La réunion

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La séance est ouverte à seize heures trente.

La commission procède à l'audition de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

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Nous accueillons M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, accompagné de Mme Mylène Testut-Neves, directrice de cabinet adjointe, M. Yves Auffret, directeur de cabinet adjoint, Mme Julie Brayer-Mankor, conseillère souveraineté et transition des filières végétales, M. Simon Laporte, conseiller économie, suivi des filières et industries agroalimentaires, M. Philippe Duclaud, directeur général de la performance économique et environnementale des entreprises, M. Pierre Primot, directeur général de l'alimentation, et Mme Claire Tholance, conseillère parlementaire.

Vous avez, monsieur le ministre, été très présent ces dernières semaines à l'Assemblée nationale, où vous avez siégé à l'occasion de l'examen en première lecture du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture. De nombreuses questions ont déjà été évoquées dans ce cadre. Cette audition, retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale, permettra d'aborder plus en détail les sujets liés à la souveraineté alimentaire de la France.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Marc Fesneau, Mme Mylène Testut-Neves, M. Yves Auffret, Mme Julie Brayer-Mankor, M. Simon Laporte, M. Philippe Duclaud, M. Pierre Primot et Mme Claire Tholance prêtent serment.)

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Les récents débats relatifs au projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations nous ont permis d'échanger sur la nécessité de préserver et renforcer la souveraineté alimentaire, ainsi que sur les moyens d'y parvenir.

La pandémie de covid-19, puis la guerre en Ukraine et ses conséquences, ont montré la capacité de la chaîne alimentaire française et européenne à résister à de tels chocs et à garantir l'approvisionnement de nos concitoyens, y compris dans des situations de crise majeures. Elles ont également révélé certaines fragilités de nos systèmes de production.

La France est le premier pays de l'Union européenne en matière de production agricole. Elle continue à beaucoup exporter, même si elle est passée du deuxième au sixième rang mondial en vingt ans. Le secteur agroalimentaire est le premier employeur français. En 2023, la balance commerciale française des produits agricoles et agroalimentaires demeurait largement excédentaire, à hauteur de 5,1 milliards d'euros. Cet excédent est toutefois en repli de 44 % par rapport au niveau record de 2022, lié à la forte hausse du prix des céréales. La balance commerciale avec les pays tiers reste excédentaire de 9,7 milliards d'euros. En revanche, nos échanges avec les pays de l'Union européenne sont déficitaires de 4,6 milliards d'euros environ. Ils le sont également pour les produits transformés, en dehors des vins et spiritueux.

Les résultats de notre commerce extérieur doivent être analysés en tenant compte de difficultés conjoncturelles telles que la variation des prix ou les épizooties, dont l'influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) touchant les volailles.

Les rapports sur la souveraineté alimentaire, dont celui transmis par le Gouvernement au Parlement le 3 avril 2024, mettent par ailleurs en lumière des dépendances de notre pays aux importations dans plusieurs domaines, dont les protéines pour l'alimentation animale, les fruits et légumes, la viande de poulet, les engrais azotés, les matières grasses et additifs pour l'industrie alimentaire, le matériel agricole et l'énergie fossile, indispensable au fonctionnement de nos outils économiques.

Certaines de ces dépendances concernent l'Union européenne dans sa globalité. Je pense par exemple aux engrais, à l'énergie, à l'alimentation animale et aux biocarburants.

Ces analyses mettent également en évidence des vulnérabilités liées aux conséquences du changement climatique, avec des risques de sécheresse, d'inondations, de stagnation ou de baisse des rendements, des dangers sanitaires associés à la multiplication des maladies vectorielles comme la maladie hémorragique épizootique (MHE) ou encore des menaces pesant sur les pollinisateurs et la biodiversité.

L'activité agricole elle-même est mise en péril par le vieillissement des actifs, l'insuffisance des revenus dans certains secteurs, la pénurie de main-d'œuvre et l'artificialisation des sols agricoles.

Des menaces pèsent en outre sur la compétitivité de nos outils de transformation agroalimentaire, certains produits bruts exportés comme le blé dur ou la pomme de terre revenant sur le sol national sous forme de produits transformés.

Enfin, la relation avec la société est parfois compliquée. Des contradictions se font ainsi jour entre la vision des citoyens et celle des consommateurs.

Les crises récentes ont rappelé avec brutalité l'importance stratégique de notre agriculture et mis en lumière le comportement agressif de certains pays grands producteurs et exportateurs de denrées agricoles, qui n'hésitent pas à utiliser l'agriculture et l'alimentation comme des armes à l'échelle mondiale.

Ces éléments d'analyse montrent que même si notre souveraineté alimentaire n'est globalement pas menacée à court terme, la situation est contrastée d'une filière à l'autre et certaines fragilités structurelles doivent être prises en considération. Il est impératif que nos politiques publiques veillent à préserver et améliorer cette souveraineté, dans un cadre européen dont nous dépendons et qui constitue une réponse aux défis auxquels nous sommes confrontés, mais aussi à l'échelle internationale, où nous assumons des partenariats stratégiques pour lutter contre la faim et sécuriser l'approvisionnement alimentaire chez certains de nos partenaires.

La souveraineté alimentaire ne doit pas être synonyme de repli sur soi ou d'autarcie. Il s'agit de maîtriser les dépendances identifiées à l'importation et à l'exportation, d'être maîtres de notre destin et de choisir nos alliances, afin de contribuer à la paix et faire en sorte que l'alimentation ne soit pas un objet de guerre.

Il convient tout d'abord d'agir en Européens, en harmonisant les règles et les pratiques, en renforçant les exigences à l'importation et en établissant des garanties de concurrence équitable dans le marché intérieur. Cela suppose une mise en cohérence des politiques sectorielles de l'Union européenne en matière d'agriculture, d'alimentation, mais aussi de commerce et d'environnement. Il importe également de veiller à éviter le recours excessif à des dérogations et surtranspositions nationales. Les exigences imposées aux producteurs français et européens sont d'autant moins acceptées que ces derniers sont confrontés à la concurrence d'importations non contraintes. Tous nos voisins européens sont sensibles à cette problématique, même si l'enjeu de la souveraineté alimentaire est envisagé différemment d'un pays à l'autre, certains préférant parler de sécurité alimentaire, d'autonomie ou d'indépendance stratégique.

Je rappelle que la déclaration de Versailles, adoptée en mars 2022 pendant la présidence française de l'Union européenne, avait vu les États membres s'accorder sur la nécessité d'améliorer notre sécurité alimentaire commune en réduisant notre dépendance aux importations des principaux produits et intrants agricoles.

Nous devons poursuivre le travail de conviction amorcé en matière de réciprocité des normes lors de cette présidence française, avec l'introduction de clauses miroirs dans la réglementation de l'Union européenne et de conditionnalités tarifaires dans de nouveaux accords de commerce, en particulier pour les productions sensibles. Cela ne signifie pas que toutes nos normes doivent s'imposer systématiquement de façon extraterritoriale, partout dans le monde. L'Union européenne doit simplement, pour certaines normes clés, ayant des impacts significatifs sur l'environnement mondial, renforcer son action et être plus attentive à la dimension de réciprocité. C'est ainsi que nous avons procédé par exemple avec la Nouvelle-Zélande sur le sujet du bœuf à l'herbe.

La défense de notre souveraineté alimentaire implique par ailleurs, dans certaines circonstances, de déployer des instruments de défense commerciale aux frontières de l'Union européenne. Cela est nécessaire en cas de dumping, afin par exemple de protéger des sites de production d'engrais face aux importations d'urée ou d'ammoniaque en provenance de Russie. Le déploiement de telles mesures est conforme aux règles du commerce international, auxquelles la France est attachée.

Le travail à mener en Europe passe également par la simplification des procédures imposées aux agriculteurs, notamment en matière de conditionnalité des aides de la Politique agricole commune (PAC). Nos efforts pour convaincre la Commission européenne que la conditionnalité des aides devrait être mieux ciblée et aller de pair avec l'objectif de souveraineté ainsi ont porté leurs fruits dans le cadre de la réouverture des actes de base de la PAC. Cela passe tout d'abord par la suppression de l'obligation de jachère. Il s'agit par ailleurs d'éviter l'accélération de la déprise de l'élevage par un empilement de règles sur les prairies et d'apporter de la flexibilité aux agriculteurs pour mieux tenir compte de certaines situations particulières, sans recul environnemental global.

L'action européenne se poursuit également s'agissant de l'amélioration de la place des agriculteurs dans la chaîne de valeur. Des travaux ont été engagés à la demande de la France pour compléter la directive de lutte contre les pratiques commerciales déloyales dans la chaîne de valeur agroalimentaire et faire en sorte, grâce à une transparence et une coopération accrues entre autorités, que les centrales d'achat européennes ne puissent plus contourner les règles applicables dans les États membres en jouant sur les différences de transposition nationale du droit de l'Union européenne.

S'agissant enfin de l'avenir de l'agriculture européenne, il faudra, à l'issue du dialogue stratégique engagé par la présidente de la Commission européenne, repartir sur des bases renouvelées. Cela suppose de réinterroger le Pacte vert et la stratégie « De la ferme à la table » à l'aune de l'objectif de souveraineté et de l'exigence de durabilité, en gardant à l'esprit la prochaine réforme de la PAC et les éventuelles perspectives d'élargissement à long terme.

Il ne s'agit pas d'opposer agriculture et environnement, mais de reconnaître qu'aucune transition ne sera efficace si elle n'est pas juste. Nous ne sommes pas opposés par principe aux objectifs du Pacte vert pour l'Europe, mais considérons que leur atteinte doit s'effectuer dans des conditions acceptables et ne pas se traduire par une diminution de la capacité ou de la production européennes et une augmentation des produits importés. Ce Pacte doit être un gage de compétitivité pour notre agriculture, non un frein. Cela implique une meilleure application des normes de production de l'Union européenne aux produits importés, mais aussi un accompagnement permettant aux agriculteurs d'effectuer ces transitions sans impact négatif sur leur potentiel de production et leur compétitivité. Il faudra définir dès que possible une stratégie à l'échelle européenne afin que le haut niveau d'exigence environnemental et social qui caractérise nos productions agricoles soit un atout pour les producteurs français et l'ensemble du continent.

