation démarrait très vite…
Non, je n'ai vraiment pas envie de jouer ! C'est trop grave !
J'ai passé trop de temps à ça dans ma vie et je n'ai pas envie de jouer !
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
S'il vous plaît ! Monsieur le rapporteur, madame la ministre déléguée, veuillez ne pas engager de conversation entre vous.
Ce n'est pas comme si le Gouvernement ne faisait jamais d'obstruction !
Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.
Je rappellerai quelques règles simples. En principe, les orateurs se tournent vers la présidence lorsqu'ils s'expriment. Par ailleurs, je ne veux ni que vous vous interpelliez directement, ni qu'il y ait de monologues, ni que s'installent des conservations entre vous. Je vous demande de revenir au texte et de bien vouloir écouter Mme la ministre déléguée jusqu'au bout.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
Le sujet est trop grave pour avoir envie de jouer, monsieur le rapporteur. Ces femmes, je les ai vues et je puis vous dire qu'il se passait toujours la même chose.
Systématiquement, elles tombaient amoureuses d'hommes qui, très vite, les humiliaient, les éloignaient de leur famille et de leurs amis, leur faisaient parfois perdre leur travail. Puis arrivaient la dévalorisation de leur personne, les menaces. Ils les harcelaient avec 200 SMS par jour : « Tu es où ? », « Tu fais quoi ? » leur demandaient-ils en permanence.
Le Gouvernement fait de l'obstruction : cinq minutes plus tard, on n'a toujours rien appris !
Au bout de quelques mois ou de quelques années, à petit feu, survenait leur véritable destruction.
La plupart de ces femmes me disaient qu'elles se sentaient comme des serpillières. À cet égard, on a longtemps pensé qu'elles étaient dans l'ambivalence, parce qu'elles retiraient leur plainte quelques jours après être enfin parvenues à en déposer une – nous savons tous que c'est fréquent. On pensait qu'elles ne savaient pas ce qu'elles voulaient. Grâce à l'apport des sciences humaines, nous avons finalement compris que le processus auquel nous assistions s'appelait l'emprise,…
…et qu'il fallait savoir la détecter pour comprendre la situation de ces femmes.
Si on ne sait pas ce qu'est l'emprise, on passe à côté du danger et on laisse des femmes et des enfants en danger.
C'est pourquoi je persiste à dire qu'il faut des formations très poussées pour les magistrats qui ont à traiter de ces affaires.
De la même manière, j'estime qu'il faut un système dédié au traitement de ce type d'affaires, mais qui ne soit pas un système bancal.
Il faut de la cohérence et seul le travail des parlementaires Chandler et Vérien la procurera.
Le garde des sceaux l'a dit, on ne fait pas…
Dès qu'une femme prend parole, vous faites ça !
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.
Chers collègues, s'il y a des contestations, je vous invite à faire des rappels au règlement.
Pour faire un rappel au règlement, il faudrait déjà qu'elle termine son propos !
Madame la ministre déléguée, je vous remercie de bien vouloir conclure.
On ne fait pas une justice spécialisée d'un claquement de doigts, et les apparentes bonnes idées, comme celle proposée dans cet amendement, peuvent créer des frustrations, de l'instabilité, et même un danger si elles sont mal travaillées.
Les fausses bonnes idées ne feront pas diminuer les féminicides et risquent, au contraire, d'éloigner encore davantage les victimes des tribunaux.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.
Cet amendement vise à établir une justice et des magistrats spécialisés sur le contrôle coercitif de personnes soupçonnées d'exercer une emprise sur leur famille, ainsi que sur d'autres éléments qui sont, pour l'heure, insuffisamment exploités par les professionnels devant prendre des décisions pénales sur des cas très graves.
Or nous voyons bien que nous avons besoin d'avoir des discussions, car si la proposition de loi tend à instaurer une juridiction spécialisée, une justice et des magistrats spécialisés existent déjà au sein des tribunaux judiciaires. Cela démontre l'intérêt et l'enjeu de la mission sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales, qui s'efforcera d'entendre tout le monde et de retenir les meilleures idées de chaque groupe. Ce n'est pas la majorité qui détient la vérité sur cette question : nous voulons simplement chercher les dispositions les mieux adaptées au traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Je le répète, le but de la mission est de trouver des points d'entente pour offrir de meilleures solutions aux victimes.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Il est dix heures et demie, et bien que la séance publique soit faite pour que nous nous exprimions, je remarque que les prises de parole prennent ce soir énormément de temps.
Madame Santiago, votre intervention n'a pas de rapport avec l'amendement. Est-ce un rappel au règlement ?
S'il ne s'agit pas d'un rappel au règlement, je donnerai donc la parole à Mme Diaz, qui attend son tour. Vous pourrez toujours faire un rappel au règlement par la suite, madame Santiago, encore que rien ne vous y oblige.
La parole est à Mme Edwige Diaz.
Je suis particulièrement déçue : la comparaison entre le spectacle auquel nous avons assisté la semaine dernière et celui auquel nous assistons à présent donne le sentiment que le Gouvernement a une nouvelle fois opté pour l'obstruction.
M. le rapporteur applaudit.
À peine ai-je compris les réponses de M. le ministre et de Mme la ministre déléguée au sujet de notre amendement,…
…dont M. le garde des sceaux s'est par ailleurs servi pour régler ses comptes avec M. le rapporteur. Quant à Mme la ministre déléguée, encore une fois, je n'ai pas compris ce qu'elle disait.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Je suis confus, madame Diaz, et je vous présente toutes mes excuses
« Ah ! » sur divers bancs
si mes propos ont manqué de clarté : cela m'arrive parfois. Peut-être aussi, je dis bien « peut-être », n'avez-vous pas été suffisamment attentive au moment où je formulais ma réponse.
Pour modifier, comme vous souhaitez le faire, une juridiction, il faut une loi organique : par conséquent, votre amendement est juridiquement infondé. En effet, l'institution d'un juge spécialisé nécessiterait de modifier l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Il eût donc fallu, je le répète, une proposition de loi organique ! C'était là l'essentiel de mon intervention ; quant au reste, je vous ai parlé de l'organisation des juridictions et des difficultés que susciterait le fait de provoquer à la légère des changements qui l'affecteraient gravement. J'abordais donc à la fois le droit et l'aspect pratique des choses. J'espère, madame la députée, que vous aurez cette fois écouté, voire entendu, ce que j'ai tenté d'expliquer.
L'amendement n° 54 n'est pas adopté.
Il fait suite aux débats que nous avons eus en commission et vise à substituer, à l'alinéa 3 de l'article 1er , le mot « pôles » au mot « juridictions ». Cela ne change rien au fond du texte, mais rend plus cohérent le message que nous voulons envoyer.
Il s'agit d'un amendement identique à celui du rapporteur, que nous remercions d'avoir été à l'écoute dès l'examen du texte en commission. Ces amendements devraient répondre à une partie des objections formulées par les collègues, notamment celle selon laquelle nous nous apprêterions à chambouler toute l'organisation des juridictions, ce qui ne sera plus le cas avec de simples pôles spécialisés. En revanche, tout le monde convient de la nécessité d'une spécialisation des magistrats afin qu'ils soient en mesure d'entendre ces victimes et de leur rendre justice.
Ainsi modifié, le texte permettrait de commencer le travail : nous ne prétendons pas, contrairement à ce qui a été dit, qu'il réglera quoi que ce soit sur-le-champ, mais du moins continuerions-nous à l'enrichir. Si nous voulons progresser, si nous prenons au sérieux le travail parlementaire, si nous sommes convaincus qu'un texte de niche peut être adopté – peut-être même à l'unanimité, comme cela s'est produit sous la précédente législature – et faire avancer les choses, l'occasion nous est offerte de montrer notre conscience des enjeux liés aux violences intrafamiliales et notre volonté d'œuvrer, en la matière, grâce à des suggestions venues de tous les bords. Encore une fois, pour que les choses avancent, adoptez ces amendements, adoptez la proposition de loi !
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LFI – NUPES.
