Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Réunion du jeudi 30 mai 2024 à 11h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à onze heures.

La commission procède à l'audition de M. Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique, et M. Frédérik Jobert, secrétaire général adjoint.

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Nous recevons ce matin M. Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique, accompagné de M. Frédérik Jobert, secrétaire général adjoint. Le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) a été institué en juillet 2022 et il est placé auprès du Premier ministre.

Plusieurs personnes auditionnées ont douté de la compatibilité entre une action écologique forte et le maintien d'une production agricole abondante. Votre point de vue interministériel et votre démarche prospective nous seront utiles pour appréhender les enjeux de politique publique qu'emporte cette double exigence – d'ailleurs, le souhait de vous auditionner a très vite fait consensus entre les groupes représentés dans la commission d'enquête. Plus généralement, nous aimerions connaître vos idées sur la thématique de la souveraineté alimentaire et agricole.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Antoine Pellion et M. Frédérik Jobert prêtent serment.)

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

La souveraineté, qu'elle soit agricole, énergétique ou qu'elle concerne les matières premières, est au cœur des travaux de planification écologique. Nous avons construit cette dernière en sorte d'atteindre nos objectifs en matière de diminution des émissions de gaz à effet de serre, d'adaptation au changement climatique et de maintien de la biodiversité, tout en y intégrant les enjeux économiques de croissance, de réindustrialisation et de développement des filières. J'ai participé ce matin même au séminaire gouvernemental sur l'écologie, dont l'un des thèmes centraux était la cohérence entre les politiques environnementale et économique. Dans cette optique, les enjeux de souveraineté agricole sont importants.

Je distingue la souveraineté agricole de la souveraineté alimentaire ; ce sont deux notions qui se complètent. La production agricole française est essentiellement alimentaire, mais pas totalement. De ce fait, elle recouvre d'autres enjeux de souveraineté, notamment énergétiques et de biomatériaux : compte tenu de notre dépendance aux énergies fossiles, conserver une base agricole forte est aussi un élément de souveraineté.

Le SGPE, placé auprès du Premier ministre, assure un travail de coordination. Il a été très étroitement associé à la rédaction du rapport sur la souveraineté agricole transmis au Parlement. Avec mon adjoint Frédérik Jobert, nous avons été parmi les principaux rédacteurs de ce document. Le sujet est important dans les travaux de planification.

La France compte la surface agricole utile (SAU) la plus vaste d'Europe. L'étendue de la SAU est globalement stable, malgré une légère baisse depuis les années 1980. Contrairement à ce que l'on entend, la SAU française ne s'est pas fortement réduite ces dernières années. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas de problèmes, mais ceux-ci se nichent davantage au sein des filières agricoles, certaines d'entre elles se dégradant et étant remplacées par d'autres. L'espace des prairies se restreint ; cette diminution ne touche pas les surfaces de production de céréales, au contraire de l'espace viticole, dont le resserrement résulte de la très forte baisse de la consommation quotidienne de vin.

On entend également beaucoup parler de la diminution du nombre d'exploitations : ce phénomène traduit une évolution de celles-ci et non une contraction de la production. En effet, le maintien de la SAU et la réduction du nombre d'exploitations attestent de l'augmentation de la taille de celles qui subsistent. Le modèle de l'exploitation familiale a subi de profondes évolutions et transformations, qu'ont étudiées des sociologues et des économistes comme François Purseigle. Il faut se garder de faire un raccourci entre la baisse du nombre d'exploitations et celle de la production, car seule la première est avérée.

Les rendements n'ont pas diminué au cours des dernières années et ils restent, par exemple pour le blé, parmi les meilleurs d'Europe. Ils ont fortement augmenté après la Seconde Guerre mondiale, sous l'effet de la mécanisation, des engrais et des travaux de sélection variétale. Le processus de croissance régulière des rendements a atteint une limite : l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), avec lequel nous travaillons beaucoup sur ces sujets, indique que si l'amélioration variétale se poursuit, des facteurs exogènes menacent les rendements. Au premier rang de ces éléments figure le changement climatique, qui induit des chocs en termes d'eau et de température. Les chiffres ne permettent pas d'établir un lien entre l'évolution des autorisations des produits phytosanitaires et celle des rendements. En revanche, la production de filières éprouvant des difficultés économiques pourra être affectée par la variation des produits phytosanitaires. L'étude des conditions climatiques et pédoclimatiques du territoire montre que nous sommes proches du rendement théorique maximal pour plusieurs productions.

La balance commerciale agricole reste excédentaire. Je ne veux pas faire accroire que tout va bien dans le domaine de la souveraineté alimentaire, simplement, les difficultés se mesurent filière par filière. Leur taux d'approvisionnement est éloquent à cet égard : dans certaines d'entre elles, la production n'a pas suivi l'évolution de la consommation ; cela signifie que d'autres filières se sont emparées de la SAU : la production globale n'a pas baissé mais celle de certaines filières s'est contractée. Les difficultés économiques ont trait aux rémunérations, par exemple dans les filières de l'élevage bovin et des fruits et légumes. Pour faire face à ces baisses de production, le Gouvernement a déployé des plans de souveraineté pour l'élevage, les fruits et légumes ou les protéines végétales.

La France accuse des dépendances dont on entend peu parler mais qui se révèlent structurantes. La première tient à l'importation d'azote, c'est-à-dire d'engrais. Nous achetons 80 % de l'azote que nous consommons à des pays tiers plus ou moins conciliants. La production d'engrais est très intensive en énergies fossiles, notamment en gaz, et a donc un très fort impact environnemental. Il faut étudier l'ensemble de la chaîne pour pouvoir évaluer la souveraineté et avoir conscience de la fragilité que représente notre dépendance aux importations d'azote. Dans le cadre de France 2030, nous travaillons à la décarbonation des usines d'engrais françaises, tâche qui contribue à la lutte contre le changement climatique, à la pérennisation de l'outil industriel dans le territoire et à la réduction de notre dépendance au prix des énergies fossiles. Nous accusons également une grande dépendance, que nous avons chiffrée dans le rapport, en matière de protéines végétales nécessaires à l'alimentation animale. La balance commerciale indique que nous sommes les champions de l'exportation de matières brutes et de l'importation de matières transformées. Nous devons relever un énorme défi en matière de souveraineté, celui de renforcer la robustesse de notre chaîne agroalimentaire et de réduire notre dépendance à certaines importations.

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Depuis l'installation en 2019 de la nouvelle Commission européenne dirigée par Ursula von der Leyen, l'Union s'est dotée d'un grand projet en matière de transition écologique : le Pacte vert pour l'Europe. Celui-ci comporte une déclinaison agricole et agroalimentaire, que l'on résume, dans le débat public, par la stratégie « De la ferme à la fourchette ». Comment avez-vous travaillé avec les instances européennes sur le déploiement de cette stratégie ? La Commission européenne a-t-elle beaucoup associé les États membres ?

Julien Denormandie, que nous avons auditionné la semaine dernière, nous a fait part de la très grande difficulté à obtenir des études d'impact. Avez-vous participé à des discussions de niveau technique ? Stéphane Travert, ministre de l'agriculture jusqu'à la fin de l'année 2018, nous a affirmé hier que de premières discussions techniques entre la Commission et les États membres sur ce qui deviendra le Pacte vert et la stratégie « De la ferme à la fourchette » s'étaient tenues avant les élections européennes de 2019.

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Mme Ursula von der Leyen a défini assez tôt, autour de 2019, l'équilibre général du Pacte vert, par un cadrage des enjeux et une programmation de textes centrés sur les objectifs du programme. Le SGPE n'a été créé qu'en 2022, même si je suivais auparavant ces sujets au cabinet de Jean Castex. De nombreuses itérations ont eu lieu avec les services de la Commission.

Dans le volet agricole du Pacte vert, aucun texte n'a été définitivement adopté au cours du mandat de l'actuelle Commission. Le projet de règlement relatif à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques (SUR) a été abandonné et le texte sur la restauration de la nature est toujours en discussion : le Pacte vert n'a donc pas encore d'effet utile sur notre politique agricole. Nous devons nous contenter d'évoquer ses effets estimés ou projetés, mais pas ses effets réels.

Les textes fixent des orientations mais ils renvoient aux États membres le soin de définir leur mise en œuvre. Les études d'impact dépendront de plusieurs paramètres attachés au déploiement des actions. Nous débattons beaucoup des infrastructures agroécologiques, car certains estiment que leur développement réduira de 10 % la SAU de l'ensemble de l'Union européenne, alors que tout dépend de l'acception de la notion d'infrastructure écologique. Le texte ne commande pas, à notre sens, de réduire la SAU de 10 % car il est tout à fait possible de valoriser d'autres éléments non productifs au titre des infrastructures agroécologiques et ainsi d'éviter tout impact négatif sur la production agricole française.

Nous regrettons que la Commission n'ait pas réalisé d'étude d'impact fine. Les deux études d'impact du Pacte vert régulièrement citées sont sujettes à caution : la première a été commandée par l'administration Trump dans le but évident de noircir le trait et la seconde par l'agro-industrie à Bruxelles. Nous manquons donc d'une étude neutre. La réalité de l'impact dépendra étroitement de la mise en œuvre du Pacte vert par les États membres.

Durant le mandat écoulé, il y a eu beaucoup de discussions approfondies sur la manière de décliner dans le plan stratégique national (PSN) les évolutions de la Politique agricole commune (PAC), lesquelles maintiennent le potentiel de production du pays.

Le plus gros risque pour l'agriculture est le changement climatique : les années où les baisses de rendement sont les plus accentuées sont celles qui ont connu des sécheresses et des inondations, certes localisées mais suffisamment marquées pour affecter l'ensemble de la productivité nationale. Le Pacte vert, s'il est bien interprété et déployé, constitue un outil d'adaptation au changement climatique, donc de protection de notre productivité et de nos rendements. Cet élément rejoint la mission de coordination confiée au SGPE, qui vise à concilier l'adaptation à la contrainte environnementale avec le maintien d'une base productive importante. Aux enjeux de souveraineté alimentaire s'ajoutent ceux de souveraineté énergétique, essentiels pour certaines productions agricoles à long terme.

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Le concept d'agroécologie est revenu à plusieurs reprises lors de nos auditions : quelle en est votre définition ? L'agroécologie fait-elle partie des priorités des politiques publiques agricoles ? Quelle part occupera-t-elle à l'avenir dans la politique agricole française ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

La définition de l'agroécologie est large, puisqu'elle recouvre toutes les actions visant à réduire l'impact environnemental des pratiques agricoles. Le SGPE en a dressé une liste, l'objectif de l'agroécologie étant, dans notre acception, d'aligner les enjeux environnementaux, de souveraineté et d'adaptation.