Il nous faut enfin agir au niveau national, en limitant nos dépendances et en investissant dans l'appareil productif et l'accompagnement des transitions. Il est vital, pour relever les défis qui se présentent à nous, d'atteindre une plus grande autonomie stratégique dans le domaine alimentaire en réduisant notre dépendance à certains produits importés. Le Gouvernement a ainsi travaillé avec les acteurs des filières concernées pour déployer une série de plans de souveraineté visant à répondre aux enjeux économiques et environnementaux. Je pense tout d'abord aux plans Protéines végétales et Fruits et légumes, qui relèvent des politiques prioritaires du Gouvernement et dont le financement est assuré en 2024 grâce aux crédits de la planification écologique. Le plan de souveraineté Élevage renforcé, présenté lors du dernier Salon international de l'agriculture, insiste sur la nécessité de produire ce que nous consommons ; des travaux d'approfondissement sont en cours au sein des interprofessions. Le plan de souveraineté pour le blé dur, porté par Intercéréales, a été signé en février 2024. Un plan Engrais est enfin en cours d'élaboration, pour une présentation à l'automne 2024. L'enjeu de ces plans est de réduire nos éventuelles dépendances, de les identifier et de les maîtriser par la diversification et la sécurisation de nos partenariats commerciaux, à l'importation et à l'exportation.

Compte tenu de la montée en puissance des aléas géopolitiques, réduire nos dépendances suppose de travailler à l'amélioration de la compétitivité et du positionnement commercial de nos produits agroalimentaires. Nous devons pour ce faire accompagner les investissements de l'ensemble des maillons de la chaîne agroalimentaire. Le programme France relance, qui reste d'actualité, a ainsi permis de mobiliser un budget de 2,2 milliards d'euros en faveur de la souveraineté alimentaire, autour de trois axes prioritaires : la troisième révolution agricole, la santé nutritionnelle et la réduction des gaz à effet de serre.

Nous devons en outre maintenir ou améliorer le revenu des agriculteurs, ainsi que le partage de la valeur dans la chaîne alimentaire. Grâce aux lois Egalim 1 et 2, la construction du prix des produits s'effectue désormais à partir des coûts de production, avec un renforcement de la contractualisation et, depuis le 1er janvier 2022, la transparence du coût de la matière première agricole. Cela vise à consolider la chaîne alimentaire, en veillant à la viabilité de chacun des maillons qui la composent et en évitant toute situation de conflit aboutissant à une destruction de la valeur et à une fragilisation de l'amont et des industries agroalimentaires. Je rappelle qu'une mission parlementaire confiée à deux députés a été créée sur ces différents aspects, en vue de renforcer le cadre des relations commerciales.

Le Gouvernement soutient par ailleurs la transition des systèmes agricoles et alimentaires afin de les rendre plus durables et résilients face aux changements climatiques. La transition écologique doit nous permettre d'y parvenir, en misant sur la sobriété, l'innovation et les pratiques agroécologiques. Nous avons engagé cette démarche dans le cadre de la PAC qui, par l'intermédiaire du plan stratégique national (PSN), vise à améliorer la souveraineté et la résilience par un ciblage des aides sur les filières et territoires les plus fragiles, le doublement des aides couplées aux légumineuses et la réforme des aides couplées à la filière bovine afin d'inciter à la création de valeur dans le domaine de l'engraissement et de mieux soutenir l'élevage laitier. Cela se traduit également par des mesures agro-environnementales, une aide complémentaire au revenu pour les jeunes agriculteurs et des outils de gestion des risques. Enfin, les crédits de la planification écologique vont venir conforter la résilience et l'adaptation de nos entreprises agricoles, à hauteur de 800 millions d'euros pour le seul volet agricole.

Je tiens à souligner la mise en place d'un nouveau système de couverture des risques, conçu en réponse aux enjeux de résilience et de souveraineté face à la multiplication des aléas climatiques. Depuis 2023, un dispositif unique à trois étages permet aux agriculteurs de bénéficier, en cas d'aléa majeur, d'une couverture minimale en complément du système assurantiel.

Le Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique a par ailleurs construit une feuille de route qu'il convient désormais de déployer, dans le cadre notamment du plan Eau.

Une partie de la souveraineté agricole et alimentaire se joue enfin dans la capacité à renouveler les générations d'agriculteurs et à disposer sur l'ensemble du territoire d'exploitations permettant de garantir le niveau des productions agricoles françaises en volume, en qualité et en diversité.

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Merci, monsieur le ministre, pour ce propos panoramique qui va nous permettre d'entrer dans le détail des sujets abordés.

Les travaux de FranceAgriMer produits en 2023, qui font autorité, indiquent que les taux d'auto-approvisionnement français concernant les produits laitiers, les céréales, les oléoprotéagineux, certaines viandes et les fruits et légumes sont globalement satisfaisants et que seules quelques filières apparaissent en situation de fragilité.

Or, parallèlement à ces bons chiffres, se noue dans la société un débat laissant entendre que l'agriculture française se trouverait dans une situation catastrophique, au bord de l'effondrement.

Comment expliquer ce paradoxe, cette dissonance entre des chiffres globalement favorables et le pessimisme qui prévaut dans les débats sur l'avenir de l'agriculture française ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

La dissonance entre la réalité et la manière dont elle est perçue me semble assez générale et caractéristique de l'état d'esprit français. Elle dépasse le seul secteur agricole.

Jusqu'à une période assez récente, il existait en outre peu d'opérateurs agricoles dans le monde. Il fut un temps où la question des marchés agricoles concernait essentiellement l'Amérique du Nord et le continent européen. Or on observe depuis une vingtaine d'années l'émergence de puissances agricoles telles que le Brésil, l'Argentine, la Nouvelle-Zélande, la Russie ou l'Ukraine, qui explique notre déclassement à l'échelle mondiale. Nous ne sommes plus les seuls maîtres du jeu et d'autres opérateurs viennent perturber les marchés.

Je pense par ailleurs que certaines filières qui assurent leur souveraineté voient se profiler des écueils leur donnant le sentiment de courir à terme un risque d'effacement, de disparition ou d'amoindrissement de leur puissance. Cela concerne en particulier la filière animale des volailles ou de la viande bovine. Il s'agit davantage d'une crainte pour le futur que d'une réalité, puisque les chiffres auxquels vous faisiez référence montrent que nous bénéficions dans ces domaines de taux d'auto-approvisionnement que nombre de pays nous envient, y compris au sein de l'espace européen.

Le troisième élément d'explication, qui connaît une montée en puissance depuis quelques années, est lié aux perturbations induites par le dérèglement climatique. Nous sommes confrontés depuis cinq à dix ans à une succession d'aléas inédite. Après une période caractérisée par une stabilité des marchés et une progression constante des rendements, nous subissons, à facteurs de production égaux, une diminution des rendements qui donne le sentiment à certains territoires et productions de se trouver dans une impasse climatique, hydrologique, sanitaire, phytosanitaire. Les pertes de souveraineté observées dans le domaine du blé dur ou des protéines sont initialement dues à des baisses de production liées à des impasses techniques ou agronomiques. S'y ajoute un phénomène nouveau, caractérisé par une grande variabilité des choix d'assolement en grandes cultures d'une année sur l'autre, consécutive à la volatilité des marchés et aux aléas climatiques traversés.

L'instabilité géopolitique et climatique contribue à créer un sentiment de difficulté, dans un espace européen et mondial plus concurrentiel qu'auparavant.

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La balance commerciale agroalimentaire française a changé de nature en quelques années. Très excédentaire avec le reste du monde, elle est devenue déficitaire avec le marché intérieur européen, tout en demeurant globalement positive de 8 milliards d'euros. Comment expliquez-vous le déficit apparu avec nos partenaires européens ? Considérez-vous cela comme un problème ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Je trouve en effet cette situation problématique : la France pourrait, dans bien des domaines, mieux gérer la compétition avec ses voisins européens. Notre pays dispose en effet de vastes surfaces agricoles, d'une technicité unanimement reconnue, de formations de qualité et d'une recherche de haut niveau. Sans viser l'autarcie, le fait de ne pas être en mesure de satisfaire nos besoins dans certaines filières mérite d'être questionné. Ne pas considérer cela comme un problème pourrait conduire progressivement à perdre la volonté de souveraineté qui nous anime vis-à-vis de nos collègues et partenaires européens. Nous avons besoin, sur un certain nombre de sujets, de retrouver de la compétitivité et un niveau de production satisfaisant.

Nous devons également savoir gérer nos interdépendances et nos coopérations à l'échelle européenne afin de pallier les chocs induits par le dérèglement climatique. Il est par exemple heureux que la France ait pu pourvoir en 2023 aux besoins européens en matière de production de céréales et éviter ainsi le recours à des importations en provenance de pays tiers.

Il convient en résumé de renforcer la compétitivité nationale sans s'abstraire totalement d'une logique d'interdépendance et de coopération à l'échelle européenne, nécessaire pour faire face ensemble aux conséquences néfastes du changement climatique.

Des distorsions de concurrence sont en outre apparues progressivement au niveau français et ont pu entraver certaines capacités de production. On pense par exemple à la question de l'usage des produits phytosanitaires et aux lourdeurs administratives auxquelles sont soumis les agriculteurs.

Je pense enfin que l'agriculture française a perdu le caractère offensif dont elle avait fait preuve dans les années 1960 et 1970 pour conquérir des marchés voisins. Les agricultures espagnole et italienne se concentrent par exemple en premier lieu sur l'espace européen. La stratégie française s'est trop polarisée sur quelques filières, comme les vins et spiritueux, dont la croissance des exportations s'effectuait essentiellement hors des frontières européennes. Elle n'a pas accordé assez d'importance à des filières susceptibles de se développer au niveau européen. Cet élément devra être travaillé, en mettant l'accent sur la valorisation de la marque France.

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Les auditions de MM. Pascal Lamy, ancien commissaire européen au commerce, et Arnaud Rousseau, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), nous ont permis d'aborder la question de la renationalisation de la PAC. M. Arnaud Rousseau a dressé le constat d'une politique qui, avec les PSN, risquait d'être moins commune qu'elle ne l'était auparavant. M. Pascal Lamy nous a quant à lui fait part de son inquiétude face au mouvement de renationalisation de la PAC, notamment dans une perspective de défense des intérêts français. Il considère en effet que cette démarche sera, à long terme, bénéfique aux États qui disposeront de marges budgétaires importantes, ce qui ne sera vraisemblablement pas le cas de la France.