Pardon de l'exprimer aussi librement, mais tout cela n'est pas sérieux. Ce n'est pas une question de sémantique ! Depuis quand la substitution d'un mot à un autre résout-elle les problèmes comme par magie ? C'est la vie des juridictions qui est en jeu ! Je le dis tout net : pour créer des pôles, pas besoin d'une loi.
Des pôles sont déjà constitués sans qu'aucun texte ait été requis.
Pour sortir de la sémantique, ils correspondent aux filières déjà existantes, dont nous parlions à l'instant ! En outre, vous n'avez même pas coordonné les modifications : aux alinéas suivants de l'article 1er , visant notamment l'intitulé du chapitre Ier du titre V bis inséré au livre II du code de l'organisation judiciaire, ainsi que les articles L. 255-1, L. 255-2, L. 255-3 – je ne suis pas exhaustif –, il est toujours mentionné un « tribunal des violences intrafamiliales ». Vous établiriez donc, au sein des pôles, une juridiction spécialisée pour connaître de ces violences ? Encore une fois, ce n'est pas sérieux, pardon de vous le dire : ce n'est pas suffisamment travaillé.
M. Pradié vous vend avec beaucoup de talent l'idée que ce texte ferait progresser les choses, mais j'ai dit tout à l'heure, et je redis, à la représentation nationale qu'Isabelle Rome et moi-même allons créer un groupe de contact flash …
« Ah ! » sur les bancs des groupes LFI – NUPES et LR, ainsi que de la part de M. le rapporteur
Les mots ont un sens : si le groupe est dit « flash », c'est parce qu'il n'existera que pendant deux semaines.
Écoutez bien ! Ce groupe composé de représentants de tous les groupes politiques – vous y trouverez votre place, monsieur Bernalicis ! – aura pour but de recueillir les propositions et réflexions inspirées par les conclusions de la mission confiée à vos collègues parlementaires. Voilà ! Vous, vous évoquez tantôt une juridiction, un tribunal, tantôt un pôle, un coup ceci, un coup cela. En tout et pour tout, vous avez consulté huit personnes : vous ne vous êtes pas rendu au cœur des juridictions pour y demander leur avis aux professionnels. C'est invraisemblable ! Vous êtes les générateurs d'une désorganisation absolue ,
« Ah ! » sur les bancs des groupes LFI – NUPES et LR
…là où il faudrait une grande organisation, une efficacité plus grande encore, davantage de moyens. Telle est la réalité de cette proposition de loi !
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.
Au cas où vous ne l'auriez pas compris, avis défavorable.
Allez en parler à la chancellerie de Nanterre, et je vous répondrai !
Monsieur Pradié, je conçois tout à fait que vous souhaitiez améliorer votre proposition de loi ; de surcroît, créer des pôles spécialisés plutôt que des juridictions spécialisées n'est pas dénué de logique et paraît plus simple à faire. Toutefois, nous ne pouvons raisonnablement façonner un tel édifice sans attendre les conclusions de la mission parlementaire déjà évoquée. Ayons la sagesse de nous en remettre à son travail collégial d'analyse, la patience nécessaire pour découvrir les préconisations qu'elle formulera ! Le garde des sceaux a rappelé notre projet d'un groupe de contact flash :…
Une mission ou un groupe de contact ? Même là-dessus, vous n'êtes pas d'accord !
…après que ces parlementaires auront remis leur rapport, après en avoir pris connaissance, nous serons en mesure d'examiner des propositions cohérentes, travaillées avec l'ensemble des acteurs concernés.
Il m'a semblé, monsieur le rapporteur, que la substitution du mot « pôles » au mot « juridictions » ne s'appliquerait en effet, aux termes de ces amendements, qu'à l'intitulé du titre V bis que vous souhaitez intégrer au code de l'organisation judiciaire. Au sein de ces dispositions, l'intitulé « tribunal des violences intrafamiliales » serait conservé, ainsi que la mention d'un juge spécialisé. Je suis pour ma part assez favorable à l'idée d'un pôle, lequel, dans un certain nombre de tribunaux, existe déjà et fonctionne très bien, sans qu'il soit besoin d'une juridiction.
En outre, ce que je connais et qui fonctionne également fort bien – peut-être cette idée contribuera-t-elle à ce que nous progressions ensemble –, ce sont des chambres spécialisées où se tiennent chaque mois une ou deux audiences réservées aux cas de violences intrafamilales, où se trouvent réunis le JAF, le juge de l'application des peines (JAP), le juge des enfants, le juge correctionnel, tous formés et sensibilisés à ces questions. Ces chambres assurent non seulement le traitement des dossiers, mais l'accompagnement des victimes – une association d'aide à ces dernières est présente à l'audience – et celui de l'auteur des faits – suivi addictologique, relations avec le centre pénitentiaire ou le service chargé de superviser son stage. Nous pouvons travailler là-dessus. Encore une fois, je serais satisfaite de voir se créer des pôles spécialisés. Monsieur le ministre, nous pouvons amender le texte et, ainsi, avancer : tel est notre objectif.
Poursuivons donc dans cette voie, en renonçant pour le moment à l'idée de juridictions spécialisées, mais en conservant celle de juges spécialisés dans ces questions.
Où que se situe notre place dans l'hémicycle, nous avons tous exactement le même objectif : rendre plus efficace la lutte contre les violences intrafamiliales. Reste qu'il faut penser en termes d'expérience et d'expertise – celles des habitués des tribunaux, qui savent de quoi ils parlent. Excusez-moi de vous le dire, mais je suis avocate en droit de la famille depuis près de trente ans, j'ai défendu dix ans durant des femmes battues, j'ai fondé une association : je sais de quoi je parle.
Or, pardonnez-moi, mon cher collègue, remplacer « juridictions » par « pôles » n'avance à rien,…
…pour la bonne raison que ces pôles existent déjà. Les chambres des tribunaux sont regroupées en pôles, conformément au code de l'organisation judiciaire.
Lorsque, par exemple, vous saisissez le JAF d'une ordonnance de protection, vous avez affaire à un juge formé,…
…de même que ses collègues au sein du pôle. Par conséquent, ces amendements ne sont aucunement nécessaires.
Applaudissements sur divers bancs.
Il est vrai, comme l'a souligné notre collègue Yadan, qu'il existe des pôles spécialisés. Il faut cependant veiller à ce qu'ils soient généralisés, car il n'en existe pas dans tous les tribunaux. Il semblerait utile à notre groupe d'étendre les compétences de ces pôles non pas aux seules violences intrafamiliales mais également aux outrages sexistes et sexuels dont il a été largement question lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi).
La parole est à Mme Clémence Guetté, pour soutenir l'amendement n° 50 .
Il va dans le même sens que celui que vient de présenter Mme Untermaier, puisqu'il vise à élargir la proposition de notre collègue Pradié aux violences sexuelles et sexistes (VSS). Différentes enquêtes ont été réalisées dans ce domaine. L'une d'entre elles, menée par le ministère de l'intérieur, montre qu'en 2019, 42 000 plaintes ont été enregistrées pour des VSS commises hors du cadre familial. Il nous semble donc important que le texte englobe toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles, à l'intérieur comme à l'extérieur de la famille.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Lorsque nous avons eu ce débat en commission, j'ai exprimé mon scepticisme et mes interrogations. Je souhaite que nous travaillions sur ce sujet, certaines questions me semblant assez abouties pour que nous puissions avancer – contrairement à ce que j'entends répéter par les uns et les autres. Sur d'autres questions, j'ai cependant un doute, que je souhaite expliquer. Si nous confions aux magistrats d'une juridiction spécialisée le soin de protéger ces femmes, dont certaines se trouvent en danger de mort, il leur appartiendra notamment de délivrer des ordonnances de protection, qui peuvent être renforcées jusqu'à imposer le port d'un bracelet antirapprochement. Je ne comprends pas comment, face aux outrages visés, ces magistrats pourront utiliser ce type d'outils : ce sont des outils de prévention quasi pénale, si vous me permettez cette expression un peu expéditive. Il me semble dangereux de confier aux magistrats des dossiers qui ne correspondent pas aux outils qu'ils utilisent.