Le maintien de couverts végétaux sur les terres agricoles représente une action agroécologique essentielle, car ceux-ci retiennent l'eau quand il pleut, produisent de la biomasse en intercultures qui servira à d'autres usages, nourrissent les sols et stockent de l'azote, réduisant ainsi les besoins en engrais minéraux et, par extension, notre dépendance aux importations dans ce domaine. Ces couverts exigent une intensification du travail, puisqu'une semence supplémentaire est nécessaire : nous en parlons beaucoup avec les Jeunes Agriculteurs (JA), la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et les autres organisations agricoles, qui sont d'accord sur le principe mais qui s'inquiètent du rythme de déploiement. Nous avons fixé des objectifs annuels, que nous pourrons vous transmettre, de milliers d'hectares supplémentaires de couverts végétaux.

Autre levier efficace, la plantation de haies, lesquelles produisent de la biomasse et constituent des réservoirs de biodiversité essentiels en insectes pollinisateurs, eux-mêmes importants pour les rendements agricoles. Dans la même catégorie figurent les légumineuses, qui stockent de l'azote dans le sol et remplacent les engrais minéraux azotés, et qui produisent des protéines végétales utiles à la consommation humaine et animale, réduisant ainsi notre immense dépendance à l'importation d'alimentation animale.

Nous avons recensé une quinzaine d'outils agroécologiques pour lesquels nous avons élaboré des plans de déploiement destinés à favoriser leur généralisation dans l'ensemble des exploitations. Les organisations syndicales agricoles reconnaissent la pertinence de ces leviers et la nécessité de leur généralisation, les discussions se focalisant sur le rythme de mise en œuvre et sur l'accompagnement des exploitations pour que celles-ci conservent leur rentabilité économique. Nous menons des réflexions sur la concurrence loyale et les relations commerciales, afin que le déploiement et le financement de ces bonnes pratiques ne pèsent pas sur la compétitivité de nos exploitations.

L'ensemble de ces leviers présentent également des bénéfices d'adaptation au changement climatique, si bien que les exploitations qui adoptent ces pratiques deviennent plus résilientes à des épisodes de sécheresse, d'inondation et à d'autres phénomènes naturels. Ils participent au maintien de la productivité, donc à notre souveraineté.

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Je vous remercie de nous avoir donné des exemples concrets car ils facilitent notre compréhension. Dans le travail que vous conduisez avec les organisations agricoles, déployez-vous une logique de contractualisation des bonnes pratiques et des recommandations du PSN ? Quelle est l'articulation entre le SGPE, le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires dans la mise en œuvre et le suivi de cette politique ? Il convient de s'assurer de l'application concrète des bonnes pratiques, qui ne doivent pas simplement figurer dans un beau document du Gouvernement.

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Les trente personnes qui travaillent au SGPE doivent couvrir l'ensemble des sujets. Nous sommes responsables de la coordination et de la cohérence des politiques menées et nous préparons les arbitrages que rend le Premier ministre. Les ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement restent en première ligne pour élaborer ces politiques : nous ne nous substituons pas aux ministères pour la mise en œuvre des actions.

La plupart des mesures sont rattachées au PSN, mais celui-ci ne suffit pas à généraliser les dispositifs, même s'il y contribue. Le Parlement a voté des crédits supplémentaires dans la loi de finances de 2024, par exemple 150 millions d'euros pour l'accompagnement de la plantation de haies : ces crédits, gérés par le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, entrent dans le cadre de la planification écologique. Il en va de même pour les couverts végétaux et le développement des protéines végétales. Une enveloppe de 250 millions d'euros a été allouée à la recherche d'alternatives à l'utilisation de produits phytosanitaires et à l'aide au déploiement de solutions de substitution.

Ces moyens financiers sont souvent contractualisés, même s'il peut également y avoir des guichets. Dans le cadre des conférences des parties (COP) territoriales, qui déclinent les orientations de la planification et qui concernent d'abord la région puis les échelons infrarégionaux, nous tentons de dégager une vision précise de l'évolution du système agricole à l'échelle des bassins de production et de développer la contractualisation pour concrétiser les actions.

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Les médias estiment que la filière des fruits et légumes est en difficulté mais le tableau n'est pas si noir. Néanmoins, cette filière fait face à certains problèmes, relevés par le rapport du Gouvernement de mars 2024. Même en mettant de côté les fruits tropicaux et exotiques, le taux d'auto-approvisionnement est désormais inférieur à 100 %, donc notre pays a besoin d'importer. Une fois le constat posé, quelle planification imaginer pour regagner un peu d'autonomie ? L'objectif de redevenir un pays autosuffisant en matière de fruits et légumes tempérés est-il atteignable ? Cette filière est emblématique, d'autant que nous sommes encouragés à augmenter la consommation de ces denrées. Ce sujet fait très certainement partie des priorités de notre agenda écologique.

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Absolument. Un plan de souveraineté dédié à la question des fruits et légumes a été présenté par le ministre de l'agriculture et vise à regagner 5 points de taux d'auto-approvisionnement à l'horizon de la fin du quinquennat – ce qui ne permettra donc pas d'atteindre une autosuffisance complète.

On trouve dans ce plan des mesures de soutien à l'investissement, afin de disposer d'un outil de production compétitif sur ce segment – par exemple en favorisant la décarbonation des serres.

Le plan traite aussi de sujets liés au coût de la main-d'œuvre. La mesure de pérennisation du dispositif d'exonération de cotisations patronales pour l'emploi de travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TODE), décidée par le Gouvernement à l'occasion de la crise agricole, vise ainsi à réduire les écarts de compétitivité liés aux coûts de main-d'œuvre. Ces derniers sont très importants dans le maraîchage et ils expliquent en partie pourquoi la production nationale a diminué.

La question du prix de l'alimentation et de la capacité pour nos concitoyens d'acheter des fruits et légumes français est également abordée. Si leur part de marché a baissé en France, c'est aussi parce que leur coût relatif est plus élevé que nombre de ceux cultivés à l'étranger.

Un des facteurs permettant de favoriser la production française consiste à agir sur des leviers en matière de consommation, comme l'utilisation de la commande publique par exemple. C'est un élément important, sur lequel nous nous mobilisons. Nous travaillons aussi depuis longtemps sur le chantier de l'affichage environnemental, qui arrive presque à son terme. Nous sommes en effet convaincus que la production en France produit un moindre effet environnemental. Pour le dire de manière très explicite, l'affichage environnemental est une autre manière de promouvoir la préférence nationale. C'est un élément intéressant pour nos filières et il est important que le consommateur puisse en prendre connaissance.

Nous avançons sur ce sujet, mais nous ne le faisons pas seuls. Le but est d'y arriver en associant l'ensemble des filières, donc avec l'ensemble de la profession agricole. Les travaux sont toujours en cours et je ne peux donc pas encore annoncer un calendrier. Ce qui est certain, c'est que nous avancerons vraiment le jour où l'ensemble des enjeux relatifs à l'environnement et à la production en France seront clairs et bien alignés. Les travaux que nous menons montrent que nous y sommes presque.

Notre outil industriel de transformation des fruits et légumes en aval est fragile et nous essayons de l'accompagner grâce à un certain nombre d'investissements dans le cadre du plan France 2030.

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Pourriez-vous rappeler dans quel contexte le SGPE a été créé ? À quels besoins devait-il alors répondre ?

On a présenté ce secrétariat général comme étant pratiquement un ministère à part entière. Pourriez-vous préciser quel est son rôle exact dans le processus interministériel ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Le Président de la République s'était engagé à mettre en place une planification écologique. Il a confié cette mission à Élisabeth Borne en 2022 puis à Gabriel Attal.

Pourquoi au Premier ministre ? La transition écologique concerne les différentes politiques publiques, qu'il s'agisse de l'industrie, de l'agriculture, du logement ou des transports. Cela nécessite une mobilisation générale qui ne peut pas être organisée par l'action du seul ministère de la transition écologique. Toutes les administrations qui relèvent du ministère de l'économie et des finances doivent aussi être très impliquées. C'est la raison pour laquelle la petite équipe du SGPE – encore une fois, nous ne sommes que trente – a été placée auprès du Premier ministre, pour l'aider dans cette mission de coordination des politiques publiques sur la question écologique.

Très concrètement, la première année d'existence du secrétariat a été consacrée à un travail assez fin de remise en cohérence de nombre de nos objectifs écologiques, qui parfois pouvaient paraître un peu contradictoires, et surtout à définir quel était le chemin entre 2022 et 2030 pour pouvoir les atteindre en pratique. Le but est de coordonner l'action des ministères pour qu'il y ait moins d'approches en silo et beaucoup plus d'approches transversales et de cohérence entre les différentes politiques publiques. Cela a conduit, dans certains cas, à organiser des réunions entre la Première ministre et des ministres pour effectuer des arbitrages et aligner un certain nombre de politiques publiques pour atteindre les objectifs. Comme je l'ai indiqué dans mon propos introductif, nous avons intégré la dimension économique dès la conception des trajectoires de transformation.

Voilà pour la première année. Depuis lors, nous travaillons sur deux axes principaux.

Premièrement, nous menons une action de territorialisation aux côtés de Christophe Béchu. Il s'agit d'accompagner non seulement les régions mais aussi les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dans le travail qu'elles ont entamé bien avant que le SGPE n'existe. Les COP régionales ont été lancées et nous aurons des plans d'actions cet été.

Deuxièmement, nous assurons le pilotage et le suivi de la mise en œuvre du coût des différentes politiques publiques pour voir si le plan est respecté et, le cas échéant, proposer au Premier ministre et aux ministres un certain nombre d'évolutions et d'arbitrages nécessaires. Pour l'ensemble des sujets, nous publions très régulièrement un tableau de bord – le dernier l'a été au cours du premier semestre – et des analyses thématiques poussées pour dire où nous en sommes, ce qui marche et ce qui ne marche pas.

Ce travail de pilotage complète l'action des ministères et des administrations concernées, qui demeurent les acteurs de premier niveau en faisant les propositions et en mettant en œuvre les politiques publiques.

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Vous avez été le conseiller énergie et transports du Président de la République et, selon certains, il vous aurait attribué la paternité de la taxe carbone. Est-ce le cas ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

En fait, la taxe carbone existait bien avant 2017 puisqu'elle a été votée au cours du quinquennat de François Hollande. Je n'en suis donc pas le créateur. Au reste, je pense qu'un conseiller ministériel – en l'occurrence de la présidence de la République – n'a pas pour rôle d'être le créateur de quoi que ce soit.

Toujours est-il que ce dispositif préexistait. En 2017, le Parlement a voté une trajectoire d'évolution de cette fiscalité carbone. Dans mes fonctions de conseiller, j'ai eu à cœur qu'on accompagne l'ensemble des Français. De même que, dans le domaine agricole, on dit souvent : « Pas d'interdiction sans solution ». Il fallait aussi offrir des alternatives en matière de mobilité. J'ai beaucoup poussé pour le leasing social depuis maintenant plusieurs années, et c'est à mon sens un succès. Il permet à l'ensemble des ménages, même les plus modestes, d'accéder à une alternative non carbonée.