Qu'en pensez-vous ? Comment expliquez-vous qu'une décision collective de création des PSN ait été prise ? Comment la France appréhende-t-elle ce mouvement de renationalisation de la politique agricole commune ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Je suis très défiant à l'endroit d'une renationalisation de la PAC. Il s'agit en effet d'une politique emblématique, qui représente environ 30 % du budget européen et dont les objectifs initialement assignés ont été globalement atteints. Une renationalisation présenterait selon moi plusieurs écueils. Le premier est lié à la marge budgétaire différente d'un État à l'autre et soumise à de potentielles fluctuations en fonction des priorités gouvernementales et d'éventuels accidents budgétaires. Une politique agricole requiert de la continuité dans l'effort compte tenu des transitions à accomplir. Les opérateurs économiques, producteurs comme transformateurs, ont besoin d'une vision à long terme. Soumettre la PAC à des contingences budgétaires nationales ne me semble pas une voie à suivre. Dans le système actuel, le financement de la politique agricole commune est fixé jusqu'en 2027, ce qui offre de réelles perspectives et lui confère une stabilité forte.

Une telle démarche reviendrait par ailleurs à s'interroger plus globalement sur la nationalisation des règles, introduisant un risque de divergence entre les systèmes. Renationaliser la PAC conduirait à aider certains secteurs plus ou moins que les pays voisins et augmenterait ainsi le risque de distorsions de concurrence. Or j'ai le sentiment, comme en témoigne la récente manifestation dans les Pyrénées, que les agriculteurs aspirent au contraire à une forme de convergence.

Une telle renationalisation pourrait en outre générer à terme un questionnement sur l'opportunité d'harmoniser les règles sur d'autres sujets, environnementaux, sanitaires, etc.

D'aucuns considèrent que la PAC n'est pas essentielle, capte trop de moyens et qu'il serait préférable que chaque État membre mène sa propre politique agricole ; mais si l'on estime que la souveraineté alimentaire en Europe et à nos frontières est un objet géopolitique au même titre que l'énergie, le médicament, le domaine spatial ou l'intelligence artificielle, alors il faut agir en Européens.

Je pense que la politique agricole commune doit viser la convergence, y compris en matière de normes sur les produits phytosanitaires. Dans le cas contraire, le risque serait grand de créer artificiellement de la concurrence entre les États.

Il existe par ailleurs au sein des plans stratégiques nationaux des distorsions entre les régions. La dotation jeune agriculteur peut par exemple être plus favorable ou les conditions d'accès plus compliquées en certains points du territoire. Il convient, là aussi, de travailler pour apporter davantage de convergence.

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La définition de la souveraineté alimentaire a déjà suscité de nombreux débats. Je note que vous la distinguez de l'autarcie et la présentez comme une maîtrise des dépendances et la capacité de l'agriculture à satisfaire les besoins de la consommation nationale. Parvenir à converger sur ce point serait pour cette commission une avancée intéressante.

Vous avez affirmé au Sénat lors des questions au Gouvernement le 15 novembre 2023 que l'on vous trouverait toujours dans le camp de ceux qui défendent l'agriculture et la souveraineté agricole française et européenne. Vous avez également indiqué le 12 juillet 2023 devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale que « ces stratégies pour la souveraineté alimentaire s'inscrivent dans un temps long et ne peuvent être qu'européennes, au même titre que nous avons besoin de souveraineté européenne en matière de défense, de matériaux, d'intelligence artificielle, d'aéronautique et de batteries ». Comment considérez-vous la souveraineté alimentaire, tant dans la capacité de décision que cela suppose que dans la possibilité pour l'agriculture française de satisfaire les besoins de la consommation nationale ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Atteindre la souveraineté alimentaire ne saurait selon moi s'effectuer ailleurs que dans le cadre européen, sauf à revenir à une logique de fermeture des frontières. Poursuivre cet objectif suppose que chaque État ne s'oppose pas aux autres en favorisant sa propre compétitivité. Nous avons besoin d'instruments financiers et d'outils d'appui convergents. Il faut veiller à ne pas amoindrir les souverainetés nationales en se lançant dans une course aux subventions nécessairement freinée par les limites budgétaires de chaque État et dans un dumping des pays les uns contre les autres. Parvenir à une souveraineté alimentaire française suppose ainsi de s'assurer que l'ensemble des partenaires européens se battent avec les mêmes armes.

En 2023, 40 millions de tonnes de céréales ont été importées de l'extérieur des frontières européennes. Or la France, compte tenu de son climat et de ses capacités de production, peut pourvoir à certains de ces besoins. L'équilibre économique de nos filières se joue en partie dans notre capacité à assurer leur compétitivité en assumant la souveraineté alimentaire européenne.

Le troisième élément de souveraineté au niveau européen réside dans l'harmonisation des règles. Qu'il s'agisse d'engrais, d'alternatives aux produits phytosanitaires, de recherche ou de nouvelles techniques génomiques, il n'est pas imaginable que la France interdise certaines pratiques que l'Allemagne autoriserait ou inversement. Il est donc nécessaire, sur un certain nombre de grands sujets, de disposer d'une puissance de recherche et d'harmonisation commune. Ne pas travailler ensemble reviendrait à créer à l'intérieur des frontières européennes une forme de concurrence dont personne n'a besoin.

Pour autant, certains éléments stratégiques rendent nécessaire le développement d'une souveraineté nationale. Le plan Protéines végétales doit ainsi nous permettre de nourrir nos animaux avec autre chose que des aliments importés d'outre-Atlantique ou d'ailleurs. Force est par ailleurs de constater que nous sommes défaillants sur la question des engrais. Nous avons besoin, sur de tels sujets, de retrouver notre capacité propre.

Il s'agit donc à la fois d'agir au sein de l'espace européen afin de ne pas créer une concurrence qui nous ferait perdre notre souveraineté alimentaire collective, et de mener au niveau national un travail pour améliorer la compétitivité de nos filières. Ces deux dimensions sont importantes et doivent se conjuguer. Les clauses miroirs sont, dans ce contexte, des éléments essentiels au niveau européen, même si elles ne sont manifestement pas assez puissantes.

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Lors d'une intervention en commission des affaires européennes du Sénat le 19 décembre 2023, vous avez indiqué que « nul n'est capable à ce jour de chiffrer l'impact du Green Deal sur la production agricole. Pourtant la Commission européenne a de puissants moyens pour étudier ces questions. Cela nourrit la crainte qu'elle cache des éléments. » Interrogés sur le sujet, le secrétaire général à la planification écologique et l'ancien ministre Didier Guillaume nous ont confirmé qu'aucune étude d'impact n'avait été réalisée par la Commission européenne, hormis sur le règlement sur l'usage durable des pesticides (SUR). Comment ce Pacte vert pour l'Europe a-t-il pu être mis en place sans étude d'impact ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Cela tient selon moi essentiellement au fait que le Pacte vert a percuté la Politique agricole commune, faisant craindre des atteintes à la capacité de production. Il apparaît néanmoins que lors des trois dernières années, la production a surtout pâti de la succession d'épisodes de sécheresse, de gel, de grêle et d'inondations. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) fournit de nombreuses données fort intéressantes sur les effets du dérèglement climatique.

Je pense qu'il serait intéressant, d'une manière générale, que chaque proposition formulée par le Gouvernement, mais aussi par les parlementaires européens, soit assortie d'une évaluation d'impact. J'ai par exemple demandé que l'on m'explique quelles pourraient être les conséquences de l'application du règlement SUR, y compris dans la filière viticole. Ce règlement est le premier avatar d'une évaluation. Lors de l'élaboration du Pacte vert, personne, en conscience et de bonne foi, ne s'est posé la question. Chacun a pensé que, quel que soit le schéma choisi pour effectuer la transition écologique, cela n'affaiblirait pas la capacité de production. Force est de constater que la situation est plus compliquée que cela.

Bien qu'il soit difficile, ces impacts étant d'origine multifactorielle, d'établir autre chose que des prévisions et des hypothèses, je prêche pour que soient intégrés dans les politiques nationales et européennes des indicateurs d'impact et de suivi.

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Vous indiquez avoir alerté sur la question des impacts et le manque d'études permettant de les évaluer. Didier Guillaume a par ailleurs reconnu lors de son audition avoir œuvré en faveur de l'inscription dans le règlement SUR de l'objectif de diminution de 50 % de l'utilisation de produits phytosanitaires. Les documents préparatoires du secrétaire général des affaires européennes relatifs au Conseil européen du 18 juillet 2022, dont j'ai demandé la communication, saluent « l'intégration d'objectifs chiffrés de réduction de l'utilisation et du risque lié aux produits phytopharmaceutiques ». Les documents concernant les réunions du Conseil européen des 26 et 27 juin 2023 précisent que cela « doit permettre d'avancer au niveau européen sur la transition agroécologique en harmonisant les pratiques au sein de l'Union européenne, notamment en introduisant des objectifs de réduction des produits phytopharmaceutiques chiffrés et contraignants pour tous les États membres ». Vous vous êtes ainsi, dans le cadre du Conseil européen, inscrit avec constance dans une logique de réduction de l'utilisation de ces produits, sans étude d'impact. La position de la France a consisté à pousser dans cette direction, sans avoir nécessairement conscience de l'existence potentielle d'un problème. Votre première prise de position sur cette question concerne l'étude d'impact du règlement SUR, qui prévoit une diminution conséquente de l'usage des composants phytosanitaires dans la filière viticole. Mais lors des Conseils européens qui ont suivi la mobilisation suscitée par ce point, votre discours s'est infléchi.

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Je pense d'une part qu'il vaudrait mieux réduire l'utilisation des produits phytosanitaires, d'autre part qu'une harmonisation au niveau européen serait souhaitable, pour les raisons évoquées précédemment.

J'ai demandé avec constance au sein du Conseil européen, y compris lors de la démarche qui a conduit au règlement SUR puis à son échec, qu'une étude d'impact soit prévue. Mes demandes ont concerné la viticulture, mais aussi le bien-être animal. Cette question est, pour moi, récurrente.

