La souveraineté, qu'elle soit agricole, énergétique ou qu'elle concerne les matières premières, est au cœur des travaux de planification écologique. Nous avons construit cette dernière en sorte d'atteindre nos objectifs en matière de diminution des émissions de gaz à effet de serre, d'adaptation au changement climatique et de maintien de la biodiversité, tout en y intégrant les enjeux économiques de croissance, de réindustrialisation et de développement des filières. J'ai participé ce matin même au séminaire gouvernemental sur l'écologie, dont l'un des thèmes centraux était la cohérence entre les politiques environnementale et économique. Dans cette optique, les enjeux de souveraineté agricole sont importants.
Je distingue la souveraineté agricole de la souveraineté alimentaire ; ce sont deux notions qui se complètent. La production agricole française est essentiellement alimentaire, mais pas totalement. De ce fait, elle recouvre d'autres enjeux de souveraineté, notamment énergétiques et de biomatériaux : compte tenu de notre dépendance aux énergies fossiles, conserver une base agricole forte est aussi un élément de souveraineté.
Le SGPE, placé auprès du Premier ministre, assure un travail de coordination. Il a été très étroitement associé à la rédaction du rapport sur la souveraineté agricole transmis au Parlement. Avec mon adjoint Frédérik Jobert, nous avons été parmi les principaux rédacteurs de ce document. Le sujet est important dans les travaux de planification.
La France compte la surface agricole utile (SAU) la plus vaste d'Europe. L'étendue de la SAU est globalement stable, malgré une légère baisse depuis les années 1980. Contrairement à ce que l'on entend, la SAU française ne s'est pas fortement réduite ces dernières années. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas de problèmes, mais ceux-ci se nichent davantage au sein des filières agricoles, certaines d'entre elles se dégradant et étant remplacées par d'autres. L'espace des prairies se restreint ; cette diminution ne touche pas les surfaces de production de céréales, au contraire de l'espace viticole, dont le resserrement résulte de la très forte baisse de la consommation quotidienne de vin.
On entend également beaucoup parler de la diminution du nombre d'exploitations : ce phénomène traduit une évolution de celles-ci et non une contraction de la production. En effet, le maintien de la SAU et la réduction du nombre d'exploitations attestent de l'augmentation de la taille de celles qui subsistent. Le modèle de l'exploitation familiale a subi de profondes évolutions et transformations, qu'ont étudiées des sociologues et des économistes comme François Purseigle. Il faut se garder de faire un raccourci entre la baisse du nombre d'exploitations et celle de la production, car seule la première est avérée.
Les rendements n'ont pas diminué au cours des dernières années et ils restent, par exemple pour le blé, parmi les meilleurs d'Europe. Ils ont fortement augmenté après la Seconde Guerre mondiale, sous l'effet de la mécanisation, des engrais et des travaux de sélection variétale. Le processus de croissance régulière des rendements a atteint une limite : l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), avec lequel nous travaillons beaucoup sur ces sujets, indique que si l'amélioration variétale se poursuit, des facteurs exogènes menacent les rendements. Au premier rang de ces éléments figure le changement climatique, qui induit des chocs en termes d'eau et de température. Les chiffres ne permettent pas d'établir un lien entre l'évolution des autorisations des produits phytosanitaires et celle des rendements. En revanche, la production de filières éprouvant des difficultés économiques pourra être affectée par la variation des produits phytosanitaires. L'étude des conditions climatiques et pédoclimatiques du territoire montre que nous sommes proches du rendement théorique maximal pour plusieurs productions.
La balance commerciale agricole reste excédentaire. Je ne veux pas faire accroire que tout va bien dans le domaine de la souveraineté alimentaire, simplement, les difficultés se mesurent filière par filière. Leur taux d'approvisionnement est éloquent à cet égard : dans certaines d'entre elles, la production n'a pas suivi l'évolution de la consommation ; cela signifie que d'autres filières se sont emparées de la SAU : la production globale n'a pas baissé mais celle de certaines filières s'est contractée. Les difficultés économiques ont trait aux rémunérations, par exemple dans les filières de l'élevage bovin et des fruits et légumes. Pour faire face à ces baisses de production, le Gouvernement a déployé des plans de souveraineté pour l'élevage, les fruits et légumes ou les protéines végétales.
La France accuse des dépendances dont on entend peu parler mais qui se révèlent structurantes. La première tient à l'importation d'azote, c'est-à-dire d'engrais. Nous achetons 80 % de l'azote que nous consommons à des pays tiers plus ou moins conciliants. La production d'engrais est très intensive en énergies fossiles, notamment en gaz, et a donc un très fort impact environnemental. Il faut étudier l'ensemble de la chaîne pour pouvoir évaluer la souveraineté et avoir conscience de la fragilité que représente notre dépendance aux importations d'azote. Dans le cadre de France 2030, nous travaillons à la décarbonation des usines d'engrais françaises, tâche qui contribue à la lutte contre le changement climatique, à la pérennisation de l'outil industriel dans le territoire et à la réduction de notre dépendance au prix des énergies fossiles. Nous accusons également une grande dépendance, que nous avons chiffrée dans le rapport, en matière de protéines végétales nécessaires à l'alimentation animale. La balance commerciale indique que nous sommes les champions de l'exportation de matières brutes et de l'importation de matières transformées. Nous devons relever un énorme défi en matière de souveraineté, celui de renforcer la robustesse de notre chaîne agroalimentaire et de réduire notre dépendance à certaines importations.