J'en viens à ma seconde inquiétude. Je suis tout à fait conscient du fait que la création de ces juridictions spécialisées perturbera l'organisation de notre justice ainsi que nos magistrats. Pardon de le dire, mais ce n'est pas très grave. Les magistrats ont parfois été perturbés et ils ont réussi à l'accepter ; je ne vois donc aucun inconvénient à ce qu'on les perturbe.
En revanche, si nous leur demandons d'emblée de traiter toutes les affaires de violences, aussi bien celles pouvant nécessiter une ordonnance de protection que les outrages sexistes, les juridictions seront vite saturées. Voilà pourquoi je proposerai tout à l'heure de sous-amender un amendement du groupe La France insoumise, qui demande un rapport sur ce sujet. Si, sur les violences intrafamiliales, nous avons des années de recul et savons déjà quoi faire, il est en effet nécessaire de continuer à travailler sur les VSS. Je vous propose de retirer vos deux amendements au profit de celui relatif à la demande de rapport, dont nous discuterons ultérieurement.
Sur un sujet dont tout le monde s'accorde à dire qu'il est grave, il ne peut pas y avoir d'aléas en ce qui concerne l'organisation des juridictions. Ce que l'on vient d'entendre est tout de même stupéfiant : on ne sait pas trop, mais peut-être les magistrats s'adapteront-ils. P'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non ! S'ils ne s'adaptent pas, des questions d'organisation juridictionnelle se poseront évidemment.
Non, sans aucun doute : nous vous attendons, pour les annales des discours politiques ! Et puis j'essaie parfois d'être simple. Tout à l'heure vous m'avez reproché d'être pompeux ; maintenant je suis familier, vous devriez être content !
Allez donc au bout de votre pensée ! Pourquoi voudriez-vous être simple ? C'est méprisant !
Pour que vous compreniez.
Protestations sur plusieurs bancs du groupe LR.
Mettez-y un peu du vôtre…
Je reprends le fil de mon propos. Vous ne semblez pas choqués par l'idée que les magistrats vont faire avec. Il n'y a aucune étude d'impact, mais on va voir… Pourtant, derrière les magistrats, il y a des victimes, et désorganiser les juridictions, c'est introduire des risques – par exemple celui de perdre des informations et de mal prendre en charge les victimes. In fine, ce sont donc les femmes qui payeront cette désorganisation.
Par ailleurs, madame Untermaier, je comprends parfaitement le sens de votre amendement et votre volonté d'apporter des améliorations au texte ; je l'entends.
Quiconque s'intéresse aux violences conjugales sait qu'elles ne sont pas exemptes d'une dimension sexiste, machiste. Ne croyez-vous pas néanmoins qu'il se pose un problème de volumétrie ? Cahors, ce n'est pas Paris, et le tribunal judiciaire (TJ) de Cahors n'est pas celui de Paris ! Ne pensez-vous pas que la proposition que vous faites devrait au préalable être expertisée ? Je le redis : c'est le rôle de la mission parlementaire, qui en est à quatre-vingts auditions – cela va très vite ! Huit auditions d'un côté, quatre-vingts de l'autre ! Il s'agit, dans le cadre de cette mission, de se rendre au cœur des juridictions pour voir comment elles peuvent s'organiser. Pardon, mais ces sujets ne sont pas mineurs. Il faut réfléchir à toutes ces choses. Je sais à quel point vous êtes une députée méticuleuse et précise. Nous avons d'ailleurs souvent eu l'occasion de travailler ensemble. Je le dis : ma position n'est aucunement dogmatique. Je sais que je n'en convaincrai pas une partie de l'hémicycle ,
M. le garde des sceaux désigne la droite de l'hémicycle
mais c'est une réalité.
Autre bémol : quel est le rapport entre les violences intrafamiliales et un viol qui serait commis dans la rue, par exemple ? Doit-on l'appréhender de la même façon ? Entre-t-il dans le champ de compétences que vous évoquiez il y a un instant ? Vous posez des questions légitimes, mais les réserves que j'ai me semblent tout aussi légitimes et je crois qu'il faut approfondir le travail, notamment dans le cadre du groupe de contact. Tous les députés pourront y faire part de leurs propositions et, bien sûr, de leurs réserves.
Légiférer, ici en cet instant, avec ce texte qui n'est en rien stabilisé et qui est fait de bric et broc – huit auditions, je le rappelle – c'est faire comme si toutes les juridictions avaient les mêmes personnels, par exemple. Or cela ne correspond à aucune réalité !
Huit auditions, ce n'est pas un travail considérable, alors que la mission en est à quatre-vingts ! Pardon, mais cela fait dix fois plus d'auditions, si je calcule bien.
C'est la différence entre une proposition de loi de niche et une mission.
Avis défavorable.
Ouf, la justice est réparée ! Il n'y a jamais eu autant de magistrats !
M. Ugo Bernalicis applaudit.
Lorsque les arguments sont développés, vous avez la possibilité, madame la présidente, de demander à l'orateur de contenir ses propos. Je tiens à rappeler que nous travaillons aujourd'hui en temps programmé : notre groupe n'a que jusqu'à minuit pour faire voter ce texte. C'est très important. La semaine dernière déjà, le Gouvernement a usé de mesures dilatoires.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs des groupes RN, LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
Encore une fois, que les parlementaires s'expriment, c'est une chose ! Mais le Gouvernement utilise une nouvelle fois des mesures dilatoires pour empêcher le Parlement d'aller plus loin…
Il faudrait déjà que le rapporteur arrive à l'heure et qu'il s'exprime de façon synthétique !
Le dernier vote le montre très clairement : il est hautement probable qu'en raison du nombre de députés présents dans l'hémicycle, le texte soit adopté. Le Gouvernement prend énormément de temps et s'exprime très lentement. Monsieur le ministre, je vous ai souvent vu très synthétique lorsque vous ne vouliez pas répondre, sur certains sujets en particulier.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LR, RN et LFI – NUPES
tout simplement parce que vous voulez empêcher que ce texte soit adopté ! C'est parfaitement scandaleux !
« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe LR.
La minorité présidentielle n'a toujours pas compris qu'elle était désormais minoritaire, et ce n'est pas normal !
Votre manière de traiter le Parlement est en total désaccord avec le respect de nos institutions ! Le Parlement est une chose, le Gouvernement en est une autre !
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LR, RN et LFI – NUPES.
Que les parlementaires parlementent, on peut le comprendre, mais le fait que le Gouvernement use et abuse de mesures dilatoires pour empêcher le bon déroulement du travail parlementaire constitue un mépris de ce que nos concitoyens ont décidé en nous envoyant dans cet hémicycle en juin dernier !
Mêmes mouvements.
La parole est à M. Antoine Léaument, pour un autre rappel au règlement.
Notre groupe avait l'intention de faire un rappel au règlement sur le fondement du même article. J'en ajoute un autre : l'article 70, alinéa 2, relatif aux personnes qui provoquent des scènes tumultueuses. Si la parole de M. le ministre n'est pas limitée lorsque ses arguments sont épuisés, je crains que cela ne provoque des scènes tumultueuses.
Des scènes tumultueuses ? Voulez-vous que nous reprenions la définition de ce terme ?
Nous avons eu à vivre une niche parlementaire sabotée par le Gouvernement et la majorité
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES et sur plusieurs bancs du groupe LR
et je ne voudrais pas que nos collègues du groupe Les Républicains subissent le même sort.
Les articles que vous citez, chers collègues, concernent les membres de l'Assemblée. Vous savez qu'ils doivent également être lus au regard d'une autre règle, qui permet au Gouvernement d'avoir la parole quand il le souhaite et lui octroie un temps de parole illimité – et vous savez que ces règles relèvent du niveau constitutionnel.
Protestations sur les bancs du groupe LR.
Laissez-moi terminer, chers collègues ! J'invite en revanche chacun et chacune à faire un effort et à s'en tenir au sujet en discussion.