Même si nous nous éloignons de la question de la souveraineté agricole, j'insiste sur ce point parce que si l'on regarde la réalité du prix des carburants, on voit que les niveaux de 2017 ont été depuis lors largement dépassés, non pas en raison de la fiscalité mais du fait de l'évolution des cours internationaux du pétrole, qui ont totalement explosé.

Cela montre que, indépendamment des sujets environnementaux, lutter pour réduire la consommation d'énergies fossiles est absolument indispensable, non seulement pour notre souveraineté mais aussi pour le pouvoir d'achat et la compétitivité. Dans l'histoire économique du pays, les chocs qui nous ont mis en difficulté ont été systématiquement liés à l'explosion du prix des énergies fossiles, qu'il s'agisse du choc pétrolier ou de la crise du gaz à la suite de l'invasion de l'Ukraine. Décarboner signifie sortir des énergies fossiles. C'est une politique essentielle pour la résilience économique du pays. Cela suppose, pour la mobilité comme pour l'ensemble des domaines, d'agir résolument pour l'électrification, la sobriété et le développement des bioénergies, de manière à faire la chasse aux énergies fossiles qui posent des problèmes pour la souveraineté et pour le pouvoir d'achat des Français.

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Vous avez un peu botté en touche, mais vous comprenez le sens de ma question. La taxe carbone avait peut-être été instaurée auparavant, mais le propos du Président de la République soulignait surtout son rôle dans le déclenchement de la crise des Gilets jaunes. Il aurait continué en disant que grâce à vous il avait fait le tour de France avec le grand débat. Vous avez tout de même été un acteur de la mise en place de cette taxe.

Je reviens à l'objet de cette commission d'enquête. Dans vos fonctions actuelles, avez-vous eu un rôle particulier dans la suppression progressive de l'exonération de la taxe sur le gazole non routier (GNR) et dans l'augmentation de la redevance pour pollutions diffuses et des redevances perçues par les agences de l'eau, qui ont été votées lors du projet de loi de finances (PLF) pour 2024 ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Du fait de mes fonctions à Matignon, j'ai eu à connaître de ces trois sujets très différents.

S'agissant du GNR, ma position constante est qu'il faut qu'il y ait des alternatives avant d'accélérer une transition. Or, en l'occurrence, il n'en existe pas pour les tracteurs classiques. Nous avions examiné la possibilité de basculer vers le biocarburant B100, mais les quantités disponibles ne sont pas suffisantes. C'est ce qui a conduit le ministre de l'économie à négocier avec l'ensemble de la profession agricole une mesure indispensable de compensation intégrale de l'augmentation du GNR. Je n'ai pas participé à cette négociation, ce qui souligne encore une fois la différence entre le travail de coordination et celui que font les ministères en première ligne.

Le SGPE a participé à l'élaboration du plan Eau, dans lequel s'inscrit la redevance sur l'eau. Ce plan a pour premier objectif de trouver les moyens qui permettront de réduire les prélèvements d'eau.

Je souligne que le changement climatique va conduire à une baisse de la quantité d'eau disponible en France et sur Terre qui sera supérieure à l'intégralité de ce que l'on prélève actuellement. Nous allons perdre 50 milliards de mètres cubes d'eau alors que nous en prélevons 33 milliards. Il faut que l'on s'y prépare en baissant nos prélèvements. C'est l'objet du plan Eau et, pour y arriver, il faut investir dans les réseaux d'eau et améliorer les pratiques agricoles. Pour financer ces actions, le plan a mis sur la table 475 millions supplémentaires, ce qui complétera les investissements réalisés par les collectivités territoriales.

Un certain nombre de contributions ont été mises en place pour financer ces investissements. S'agissant de celles du secteur agricole, on sait tout d'abord que son taux de retour est supérieur à 1. Il récupère auprès des agences de l'eau plus qu'il ne verse au titre des différentes redevances qu'il acquitte. Ensuite, ce secteur prélève plus du tiers des volumes d'eau et paie une contribution extrêmement faible au regard de ces derniers. Nous vous fournirons les chiffres précis. Actuellement, ce sont les ménages qui paient par l'intermédiaire de la tarification de l'eau.

Le plan Eau ne visait pas à rétablir l'équilibre, car nous en sommes loin, mais seulement à améliorer un peu le ratio entre ceux qui bénéficient de l'eau et ceux qui la payent. D'où le travail à mener sur les redevances. Le Gouvernement l'avait annoncé, puis Élisabeth Borne a annoncé que la discussion serait reportée. Les fédérations agricoles elles-mêmes sont revenues nous voir en début d'année. Elles souhaitaient remettre ce sujet sur la table parce qu'elles avaient besoin que l'on soutienne des investissements, notamment en matière de stockage de l'eau. Nous continuons donc à étudier ce dossier.

C'est un peu la même chose s'agissant de la redevance pour pollutions diffuses. Je n'y reviens pas en détail mais je souligne que le produit de cette redevance bénéficie intégralement au secteur agricole, notamment sous la forme d'aides à l'investissement pour faire évoluer les pratiques et acquérir du matériel plus performant. Comme nous soutenons par ailleurs ces investissements, le taux de retour est largement supérieur à 1.

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La question de la réorientation de la redevance pour pollutions diffuses avait été abordée lors de la commission d'enquête sur les produits phytosanitaires. Si je ne me trompe pas, son produit est affecté au budget de l'Office français de la biodiversité (OFB) et l'on avait du mal à voir l'utilisation qui en est faite.

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Nous vous transmettrons des éléments précis.

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Vous avez indiqué qu'un travail était toujours en cours sur l'augmentation des redevances sur l'eau. En est-il de même pour le GNR et la redevance pour pollutions diffuses dans la perspective du PLF pour 2025 ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Il n'y a aucune discussion sur le GNR.

Nous discutons des redevances sur l'eau à la demande des agriculteurs, qui souhaitent que l'on augmente les moyens accordés au stockage de l'eau mais aussi à l'évolution des pratiques – par exemple pour installer des systèmes goutte-à-goutte plus performants.

Pour l'instant, aucun arbitrage n'a été rendu. Les discussions se poursuivent afin d'étudier les marges de manœuvre et ce qu'il serait possible de faire.

Mon propos ne doit donc pas être interprété comme l'annonce de mesures. Nous en sommes au stade des discussions, lesquelles ont été engagées à la demande de la profession pour répondre à des besoins d'investissements.

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Je suis, pour ma part, assez frappé de constater, à l'occasion d'auditions, que des décisions sont prises sans tenir compte de la dégradation de la compétitivité et de l'aggravation des distorsions de concurrence qu'elles entraînent au sein du marché commun – je pense aux produits phytosanitaires. Dans le cadre de vos travaux, prenez-vous en compte cette dégradation la compétitivité ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Premièrement, nous étudions systématiquement les effets des mesures que nous envisageons. Deuxièmement, nous intégrons les enjeux de compétitivité. Troisièmement, je ne partage pas votre appréciation quant au fait que l'on dégrade la compétitivité dans un certain nombre de domaines.

Prenons l'exemple des produits phytosanitaires, très souvent mis en avant. Nous avons regardé de manière très précise comment la France se classait en Europe en ce qui concerne le nombre de substances autorisées. Elle est l'un des pays qui autorise le plus de produits phytosanitaires sur son territoire. C'est un point qui est important.

De fait, les problèmes de compétitivité relèvent plutôt du contournement des règles, dont les interdictions. C'est notamment le cas pour l'emploi du diméthoate pour traiter les cerises. On présente régulièrement l'interdiction de ce produit comme une cause de perte de compétitivité mais, en réalité, des cerises ainsi traitées sont produites en Turquie, puis reconditionnées dans un autre pays de l'Union européenne pour prétendre qu'elles y sont produites, au mépris de la réglementation. Pour faire face à cela, il convient de renforcer les contrôles sanitaires et d'utiliser les clauses miroirs. Nous avons pris des mesures en ce sens. Il faut donc être réaliste, comme le montre cet exemple très concret.

En matière de pesticides, le seul écart significatif observé concerne les néonicotinoïdes, dont l'utilisation a été interdite par le Parlement dans le cadre d'une loi de 2016. Celle-ci a ensuite été revue à la demande de Julien Denormandie afin de disposer de trois années pour trouver des solutions alternatives grâce à la recherche et au développement – ce dont nous disposons désormais pour maintenir une sole betteravière productive.

Notre philosophie est bien de ne pas interdire sans proposer de solutions. En l'occurrence, ces trois années ont été mises à profit pour développer des solutions qui ont permis de préserver l'ensemble de la filière betteravière.

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Qu'il y ait plus de molécules autorisées en France s'explique par le fait que les cultures y sont plus diverses que dans le reste de l'Union européenne. C'est une caractéristique qui doit être prise en considération, faute de quoi on culpabiliserait en vous écoutant.

Il faut aussi faire la part entre l'autorisation de certaines molécules et l'usage qui en est fait. Si le glyphosate reste autorisé en France, son usage est restreint par rapport aux autres pays de l'Union européenne, ce qui constitue bien une forme de distorsion de concurrence.

Je ne dis pas qu'il n'y a pas de solution alternative – quoique, pour l'agriculture de conservation, on puisse encore se poser la question. Mais devoir se passer d'une partie des usages du glyphosate se traduit par l'acquisition de matériel supplémentaire, du temps et de la main-d'œuvre en plus ainsi qu'une consommation accrue de gazole – donc davantage d'émissions de carbone. Tout cela se traduit par une baisse de compétitivité. Prenez-vous tous ces points en compte dans vos travaux ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Vous avez raison de citer l'exemple du glyphosate car l'examen de ce dossier s'est appuyé sur une étude d'impact très poussée.

La décision concernant le glyphosate a été prise avant 2022, après une année entière d'études menées notamment par l'INRAE et par FranceAgriMer pour identifier quels usages du glyphosate pouvaient être assurés par une alternative, tant du point de vue technique que de celui de la compétitivité économique. Les modifications de l'autorisation de mise sur le marché du glyphosate ont été décidées après ces études d'impact poussées et n'ont concerné que les cas où une alternative était économiquement viable. Et l'on ne constate d'ailleurs pas de baisse de la compétitivité des activités pour lesquelles l'utilisation du glyphosate a été interdite.

Le glyphosate reste nécessaire dans certains cas particuliers, notamment en raison de circonstances exceptionnelles. Par exemple, en raison des inondations dans le Pas-de-Calais, le ministère de l'agriculture a de nouveau autorisé temporairement l'utilisation de ce produit – et le SGPE est parfaitement d'accord avec cette mesure – parce que les sols détrempés empêchent d'utiliser les tracteurs.