J'assume l'idée de se fixer des objectifs en termes de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires, notamment de ceux ayant un impact sur la santé de l'applicateur, des consommateurs et sur l'environnement. Je pense qu'il est de l'intérêt de tous de procéder ainsi et qu'il est nécessaire de s'y préparer.

L'objectif que vous évoquez n'est pas nouveau : il date du Grenelle de l'environnement. L'enjeu pour moi est de faire en sorte que la trajectoire que nous nous sommes donnée soit effective au niveau européen, faute de quoi elle n'aurait pas de sens. Je n'ai pas attendu la crise agricole pour demander la réalisation d'études d'impact, dans le domaine viticole comme dans tous les autres secteurs. Le règlement SUR n'a finalement pas été voté, mais je prêche pour que ce sujet soit remis à l'ordre du jour. La France a en effet tout intérêt à ce que la réglementation soit harmonisée au niveau européen.

En réalité, le problème ne concerne pas à proprement parler la réduction de l'usage des produits phytosanitaires, mais la possibilité de les remplacer par des alternatives crédibles, à moindre impact. Nous savons qu'il existe des solutions soutenables économiquement ; autant ne pas attendre, pour les appliquer, de se trouver dans une impasse. L'utilisation croissante de produits phytosanitaire conduit en effet la nature à s'adapter et à développer des résistances porteuses de risques.

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Cette démarche me semble soulever une question de méthode. En l'absence de règlement SUR, le plan Écophyto reste une surtransposition. Votre volonté d'imposer au niveau européen les restrictions d'utilisation de produits phytosanitaires prévues dans ce plan ne s'accompagne pas d'une visibilité suffisante sur les alternatives. Des travaux de recherche sont certes en cours, mais rien ne permet d'en connaître le résultat. Le malaise vécu par les agriculteurs tient certainement au fait que la trajectoire de réduction de l'utilisation de produits phytosanitaires que vous portez au niveau européen s'effectue à marche forcée, sans solutions effectives issues de la recherche.

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Quelque 150 millions d'euros sont investis chaque année dans la recherche d'alternatives. Cette question suppose par ailleurs qu'un travail soit conduit au niveau européen sur les nouvelles technologies de sélection (NBT) et les nouvelles techniques génomiques (NTG). Nous savons par exemple que les réponses aux problèmes de résistance à certaines maladies, au stress hydrique ou à l'élévation des températures viendront de la recherche sur les variétés.

L'erreur commise lors du Grenelle de l'environnement est d'avoir dessiné une trajectoire sans prévoir aucun accompagnement. Dans la filière cerise par exemple, personne n'avait alors envisagé d'interdire l'usage du diméthoate et du phosmet, alors même que leur toxicité pour l'applicateur était avérée. Or cela relève selon moi d'un problème de santé publique. Leur interdiction a été décidée en 2014 ou 2015, mais le premier plan doté de moyens suffisants pour la faire appliquer n'est intervenu que six ou sept années plus tard. La question est donc bien celle des moyens consacrés à la recherche d'alternatives. Cela permet de crédibiliser la démarche, y compris auprès du monde agricole. Interdire à l'aveugle, sans aucune proposition de remplacement, conduit nécessairement à une impasse. Contrairement à une idée répandue, la réduction de l'usage d'un certain nombre de molécules relève de l'échelon européen et non d'une surtransposition nationale.

Le traitement phytosanitaire présente en outre la particularité de se limiter à quelques molécules, si bien que l'interdiction de l'une d'entre elles est beaucoup plus impactante qu'elle ne l'était voici cinq ou dix ans, où leur nombre était plus élevé. Il est donc nécessaire de prioriser les recherches et de se concentrer sur les sujets pour lesquels une impasse est imminente. C'est précisément l'objet du plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures (PARSADA).

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Vous avez demandé au niveau européen qu'une étude d'impact soit prévue non seulement pour la viticulture, mais plus largement pour l'ensemble du règlement SUR. Or le plan Écophyto n'est assorti d'aucune mesure d'impact. Il semblerait donc que vous n'appliquiez pas au niveau national la logique que vous souhaitez promouvoir à l'échelle européenne.

Je ne suis en outre pas certain que la trajectoire française de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires soit partagée ailleurs dans le monde. La France possède assurément une des agricultures les plus vertueuses de la planète. Or le contrôle au niveau des frontières européennes et des couloirs d'importation organisés par les traités commerciaux est relativement poreux. Nous devons par ailleurs tenir des positions sur certains marchés à l'export. Cette stratégie ne vous semble-t-elle pas susceptible de dégrader substantiellement notre compétitivité, alors même que nous avons déjà réalisé beaucoup d'efforts ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

En tant que responsable public, il est de mon devoir, s'il est avéré qu'une molécule porte un risque cancérogène pour l'applicateur, de l'interdire, quand bien même d'autres pays en décideraient autrement. Cela procède d'une forme d'éthique en politique.

Je considère qu'il faut d'une part veiller à ce que les pays européens ne créent pas de règles susceptibles d'introduire des distorsions de concurrence, d'autre part que des clauses miroirs et des mesures de réciprocité dans les échanges soient prévues afin que les interdictions en vigueur dans un pays s'appliquent dans le commerce et que les produits importés respectent les standards fixés. Cela me paraît absolument essentiel, car il est question de santé humaine et environnementale.

Le plan Écophyto n'est pas une loi mais une planification stratégique visant à atteindre un objectif de réduction de 50 % de l'usage des produits phytosanitaires par la recherche d'alternatives. Il n'est assorti d'aucune contrainte. La question de l'autorisation ou de l'interdiction des molécules n'est pas traitée dans ce document.

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La trajectoire fixée est pourtant la même que celle du règlement SUR.

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Ce règlement n'a pas été adopté.

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Je soulignais simplement l'écart entre la demande d'étude d'impact que vous portez au niveau européen et son absence dans le cadre du plan Écophyto.

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Je rappelle qu'une réglementation européenne a valeur de loi et s'impose juridiquement, contrairement à un plan stratégique comme Écophyto, dont l'objet est de définir une trajectoire de planification.

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L'objectif fixé dans le cadre de cette trajectoire a néanmoins été décliné dans des politiques et s'est traduit par des contraintes. Le directeur de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) nous a par exemple expliqué que la décision de restriction d'usage relative au glyphosate était strictement nationale.

Vous avez parfaitement expliqué les raisons pour lesquelles les surtranspositions constituaient des distorsions préjudiciables au sein du marché unique. Vous avez déclaré en commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale le 16 mars 2023 que « nous avons sans doute été trop loin dans la surtransposition ». Au début des travaux de la commission d'enquête, j'ai adressé à votre ministère une question à ce propos. Il m'a été envoyé en réponse une étude de FranceAgriMer sur la compétitivité de l'agriculture française, qui ne comporte aucun examen pratique des surtranspositions en vigueur en France.

J'ai également soumis cette question à différentes filières et reçu une réponse de la part de représentants de la filière fruits et légumes (INTERFEL), qui m'ont envoyé une liste conséquente des surtranspositions qu'ils ont identifiées, parmi lesquelles le statut particulier de l'ANSES, une restriction d'autorisation d'utilisation de produits phytosanitaires pourtant homologués par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), la redevance pour pollution diffuse, l'encadrement de l'usage de certains produits phytosanitaires en période de floraison, la question des néonicotinoïdes, l'indice de fréquence de traitement phytopharmaceutique (IFT), l'impossibilité de rechargement des fonds opérationnels pour les organisations de producteurs, des normes de pollution des eaux pour les nitrates plus strictes qu'au niveau européen et l'interdiction de certaines énergies pour le chauffage des serres. Dans le domaine de la culture biologique, les surtranspositions concernent la durée de conversion, l'utilisation de semences, les certifications privées ou encore l'utilisation d'engrais ou de produits phytosanitaires. On note enfin une législation française sur les emballages elle aussi plus stricte que la réglementation européenne.

L'existence de seuils relatifs aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) constituait également une surtransposition de nature à pénaliser la construction de bâtiments d'élevage.

Annoncés par vos soins le 16 mars 2023, l'inventaire et l'examen des difficultés liées aux surtranspositions ont-ils été effectués ? Des mesures ont-elles été prises pour revenir sur cette surréglementation ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Toutes les surtranspositions ne sont pas néfastes par nature : je pense par exemple aux lois Egalim, aux obligations légales de débroussaillement ou aux lois relatives au bien-être animal.

Le travail sur les produits phytopharmaceutiques conduit à ma demande par la ministre déléguée, qui va aboutir en juillet 2024, apportera des éléments d'information tangibles et permettra d'effectuer une distinction claire entre la réalité des surtranspositions, les fantasmes et les décisions souveraines des firmes qui choisissent, pour diverses raisons, de ne plus demander d'autorisation de mise sur le marché français. Il semblerait en effet que l'essentiel des difficultés ne relève pas des surtranspositions mais des extensions d'usage des molécules à d'autres cultures et du choix de certaines sociétés de ne pas solliciter l'homologation de leurs produits dans notre pays. Il est très important de documenter cette question au niveau européen et d'en tirer des conséquences. Lorsqu'une nouvelle molécule est reconnue par l'agence de sécurité sanitaire d'un État comme une alternative possible à un produit phytosanitaire déclaré néfaste pour la santé, il est important qu'une réciprocité et une reconnaissance mutuelle s'élaborent, y compris sur les outils de biocontrôle, sur lesquels la France connaît un certain retard en matière de recherche.

Nous allons par ailleurs examiner plusieurs points de la loi AGEC du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, afin de nous aligner sur le calendrier européen. Cela concerne en particulier la question des emballages.

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Concernant l'interdiction de l'acétamipride, vous demandez une harmonisation des règles au niveau européen. Or il semble peu probable, suite notamment à l'avis rendu par l'EFSA, que la disposition en vigueur en France soit adoptée par d'autres pays européens. Que comptez-vous faire ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Nous allons tout d'abord examiner avec attention la décision rendue par l'EFSA et les différents rapports européens produits récemment sur cette question, qui incitent à réduire les limites maximales d'utilisation de l'acétamipride à un seuil tel qu'il deviendrait inopérant. J'attends de disposer sur le sujet d'une réponse précise de la Commission européenne, qui s'en est saisie sur la base de risques qui semblent avérés. La question est de savoir si la décision prise s'imposera ou non aux États membres. Cette situation nous instruit sur le fait qu'il faudra veiller à l'avenir à ne pas nous situer en avance de phase, car cela engendre de nombreuses difficultés. Bien souvent, lorsque la France a pris une décision, l'Union européenne a suivi. Je ne doute pas que, sur ce sujet comme sur de nombreux autres, l'Union européenne parvienne à terme à une forme d'homogénéisation ; mais l'écueil principal réside dans la chronologie, la désynchronisation.