Rappelez au Gouvernement qu'il ne s'adresse pas directement au rapporteur !
Je voudrais simplement rappeler que le garde des sceaux et moi-même avons essayé de rencontrer M. le rapporteur à cinq reprises avant l'examen du texte.
Oui, nous nous sommes parlé au téléphone et vous m'avez alors dit que vous vouliez faire de la politique.
Oui, vous m'avez dit que vous vouliez faire de la politique !
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.
« De la politique » !
Monsieur le rapporteur, merci de ne pas interpeller Mme la ministre déléguée et madame la ministre déléguée, merci de ne pas répondre à M. le rapporteur. Ce n'est pas une conversation entre vous deux.
On nous reproche de nous exprimer dans l'hémicycle. Il faut raison garder.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.
On vous reproche de parler trop longuement, ce n'est pas la même chose !
J'en viens à l'amendement. Effectivement, la lutte contre les violences sexuelles doit être renforcée.
Rien que pour prononcer quelques mots, il lui faut dix secondes ! C'est infernal !
Nous allons d'ailleurs inscrire ce sujet à l'ordre du jour du prochain comité interministériel à l'égalité entre les femmes et les hommes que la Première ministre installera et présidera au mois de janvier.
Ce sera votre plus grande victoire, d'avoir empêché le vote de ce texte !
Un certain nombre de mesures et d'actions seront alors envisagées. En l'état, je suis défavorable à l'amendement.
Les membres du Gouvernement s'expriment aussi longtemps qu'ils le souhaitent.
De la même façon que je n'ai jamais eu l'intention d'entraver vos prises de paroles, mesdames et messieurs les députés ,
« Non, bien sûr ! » sur les bancs du groupe LR
je souhaite pouvoir m'exprimer librement sur un sujet difficile.
Madame Regol, dois-je vous rappeler les règles ou vous rappeler à l'ordre ?
Si vous souhaitez prendre la parole, demandez-la en levant la main, comme tout le monde, et je vous la donnerai éventuellement. Nous ne pouvons pas poursuivre dans ce brouhaha incessant.
Protestations sur les bancs du groupe LR.
Cela vaut pour Mme Regol comme pour l'ensemble des députés présents dans l'hémicycle. La parole est à M. le ministre.
Tumulte ! Il y a du tumulte à chaque fois que le ministre prend la parole !
Je voudrais simplement vous rappeler, madame la députée que sur la proposition de loi relative à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), M. Hetzel, qui est aujourd'hui l'arbitre des élégances, a déposé je ne sais combien de sous-amendements alors que le texte faisait l'unanimité.
C'est un peu grâce au Gouvernement que le texte a pu…
On n'est pas à l'école maternelle ! On ne va pas sans cesse se faire des reproches !
Madame Regol, je vous inflige un rappel à l'ordre. La prochaine fois, il sera assorti d'une inscription au procès-verbal.
Protestations sur les bancs du groupe LR.
Vous cassez le travail parlementaire, monsieur le garde des sceaux ! Vous pouvez être fier, en tant que ministre !
L'exemple que j'ai donné ne remonte pas à la préhistoire, mais à seulement quelques jours. Vous aviez alors déposé je ne sais combien de sous-amendements, monsieur Hetzel…
Vous me reprochiez de ne pas m'exprimer suffisamment, allant jusqu'à exiger que je le fasse – alors que je n'avais aucune envie de le faire, ce texte faisant l'objet d'un large consensus.
Ce que vous dites montre bien qu'aujourd'hui, vous faites délibérément l'inverse !
J'espère avoir encore le choix du temps de mes réponses…
…et je vous répète que cette proposition de loi a pour conséquence de désorganiser totalement les juridictions. Si le garde des sceaux ne vous alertait pas sur ce point, franchement, ce serait à désespérer de tout, monsieur Hetzel !
« À désespérer de tout » : voilà justement ce que je me disais en écoutant le ministre…
C'est avec une certaine émotion que je prends la parole, madame la présidente, car c'est la première fois que je le fais ici sous le nom de Gouffier Valente, et non plus sous le nom de Gouffier-Cha.
Ah, très bien !
En effet, je viens juste de changer de nom en raison d'une série d'heureux événements – suite à mon mariage, j'ai souhaité prendre le nom de mon épouse –, mais aussi grâce à une loi que nous avons votée récemment.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Je veux dire à nos collègues du groupe Les Républicains que leur rappel au règlement n'était pas justifié, car il n'y a aucune volonté d'obstruction de notre part.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Au contraire, nous avons cherché à faire avancer les débats tout au long de la journée, comme en témoigne l'adoption – non sans difficulté – de l'amendement de suppression de l'article unique de la proposition de loi de M. Mansour Kamardine, qui a fait tomber une centaine d'amendements,…
Cette intervention est en rapport avec les amendements ou est-ce un rappel au règlement ?
…alors que, de leur côté, les députés du groupe La France insoumise faisaient de l'obstruction sur un détail.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Pas du tout ! Nous avons voté pour l'amendement de suppression de l'article ! Désormais, on fera de l'obstruction sur tous vos textes : vous allez rigoler !
Pour notre part, nous souhaitions débattre du présent texte, qui apporte effectivement des pistes de réflexion au sujet de la lutte que nous devons mener en matière de lutte contre les violences conjugales, et de l'éventuelle nécessité de créer pour cela des juridictions spécialisées.
Par ailleurs, il me semble, monsieur le rapporteur, que la réponse que vous avez apportée tout à l'heure aux députés ayant soutenu ces amendements, qui méritent qu'on en débatte, montre bien que le dispositif que vous nous présentez n'est pas prêt.
En effet, vous renvoyez cette question à un rapport, qui aurait en fait le même objet que la mission sur le traitement judiciaire des violences intrafamiliales qui a été confiée à notre collègue Émilie Chandler et à la sénatrice Dominique Vérien. Cette mission doit procéder à des auditions très attendues par l'ensemble des associations et des professionnels concernés par cette problématique et déposer dans les semaines qui viennent des conclusions qui nous permettront d'avancer sur un sujet dont tous les groupes reconnaissent l'importance. Le dispositif que vous proposez n'est pas prêt, c'est pourquoi la majorité votera contre.
Enfin, je veux dire au président Olivier Marleix que le fait de nous qualifier de « députés Playmobil » est à la fois déplaisant et déplacé.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Notre majorité est totalement engagée dans ce combat et n'a aucune leçon à recevoir de la part d'une famille politique qui, depuis des décennies, n'a jamais rien fait sur le sujet !
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Nous avons été relativement convaincus par les arguments que M. le rapporteur a exposés sans mépris et de façon synthétique – comme quoi, c'est possible, et nous l'en remercions
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES
– et nous allons donc retirer notre amendement. Cela dit, nous sommes sensibles à la proposition de travailler sur le sujet, car nous avons mis en évidence un fait sociologique qui est le continuum des violences, et nous persistons à penser que les différentes formes de violences – intra- et extrafamiliales – ont vocation à être traitées par les pôles spécialisés qu'il est question ce soir de créer.
Je devais m'exprimer sur le précédent amendement, mais je n'ai pu le faire.
Le texte a changé de nom : ce n'est plus une juridiction qu'il est question de créer, mais un pôle, ce qui n'est pas tout à fait la même chose sur le plan symbolique.
En analysant les différents amendements, on se rend compte que le texte est en fait loin d'être stabilisé…
…et qu'il est plutôt sur le point d'être détricoté par les amendements dont il fait l'objet.
On a l'impression que vous n'êtes plus habitué à voir un vrai travail parlementaire !
Personnellement, je suis assez favorable à ce que ce texte aille jusqu'au bout. J'ai suffisamment d'expérience pour être désormais convaincu que l'obstruction n'est pas une bonne chose et pour redouter l'embolie parlementaire. Cela dit, monsieur le rapporteur, vous savez très bien que si votre texte était adopté par notre assemblée, il serait modifié dans le cadre de la navette parlementaire – vous l'avez vous-même reconnu tout à l'heure.