Notre philosophie consiste à étudier l'impact des mesures en amont et à être pragmatiques en aval en accordant des dérogations lorsqu'il y a vraiment une impasse. Je ne prétends pas que nous avons réussi un sans-faute. Certaines situations nous échappent peut-être et des incohérences peuvent exister. Mais ce sont des exceptions et, encore une fois, nous sommes très attentifs au respect des principes que j'ai évoqués.

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Je ne connais pas ces études d'impact. Je suis viticulteur et je vous assure qu'il y a un coût supplémentaire. Peut-être est-il considéré comme viable par l'INRAE, mais se passer du glyphosate dégrade la compétitivité alors que la viticulture française a des concurrents, notamment espagnols. Encore une fois, cela suppose d'acquérir du matériel, grâce parfois à des subventions mais sans que celles-ci couvrent l'intégralité du coût. À partir d'une certaine taille d'exploitation, cela veut dire qu'il faut un tracteur et un ouvrier en plus. Cela entraîne aussi des pertes de rendement car le désherbage mécanique dégrade le système racinaire.

Très sincèrement, en tant que viticulteur je ne comprends pas le discours qui consiste à dire qu'il n'y a pas de pertes de compétitivité. Je consulterai vos études d'impact mais ce que vous avez dit ne correspond pas à ce que l'on peut voir sur le terrain. Je ne dis pas qu'il n'existe pas d'alternatives viables, mais cette notion est extrêmement subjective. On peut considérer que c'est le cas même si l'on augmente le coût de production à l'hectare de 50 ou 100 euros – voire plus, car les pertes de rendement atteignent 30 % la première année. Cela chiffre très vite. Comme nous sommes dans un marché ouvert, comment fait-on ?

S'interroge-t-on sur le risque de faire décrocher la viticulture française alors que 4 millions d'hectolitres de vin espagnol sont importés chaque année et que les restrictions ne sont pas les mêmes dans les deux pays ? La question se pose aussi pour beaucoup d'autres cultures. Selon moi, ce risque n'est pas pris en compte lorsque l'on prend ce type de décision.

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Je ne dirige pas l'INRAE ; sur ce sujet, nous regardons ce que disent les experts. Typiquement, le genre d'alerte que vous nous transmettez nous conduit à leur demander d'affiner leurs évaluations. Nous vous transmettrons aussi les études faites par l'INRAE. Il sera intéressant de poursuivre cet échange.

Encore une fois, lorsque nous concevons une politique publique, nous sommes attentifs à ce que des analyses approfondies soient faites en amont pour éclairer la décision. Je répète que les décisions qui concernent le glyphosate ont été prises en se fondant sur ces études qui portent non seulement sur les alternatives techniques, mais aussi sur les aspects économiques afin d'éviter un décrochage massif.

J'entends votre expérience particulière. La planification comprend des clauses de revoyure régulière pour pouvoir examiner les conséquences des décisions et voir s'il faut des modifications, de manière pragmatique et opérationnelle.

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Je ne parlais pas seulement de mon cas particulier mais de la viticulture en général.

Je reviens aux néonicotinoïdes et à la culture de la betterave. Nous avons auditionné les représentants de cette filière et ils n'ont pas du tout la même approche que vous en matière d'alternatives. Je suppose que vous faisiez allusion au Movento. Une dérogation récente permet aux betteraviers de faire davantage de passages avec ce produit. Mais cela augmente les phénomènes de résistance. Les betteraviers ont donc publié hier un communiqué, car ils ont le sentiment d'être dans une impasse faute de disposer d'une solution. La saison s'annonce assez compliquée pour eux en raison de la prolifération des pucerons cendrés.

Stéphane Travert a également dit hier, lors de son audition, qu'il n'y avait pas de distorsions avec les autres pays européens, ce qui est surprenant. Les distorsions sont en effet avérées puisque l'on peut utiliser l'acétamipride dans ces pays. Nous nous sommes infligé une surtransposition des normes européennes.

Êtes-vous conscients que les alternatives que vous proposez sont des impasses techniques ?

L'autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a publié il y a quelques jours un rapport sur l'acétamipride. Elle ne voit pas d'obstacle à la prolongation de son autorisation. Elle prévoit certes de réduire les limites maximales résiduelles, mais cela ne semble pas être une difficulté selon la profession, car celles-ci sont rarement atteintes. Avez-vous réfléchi à cette question afin de revenir sur la surtransposition ? La filière pommes-poires nous a également fait part de son désarroi car l'autorisation du produit qu'elle utilise arrive à expiration l'année prochaine et qu'elle n'aura plus que l'acétamipride pour se défendre contre le puceron cendré. Un certain nombre d'autres filières sont également concernées, comme celle de la noisette.

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

L'alternative n'est pas nécessairement une autre substance chimique : ce peut être une pratique culturale ou une sélection variétale. Il y a eu, en matière de betterave, des travaux de sélection, qui ont permis de mettre au point des variétés plus résistantes aux pucerons. On a également remarqué que le fait de laisser les betteraves mal calibrées sur champ d'une saison à l'autre créait un réservoir à pucerons qui accélérait la contamination les années suivantes. Un nouveau plan national de recherche et d'innovation (PNRI) est à l'œuvre. Des moyens ont été mis. Un comité de pilotage a été créé, auquel plusieurs députés ont été associés, afin d'examiner toutes les solutions et leur déploiement dans le temps. Nous appliquons une démarche semblable à l'ensemble des substances.

Vous avez mentionné la décision de l'EFSA, qui est en cours d'instruction au ministère de l'agriculture. Nous n'en avons pas, pour l'instant, la même interprétation que vous. Elle fixe des limites très basses. Nous attendons les décisions de la Commission européenne pour savoir quelles conclusions en tirer.

La question de l'interdiction des néonicotinoïdes étant d'ordre législatif, elle est entre les mains du Parlement. Parce qu'il existe des pratiques alternatives, développées dans le cadre du PNRI et déployables sur le territoire, nous considérons qu'il n'y a pas d'impasse technique nécessitant de réautoriser l'acétamipride.

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Vous dites qu'il n'y a pas d'impasse technique, au prétexte qu'il y aurait une recherche variétale. Mais cette solution variétale conduit à une baisse des rendements. Je ne suis pas opposé par principe à une diminution des rendements de la betterave, sauf que notre compétitivité s'en trouve dégradée, d'autant que le marché a été ouvert au sucre ukrainien. Prenez-vous en compte la compétitivité dans vos travaux ? Malgré vos solutions, l'impasse économique demeure.

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Nous prenons systématiquement en compte les questions de compétitivité et de productivité. Le bilan du PNRI ne nous conduit pas à la même conclusion que vous, selon laquelle les alternatives dégraderaient tant le rendement qu'elles bouleverseraient l'équilibre économique de la production. Ce n'est pas ce que disent les experts. Notre objectif est de pérenniser la production de betteraves avec un moindre impact sur l'environnement. Les néonicotinoïdes ont un effet néfaste sur les pollinisateurs et font donc peser une lourde menace sur la production agricole à long terme. On ne les interdit pas par dogmatisme mais parce qu'ils représentent une menace très importante pour notre production agricole, nos rendements et, in fine, notre souveraineté.

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Vous vous fondez sur les études du PNRI et les experts ; nous, nous avons auditionné les acteurs de la filière betterave qui nous ont dit qu'ils avaient fermé une sucrerie l'année dernière et qu'ils allaient probablement en fermer une autre cette année. Des agriculteurs sont en train de se tourner vers d'autres productions. Ils ne le font pas pour embêter le monde mais parce qu'ils sont dans une impasse. Vos alternatives sont déconnectées des réalités économiques du terrain et ne sont pas tenables. Il faut des solutions efficaces et rentables face au sucre ukrainien. Combien de temps allez-vous rester aveugles à la réalité du terrain ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Il ne faut pas réduire les difficultés des sucreries à l'interdiction des néonicotinoïdes. Quand on se penche sur l'équilibre économique des exploitations, il apparaît très clairement que la fermeture n'a rien à voir avec elle et que le problème est ailleurs. Cela fait plusieurs campagnes qu'il n'y a plus de néonicotinoïdes. Or on n'observe pas un effondrement de la production française de betterave sucrière.

Concernant le sucre en provenance d'Ukraine, des mesures de sauvegarde ont été décidées afin de protéger notre marché. Je partage avec vous le fait que tout n'est pas rose dans le commerce international. Grâce aux mesures miroirs, aux clauses de sauvegarde et à d'autres dispositions, nous allons continuer à lutter afin de maintenir des conditions de marché équitables.

Les néonicotinoïdes représentaient une solution simple pour éviter un risque. Le changement en cours est nécessaire. Il s'accompagne, il prend du temps. Il n'est pas impossible de redonner de l'assurance aux producteurs pour que les soles betteravières soient maintenues. Les agriculteurs qui ont décidé de planter autre chose, ce n'est pas parce que leur rendement s'effondrait, mais parce qu'ils trouvent d'autres productions moins risquées. Les solutions alternatives dont j'ai parlé sont encore récentes. C'est pourquoi il peut y avoir un doute au moment de choisir ce qu'ils plantent. Il faut suivre de près le déploiement des solutions alternatives et en tirer les conclusions, grâce aux retours d'expérience. Il faut un peu de temps pour que cela s'installe et produise ses effets.

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Avez-vous reçu les betteraviers ? L'année dernière, sans qu'on sache pourquoi, le puceron cendré a été plutôt absent, ce qui explique que cela se soit plutôt bien passé. Cette année, il est là. Que se passera-t-il si la récolte est encore catastrophique, comme en 2020, et qu'une sucrerie ferme ? Le voilà, le prix de votre retour d'expérience ! Combien d'années allons-nous attendre pour en obtenir un qui vous semble fiable ? Combien de morts faudra-t-il ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Je vous redis que la fermeture de la sucrerie n'a rien à voir avec l'interdiction des néonicotinoïdes. C'était une question d'équilibre économique de l'exploitation.

Nous suivons très attentivement les niveaux de production. Le ministre de l'agriculture a accordé cette année des dérogations sur d'autres substances pour effectuer des traitements ciblés. Quand Julien Denormandie était ministre de l'agriculture, un début d'épidémie de jaunisse a suscité beaucoup d'inquiétudes. À la fin de la saison, la réalité de la production betteravière était très loin des chiffres catastrophiques annoncés.

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L'équilibre économique des sucreries dépend aussi du rendement, donc de l'impact de la jaunisse.

Vous avez dit tout à l'heure qu'il n'y avait pas eu d'étude d'impact de la Commission sur le Pacte vert, ce que nous savions déjà. Vous avez jugé que les autres études n'étaient pas sérieuses. L'étude réalisée par l'université de Wageningen, aux Pays-Bas, qui n'est pas le lobby agrochimique, me semble pourtant l'être. Elle estime que le Pacte vert fera baisser les rendements de 10 % à 20 %.

