Les récents débats relatifs au projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations nous ont permis d'échanger sur la nécessité de préserver et renforcer la souveraineté alimentaire, ainsi que sur les moyens d'y parvenir.
La pandémie de covid-19, puis la guerre en Ukraine et ses conséquences, ont montré la capacité de la chaîne alimentaire française et européenne à résister à de tels chocs et à garantir l'approvisionnement de nos concitoyens, y compris dans des situations de crise majeures. Elles ont également révélé certaines fragilités de nos systèmes de production.
La France est le premier pays de l'Union européenne en matière de production agricole. Elle continue à beaucoup exporter, même si elle est passée du deuxième au sixième rang mondial en vingt ans. Le secteur agroalimentaire est le premier employeur français. En 2023, la balance commerciale française des produits agricoles et agroalimentaires demeurait largement excédentaire, à hauteur de 5,1 milliards d'euros. Cet excédent est toutefois en repli de 44 % par rapport au niveau record de 2022, lié à la forte hausse du prix des céréales. La balance commerciale avec les pays tiers reste excédentaire de 9,7 milliards d'euros. En revanche, nos échanges avec les pays de l'Union européenne sont déficitaires de 4,6 milliards d'euros environ. Ils le sont également pour les produits transformés, en dehors des vins et spiritueux.
Les résultats de notre commerce extérieur doivent être analysés en tenant compte de difficultés conjoncturelles telles que la variation des prix ou les épizooties, dont l'influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) touchant les volailles.
Les rapports sur la souveraineté alimentaire, dont celui transmis par le Gouvernement au Parlement le 3 avril 2024, mettent par ailleurs en lumière des dépendances de notre pays aux importations dans plusieurs domaines, dont les protéines pour l'alimentation animale, les fruits et légumes, la viande de poulet, les engrais azotés, les matières grasses et additifs pour l'industrie alimentaire, le matériel agricole et l'énergie fossile, indispensable au fonctionnement de nos outils économiques.
Certaines de ces dépendances concernent l'Union européenne dans sa globalité. Je pense par exemple aux engrais, à l'énergie, à l'alimentation animale et aux biocarburants.
Ces analyses mettent également en évidence des vulnérabilités liées aux conséquences du changement climatique, avec des risques de sécheresse, d'inondations, de stagnation ou de baisse des rendements, des dangers sanitaires associés à la multiplication des maladies vectorielles comme la maladie hémorragique épizootique (MHE) ou encore des menaces pesant sur les pollinisateurs et la biodiversité.
L'activité agricole elle-même est mise en péril par le vieillissement des actifs, l'insuffisance des revenus dans certains secteurs, la pénurie de main-d'œuvre et l'artificialisation des sols agricoles.
Des menaces pèsent en outre sur la compétitivité de nos outils de transformation agroalimentaire, certains produits bruts exportés comme le blé dur ou la pomme de terre revenant sur le sol national sous forme de produits transformés.
Enfin, la relation avec la société est parfois compliquée. Des contradictions se font ainsi jour entre la vision des citoyens et celle des consommateurs.
Les crises récentes ont rappelé avec brutalité l'importance stratégique de notre agriculture et mis en lumière le comportement agressif de certains pays grands producteurs et exportateurs de denrées agricoles, qui n'hésitent pas à utiliser l'agriculture et l'alimentation comme des armes à l'échelle mondiale.
Ces éléments d'analyse montrent que même si notre souveraineté alimentaire n'est globalement pas menacée à court terme, la situation est contrastée d'une filière à l'autre et certaines fragilités structurelles doivent être prises en considération. Il est impératif que nos politiques publiques veillent à préserver et améliorer cette souveraineté, dans un cadre européen dont nous dépendons et qui constitue une réponse aux défis auxquels nous sommes confrontés, mais aussi à l'échelle internationale, où nous assumons des partenariats stratégiques pour lutter contre la faim et sécuriser l'approvisionnement alimentaire chez certains de nos partenaires.
La souveraineté alimentaire ne doit pas être synonyme de repli sur soi ou d'autarcie. Il s'agit de maîtriser les dépendances identifiées à l'importation et à l'exportation, d'être maîtres de notre destin et de choisir nos alliances, afin de contribuer à la paix et faire en sorte que l'alimentation ne soit pas un objet de guerre.