Soyons efficaces, chers collègues. Un rapport doit être rendu prochainement – nos discussions de ce soir contribueront peut-être à le nourrir –, et c'est ce travail-là qui permettra l'élaboration d'un texte abouti. Convenez qu'un texte sur un sujet de cette nature est difficilement adoptable dans le cadre d'une niche parlementaire : il mérite bien davantage, et j'espère que nous pourrons prendre le temps d'un vrai débat, reposant sur les études nécessaires, afin d'aboutir à un beau texte – ce à quoi vous aurez contribué en amont par la présente proposition.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Ne perdons pas de vue ce que doit être notre objectif : un travail utile et nécessaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l'amendement n° 41 .
Le présent débat s'est mué en une discussion générale sur un sujet majeur, celui des violences intrafamiliales.
Que l'on opte pour la création de juridictions spécialisées ou de chambres spécialisées – je préfère la seconde solution –, en tout état de cause, monsieur le ministre, il faudra impérativement que cette mesure soit accompagnée de la création de postes de greffiers et de magistrats en nombre suffisant. Je précise que, si l'on décide de créer une chambre spécialisée regroupant le juge de l'application des peines (JAP), le juge aux affaires familiales (JAF), le juge des enfants et le juge correctionnel, les magistrats composant la nouvelle chambre ne doivent pas être prélevés sur les effectifs existants, mais constituer une dotation supplémentaire constituée de magistrats spécialement formés. Cet amendement n'ajoute pas grand-chose au texte, je le reconnais, mais il vise avant tout à lancer un appel pour que les violences intrafamiliales soient jugées par des instances ayant la capacité de le faire.
J'émets à titre personnel un avis favorable à ce qui est, comme vous l'avez dit vous-même, un amendement d'appel.
Plus généralement, je veux dire un mot sur ce qui est en train de se passer. Monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, personne n'est dupe. Comment douter de vos intentions en constatant qu'en l'espace de quarante-cinq minutes, vous n'avez vaguement répondu que sur deux amendements ? Toute votre stratégie se résume à parloter le plus possible pour que ce texte ne soit pas voté.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et LFI – NUPES.
Il y a quelques minutes, la majorité a été battue sur deux amendements et, si ce texte allait au bout de son examen, elle le serait à nouveau.
Mêmes mouvements.
Puisque vous avez déjà utilisé la stratégie du blocage par le sursaut d'amendements, vous êtes désormais en train de passer à une autre forme d'obstruction, consistant à parler le plus possible pour ne rien dire – vous ne répondez même pas aux amendements sur lesquels on vous demande votre avis –,…
Il est d'ailleurs très rare de voir deux ministres au banc du Gouvernement pour une proposition de loi !
…tout cela parce que, sachant que vous êtes minoritaires, vous ne voulez pas que le texte puisse être voté avant minuit.
Je vous le dis comme je le pense : cette attitude relève de la récidive. La semaine dernière, nous pensions que vous aviez compris la leçon, mais il est manifeste que vous ne l'avez pas comprise. C'est aussi du sabotage pur et simple. Si vous souhaitez vraiment que nous débattions de ce texte, cessez de répéter sans fin les mêmes phrases et faites avancer le débat en répondant sur les amendements. La manœuvre à laquelle vous vous livrez est absolument détestable, a fortiori sur un sujet tel que celui-ci.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et LFI – NUPES.
Sur le fond, vous avez posé de façon répétitive trois questions auxquelles nous avons déjà répondu, ce qui montre bien que vous ne voulez pas entendre, monsieur le garde des sceaux.
Non, le fait d'imposer un bracelet antirapprochement sous ordonnance de protection n'est pas anticonstitutionnel.
Le débat sur ce point a d'ailleurs déjà eu lieu ici même il y a plusieurs années, quand l'ordonnance de protection a été instituée dans notre pays sous l'impulsion de François Fillon et Nicolas Sarkozy. Cette mesure constituait déjà une dérogation à notre tradition constitutionnelle et, au moment où elle a été créée, de nombreux avocats pénalistes – dont vous faisiez peut-être partie, monsieur le garde des sceaux – se sont élevés contre, affirmant qu'elle constituait une atteinte honteuse aux libertés publiques. Or, qui peut être concerné par une ordonnance de protection ? Des individus dont on est quasiment certain qu'ils ont commis des violences et qu'ils risquent de passer à l'acte – ceux-là mêmes que vous avez défendus tout à l'heure en expliquant à quel point il était grave de leur imposer des contraintes.
Dans le cadre de l'ordonnance de protection telle qu'elle existe actuellement – c'est-à-dire avant qu'on associe cette mesure au bracelet antirapprochement –, il est déjà possible d'imposer à un individu une interdiction d'aller et de venir, sous la forme d'une interdiction d'approcher une victime à moins d'une certaine distance. Cela constituait déjà une atteinte qualifiée d'exorbitante à ce qu'était notre tradition constitutionnelle et aujourd'hui, le bracelet antirapprochement appliqué sous contrainte à un individu faisant l'objet d'une ordonnance de protection n'est qu'une application concrète de ce que dit déjà l'ordonnance de protection.
Le débat, nous l'avons déjà eu en 2019, avec près de quarante heures d'auditions – dont vous ne voulez pas entendre parler, monsieur le garde des sceaux. Je me souviens d'ailleurs très bien qu'en 2019, les bracelets tardant à arriver dans les tribunaux après l'entrée en application de la loi, je me suis moi-même rendu au tribunal de Bobigny, ce qui a permis que, deux jours plus tard, vous interveniez à votre tour pour y faire venir deux bracelets antirapprochement ! Tout cela, nous l'avons vécu sur le terrain ! Nous n'avons pas tous été de grands magistrats ou de grands avocats pénalistes, mais il se trouve que nous sommes législateurs, que nous travaillons depuis des années sur ce sujet et que nous savons comment le faire avancer.
Vous faites tout ce que vous pouvez pour que nous n'examinions pas ce texte parce que vous avez la trouille d'être battus, alors même que nous pourrions avancer sur le sujet. Vous avez évoqué à plusieurs reprises une difficulté, consistant dans le fait qu'un magistrat spécialisé au sein d'une juridiction – vous avez cité l'exemple du tribunal judiciaire de Cahors – ne pourrait être remplacé en cas d'absence. Mais comment faisons-nous aujourd'hui quand le seul juge des enfants d'une petite juridiction est absent ? Eh bien, il se trouve qu'un article du code de l'organisation judiciaire prévoit que, dans le cas d'une impossibilité pour le magistrat dédié de rendre une décision, celle-ci est confiée à un autre. Et figurez-vous que cette solution est appliquée tous les jours dans notre pays !
Monsieur le président Mattei, je rejoins vos propos sur la nécessité d'avancer, mais avez-vous vraiment l'impression que ce soit le cas ? Alors que nous avions tout fait pour que ce texte puisse être examiné sereinement, nous voyons bien maintenant que nous ne pourrons pas le voter. C'est la première fois depuis que je suis député – cela fait six ans, ce qui pourra sembler peu aux yeux de certains – que je vois deux ministres au banc…
…qui, sur chaque amendement, se lèvent tous les deux pour baratiner à tour de rôle, sans même répondre sur le fond.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La vérité, c'est qu'après le traumatisme d'avoir été battus sur les deux premiers amendements, ces ministres font tout pour que la représentation nationale ne puisse pas faire son travail.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
En deux heures et demie, vous avez parlé trois quarts d'heure pour ne rien dire, monsieur le rapporteur. J'en veux pour preuve que vous n'avez rien dit sur l'examen dont nous sommes censés débattre et qui porte sur la formation. Au lieu de cela, vous parlez de tout et n'importe quoi – en somme, vous vous permettez précisément ce que vous me reprochez !
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Il y a deux ou trois choses qui me paraissent insupportables.
D'abord – je le redis en prenant à témoin les députés du groupe La France insoumise –, le groupe LR ne voulait pas du texte sur l'IVG et a donc fait de l'obstruction en sous-amendant autant que possible.
En tout cas, ce n'est pas grâce à vous.