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Il faut regarder quels sont les mandataires et les financeurs de ces études. L'université ne l'a pas faite en son compte propre mais à la demande d'un certain nombre d'acteurs dont je vous invite à aller voir l'identité. Pour qu'une étude d'impact soit pertinente, il faut regarder les modalités de mise en œuvre et le paramétrage propres à chaque pays. Ces études-là se fondent sur des hypothèses, en anticipant les décisions des gouvernements, et font des choix qui ne sont pas les nôtres. On peut mal appliquer le Pacte vert – et cette étude montre en quelque sorte ce qui peut se passer de pire – mais on peut aussi le faire intelligemment, précisément pour éviter cette baisse de production ; et c'est notre ligne.

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Vous nous dites que le Pacte vert n'est pas mis en application en France, mais le règlement SUR l'est déjà.

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Il a été abandonné par la Commission européenne !

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Sa version française, Écophyto, est en place depuis 2009. Avons-nous une étude d'impact sur le plan Écophyto 2030 ? Le cas échéant, avez-vous pris en compte le fait qu'en l'absence d'objectif européen nous étions en train de faire une sorte de surréglementation ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Plusieurs analyses ont été menées.

Sans aucune interdiction supplémentaire, en cherchant seulement à accompagner les agriculteurs de sorte qu'ils s'alignent sur les meilleures pratiques de leur filière – celles des 20 % d'exploitations consommant le moins de pesticides –, on obtient la baisse de 50 % à l'horizon 2030 prévue par le plan. Cet objectif de 50 % ne met donc personne dans l'impasse.

Par ailleurs, puisque nous ne pouvons pas préjuger de l'évolution de la réglementation européenne sur les interdictions de substances, qui se font systématiquement, je le rappelle, pour des questions de nocivité pour la santé humaine, nous avons mis des moyens financiers de recherches d'alternatives en préventif. Le PARSADA (plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures) est associé à un programme de recherche et développement financé à hauteur de 250 millions d'euros pour s'assurer de ne mettre personne dans l'impasse.

C'est ainsi que nous nous efforçons de concilier ces deux objectifs impératifs que sont la production agricole et la protection de l'environnement.

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Nous avons deux définitions de l'impasse : vous parlez de l'impasse technique et moi de l'impasse économique. Je ne connais pas un seul agriculteur qui passe des produits phytosanitaires pour le plaisir. Vos alternatives font augmenter le coût de production. Certes, sur le papier, on peut trouver des solutions, on peut même mettre des gens à gratter la terre, mais cela a un coût, qui se traduit par un renchérissement de celui de l'alimentation et par une dégradation de la compétitivité. Me confirmez-vous qu'il n'y a pas eu d'étude d'impact formelle sur le plan Écophyto 2030 ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Nous avons fait des analyses d'impact qui ont eu les résultats que je viens de vous énoncer. Ils n'ont rien de théorique, puisqu'il s'agit de retenir, filière par filière, parmi les exploitations actuelles, les 20 % de celles qui ont les meilleures pratiques. C'est la vérité des exploitations sur un territoire donné. Si les autres exploitants appliquent les mêmes pratiques, qui sont viables étant donné que 20 % de la filière y recourt et en vit économiquement, on fait baisser les produits phytosanitaires de 50 %. Je vous redis également que, pour nous, l'alternative n'est pas uniquement technique mais qu'elle est technique et économique.

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La mobilisation agricole a obtenu une première victoire : le changement des indicateurs du plan Écophyto. Pourquoi faudrait-il que l'agriculture se passe, par principe, de molécules de synthèse qui n'ont d'impact ni sur la santé ni sur l'environnement ? On entend beaucoup qu'il faudrait sortir de la chimie de synthèse. Mais pourquoi s'en priver, alors même que les produits bio ne sont pas tous dénués d'effets sur l'environnement ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

La ligne du Gouvernement, c'est qu'il n'y a pas d'opposition de principe à la chimie de synthèse. Nous regardons les effets sur la santé et sur l'environnement : ce sont eux que nous voulons réduire. S'il y a des solutions de chimie de synthèse permettant de réduire ces impacts, nous sommes les premiers à vouloir les déployer et les utiliser. Je vous rejoins sur le fait que certains produits, qui ne sont pas des phytosanitaires, sont épandus et peuvent avoir des conséquences. Nous essayons aussi d'agir pour les réduire.

La réglementation européenne est exclusivement centrée sur les impacts sur la santé humaine, ce qui peut nous interroger quant à ceux sur les écosystèmes. Quand on voit que la plus grande menace qui pèse sur l'agriculture de demain, c'est le changement climatique et l'appauvrissement de la biodiversité, qui peut réduire très fortement les rendements, préserver nos écosystèmes représente un défi majeur. Un écosystème riche est plus résilient face au changement climatique. Il permet aussi une meilleure pollinisation, une meilleure fertilisation et est, par conséquent, plus productif.

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Avant de passer aux questions des députés, je voulais préciser que notre taux d'auto-approvisionnement en sucre est de 169 %. C'est l'une de nos productions les plus performantes. Selon le service de statistiques du ministère de l'agriculture, Agreste, les surfaces de betteraves industrielles ont augmenté de 4,9 % en 2024 par rapport à 2023. Ce que j'avais retenu des discussions avec la filière sucre, c'est que la fermeture de certaines sucreries répondait davantage à des considérations de chaîne de valeur et d'optimisation des outils industriels, dont on peut certes débattre.

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Un des objectifs principaux de votre secrétariat est l'élaboration de la trajectoire de la France en matière de réduction des gaz à effet de serre. On entend beaucoup parler de scénarios préconisant une nécessaire réduction du cheptel français. Comment peut-on imaginer une telle solution alors que des territoires comme le mien, la Bretagne, dépendent pour beaucoup de l'élevage et de l'industrie agroalimentaire qui l'accompagne ? Quelles autres solutions peuvent être mises en œuvre pour décarboner l'élevage tout en préservant et en valorisant les filières et les savoir-faire territoriaux indispensables à la pérennisation de l'agriculture ?

S'agissant de la planification écologique, la France est engagée depuis 2008 dans la stratégie Écophyto. L'une des conclusions de la commission d'enquête sur les produits phytosanitaires recommandait d'appliquer systématiquement des clauses miroirs aux produits importés, pour que les normes en matière de pesticides soient équivalentes. Cette mesure a trois vertus : réduire l'utilisation des pesticides dans l'agriculture française afin de protéger la santé humaine, lutter contre l'appauvrissement des sols et protéger notre environnement ; réduire la quantité de pesticides présents dans l'alimentation des Français – on sait que notre agriculture est plus qualitative que d'autres, y compris au sein de l'Union européenne – ; lutter contre la concurrence déloyale que vivent nos agriculteurs et défendre notre souveraineté alimentaire. En tant que secrétaire général à la planification écologique, comment pourriez-vous participer à l'instauration de ces clauses miroirs ? Avez-vous des projections ?

À l'article 1er de la loi d'orientation agricole, l'Assemblée nationale a consacré l'agriculture comme un intérêt général majeur de la nation, ce qui la met à la même hauteur que l'environnement. Comment concilier les politiques agricoles et environnementales ? Comment comptez-vous traduire dans l'application des politiques publiques cette consécration nouvelle ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

C'est le cheptel bovin qui est le plus émissif de gaz à effet de serre. Je vous renvoie à nos travaux de planification, qui sont très clairs. Ce qui est central, c'est la réalité de l'alimentation des Français ; et ce n'est pas le Gouvernement qui décrète ce que les Français vont devoir manger. Ce doit être notre point d'entrée. Nous en tirons la conclusion très claire qu'il faut que notre production de viande soit alignée avec notre consommation. On observe une dégradation, dans une faible mesure seulement puisque notre taux d'auto-approvisionnement reste quasiment identique. Pour inverser cette tendance, nous avons défini l'objectif de stabiliser le cheptel bovin à l'horizon 2030.

Cela est cohérent avec un autre de nos combats concernant les prairies. La très forte diminution des prairies est liée à une baisse du cheptel. La question qui se pose, c'est celle des voies et moyens. J'ai eu l'occasion de discuter de la situation économique de l'élevage bovin et des importants départs à la retraite dans la filière à l'assemblée générale de la Fédération nationale bovine. Il convient notamment d'agir sur des sujets qui n'ont rien à voir avec l'écologie à court terme – modèles économiques, contractualisation sur la vente de viande –, en lien avec tous les travaux lancés à la suite d'Egalim, notamment sur la manière de rémunérer les éleveurs au juste prix.

Cette stabilité du cheptel bovin est compatible avec une baisse des émissions. En coordination avec la filière et des experts, nous réfléchissons sur l'évolution de l'alimentation animale ou de la conduite des travaux. Je vous renvoie à nos documents : dans la planification, la contribution relative de l'élevage et du secteur agricole en général à la baisse des émissions est beaucoup plus faible que celle des autres secteurs. C'est assumé, pour des questions de cohérence, et nous n'avons pas attendu la crise agricole pour le faire.

Je partage votre avis sur la nécessité d'avoir des clauses miroirs et sur leur pertinence. Le SGPE soutient leur introduction lors des négociations commerciales – il a ainsi encouragé la décision récente au sujet du thiaclopride – et suit leur mise en œuvre ; le développement des contrôles est, à cet égard, très important.

Quant à la conciliation entre l'intérêt général majeur que revêt l'agriculture, d'une part, et l'environnement, d'autre part, c'est tout l'objet de la planification écologique. Depuis deux ans, nous avons mis sur la table des leviers concrets et opérationnels, comme les couverts végétaux et les haies, qui permettent de concilier production agricole – qui doit rester importante – et protection de l'environnement.

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Êtes-vous favorable à l'écoconditionnalité des aides, notamment de celles versées dans le cadre de la PAC ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Je ne suis pas favorable à la généralisation de l'écoconditionnalité. La PAC a plusieurs objectifs. Pour les aides visant à accompagner la transition environnementale, la conditionnalité est importante. Pour d'autres, comme celles qui visent la pérennisation économique des exploitations, elle n'est pas forcément nécessaire : une mesure de politique publique peut difficilement avoir plusieurs buts.

Je suis convaincu en revanche que, davantage que la précédente, la nouvelle PAC est un outil d'accompagnement et de mise en œuvre de la transition et qu'avec les prochaines, nous pourrons faire encore mieux.