Nous sommes par ailleurs en train de trouver des alternatives aux néonicotinoïdes dans plusieurs filières. Il reste toutefois un important travail de recherche à mener dans ce domaine.

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Concernant la question des limites maximales résiduelles, je dispose du communiqué de presse des organisations professionnelles concernées, qui ne perçoivent pas nécessairement cette situation comme une difficulté et vous appellent à revenir sur la loi de 2016. Si la Commission européenne décide de prolonger l'utilisation de l'acétamipride, reverrez-vous cette loi ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Je n'ai pas exactement la même analyse de la situation. Cela m'a d'ailleurs conduit à interroger l'EFSA afin de connaître la portée de sa décision. J'attends sa réponse avant de me prononcer.

La question majeure sous-jacente est celle de la recherche d'alternatives à l'utilisation de produits qui, pour l'essentiel, sont interdits au niveau européen.

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De nombreux questionnements agitent le monde agricole, notamment dans ma région d'Occitanie. La France a occupé la présidence de l'Union européenne en 2022. De nombreuses initiatives ont été prises dans ce cadre. Quelle suite la France entend-elle donner à ce projet européen ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

La question de l'harmonisation se pose notamment au niveau énergétique, sur les règles de minimis et les moyennes olympiques, ainsi que dans le domaine des panneaux photovoltaïques. J'entends, au travers des manifestations en cours dans les Pyrénées, que les agriculteurs perçoivent clairement les limites de politiques agricoles nationales et demandent en réalité davantage d'Europe et des règles harmonisées. Cela me paraît rassurant.

Il y a trois ans, personne n'évoquait les clauses miroirs et les règles de réciprocité. Leur mise en lumière est à mettre au crédit de la présidence française de l'Union européenne. Cela suppose toutefois que l'agriculture ne soit pas perçue, dans la doctrine de la direction générale du commerce notamment, comme un sujet connexe sur lequel il serait toujours envisageable d'effectuer des concessions supplémentaires. L'alimentation et l'agriculture sont en effet des éléments centraux, aussi stratégiques que la vente d'automobiles.

Il convient par ailleurs que figurent dans les accords négociés des clauses de réciprocité, afin de ne pas créer de concurrence entre les États, en particulier sur les sujets environnementaux.

Le dérèglement climatique va en outre se traduire par la nécessité de couvrir des aléas et risques de plus en plus nombreux. Les accidents climatiques vont très probablement se multiplier, qu'il s'agisse de la grêle, du gel, de la sécheresse ou des inondations. Or la règle de minimis vient plafonner à 20 000 euros la capacité d'intervention triennale. Les dispositifs prévus risquent donc de ne pas être opérants pour de nombreux sinistrés. Nous avons donc demandé une hausse du seuil, en veillant toutefois à ce que les nouveaux montants ne permettent pas à chaque État membre de mener sa propre politique agricole de compensation ou de surcompensation.

Le rendement de référence est par ailleurs calculé à partir de la moyenne des cinq années précédentes. Or lorsque quatre années sur les cinq considérées se caractérisent par de mauvais rendements, le chiffre de référence est faible et l'assurance rembourse peu. Nous sommes en train d'explorer une voie permettant d'améliorer ce dispositif.

Il importe enfin, dans une perspective européenne, de disposer d'une PAC investiguant davantage la question de la résilience sous aléa climatique. Au-delà de la dimension assurantielle, l'équipement des cultures et l'accès à l'eau sont des sujets centraux. Le défi climatique, notamment dans une région comme l'Occitanie, s'annonce majeur et doit être anticipé. La politique agricole commune doit accompagner cette résilience. Nous sommes ainsi en train d'initier un plan Agriculture méditerranéenne, qui prendra en compte les cultures, les modalités d'accès à l'eau, les outils de transformation, afin d'aboutir à une agriculture résiliente, adaptée au changement climatique.

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Nous avons plus que jamais besoin d'Europe. Les producteurs de volailles français et espagnols travaillent ensemble à l'élaboration de normes communes. Il s'agit d'une nouveauté, porteuse d'espérance.

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

La manifestation agricole qui se déroule à la frontière pyrénéenne possède en effet une forte dimension symbolique, car elle invite à une harmonisation européenne.

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Je souhaite vous interroger sur l'angle mort que constitue la question de la logistique, évoquée lors de la récente audition de M. Stéphane Layani, président de la SEMMARIS, c'est-à-dire le marché d'intérêt national (MIN) de Rungis. La souveraineté alimentaire ne saurait selon moi être évoquée sans aborder la question de la souveraineté des transports. J'ai bien conscience que cette thématique ne relève pas de votre ministère et je comprendrais que vous ne soyez pas en mesure d'aller dans le détail de cette problématique. Je trouverais néanmoins intéressant que nous échangions à ce propos. Quel est selon vous le mode de transport le mieux adapté pour garantir la souveraineté en matière d'acheminement des denrées ? Les énergies utilisées induisent en effet potentiellement des dépendances vis-à-vis d'autres pays, dont les fluctuations géopolitiques sont susceptibles de nous placer en situation de fragilité.

Disposez-vous par ailleurs d'informations relatives au « train des primeurs » qui relie Perpignan au MIN de Rungis et dont la pérennité est mise en péril pour des raisons de coût ? La suppression de cette ligne mettrait sur la route des dizaines de milliers de camions pour acheminer vers la région parisienne les denrées agricoles produites dans le sud de la France.

Que préconisez-vous par ailleurs pour nous affranchir des pays tiers qui nous fournissent en fertilisants ? Est-il souhaitable de continuer à utiliser ces composants sur le long terme ? La recherche laisse-t-elle entrevoir d'autres perspectives ?

Existe-t-il un plan en préparation visant à permettre la réparation des sols ? Cela constituerait selon moi la meilleure réponse possible pour augmenter les rendements des productions tout en restaurant et préservant les écosystèmes et les sols européens et français abîmés par l'utilisation des fertilisants et par les modes de production agricole.

Vous semblerait-il pertinent d'envisager la création de « mini-MIN », c'est-à-dire de déclinaisons du marché de Rungis au niveau local ? Cela permettrait peut-être d'envisager l'approvisionnement sous un autre angle et d'assurer l'organisation de la souveraineté alimentaire à l'échelle nationale et européenne, tout en garantissant la sécurité alimentaire des habitants des grandes métropoles régionales. Cela pourrait également contribuer à réduire la fracture entre villes et campagnes.

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

La question de la logistique est en effet centrale même si, contrairement à une idée répandue, la part du transport dans le coût économique de la production de marchandises est finalement relativement marginale, y compris dans la concurrence internationale.

Les deux leviers d'intervention en matière de logistique résident à la fois dans la décarbonation du transport routier et dans le développement du fret ferroviaire, qui a connu un désinvestissement massif au cours des dernières décennies. La disparition des lignes ferroviaires de transport de productions agricoles, notamment de céréales, a été actée et la capacité de retour en arrière s'avère relativement minime, les emprises ayant souvent été vendues.

Aborder la question de la logistique nécessite tout d'abord, dans la mesure du possible, de repenser les bassins de production afin de limiter les transports en direction des grandes zones de consommation. Dans le cas de productions localisées dans une aire géographique précise, à l'image des fruits et légumes dans le sud de la France, il est évident que la question du train se pose. Le dossier de la ligne Perpignan-Paris n'est pas encore définitivement tranché, même si la volonté du Gouvernement est plutôt de maintenir cette ligne. Je vous informerai dès qu'une décision sera prise.

Il existe différentes manières de s'affranchir de la dépendance aux importations de fertilisants. La première consiste à passer de la fertilisation minérale à la fertilisation organique. Cela soulève la question de la méthanisation et du lien entre élevage et grandes cultures. En effet, dans un système agricole largement spécialisé, les bassins de production animaux ne correspondent pas aux bassins de production de grandes cultures.

Il convient en outre de construire des unités de fabrication d'engrais sur le sol national et européen, en veillant à ce qu'elles soient décarbonées.

La troisième voie envisageable concerne des dispositions telles que la couverture permanente du sol, qui permettent d'améliorer la production de matière organique et d'apporter de la fertilisation azotée par les plantes.

J'ai évoqué récemment la question des « mini-MIN » avec M. Layani. Cet élément mérite réflexion. Il existe déjà en France plusieurs marchés de ce type. Ce modèle me semble intéressant à expertiser pour assurer l'approvisionnement des territoires et les faire entrer dans la logique des lois Egalim, en organisant localement la convergence des productions sur un seul marché. Je suis a priori plutôt séduit par cette idée.

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La question de la rémunération des agriculteurs est essentielle pour relever les enjeux d'alimentation et de souveraineté. La loi Egalim 4, en cours d'élaboration, est très attendue de ce point de vue. Où en êtes-vous de cette réflexion ?

Lors de récentes auditions, plusieurs intervenants, dont le président de Lidl, nous ont expliqué qu'il conviendrait selon eux, avant d'aller plus loin, non seulement de dresser le bilan de la loi Egalim 3 du 30 mars 2023, mais aussi d'auditer la loi de modernisation de l'économie (LME), dont ils estiment qu'elle apporte de l'opacité là où il faudrait davantage de transparence dans la fixation des prix. Je souhaiterais connaître votre point de vue sur cette question.

Nous avons reçu la semaine dernière M. Jean-Claude Bigard, président-directeur général du groupe agroalimentaire éponyme spécialisé dans l'abattage et la transformation de viande bovine, qui nous a indiqué que les marques de distributeurs n'étaient pas soumises aux lois Egalim. Or le modèle devrait selon lui s'appliquer à tous. Confirmez-vous cette information ? Cette question, étroitement liée à celle des revenus, fait-elle partie de vos préoccupations ? Si les agriculteurs ne bénéficient pas de revenus suffisants et si de surcroît la PAC venait à être fragilisée, il est évident qu'il deviendrait extrêmement difficile de relever les enjeux de souveraineté.