Je n'ai pas été élu, mais j'ai été nommé ministre et je suis ici dans mon rôle quand je vous réponds.
Ne portez pas de jugement sur les députés, ce n'est pas votre rôle en tant que ministre ! Concentrez-vous sur votre travail !
Ensuite, monsieur Pradié, que vous ne fassiez pas la différence entre le civil et le pénal me paraît extraordinairement inquiétant. Le pénal peut consacrer une culpabilité, le civil, jamais. Je le redis, qu'un juge civil inflige une mesure coercitive, sans avoir obtenu l'autorisation de l'intéressé, est anticonstitutionnel.
Vous parlez de mépris et vous vous placez en arbitre des élégances. Pardon de vous dire que lorsque vous expliquez devant la représentation nationale que je défends ces individus, vous vous égarez. Ce que je défends, c'est la règle de droit – ce qui est bien différent. Ce n'est pas plus compliqué que ça. Que vous ne fassiez pas la différence entre le civil et le pénal, alors que vous prétendez avoir travaillé ce texte, voilà le vrai danger.
J'en reviens à la formation, puisque c'est le sujet de l'amendement. Vous avez raison, madame Untermaier, il faut que davantage de magistrats et de greffiers dans ce pays. La future loi de programmation pour la justice que je vais présenter prévoit 1 500 magistrats de plus, autant de greffiers, pour un total de 10 000 personnels supplémentaires.
Que les professionnels qui interviennent sur le contentieux de la violence familiale disposent d'une formation complète, c'est évidemment un objectif que chacun partage, dans l'intérêt des victimes. L'École nationale de la magistrature (ENM) dispense depuis plusieurs années une formation destinée à comprendre l'intégralité des formes de violences intrafamiliales visées notamment par la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique du 11 mai 2011. La violence sexuelle, les mécanismes psychologiques de la violence entre partenaires intimes, le phénomène de l'emprise, la violence qui suit une séparation, les effets de la violence sur les enfants victimes, la prévention de la victimisation secondaire ne sont que quelques-unes des questions abordées par cette formation au contentieux des violences intrafamiliales. Elle est d'abord dispensée au niveau de la formation initiale pour tous les auditeurs, je dis bien pour tous les auditeurs. Elle prend la forme de modules théoriques dispensés à l'ENM puis est complétée par les expériences vécues lors des différents stages qui sont effectués dans les juridictions, mais également auprès des partenaires – avocats, administration pénitentiaire, associations d'aide aux victimes. Les auditeurs de justice sont étroitement associés par leur maître de stage au traitement de ces dossiers particuliers.
À titre d'exemple, la session « Violences au sein du couple », qui reprend l'ensemble des thèmes visés par la Convention d'Istanbul, a quatorze ans d'existence. Vous le voyez, on n'a pas attendu cette proposition de loi en matière de formation.
Si je suis défavorable à votre amendement, madame Untermaier, c'est que j'attends que le rapport de la mission parlementaire démontre en quoi la formation actuelle est insuffisante. Si elle considère qu'il faut la compléter, alors nous en discuterons dans le cadre du groupe de contact. Les parlementaires qui souhaitent coconstruire et parler avec moi savent que je suis très accessible.
Voilà la réponse que je souhaitais apporter sur l'amendement. C'est une réponse précise, et non un vagabondage de l'esprit sur des thèmes n'ayant strictement rien à voir – mais vous me reprocherez ensuite de perdre du temps…
J'interviendrai sur le fond et je vous demande donc votre attention, chers collègues. Je me réjouis toujours dès qu'on parle de l'Espagne dans cet hémicycle et il en est souvent question ces temps-ci. On trouve souvent dans ce pays une source d'inspiration pour nos lois, particulièrement en ce qui concerne la fiscalité, l'organisation du marché du travail ou les contrats de travail. Et aujourd'hui encore, alors que nous discutons des violences sexistes et sexuelles et des violences faites aux femmes dans un contexte intrafamilial, nous évoquons de nouveau la législation de ce pays et les juridictions spécialisées que le gouvernement Zapatero a créées en décembre 2004.
Je me demande, chers collègues, qui parmi vous connaît bien la législation espagnole en ce domaine ?
Qui a lu le rapport d'évaluation de référence que le groupe d'experts du Conseil de l'Europe contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, le Grevio, a consacré à l'Espagne en 2020 ? Il analyse sous tous leurs aspects, bons et mauvais, les mesures mises en œuvre depuis seize ans – s'agissant d'une telle durée, on ne peut parler de simple expérimentation. Pour résider depuis une vingtaine d'années en Espagne, je peux vous dire qu'il n'y a pas que des aspects positifs dans cette législation. Je vous invite à le lire…
…pour vous forger un avis à partir d'une législation similaire dans un pays voisin. Il vous suffira de prendre connaissance des trois pages de résumé où il est, par exemple, indiqué que la décentralisation espagnole est source de fortes disparités dans l'application de la loi suivant les régions, notamment dans le traitement des cas, et qu'il existe un certain déséquilibre dans la prise en compte des différentes formes de violences faites aux femmes, certaines comme le mariage forcé et les mutilations génitales étant mises au second plan.
Je suis convaincue comme vous, monsieur le ministre, que les magistrats sont très bien formés à ces enjeux, du moins d'un point de vue théorique. Il s'y ajoute toutefois l'aspect pratique : comment écouter quand on sait que l'homme est souvent dans le déni ? Comment interroger pour parvenir à une déstabilisation propice aux aveux ?
C'est sur la formation continue que je voudrais insister. La nouvelle juridiction avec des audiences dédiées spécifiquement aux violences intrafamiliales implique que les magistrats puissent recevoir une formation spécialisée car ces questions ne sauraient être traitées de la même manière qu'un accident de la route ou un vol à l'étalage. Ils doivent être en mesure d'intervenir dans les audiences pour le plus grand bénéfice des victimes.
L'amendement n° 41 est adopté.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Nous avons travaillé sur l'expérience d'autres pays, particulièrement de l'Espagne. Quoi de plus naturel, si nous voulons agir en ce domaine, que de s'inspirer des avancées étrangères ? Nous nous refusons à limiter le tribunal, la chambre ou le pôle, comme diraient certains collègues, aux seules violences intrafamiliales. Il importe de prendre en compte toutes les violences sexistes et sexuelles comme c'est le cas chez nos voisins espagnols.
Afin que le nouveau tribunal soit le plus efficace possible, il faut en effet qu'il intègre la dimension transversale des violences, en traitant toutes les violences sexuelles et sexistes, y compris celles qui ont lieu en dehors du cercle familial. Cela suppose bien sûr de mesurer le volume des audiences généré par un tel changement de périmètre et d'évaluer sa pertinence même.
Notre objectif est de voir diminuer le nombre de femmes victimes de violences et d'enfants qui y sont exposés. Il y va de l'épanouissement de la société tout entière.
Je comprends votre volonté d'apporter une amélioration en ce sens. Tous ceux qui s'intéressent aux violences conjugales savent que celles-ci comportent une dimension sexiste : la plupart des viols sont commis dans l'entourage familial. Vouloir traiter ensemble les violences intrafamiliales et les violences sexuelles et sexistes n'est donc pas dénué de logique, même si ces violences peuvent également se produire dans des cadres tout à fait distincts. Cela mérite donc une réflexion approfondie, mais aussi de se tourner vers d'autres acteurs comme la police et la gendarmerie et de prêter attention à tout ce qui concerne la preuve dans le travail de l'enquête.
Comme je l'ai indiqué, ce sujet d'importance sera aussi abordé à partir du mois de janvier dans le cadre plus large des réunions du comité interministériel à l'égalité femmes-hommes que présidera la Première ministre et que je piloterai. L'un de ses axes sera en effet la lutte contre les violences faites aux femmes.
En somme, nous ne pouvons raisonnablement édifier une nouvelle juridiction sans attendre que la mission parlementaire rende ses conclusions. Ayons la sagesse de nous en remettre au travail collégial d'analyse actuellement mené. Faisons preuve de patience avant de prendre connaissance des préconisations qui seront formulées.