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L'ancien ministre Julien Denormandie, que nous avons auditionné, a souligné la faiblesse du financement de la recherche depuis 2017, au détriment notamment des études qui permettraient de trouver des produits de substitution aux néonicotinoïdes. Avez-vous des chiffres à nous donner s'agissant de l'augmentation du financement de la recherche ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Oui, absolument. Ce constat est partagé. Alors qu'au départ, le plan Écophyto prévoyait 60 millions d'euros pour l'ensemble des mesures, il a été décidé en 2024 de consacrer 250 millions d'euros rien qu'à la recherche d'alternatives. Cette augmentation significative des moyens découle directement du retour d'expérience du PNRI pour la betterave, du temps où Julien Denormandie était ministre. Nous avons estimé nécessaire de dupliquer cette approche pour d'autres substances de façon anticipée, sans attendre de nous retrouver face au mur de l'interdiction. Les moyens dégagés seront financés pour partie par France 2030 et pour partie par des crédits budgétaires dédiés qui seront pérennisés.

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La Chine est responsable de 30 % des émissions mondiales de CO2, les États-Unis de 15 % et la France de moins de 1 %. Notre pays n'excelle-t-il pas déjà dans le domaine de la transition écologique ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

La France enregistre effectivement de très bons résultats et les chiffres publiés par le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA) la semaine dernière montrent une baisse de 5,8 % des émissions en 2023 par rapport à 2022. C'est une amélioration très importante, six fois supérieure à celle qui avait été enregistrée durant le quinquennat de François Hollande.

Néanmoins, la marche à franchir reste haute – et il faut la franchir. C'est important pour le climat et je considère à cet égard, comme vous, que pour que nous bénéficiions du résultat de nos efforts, il faut que les autres pays en fassent aussi. Mais la baisse des émissions de gaz à effet de serre est aussi un enjeu de survie économique pour notre pays. Les chocs économiques qui nous ont le plus mis en difficulté ont été le choc pétrolier des années 1970 et l'explosion récente des prix du gaz liée à la guerre en Ukraine. Pour préserver le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité de nos entreprises, et indépendamment des questions climatiques, nous devons réduire drastiquement notre consommation d'énergies fossiles – lesquelles représentent encore aujourd'hui 60 % de notre consommation énergétique.

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Ne craignez-vous pas que le Pacte vert pour l'Europe n'induise une baisse des productions en France ? Dans ce cas, disposez-vous de prévisions par filière ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Non : nous sommes convaincus qu'il existe une voie de passage permettant de concilier la baisse de l'impact de l'agriculture et l'amélioration de la production agricole dans certains domaines. Le rapport du Gouvernement relatif à la souveraineté agricole montre qu'en cumul, la France continue de produire plus. Il est vrai, en revanche, que, pour des raisons plus économiques qu'écologiques, certaines filières ont réduit leur production, contribuant à la dégradation de certains taux d'auto-approvisionnement. C'est parfois un problème : dans ce cas, des plans de souveraineté sont mis en œuvre pour y remédier.

Les baisses, cependant, ont systématiquement été contrebalancées par le développement de la production dans d'autres filières. La surface agricole utile est globalement stable depuis les années 1980, de même que le volume de production n'a pas baissé. La réduction du nombre d'exploitations a été totalement compensée par l'augmentation de leur taille moyenne. Les seules baisses de productions constatées sont dues aux chocs climatiques importants liés à la sécheresse ou aux inondations.

Protéger notre souveraineté agricole, c'est donc s'adapter au changement climatique – la bonne nouvelle étant que les leviers d'adaptation sont généralement ceux qui permettent aussi de réduire les émissions de gaz à effet de serre, comme les couverts végétaux ou les haies.

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La stratégie « De la ferme à la table », qui fait partie du Pacte vert, prévoit tout de même une réduction des cheptels et une baisse de 10 % à 15 % de la production européenne. Ce n'est pas moi qui le dis, mais la revue La France agricole. J'en conclus que vous ne partagez pas son analyse.

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Des études ont été réalisées pour déterminer ce que pourraient être les conséquences d'une mise en œuvre du Pacte vert que nous considérons comme malhabile : les baisses de production y sont donc majorées. Nos travaux de planification écologique démontrent au contraire qu'il existe une bonne façon de mettre en œuvre le Pacte vert, permettant de réduire les impacts environnementaux sans réduire la production agricole.

S'agissant plus particulièrement du cheptel, il faut observer l'évolution de la consommation de viande en France afin de pouvoir toujours satisfaire notre besoin grâce à la production française. Nous plaidons, non pas pour une baisse du cheptel, mais pour sa stabilisation au moins jusqu'à 2030 – horizon de nos travaux – et mettons en œuvre des mesures de politique publique en ce sens.

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Qu'entendez-vous par « malhabile » ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Je pensais plus particulièrement à l'étude d'impact réalisée par une université au sujet du Pacte vert et à une autre étude commanditée par l'administration Trump.

Aucun texte d'application du Pacte vert n'a été publié de façon définitive – sachant, en outre, que ces textes devront ensuite être transposés au niveau national. L'impact réel du Pacte vert dépendra des paramètres choisis. Les études préalables ont anticipé des choix qui n'ont pas encore été faits par les gouvernements et qui maximisent la perte de production. Nous sommes convaincus, quant à nous, qu'il existe des alternatives permettant d'atteindre les mêmes objectifs environnementaux sans réduire la production.

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Aucune étude ne prévoit donc de baisse de la production, dans quelque filière que ce soit, d'ici à dix, vingt ou trente ans ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Je ne peux pas prévoir que l'ensemble des filières resteront stables économiquement. Ce que nous disons c'est que, d'après toutes les études que nous avons menées, les décisions qui sont prises conduisent à un maintien de la surface agricole utile et du volume global de production. Il est vrai que certaines filières connaissent des baisses et d'autres des augmentations, mais cela est lié au type d'assolement choisi par les agriculteurs eux-mêmes – nous ne sommes pas le Gosplan ! Ce à quoi nous veillons, c'est à maintenir notre capacité productive et à traiter nos vulnérabilités. Nous souffrons d'une forte dépendance, par exemple, pour notre approvisionnement en engrais – puisque nous importons 80 % de l'azote que nous utilisons – et en alimentation animale.

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Depuis le début des travaux de notre commission, nous nous efforçons de définir la souveraineté alimentaire. Certains estiment – je ne partage pas leur vision – qu'elle consiste à garantir nos approvisionnements. En soulignant que le fait que 80 % de notre azote soient importés est un problème, vous démontrez que la souveraineté alimentaire passe aussi par la capacité à produire nous-mêmes.

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Les deux comptent : l'approvisionnement et la production. Nous exportons deux fois plus de calories que nous n'en consommons. Notre bilan en volume de matières et en calories est largement excédentaire. Là où les taux d'auto-approvisionnement sont inférieurs à 100 %, nous nous efforçons de mettre en place des plans de souveraineté. Nous soutenons, par exemple, les nouveaux acteurs qui, dans le cadre de Choose France, ont montré qu'ils étaient intéressés par la production d'engrais dans notre pays. Nous sommes lucides, en revanche, sur la nécessité à court terme de travailler sur les deux volets : sécuriser nos sources d'approvisionnement, et si possible les diversifier, pour continuer à importer en partie, tout en augmentant nos capacités de production.

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Comment envisagez-vous concrètement les clauses miroirs ? Êtes-vous favorable, par exemple, à l'interdiction d'importer des produits qui ne sont pas soumis aux mêmes normes que les productions françaises ? En Nouvelle-Zélande – pays avec lequel nous venons de signer un accord de libre-échange –, les agriculteurs utilisent par exemple de l'atrazine, un produit phytosanitaire interdit depuis 2003 en France. Faut-il l'interdire tout de suite ? Nous ne sommes pas capables en effet, aujourd'hui, de mettre vraiment en œuvre les clauses miroirs.

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Nous soutenons de façon très claire l'ensemble des clauses miroirs et souhaitons qu'elles soient réellement applicables et contrôlées – ce qui renvoie à la question de la détection des substances en cause dans les produits que nous importons. En ce sens, le SGPE travaille non seulement sur les accords commerciaux mais aussi sur le renforcement des moyens de contrôle, dans le but d'assurer la cohérence de notre politique. En la matière, nous avons clairement des marges de progression.

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Je suis étonné, monsieur Pellion, que vous n'ayez pas davantage présenté votre parcours. Depuis dix ans dans les arcanes de l'État, à des postes plus ou moins semblables – que ce soit auprès de Ségolène Royal, d'Élisabeth Borne ou à l'Élysée –, vous appliquez des politiques dont certaines n'ont pas fonctionné, et dont d'autres ont donné lieu à des changements de pied. Vous semblez considérer que tout va bien dans le meilleur des mondes et ne pas estimer nécessaire de tirer des leçons de votre expérience. Certaines politiques ont totalement échoué, en matière d'énergie notamment, vous conduisant à emprunter d'autres chemins. Dans le domaine agricole, la crise actuelle entraîne une remise en cause des politiques dans les discours mais pas dans le fond – s'agissant des jachères, par exemple. Les décisions prises à Bruxelles ont mis les agriculteurs des Pays-Bas dans la rue.

Dans ces conditions, quel bilan tirez-vous des politiques écologiques que vous mettez en œuvre depuis dix ans ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Lorsque vous m'avez auditionné dans le cadre de la commission d'enquête sur la perte de souveraineté énergétique, monsieur le député, j'ai eu l'occasion de revenir sur mon parcours sans rien cacher. Je suis tout à fait disposé à répondre à vos questions plus précises sur ce sujet. Je tiens, à cet égard, à signaler que je travaille sur les sujets de politique agricole depuis 2019, date à laquelle j'ai rejoint le cabinet de Jean Castex et pris la responsabilité d'un pôle comprenant l'agriculture – sachant que Julien Turenne, Maud Faipoux et Mathias Ginet ont successivement occupé le poste de conseiller dédié à l'agriculture. Contrairement à ce que vous avez indiqué, je n'ai donc pas de responsabilités en matière de politique agricole depuis dix ans.

En matière d'écologie, les politiques mises en œuvre ont permis une accélération croissante de la baisse de nos émissions de gaz à effet de serre, laquelle est passée de 1 % par an entre 2012 et 2016 à près de 3 % entre 2017 et 2022 et quasiment à 6 % en 2023. Les chiffres montrent l'efficacité de nos politiques. Dans le même temps, nous avons eu le souci d'assurer un accompagnement constant et de tenir compte des retours d'expérience sur certains sujets.

Vous avez mentionné les situations qui se sont envenimées en citant les Pays-Bas. Contrairement à ce pays, la France n'a pas imposé par voie réglementaire ou législative de baisse du cheptel : le SGPE prône sa stabilisation et incite à prendre des mesures d'accompagnement d'ici à 2030. Vous auriez pu évoquer aussi le cas de l'Allemagne, dont le Gouvernement a pris la décision unilatérale de taxer le GNR et de prélever ainsi près de 2 milliards d'euros sur l'ensemble des agriculteurs sans aucune compensation ni mesure d'accompagnement.