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Il m'est difficile de préempter un travail en cours, confié par le Premier ministre à vos collègues parlementaires Alexis Izard et Anne-Laure Babault. Je puis simplement vous indiquer qu'il leur a été demandé d'étudier les biais introduits en particulier par certains acteurs de la distribution par rapport aux lois précédentes, afin de veiller par exemple à la sanctuarisation de la matière première agricole. Il convient ainsi de s'assurer que les négociations se nouent en premier lieu entre le producteur et le transformateur et non entre ce dernier et le distributeur.

Il importe par ailleurs d'analyser les biais introduits par les acteurs ayant décidé de faire appel à des centrales d'achat européennes. Cette pratique a connu une montée en puissance à partir de la promulgation des lois Egalim, avec un objectif de distorsion par rapport aux règles françaises.

La question se pose en outre de savoir s'il convient de maintenir une date butoir pour les négociations. Les positions sur le sujet sont relativement contrastées. Intuitivement, il m'apparaît que la perspective d'une échéance permet de circonscrire la négociation et de faire en sorte qu'elle ne s'éternise pas.

Il est très souvent question, dans les débats, des lois Egalim. Or je tiens à rappeler que les fruits et légumes, la viticulture et les grandes cultures ne figurent pas dans le périmètre de ces lois. D'autres secteurs, comme celui de la viande bovine, peinent à y entrer et à initier un système de contractualisation. Cela procède d'un choix des filières, auquel il ne m'appartient pas de m'opposer.

La situation spécifique des marques de distributeur au regard des matières premières agricoles a été introduite au Sénat par voie d'amendement. Le dispositif, relativement récent, est encore balbutiant. Nous attendons d'avoir davantage de recul pour en tirer des conclusions. Il ne me semble pas possible, compte tenu de la stratégie développée par un certain nombre d'enseignes, de passer cette question sous silence.

Les lois Egalim avaient pour cible première les relations entre distributeurs, transformateurs et producteurs. Elles ont induit une focalisation sur la question de la grande distribution. Or c'est oublier qu'une partie non négligeable de l'écoulement des stocks de produits agricoles s'effectue par l'intermédiaire des services de restauration collective, publics et privés. Il faut que nous avancions sur le sujet, à l'image des obligations d'étiquetage qui sont montées en puissance cette année. Ce segment n'est absolument pas négligeable en volume et peut contribuer à la stabilisation des marchés.

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Ma question concerne la production de betteraves et les politiques en vigueur dans ce secteur. Les importations de betteraves en provenance d'Ukraine sont passées de 20 000 tonnes à 400 000 tonnes en 2022, pour atteindre 700 000 tonnes en 2023. Cela a provoqué une baisse du cours du sucre de 30 % au sein de l'Union européenne, avec un impact direct sur les betteraviers français et les emplois directs et indirects liés à cette production. Même si je crois savoir que des décisions ont été prises pour limiter les importations d'Ukraine pour 2024-2025, j'aimerais que vous nous expliquiez les raisons pour lesquelles vous avez autant ouvert le marché alors que les producteurs ukrainiens de betteraves utilisent vingt-neuf substances actives, fongicides, insecticides, herbicides, interdites dans l'Union européenne.

Je souhaite également vous interroger sur la distorsion de concurrence vis-à-vis l'Allemagne, qui continue à utiliser un produit phytosanitaire interdit en France.

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Votre dernière question illustre parfaitement la raison pour laquelle une harmonisation des règles et de la doctrine en vigueur au sein de l'Union européenne est nécessaire. Il n'appartient cependant pas à la France de fixer des règles de façon unilatérale, sans demander à ses partenaires européens leur avis sur le sujet. Je suis favorable à une évaluation des molécules afin que les décisions prises soient documentées et que l'harmonisation des règles et des pratiques soit effective, à la manière de ce qui existe dans le secteur du médicament.

Concernant plus spécifiquement la filière betteravière, je m'étais engagé, en cas de problème majeur en 2023, à couvrir le risque. Ce dernier s'est finalement avéré moins puissant que prévu, mais nous avons tenu parole.

Nous avons par ailleurs autorisé cette année encore l'utilisation d'un certain nombre de molécules en dérogation. Il semblerait que, pour la première année depuis longtemps, la trajectoire de l'assolement de betteraves soit en phase d'inversion, ce qui constitue une bonne nouvelle. Le marché s'est bien tenu, ainsi qu'en témoignent les résultats des deux principaux opérateurs du secteur. Un élément de confiance a visiblement été rétabli.

La principale puissance de l'Ukraine réside dans son agriculture. Des mesures ont été prises par la Commission européenne, avec le rétablissement d'un seuil. J'ai d'ailleurs alerté la semaine dernière les services de la Commission pour leur indiquer que le quota alloué, calculé sur la base des deux dernières années, était déjà quasiment saturé pour l'année 2024. La solidarité n'empêche pas la lucidité. Il faut, dans le domaine de la betterave comme dans celui des volailles ou des céréales, faire preuve de vigilance afin de ne pas risquer une déstabilisation des marchés. Pour l'instant, l'impact sur les prix reste modéré, mais il existe un risque à terme. Le cours du sucre était historiquement très haut et l'ératicité des marchés induit chez les producteurs le sentiment que, sur le long terme, les étiages vont être relativement élevés. Nous avons par conséquent demandé que des mesures soient prises afin de ne pas nous trouver confrontés à un flux tel qu'il viendrait entraver puissamment la production française.

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Vous avez, lors du dernier Salon international de l'agriculture, lancé le plan gouvernemental renforcé de reconquête de notre souveraineté sur l'élevage. La France bénéficie d'un potentiel agricole diversifié que lui envient nombre de pays. La force de notre agriculture réside précisément dans cette diversité, gage de souveraineté. Pour autant, la souveraineté alimentaire ne consiste pas selon moi à satisfaire l'ensemble des besoins de la population, mais à disposer de productions suffisantes pour d'une part couvrir les besoins dans les domaines les plus utiles et nécessaires, d'autre part disposer de possibilités d'échange renforcées avec les autres pays producteurs.

L'élevage occupe historiquement une place centrale dans le potentiel agricole français. Adossé aux cultures végétales, il a engendré un cycle vertueux qui a forgé le savoir-faire des fermes anciennes et inspiré les exploitations les plus modernes. Si nous perdons ce savoir-faire, nous allons sans aucun doute affaiblir notre capacité à assurer la souveraineté alimentaire du pays. L'élevage contribue à la diversité paysagère et à la vitalité des milieux, qui accueillent les espèces domestiques mais offrent aussi des biotopes et des opportunités de développement à la vie sauvage. Les vertus de l'élevage à la française sont donc considérables. Parmi les cinq axes prioritaires du plan de reconquête de notre souveraineté précédemment évoqué, figure la volonté de « replacer l'élevage au cœur de la transition écologique pour accroître la contribution des filières d'élevage à la décarbonation et améliorer leur résilience ». Pourriez-vous développer ce point ?

Selon moi, notre souveraineté alimentaire réside notamment dans notre capacité à garantir par le travail agricole une résilience et une continuité du potentiel de nos milieux naturels et agricoles associés, pour continuer à produire demain et assurer la vitalité agricole française.

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

L'élevage est souvent associé, dans la représentation collective, à l'image de bovins paissant dans les prairies du Massif central. Le spectre est en réalité beaucoup plus large et va de la production laitière à l'élevage de volailles. Il est donc toujours très délicat d'évoquer l'élevage dans son ensemble.

L'axe 5 du plan que vous évoquez comporte de manière sous-jacente un enjeu de reconquête d'image. Il faut mettre en évidence les aménités positives de l'élevage dans tous les territoires et toutes les filières.

Garder notre souveraineté en matière d'élevage suppose tout d'abord de s'attaquer au problème des surtranspositions et de la lenteur de certaines procédures juridiques ou juridictionnelles, qui conduisent à ce que l'objet du recours ne soit pas de vérifier si le projet mis en cause répond aux exigences environnementales, mais de le faire échouer. Reconquérir 50 % de notre souveraineté dans le secteur de la viande de volaille nécessitera la construction de bâtiments. Il est donc important de soutenir les agriculteurs désireux de s'engager dans cette activité, qui constitue souvent pour eux une voie de diversification.

Il convient de dissocier la production de volailles et de porcs de l'élevage ovin, qui présente une différence structurelle et se caractérise par un coût du kilogramme de viande assez élevé.

La question des émissions de carbone concerne essentiellement l'élevage bovin, au travers de la production de méthane. Plusieurs pistes sont à l'étude dans ce domaine. Il importe tout d'abord de penser la réduction de l'empreinte carbone au niveau de la conduite de l'élevage. Des études de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) montrent par ailleurs que l'alimentation et les compléments à base d'algues constituent de puissants leviers. La recherche internationale se concentre essentiellement, dans ce domaine, sur la question de la décarbonation. Le Brésil, les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande investissent massivement dans ce champ d'investigation. Il faut que nous fassions écho à cette démarche.

Le maintien des exploitations bovines existantes est également un enjeu majeur. Lorsqu'une exploitation disparaît, il est en effet très difficile par la suite de procéder à une installation ex nihilo. Cela est moins compliqué pour les élevages de porcs, de volailles, voire d'ovins. L'un des défis sera de parvenir à faire cohabiter élevage et grandes cultures afin de faciliter le passage d'une fertilisation minérale à une fertilisation organique. Ce modèle de diversification par l'élevage, qui permettrait par ailleurs de répondre en partie à l'équation carbone, reste à construire.

Pour un agriculteur, la reprise d'une exploitation d'élevage est une démarche lourde. Il est donc nécessaire de développer les fonds de portage et de garantie.

Nous travaillons enfin sur la question cruciale des outils de transformation. Plusieurs dizaines de millions d'euros ont été investis dans la rénovation et la modernisation des abattoirs grâce au plan France relance. Il existe là un sujet de volume, d'adéquation, de spécialisation. Nous menons ainsi, dans le cadre du plan « abattoirs », une réflexion visant à identifier les outils et mesures d'accompagnements adéquats afin de garantir une forme d'approvisionnement et de régulation de l'abattage.

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J'insiste sur le fait que l'avenir et la richesse du patrimoine naturel sont étroitement liés au devenir de l'élevage. Il convient de ne pas dissocier ces deux éléments.

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Le dernier sujet de résilience sur lequel il convient de travailler est la question sanitaire. Nous avons devant nous des risques de zoopathies extrêmement forts, avec des conséquences désastreuses pour les exploitations, qu'il faut accompagner. L'investissement de près d'un milliard d'euros réalisé dans la filière volailles française a permis de la sauver. La France est le pays qui a le plus soutenu cette filière dans ses différentes composantes.

Ce sujet renvoie à l'approche « Une seule santé », car il concerne la santé des animaux mais aussi celle des humains et plus globalement de l'environnement.

Le dérèglement climatique va par ailleurs conduire à ce que se développent en France des maladies que nous ne connaissions pas, comme la MHE, jusqu'alors cantonnée à l'autre rive de la Méditerranée. La résurgence d'infections que nous pensions disparues ou l'émergence de nouvelles maladies peuvent tuer une filière. Je pense par exemple à la tuberculose bovine qui, au-delà du drame humain qu'elle représente pour les éleveurs concernés, soulève des questions d'abattage de troupeaux et d'indemnisation. Il faut, là encore, anticiper. Ce volet est intégré dans le cinquième axe du plan.

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Après la crise du covid, le président Macron s'était exprimé de façon extrêmement forte sur l'importance de la souveraineté alimentaire. L'appellation du ministère que vous dirigez intègre cette notion pour la première fois dans l'histoire. Cette attribution a-t-elle été détaillée dans la lettre de mission qui vous a été adressée ? Cela a-t-il conduit à la mise en place d'une administration dédiée ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

L'importance accordée par le Président de la République à la question de la souveraineté alimentaire n'est pas nouvelle, mais elle s'est accentuée avec la crise du covid et les bouleversements géopolitiques récents.

Je vous confirme qu'il est mentionné dans mon décret d'attribution qu'il m'appartient de veiller à la souveraineté alimentaire. Cela s'est traduit par l'élaboration des différents plans précédemment mentionnés. Je crois beaucoup à l'efficacité d'actions de planification sectorielle. Pour autant, il n'existe pas au sein du ministère de direction dédiée à la souveraineté, dans la mesure où cette notion est transversale et intègre des éléments relatifs à la recherche, la formation, la discussion européenne, la planification, l'allocation de moyens fiscaux ou financiers.

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La notion de souveraineté alimentaire est-elle définie ou seulement citée dans votre décret d'attribution ? Lors de votre nomination en 2022, la Première ministre avait-elle donné un cap et des objectifs précis à votre action ? L'arrivée de M. Attal à Matignon a-t-elle induit des changements dans la feuille de route de votre ministère ? La crise agricole a-t-elle conduit à une appréhension différente de la question ? Bien qu'elle ne figure pas dans l'intitulé des précédents ministères, la dimension de souveraineté alimentaire était-elle prise en compte auparavant et, dans l'affirmative, selon quelles modalités ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Le choix de l'intitulé d'un ministère envoie des signaux politiques. L'émergence de la notion de souveraineté est le fruit d'une prise de conscience collective suscitée par l'évolution de la situation sanitaire et géopolitique mondiale. Personne, auparavant, n'envisageait la possibilité d'une guerre autour d'enjeux alimentaires. Le conflit en Ukraine a montré que certains régimes pouvaient faire de l'agriculture et de l'alimentation une arme puissante.

Le décret d'attribution mentionnait seulement le périmètre de mes responsabilités et les administrations sur lesquelles j'avais autorité, sans décrire les différents aspects des politiques publiques à mener dans ce cadre. Les précisions étaient apportées par la lettre de mission rédigée par la Première ministre lors de ma nomination, puis chaque année par la suite. Cette lettre indiquait par exemple clairement que je devais proposer un plan spécifique pour les fruits et légumes, veiller à la souveraineté dans le domaine de l'élevage ou encore déployer les crédits de la planification écologique. Sur la base de ces grandes orientations, j'ai demandé à mon administration, en lien éventuellement avec d'autres ministères et les professionnels des différentes filières, d'élaborer des politiques publiques et de les décliner en actions concrètes.

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Comment s'organise le suivi de ces politiques publiques au gré des évolutions géopolitiques ? Prenons le cas des céréales et l'instrumentalisation de ce secteur par la Russie. J'ai appris qu'aucune sanction européenne n'avait été imposée aux céréales russes. Lorsque ce sujet émerge et soulève des questions de souveraineté, comment le Gouvernement organise-t-il le suivi du dossier ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

La question des céréales n'est pas réellement un sujet de préoccupation pour la France, pays très exportateur dans ce domaine. Notre agriculture couvre en effet 300 % de nos besoins en orge et 200 % en blé tendre.

Considérons plutôt l'exemple du plan de souveraineté pour les fruits et légumes et les modalités de son élaboration. Nous avons commencé par analyser les chiffres disponibles et identifier les filières ayant perdu en souveraineté, c'est-à-dire en capacité d'approvisionnement de notre besoin domestique. Nous avons ensuite réuni les professionnels afin de connaître les freins auxquels ils sont confrontés : difficultés à l'installation, problèmes de compétitivité, d'outils de production, d'accès à l'eau, impasses techniques phytosanitaires, etc. Sur cette base, nous avons construit avec les professionnels et dans une logique interministérielle un plan mêlant investissement, recherche, innovation et accompagnement des filières.

Dans le domaine du blé dur, nous avons constaté depuis une quinzaine d'années une perte de surfaces et un manque d'opérateurs de transformation. Nous avons donc réuni les acteurs amont et aval et investi dans la recherche. La démarche est finalement assez empirique : il s'agit de comprendre les facteurs expliquant la baisse d'une filière, d'envisager les moyens à investir pour pallier les difficultés identifiées et de déterminer les engagements respectifs de l'ensemble des acteurs en présence.

Sur la question des céréales, je pense que l'Europe pâtit d'un manque d'analyse stratégique prospective de moyen et long terme pour anticiper l'évolution des marchés mondiaux et infléchir si nécessaire la politique agricole commune. Dans ce domaine, l'Europe est principalement dépendante de la Russie, de l'Ukraine et, dans une moindre mesure, du Canada. Il convient donc, dans une perspective de temps long et de dérèglement climatique, de connaître précisément la capacité de production européenne et d'imaginer les évolutions nécessaires pour faire face aux aléas. Je rappelle que la céréale est l'aliment de base des humains et des animaux. Il faudrait que ces sujets soient plus et mieux débattus au niveau européen, afin que nous puissions, collectivement, développer une stratégie puissante, offensive et prescriptive sur les marchés mondiaux, au lieu de les subir.

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Lors de votre prise de fonction, des actions étaient-elles déjà en cours dans les services du ministère sur les questions de souveraineté ?

En 2014, des sanctions européennes et des contre-sanctions russes sont intervenues sur les questions agricoles. La Russie avait alors accru ses capacités en matière d'élevage de bovins pour la viande et le lait et n'avait d'ailleurs pas hésité à débaucher des éleveurs français. Des démarches similaires ont été observées dans d'autres filières et de la part d'autres régimes autoritaires, en Asie notamment. Dès lors, ces pays ont obtenu des parts de marché importantes dans un certain nombre de productions particulièrement sensibles. Alors que les démocraties fonctionnent sur un système d'offre et de demande fondé sur des valeurs libérales, un régime autoritaire a la capacité, en cas de forte production, de procéder temporairement à de la rétention de stocks, remis ultérieurement sur le marché. Menez-vous une réflexion sur ce sujet ? Comment réagir si une puissance autoritaire dotée d'un pouvoir de marché très important sur un ou plusieurs produits critiques provoque un effondrement artificiel des prix ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Dès lors que l'on est exportateur des produits concernés, le risque que vous mentionnez n'existe pas. Or la France est un grand pays céréalier et l'un des acteurs majeurs sur ce marché à l'échelle européenne et mondiale.

De façon plus globale, votre question concerne la manière de se prémunir contre les pays détournant les règles du jeu économique à leur avantage. Se mettre totalement à l'abri des fluctuations de prix supposerait de définir des prix garantis au sein de l'espace européen, ce qui aurait pour conséquence un blocage des exportations vers l'extérieur de l'Europe et une incapacité à écouler les stocks. L'objectif est donc plutôt de limiter notre dépendance vis-à-vis de la Russie et de développer une stratégie de coalition avec le continent américain par exemple, afin de remettre les mauvais joueurs sur le droit chemin. Il faut coopérer avec des pays qui n'ont pas envie de prendre le risque d'une crise alimentaire. Nous ne pouvons nous priver d'aller sur les marchés mondiaux, d'une part pour des raisons d'équilibre économique de nos filières, d'autre part pour des motifs géopolitiques. Il n'est pas antinomique à mes yeux de développer à la fois une stratégie européenne et une stratégie mondiale.

La fluctuation des prix est un tout autre sujet. S'extraire du marché n'est pas une solution satisfaisante car cela fait courir le risque de devenir une puissance mineure et de disparaître. Dans les années 1920 a été inventé aux États-Unis un système de régulation non des prix, mais des revenus des agriculteurs. Cette piste me semble intéressante à creuser afin d'éviter une déstabilisation de l'appareil de production.

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La filière des protéines végétales est un exemple intéressant en matière de plan de souveraineté. L'ambition d'être plus autonome et suffisant dans ce domaine est ancienne. Plusieurs de vos prédécesseurs l'ont évoquée. Comment s'organise le suivi d'un tel plan dans la durée ? Les objectifs fixés précédemment par MM. Denormandie et Le Foll étaient-ils complémentaires ou contradictoires ? Estimez-vous avoir avancé concrètement sur ce dossier depuis votre arrivée au ministère ? Quels blocages avez-vous éventuellement rencontrés ? Comment avancer mieux et plus vite ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

J'avoue ne pas avoir eu l'idée, en arrivant au ministère, d'établir un état des lieux. J'ai repris les dossiers en cours et me suis attaché à promouvoir une forme de continuité de l'effort entrepris. Les bilans s'effectuent de manière pluriannuelle, en comparant les résultats obtenus à la trajectoire prévisionnelle.

La question de la souveraineté s'inscrit nécessairement dans la durée : il faut du temps pour la perdre, mais aussi pour la reconquérir. Concernant les fruits et légumes par exemple, nous nous sommes fixé un objectif de + 5 points à un horizon de trois ou quatre ans et de + 10 points à dix ans.