Il convient tout d'abord d'agir en Européens, en harmonisant les règles et les pratiques, en renforçant les exigences à l'importation et en établissant des garanties de concurrence équitable dans le marché intérieur. Cela suppose une mise en cohérence des politiques sectorielles de l'Union européenne en matière d'agriculture, d'alimentation, mais aussi de commerce et d'environnement. Il importe également de veiller à éviter le recours excessif à des dérogations et surtranspositions nationales. Les exigences imposées aux producteurs français et européens sont d'autant moins acceptées que ces derniers sont confrontés à la concurrence d'importations non contraintes. Tous nos voisins européens sont sensibles à cette problématique, même si l'enjeu de la souveraineté alimentaire est envisagé différemment d'un pays à l'autre, certains préférant parler de sécurité alimentaire, d'autonomie ou d'indépendance stratégique.
Je rappelle que la déclaration de Versailles, adoptée en mars 2022 pendant la présidence française de l'Union européenne, avait vu les États membres s'accorder sur la nécessité d'améliorer notre sécurité alimentaire commune en réduisant notre dépendance aux importations des principaux produits et intrants agricoles.
Nous devons poursuivre le travail de conviction amorcé en matière de réciprocité des normes lors de cette présidence française, avec l'introduction de clauses miroirs dans la réglementation de l'Union européenne et de conditionnalités tarifaires dans de nouveaux accords de commerce, en particulier pour les productions sensibles. Cela ne signifie pas que toutes nos normes doivent s'imposer systématiquement de façon extraterritoriale, partout dans le monde. L'Union européenne doit simplement, pour certaines normes clés, ayant des impacts significatifs sur l'environnement mondial, renforcer son action et être plus attentive à la dimension de réciprocité. C'est ainsi que nous avons procédé par exemple avec la Nouvelle-Zélande sur le sujet du bœuf à l'herbe.
La défense de notre souveraineté alimentaire implique par ailleurs, dans certaines circonstances, de déployer des instruments de défense commerciale aux frontières de l'Union européenne. Cela est nécessaire en cas de dumping, afin par exemple de protéger des sites de production d'engrais face aux importations d'urée ou d'ammoniaque en provenance de Russie. Le déploiement de telles mesures est conforme aux règles du commerce international, auxquelles la France est attachée.
Le travail à mener en Europe passe également par la simplification des procédures imposées aux agriculteurs, notamment en matière de conditionnalité des aides de la Politique agricole commune (PAC). Nos efforts pour convaincre la Commission européenne que la conditionnalité des aides devrait être mieux ciblée et aller de pair avec l'objectif de souveraineté ainsi ont porté leurs fruits dans le cadre de la réouverture des actes de base de la PAC. Cela passe tout d'abord par la suppression de l'obligation de jachère. Il s'agit par ailleurs d'éviter l'accélération de la déprise de l'élevage par un empilement de règles sur les prairies et d'apporter de la flexibilité aux agriculteurs pour mieux tenir compte de certaines situations particulières, sans recul environnemental global.
L'action européenne se poursuit également s'agissant de l'amélioration de la place des agriculteurs dans la chaîne de valeur. Des travaux ont été engagés à la demande de la France pour compléter la directive de lutte contre les pratiques commerciales déloyales dans la chaîne de valeur agroalimentaire et faire en sorte, grâce à une transparence et une coopération accrues entre autorités, que les centrales d'achat européennes ne puissent plus contourner les règles applicables dans les États membres en jouant sur les différences de transposition nationale du droit de l'Union européenne.
S'agissant enfin de l'avenir de l'agriculture européenne, il faudra, à l'issue du dialogue stratégique engagé par la présidente de la Commission européenne, repartir sur des bases renouvelées. Cela suppose de réinterroger le Pacte vert et la stratégie « De la ferme à la table » à l'aune de l'objectif de souveraineté et de l'exigence de durabilité, en gardant à l'esprit la prochaine réforme de la PAC et les éventuelles perspectives d'élargissement à long terme.
Il ne s'agit pas d'opposer agriculture et environnement, mais de reconnaître qu'aucune transition ne sera efficace si elle n'est pas juste. Nous ne sommes pas opposés par principe aux objectifs du Pacte vert pour l'Europe, mais considérons que leur atteinte doit s'effectuer dans des conditions acceptables et ne pas se traduire par une diminution de la capacité ou de la production européennes et une augmentation des produits importés. Ce Pacte doit être un gage de compétitivité pour notre agriculture, non un frein. Cela implique une meilleure application des normes de production de l'Union européenne aux produits importés, mais aussi un accompagnement permettant aux agriculteurs d'effectuer ces transitions sans impact négatif sur leur potentiel de production et leur compétitivité. Il faudra définir dès que possible une stratégie à l'échelle européenne afin que le haut niveau d'exigence environnemental et social qui caractérise nos productions agricoles soit un atout pour les producteurs français et l'ensemble du continent.