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C'était une question ouverte, pas une accusation ! Vous dites n'avoir pas eu de responsabilités en lien avec la politique agricole avant 2019. Lorsque vous étiez membre du cabinet de Ségolène Royal, vous n'avez donc rien eu à connaître de ses déclarations sur le glyphosate ?

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

En tant que conseiller énergie, je n'avais pas à en connaître sur les pesticides et ne l'ai donc pas conseillée à ce sujet.

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Je vous remercie de votre réponse ; dont acte.

Interrogé à plusieurs reprises sur l'étude d'impact du nouveau plan Écophyto, vous avez indiqué qu'il n'existait pas de telle étude mais qu'à défaut, vous aviez considéré que les 20 % de pratiques les plus vertueuses devaient, puisqu'elles étaient possibles, être généralisées. Mais un tel calcul n'est pas une étude d'impact ; il n'a aucun sens, ni sur le plan de la méthodologie scientifique ni sur celui du raisonnement. Ce n'est pas parce que 20 % des exploitants ont atteint un résultat que tous les autres peuvent y parvenir, car les conditions ne sont pas partout les mêmes.

J'ajoute que le chiffre de 50 %, retenu comme objectif dans un nombre considérable de politiques publiques, s'apparente à un nouveau nombre d'or, à un chiffre magique. C'est une construction humaine qui ne correspond à aucun phénomène naturel, à aucune réalité. On risque d'ailleurs de réaliser dans dix ans, comme ce fut le cas pour la réduction de la part d'énergie nucléaire, que cet objectif de 50 % est sorti de nulle part !

J'aimerais que vous nous expliquiez comment il est possible de généraliser 20 % de pratiques à toute l'économie agricole – cela ne s'est jamais vu dans aucun secteur – et d'où sort l'objectif de 50 %. Des études empiriques ne devraient pas aboutir à des nombres ronds. Ces méthodes sont celles de Merlin l'enchanteur plutôt que celles de Marie Curie !

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Une étude d'impact avait bien été réalisée au niveau européen au sujet du projet de règlement SUR prévoyant une réduction de 50 % de l'usage des pesticides.

Cet objectif de 50 % n'est pas nouveau : il trouve son origine dans le précédent plan Écophyto, et avait donc été fixé avant 2019. Le travail de planification consiste à vérifier si l'atteinte de cet objectif est possible techniquement et économiquement et à déterminer la trajectoire à suivre. Une démarche très précise a été engagée pour cela. Elle consiste à recenser, pour chacune des 400 substances considérées, l'ensemble des usages et leur volumétrie, ainsi qu'à identifier les alternatives et les plans de recherche possibles.

Cette démarche s'est cependant heurtée à un obstacle lié à l'état actuel de nos connaissances. Les résultats de l'effort de recherche engagé, encore incertains, ne seront connus que progressivement d'ici à 2030.

Dans ces conditions, est-il possible de conserver l'objectif de 50 % ou risquons-nous de rencontrer des difficultés pour l'atteindre ? Deux éléments nous permettent de répondre à cette question. Le premier est l'ordre de grandeur que j'ai donné et l'alignement sur les 20 % de meilleures pratiques. Je ne dis pas que l'évaluation ainsi faite est très scientifique ; elle est néanmoins étayée par des cas concrets et par des pratiques actuelles d'agriculteurs. Elle nous a conduits à considérer que, quand bien même aucune substance nouvelle ne serait interdite, il serait possible d'obtenir la baisse voulue en s'alignant sur les 20 % de pratiques les meilleures.

Cette mesure ne garantit certes pas que toutes les filières pourront atteindre l'objectif, mais elle se cumulera avec le deuxième élément : les nouvelles interdictions de molécules susceptibles d'intervenir d'ici à 2030 – pour lesquelles nous veillerons à l'existence d'alternatives.

J'ajoute que le principe « pas d'interdiction sans solution », que nous avons acté, est en quelque sorte une clause de revoyure pragmatique. Au cas où ni l'alignement sur les meilleures pratiques dans un premier temps, ni la recherche d'alternatives dans un second temps, ne permettraient d'atteindre l'objectif, nous reverrions celui-ci afin de ne laisser personne sans solution.

Nous avons eu l'occasion de présenter ce dispositif à trois étages à l'ensemble des agriculteurs et de leur expliquer clairement que l'objectif était conditionné au fonctionnement du plan d'action. C'est pour cette raison que nous consacrons beaucoup de moyens à la recherche d'alternatives et à l'accompagnement de leur déploiement. C'est, je crois, un changement de pied très important : nous ne regardons pas simplement les solutions techniques qu'il est possible de proposer mais aussi les voies et les moyens de leur généralisation.

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Les 20 % d'exploitations ayant les meilleures pratiques incluent-elles des exploitations bio, ou uniquement conventionnelles ?

Par ailleurs, avez-vous envisagé un éventuel effet bouclier, c'est-à-dire la possibilité que les 80 % d'exploitations utilisant davantage de produits phytosanitaires protègent indirectement les 20 % qui en utilisent le moins ? Une parcelle non traitée peut être protégée par les parcelles traitées alentours – de la même façon que, comme les agriculteurs bio le disent eux-mêmes, des molécules peuvent être diffusées dans l'air ou dans l'eau et contaminer des terres voisines. Si l'ensemble des agriculteurs s'alignent sur les meilleures pratiques, cet effet bouclier risque de disparaître.

Vous considérez systématiquement le verre à moitié plein. C'est bien, d'être optimiste. Je souhaite, moi aussi, que l'on trouve des alternatives aux molécules, mais cela n'arrivera pas forcément : malheureusement, ce n'est pas parce que l'on consacre beaucoup d'argent à certaines recherches que l'on trouve des solutions ! Voyez le cas des recherches pharmaceutiques pour trouver des traitements contre certaines maladies. Il me semble que vous n'avez rien prévu au cas où les choses ne se passeraient pas comme attendu, alors que le risque, c'est l'effondrement de l'alimentation !

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Une planification, c'est un plan de bataille susceptible de fonctionner. Lorsque nous avons élaboré la nôtre, nous n'avons rien inventé de nouveau mais repris globalement l'ensemble des mesures existantes. Ce point me permet de préciser que la baisse des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 s'expliquera à hauteur de 60 % par la généralisation de mesures existantes et à hauteur de 20 % par des efforts de sobriété : la part de la baisse liée à l'innovation ne sera que de 20 %. Loin de tout technophilisme béat, loin de croire que l'argent investi nous permettra de résoudre les problèmes, nous faisons preuve du plus grand pragmatisme. Les leviers à actionner en même temps sont si nombreux, néanmoins, qu'il est important de les mettre tous sur la table pour déterminer la façon d'avancer.

Planifier, ce n'est pas non plus rédiger un énorme rapport listant ce qu'il faudrait faire : c'est prévoir un dispositif très précis de suivi annuel et, le cas échéant, réajuster les actions dans le but d'atteindre les objectifs – pas seulement écologiques, mais aussi économiques et sociaux.

En tout état de cause, un plan de bataille est néanmoins nécessaire au début. À défaut, nous ne ferions rien, ou bien nos efforts seraient désordonnés et contre-productifs – ce qui serait destructeur pour notre pays, pour sa souveraineté, pour l'économie et pour le pouvoir d'achat des ménages.

Pour répondre à votre question sur les meilleures pratiques, je précise que nous n'avons pas intégré les exploitations bio à notre calcul.

Enfin, l'effet bouclier que vous évoquez n'est pas avéré. Ce sont d'ailleurs les substances qui s'envolent et qui risquent de contaminer d'autres zones qui posent le plus de problèmes, en matière sanitaire notamment. Si elles ne sont pas encore interdites, elles sont les plus susceptibles de l'être. Elles pourraient en effet se retrouver dans des cours d'école et affecter la santé des enfants.

Il est vrai que des charges de produits phytosanitaires peuvent, en passant par les nappes phréatiques, se retrouver dans des exploitations voisines. Cet effet n'est pas quantifié à l'échelle nationale et c'est justement pour en tenir compte que nous avons choisi de retenir un échantillon significatif en considérant les 20 % – et non les 3 % – de pratiques les meilleures.

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Vous utilisez souvent des raisonnements qui ont l'air rationnels mais qui ne le sont pas forcément. Vous dites que 20 % seulement de la baisse des gaz à effet de serre viendra de l'innovation et 80 % de la généralisation de pratiques éprouvées. Mais l'effet de proportionnalité n'est pas forcément pertinent. S'il vous manque 20 % de certaines fonctions vitales, vous mourrez, même s'il vous en reste 80 % ! Cette façon de présenter les choses, utilisée depuis dix ans pour rassurer les gens, m'interpelle. Je ne dirai pas qu'elle relève de la mauvaise foi car je ne voudrais pas être désagréable, mais elle a ses limites. S'il manque 20 % de l'alimentation nécessaire à une population, c'est la disette ! Le chiffre de 80 % peut sembler raisonnable mais, en réalité, il ne l'est pas forcément.

L'exemple de la betterave illustre la limite de ce que vous venez d'exposer. Vous dites que tout s'est bien passé, mais la filière considère que cela relève plutôt du miracle ! Les faits n'ont pas démontré que l'interdiction des néonicotinoïdes n'aurait pas de conséquences graves. Je souhaite que tout se passe bien mais, une fois de plus, aucun plan alternatif ne semble prévu.

Vous dites que les difficultés de la filière de la betterave ne peuvent pas se résumer à l'interdiction des néonicotinoïdes. Je suis parfaitement d'accord ; elle rencontrait déjà des problèmes auparavant. Avant même d'être élu, je me suis d'ailleurs battu au sein de ma famille politique contre la remise en cause des quotas ou l'optimisation de la filière par des acteurs privés à leur seul bénéfice.

Mais ce n'est pas une réponse de planificateur que vous apportez, car vous ne prenez en compte qu'un seul problème, celui des produits phytosanitaires, sans vous attaquer aux autres. Vous n'avez aucun plan pour augmenter la production de betterave ou pour développer ses différents usages, alors qu'elle est un don de nature : elle peut être utilisée pour la production d'éthanol ou dans la chimie verte, par exemple.

Je vois bien en quoi consiste votre planification lorsqu'il s'agit de réduire les émissions ou d'interdire certains produits, mais je ne vois rien d'autre. Ma famille politique n'a jamais été contre la planification, et n'a pas changé d'avis. Mais plus qu'un secrétaire général à la planification, vous me semblez être un secrétaire général à l'interdiction !

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Je vous invite au SGPE et suis à votre disposition pour vous présenter la planification, car vous n'avez sans doute pas lu tous nos travaux. Le sujet du développement des filières industrielles est intégré dans la planification. Dans les domaines de la betterave et du sucre que vous avez évoqués, nous ne limitons pas la planification à la recherche d'alternatives aux néonicotinoïdes. Grâce à France 2030, nous déployons des aides à l'investissement dans la production de transformation du sucre pour pérenniser l'actif et remplacer les énergies fossiles, afin, notamment, de protéger l'activité des aléas pesant sur les prix internationaux de ces facteurs de production. Notre vision de la filière dépasse donc largement la seule écologie et s'attache à l'équilibre économique et à l'enjeu de souveraineté. Par ailleurs, le taux d'auto-approvisionnement dans la filière sucrière atteint presque 170 %, donc notre objectif prioritaire n'est pas d'augmenter significativement la production française de sucre compte tenu des contraintes pesant sur la SAU – la physique reste la physique.

Toujours dans le cadre de la planification, nous avons élaboré un plan portant sur les biocarburants et le développement de la filière de l'éthanol. Nous avons mis en évidence un problème dans la filière industrielle des biocarburants 2G et 3G : nous possédions la matière première mais nous ne disposions pas de tous les actifs de transformation ; nous avons développé, via France 2030, l'accompagnement des acteurs de la filière pour développer les chaînons manquants. La logique est, là encore, de mener une action globale, sensible aux enjeux économiques et de souveraineté. Dans la même démarche économique et de souveraineté, nous soutenons, avec des crédits de France 2030, l'installation de nouveaux acteurs de production d'engrais dans notre pays.

Dans le domaine de la politique industrielle, les mesures de conditionnement du bonus automobile à l'empreinte carbone ont eu un impact considérable : entre décembre 2023 et mars 2024, la part de véhicules électriques neufs d'origine asiatique est passée de 50 % à un peu plus de 10 %. Ces actions très concrètes illustrent notre vision d'ensemble de la planification écologique, notre but étant d'atteindre nos objectifs environnementaux dans un souci d'équité et de justice sociale tout en intégrant les enjeux de souveraineté énergétique – notre plus grande fragilité tient à notre extrême dépendance aux énergies fossiles – et agricole.

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Je connais les actions que vous venez de présenter. Je ne sous-estime pas votre travail, ne sous-estimez pas le mien.

L'essentiel des investissements dans la filière sucrière ne vise pas à produire davantage mais à décarboner. Je ne suis pas opposé à la décarbonation mais elle ne peut pas représenter une part aussi considérable du soutien à l'investissement. Le taux de couverture dépasse peut-être 150 %, mais l'important est de savoir ce que nous faisons de notre production : si la France décidait de devenir la raffinerie d'éthanol de l'Europe, ce taux de couverture pourrait se révéler insuffisant.

Je me réjouis qu'un nouveau site de production d'engrais ouvre dans notre pays, mais un autre est en train de fermer en Loire-Atlantique – une source de production cesse et n'est pas encore remplacée, car la mise en fonctionnement d'un site prend du temps. Marine Le Pen défend l'hydrogène depuis plus de quinze ans. Nous nous réjouirions qu'il puisse constituer une alternative crédible, mais nous ne sommes pas certains de pouvoir en produire massivement.

La France pourrait devenir cheffe de file de la production de bioéthanol en Europe, mais les investissements dans les raffineries ne semblent pas pouvoir lui donner ce rôle. Je parle de chimie verte en Picardie depuis quinze ans : de petits projets existent, comme pour les pneus verts, mais ils ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux. Je peine à voir les perspectives, monsieur le secrétaire général.

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Dans le domaine industriel, nous nous trouvons, dans la plupart des cas, dans une phase de réinvestissements, car les actifs ont souvent trente, quarante voire cinquante ans. Sur le site d'ArcelorMittal à Dunkerque, des dépenses de réinvestissement massives sont nécessaires pour assurer la production des trente prochaines années. Parmi les éléments qui influent sur la décision, les prix de l'énergie jouent un grand rôle, et c'est pourquoi nous travaillons au développement de tarifs de l'électricité compétitifs pour ce type de sites. Il existe, en outre, un enjeu de désensibilisation au prix des énergies fossiles qui fait que la pérennité du site passe par la décarbonation. Cette dernière représente la façon la plus simple de soutenir les programmes de réinvestissements indispensables pour assurer la pérennité de certains sites industriels à vingt ou trente ans et le maintien des emplois concernés. Cela ne signifie pas que seule la décarbonation nous préoccupe, mais celle-ci constitue un moyen de répondre aux préoccupations des industriels.

Un des éléments clés de l'avenir du pays est la disponibilité de nos ressources naturelles. Cette préoccupation recouvre un enjeu économique, écologique et de souveraineté. Le changement climatique affaiblira la ressource en eau et amoindrira la biomasse disponible, importante pour la production agricole et la bioénergie. Nous cherchons à donner de la visibilité aux pouvoirs publics et aux acteurs économiques en étudiant l'évolution de ces ressources et en réfléchissant à des politiques publiques capables de les préserver. L'objectif est de préparer la France de demain à ces chocs exogènes. Des études précises dessinent la trajectoire de la disponibilité de la biomasse qu'apportent les forêts et les terres agricoles : cette ressource ne sera pas infinie demain, si bien que nous devrons gérer précautionneusement son usage en définissant la part qui ira aux biocarburants et aux biogaz.

Nous sommes là au cœur de la planification écologique. Nous apportons aux acteurs des filières économiques une vision structurelle des orientations à prendre pour l'avenir et des moyens de les mettre en œuvre, ces éléments leur étant, d'après leurs retours, très précieux pour développer et pérenniser leur activité.

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Sur le site du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, on lit ceci : « En 2020, les betteraviers français ont fait face à une crise inédite. En effet, le virus de la jaunisse transmis par les pucerons s'est développé massivement sur l'ensemble des régions productrices françaises et a très fortement impacté la production de betterave sucrière. Cette maladie a entraîné des pertes de rendements d'environ 30 % en moyenne et pouvant dépasser 60 % localement. » Il ne s'agissait donc pas d'un épisode mineur.

Vous semblez dire que le problème a été réglé, mais alors pourquoi les betteraviers ont-ils manifesté il y a un peu plus d'un an devant les Invalides, sous vos fenêtres, pour vous dire le contraire ? Il y a une grande différence entre votre appréciation et celle des agriculteurs sur le terrain.

À la fin de cette audition, j'ai le sentiment que votre stratégie consiste à tirer le plus possible sur la corde tout en vous assurant qu'elle ne casse pas. Les Français ont pu le voir en janvier et février derniers : les agriculteurs vous disaient que la corde allait casser. Pourtant, comme l'a relevé Jean-Philippe Tanguy, le Gouvernement a voulu faire croire à une inflexion mais l'on continue sur la même trajectoire.

On ne voit pas comment on pourrait être rassurés lorsque l'on constate que les effectifs agricoles continuent de baisser et que des agriculteurs ne peuvent pas vivre de leur métier. Nous avons décroché en matière de souveraineté alimentaire parce que nous sommes sur une mauvaise trajectoire. Pour cette raison, notre agriculture va continuer de péricliter.

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Tout d'abord, en tant que conseiller auprès du Premier ministre, j'ai participé à l'élaboration des dizaines de mesures très concrètes qui ont été décidées au printemps pour aider les agriculteurs. L'ensemble des acteurs nous disent que les choses évoluent vraiment. Je ne suis donc pas d'accord avec vous lorsque vous estimez que le discours change mais que les actes ne suivent pas. Cela ne correspond pas à la réalité.

Ensuite, je vous invite à consulter les projections réalisées par Météo France en matière d'effets du changement climatique. Grâce au guichet numérique qui a été mis en place, en tapant l'adresse d'une commune, on peut savoir de manière très concrète ce que seront les températures moyennes, le nombre de jours de canicule ou l'ampleur de la baisse des précipitations. Une ville comme Lille aura un climat comparable à celui de Carcassonne actuellement. En fait, nous sommes en train de vivre un changement géographique.

Prenons l'exemple de nos voisins espagnols, car le climat de la France sera demain comparable à celui de l'Espagne aujourd'hui. Le système agricole espagnol est en train de s'effondrer parce qu'il ne s'est pas préparé. Il souffre d'un problème de ressource en eau. On a beau construire des infrastructures de stockage d'eau, cela ne sert guère si la pluie ne tombe pas. Les scientifiques nous disent que le changement climatique ne se traduira pas par plus de pluie l'hiver et moins l'été, mais bien par moins d'eau disponible sur l'ensemble de la planète au cours de l'année.

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Si l'on avait pu stocker l'eau qui est tombée cet hiver, nous en aurions assez…

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Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Non, car avec l'accroissement des températures l'évaporation augmente l'été. Quel que soit le système de stockage, nous aurons moins d'eau à notre disposition.

C'est ce que sont en train de vivre les Espagnols, dont le système agricole s'effondre. Il faut éviter cela. Lorsque nous discutons avec les filières agricoles, personne ne remet en cause la nécessité de la transformation, précisément pour maintenir notre potentiel de production et continuer à avoir une agriculture française forte.

C'est exactement ce que nous faisons en matière d'eau et de produits phytosanitaires. Nous ne limitons pas l'emploi de ces derniers par plaisir mais parce qu'ils ont un impact sur les écosystèmes. Nous avons perdu plus de 30 % des oiseaux des plaines en quelques dizaines d'année. Nous faisons face au même phénomène pour les insectes, ce qui a des conséquences sur la pollinisation – donc sur les facteurs de production. Nous cherchons à maintenir une capacité agricole française extrêmement forte.

Les chiffres montrent que nous n'avons pas décroché. En revanche, certaines filières vont mal, non pas en raison de la politique environnementale mais du fait de l'absence de juste rémunération. Tout ne va pas bien et il faut faire des changements. C'est l'objet des travaux en cours sur la contractualisation, sur Egalim, sur la réciprocité et sur les accords commerciaux. Ces travaux sont essentiels. Le Gouvernement l'a toujours dit et je dis exactement la même chose. On a des progrès à faire en la matière.

La transformation à la fois économique et écologique du pays a pour objectif d'être demain une puissance agricole forte afin de satisfaire nos besoins alimentaires, de prendre notre part dans la constitution de puits de carbone grâce aux sols agricoles et de produire la biomasse nécessaire pour les biomatériaux et la bioénergie, ce qui réduira notre dépendance énergétique et les problèmes de souveraineté liés aux importations d'énergies fossiles.

L'agriculture est au cœur de tout cela. C'est pourquoi nous lui accordons une attention très particulière et l'accompagnons ; et nous continuerons à le faire demain.

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Près de deux heures et demie d'audition nous ont permis d'aller au fond des sujets. Merci beaucoup, messieurs.

La séance s'achève à treize heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Grégoire de Fournas, M. Jordan Guitton, M. Serge Muller, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, Mme Mélanie Thomin

Excusé. – Mme Anne-Laure Blin