Le frein principal rencontré dans le cadre du plan Protéines végétales relève d'une impasse technique et de production. Ces cultures sont en effet concurrencées par le maïs et les céréales, si bien que l'opérateur agricole n'a pas toujours intérêt économiquement à semer des protéines végétales. Le développement de ces productions suppose par ailleurs l'existence d'outils de transformation et d'une contractualisation.

Les effets des plans se mesurent dans le temps long. Le plan Blé dur, que j'ai signé en février 2024, ne donnera sans doute pas de résultats tangibles avant 2026 ou 2027. Il faut agir dans la durée et ne surtout pas alimenter chez les opérateurs le sentiment qu'il pourrait s'agir d'une action de communication. Le bon fonctionnement d'un plan se mesure aux investissements réalisés par les agriculteurs, au degré d'appropriation des outils par les différents acteurs, au niveau de contractualisation et à l'implication des opérateurs.

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Nous en sommes au troisième plan Protéines végétales en dix ans. La volonté de devenir autonome dans ce domaine est ancienne. Je ne comprends pas les raisons pour lesquelles la France et l'Europe sont encore structurellement en déficit dans ce secteur, ni celles pour lesquelles vous n'avez souhaité effectuer aucune évaluation à votre arrivée au ministère.

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

La date de nomination d'un ministre ne détermine pas le calendrier des évaluations des plans et des politiques publiques, établi annuellement avec les filières. Mon rôle est de donner des impulsions, de soulever des questionnements, de déterminer par exemple pourquoi un plan ne donne pas les résultats escomptés.

En l'occurrence, les raisons du blocage sont de nature agronomique, technique, et liées à la concurrence avec d'autres filières jugées plus intéressantes par les agriculteurs. Il est donc nécessaire de contractualiser, de structurer l'aval afin que les producteurs trouvent un intérêt économique à la culture des protéines végétales. Cette filière a connu une baisse de rendement de 30 à 40 % au cours des deux dernières décennies. Seule la recherche permettra de lever les impasses agronomiques et d'offrir aux agriculteurs la possibilité de tirer de cette production des revenus suffisants. Cela prend du temps.

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Vous n'avez pas répondu, monsieur le ministre, à la question concernant l'acétamipride et un éventuel retour sur la loi de 2016. Je comprends votre ambition en matière de recherche d'alternatives mais force est de constater que les travaux entrepris en ce sens n'ont pas abouti. Cela conduit non seulement à une distorsion de concurrence, mais aussi à une forme de décroissance. Une harmonisation de l'interdiction au niveau européen induirait également des pertes de rendement.

Vous avez indiqué en commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale le 21 septembre 2022 : « Nous serons attentifs à la poursuite de la contractualisation engagée de manière anticipée dès 2022 pour les porcs et les bovins, le lait de vache et de brebis. Elle sera effective au 1er janvier 2023 pour les autres filières. La contractualisation est au fondement de la souveraineté alimentaire grâce à la stabilisation qu'elle induit. » Quelles démarches avez-vous engagées pour vous assurer de l'effectivité de ces contractualisations ? Alors que vous réfléchissez à une quatrième version des lois Egalim, ne serait-il pas opportun de vérifier au préalable que les trois premières ont bien été appliquées ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

La contractualisation est une nécessité et des contrôles sont effectués dans les secteurs où elle est obligatoire. Dans des filières comme celle de la viande bovine, certains acteurs n'y sont pas favorables. Faut-il les pénaliser ? Il va falloir que chacun soit placé face à ses responsabilités. Nous vérifions que les transformateurs ont bien proposé la contractualisation, mais il est difficile d'aller au-delà. Il sera intéressant de connaître les propositions formulées à ce sujet par la mission parlementaire en cours. Je pense que le salut de nombreuses filières passe par la contractualisation, qui permet notamment de lisser les aléas. Nous procédons pour l'heure à des contrôles, en attendant mieux.

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Une filière est composée des producteurs, des industriels de la transformation et de la grande distribution. Les lois Egalim ont vocation à rééquilibrer les relations entre ces trois catégories d'acteurs. S'en tenir à la position exprimée par la seule interprofession, au sein de laquelle se manifeste une position dominante, ne conduirait-elle pas à désavantager les producteurs ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Je perçois les possibles biais d'une telle situation. Il n'est toutefois pas envisageable de souhaiter que l'interprofession s'organise et de ne pas tenir compte des avis qu'elle exprime. S'ajoute à cela le fait que les positions au sein de chaque catégorie d'acteurs ne sont pas nécessairement homogènes. Le problème est complexe et j'attends beaucoup du travail conduit par la mission parlementaire. Je ne peux en aucun cas contourner les organisations collectives. Les interprofessions sont utiles. Je suis en revanche ouvert à une réflexion sur les secteurs présents ou absents des dispositifs des lois Egalim.

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Lors du dernier Salon international de l'agriculture, le Président de la République a fait une annonce relative aux prix planchers. Avez-vous été associé à cette réflexion ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Oui.

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Pourriez-vous nous expliquer en quoi consistent ces prix planchers ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Le prix plancher est la base sur laquelle s'élabore la négociation entre le producteur et le transformateur, à partir d'indicateurs de coûts de production – dont certains restent à construire – dans l'ensemble des filières.

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Cela figure dans les lois Egalim : la construction du prix s'effectue déjà sur la base d'une première proposition du producteur, tenant compte d'un certain nombre d'indicateurs de coûts de production. Qu'apporte cette annonce ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Il est important de travailler sur ces indicateurs et sur la manière dont ils sont incrémentés dans la négociation. L'objectif des lois Egalim était que le prix se construise à partir des coûts de production. Il n'a manifestement pas été atteint. Il est donc nécessaire d'élaborer des indicateurs couvrant véritablement ces coûts.

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Cette annonce constitue en somme un constat d'échec de l'effectivité des lois Egalim et ne conduira pas à l'amélioration du dispositif par l'apport d'outils nouveaux.

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Mettre en place un système de prix planchers fixés par l'État et faisant abstraction de la réalité des marchés impliquerait de fermer les frontières européennes. Les agriculteurs demandent une rémunération tenant compte des coûts de production. D'aucuns estiment que les lois Egalim sont un échec. Les éleveurs laitiers considèrent plutôt, hors inflation, qu'elles ont constitué une avancée. Il faut approfondir le sujet et étudier les biais introduits dans le calcul des coûts de production.

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Votre propos sous-entend que des prix tenant compte des coûts de production conduiraient à un déséquilibre en matière de compétitivité et qu'il serait par conséquent plus raisonnable d'y renoncer. Faire l'impasse sur un mécanisme permettant de garantir un prix rémunérateur pour les agriculteurs reviendrait à accepter que les producteurs français s'alignent sur la concurrence. Cela milite peut-être en faveur de la mise en place d'outils de régulation, de rééquilibrage des distorsions, sous la forme par exemple d'une priorité accordée aux productions françaises dans la commande publique.

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Le système que vous préconisez mettrait en difficulté de nombreux agriculteurs, parmi lesquels les éleveurs laitiers, qui exportent la moitié de leur production, mais aussi les producteurs de fromages et de céréales. Fermer les frontières aux importations revient en effet, par réciprocité, à bloquer les exportations.

Je prétends par ailleurs que le sujet majeur ne concerne pas la concurrence européenne, mais une mauvaise répartition de la valeur au sein de la chaîne. La question des coûts de production ne renvoie pas seulement à la notion de compétitivité vis-à-vis de nos collègues et partenaires européens. Il s'agit de veiller à ce que les coûts de production créent un prix de démarrage sur la base duquel s'engage la négociation.

La France est largement souveraine pour de nombreuses productions agricoles. Cela signifie que nous exportons nos produits. La solution consistant à ce que l'État fixe administrativement un prix sans tenir compte de la réalité des équilibres du marché reviendrait à y renoncer.

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Accorder la priorité aux productions françaises dans la commande publique n'est pas synonyme d'une fermeture des frontières.

Ma dernière question porte sur le traité de libre-échange avec le Maroc, qui s'est traduit en 2022 par l'importation de 425 000 tonnes de tomates. Cet accord signé en 2002 prévoit des seuils de déclenchement de l'exonération de taxe qui n'ont quasiment pas été revus depuis son entrée en vigueur. Les agriculteurs marocains se sont en outre spécialisés dans la production de tomates cerises, ce qui leur a permis de dépasser le seuil autorisé. Je vous ai adressé par écrit une question sur la possible revalorisation de ces seuils. La réponse qui m'a été apportée est la suivante : « Les travaux techniques menés entre les services du ministère chargé de l'agriculture et les organisations professionnelles n'ont pas permis à ce stade de construire une proposition de modification de la méthode de calcul de la valeur forfaitaire à l'importation et de modification du code douanier qui en découlerait qui soit suffisamment argumentée au fond pour convaincre de la nécessité d'un changement. Cette étape est déterminante, sachant que sur ces deux points la décision dépend in fine de la Commission européenne. »

Nous avons auditionné les représentants de la filière tomates et concombres, qui nous ont indiqué travailler à l'évolution de ces seuils au niveau européen mais n'avoir eu aucun échange avec votre ministère sur le sujet. Or le Gouvernement pourrait sans doute être un relais important auprès de la Commission européenne. Qu'en pensez-vous ?

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Plusieurs représentants de cette filière m'ont accompagné lors d'une visite au Maroc, au cours de laquelle nous avons évidemment pu échanger.

La difficulté est plutôt de trouver un terrain d'entente avec l'autre partie. La question de la souveraineté ne doit pas être traitée de façon cloisonnée : il existe avec le Maroc d'autres sujets agricoles que celui de la tomate. Les accords sont globaux et concernent également la filière bovine, les céréales, la potasse. Il faut trouver un équilibre et envisager l'ensemble des sujets.

La filière tomates connaît en outre des difficultés en matière de compétitivité interne.

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Nous arrivons au terme de cette audition, dont je remercie l'ensemble des intervenants.

La séance s'achève à dix-neuf heures trente.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Rodrigo Arenas, M. Grégoire de Fournas, M. Jordan Guitton, M. Stéphane Mazars, Mme Joëlle Mélin, M. Serge Muller, M. Hubert Ott, M. Rémy Rebeyrotte, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Patrick Vignal

Excusé. – Mme Mélanie Thomin