Il nous faut enfin agir au niveau national, en limitant nos dépendances et en investissant dans l'appareil productif et l'accompagnement des transitions. Il est vital, pour relever les défis qui se présentent à nous, d'atteindre une plus grande autonomie stratégique dans le domaine alimentaire en réduisant notre dépendance à certains produits importés. Le Gouvernement a ainsi travaillé avec les acteurs des filières concernées pour déployer une série de plans de souveraineté visant à répondre aux enjeux économiques et environnementaux. Je pense tout d'abord aux plans Protéines végétales et Fruits et légumes, qui relèvent des politiques prioritaires du Gouvernement et dont le financement est assuré en 2024 grâce aux crédits de la planification écologique. Le plan de souveraineté Élevage renforcé, présenté lors du dernier Salon international de l'agriculture, insiste sur la nécessité de produire ce que nous consommons ; des travaux d'approfondissement sont en cours au sein des interprofessions. Le plan de souveraineté pour le blé dur, porté par Intercéréales, a été signé en février 2024. Un plan Engrais est enfin en cours d'élaboration, pour une présentation à l'automne 2024. L'enjeu de ces plans est de réduire nos éventuelles dépendances, de les identifier et de les maîtriser par la diversification et la sécurisation de nos partenariats commerciaux, à l'importation et à l'exportation.
Compte tenu de la montée en puissance des aléas géopolitiques, réduire nos dépendances suppose de travailler à l'amélioration de la compétitivité et du positionnement commercial de nos produits agroalimentaires. Nous devons pour ce faire accompagner les investissements de l'ensemble des maillons de la chaîne agroalimentaire. Le programme France relance, qui reste d'actualité, a ainsi permis de mobiliser un budget de 2,2 milliards d'euros en faveur de la souveraineté alimentaire, autour de trois axes prioritaires : la troisième révolution agricole, la santé nutritionnelle et la réduction des gaz à effet de serre.
Nous devons en outre maintenir ou améliorer le revenu des agriculteurs, ainsi que le partage de la valeur dans la chaîne alimentaire. Grâce aux lois Egalim 1 et 2, la construction du prix des produits s'effectue désormais à partir des coûts de production, avec un renforcement de la contractualisation et, depuis le 1er janvier 2022, la transparence du coût de la matière première agricole. Cela vise à consolider la chaîne alimentaire, en veillant à la viabilité de chacun des maillons qui la composent et en évitant toute situation de conflit aboutissant à une destruction de la valeur et à une fragilisation de l'amont et des industries agroalimentaires. Je rappelle qu'une mission parlementaire confiée à deux députés a été créée sur ces différents aspects, en vue de renforcer le cadre des relations commerciales.
Le Gouvernement soutient par ailleurs la transition des systèmes agricoles et alimentaires afin de les rendre plus durables et résilients face aux changements climatiques. La transition écologique doit nous permettre d'y parvenir, en misant sur la sobriété, l'innovation et les pratiques agroécologiques. Nous avons engagé cette démarche dans le cadre de la PAC qui, par l'intermédiaire du plan stratégique national (PSN), vise à améliorer la souveraineté et la résilience par un ciblage des aides sur les filières et territoires les plus fragiles, le doublement des aides couplées aux légumineuses et la réforme des aides couplées à la filière bovine afin d'inciter à la création de valeur dans le domaine de l'engraissement et de mieux soutenir l'élevage laitier. Cela se traduit également par des mesures agro-environnementales, une aide complémentaire au revenu pour les jeunes agriculteurs et des outils de gestion des risques. Enfin, les crédits de la planification écologique vont venir conforter la résilience et l'adaptation de nos entreprises agricoles, à hauteur de 800 millions d'euros pour le seul volet agricole.
Je tiens à souligner la mise en place d'un nouveau système de couverture des risques, conçu en réponse aux enjeux de résilience et de souveraineté face à la multiplication des aléas climatiques. Depuis 2023, un dispositif unique à trois étages permet aux agriculteurs de bénéficier, en cas d'aléa majeur, d'une couverture minimale en complément du système assurantiel.
Le Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique a par ailleurs construit une feuille de route qu'il convient désormais de déployer, dans le cadre notamment du plan Eau.
Une partie de la souveraineté agricole et alimentaire se joue enfin dans la capacité à renouveler les générations d'agriculteurs et à disposer sur l'ensemble du territoire d'exploitations permettant de garantir le niveau des productions agricoles françaises en volume, en qualité et en diversité.