Je suis donc défavorable à cet amendement.
Sur le fondement de l'article 100 de notre règlement, madame la présidente. Jeudi dernier, alors que nous examinions les propositions de loi déposées par nos collègues du groupe de La France insoumise dans le cadre de sa niche, le Gouvernement s'est livré, avec la majorité, à un exercice d'obstruction pour empêcher qu'on ne parvienne à l'étape finale du vote avant minuit.
Monsieur le garde des sceaux, dois-je vous rappeler que l'article 48 de la Constitution prévoit, ne vous en déplaise, qu'une journée par mois est réservée à l'ordre du jour fixé par un groupe de l'opposition ? Vous devez respecter la Constitution de la V
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et LFI – NUPES.
Il y a une règle encore plus vieille dans notre droit, c'est celle du fait majoritaire. Si le Gouvernement et la majorité sont battus, il vous faut l'accepter. C'est la volonté du peuple français et de ses représentants qui s'exprime ici dans cet hémicycle. Vous ne devez pas chercher à l'entraver par des manœuvres dilatoires
Mêmes mouvements
et par des réponses longues d'interminables minutes à chaque amendement présenté.
Je demande deux minutes de suspension de séance, madame la présidente.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à vingt-trois heures trente, est reprise à vingt-trois heures trente-cinq.
Rappels au règlement
Il se fonde sur l'article 100 de notre règlement. Étant donné que le Gouvernement a vraisemblablement décidé de ne pas aller au bout de l'examen de la proposition de loi, nous avons pris une décision difficile : celle de retirer l'intégralité des amendements déposés par notre groupe, afin d'avancer.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES. – Les députés du groupe LR et plusieurs députés du groupe RN se lèvent et applaudissent également.
J'appelle l'ensemble des groupes à procéder de même, afin que nous puissions aboutir au vote de ce texte très important et poursuivre au Sénat, puisqu'il n'est apparemment pas possible de le faire à l'Assemblée nationale, le travail de coconstruction que nous avons réalisé avec le rapporteur Pradié lors des travaux préparatoires.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
Qui se fonde sur le même article que celui de mon collègue Léaument. Les membres du groupe Écologiste – NUPES souhaitent pouvoir accomplir leur travail de parlementaires, à savoir faire avancer des textes, conformément aux engagements pris devant leurs électeurs.
La lutte contre les violences intrafamiliales, contre les violences sexuelles et psychologiques fait partie de ces engagements.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. le rapporteur applaudit également.
C'est pourquoi, afin d'être en mesure de voter sur ce texte, je retire également l'ensemble de nos amendements, malgré le travail accompli pour les préparer.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et LR.
Nous n'en avons pas déposé. Je comprends que vous vouliez absolument voter cette proposition de loi. Le rapporteur a pourtant rappelé précédemment qu'il fallait continuer à travailler et à examiner les amendements, qui permettront d'enrichir le texte – c'est bien ce que nous avons entendu tout à l'heure !
Protestations sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Je constate que vous voulez voter un texte qui, au fond, n'est pas abouti et je le regrette.
« Ce n'est pas un rappel au règlement ! » sur quelques bancs des groupes LR et RN.
Je fais observer que les membres de mon groupe n'ont pas déposé d'amendements et que nous ne bloquons en aucune manière l'issue du texte.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – Rires sur plusieurs bancs du groupe LR.
Sur le fondement du même article. Nous aurions nous aussi aimé débattre de manière apaisée et sérieuse, compte tenu de l'enjeu de cette cause qui nous réunit tous. Malheureusement, le Gouvernement décide de refaire la même salade que la semaine dernière.
Nous en sommes profondément désolés. Dans l'intérêt de la cause, comme nos collègues, nous retirons l'intégralité de nos amendements, que nous redéposerons à l'occasion de la deuxième lecture de ce texte.
Applaudissements sur les bancs des groupes RN et LR.
Qui se fonde sur le même article. J'observe des contradictions dans ce que vous dites : tout d'abord, les membres du groupe Les Républicains parlent d'obstruction, mais combien de textes ont été examinés aujourd'hui ? Nous en sommes au quatrième !
Protestations sur les bancs du groupe LR.
Ensuite, vous déclarez vouloir lutter contre les violences intrafamiliales, contre les violences psychologiques et psychiques mais, dans le même temps, vous refusez tout débat aux parlementaires qui ont des choses à dire. Vous faites preuve d'un mépris inacceptable !
Exclamations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe LR.
Il se fonde également sur l'article 100 de notre règlement. Je constate avec une grande tristesse, je dois le dire, que nous n'arrivons pas à travailler avec le Gouvernement, dans la volonté d'aboutir et de servir ce pour quoi nous avons été élus, c'est-à-dire trouver des solutions aux problèmes auxquels nos concitoyens sont confrontés.
Nous disposions d'un texte insuffisamment abouti, à mon avis, sur lequel j'ai d'ailleurs émis des réserves et fait part de mon souhait d'une réorientation. Je pensais néanmoins que la navette parlementaire et l'aide du Gouvernement nous permettraient d'aller au bout. Certes, la mission parlementaire confiée par la Première ministre sur le sujet est une bonne chose, mais les parlementaires ont aussi le droit de se saisir d'une question et de mener des auditions,…
…ce qui me paraît bien plus démocratique que la décision d'un exécutif de demander un rapport à deux parlementaires spécialement choisies.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Au cours de cette séance, j'ai été gênée par deux choses : lorsque nous avons examiné les propositions de loi relatives à la police des étrangers, sur lesquelles je n'étais absolument pas d'accord et que je n'aurais pas votées, vous avez mis en avant un projet de loi à venir sur l'immigration, justifiant que nous votions les amendements de suppression desdites propositions.
S'agissant de la présente proposition de loi, vous évoquez un rapport parlementaire qui justifierait que l'on se taise, que l'on ne travaille pas ce texte et que l'on ne nous écoute pas sur le sujet. Je considère donc, comme toutes les oppositions, que nous n'aboutirons pas à un travail constructif. Je le regrette sincèrement, même si j'étais en désaccord sur beaucoup de points, notamment la volonté de créer une juridiction spécialisée à laquelle j'aurais préféré une chambre spécialisée – je continuerais à travailler en ce sens. Alors, ne perdons plus notre temps : adoptons ce texte, confions-le au Sénat, il reviendra ensuite à l'Assemblée nationale pour une deuxième lecture.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES, LR et Écolo – NUPES.
L'amendement n° 40 est retiré.
Je remercie nos collègues des autres groupes d'opposition d'avoir bien voulu retirer leurs amendements afin de donner une chance à cette proposition de loi d'être adoptée et à la représentation nationale d'avoir le dernier mot ce soir face à un Gouvernement qui a choisi l'obstruction plutôt que de respecter les droits de l'opposition. Nous retirons évidemment aussi nos amendements.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs des groupes RN, LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
Je remercie chacun des groupes de permettre à la représentation nationale de faire ce qui est le plus efficace, à savoir voter. Je retire à mon tour l'ensemble des amendements que j'avais déposés et je fais confiance à la navette parlementaire pour poursuivre le travail.
Mêmes mouvements.
Mes chers collègues, il ne reste donc plus aucun amendement en discussion.
La parole est à M. le garde des sceaux.
Si le Gouvernement parle quinze minutes, ce sera bien la preuve qu'il fait de l'obstruction !
Vous dénoncez une obstruction du Gouvernement, pourtant, nous n'avons pas un seul amendement. Pas un !
Il n'est pas là.
Plus vous m'interromprez, plus ce sera long, et vous risquerez de dépasser minuit. Laissez-moi m'exprimer tranquillement.
Si les oppositions ont déposé des amendements, c'est qu'elles considèrent que le texte doit être modifié, et qu'il n'est pas parfait. Nous parlons ici de juridictions spécialisées censées mieux servir la cause des femmes victimes. Or vous vous asseyez sur vos propres convictions ! Voulez-vous que je dresse la liste des amendements que vous avez déposés, vous, les députés de La France insoumise et du Rassemblement national ? J'ose espérer que vous avez des convictions chevillées au corps !
