La dissonance entre la réalité et la manière dont elle est perçue me semble assez générale et caractéristique de l'état d'esprit français. Elle dépasse le seul secteur agricole.
Jusqu'à une période assez récente, il existait en outre peu d'opérateurs agricoles dans le monde. Il fut un temps où la question des marchés agricoles concernait essentiellement l'Amérique du Nord et le continent européen. Or on observe depuis une vingtaine d'années l'émergence de puissances agricoles telles que le Brésil, l'Argentine, la Nouvelle-Zélande, la Russie ou l'Ukraine, qui explique notre déclassement à l'échelle mondiale. Nous ne sommes plus les seuls maîtres du jeu et d'autres opérateurs viennent perturber les marchés.
Je pense par ailleurs que certaines filières qui assurent leur souveraineté voient se profiler des écueils leur donnant le sentiment de courir à terme un risque d'effacement, de disparition ou d'amoindrissement de leur puissance. Cela concerne en particulier la filière animale des volailles ou de la viande bovine. Il s'agit davantage d'une crainte pour le futur que d'une réalité, puisque les chiffres auxquels vous faisiez référence montrent que nous bénéficions dans ces domaines de taux d'auto-approvisionnement que nombre de pays nous envient, y compris au sein de l'espace européen.
Le troisième élément d'explication, qui connaît une montée en puissance depuis quelques années, est lié aux perturbations induites par le dérèglement climatique. Nous sommes confrontés depuis cinq à dix ans à une succession d'aléas inédite. Après une période caractérisée par une stabilité des marchés et une progression constante des rendements, nous subissons, à facteurs de production égaux, une diminution des rendements qui donne le sentiment à certains territoires et productions de se trouver dans une impasse climatique, hydrologique, sanitaire, phytosanitaire. Les pertes de souveraineté observées dans le domaine du blé dur ou des protéines sont initialement dues à des baisses de production liées à des impasses techniques ou agronomiques. S'y ajoute un phénomène nouveau, caractérisé par une grande variabilité des choix d'assolement en grandes cultures d'une année sur l'autre, consécutive à la volatilité des marchés et aux aléas climatiques traversés.
L'instabilité géopolitique et climatique contribue à créer un sentiment de difficulté, dans un espace européen et mondial plus concurrentiel qu'auparavant.