Par vos amendements, vous exprimez que ce texte – qui n'est pas préparé – ne vous convient pas.
Et voilà que vous vous asseyez sur vos convictions, pour le faire passer au forceps.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Non seulement vous vous asseyez sur toutes vos convictions, dans une espèce de petit arrangement…
…mais en plus, vous reprochez au Gouvernement de débattre. C'est vous qui volez le débat !
Protestations sur plusieurs bancs du groupe LR.
Vous pouvez être fiers de votre texte, il est magnifique !
Vous n'êtes pas d'accord sur la composition de la juridiction, pas plus que sur sa compétence…
Sourires.
Contre moi, et contre le travail parlementaire. Je tiens à vous rappeler que ce travail parlementaire est en marche, madame Untermaier : il est mené par deux parlementaires de sensibilités différentes.
Vous pouvez considérer que cela n'a pas d'importance, mais entre quatre-vingts personnes auditionnées d'un côté, et huit de l'autre, il y a une différence !
C'est la dixième fois que je le dis, et je le répéterai encore. Entre le travail qui a été accompli par la mission parlementaire et celui que vous avez mené, il y a justement une différence de 1 à 10. Je l'affirme : ce texte est un danger, car il désorganise les juridictions.
Les parlementaires ont naturellement le droit de s'exprimer, mais le garde des sceaux l'a aussi.
Voyez-vous…
Qu'y a-t-il monsieur Pradié ? Vous semblez faire des signes.
Plus vous m'interromprez, plus ce sera long, monsieur Pradié. Vous allez trembler quelques secondes que l'horloge dépasse minuit ! Laissez-moi terminer, cela ira vite.
Vous avez volé le débat, et vous vous êtes assis sur une mission du Parlement qui avait pour objectif de livrer des conclusions intéressantes d'ici au mois de mars.
Je n'étais pas opposé par principe à une juridiction spécialisée, mais j'estime que cela méritait un véritable travail, et non une posture politicienne, monsieur le président Marleix.
Ce qui est honteux, c'est que vous vouliez limiter le temps que je consacre à vous répondre.
Vous avez volé le débat. Vos rappels au règlement ont fait perdre un temps fou.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Vous avez perdu du temps à vous disperser dans des explications qui n'avaient rien à voir avec la réalité, monsieur le rapporteur – ou devrais-je dire, monsieur VIF. Vous faites cavalier seul, et vous vous moquez éperdument du travail sérieux qui est en cours.
Allons à l'aventure, semblez-vous penser, et que les magistrats se débrouillent avec ce texte ! Qu'ils organisent ce qui ne peut pas l'être, et qu'on déstructure les filières actuelles, qui fonctionnent de mieux en mieux !
Voilà donc le travail que vous nous proposez. Et vous voudriez que je reste muet, pantois, que je ne dise pas un mot, que je vous laisse faire ce qui me semble une hérésie pour notre justice !
Vous dites ?
Rassurez-vous, monsieur Marleix, je n'ai plus que deux mots à vous dire. Nous traitons d'un sujet grave et capital, qui met en cause l'organisation des juridictions.
Vous avez demandé à vos alliés du jour de s'asseoir sur leurs convictions. Voilà comment, ce soir, la grande Assemblée nationale légifère sur un sujet aussi grave. Bravo, messieurs !
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
« Non ! » sur plusieurs bancs des groupes RN et LR.
Il se fonde sur l'article 100, relatif à la bonne tenue des débats. Je tiens à vous dire que je suis extrêmement heurtée que nous ne puissions pas débattre d'un texte aussi important.
Article 58 : on ne peut pas faire deux fois le même rappel au règlement !
Ce texte fait fi du droit européen, car il méconnaît l'article 6, alinéa 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, tout comme il méconnaît le droit constitutionnel…
Puisqu'il n'y a plus d'amendement à l'article 1er , je vais le soumettre au vote. Madame la ministre déléguée, vous vouliez vous exprimer ?
« Non, on vote ! » sur les bancs du groupe LR.
J'avais demandé la parole.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
C'est inadmissible ! Le vote a déjà été annoncé !
J'avais demandé la parole !
Vives exclamations sur les bancs du groupe LR.
S'il vous plaît, chers collègues. J'ai appelé le vote, mais je n'ai pas mis aux voix l'article. Madame la ministre déléguée a la parole, et je mettrai ensuite aux voix l'article 1er , l'article 2 et l'ensemble du texte.
J'avais donc demandé la parole, mais je vois décidément que dès qu'une femme s'exprime, cela vous énerve beaucoup !
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Quoi qu'il en soit, cette scène est vraiment incroyable.
« Ça, oui ! » sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Monsieur le rapporteur, vous êtes arrivé en retard. Sur plus de deux heures, vous avez parlé au moins quarante-cinq minutes. Et maintenant, vous criez à l'obstruction, simplement parce que nous répondons aux amendements !
Nous nous sommes appelés il y a quelques jours ; j'ai essayé de vous tendre la main, mais vous m'avez répondu que vous vouliez faire de la politique. Continuez !
La parole est à Mme Émilie Chandler, pour un rappel au règlement. S'il a le même fondement que précédemment, nous passerons au vote.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Elle n'a pas le droit, madame la présidente ! Elle n'est pas présidente de groupe !
Applaudissements sur les bancs des groupes RN et LR.
Madame Chandler, vous n'avez pas la délégation, je suis navrée. C'est monsieur Maillard qui la détient.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à vingt-trois heures cinquante-quatre, est reprise à vingt-trois heures cinquante-six.
L'article 1er , amendé, est adopté.
J'entends certains faire le décompte du temps, c'est pratique, je n'aurai pas besoin de regarder ma montre ! Vous avez longuement entendu parler de la mission que je mène avec la sénatrice Dominique Vérien. L'enjeu est trop important pour que nous votions en conscience et raisonnablement – mais chacun prendra ses responsabilités – un texte écrit sur un coin de table.
Le sujet a été jeté sur un coin de table, après quoi le travail parlementaire a été mené à la hâte et n'a pas su éviter certains écueils : prenons l'exemple de la fratrie de trois personnes que j'ai cité tout à l'heure. Vous n'avez pas voulu l'entendre, nous n'en avons pas discuté, et je n'ai pas vu d'amendement à ce sujet.
Je n'ai pas déposé d'amendement, parce que je suis chargée d'une mission sur ce sujet.
Nous vous avons tendu la main en disant que nous voulions travailler tous ensemble. Nous vous l'avons dit, monsieur le rapporteur : notre intention était de construire, tous ensemble, un travail transpartisan. Le sujet des violences faites aux femmes mérite un travail collectif. Vous avez préféré jouer le jeu de la politique et présenter un texte qui comporte des lacunes : de fait, certains drames ne trouveront pas de réponse. La responsabilité ne sera pas forcément la nôtre quand cela se produira.
Nous vous proposons de travailler tous ensemble. Vous vous êtes accaparé ce sujet pour des raisons politiques, monsieur le rapporteur, et vous considérez que nous n'avons plus le droit d'en parler qu'avec vous.
Et il me reste treize secondes. Je trouve fort dommage de travailler dans ces conditions.
Vous serez aussi auditionnée, puisque visiblement, le sujet vous importe. Nous auditionnerons tous ceux qui le veulent. J'espère que vous nous ferez des propositions concrètes, pour que nous puissions travailler ensemble.
Sur l'ensemble de la proposition de loi, je suis saisie par les groupes Rassemblement national et Les Républicains d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Je mets aux voix l'article 2 de la proposition de loi.
L'article 2 est adopté.
N'ayant pas été saisie de demande d'explication de vote, je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 82
Nombre de suffrages exprimés 81
Majorité absolue 41
Pour l'adoption 41
Contre 40
La proposition de loi est adoptée.
Les députés membres des groupes RN, LFI – NUPES et LR se lèvent et applaudissent.
Prochaine séance, demain, à neuf heures :
Suite de la discussion de la proposition de loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite.
La séance est levée.
La séance est levée à zéro heure.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra