La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Hier, à l'occasion de la Journée internationale des droits de l'enfant, le Gouvernement a présenté son plan de lutte – nécessaire ! – contre les violences faites aux enfants. L'une de ces violences insupportables se joue tous les jours, devant nous, dans nos villes : celle que subissent les enfants qui dorment dans la rue.
Ils s'appellent Zack, Mickaël, Hermès ou encore Élisa ; ils dorment dans la rue à Tours, dans ma ville,…
…comme les quelque 3 000 enfants qui ne bénéficient pas de la protection que la France leur doit. C'est insupportable !
Depuis douze jours, j'accueille quelques familles dans ma permanence, transformée temporairement en centre d'hébergement d'urgence.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES et sur quelques bancs des groupes LFI – NUPES et GDR – NUPES.
Cette solution n'est pas meilleure que l'hébergement dans une école, mais j'en profite pour lancer un énième cri d'alerte.
Dès ce soir, de nombreux enfants et leurs familles appelleront à nouveau le 115 en espérant que la rotation leur soit favorable. Beaucoup se trouveront encore sans solution, ce qui est insupportable. L'abbé Pierre disait : « Les hommes politiques ne connaissent la misère que par les statistiques. On ne pleure pas devant les chiffres. » S'il savait à quel point cette phrase résonne aujourd'hui…
À l'heure où je vous parle, monsieur le ministre délégué chargé du logement, vous savez que 2 800 enfants dormiront dehors ce soir, qu'il manque 10 000 places d'hébergement d'urgence et que les plans « logement d'abord » ne constituent ni une réponse pour tout le monde, ni une solution pleinement active. À l'heure où je vous parle, je n'ai eu aucune réponse à mes courriers et à mes sollicitations !
M. Pierre Cordier s'exclame.
Ne me répondez pas seulement par des chiffres. Ne me dites pas que vous avez consenti tel ou tel effort financier et que le budget augmentera en 2024 ; en réalité, il diminuera par rapport aux dépenses réelles de 2023. Monsieur le ministre délégué, derrière les chiffres, il y a des enfants en danger et des familles. Êtes-vous prêt à venir sur le terrain pour vous rendre compte de la situation et à rouvrir la discussion au sujet des 10 000 places d'hébergement d'urgence manquantes ? Ne me répondez pas par des chiffres, mais dites-moi où dormiront ce soir les enfants de Tours que j'ai mentionnés.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES, SOC et GDR – NUPES.
Selon la Fédération nationale des associations d'accueil et de réadaptation sociale (FAS) et selon l'Unicef, 2 822 enfants dorment dans la rue ; c'est 2 822 enfants de trop. Il convient de rappeler ce que nous avons fait et ce que nous devons encore faire.
Nous avons préservé l'hébergement d'urgence, et vous le savez. Nous avons décidé le maintien de 203 000 places, ce qui représente une hausse considérable des moyens dédiés à l'hébergement d'urgence : ils ont augmenté de plus de 40 % depuis 2017, ce que vous savez aussi.
Nous devons continuer à agir, car aucun parent ni aucun enfant ne souhaite dormir dans un centre d'hébergement d'urgence. Un tel séjour doit être temporaire. C'est pourquoi Élisabeth Borne, Première ministre, Charlotte Caubel, secrétaire d'État chargée de l'enfance et Patrick Vergriete, ministre délégué chargé du logement, travaillent à faire en sorte que l'hébergement d'urgence, solution transitoire de mise à l'abri, débouche sur l'accès à un logement pérenne, notamment grâce au plan « logement d'abord ». Tel est le défi qu'il nous faut relever.
Par ailleurs, la scolarisation des enfants accueillis en centre d'hébergement d'urgence est un enjeu majeur. Le Gouvernement travaille en ce sens, particulièrement le ministre de l'éducation nationale. En effet, un enfant qui ne dispose pas d'un logement pérenne doit avoir accès à une scolarité normale, ce qui n'est pas forcément le cas en pratique. C'est pourquoi nous agissons,…
…notamment grâce aux médiateurs scolaires et aux médiateurs sociaux, pour garantir que la mise à l'abri des enfants, loin d'être un facteur de précarité supplémentaire, soit aussi bénéfique à leur vie sociale et familiale. C'est ainsi que nous parviendrons à répondre à ce problème urgent.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Ce soir encore, des enfants dormiront dehors ; vous ne m'avez pas répondu à ce sujet. Cette situation insupportable et prolongée devrait tous nous émouvoir !
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES, SOC et GDR – NUPES.
Aucun membre du Gouvernement et aucun député n'est insensible à cette question.
Il ne s'agit pas de verser dans la surenchère de l'émotion, mais de garantir une solution durable à l'ensemble des personnes concernées.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.
C'est tout ce qui nous importe et c'est l'objectif commun que nous devons nous fixer. Je suis prête à venir chez vous, ou dans n'importe quel territoire, pour rencontrer ces enfants et leurs familles.
Mêmes mouvements. – Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Maxime Minot s'exclame également.
Yannick Morez, Saint-Brevin-les-Pins. Vincent Jeanbrun, L'Haÿ-les-Roses. Anne-Françoise Piédallu, Plougrescant. Ce sont nos maires, nos élus, les symboles de notre République ,
Mme Farida Amrani s'exclame
tous victimes d'attaques indignes en raison de leur dévotion au service de leurs concitoyens et de l'intérêt général.
Les maires sont réunis cette semaine à Paris pour le 105
Il serait peut-être temps d'agir ! Cela va faire sept ans que vous êtes au pouvoir ! Ras le bol !
Ils dénoncent la haine en ligne et les menaces et nous alertent sur ce qu'ils appellent la fatigue républicaine. Je tiens à leur dire que les parlementaires sont à leurs côtés.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem.
Au Sénat comme à l'Assemblée nationale, nous travaillons tant sur leur protection que sur leur statut et devrions aboutir à des avancées concrètes lors du premier semestre 2024, faisant notamment suite à la mission d'information dont Sébastien Jumel et moi-même sommes corapporteurs. Saluons l'abnégation des maires, qui mérite le respect de tous.
Le Gouvernement aussi agit. Comme le montrent l'installation de référents-élus dans les préfectures, la création d'une ligne de suivi psychologique, le travail en cours pour revaloriser les indemnités et la veille renforcée pour lutter contre les atteintes aux élus, notre majorité n'épargne pas ses efforts pour protéger les élus locaux.
M. Frédéric Mathieu s'exclame.
Monsieur le ministre de l'intérieur, comment comptez-vous faire en sorte que, demain, aucun citoyen ne craigne de s'engager dans un mandat d'élu local, aucun maire ne soit menacé ou attaqué et aucune famille ne soit victime de telles violences ? Comment comptez-vous préserver l'engagement républicain des maires et des élus locaux ?
Permettez-moi, à l'heure où les maires de France se réunissent en congrès, de leur apporter le soutien du Gouvernement – tout comme, j'imagine, la représentation nationale leur apporte le sien – face à la violence croissante de la société.
Monsieur Minot, certains ici ont été maires. Ce n'est pas le cas de tout le monde.
Madame Spillebout, le rapport d'information que M. Jumel et vous-même rédigerez contiendra certainement des pistes pour répondre à la violence qui touche les maires. À ce propos, je rappelle que sept atteintes aux élus sur dix concernent des élus municipaux ; fort heureusement, il s'agit essentiellement d'outrages et d'insultes, les violences physiques étant très rares, ce qui n'enlève rien à leur gravité lorsqu'elles se produisent.
Quelque 3 500 maires participent désormais au dispositif « alarme élu », que devraient rejoindre les 36 000 maires de France.
Où est la secrétaire d'État aux numéros verts ? C'est très utile ! Où est madame numéros verts ?
Les services de M. le garde des sceaux et les miens ont contribué au travail qu'ont réalisé les deux chambres du Parlement pour que les atteintes envers un élu de la République soient passibles des mêmes sanctions que les atteintes envers une personne dépositaire de l'autorité publique. Le texte en question sera mis en application au début de l'année 2024 pour que les tribunaux puissent condamner fermement les attaques contre les élus. Nous devons continuer à former les policiers et les gendarmes à la protection des élus locaux – 5 000 d'entre eux l'ont déjà été – ; je sais que les procureurs de la République rencontrent à ce sujet, dans chaque territoire, les sous-préfets, les préfets et les élus.
Les maires sont victimes de la crise de l'autorité qui touche notre société. Les violences à l'encontre des élus sont similaires à celles qui touchent les policiers, les gendarmes, les enseignants, les pompiers ou encore les médecins, car elles visent les représentants de la République. Nous devrions tous nous accorder là-dessus.
Madame Spillebout, les recommandations que M. Jumel et vous-même produirez seront écoutées par la Première ministre et par le Président de la République.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Quarante démissions par mois. Malgré cela, les maires de France, qui tiennent congrès en ce moment, ont le sentiment que l'État les ignore, voire qu'il les méprise parfois. Ce mépris se traduit par l'absence notable du président Macron à cette rencontre de tous ceux qui constituent le cœur battant de la République.
Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.
Tous les jours, les élus s'engagent sur le terrain pour répondre aux exigences de l'État qui s'accumulent. Trop souvent, ils se trouvent empêchés, humiliés ou enquiquinés plutôt qu'accompagnés par la puissance publique. Pourtant, les maires tiennent la baraque France. Qu'il s'agisse des gilets jaunes, du covid-19, de l'inflation ou des émeutes, les maires n'ont pas fait défaut face aux crises.
Ils sont restés à portée d'engueulade, sans avoir les moyens de répondre aux maux de nos concitoyens ni les outils pour réparer une République fracturée. Dernier rempart républicain, urgentistes d'une France qui va mal, les maires ont le moral en berne.
L'absence d'un véritable statut des élus locaux pèse évidemment dans la balance, aussi ma collègue Spillebout et moi-même rendrons-nous notre rapport avec l'espoir d'ouvrir la voie à un texte de loi répondant aux diverses urgences ; il s'agit bien sûr de les protéger des violences, mais pas seulement, car les causes de leur mal-être sont nombreuses et profondes. Depuis trop longtemps, la commune est attaquée, fragilisée dans son autonomie financière et malmenée par un déménagement contraint du territoire.
Attaquer la commune, c'est attaquer la République. Défendre la commune, c'est lui donner les moyens de prendre soin de ses habitants, à commencer par les moyens financiers de préserver les services publics. Concrètement, cela implique de renforcer le pouvoir d'agir du maire, dont l'avis doit compter lorsqu'il s'agit de défendre une classe menacée, de sauver une maternité,…
…d'aider la famille d'un enfant handicapé ou encore de faire face à la bombe sociale que représentent les difficultés à se loger. Le temps n'est pas aux beaux discours ou à la câlinothérapie ; au-delà des violences faites aux élus, comment le Gouvernement envisage-t-il de faire respecter les communes ?
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR – NUPES et sur plusieurs bancs des groupes SOC et Écolo – NUPES.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la citoyenneté et de la ville.
Les maires sont au cœur des préoccupations du Gouvernement, vous le savez. Ce sont eux qui incarnent la République et mettent en œuvre pragmatiquement des solutions de terrain. Ils sont les premiers à expérimenter, à adapter et à évaluer les politiques publiques. La démission d'un maire constitue toujours une perte dans les rangs de ceux qui s'engagent pour l'intérêt général. Il est demandé aux préfets de suivre individuellement la situation de chaque maire.
L'engagement de nos maires est précieux.
Cela paraîtrait plus sincère si ce n'était pas lu de manière si robotique !
Vous avez raison de souligner qu'ils sont en première ligne face aux atteintes aux élus. Leur engagement exceptionnel mérite une protection exceptionnelle, que le Gouvernement met en œuvre au moyen des dispositifs spécifiques du plan national de prévention et de lutte contre les violences aux élus, financé à hauteur de 5 millions d'euros pour 2024. Forces de sécurité intérieure, magistrats et associations ont été mobilisés.
Toutefois, il convient également de donner aux maires des leviers d'action. Le Gouvernement s'engage à leur garantir des dotations financières pérennes, à simplifier l'exercice de leur mandat et à développer le droit de dérogation au soutien des initiatives locales, à la main des préfets.
La reconnaissance du travail des maires se traduit également par les travaux que vous avez engagés, M. Jumel, aux côtés de Mme Spillebout, dans le cadre d'une mission parlementaire.
La convention nationale de la démocratie locale, organisée par ma collègue Dominique Faure et par l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), s'est tenue le 7 novembre. Elle a vocation à nourrir les réflexions qu'ont engagées l'Assemblée nationale et le Sénat.
Il est vrai qu'il y a beaucoup à faire pour renforcer le rôle des maires et pour leur donner les moyens de conduire leur mandat dans des conditions dignes de leur engagement. Les parlementaires, le Gouvernement et les associations d'élus se mobilisent collectivement pour ce faire, et nous pouvons réussir ensemble.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Chers collègues, je suis heureuse de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation de l'Assemblée nationale de Mauritanie, conduite par M. Sidney Sokhona, président du groupe d'amitié Mauritanie-France.
Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.
Dans la nuit de samedi à dimanche, Thomas, qui était âgé de 16 ans, est décédé à la suite de ses blessures dans un village de la Drôme après une attaque d'une violence inouïe et sans motif apparent.
Je veux m'associer, au nom du groupe Horizons, à la douleur de ses proches, de sa famille, de ses amis, de son village.
Applaudissements sur tous les bancs.
La France vit une période de tension sociale et de repli, aussi bien dans les villes que dans les villages. Cette attaque dans un petit village du sud de la France ainsi que les difficultés que rencontrent nos concitoyens au quotidien contribuent à entretenir le climat anxiogène dans lequel nous évoluons depuis quelques mois.
En outre, une violence et une pression de plus en plus importantes s'exercent sur les femmes et les hommes qui consacrent leur vie professionnelle – et bien trop souvent leur vie personnelle – au service de nos concitoyens. Je pense ici aux élus, qui ont été cités par Violette Spillebout et Sébastien Jumel, aux professeurs, aux policiers, aux gendarmes, aux sapeurs-pompiers, aux personnels soignants.
Il y a quelques semaines, la nation a de nouveau enterré un de ses professeurs. Un maire sur deux ne souhaite pas se représenter en 2026. Qui va tenir notre nation lorsque plus personne ne s'engagera dans le vivre ensemble ?
Exclamations sur quelques bancs du groupe RN.
Lorsque ces personnes engagées pour notre République ou ces simples citoyens sont attaqués, agressés, caillassés, insultés, notre démocratie tout entière en pâtit.
L'État doit apporter très rapidement des réponses et des solutions pérennes à cette situation afin de garantir la sécurité, la tranquillité et le bien vivre ensemble de toutes et tous en France.
Mêmes mouvements.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour endiguer ce phénomène ?
Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.
« Ah ! » sur les bancs du groupe LR. – Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
Vous irez bientôt en vacances, vous aussi.
Vives exclamations sur les bancs du groupe LR.
La dernière fois que vous vous êtes présenté à des élections, vous avez obtenu 8 % des voix !
Monsieur Lemaire, je veux d'abord m'associer à la compassion que vous avez témoignée à l'égard de ce gosse qui est mort à l'âge de 16 ans. Nous pensons tous à sa famille. Pourtant, je ne doute pas que, dans quelques instants, certains tenteront d'exploiter de façon politicienne ce drame absolu.
Protestations sur les bancs des groupes RN et LR. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
S'agissant des élus, j'ai demandé au procureur de la République des réponses fermes. Je ne veux pas me payer de mots, aussi vous présenterai-je des chiffres.
« Ah ! » sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
En 2022, le taux de réponse pénale aux actes commis contre des élus s'élève à 98 % contre 94 % en 2017. À gravité égale, pour des faits de violence, le taux de prononcé d'un emprisonnement ferme est de 51 % pour une durée moyenne de 15,4 mois lorsque la victime est un élu contre 23 % et une durée moyenne de 8 mois en l'absence de circonstances aggravantes.
Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.
Le taux de déferrement est de 51 % lorsque la victime est un élu contre 11 % sinon.
Exclamations sur les bancs du groupe RN.
Le taux de mandat de dépôt est de 63 % contre 18 %. Cela confirme évidemment la prise en considération de la qualité d'élu par nos juridictions. Certains peuvent prétendre ne pas être d'accord avec cela, mais on ne fait pas mentir les chiffres.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Depuis les terribles massacres du 7 octobre 2023 perpétrés par le Hamas, nous condamnons avec la plus grande fermeté les crimes de guerre visant à terroriser les populations civiles israéliennes.
Nous condamnons aussi avec la plus grande fermeté les crimes de guerre et la vengeance aveugle qu'exerce l'armée israélienne sur le peuple palestinien. Le 9 octobre, le ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, a déclaré : « J'ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n'y aura pas d'électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé. Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence ».
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a affirmé : « Nous ferons de Gaza une île déserte. […] Nous viserons chaque recoin de la bande de Gaza. »
Pourtant la France a accordé un soutien inconditionnel à Israël depuis le début du conflit, il y a quarante-cinq jours ; voilà le résultat.
La bande de Gaza est assiégée du nord au sud. Il y a des bombardements partout.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
L'agence Reuters et les chiffres de l'ONU sont accablants : plus de 13 000 personnes, dont 5 500 enfants sont mortes. Réagissez !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – Mme Elsa Faucillon applaudit également.
Profitez-en pour demander la libération des otages, en particulier des enfants !
En outre, 40 à 50 % du bâti de la ville est entièrement détruit, dont 280 écoles et le port de Gaza.
Selon le rapport remis au Parlement en 2023 sur les exportations d'armement, la France aurait vendu pour 111 millions d'euros d'armes à Israël depuis 2017, dont 15,3 millions en 2022. Madame la Première ministre, la France continuera-t-elle à livrer des armes à Israël ?
Mêmes mouvements.
La parole est à Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Je vous assure que la position de la France ne varie pas.
Exclamations sur les bancs des groupes RN et LR.
Israël a subi une attaque terroriste barbare – vous ne l'ignorez pas. Israël a le droit de se défendre, comme nous l'aurions fait nous-mêmes dans une telle situation.
Des otages sont retenus dans la bande de Gaza, dont des Français.
Nous demandons leur libération immédiate sans condition ; je suis sûre que vous pensez aussi à eux, monsieur le député.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR, ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Enfin, les Palestiniens ne doivent pas payer pour les crimes du Hamas. Voilà nos principes.
Ces principes sont justes et clairs ; ce sont les nôtres depuis le début.
Oui, monsieur le député, il y a à Gaza trop de souffrances et trop de morts. Nous l'avons dit clairement depuis plusieurs semaines.
Il faut une trêve immédiate et durable pour faire parvenir davantage d'aide à Gaza, pour que les populations civiles soient protégées et pour que cette trêve conduise à un cessez-le-feu.
Nous agissons. C'est ce consensus qui s'est forgé à Paris, le 9 novembre, lors de la conférence humanitaire, et c'est aussi la position d'un nombre croissant de nos partenaires.
La France est également au rendez-vous pour aider concrètement les Palestiniens, à travers le soutien aux Nations unies, l'aide médicale, le déploiement du porte-hélicoptères Dixmude, la possibilité pour des enfants palestiniens d'être soignés en France – je remercie le ministre de la santé pour son action en ce sens. Voilà du concret, monsieur le député.
Les hôpitaux sont des sanctuaires ,
Exclamations prolongées sur les bancs du groupe LFI – NUPES
pour les Israéliens comme pour les Palestiniens. Le droit international interdit formellement de détourner les hôpitaux à des fins militaires ; pourtant cela se produit.
Quant aux crimes trop nombreux commis par les colons contre les Palestiniens, nous les condamnons officiellement et ouvertement.
La France va plus loin : il faut redonner une perspective politique…
La Présidente coupe le micro de la ministre, dont le temps de parole est écoulé. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
La parole est à M. Carlos Martens Bilongo, à qui il ne reste que deux secondes…
L'article 6 du traité sur le commerce des armes (TCA) interdit à la France de vendre des armes pour commettre des crimes de guerre.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Avant de commencer, je voudrais avoir une pensée pour Thomas, assassiné dimanche matin. Je redis mon soutien à ses proches et à tous les blessés de cette terrible attaque. Notre pays est une nouvelle fois en deuil.
Thomas, âgé de 16 ans, est décédé à Crépol après avoir reçu un coup de couteau. Ce meurtre est le témoignage criant de l'ensauvagement de notre société. La ruralité n'est désormais plus épargnée par cette sauvagerie qui bouleverse des vies et en brise d'autres.
La violence des actes, la détermination des agresseurs et la présence de couteaux de cuisine interdisent de qualifier cette équipée sauvage de simple rixe, ainsi que le font plusieurs médias. Que des racailles viennent faire une razzia en toute impunité est intolérable. Si des jeunes agissent comme cela, c'est qu'il y a un réel problème de société. Enzo, Axelle, Anthony, et maintenant Thomas : la liste des enfants de France tués gratuitement est trop longue.
Autant de familles endeuillées qui ne comprennent pas que ces atrocités continuent. Les mesures pour combattre cet ensauvagement ne sont pas prises.
Cela ne peut plus durer !
La France en a assez de voir ses enfants mourir. Les Français ne supportent plus ce terrorisme du quotidien, cette décivilisation de plus en plus importante. Non, monsieur le ministre de l'intérieur et des outre-mer, cette mort n'est pas un fait divers. Non, cette mort et ces blessés, ce n'est pas normal.
Il est urgent et légitime que nous, politiques, apportions une réponse pour que les Français bénéficient de la première des libertés, la sécurité.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Alors, monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour que cesse cette insécurité dans les villes et les villages ? Nous avions prédit ce qui malheureusement arrive. Les Français souffrent du manque de fermeté de la justice.
Ces jeunes n'ont plus peur de tuer ; ils n'ont plus peur de la police ni de la justice. Mais il est temps que la peur change de camp et que les sanctions soient enfin appliquées.
Permettez-moi, au nom du Gouvernement, d'adresser mes condoléances à cette famille, ainsi que mes pensées, aux blessés, dont trois, me semble-t-il, sont encore à l'hôpital. Ce qu'il s'est passé il y a quelques jours est inacceptable et absolument ignoble. Nous avons mobilisé tous les moyens de la gendarmerie nationale.
Je vous annonce que, voilà quelques minutes, celle-ci a procédé à sept interpellations aux environs de Toulouse. L'enquête dira si les personnes interpellées sont les auteurs de ce crime odieux.
En tout cas, le ministère de l'intérieur a pris cette affaire très au sérieux et, agissant sous l'autorité du procureur de la République, après avoir réalisé soixante-dix auditions, a procédé rapidement à ces interpellations. J'espère que, une fois que l'enquête aura établi les faits, les personnes responsables seront condamnées par la justice aux plus dures peines.
Madame la députée, notre travail, celui que font les policiers que les gendarmes, partout sur le terrain, dans les villes comme dans les campagnes, est admirable.
Exclamations sur les bancs du groupe RN.
J'ai été le premier à dire que le travail des policiers et des gendarmes était difficile, que nous devions les soutenir.
Alors que vous ne connaissez ni l'âge des personnes interpellées ni leur nationalité, ni comment cela s'est passé, évitez de rajouter de l'indignité à un drame qui touche toute la nation.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR. – Vives protestations sur les bancs du groupe RN.
Ce week-end, dans la nuit du 18 au 19 novembre, dans ma circonscription, la vie d'un adolescent de 16 ans a été emportée. Thomas a succombé aux coups qui lui ont été infligés. Ce jeune avait toute une vie devant lui. Il lui restait tout à vivre : ses joies, ses amours, ses peines, ses espoirs. Tout cela lui a été enlevé.
Thomas avait une famille, des parents aimants, des amis proches. C'est vers eux que vont mes pensées.
Thomas n'a pas eu droit à une minute de silence, je tiens donc à lui rendre hommage dans cet hémicycle, temple de notre République, pour que la représentation nationale témoigne unanimement de son soutien envers sa famille.
Mmes et MM. les députés se lèvent et applaudissent longuement.
Ce week-end, une bande de jeunes a fait irruption dans un moment festif, pour en découdre. Lors d'un bal organisé par le comité des fêtes de la commune de Crépol, ils ont violemment attaqué, à l'arme blanche, les participants à cette soirée. Seize autres personnes ont été blessées et deux sont en urgence absolue à l'issue de ce drame. Je leur adresse tout mon soutien.
Pour tous les jeunes présents, ce qui devait être un moment de fête a finalement été le mouroir de leur insouciance juvénile. Pour tous les participants, la convivialité de cet événement a effroyablement laissé la place au deuil et à la désolation, que partage tout notre territoire. La violence a encore frappé ; cette violence qui ne cesse de meurtrir et d'endeuiller ; cette violence qui gangrène tout et que l'on ne parvient pas à enrayer. Nous devons unanimement la condamner : notre République doit être forte ! Oui, elle doit avoir les moyens de faire face aux agresseurs et se montrer ferme dans ses condamnations, pour que des vies cessent d'être ôtées, pour que des familles entières cessent d'être endeuillées, pour que nos jeunes puissent vivre leur jeunesse, tout simplement.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur quelques bancs du groupe RN.
Je vous remercie pour le sens de la mesure dont vous avez fait preuve en posant cette question.
Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.
La vie enlevée à ce gosse de seize ans méritait à l'évidence un moment de silence et de recueillement.
Or c'est un moment de polémique qui s'y est immédiatement substitué.
Exclamations sur les bancs du groupe RN.
J'ai noté que le mot « razzia » avait été utilisé lors de la question précédente : il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous du malheur que vous honorez,…
M. le garde des sceaux se tourne vers les bancs du groupe RN dont les députés protestent très vivement.
Répondez à Mme Anthoine, c'est elle qui a posé la question !
…qu'il s'agisse de la petite Lola ou du petit Clément.
Vives exclamations sur les bancs du groupe RN.
Les auteurs de ces faits seront jugés par une cour d'assises, composée d'un jury populaire comme c'est l'usage pour tous les crimes de sang ! Ce sont des Français comme vous, comme moi qui rendront la justice, une justice qui n'est pas laxiste, qui est de plus en plus sévère, depuis vingt ans ! .
Vives protestations sur les bancs du groupe RN. – Mme Marine Le Pen s'exclame
Regardez les chiffres, madame Le Pen !
Ma question s'adresse à Mme Bérengère Couillard, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Le 8 novembre, dans l'Hérault, Sonia est morte après avoir été poignardée à vingt-six reprises par son mari. Le 15 novembre, dans la Somme, Catherine a été battue à mort par son compagnon à leur domicile. Ce sont aussi Claire, Madison, Irène, Giuliana, Séverine, Édith, ces six dernières semaines : depuis le début de l'année, quatre-vingt-treize femmes ont perdu la vie dans le cadre de féminicides. Je tiens à avoir une pensée pour chacune d'entre elles.
En 2022, plus de 240 000 personnes ont été victimes de violences commises par leur partenaire ou ex-partenaire, soit une hausse de plus de 15 % par rapport à 2021. Si ces chiffres sont très inquiétants, ils révèlent aussi une libération de la parole des femmes, qui est désormais mieux prise en compte.
Les violences sont multiformes ; certaines ne sont même pas perçues comme telles. Elles sont à l'origine du travail accompli par des jeunes de mon territoire, qui étudient au lycée professionnel Jules Verne d'Étaples-sur-mer et qui sont présents dans cet hémicycle. Ils ont créé un violentomètre à taille humaine qui a été inauguré ce midi à l'Assemblée nationale – madame la présidente, je vous remercie d'avoir soutenu cette initiative. Cet outil d'auto-évaluation permet de repérer les comportements déviants et de mesurer si une relation est basée sur le consentement et ne comporte pas de violence. Cette initiative nous invite toutes et tous à réfléchir à la qualité de notre rapport à l'autre.
Samedi aura lieu la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Alors que la mobilisation croît d'année en année, alors que l'égalité entre les femmes et les hommes a été déclarée grande cause du quinquennat, les moyens de combattre ce fléau doivent être à la hauteur.
Madame la ministre déléguée, je connais votre mobilisation sur ces sujets essentiels. La représentation nationale et les Français attendent des actes forts pour les mois à venir. Pouvez-vous nous présenter votre stratégie de lutte contre les violences faites aux femmes ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Je vous remercie pour l'initiative que vous avez lancée aux côtés des lycéens d'Étaples-sur-mer et que nous avons été ravies d'inaugurer avec madame la présidente. Ce travail de sensibilisation est indispensable ; il montre qu'il suffit d'une bousculade ou d'une claque pour que débutent les violences.
Je rappelle que nous agissons depuis 2019 et le Grenelle des violences conjugales. Cinq lois ont été votées et de nombreuses mesures ont été prises. Elles visent en premier lieu au recueil de la parole des femmes : la ligne téléphonique 3919 est désormais ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Elles sont aussi destinées à former les policiers et les gendarmes : 150 000 d'entre eux ont été formés et 100 % des élèves des écoles de police et de gendarmerie le sont.
Nous avons également déployé des dispositifs qui permettent de protéger les femmes avec plus de 1 000 bracelets antirapprochement, plus de 5 000 téléphones grave danger et un doublement des places en hébergement d'urgence, pour atteindre le nombre de 10 000.
Nous continuons aussi à agir du côté des auteurs des violences, pour prévenir la récidive. Nous avons ainsi ouvert trente centres de prise en charge des auteurs de violence conjugale : ils bénéficient d'un accompagnement psychologique, d'une aide à la réinsertion professionnelle ainsi que d'un soutien dans la lutte contre les addictions qui les touchent souvent.
Pour autant, nous ne sommes évidemment pas satisfaits des résultats.
Beaucoup reste encore à faire, tels les ordonnances de protection en vingt-quatre heures, les pôles spécialisés et le pack nouveau départ.
La pénurie de médicaments est de nouveau alarmante en France. Selon l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), il manque aujourd'hui de l'amoxicilline, du salbutamol contre l'asthme, du corgard qui est un bêtabloquant essentiel, du créon prescrit à ceux qui n'ont plus de pancréas, et encore bien d'autres médicaments indispensables à la vie. On est passé de700 médicaments en pénurie en 2018 à 3 700en 2022.
Certes, tous les pays d'Europe rencontrent des difficultés, mais la France est celui qui connaît le plus de pénuries. Depuis quatre ans, les plans annoncés par le gouvernement n'ont eu aucun effet sur l'approvisionnement en médicaments.
D'un côté, vous dites vouloir relocaliser ; mais de l'autre côté, vous êtes restés silencieux quand Sanofi, qui produit 70 % du paracétamol, a annoncé en octobre dernier vendre son usine en France et vous ne vous êtes pas souciés de vérifier si la production de paracétamol resterait en France !
Vous mettez des franchises sur les boîtes de médicaments que les Français ne peuvent plus se procurer !
Je vous demande deux mesures qui permettront de réduire les pénuries de médicaments !
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI – NUPES et GDR – NUPES.
L'actuelle situation de tension dans l'approvisionnement de certains médicaments diffère de celle, très difficile, de l'an dernier. Nous disposons maintenant de stocks pour les médicaments que vous avez cités – je ne parle pas des médicaments innovants, pour lesquels nous rencontrons les mêmes difficultés que les autres pays européens. On constate une complète dérégulation du système de distribution,…
…dans lequel – appelons les choses par leur nom – certains acteurs cherchent à profiter du système pour s'assurer de la rentabilité.
Il y a huit jours, j'ai réuni les acteurs de la filière du médicament. Je serai ainsi en mesure d'annoncer demain que les acteurs de la chaîne – industriels, grossistes-répartiteurs et pharmaciens, se sont mis d'accord pour stopper la dérive qui consistait notamment, pour certaines pharmacies, à acheter directement auprès des industriels, ce qui favorisait les plus grosses au détriment des petites pharmacies rurales.
Nous reviendrons à une situation normale et nous proposons également, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), de renforcer les compétences de police sanitaire de l'ANSM, pour que, dans de tels cas, nous ne dépendions pas de la bonne volonté des acteurs, même avec la pression du gouvernement, mais que nous puissions prendre des mesures à l'encontre de pratiques inacceptables.
Nous aurons alors les moyens de combattre ces pratiques inacceptables.
Alors que les laboratoires ont l'obligation de constituer des stocks de deux à quatre mois, aucun contrôle n'a été effectué et aucune sanction n'a été appliquée en 2021. En 2022, il y a eu trois sanctions pour un montant de 300 000 euros, à comparer aux 24 milliards d'euros de chiffre d'affaires de la filière du médicament ! Je vous demande donc de faire appliquer les sanctions.
Par ailleurs, face aux pénuries les plus graves, je vous demande aussi d'assumer votre rôle de puissance publique et d'organiser une production minimale dans les hôpitaux, ce que prévoit le code de la santé publique, que vous n'appliquez pas
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Alors que s'ouvre à Paris le traditionnel salon des maires et des collectivités, je souhaite aborder deux problèmes majeurs pour l'avenir de notre démocratie locale. En premier lieu, nous assistons depuis plusieurs années à une augmentation des violences envers les élus locaux, particulièrement envers les maires. En 2022, le ministère de l'intérieur a signalé une hausse de 32 % de ces violences. Ces actes, variant de l'intimidation verbale à des agressions physiques, mettent en lumière la vulnérabilité croissante des élus, qui ne bénéficient pas du soutien concret du Gouvernement.
Parallèlement, les problèmes financiers s'accumulent : des décisions unilatérales telle la suppression non compensée de la taxe d'habitation, mettent en péril les budgets des communes. Madame la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, « les maires doivent faire des efforts », avez-vous déclaré dans votre interview au Journal du dimanche du 19 novembre. Or les maires sont déjà contraints de gérer leurs communes avec de moins en moins de ressources. Cette situation pèse lourdement sur les épaules des élus qui reçoivent les indemnités les plus modestes.
À cela s'ajoute le retrait progressif de compétences essentielles aux communes, comme celle de La Crau, dans ma circonscription du Var, dont le plan local d'urbanisme (PLU) nécessaire pour construire une clinique a été unilatéralement mis à l'arrêt par la métropole, contre l'avis de la commune qui n'en a pas même été officiellement informée alors que le maire avait lancé la révision du PLU.
Ces contraintes, combinées à l'insécurité croissante, ont conduit à près de 1 500 démissions de maires depuis 2020. Des centaines de communes pourraient manquer de candidats aux prochaines élections municipales
La présidente coupe le micro de l'orateur, dont le temps de parole est écoulé. – Applaudissements sur les bancs du groupe RN et sur quelques bancs du groupe LR.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la citoyenneté et de la ville.
Travailler en confiance ne veut pas dire être d'accord sur tout, vous en conviendrez. Pour ma part, à chaque fois que je suis interpellée, je n'hésite jamais à entendre et à discuter. C'est ma méthode…
…comme c'est celle du Gouvernement, fondée sur l'écoute, la concertation, le lien direct avec les élus locaux ,
Interruptions sur les bancs du groupe RN
avec, ne vous en déplaise, celles et ceux qui incarnent la République.
Vous abordez une question qui m'a été posée tout à l'heure au congrès des maires par un élu à qui j'ai répondu que, si un maire estime qu'une mesure est mauvaise, il ne peut pour autant demander à l'État de se substituer à la commune.
Exclamations sur plusieurs bancs des groupes RN et LR.
Nous venons tous les deux du Sud, nous nous connaissons et vous savez comme moi que vous ne pouvez pas rendre l'État responsable de tout. Vous le savez aussi, la suppression de la taxe d'habitation a été compensée par une disposition adoptée l'année dernière. Je suis de ces ministres qui ont été députés : ma porte est toujours ouverte, comme celle du ministre l'intérieur, Gérald Darmanin, et celle de ma collègue Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
J'encourage tous les députés à m'interpeller ici, ou à m'écrire : sachez que je réponds systématiquement ,
« C'est faux ! » sur quelques bancs du groupe LR
que la réponse soit positive ou négative, car à l'image du Gouvernement, je ne me dérobe jamais.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – Mme Estelle Folest applaudit également.
Madame la secrétaire d'État chargée de l'enfance, le 1er août 2020, votre prédécesseur annonçait la création d'une commission sur les violences sexuelles faites aux enfants, centrée sur la question de l'inceste. Le 23 janvier 2021, deux semaines après la parution du livre de Camille Kouchner, Emmanuel Macron s'adressait en ces termes aux victimes : « Le silence construit par les criminels et les lâchetés successives, enfin, explose. Il explose grâce au courage […] », le courage de celles et ceux qui témoignent. « Ces témoignages, ces paroles, ces cris, plus personne ne peut les ignorer. Contre les violences sexuelles faites à nos enfants, c'est aujourd'hui à nous d'agir » ajoutait-il.
Le 11 mars, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) était installée, avec une feuille de route pour deux ans – durée qui sera bientôt allongée à trois ans. Au cours de ces presque trois années, elle a recueilli près de 30 000 témoignages de victimes, dont la première phrase était souvent : « J'ai attendu ce moment toute ma vie. » Pour se confier, il faut avoir confiance : pour les victimes, les collectifs et le grand public, cette personne de confiance que la Ciivise a su devenir est incarnée par la figure du juge Édouard Durand. Or, depuis plusieurs mois, l'incertitude pèse sur le devenir de la Ciivise : son mandat sera-t-il prolongé et, le cas échéant, sous quelle forme et avec quelle personnalité à sa tête ? Aucune annonce officielle n'est venue répondre à ces inquiétudes.
Il y a trois jours, vous déclariez dans la presse que vous souhaitiez que la Ciivise poursuive son travail avec une nouvelle feuille de route. Pourtant hier, lundi 20 novembre, journée des droits de l'enfant, alors que la Ciivise présentait son rapport et qu'avait lieu le Comité interministériel à l'enfance, nous n'en avons pas su plus.
Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous confirmer que la Ciivise continuera ses travaux, et nous préciser sa feuille de route ? Le juge Durand pourra-t-il y poursuivre sa mission, comme c'est le souhait manifeste de l'ensemble des associations et des centaines de personnes réunies hier ?
Le 23 janvier 2021, Emmanuel Macron concluait son message par ces mots : « On vous écoute. On vous croit. Et vous ne serez plus jamais seuls. » Dimanche, vous avez vous-même déclaré : « Nous avons encore une révolution à accomplir pour protéger nos enfants. » Je suis d'accord avec vous. Vos réponses diront si vous entendez tenir vos promesses.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Nous l'avons dit, et je le répète aujourd'hui : le Gouvernement souhaite que la Ciivise poursuive son travail, selon des modalités renouvelées, en suivant une feuille de route centrée sur de nouvelles missions que nous présenterons en détail, avec le garde des sceaux, dans les prochaines semaines. Je comprends votre impatience, mais il faut un peu de temps pour étudier les 750 pages et 82 recommandations formulées dans le rapport de la Ciivise, qui a été remis à cinq ministres vendredi dernier seulement.
Vous l'avez rappelé, c'est bien le Président de la République qui a voulu la création de la Ciivise, soutenue depuis par le Gouvernement. Hier, c'est entourée de douze ministres que la Première ministre a présenté un audacieux plan de lutte contre les violences faites aux enfants pour les années 2023 à 2027, qui s'inscrit dans la droite ligne du plan conduit depuis 2019, et dont de nombreuses mesures sont issues des recommandations formulées par la Ciivise. Elle a été écoutée
Brouhaha
– plus que moi, manifestement. Grâce aux témoignages essentiels qu'elle a recueillis, et qui nous ont permis d'évaluer les conséquences de ces violences sur les enfants, nous pouvons mener ensemble le combat pour éradiquer ce fléau. Loin d'être celui d'un seul homme, ce combat collectif doit être celui du Gouvernement, du Parlement, de tous les adultes de notre pays. Dans quelques jours, nous présenterons les modalités de la poursuite des travaux de la Ciivise et sa nouvelle feuille de route. Je comprends votre impatience, mais soyez assuré que la révolution que nous attendons depuis des millénaires est en marche.
Mme Christine Arrighi s'exclame.
Je vous le dis en responsabilité et sans polémique : laissez-nous agir, nous le ferons avec fermeté.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.
En tant que société, il est de notre devoir de veiller à la protection et au bien-être de nos enfants, qui sont les piliers de notre avenir. Si le ministère de l'éducation nationale et ses agents jouent chaque jour un rôle majeur pour les enfants et leur devenir, la politique de l'enfance, qui nécessite la mobilisation de tous – éducation nationale, ministères sociaux, ministères de la santé et de la prévention, de l'intérieur et de la justice, mais aussi des sports, de la culture, du travail et de l'économie – ne saurait être qu'interministérielle : il faut tout une société pour élever un enfant.
Hier, entouré d'Élisabeth Borne, Première ministre, et Charlotte Caubel, secrétaire d'État chargée de l'enfance, vous avez présenté les propositions du Gouvernement en faveur des enfants à l'occasion d'un comité interministériel à l'enfance. Je ne peux que saluer votre volonté de développer une véritable éducation au corps, à la sexualité et à la bienveillance, sujet sur lequel j'œuvre depuis de longs mois. Parmi vos annonces, une fait figure de véritable révolution : le rôle de l'école dans le soutien des ambitions et de la réussite scolaire des enfants protégés. Pour les enfants protégés ou accueillis en raison de difficultés familiales ou parce qu'ils sont victimes de violences, l'école doit devenir une bouée à laquelle se raccrocher. Pourtant, 61,5 % des adolescents de 15 ans placés en établissement n'ont qu'un niveau de premier cycle – parfois même seulement le niveau élémentaire –, et seuls 20 % obtiennent un baccalauréat général – sans parler de tous ceux qui quittent le système sans diplôme, avec pour seule promesse des difficultés d'insertion.
Monsieur le ministre, pourriez-vous détailler les mesures du dispositif Scolarité protégée, dont vous avez annoncé hier la création, pour que, demain, la République soit enfin la chance des enfants protégés ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe RE.
La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
La vulnérabilité a plusieurs visages ; le rôle de l'éducation nationale est bien d'accompagner tous les enfants, en particulier les plus vulnérables d'entre eux. Comme vous l'avez rappelé, j'ai eu l'occasion d'annoncer hier, lors du comité interministériel à l'enfance qui s'est tenu autour de la Première ministre et de Charlotte Caubel, la création du dispositif Scolarité protégée pour les enfants placés.
Ce dispositif, auquel j'ai beaucoup travaillé avec Charlotte Caubel, vise tout d'abord à simplifier drastiquement toutes les procédures administratives, afin de lutter contre des décrochages scolaires qu'elles peuvent générer et qui ne font qu'aggraver la vulnérabilité des enfants.
Mme Farida Amrani s'exclame.
Si, malheureusement, un élève décroche malgré tout, il fera l'objet d'un suivi renforcé, notamment en lien avec le Centre national d'enseignement à distance (Cned), afin de poursuivre sa scolarité.
Ils n'ont pas de place dans les lycées ! Ce que vous dites n'est pas vrai !
En outre, les entretiens personnalisés d'orientation proposés aux élèves à la fin du collège, puis à 17 ans, seront systématisés.
Ce que vous faites est insupportable, madame Amrani !
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Enfin, pour rendre notre action en faveur des enfants plus efficace encore, des référents seront désignés pour coordonner l'action de tous les acteurs – rectorat, services départementaux de l'éducation nationale et services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) –, afin de limiter le risque de cumul des vulnérabilités. Les enfants protégés ayant quatre fois plus de risques d'accumuler les retards dès l'école primaire, et autant de décrocher ensuite au cours de leur scolarité, nous devons être encore plus impliqués à leurs côtés pour leur permettre de réussir. Car, vous l'avez dit, ils ont le droit de réussir à l'école de la République…
…et d'y bâtir leur destin.
Ils ont le droit d'avoir des ambitions à la hauteur de celles que nous avons pour eux.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes RE et Dem.
Madame la ministre déléguée chargée des personnes handicapées, le 23 novembre 2023, se tiendra une nouvelle édition du DuoDay, initiative que vous avez massivement plébiscitée, déclarant que « la promotion de l'emploi des personnes handicapées constitu[ait] une des priorités politiques du Gouvernement ». Vous avez rappelé les mesures fortes prises pour accompagner les personnes handicapées vers l'emploi. Mais qu'en est-il au sein du ministère de l'éducation nationale, dont 6 % des emplois sont réservés aux personnes handicapées ? En 2022, elle s'est acquittée de 31,8 millions d'euros de pénalités auprès du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées dans la fonction publique parce qu'elle ne remplissait pas ses quotas, soit cinq fois plus que les 6,3 millions d'investissements en faveur d'équipements concrets pour son personnel handicapé. Alors que nous manquons de professeurs, ce choix de pousser des personnes handicapées vers la sortie ne peut qu'interroger.
J'ai reçu récemment une normalienne, agrégée, qui souffre d'une maladie lourde entraînant une détérioration de ses capacités physiques. Avec un taux d'incapacité de 50 %, elle a tout d'abord été orientée vers le Centre national d'enseignement à distance, le Cned. Puis, son handicap s'étant aggravé jusqu'à entraîner une incapacité de 80 %, elle va désormais être mise au rebut : son cas est tranché, c'est la mise en retraite anticipée, fin de l'histoire ! Sachant qu'elle reste en pleine possession de ses moyens intellectuels et souhaite continuer à enseigner, il aurait pourtant été possible de la maintenir au Cned, sur un poste adapté en présentiel, ou en distanciel. La loi de 1984 prévoit que le poste de travail d'un fonctionnaire handicapé doit être adapté, mais vous n'en faites rien.
Comment pouvez-vous prétendre que le handicap est une priorité nationale et, dans le même temps, condamner, au prétexte qu'ils ne seraient plus valides, des femmes et des hommes qui veulent travailler ? Que comptez-vous faire pour remédier au sous-emploi des personnes handicapées dans l'éducation nationale ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
L'éducation nationale est non seulement le premier employeur de France, mais aussi le premier employeur d'Europe. Cela lui donne évidemment d'immenses responsabilités, notamment en matière d'inclusion des personnes en situation de handicap. Aujourd'hui, force est de constater qu'elle n'est pas au niveau en matière d'accueil de personnes en situation de handicap dans le corps enseignant et parmi les personnels. La communauté éducative compte déjà près de 40 000 agents en situation de handicap qui interviennent auprès de nos élèves : je tiens à leur rendre hommage, car ils apportent beaucoup à notre école. Mais nous devons aller plus loin, et en accueillir davantage encore parmi les enseignants, mais aussi le personnel des services médico-sociaux et le personnel administratif de direction. C'est un objectif transversal de la fonction publique auquel je travaille beaucoup avec mes collègues Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques, et Fadila Khattabi, ministre déléguée chargée de personnes handicapées.
Nous avons d'ores et déjà engagé plusieurs actions. Tout d'abord, nous avons lancé une ambitieuse politique d'allégement de service et d'adaptation des postes, dont bénéficient déjà un certain nombre de professeurs en situation de handicap. Concrètement, ils peuvent être allégés d'un tiers de leur service tout en étant rémunérés à temps complet. Ensuite, pour mieux accompagner les évolutions professionnelles des personnels bénéficiaires de l'obligation d'emploi, nous avons constitué un réseau de conseillers de proximité et développé des parcours professionnels spécifiques. Enfin, pour aller plus loin encore et éviter les situations kafkaïennes comme celle que vous avez présentée, un plan quinquennal pour les années 2023 à 2027 tendra notamment à simplifier les démarches administratives. À ce titre, je suis très intéressé par l'exemple concret que vous avez évoqué, qui sera utile pour comprendre ce qui s'est passé et en tirer les enseignements. Si nous ne sommes pas encore au niveau que nous souhaiterions, et qu'il y a encore beaucoup à faire en matière de lutte contre les discriminations, nous continuons d'avancer pour améliorer l'accueil des personnels en situation de handicap.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem.
Madame la ministre déléguée chargée des personnes handicapées, la vingt-septième Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées a débuté hier sur le thème : « La transition numérique : un accélérateur pour l'emploi des personnes en situation de handicap ? » Permettez-moi de profiter de cette question pour remercier Olivier Dussopt et les membres de son cabinet de leur remarquable travail, pendant et après la Conférence nationale du handicap (CNH), en faveur de l'emploi des handicapés : dix-sept nouvelles mesures ont été annoncées, dont certaines intégrées au projet de loi pour le plein emploi, dont j'ai eu l'honneur d'être corapporteure. Visant à rendre l'environnement professionnel de droit commun accessible quel que soit le handicap en cause, ce texte prévoit de confier au service public de l'emploi l'accompagnement des demandeurs d'emploi handicapés, ainsi que de favoriser leur orientation professionnelle et leur maintien dans l'emploi. Depuis 2017, le taux de chômage des personnes handicapées est passé de 19 % à 12 %, ce qui est encore trop, et le nombre d'apprentis multiplié par trois : c'est mieux, mais il reste beaucoup à faire. Une nouvelle occasion de sensibiliser la société et les employeurs nous est offerte par la Semaine européenne, dont le temps fort, le DuoDay, qui aura lieu jeudi, contribue à changer le regard sur le handicap : les entreprises, collectivités ou associations peuvent accueillir une personne handicapée, en duo avec un professionnel volontaire. Au-delà de la rencontre, cette journée permet de susciter des vocations, voire des collaborations futures.
Madame la ministre, pouvez-vous nous rappeler les mesures prises par le Gouvernement en vue de promouvoir l'emploi des personnes handicapées, d'encourager l'inclusion, notamment grâce à l'accessibilité du numérique, et de sensibiliser les entreprises aux avantages d'un monde professionnel diversifié ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes handicapées.
Avant toute chose, madame Le Nabour, je tiens à saluer votre propre travail à ce sujet. Vous avez rappelé l'importance de la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées, qu'Olivier Dussopt et moi avons lancée hier en France, et au cours de laquelle aura lieu le DuoDay : j'en profite pour saluer également la mobilisation de l'ensemble des députés en faveur de la sixième édition nationale de ce dernier, devenu un événement très important et un franc succès. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : jeudi seront formés 26 360 duos, soit 27 % de plus que l'année dernière !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
En 2022, 23 % des candidats passés par ce dispositif ont eu la possibilité d'intégrer le monde professionnel. En tant qu'elle contribue, comme vous l'avez dit, à changer le regard porté sur le handicap, cette journée est essentielle.
Cependant, l'engagement du Gouvernement va plus loin : Olivier Dussopt et moi – vous aurez compris que nous travaillons beaucoup ensemble – avons inclus dans le projet de loi pour le plein emploi, adopté définitivement par l'Assemblée la semaine dernière, des mesures concrètes en vue de renforcer l'accompagnement et l'insertion professionnels des personnes handicapées. J'insiste sur le fait que, désormais, c'est le droit commun qui prévaudra : l'élaboration du projet professionnel sera systématiquement accompagnée par le service public de l'emploi, et les passerelles vers le milieu ordinaire développées. Cette politique ambitieuse aidera nos entreprises à se tourner vers de nouvelles candidatures correspondant aux compétences qu'elles recherchent, notamment dans les métiers en tension. Les talents sont là, il suffit de regarder autour de soi ! Enfin, l'insertion dans l'emploi passe par l'amélioration de l'accessibilité, en particulier celle du numérique.
Demain seront soumis au Conseil des ministres deux projets de loi de ratification d'ordonnances relatives à la mise en accessibilité des services publics.
Mêmes mouvements.
Vendredi, à Villecresnes, dans ma circonscription, un homme a failli mourir. Je l'ai eu hier au téléphone. Avant même d'évoquer sa souffrance, le traumatisme, le cutter qui lui a entaillé la gorge sur 15 centimètres, les insultes racistes qui ont précédé le coup, il m'a dit que cela faisait trois jours qu'il avait été victime d'un crime raciste sans que personne n'en parle, tandis que si lui, Mourad, avait été l'agresseur, BFM TV et CNews seraient déjà en bas de chez lui.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Pas une journée ne se passe sans qu'il soit sous-entendu, au cours d'un débat télévisé, que les musulmans y sont trop nombreux, voire incompatibles avec la République.
Exclamations sur quelques bancs des groupes RN et LR.
Pas une année ne s'écoule sans que vos lois consacrées à l'immigration stigmatisent les personnes noires et arabes, rendues responsables de tous les problèmes.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Cela fait des décennies que votre classe politique épouse les thèses du Rassemblement national mettant en cause nos concitoyens, des gens qui vivent en France, qui travaillent en France, qui, quel que soit leur lieu de naissance, ont droit à l'égalité en France !
Mêmes mouvements.
Monsieur le ministre de l'intérieur, je vous ai entendu dire que vous attendiez de connaître la nationalité de ceux qui, à Crépol, ont dernièrement commis un meurtre.
Exclamations sur quelques bancs du groupe RN.
Vous, membres du Gouvernement, vous, députés, macronistes ou du Rassemblement national, vos mots, vos lois ont des conséquences !
Vives exclamations sur les bancs des groupes RN et LR.
Par conviction ou par électoralisme, vous cultivez les préjugés xénophobes, vous entretenez les guerres de religion. Alors que le projet de loi consacré à l'immigration vient d'arriver à l'Assemblée, je vous le répète : vos propos auront des conséquences, vos votes aussi ! Quel est votre but : rassembler le pays ou le diviser ? Si vous êtes prêts à le diviser, jusqu'où irez-vous dans l'abjection et la violence ?
Les membres du groupe LFI – NUPES se lèvent et applaudissent.
Le 17 novembre vers quatorze heures, à Villecresnes, un homme a effectivement été agressé après avoir été traité de « sale bougnoule », insulte raciste que j'ai publiquement condamnée,…
…ce que vous avez oublié de rappeler, monsieur le député – comme j'ai condamné chaque atteinte à un Français, à un être humain, sur le territoire national.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, LR et Dem.
Contrairement à vous, je n'essentialise pas : je suis là, comme tous les policiers et gendarmes, pour protéger toute personne, quels que soient sa religion, son prénom, sa nationalité. L'agresseur, un Français de 76 ans, multirécidiviste, auteur de faits de dégradation, refus d'obtempérer, outrage à policier, injure publique en raison de la race ou de la religion, a été interpellé par les courageux effectifs de la brigade anticriminalité (BAC) – ces BAC que vous voulez supprimer !
J'en profite du reste pour remercier la police nationale.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes RE et Dem, ainsi que sur quelques bancs du groupe LR. – M. Alexandre Loubet applaudit aussi.
Si nous pouvions, mesdames et messieurs les députés, considérer en chacun ce qu'il fait et non ce qu'il est, cesser de le définir par son ethnie, par la religion qu'on lui suppose, par son prénom ;…
Nouveaux applaudissements sur de nombreux bancs des groupes RE et Dem, ainsi que sur quelques bancs du groupe LR
…si nous pouvions, de l'extrême gauche à l'extrême droite, nous demander uniquement s'il respecte les règles de la République, honnir les récidivistes et encore une fois, monsieur le député, remercier la police lorsqu'elle arrête ceux qui s'en prennent aux juifs, aux musulmans, aux chrétiens, nous apaiserions la situation !
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LR.
Il n'y a en France que des hommes, qui ne peuvent être condamnés que pour leurs actes, reconnus que pour leurs mérites ! .
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem, ainsi que sur quelques bancs du groupe LR
Vous voulez apaiser le pays ? Cessez de vous comporter comme un ministre du Front national !
Huées et exclamations sur les bancs des groupes RE et Dem.
La parole est à M. Laurent Panifous. S'il vous plaît, chers collègues, un peu de silence !
Sourires.
Madame la ministre des solidarités, les soignants, les personnes âgées, les familles nous alertent quotidiennement au sujet de la crise majeure que traversent les Ehpad. Le Président de la République, au cours des deux dernières campagnes présidentielles, avait affiché son ambition d'un accompagnement digne de nos aînés, que ce soit à domicile ou en établissement, et s'était engagé à lancer une réforme à la hauteur des attentes des Français.
Parmi les mesures qu'il a lui-même annoncées figurait la création de 50 000 postes de soignants en Ehpad avant la fin de ce quinquennat, c'est-à-dire d'ici à 2027. Ce serait là, en effet, une réponse concrète à ceux qui résident ou exercent au sein de ces établissements, où les conditions de travail sont très difficiles, où l'accompagnement des plus dépendants déçoit nos concitoyens : l'engagement de créer, en moyenne, entre six et sept postes par Ehpad est pertinent et nécessaire. Pour cela, il faut former davantage de soignants, mais aussi…
…redonner confiance aux aides-soignantes et infirmières qui ont quitté leur métier parce qu'il était trop dur, épuisées de ne pouvoir accompagner, soigner, dignement. Nous pouvons les faire revenir, et elles sont nombreuses ! Toutefois, cela requiert un choc de confiance, que nous provoquerons en créant ces postes.
Madame la ministre, ma question sera simple : certaines déclarations laissent supposer un report de la concrétisation de cet engagement présidentiel, autrement dit un renoncement. Alors que nous examinons le projet de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France, dans l'ombre d'une autre promesse, celle d'une grande loi concernant l'autonomie, pouvez-vous nous confirmer que ces 50 000 postes seront bien créés avant la fin du quinquennat ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.
Vous avez évoqué un « choc de confiance » : c'est en effet de cela dont nous avons besoin face au défi démographique qui nous attend. Il nous faut sortir d'une forme de déni individuel et collectif à ce sujet : en 2030, un Français sur trois aura plus de 60 ans. Toute la société doit s'adapter en ce sens ;…
Ça ne va pas encourager la natalité. Faites des bébés ! Faites l'amour, pas la guerre !
…tel est l'objet de la stratégie interministérielle que nous avons présentée, mais aussi du projet de loi dont nous avons repris l'examen hier, dans un climat propice à un travail de qualité, et bien entendu de l'engagement que nous avons pris, la Première ministre et moi, touchant un projet de loi de programmation consacré au grand âge.
Ce texte, réclamé à juste titre par les parlementaires comme par les professionnels, permettra de déterminer des trajectoires à la fois de financement et de recrutement. Vous l'avez dit, les soignants sont confrontés à une perte de sens de leur métier : ce ne sont pas les vocations qui manquent, mais les conditions d'exercice qui entraînent un cercle vicieux où la pénurie de professionnels s'engendre elle-même,…
Répondez à la question ! Vous avez repoussé de trois ans l'échéance de vos engagements : 2027 ou 2030 ?
…dégradant la qualité du travail à la fois pour ceux qui en bénéficient et pour ceux qui l'exercent. Nous devons donc tout faire afin de maintenir la trajectoire annoncée, de créer ces 50 000 postes : c'est là notre responsabilité si nous voulons que les Ehpad puissent fonctionner, si nous voulons prendre le virage domiciliaire, suivre le parcours résidentiel. C'est pour cela qu'une loi de programmation se révèle nécessaire, que nous devons renforcer les moyens : pour tenir les promesses du Président de la République.
Ma question, adressée à M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer, porte sur l'enclavement des habitants de Wallis-et-Futuna, victimes – particulièrement ceux de Futuna – de problèmes majeurs de communication. Alors même que l'avion constitue notre seul moyen de transport, les liaisons sont aléatoires, irrégulières, difficilement prévisibles ; des réquisitions peuvent intervenir à tout moment. Que l'on soit malade, étudiant, professionnel, agent de l'administration, les déplacements se révèlent périlleux : les députés qui s'aventurent jusque chez nous le constatent invariablement. Pour espérer une place, il faut réserver deux mois à l'avance. Tant entre nos îles qu'entre Wallis-et-Futuna et l'extérieur, les capacités de fret sont dérisoires : comment les commerçants peuvent-ils importer, les producteurs exporter ? Pourquoi notre territoire n'est-il pas desservi par des avions-cargos ?
Dans quelques jours, le prestataire de la desserte entre les îles va changer : l'appel d'offres n'a reçu qu'une réponse, tant l'état des aéronefs laisse à désirer. L'inquiétude est générale au sujet de ce service indispensable. Que prévoyez-vous pour garantir aux habitants de Futuna qu'ils ne seront pas une nouvelle fois isolés ? Il en va de même des moyens maritimes. Toute une réflexion devrait être conduite au sujet du désenclavement de Wallis-et-Futuna ; nous avons besoin de services adaptés. S'agissant des secours terrestres et maritimes, la situation n'est pas meilleure : nous avons dernièrement déploré la disparition de deux pêcheurs, faute de moyens d'intervention. En outre, la surveillance des eaux nationales nécessite plus que jamais un outil de proximité. Le Gouvernement est-il prêt à instaurer la politique de désenclavement aérien et maritime nécessaire à la survie de ce territoire, à en étudier les moyens, par exemple une liaison maritime pour le transport de passagers et de marchandises, ou encore un hélicoptère, à l'instar de ce qui se pratique en Polynésie ou dans les îles Féroé et de ce que suggèrent de récentes études parlementaires ?
Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE et Dem. – M. Olivier Serva applaudit également.
Je vous remercie pour votre question, qui me permet de rappeler tout ce que fait le Gouvernement pour aider le transport aérien. Tout d'abord, ces trois dernières années, plus de 300 millions d'euros ont été consacrés à l'aide de deux compagnies, Corsair et Air Austral. S'agissant, ensuite, de la desserte de Wallis-et-Futuna, la délégation de service public (DSP) jusqu'alors confiée à Aircalin sera attribuée, à partir du 1er janvier 2024, à la compagnie Air Loyauté. La direction générale de l'avion civile (DGAC) et la direction générale des outre-mer (DGOM) accompagneront cette transition. L'État finance 50 % des dépenses liées à la DSP, soit 2,7 millions d'euros : Wallis-et-Futuna n'est pas oublié.
Vous évoquez aussi la question du transport maritime, que nous avons déjà abordée ensemble – elle concerne les habitants de Wallis-et-Futuna tant pour le trafic des passagers que pour le fret et je vous remercie de l'intérêt que vous lui portez. Une étude, financée intégralement par le ministère de l'intérieur et des outre-mer – pour un coût de 140 000 euros –, est en cours et ses résultats seront connus à la fin du premier trimestre 2024. Le Gouvernement répond donc présent pour le transport aérien et pour le transport maritime.
Enfin, le soutien de l'État au titre de la continuité territoriale sera porté de 70 à 93 millions en 2024 et permettra de financer une grande partie des billets d'avion de celles et ceux qui rentrent dans les territoires ultramarins à partir de l'Hexagone. Nous prévoyons par ailleurs une mesure particulière pour les étudiants : qu'ils soient boursiers ou non, leur billet d'avion sera entièrement pris en charge dès les prochaines vacances de Noël.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
La parole est à M. Dino Cinieri. Je veux lui rendre hommage parce que c'est probablement sa dernière question au Gouvernement !
Applaudissements sur tous les bancs.
Cela fait plus de vingt ans que vous êtes engagé au service de notre institution, cher collègue. Au nom de la représentation nationale, je vous remercie pour votre engagement sans faille au service des Français et de l'Assemblée nationale.
Tous les députés se lèvent et applaudissent.
Merci, madame la présidente, vos propos me vont droit au cœur ! Après plus de vingt et un ans passés sur ces bancs, je profite de cette dernière question pour vous remercier, mes chers collègues, pour le travail accompli, de jour et parfois de nuit, le plus souvent dans un climat de respect mutuel malgré nos divergences. Je mesure pleinement la chance qui a été la mienne de siéger au sein de cette noble assemblée, où résonnent encore les voix de Georges Clémenceau, de Jean Jaurès, de Jacques Chirac et de tant d'autres.
La complémentarité des travaux menés à Paris et de nos engagements sur le terrain nous incite à chercher toujours le meilleur pour notre pays : c'est ce qui doit nous animer.
Je tiens à remercier aussi les fonctionnaires et les collaborateurs parlementaires, tous ceux qui travaillent discrètement dans cette belle maison où j'ai été honoré de servir mes concitoyens du département de la Loire.
Applaudissements sur tous les bancs.
« Ah ! » sur les bancs du groupe LR
et j'y associe la future députée Sylvie Bonnet, mon collègue Jean-Pierre Taite et l'ensemble du groupe Les Républicains.
C'est avec beaucoup d'émotion que je souhaite vous alerter, monsieur le ministre, sur l'octroi des trimestres supplémentaires pour le calcul de la retraite des sapeurs-pompiers volontaires. Cette bonification, inscrite à l'article 24 de la loi du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, marque une reconnaissance importante de l'engagement citoyen des sapeurs-pompiers volontaires au service de la collectivité.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR, RE, RN, Dem et HOR. – M. Jérôme Guedj applaudit également.
Elle permettrait aussi de susciter des vocations. Or les sapeurs-pompiers sont indispensables dans nos territoires et je tiens à leur rendre un hommage particulier cet après-midi.
Un amendement adopté par le Sénat prévoyait d'accorder trois trimestres supplémentaires après dix ans d'ancienneté, complétés d'un trimestre tous les cinq ans, mais il a été supprimé par la commission mixte paritaire (CMP) et la bonification a été renvoyée à un décret en Conseil d'État. À ce jour, le décret n'a toujours pas été publié au Journal officiel. Quand le sera-t-il, monsieur le ministre ? Pouvez-vous nous confirmer qu'il fixera bien une majoration de trois trimestres après dix ans d'ancienneté, complétés d'un trimestre tous les cinq ans ?
Permettez-moi, pour finir, d'avoir une pensée pour mon ami Hubert Wulfranc.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR, RE, RN, Dem, HOR, GDR – NUPES et LIOT.
En mon nom et au nom du Gouvernement, je vous remercie, monsieur le député, pour le travail que vous avez réalisé au sein de l'Assemblée nationale.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, RN, LR, Dem, HOR et LIOT. – M. Hubert Wulfranc applaudit également.
Pour avoir été votre collègue, mais aussi en tant que ministre, j'ai été témoin de vos contributions, toujours sérieuses, y compris quand nous étions en désaccord. Vous n'avez cessé d'être réélu dans votre circonscription, une circonscription populaire dont vous vous êtes fait l'avocat. J'adresse à votre suppléante, qui siégera dans cet hémicycle dans quelques jours, mes vœux de bienvenue !
Sourires.
Je connais votre engagement de longue date en faveur des sapeurs-pompiers, qu'ils soient professionnels ou volontaires. Je veux vous rassurer au sujet de la disposition de l'article 24 de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 qui prévoit des trimestres supplémentaires pour les sapeurs-pompiers selon les modalités que vous avez évoquées. Le décret sera prochainement signé par le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion – en charge des retraites – et par moi-même, de sorte qu'il devrait être publié d'ici le 31 décembre.
Il inclura un grand nombre de dispositions favorables aux sapeurs-pompiers que vous avez continûment défendues et qui ont été adoptées dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) et dans la loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels – dite loi Matras : une exonération de charges pour les employeurs des sapeurs-pompiers volontaires – une mesure revendiquée depuis longtemps, visant à encourager la vocation des sapeurs-pompiers –, la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance (NPFR), aujourd'hui peu adaptée, et la consolidation du modèle de secours français, qui repose sur la complémentarité des sapeurs-pompiers volontaires et professionnels dans les territoires urbains et ruraux – à l'instar du département de la Loire que vous avez si longtemps représenté à l'Assemblée nationale.
C'est donc avec le sentiment du devoir accompli que vous pouvez quitter l'Assemblée nationale. Je vous remercie une nouvelle fois pour votre soutien des sapeurs-pompiers et, de façon plus générale, de tous les agents du ministère de l'intérieur et des outre-mer.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, RN, LR, Dem, HOR et LIOT.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq.
L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement relative aux partenariats renouvelés entre la France et les pays africains, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution.
La parole est à Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Il est important de pouvoir débattre dans cet hémicycle des relations que la France entretient avec les pays d'Afrique. Il s'agit d'une priorité de notre politique étrangère et il est donc légitime d'y associer pleinement la représentation nationale. Tout aussi légitimes sont les questionnements qu'ont pu susciter les crises successives au Sahel. Avant de revenir plus en détail sur les actions que nous avons engagées depuis dix ans dans cette zone, je veux insister sur un point essentiel : l'attitude à notre égard de trois juntes militaires ne doit pas occulter les bonnes relations, je dirais même les très bonnes relations, que nous entretenons avec l'immense majorité des cinquante-quatre pays africains. Ce serait une grave erreur de réduire l'Afrique, aussi vaste que diverse, au seul Sahel.
Je commencerai par ce qui va bien, autrement dit nos relations avec la plupart des pays africains. Sous l'impulsion constante du Président de la République, nous avons voulu renouveler notre politique à l'égard du continent africain, démarche qui porte ses fruits.
Vous vous demanderez peut-être, mesdames, messieurs les députés, pour quelles raisons l'Afrique constitue l'une des grandes priorités de notre diplomatie. La réponse réside dans un constat simple : l'Afrique est un continent qui émerge sur le plan économique, sur le plan diplomatique et sur le plan démographique, avec une population de plus d'un milliard d'habitants appelée à doubler d'ici à 2050 et à quadrupler d'ici à 2100 pour représenter le quart de la population mondiale.
Dans les années à venir, elle va compter de plus en plus dans les grands équilibres du monde, dans la croissance mondiale, dans la création, dans l'innovation. C'est aussi en Afrique que se joue l'avenir de la francophonie. L'Afrique, c'est le continent où vivent plus d'un million de Français, dans nos régions et départements de Mayotte et de La Réunion, sans oublier nos 130 000 compatriotes qui résident dans des pays de l'Afrique subsaharienne.
Parce que nous avons besoin de nos partenaires africains pour relever les grands défis qui nous attendent pour la paix, pour la sécurité et pour l'adaptation au changement climatique, il est indispensable que la France noue des relations solides et confiantes avec les gouvernements et les sociétés de l'Afrique.
Il y a encore quelques années, notre dialogue se limitait trop aux crises régionales qui affectaient l'Afrique. Aujourd'hui, nous entretenons un dialogue étroit et exigeant sur l'ensemble de nos sujets d'intérêt communs : la guerre en Ukraine, le climat, les forêts, la réforme de la gouvernance mondiale. Nous avons enrichi ce dialogue en juin dernier, à Paris, lors du sommet pour un nouveau pacte financier mondial, auquel ont participé vingt chefs d'État africains.
La France souhaite toutefois continuer d'aider à résoudre les crises du continent, notamment en soutenant les organisations régionales. Je pense en particulier aux terribles conflits dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) et au Soudan, où nous sommes en contact avec les deux camps pour faciliter un processus de paix durable – j'échangeais encore ce matin avec mon homologue du Rwanda et hier avec celui de la RDC dans un contexte de remontée des tensions à l'est du pays.
La France accompagne également le processus de sortie de crise en Éthiopie, où je me suis rendue en janvier dernier avec mon homologue allemande, Annalena Baerbock. Nous pouvons aussi être fiers du chemin parcouru avec le Rwanda, grâce à un travail de mémoire honnête et à un engagement diplomatique volontariste qui nous ont permis de relancer nos partenariats bilatéraux.
Mesdames et messieurs les députés, notre diplomatie a un objectif principal en Afrique : que la France soit un partenaire crédible, compétitif et attractif aussi bien pour les acteurs économiques que pour les étudiants, les artistes, les créateurs et l'ensemble des sociétés civiles.
Il faut le dire et le répéter : nos entreprises sont compétitives en Afrique, elles le prouvent chaque jour. La France est aujourd'hui le deuxième investisseur étranger. En quinze ans, le nombre de filiales d'entreprises françaises en Afrique a doublé, de même que nos investissements. Nous aidons nos start-up, nos PME et les entrepreneurs de la diaspora à investir sur le continent en finançant leurs projets ou en facilitant leur accès au marché africain.
Je citerai un seul exemple, celui du Nigeria où je me suis rendue il y a trois semaines : dans cet immense pays de 216 millions d'habitants, qui sera le troisième pays le plus peuplé au monde en 2050, nous avons doublé nos investissements en dix ans.
J'ai bien conscience que ce constat va à rebours de bien des idées préconçues. Les réflexes pavloviens et les images d'Épinal ont un point commun : ils voudraient nous faire croire que tout va forcément mal en Afrique et que la France est forcément à la traîne.
Pourtant, il faut bien se rendre compte que nos jeunesses, qu'elles soient françaises ou africaines, s'intéressent à tout ce qui permettra de rendre le monde de demain plus juste, plus vivable et plus durable et à tous les partenariats qui peuvent y contribuer. Elles ont raison et c'est pour elles que nous travaillons.
La réalité de notre politique en Afrique, c'est notre volonté d'investir dans l'avenir, dans les secteurs les plus prometteurs de l'économie de demain, dans la vitalité du continent le plus jeune du monde, un continent où 60 % de la population a moins de 25 ans.
À cet égard, la priorité donnée aux industries culturelles et créatives est exemplaire. Depuis la bande dessinée jusqu'au jeu vidéo, en passant par la production audiovisuelle, le e-sport ou la création d'univers immersifs, ces industries sont porteuses à la fois de croissance économique, d'émancipation individuelle et de renouvellement de nos imaginaires. Elles ont en Afrique un potentiel considérable et remportent des succès déjà impressionnants. C'est pourquoi la France entend se positionner comme une partenaire de référence dans ces domaines.
C'est ce que nous avons fait avec le premier forum international Création Africa, qui a réuni à Paris, au début du mois d'octobre, des centaines d'entrepreneurs français et africains en pointe. J'ai moi-même lancé cette année, avec mon ministère, un fonds doté de 20 millions d'euros pour que nos ambassades soutiennent directement les artistes et les créateurs du continent qui veulent développer leurs entreprises sur le marché régional ou international. Enfin, avec la future Maison des mondes africains, nous voulons que Paris devienne l'un des cœurs battants de la créativité africaine.
C'est aussi par son investissement solidaire que la France est un partenaire crédible de l'émergence du continent. Depuis 2017, notre aide publique au développement (APD) est passée de 10 à 15 milliards d'euros, dont plus de 5 milliards par an pour l'Afrique. Nous sommes désormais le quatrième bailleur mondial et avons dépassé le Royaume-Uni. Nous sommes surtout le seul pays à avoir augmenté ses financements en direction du continent l'an dernier.
L'attractivité de la France reste également très forte pour les étudiants africains, c'est-à-dire les élites de demain, puisqu'elle constitue leur premier pays de destination.
En effet, ils sont désormais près de 95 000 à faire le choix de nos universités, soit une hausse de 40 % depuis 2017.
Nos ambassades accomplissent un travail remarquable de promotion des études en France, notamment afin d'attirer des étudiants anglophones en complément des étudiants francophones. J'en ai fait le constat, en juin dernier, lors de mon déplacement en Afrique du Sud : oui, notre pays est attractif pour les étudiants africains, qui sont, je le répète, les élites de demain.
La France est aussi résolument du côté des démocrates africains. Cela n'implique nullement de leur donner des leçons ni de s'ingérer dans les affaires intérieures des pays, mais bien plutôt d'aider les acteurs engagés de la société civile – je pense, par exemple, au professeur Achille Mbembe, qui dirige la Fondation de l'innovation pour la démocratie –, ainsi que les influenceurs et les journalistes africains qui luttent contre la désinformation pour promouvoir une information de qualité, condition sine qua non de sociétés ouvertes et démocratiques.
J'ai conscience des griefs dont fait l'objet la délivrance des visas.
Nous réformons en ce moment même notre politique de visas afin de mieux tenir compte de nos objectifs d'attractivité, de rayonnement et de prévention des migrations illégales, dans le cadre d'une feuille de route dont j'ai fixé les contours avec Gérald Darmanin.
Depuis 2017 et les engagements pris par le Président de la République à Ouagadougou, engagements réitérés au sommet de Montpellier en 2021 et en février dernier dans le discours prononcé depuis l'Élysée, nous réinventons notre manière de travailler avec nos partenaires africains. Nous voulons bâtir des partenariats respectueux et responsables dans lesquels chacun assume ses intérêts réciproques, des partenariats empreints d'écoute et de dialogue. Cela implique de briser certains tabous – celui de la restitution des œuvres, par exemple – et de regarder le passé en face – nous l'avons fait avec le Rwanda et le Cameroun. Enfin, ces partenariats doivent s'appuyer sur nos atouts : je pense au rôle de nos diasporas, mais aussi, alors que nous accueillerons en 2024 le sommet de la francophonie, à cette langue française que nous avons en partage avec des millions d'Africains.
Cette méthode est la bonne et nous entendons la conserver. J'en suis convaincue,…
…à l'instar des membres du Gouvernement et de tous les agents français déployés sur le continent qui appliquent cette politique avec détermination, conviction et volontarisme.
Vous êtes déconnectée de la réalité ! Nous ne devons pas vivre sur la même planète !
Cependant, parce que j'en appelais tout à l'heure au devoir de lucidité, nous devons considérer ce qui se passe dans trois pays : le Burkina Faso, le Mali et le Niger.
Ce ne sont que trois pays sur cinquante-quatre, j'insiste, mais trois pays avec lesquels nous entretenons des relations complexes.
Depuis dix ans, la France a consenti des efforts importants en leur faveur sur les plans militaire, financier, politique et diplomatique, jusqu'au sacrifice de ses soldats – le ministre des armées y reviendra. Permettez-moi donc de saluer ici, avec vous, mesdames et messieurs les députés, la mémoire des disparus et le courage de nos forces armées.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes RN et LR. – M. Benoit Mournet se lève et applaudit. – M. Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères, applaudit également.
Merci pour eux !
En 2013, à la demande des autorités maliennes et des pays de la région, le président Hollande a pris la décision courageuse d'engager nos forces armées. Nos militaires ont combattu avec bravoure et ont contribué à empêcher que le Mali ne devienne un État terroriste. À cet égard, nous pouvons être fiers de ce qui a été accompli.
J'entends parfois que nous aurions trop investi sur le volet militaire et pas assez sur ceux du développement et de la diplomatie. Disons-le clairement : c'est faux ! Depuis 2013 – période de référence –, l'investissement de la France pour le développement au Sahel a été massif : 3,5 milliards d'euros ont été engagés en dix ans au titre de l'aide bilatérale, à 80 % sous forme de dons. Entre 2012 et 2022, notre aide annuelle en faveur du Sahel a tout simplement doublé. Que l'on ne dise pas, dans ces conditions, que le volet développement a été négligé !
Parallèlement, la France a investi un capital diplomatique considérable, notamment à Bruxelles pour convaincre les Européens de s'impliquer – tous n'entretiennent pas les mêmes relations que nous avec les pays africains. Nous avons obtenu des résultats concrets, puisque plus de 7 milliards d'aides européennes ont été allouées au Sahel sur dix ans, qui s'ajoutent aux 3,5 milliards de l'aide française que je viens de rappeler.
Nous avons également obtenu l'intervention directe, y compris militaire, de certains pays européens qui n'étaient jamais autant intervenus en Afrique : citons l'Estonie et la République tchèque, qui ont participé à la task force Takuba, l'Allemagne, engagée dans la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), ou encore l'Alliance Sahel, grâce à laquelle nous avons fédéré vingt-sept bailleurs internationaux qui ont investi dans la région comme jamais auparavant.
Aux efforts diplomatiques consentis en Europe s'ajoutent ceux déployés auprès de l'ONU afin de créer, puis de renouveler chaque année, le mandat de la Minusma. Au moment où les derniers casques bleus quittent le Mali dans des conditions très difficiles et alors que 310 d'entre eux ont perdu la vie depuis 2013, je veux saluer le travail mené par cette mission des Nations unies.
Enfin, nous n'avons pas ménagé nos efforts pour convaincre les autorités du Mali d'appliquer l'accord d'Alger, d'améliorer la gouvernance et de rétablir les services de l'État dans l'ensemble du territoire. Nous l'avons dit et répété ; nous les avons encouragées. S'il y a bien un enseignement à tirer de la crise au Sahel, c'est que la gouvernance est fondamentale. Les partenaires extérieurs peuvent aider, inciter, mais ils ne peuvent pas se substituer aux autorités locales, ni ne le doivent.
Les coups d'État survenus au Mali, au Burkina Faso et dernièrement au Niger fragilisent tous les efforts consentis depuis 2013. La situation sécuritaire s'est dégradée, la crise humanitaire est dramatique et les violations des libertés se multiplient. Faire le choix du groupe Wagner, comme l'a fait le Mali, c'est de surcroît faire le choix de la prédation économique et des crimes de guerre.
Contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire par leur propagande, ces juntes ne sont pas motivées par une volonté de rupture avec la France, mais par une logique de rupture avec la communauté internationale, à commencer par leurs voisins, les organisations régionales et les Nations unies. Ce n'est pas tant la France qui est visée que tout un système international de coopération et de valeurs,…
…dont ces régimes s'écartent et qui leur sert de bouc émissaire. Face à de tels régimes, nous ne pouvons pas maintenir nos coopérations comme si de rien n'était. Nous ne pouvons pas poursuivre la lutte contre le terrorisme avec des putschistes. Nous ne pouvons pas financer des projets de développement qui les entretiennent.
Bien sûr, nous maintenons notre aide humanitaire à ces pays pour ne pas faire payer aux populations les comportements de leurs dirigeants. Et contrairement à ce que l'on a pu lire ici ou là – je le redis, monsieur Lecoq –, nous maintenons nos coopérations avec les sociétés civiles, les étudiants et les artistes : ils sont toujours les bienvenus en France. Étant donné la longue histoire qui nous unit à ces pays, nous tenons à maintenir ce lien.
Il est désormais de notre responsabilité de prendre de la hauteur et de regarder la situation en face. Toute la région est déstabilisée. Alors que notre retrait militaire du Niger marque la fin de dix années de lutte antiterroriste au Sahel, nous devons repenser entièrement l'architecture de sécurité dans la région. Nous nous y employons avec les pays africains, avec nos partenaires européens et avec les États-Unis. Une chose est sûre, toutefois, et vous avez certainement entendu le Président de la République,…
…comme vous entendrez également le ministre des armées : ce n'est plus à la France de porter seule, ou presque, la lourde charge de l'action antiterroriste en Afrique de l'Ouest. Il appartient aux pays de la région de fixer le cap et aux partenaires, dont nous sommes, de les soutenir.
M. Maxime Minot s'exclame.
La France prendra sa part, mais dans un cadre collectif.
Avant de conclure, permettez-moi de réaffirmer haut et fort non seulement l'importance des relations entre la France et les pays africains, mais aussi et surtout celle des moyens que nous mettons au service de nos ambitions. À la suite des états généraux de la diplomatie, j'ai pris des mesures pour renforcer le nombre de nos personnels sur le continent, dans nos chancelleries, dans nos services de communication et dans nos services d'action culturelle.
J'ai également voulu redonner des moyens financiers aux ambassades, grâce au fonds Équipe France et au fonds d'appui à l'entrepreneuriat culturel, le Faec, un dispositif efficace, pour qu'elles mènent des projets visibles, rapides et importants pour nos publics prioritaires.
J'ai également pris des mesures afin de valoriser la filière africaniste du Quai d'Orsay, avec désormais un concours dédié et de nouvelles langues proposées : le peul, le haoussa, les langues mandingues ou encore le wolof. Nous nous efforçons aussi de diversifier davantage le recrutement au sein du ministère et d'attirer plus de talents issus des diasporas.
Permettez-moi de conclure en exprimant un sentiment de profonde reconnaissance envers les agents qui servent mon ministère et qui travaillent parfois dans des conditions très difficiles. Lorsque nos ambassades sont attaquées, parfois violemment, comme ce fut le cas à Ouagadougou ou à Niamey, lorsqu'il s'agit d'évacuer des civils, sous le feu, en plein combat, comme nous l'avons fait à Khartoum, dans ces moments de vérité où l'engagement professionnel implique des questions de vie ou de mort, nos agents ont toujours fait preuve d'un courage sans faille pour servir leur pays et leurs compatriotes. Je rends hommage à leur dévouement, un dévouement à toute épreuve qui fait honneur à la France.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR. – M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.
Je me réjouis de débattre avec la représentation nationale, cet après-midi à l'Assemblée nationale et ce soir au Sénat, à la demande de plusieurs groupes politiques. Ce débat fait écho à l'engagement du Président de la République devant les présidents des deux chambres et les chefs de partis réunis à Saint-Denis le 30 août dernier. Il permettra de rappeler les fondamentaux de la coopération militaire avec nos partenaires, d'en clarifier certains aspects si besoin – compte tenu de ce que l'on peut lire ici ou là, cela semble nécessaire – et de faire un point sur les évolutions à venir.
Avant d'en venir plus précisément à la situation sécuritaire et par là même à la présence militaire française sur le continent africain, il est utile de faire un court rappel historique et politique du sens de cette présence. Il convient de souligner la nature de nos engagements militaires, dont certains reposent sur des accords de défense anciens, de tenir compte des particularités des pays dans lesquels nos militaires ont été engagés et, bien sûr, d'évoquer les menaces que nous avons combattues et que nous devons continuer de combattre.
Deux grandes périodes peuvent être distinguées depuis le début des années 2000, pour ne pas remonter plus avant. Tout d'abord, il y a celle des années 2000 à 2010, au cours de laquelle de nombreuses interventions françaises ont été menées dans le cadre de missions d'interposition ou de maintien de la paix sous l'égide des Nations unies. La plus connue est sans doute l'opération Licorne, avec la participation des forces armées françaises au maintien de la paix en Côte d'Ivoire.
Il y a ensuite la période de 2010 à 2020, marquée par la lutte contre les groupes armés terroristes avec les opérations Serval, puis Barkhane, au Sahel, courageusement décidées par le président de la République de l'époque, François Hollande, à la demande, à chaque fois, de nos partenaires au Sahel – Mme la ministre l'a rappelé. Cette menace demeure – nous y reviendrons dans un instant.
Il faut ensuite distinguer les géographies des théâtres d'engagement. Il n'existe pas une seule Afrique – c'est peut-être l'écueil auquel nous nous heurterons dans ce débat –, mais autant de particularités que d'États. Nous ne pouvons pas comparer la lutte contre le terrorisme au Sahel avec celle actuellement menée au Mozambique dans la province du Cabo Delgado. Ainsi, nous ne pouvons pas mettre sur le même plan l'Afrique francophone, l'Afrique anglophone et l'Afrique lusophone, ni même les différentes organisations régionales. Les différences peuvent même être infra-étatiques, mais je m'arrêterai là pour ne pas être trop long.
Il faut enfin discerner les différents types de menaces que nous combattons. Il s'agit tout d'abord de la piraterie et, plus généralement, des enjeux de sécurité maritime dans le golfe de Guinée et dans le détroit de Bab el-Mandeb. Il s'agit ensuite des trafics de tous ordres : d'êtres humains, de drogue ou d'armements. Il s'agit enfin de la menace terroriste, qui n'est pas sans lien avec le point précédent et que nous combattons.
Je ne reviens pas sur le bilan de l'opération Barkhane, largement évoquée dans le rapport d'information sur les relations entre la France et l'Afrique des députés Michèle Tabarot et Bruno Fuchs, que je remercie. Tout le monde s'accorde désormais – enfin ! – à dire que cette opération est un succès militaire incontestable. Nous avons su en tirer un enseignement principal sur le plan politique – dont on peut évidemment débattre : nous ne devons jamais nous substituer à l'action de nos partenaires, en tout cas durant une période trop longue – nous y reviendrons certainement pendant le débat.
Parmi les menaces que la France combat, la plus susceptible de nous toucher directement et de déborder sur l'Europe est bien entendu la menace terroriste, qui a des effets dramatiques sur les populations civiles et soulève du même coup un enjeu migratoire. Ne nous leurrons pas : la reconstitution progressive d'un sanctuaire djihadiste au Sahel, sur le modèle de l'Irak ou de la Syrie, pourrait, à terme, faire peser sur la région et sur l'Europe les mêmes menaces endogènes, projetées ou inspirées, que nous avons connues ces dernières années à partir d'autres théâtres d'opérations.
Il est un principe qui caractérise les missions de combat de nos armées : c'est l'intervention temporaire – on aurait parlé jadis de « logique expéditionnaire ». Les troupes françaises n'ont pas vocation à rester durablement sur un théâtre d'opérations lorsque notre partenaire ne fait pas, ou plus, de la lutte contre le terrorisme une priorité. C'est la raison pour laquelle nos soldats présents au Niger sont en cours de rapatriement vers la France. Comme le Président de la République l'a annoncé, nous aurons quitté ce pays avant la fin de l'année.
Il est légitime de s'interroger aujourd'hui : notre pays devait-il répondre présent lorsque ses partenaires africains lui ont demandé de l'aide il y a plusieurs années ? Je serais curieux d'entendre les positions de chaque groupe sur le sujet.
Pour ma part, je pense qu'il le fallait, car la France ne pouvait laisser sans réponse l'appel à l'aide des autorités, autrefois légitimes, de ces pays, exposées au péril d'un terrorisme islamique imminent.
Pourquoi partir aujourd'hui du Niger ? Parce que la France respecte la souveraineté des États africains quelle que soit la direction politique qu'ils prennent. Même si nous ne pouvons que le regretter, il ne saurait y avoir de double standard.
Nos objectifs sont clairs et ont été rappelés il y a quelques instants par Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères : lutter contre la menace terroriste islamiste, garantir la sécurité de nos ressortissants sur place et approfondir nos partenariats stratégiques d'intérêts communs. Ces objectifs sont, je le sais, largement partagés par les groupes parlementaires puisqu'ils figurent en grande partie dans le rapport de Mme Tabarot et de M. Fuchs que j'ai évoqué il y a quelques minutes.
Je tiens à saluer les travaux importants, notamment le cycle d'auditions sur l'Afrique, initiés par la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée sous l'égide de son président Thomas Gassilloud. À l'issue de ce cycle, je me suis engagé à revenir devant la commission en début d'année prochaine.
La réarticulation entreprise depuis le début de l'année vise à renforcer l'attractivité de notre offre et la solidité de nos partenariats avec les États africains qui le souhaitent en répondant aux grandes évolutions du moment dans un environnement beaucoup plus compétitif qu'auparavant. Avant de vous la présenter plus en détail, je souhaite vous exposer l'état actuel de notre présence militaire sur le continent africain.
L'action de la France s'appuie sur deux grandes familles de forces de présence. Nous disposons, tout d'abord, de deux pôles de coopération au Sénégal et au Gabon. Ces bases, qui disposent d'éléments prépositionnés depuis l'indépendance de ces pays et la conclusion des premiers traités de défense, permettent l'accès à des infrastructures utilisables à des fins militaires et proposent de nombreuses formations à nos partenaires, ainsi qu'à d'autres pays situés à proximité. Les armements y sont très limités et servent essentiellement, voire exclusivement, à la formation.
Nous nous appuyons, ensuite, sur des bases militaires disposant de capacités opérationnelles. Je pense aux forces prépositionnées en Côte d'Ivoire et à Djibouti. La base d'Abidjan regroupe un peu moins de 1 000 militaires et celle de Djibouti quasiment 1 500, qui se sont à nouveau illustrés lors de l'opération Sagittaire d'évacuation du Soudan. Qu'il me soit permis, là aussi, de leur rendre hommage.
Enfin, nous avons au Tchad et, jusqu'à cet été, au Niger, des bases d'une autre nature. Nos forces avaient vocation à agir sur demande, en soutien des forces armées locales, dans le cadre d'opérations antiterroristes précises. Elles ont contribué à freiner l'expansion de la menace et menaient également des actions de coopération et de formation des armées partenaires. Elles continuent de le faire au Tchad.
Ces capacités de projection depuis l'Hexagone sont par ailleurs renforcées par la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 que vous avez adoptée l'été dernier. Nous avions alors pris le temps de détailler cet aspect.
La France est donc présente aux côtés de ses partenaires africains, lorsqu'ils le souhaitent, pour mieux assurer leur sécurité et répondre à leurs demandes. Certains, comme la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Bénin et le Gabon, ont accompli une remarquable montée en puissance de leurs appareils de sécurité, qu'il s'agisse des services ou des forces armées, et remporté de belles victoires sur le terrain face aux groupes armés terroristes.
Par ailleurs, nous faisons évoluer notre accompagnement en renforçant notre offre de formation, nos capacités et notre réseau diplomatique de défense, soit des points essentiels.
En matière de formation, tout d'abord, les efforts ont porté sur nos capacités d'accueil en Afrique au sein des écoles militaires françaises, avec l'objectif de doubler les places disponibles. À la rentrée 2023, nous comptions une centaine de places supplémentaires, dès à présent attribuées à des sous-officiers et à des officiers africains. En 2022, près de 3 000 stagiaires africains sont passés par le réseau des écoles nationales à vocation régionale. Ainsi, 25 000 militaires africains ont été formés sur le continent depuis le début de l'année et 10 000 militaires français et africains suivent des entraînements conjoints pour se former ensemble aux défis sécuritaires d'aujourd'hui et de demain. Cela peut paraître anecdotique, mais nous poursuivrons ces missions communes, notamment pour tourner la page des réductions de capacités engagées depuis la moitié des années 1990 – nous y mettons enfin un terme !
Sur le plan capacitaire, ensuite, j'insiste sur notre volonté de mobiliser davantage les industriels et les équipementiers, volonté dont j'ai fait part il y a peu de temps à la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée. L'objectif est de fournir à nos partenaires africains un accompagnement capacitaire moderne, mais adapté à leurs besoins, qu'il s'agisse du prix ou de la nature des équipements, sans oublier les sauts technologiques attendus en matière de drones ou de cyberdéfense, qui concentrent d'importantes attentes.
Le délégué général pour l'armement s'est rendu à ma demande sur le continent – une première depuis 1961,…
…ce qui dit tout de la nature des relations militaires et de la coopération capacitaire entre les pays d'Afrique et la France. Il y a là un axe de progrès évident. La sous-direction Afrique et Moyen-Orient de la direction générale de l'armement (DGA) a été renforcée à cet effet.
Enfin, sur le plan de la diplomatie de défense, notre réseau se densifie en Afrique – je le dis devant Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères – avec l'ouverture de nouveaux postes d'attachés de défense : au Rwanda à l'été 2022, aux Comores et en Guinée-Bissao cet été. L'arrivée d'un attaché d'armement est prévue dans quelques mois au Sénégal et en République de Côte d'Ivoire (RCI). Nous devons poursuivre nos efforts afin de reconstituer des capacités de conseillers militaires pour nos ambassadeurs, en lien avec les forces armées locales. Vous le savez, après la disparition du service national dans les années 1990, les postes de coopérants supprimés n'ont pas été compensés par de nouveaux moyens alloués aux missions de défense. Ce point concentre également les attentes de nos différents partenaires.
Au-delà de ces principaux axes d'effort, le volet renseignement est un axe essentiel, que je ne développerai pas ici, mais que j'ai présenté à la délégation parlementaire au renseignement lors d'une audition avec le directeur général de la sécurité extérieure.
Nous continuerons par ailleurs d'encourager nos alliés à s'engager en Afrique en associant plus encore nos partenaires européens et américains aux missions menées sur le continent, comme Mme la ministre l'a précédemment évoqué.
Enfin, la France et ses partenaires africains sont liés par un honneur commun au combat et une histoire partagée que nous avons à cœur de faire vivre. Nous ouvrons une période mémorielle importante, qui mettra à l'honneur l'action de l'armée d'Afrique tout au long des commémorations de la Libération, avec, en 2023-2024, le quatre-vingtième anniversaire de sa participation à la libération de la Corse, à la campagne d'Italie et, bien sûr, au débarquement de Provence.
Je veux donc conclure en rendant hommage aux combattants d'Afrique tombés sous les couleurs de la France et pour la liberté aux côtés de leurs frères d'armes. Je pense également à nos soldats morts au Sahel, ainsi qu'à nos blessés et à leurs familles.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LR, Dem et HOR. – M. Aurélien Taché applaudit également.
La représentation nationale peut enfin échanger avec le Gouvernement sur la stratégie africaine de la France et j'en suis heureuse. Nous avons beaucoup à apporter à ce débat. Nous l'avons démontré encore récemment avec mon collègue Bruno Fuchs lors de la présentation du rapport d'information sur les relations entre la France et l'Afrique. Ce document a été bien accueilli et va nourrir de nombreuses réflexions au sein de la commission des affaires étrangères. Je regrette d'ailleurs que le groupe Renaissance soit le seul à s'être abstenu lors du vote sur la publication de ce rapport.
C'est vrai, c'est scandaleux ! Nous n'avons toujours pas compris pourquoi !
Tous les autres groupes l'ont soutenue parce qu'ils ont compris que ce travail dressait un état des lieux sincère et objectif sur les causes de notre perte d'influence. Dans ce rapport, nous montrons que les erreurs de la France remontent à bien avant 2017. Il y a eu des comportements mal perçus et des attitudes vexatoires. Nous avons aussi affaibli ce qui fonctionnait bien dans notre relation avec les pays d'Afrique : notre réseau culturel et éducatif, nos coopérations, les moyens de nos ambassades.
Mais ce rapport parle aussi de nos réussites. Bien sûr, il y en a, et nous les saluons sans arrière-pensées, à l'image de l'ouverture vers l'autre Afrique, lusophone et anglophone, qu'il faut poursuivre et amplifier.
Nous pointons également les sujets de tension, comme la réforme des visas, qu'il faut engager rapidement, sans renoncer à la maîtrise des flux et à l'impératif de la lutte contre l'immigration illégale. Nous dénonçons enfin le comportement déloyal de certains de nos concurrents, tels que les Russes, et des juntes dont nous sommes devenus les boucs émissaires.
Vous le voyez, ce n'est pas un document à charge, mais un constat sur une situation difficile. Il contient des recommandations pour réinventer notre relation avec l'Afrique.
Sur ce sujet, le chef de l'État a multiplié les déclarations ces derniers mois : en novembre 2022, à Toulon, quand il a parlé de la revue nationale stratégique (RNS) ; en février 2023, à l'Élysée, dans son discours sur la politique africaine ; en mars 2023, en clôture des états généraux de la diplomatie. À chaque fois, c'est la promesse d'une nouvelle approche, de partenariats renouvelés, d'une diplomatie d'influence enfin assumée et avec des moyens. Mais au-delà des mots, il ne se passe pas grand-chose.
Bien sûr, je sais l'ampleur de la tâche et l'engagement de notre diplomatie et de nos armées, mais que de temps perdu depuis le péché originel du discours de Ouagadougou, qui prétendait tout réinventer et qui, disons-le clairement, a échoué à se concrétiser.
Le Président de la République annonçait la fin de la politique africaine de la France. Quelle erreur ! Le résultat est là : voilà six ans qu'il essaie de recoller les morceaux. Il a compris bien trop tard que la France, comme toutes les grandes puissances, a besoin d'une politique africaine, d'une stratégie pour ce continent d'avenir. Certaines déploient une approche bien plus agressive et bien moins éthique que la nôtre : je pense à la Chine sur le plan économique, à la Turquie sur le plan culturel et religieux, à la Russie sur le plan sécuritaire. Face à ces pays, l'offre de la France ne peut pas se cantonner aux champs privilégiés par le chef de l'État, comme le sport ou la culture. Ce n'est pas l'attente fondamentale des pays africains. Voilà pourquoi la France doit avoir une vraie stratégie d'influence et, surtout, l'assumer. À force de taire nos intentions, nous laissons libre cours à toutes les théories du complot, qui font tant de mal aujourd'hui.
Il nous faut une nouvelle stratégie, mais, selon moi, elle ne peut plus être le fait d'un seul homme. J'ai critiqué les errements de notre politique étrangère, élaborée en vase clos et hypercentralisée, ce qui a beaucoup déplu à certains.
Pourtant, c'est exactement ce que nous avons vu au Proche-Orient avec les annonces improvisées du chef de l'État, qui ont surpris tout le monde, y compris vous, madame la ministre, monsieur le ministre, et nos alliés. Le Président de la République a finalement dû faire machine arrière, ce qui est catastrophique pour l'image de la France.
Je le dis sans détour : il faut aérer la politique étrangère et ouvrir le domaine réservé pour en faire un domaine partagé. Le Parlement y a toute sa place, comme le démontrent les échanges de ce jour. Nous avons une vision et des propositions. Notre contribution à la politique étrangère pourrait être bien plus importante.
Puisque nous parlons de nouveaux partenariats avec l'Afrique, le groupe Les Républicains est convaincu qu'il faut mener de profondes réformes pour renforcer les synergies. L'ensemble des acteurs doivent désormais agir au service de notre diplomatie d'influence. Cela paraît évident, mais ce serait une vraie révolution s'agissant de la France : ces connexions se font trop peu aujourd'hui.
Voilà pourquoi nous voulons une réforme de l'Agence française de développement (AFD). Il faut lui redonner un véritable pilotage politique, comme le réclame la Cour des comptes. Il faut aussi que son action soit visible. Il n'est plus possible que la France soutienne des projets sans que son action soit reconnue ou valorisée. Quel autre pays l'accepterait-il ? Nous voulons aussi que nos ambassadeurs aient plus de moyens pour soutenir des projets qui touchent directement les populations, à l'image des actions menées par d'autres représentations étrangères. Nos ambassadeurs doivent retrouver un rôle central et devenir les véritables chefs de file de l'équipe de France à l'étranger. Il faut aussi mieux les préparer : inspirons-nous des États-Unis, qui forment leurs diplomates pendant des semaines avant de les envoyer en Afrique.
J'en viens à notre offre stratégique et militaire. Je tiens à redire que la présence française n'a jamais été imposée. Nous sommes présents, dans les pays qui le souhaitent, sur la base de partenariats renforcés. En effet, ceux-ci doivent être rénovés, car nous sommes dans une compétition acharnée face à des concurrents qui n'ont pas toujours les mêmes valeurs que nous. Comme vient de le confirmer M. le ministre, le ministère des armées travaille à identifier les attentes de nos partenaires. C'est une démarche clé pour adapter notre catalogue. Elle doit se doubler d'une vraie réflexion sur l'offre de notre base industrielle et technologique de défense (BITD) face à la concurrence de matériel bon marché, par exemple venu de Turquie. J'espère que nous pourrons en reparler bientôt, car c'est un élément majeur de notre présence sur le continent africain.
Je pourrais évoquer bien d'autres sujets : la coopération technique, scientifique et humanitaire et l'erreur fondamentale de la diminution sensible du nombre de coopérants sur le terrain ; notre réseau culturel et la diminution du nombre de nos écoles en Afrique ; l'affaiblissement de la francophonie, laquelle est pourtant un atout considérable ; la nécessité de développer des écosystèmes favorables à l'implantation des entreprises françaises, notamment dans des pays où nous avons un vrai potentiel de développement.
Toutefois, pour clore cette liste de propositions, je voudrais parler de notre communication. La capacité à valoriser nos actions et à répondre aux attaques est le corollaire indispensable de toute stratégie d'influence. Nous le voyons particulièrement s'agissant du continent africain. Nos ambassades et nos services doivent avoir les moyens de mieux communiquer et de mieux lutter contre la désinformation. Quant à nos médias publics, ils ne peuvent pas relayer à longueur de journée des messages haineux contre la France sans montrer également d'autres points de vue. Ils sont libres de décider de leur ligne éditoriale, mais ils doivent avoir conscience qu'en Afrique, ils sont vus comme des médias d'État. À travers eux, c'est la voix de la France qui est perçue.
Les Africains eux-mêmes nous ont dit ne pas comprendre pourquoi nos propres médias ne parlent pas mieux de notre pays. J'en appelle à leur responsabilité. Ils doivent s'attacher à valoriser les actions de la France, parce qu'ils sont essentiels à notre image.
Nous portons la vision d'une diplomatie d'influence assumée, regroupant l'ensemble des acteurs autour des intérêts de la France et de nos partenaires. Cette vision rejoint en partie celle du chef de l'État. Mais, encore une fois, des paroles aux actes, le chemin est long. La commission des affaires étrangères va poursuivre ses travaux et la commission de la défense vient de lancer un cycle d'auditions sur l'Afrique. Le groupe Les Républicains est déterminé à travailler à cette refondation. Une fenêtre d'opportunité unique s'ouvre pour construire ensemble la nouvelle stratégie africaine de la France. J'espère, madame la ministre, monsieur le ministre, que vous nous écouterez, que vous respecterez nos travaux et que nous serons durablement associés à ce projet essentiel au rayonnement de notre pays, essentiel pour la place que la France doit retrouver dans le monde.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – M. Bruno Fuchs applaudit également.
Au nom du groupe Démocrate, je tiens à remercier le Gouvernement et les ministres présents pour leurs déclarations qui ouvrent le débat sur les partenariats entre la France et les pays africains. Nos partenariats avec l'Afrique sont anciens, forts et en constante évolution. Nous devons sans cesse les adapter à l'évolution des besoins exprimés par les pays africains et, certainement, mieux les valoriser. Je mettrai l'accent sur la stratégie de défense de notre pays et sur notre souhait de nouer de nouveaux partenariats militaires avec les pays africains.
Depuis 2017, la France a adopté une nouvelle grille de lecture pour ses relations avec l'Afrique. Elle souhaite inscrire de manière pérenne des rapports de réciprocité, harmonieux et responsables. Alors que l'influence de certaines puissances étrangères se fait de plus en plus prégnante, nous devons adopter une posture équilibrée et bâtir un nouveau modèle de partenariat militaire, ce qui implique de modifier la manière dont nous sommes présents sur place, d'exprimer clairement nos objectifs et surtout de répondre aux demandes légitimes des pays d'africanisation, de montée en compétences et d'autonomie de leurs armées et de leurs forces de sécurité.
Plusieurs pistes doivent être explorées. Bien sûr, nous devons développer l'offre de formation, d'accompagnement et d'équipement pour atteindre un niveau supérieur. Ceci engage nos armées, mais également notre industrie de défense. Nous devons rester vigilants quant au combat de la communication qui se joue sur place et à l'impact qu'il peut avoir sur les actions menées par la France. Les crises des derniers mois au Mali, au Burkina Faso et au Niger en sont l'exemple parfait. La France a fait l'objet d'un rejet massif de la classe politique locale. Elle est devenue « le bouc émissaire idéal », pour reprendre les mots du Président de la République. Les campagnes de déstabilisation menées dans ces pays ont porté leurs fruits : « Dehors la France », pouvait-on lire sur les pancartes lors de rassemblements. Par un effet domino, la présence militaire de la France a été remise en cause dans ces pays qui nous avaient appelés et qui avaient demandé notre soutien dans la lutte contre le terrorisme.
Nous ne sommes pas naïfs concernant le rôle joué par l'ingérence russe en Afrique et dans les médias. Depuis dix ans, la Russie a méthodiquement déployé une stratégie globale sur le continent africain dans tous les domaines : influence politique, communication, sécurité, fourniture d'armes… Ce constat indique que nous devons évoluer dans notre manière de communiquer sur nos actions et sur les dispositifs que nous déployons. Il faut apporter de la cohérence, de la lisibilité et de la compréhension aux yeux des populations. Nous devons être à l'initiative, pas seulement en position défensive.
Dans ce changement de paradigme, la France doit s'appuyer sur ses partenaires fiables. C'est le cas notamment de la Mauritanie, du Sénégal, du Bénin et de la Côte d'Ivoire – vous les avez cités, monsieur le ministre. Nos relations avec la Mauritanie sont stables dans de nombreux domaines et semblent même s'approfondir : la coopération est importante en matière de sécurité et de défense dans le but de renforcer l'expertise mauritanienne dans la lutte contre le terrorisme et les trafics. Nous pouvons également saluer la durabilité de nos liens avec le Sénégal autour de formations nombreuses dispensées par les éléments français du Sénégal. Nos accords de coopération militaire bilatérale sont la preuve d'un travail en bonne intelligence. Enfin, nos relations nouvelles avec le Bénin s'intensifient : l'acte symbolique de restitution d'une collection d'objets au musée historique de Cotonou, en 2021, a permis de créer un contexte de confiance favorable au développement de la coopération entre nos deux pays.
Portons un regard positif sur ce qui fonctionne et mettons en avant les réussites sans pour autant fermer les yeux sur les critiques et les échecs. Adaptons-nous, soyons réalistes : c'est ainsi que nous apporterons aux pays africains les solutions qu'ils attendent de notre part.
Les écoles dont vous avez parlé, monsieur le ministre, en sont le parfait exemple, tout comme l'École nationale de cybersécurité à vocation régionale de Dakar ou l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme de Côte d'Ivoire. La France doit continuer de construire des coopérations nouvelles, solides et durables avec les pays africains, dans un rapport d'égal à égal cultivant la confiance et le respect mutuel.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, RE et HOR. – M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.
« La nouvelle donne africaine » : ainsi aurions-nous pu qualifier le débat qui nous rassemble aujourd'hui. Militairement, politiquement, économiquement, une page historique de la relation de la France à l'Afrique semble s'être définitivement tournée. Le coup d'État au Niger de juillet dernier et le retrait forcé de nos forces armées nous obligent à traduire en actes le débat récurrent de la reconfiguration de nos relations.
En 2013, la France lançait l'opération Serval. François Hollande était acclamé et accueilli en libérateur au Mali. Dix ans plus tard, la présence française au Sahel et dans d'autres régions d'Afrique est dénoncée. D'une intervention sollicitée à une présence contestée, comment en sommes-nous arrivés là ?
Les sociétés africaines se sont transformées sous l'effet d'une démographie dynamique, faisant de ce continent l'un des plus jeunes, dont le poids dans la population mondiale est de plus en plus important, mais aussi sous l'effet de la numérisation, de la démocratisation de l'accès au savoir et à la culture et d'une meilleure connaissance de l'évolution des relations internationales.
La nouvelle donne africaine, c'est aussi l'histoire d'une mondialisation de l'Afrique dont nous avons tardé à prendre pleinement conscience. Depuis plus de dix ans, la présence militaire française en Afrique a masqué l'érosion progressive de son influence politique et économique. Je prendrai deux exemples. D'une part, en l'espace de trois ans, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, avec lesquels nous entretenions de bonnes relations, ont connu des coups d'État sur fond de défiance à l'égard de la France, au point de réclamer le départ de nos forces armées et de nos diplomates. D'autre part, alors que les parts de marché de la France en Afrique étaient de 10,2 % en 2001, elles ne représentaient plus que 4,1 % en 2021. À titre de comparaison, l'Allemagne ou la Turquie nous ont dépassés. La Chine, quant à elle, caracole en tête avec 18 % : on parle dorénavant de « Chinafrique ».
Au cœur du mécontentement expliquant l'affaiblissement de l'influence française, une jeunesse trop souvent plongée dans une extrême pauvreté, tourmentée par des enjeux sécuritaires illustrés par le djihadisme et dont les aspirations ne sont pas sérieusement prises en compte. En résulte une résurgence de la rancœur coloniale,…
…ainsi qu'une profonde incompréhension de l'incapacité française à favoriser le développement économique et social des États et à éliminer la constante menace djihadiste.
Le déclin de l'image de la France a ouvert la voie à une mondialisation teintée d'opportunisme, renforcée par la jeunesse des populations africaines et dont la France a tardé à prendre pleinement conscience. La Chine, les États-Unis, la Russie, l'Inde, le Japon, l'Allemagne et la Turquie sont désormais bien implantés sur le continent africain, militairement ou économiquement, parfois les deux.
Dès 2013, alors que la France, les États-Unis et l'Angleterre s'interrogent sur une possible intervention en Syrie en réponse aux attaques de Bachar al-Assad sur sa population avec des armes illégales, Vladimir Poutine prend la parole à l'ONU et se proclame le garant de la stabilité contre le chaos provoqué par l'Occident et son idéologie. La Russie s'attache alors à renforcer son influence, en particulier sur le continent africain.
La France est-elle seule responsable de son affaiblissement ? Non, évidemment. Avons-nous toujours agi sans commettre la moindre erreur ? La réponse est identique et tout aussi évidente. Pour explorer les conditions de partenariats français renouvelés avec les pays Africains, reconnaissons en premier lieu les erreurs que nous avons commises.
Je ne sais pas si l'opération Barkhane est un échec, mais je sais qu'en matière d'antiterrorisme, une intervention militaire ne constitue pas une politique en soi. La victoire militaire de l'opération Serval au Mali n'affaiblit pas le djihadisme. Si certains chefs ont été éliminés, le rôle politique et économique de ces acteurs dans le tissu local a été sous-estimé et l'approche sécuritaire n'a pas eu l'effet politique escompté.
Fléau de l'esprit, qui se traduit en actes barbares inqualifiables, nous devons lutter de manière intangible contre le terrorisme et ce qu'il représente. Je tiens à souligner le courage de nos forces armées et j'ai une pensée pour les cinquante-huit soldats qui ont perdu la vie au cours des opérations Serval et Barkhane. Leur engagement était sincère et, disons-le, nécessaire. Nous leur en serons à jamais reconnaissants. Mais les groupes djihadistes sont des acteurs politiques à part entière et la première étape pour les vaincre et établir notre stratégie sera de les considérer comme tels.
Si nous voulons reconnaître nos erreurs, nous devons aussi cesser de regarder l'Afrique comme un tout indifférencié. Considérer les États qui la composent comme de véritables partenaires : voilà ce que devra être notre feuille de route. Ainsi, et quelle que soit la nature de nos futurs partenariats, nous devrons apporter toute la considération qu'ils méritent à ces pays, dans le respect de leurs particularismes – vous l'avez dit, madame la ministre – et en admettant que les enjeux qui nous sont propres, ainsi que les objectifs et les priorités qui sont les nôtres, ne sont pas nécessairement les mêmes que les leurs. À cet égard, les partenariats que nous nouerons avec eux ne pourront faire fi de la façon dont ces États envisagent structurellement leurs relations avec les autres forces régionales et internationales, y compris celles avec lesquelles nous sommes en compétition.
Nous devrons ensuite prendre garde à ne pas surestimer les stratégies de désinformation développées par certaines puissances étrangères – sans les sous-estimer non plus, d'ailleurs. Elles sont certes avérées, mais aucun des chercheurs que nous avons auditionnés ne confirme l'existence d'un sentiment antifrançais : une telle expression relève plutôt d'une facilité langagière permettant de donner crédit aux fake news populistes et complotistes qui inondent les réseaux sociaux. Si la colère d'une partie des Africains est renforcée par les actions de désinformation menées par des trolls numériques issus de leurs pays, la communication aléatoire de la France et de son président en a facilité l'influence. Fort heureusement, un champ des possibles s'offre à nous pour améliorer nos relations avec les nombreux pays du continent africain.
Le premier de ces possibles est structurant. Sans verser dans l'autoflagellation, abandonnons notre hubris gaullienne et admettons que le monde dans lequel s'inscrit notre action a profondément changé. La France n'est plus la puissance qu'elle était : acceptons-le ! Faisons preuve d'humilité et admettons ne plus avoir l'influence d'antan. Acceptons-le pour mieux rebondir, afin d'apparaître à nouveau comme un partenaire fiable vis-à-vis de nos alliés. En d'autres termes, changeons de regard sur nous-mêmes pour changer de regard sur les autres. Abandonnons notre ton paternaliste, symbole de la Françafrique
M. Maxime Minot soupire
et héritage d'une colonisation dont nous devons définitivement faire table rase. Abandonnons également la notion de « domaine réservé » du chef de l'État, qui ne relève que de la pratique et n'a rien de constitutionnellement évident, notamment en ce qui concerne la répartition des prérogatives entre l'Élysée et Matignon.
Dans cette optique, la France gagnerait à travailler à une décentralisation décisionnelle en matière de politique étrangère. Comment admettre décemment, au nom d'une efficacité toute relative, que seule une poignée de personnes soit habilitée à prendre, en cercle restreint, des décisions d'une telle ampleur ? Depuis 2013, le Parlement n'a discuté de l'intervention militaire au Sahel que deux fois – deux fois en dix ans ! La parlementarisation du processus décisionnel en matière de politique étrangère apparaît indispensable.
Certes, mais quand on organise un débat, il n'y a personne !
La décentralisation que nous appelons de nos vœux passera également par le développement de la coopération décentralisée, qui renforce les échanges locaux autant que les communautés, dans un contexte où les États sont parfois inexistants. Le dernier pan de ce travail de décentralisation consiste en réalité en un rééquilibrage et apparaît comme une évidence : il s'agit de remettre le Quai d'Orsay, dont les compétences sont incomparables, au cœur de notre politique étrangère.
Enfin, et c'est le dernier élément de ce champ des possibles, nous devons redéfinir notre aide au développement et mettre fin aux politiques vexatoires en matière de visas. Des décisions salutaires ont déjà été prises dans ces domaines, y compris au sujet des visas, et je salue des actions telles que la restitution des objets d'art et de culture africains, la reconnaissance de la responsabilité du colonialisme français ou encore la reconnaissance du génocide rwandais.
Nous devons cependant reconsidérer notre politique d'aide par l'emprunt : elle ne peut plus être le socle de notre aide au développement alors que la Chine ou les États du Golfe, qui n'ont pas les mêmes exigences financières que nous, en profitent pour accroître leur implantation, notamment économique, sur le continent africain. Ces évolutions devront s'accompagner d'une véritable stratégie visant à refaire de la sphère francophone un espace d'échange, de savoirs et de culture. Il faudra par ailleurs en finir avec une politique des visas qui est une véritable épine dans le pied de la France.
Le retrait de nos forces au Sahel devrait modifier définitivement nos rapports avec les pays africains. Pourtant, cela ne signifie pas que nous devons passer de l'interventionnisme à l'abandon. La redéfinition de nos partenariats devra donc répondre à un certain nombre de défis : la cohérence, car pratiquer la realpolitik ne doit pas nous empêcher de soutenir, en Afrique comme ailleurs, les valeurs que nous prônons en Europe ; le respect des particularismes, pour ne pas reproduire les erreurs du passé ; et l'ouverture sur le monde, car nous devons nous appuyer sur la francophonie pour restaurer notre image et nos relations.
Ne disposant que d'un temps de parole de dix minutes, j'ai dû faire des choix et je n'ai donc pas abordé de manière approfondie tous les enjeux que recouvrent nos relations avec le continent africain.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et Écolo – NUPES.
« Si tu veux aller vite, marche seul, mais si tu veux aller loin, marchons ensemble. » : cette phrase définit l'esprit de notre ambition pour le continent africain. Pour la concrétiser et pour débattre de nos relations avec les pays d'Afrique, nous devons garder en mémoire deux vérités essentielles. D'abord, ces relations ne peuvent reposer sur des caricatures. Ensuite, les réponses aux défis du XXI
S'affranchir des caricatures, pour commencer, c'est cesser de considérer le continent africain à travers le seul prisme sécuritaire. Je le dis en tant que membre de la commission de la défense nationale et des forces armées : les coups d'État qui ont gangrené le Sahel ces dernières années ne doivent pas nous aveugler quant à la richesse et à la diversité de ce continent où, comme le Président de la République le rappelait en 2017 à Ouagadougou, « se joue une partie de notre avenir commun ».
J'ajoute que trop souvent, les contrevérités s'accumulent. D'aucuns voudraient remettre en cause la légitimité ou l'efficacité de nos opérations au Sahel, mais disons-le clairement : nos soldats ont lutté contre la menace djihadiste à la demande des États africains. Aux côtés des militaires des armées africaines et au péril de leur vie, nos soldats y ont remporté des victoires contre des groupes armés djihadistes. Je veux rendre hommage, au nom du groupe Horizons et apparentés, à ces soldats, aux blessés et à ceux qui ont perdu la vie au Sahel, ainsi qu'à leurs familles.
S'affranchir des caricatures, c'est aussi garder en tête la diversité des pays africains. Il n'y a pas une Afrique ; il y en a de nombreuses. La France entretient des liens avec chacun des cinquante-quatre pays du continent dans le cadre de relations bilatérales ; tous ont leurs spécificités et ce n'est qu'en refusant de réduire les relations franco-africaines à une seule situation que nous pourrons poser les bases saines de partenariats renouvelés avec eux.
Cette logique de partenariat a été clairement définie par le Président de la République le 27 février dernier. Elle vise à sortir d'une approche qui ne fait que conjuguer vision sécuritaire et aide au développement, imposée par les Français ou par les Européens, pour s'investir dans la coopération économique et culturelle en encourageant des projets favorables à la prospérité du continent. La politique étrangère de la France en Afrique doit mettre fin à la logique de l'évidence et se donner pour but d'avancer ensemble, main dans la main, en véritables partenaires. Nous disposons pour ce faire de nombreux atouts qu'il nous faut faire valoir. Il nous faut construire une nouvelle relation équilibrée, réciproque et responsable avec les pays africains.
Les domaines dans lesquels la coopération entre la France et les pays africains peut être renforcée sont nombreux : ils concernent la santé, la culture, le sport ou l'entrepreneuriat. Les États africains sont des terres d'optimisme et de volontarisme qui font actuellement face à une situation sans précédent compte tenu du nombre de défis – d'ordre climatique, démographique, sanitaire, éducatif, économique et sécuritaire – qu'ils ont à relever simultanément. Ce sont d'ailleurs autant de défis qui se présentent également à la France.
Pour agir dans cette direction, nous disposons de leviers et d'atouts que nous devons savoir mettre en avant : la langue française, que nous partageons avec l'Afrique francophone ; le million de Français de La Réunion et de Mayotte, qui vivent en Afrique et dont nous voulons renforcer l'intégration régionale ; et nos diasporas, aussi bien les Français vivant en Afrique que les Africains vivant en France. Le groupe Horizons et apparentés estime que nous pouvons développer une stratégie reposant sur trois piliers : la lutte contre le changement climatique, la jeunesse et la démocratie.
S'agissant du changement climatique, d'abord, le continent africain peut devenir un acteur majeur de la réduction des émissions de carbone. Il n'est finalement responsable que de 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les États africains pourraient se développer rapidement sans répéter les erreurs d'un siècle de développement occidental fondé sur les énergies fossiles. Le One Forest Summit, organisé au Gabon les 1er et 2 mars 2023 à l'initiative des présidents gabonais et français, a été l'occasion de rappeler l'importance des forêts tropicales africaines, qui sont des puits de carbone à préserver. L'enjeu climatique est d'autant plus pressant sur un continent confronté davantage que d'autres aux contraintes du changement climatique ; c'est un enjeu de taille au vu d'événements météorologiques extrêmes, qui peuvent aggraver l'insécurité alimentaire, les déplacements de population et les conflits.
Du fait de son dynamisme démographique, le continent africain est le plus jeune du monde ; par conséquent, l'accompagnement de la jeunesse y est un enjeu majeur. La France souhaite continuer à s'impliquer aux côtés des États demandeurs, que ce soit dans la construction d'établissements scolaires, dans la diversification des offres de formations professionnelles ou dans les échanges scolaires et l'orientation. À ce titre, je rappelle que les universités françaises ont plaisir à accueillir un nombre toujours croissant d'étudiants africains : ils étaient 150 000 en 2021, soit 40 % de plus qu'en 2017.
Enfin, face à la recrudescence des coups d'État depuis 2020, la France doit soutenir le plus possible l'intérêt pour la démocratie. Plutôt que d'imposer et de proclamer ses valeurs, elle a la possibilité de soutenir des réseaux d'intellectuels et d'acteurs civils pour qu'ils fassent vivre la démocratie au niveau local. Au lendemain du sommet Afrique-France qui s'est tenu à Montpellier en 2021, réunissant des acteurs des sociétés civiles française et africaine, la Fondation de l'innovation pour la démocratie a été lancée à Johannesburg.
Par notre proximité, notre histoire commune et notre amitié, nous entretenons un lien unique avec les États africains. Ce lien doit inspirer la relation que nous voulons développer avec eux, notamment à travers des partenariats renouvelés, réciproques et équilibrés, respectant les intérêts de chacun. C'est une autre voie que nous devons emprunter, une voie ne réduisant pas l'Afrique à un terrain de compétition ou de rente, mais considérant les pays qui la composent comme des partenaires, avec lesquels nous partageons des intérêts et des responsabilités. C'est ainsi que nous nous unirons autour de cette envie d'Afrique.
Ainsi, dans le domaine économique et financier, la France a entamé en 2019, avec ses partenaires, la réforme du franc CFA : elle a mis fin à l'obligation de centralisation des réserves de change de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) sur un compte d'opérations ouvert auprès du Trésor français, et s'est retirée des instances de gouvernance de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa).
Dans le domaine de la santé, la France a soutenu l'excellence scientifique africaine, représentée par le centre de crise africain, par l'institut Pasteur de Dakar et par l'Institut national de recherche biomédicale du professeur Jean-Jacques Muyembe. Elle participe, avec la communauté internationale, au développement de centres de production de vaccins sur le continent africain.
Dans le domaine de la culture, la France a lancé, en octobre 2023, un premier forum des industries culturelles et créatives africaines, dont l'objectif est de connecter le regard des Français à la création contemporaine africaine dans toutes ses composantes. L'Institut français, l'Alliance française et les réseaux de coopération accueillent et promeuvent les œuvres des artistes africains. Enfin, dans la lignée de plusieurs textes adoptés sous la précédente législature, une loi-cadre relative à la restitution d'œuvres d'art aux pays africains qui le demandent sera présentée prochainement.
Cette déclaration du Gouvernement relative aux partenariats renouvelés entre la France et les pays africains n'est pas un hasard : les parlementaires que nous sommes avons un rôle à jouer dans cette nouvelle relation avec les pays africains. Au-delà des groupes d'amitié auxquels nous sommes nombreux à participer, la création d'un groupe de travail consacré à l'Afrique, sous l'égide des commissions de la défense et des affaires étrangères, ainsi que les réceptions de délégations africaines, font partie de la diplomatie parlementaire, très grandement appréciée par nos partenaires ; ces initiatives nous apprennent mutuellement beaucoup.
Enfin, ces défis communs ne se limitent pas aux relations franco-africaines : ils concernent l'ensemble des pays européens. Que ce soit par des accords politiques ou par une révision de la logique d'aide au développement, telle qu'annoncée par le Président de République, nous devons, plutôt que d'agir seuls, nous appuyer les uns sur les autres afin de renouveler nos partenariats. C'est fort de ce dialogue démocratique et européen que nous pourrons – j'en suis convaincue – saisir au mieux les occasions de transformer efficacement nos partenariats et notre compréhension mutuelle avec les pays du continent africain. Alors seulement nous pourrons marcher ensemble vers un horizon commun.
Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, RE et Dem. – M. le président de la commission des affaires étrangères et M. Karim Ben Cheikh applaudissent également.
Je me réjouis que nous débattions aujourd'hui de la refonte des relations franco-africaines, ou, plus précisément, du renouvellement des partenariats passés par la France avec les pays africains, comme l'indique le titre du débat – évoquer la relation entre notre pays et un continent qui représente 20 % de la surface terrestre et de la population mondiale n'aurait évidemment pas de sens.
J'en profite pour saluer les membres de la délégation mauritanienne, que j'ai le plaisir d'accueillir cette semaine dans le cadre du groupe d'amitié qui lie les députés de nos deux pays : ils nous font l'honneur d'assister à ce débat.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – M. le président de la commission des affaires étrangères et Mme Sophie Errante applaudissent également.
Je salue également mon collègue du groupe Écologiste, Karim Ben Cheikh, député des Français d'Afrique de l'Ouest et du Nord.
Cette précision et ces salutations faites, je veux souligner qu'il était temps qu'un tel débat ait lieu au Parlement et que les représentants de la nation se saisissent pleinement du sujet.
Notre politique extérieure, pré carré élyséen – comme l'Afrique francophone le fut autrefois pour la France –, ne peut plus s'exprimer à travers la seule voix du Président de la République et de ses ministres. C'est d'autant plus vrai qu'au fil des discrédits et des impairs, cette voix a grandement perdu de sa crédibilité sur la scène internationale ; de ce fait, elle représente en Afrique le visage d'une France sans boussole. Il est donc grand temps d'en finir avec ces vieilles lunes. À cet égard, ce débat représente un progrès, même si je regrette qu'il ne soit pas suivi d'un vote.
Le continent africain, dont la population devrait atteindre 2,5 milliards d'habitants d'ici à 2050, se trouve au cœur de défis mondiaux. Il est le berceau mais aussi l'avenir de l'humanité. Nous ne pourrons faire face aux enjeux économiques, environnementaux et sécuritaires qui lient nos pays et nos populations qu'à travers une approche véritablement collaborative et partenariale, c'est-à-dire, en premier lieu, respectueuse de la souveraineté et de l'autonomie des nations africaines.
La France, du fait de sa longue présence coloniale et à travers ses multiples interventions – qu'elles soient militaires ou économiques –, est encore trop souvent perçue comme une force extérieure, agissant exclusivement dans son intérêt, plutôt que comme un partenaire véritable. Une telle perception nourrit les procès instruits, à tort ou à raison, contre une supposée Françafrique – ainsi que l'aurait ironiquement qualifiée l'ancien ministre français et président ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Cette période est certes clairement révolue, mais ses relents toxiques, qui n'ont pas totalement disparu, n'en finissent plus d'empoisonner nos relations.
La politique africaine de la France – pour reprendre une expression aussi malheureuse que datée – a été, sous la présidence d'Emmanuel Macron, marquée par une dissonance entre les paroles et les actes. Elle s'est heurtée aux écueils du « en même temps » cher au Président de la République, qui se prête si mal à la géopolitique et aux relations internationales.
Six ans après le discours de Ouagadougou, dressons le bilan. En affichant, d'une part, un soutien de façade à la jeunesse et aux diasporas engagées et en apportant, d'autre part, un soutien bien plus concret aux pouvoirs amis, cette logique a créé une politique du deux poids, deux mesures. Les visites aux autocrates et la faiblesse de nos réponses diplomatiques aux crises qui traversent le continent ont terni l'image de la France et affaibli sa voix.
Pour ne citer que quelques exemples, le soutien à Ali Bongo – puis à la révolution de palais qui l'a renversé – au Gabon et à Mahamat Idriss Déby au Tchad, ou encore le silence face à la répression massive menée par Macky Sall au Sénégal, ont laissé un goût amer.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Cette politique africaine est aussi, plus globalement, aveugle aux réalités de demain : celles d'un réchauffement climatique qui va inévitablement bouleverser la manière dont les hommes habitent le monde. La destruction des écosystèmes et les déracinements forcés mettront notre humanité à rude épreuve. Ce que nous voyons quotidiennement en Méditerranée n'en constitue malheureusement que les prémices.
C'est pourquoi le tournant pris par notre politique migratoire, axée sur la restriction des visas et sur les expulsions, mais aussi le débat public nauséabond qui l'entoure, ont des répercussions profondes et délétères, y compris à l'extérieur du pays.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Ils nourrissent au sein des populations africaines, autrefois francophiles et toujours francophones, un sentiment d'humiliation et de rejet conduisant à notre effacement du continent et au renforcement de nouveaux impérialismes, notamment russe et chinois. Il est temps d'en finir avec cette forme de xénophobie d'État, que traduit encore le nouveau projet de loi sur l'immigration.
Toutefois, je le concède, il serait injuste de faire porter la responsabilité de nos errements en Afrique au seul président Macron. Ancienne puissance colonisatrice, relativement passive face aux transformations du continent africain, la France a de nouveau apporté son lot de malheurs à l'occasion de la désastreuse intervention de 2011 en Libye.
La chute de Kadhafi – que chacun ici reconnaît comme un dictateur – a entraîné un afflux de combattants touaregs au Mali et exacerbé ainsi les tensions et les conflits. Cette période a marqué le début d'une remilitarisation de notre action au Sahel, débouchant sur l'opération Serval, nécessaire pour endiguer la poussée du terrorisme, puis sur la bien plus discutable opération Barkhane – vous avez la réponse des écologistes à votre question, monsieur le ministre !
Au paternalisme du discours de Dakar, dans lequel il déclarait que l'homme africain n'était pas « assez entré dans l'histoire », Nicolas Sarkozy ajouta les germes destructeurs du néoconservatisme, rompant avec la tradition non interventionniste encore incarnée par Dominique de Villepin en 2003.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Ce néoconservatisme, qui consiste à faire passer les intérêts de l'Occident avant le droit international, rejaillit aujourd'hui avec le soutien inconditionnel aux massacres d'Israël en Palestine, nous entraînant droit dans une logique mortifère de guerre des civilisations.
Cette même idéologie a conduit au désastre en Afrique de l'Ouest. Le Sahel, confronté au fléau de l'extrême pauvreté, a dû faire face aussi à celui du terrorisme. Or, pour l'éradiquer, nous avons calqué l'effroyable grille de lecture de la droite américaine et les schémas importés de la croisade des États-Unis au Moyen-Orient, parfaitement inadaptés au maintien de la sécurité dans la région.
À systématiquement chercher à rattacher les djihadistes du Mali ou des pays voisins à des organisations comme Al-Qaïda ou l'État islamique, nous avons sous-estimé les dynamiques locales et sociales qui conduisaient à la constitution de ces groupes. Cela nous a amenés à refuser tout dialogue avec eux et à privilégier une approche ultramilitarisée faisant fi des enjeux de développement et laissant de côté les dimensions économique et politique, pourtant indispensables au dénouement de ces crises. Les années passant, les objectifs de nos armées devenaient de moins en moins clairs tandis que le ressentiment des populations à notre égard grandissait, nous désignant comme des cibles de plus en plus indiquées pour des gouvernants qui n'arrivaient plus à convaincre de la justification de notre présence et que nous n'entendions pas quand ils disaient que nous étions stratégiquement dans l'impasse.
La suite, nous la connaissons. Le 18 août 2020, des putschistes chassent le président Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, de Bamako, avant d'être imités, le 30 septembre 2022, au Burkina Faso. Leur première décision sera de congédier nos armées auxquelles ils préféreront les terribles milices de Wagner. Car ces nouveaux gouvernants, aidés notamment par la Russie de Vladimir Poutine, nourrissent encore plus le rejet de l'État français. Incapables d'apprendre de nos erreurs, nous avons failli répéter ce scénario au Niger, où l'intervention de la France a dû être empêchée par le président Bazoum lui-même.
Peut-être est-il temps de reconnaître les limites de notre approche expansionniste. La stratégie du ministère des armées, telle qu'elle est présentée aujourd'hui, semble obéir à une logique moins verticale et plus intégrée, en lien avec les organisations locales de la région. Je renvoie à l'exemple mauritanien, le G5 Sahel perdurant grâce à ce pays.
Nous devons repenser notre présence en Afrique dans une perspective radicalement élargie, du point de vue de son champ comme de sa logique, en intégrant un véritable soutien à l'expression démocratique ainsi qu'à la défense de l'environnement et des droits humains. En somme, nous devons tenir les promesses de Ouagadougou, car leurs intentions étaient louables. Certaines d'entre elles ont d'ailleurs été tenues partiellement, à l'image de l'augmentation de l'aide publique au développement, même si une partie de la programmation a été détricotée cet été par un comité de hauts fonctionnaires. Nous devons évaluer l'aide publique au développement telle qu'elle est prévue par la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales – c'est d'ailleurs ce que propose le président Bourlanges.
Au Sahel, nous payons aussi les conséquences du démantèlement de notre outil diplomatique pendant trois décennies. Vous dites, madame la ministre, que vous souhaitez le réarmer durablement. J'en prends acte mais, en la matière, nous ne pouvons pas nous contenter des promesses présidentielles : une loi de programmation est nécessaire.
Mme Nathalie Oziol applaudit.
La question fondamentale, en réalité, est celle de la crédibilité et de la confiance. Les erreurs accumulées sous la présidence d'Emmanuel Macron ont érodé la confiance de nos partenaires africains. Les décisions contradictoires et les engagements non honorés ont dessiné l'image d'un pays incapable de respecter sa parole.
Face à ce constat, il est impératif de renforcer d'autres modes d'action, tels que la diplomatie parlementaire et la coopération décentralisée – ma collègue socialiste l'a souligné. Ces échanges peuvent en effet constituer des catalyseurs puissants dans le renouvellement du lien entre les communautés politiques. Ainsi, les diasporas africaines doivent être intégrées en tant qu'acteurs clés de ce renouveau. Faisons du Parlement une passerelle entre les peuples, un lieu où les aspirations démocratiques, les projets de développement et les échanges culturels trouvent un écho et un soutien.
Si je salue l'ouverture d'un cycle d'auditions sur l'Afrique dans notre assemblée, je regrette que l'instance choisie pour l'organiser soit la commission de la défense nationale et des forces armées plutôt que la commission des affaires étrangères – dont je suis membre : celle-ci a également son mot à dire.
J'aimerais que le Parlement devienne un lieu dans lequel le point de vue de l'Afrique est entendu et respecté car ce sont les multiples voix qui s'entremêlent et s'enrichissent mutuellement qui constituent le socle d'une refondation véritable et profonde.
La langue représente évidemment un des liens les plus forts et anciens entre la France et toute une partie de l'Afrique. Son apprentissage a été imposé par l'esclavage et perpétué par la colonisation, mais le français est aussi la langue des auteurs, des poètes, d'une certaine forme de résistance, un « butin de guerre » comme l'a dit Kateb Yacine au moment de l'indépendance de l'Algérie. Le français est un beau symbole de notre histoire, dans toute sa complexité. C'est une langue de création, mais aussi une langue profondément politique. Je crois ainsi fermement en l'avenir de la francophonie comme vecteur de liberté et d'entraide, à condition qu'elle ne redevienne jamais un vecteur de domination culturelle.
Dans le cadre du renouveau de la francophonie, les questions d'adaptation au changement climatique et de déploiement de nouvelles solidarités devront être prioritaires. Nous devons concevoir des projets qui répondent aux besoins spécifiques des pays africains tout en contribuant à la préservation des biens communs à l'échelle globale. Une université francophone de la mer pourrait par exemple être créée à Nouakchott. Ces coopérations devront par ailleurs se traduire par des actions concrètes permettant d'instaurer une véritable collaboration dans la gestion des crises humanitaires et environnementales, loin de tout jeu politicien. Le terrible séisme qui a frappé récemment le Maroc nous en a rappelé la nécessité avec une douloureuse acuité.
Pour conclure, je souhaite m'adresser directement aux jeunesses africaine et française, qui, bien souvent, sont les mêmes. Vous êtes les architectes d'un avenir commun, qui, malgré de terribles défis, regorge d'espérances. Vous avez le devoir de tracer un chemin inédit d'adaptation et d'entraide pour répondre aux urgences de notre époque avec audace et créativité. Il est temps d'insuffler un nouvel élan démocratique assez puissant pour balayer définitivement les relents nauséabonds d'une Françafrique unanimement rejetée. Engagez-vous, apportez votre pierre à l'édifice d'une société plus juste, plus verte et plus humaniste ! Ensemble, nous pouvons écrire une nouvelle page de notre histoire commune à condition, comme l'écrivait Léopold Sédar Senghor, que nous sachions répondre « présents à la renaissance du monde ». Je suis convaincu que nous pouvons y parvenir.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES et LFI – NUPES.
Pour les députés communistes et ultramarins du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, intervenir sur les relations entre la France et les États d'Afrique est un exercice sans cesse répété. Les partenariats que vous appelez de vos vœux ne seront jamais renouvelés tant que vous n'aurez pas changé radicalement de logiciel. Car, faut-il vous le rappeler, les États d'Afrique sont formellement indépendants et différents. Nombre d'entre eux recherchent une seconde indépendance dans leur souveraineté politique, économique et financière. Prenez la mesure de cette revendication populaire sur le continent et daignez enfin comprendre à quel point elle vous oblige, en tant qu'ancien État colonisateur, en tant que pays occidental développé et en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.
Si, en septembre dernier, le président Macron a décidé d'organiser un débat au Parlement sur le sujet et si vous répétez encore et toujours le même catéchisme franco-français devant nous, c'est que vous êtes sourds et aveugles aux appels des peuples d'Afrique. Il vous faut décoloniser vos imaginaires et vos discours !
Nous, députés communistes et ultramarins, entretenons des liens de fraternité avec des partenaires et des amis d'une multitude d'États africains, que nous écoutons et grâce auxquels nous enrichissons nos réflexions et nos propositions d'action.
Ils nous disent, premièrement, que le franc CFA est mortifère, deuxièmement, que l'aide publique au développement doit être réorientée vers le renforcement des pouvoirs régaliens des États, troisièmement, que l'analyse française des problèmes africains, envisagés uniquement sous les angles sécuritaire et militaire, est une impasse stratégique et politique, quatrièmement, que le respect à géométrie variable du droit international détruit notre crédibilité et qu'il est temps d'en finir.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES. – M. Aurélien Taché applaudit également.
L'échec majeur de la France postcoloniale, c'est le franc CFA – le franc Pacifique également, mais c'est un autre sujet –, un instrument qui n'a plus aucune légitimité, relique d'un temps révolu aux yeux des peuples africains. Rendez l'indépendance monétaire à ces États et vous verrez rapidement leur situation évoluer. Ce n'est pas la perfide transformation du franc CFA en éco, proposée par Emmanuel Macron, qui y changera quoi que ce soit, puisqu'elle ne règle rien.
Toute l'économie des États utilisant le franc CFA est aspirée vers la zone euro et entrave le commerce entre les membres de la zone franc CFA. Cette monnaie est donc un instrument utilisé par les entreprises transnationales dans le cadre de fraudes fiscales et pour perpétuer les intérêts d'une petite élite déconnectée des réalités locales. Entre autres chantiers, nous devrions d'ailleurs nous atteler, en coopération avec les États africains, à la lutte contre l'évasion et l'érosion fiscales.
S'agissant de la politique monétaire internationale, la France doit peser de tout son poids pour accélérer la réforme des droits de tirages spéciaux du Fonds monétaire international (FMI). Ce panier de devises doit être mis au service d'un ordre international économique plus juste. Ce serait un premier pas.
Le deuxième pas consisterait à changer votre vision de l'aide publique au développement. Commencez par remiser aux oubliettes la conditionnalité de l'APD au respect de votre politique migratoire, car le vrai problème n'est pas là. Il est qu'au sein des États utilisant le franc CFA, le taux de pression fiscale, c'est-à-dire le poids des impôts dans la richesse nationale, est deux fois plus faible que la moyenne des États de l'OCDE – l'Organisation de coopération et de développement économiques – alors que les besoins y sont immenses. Les États souffrent de trop faibles rentrées fiscales en plus d'avoir été saignés par trois décennies d'application méticuleuse de la doxa néolibérale.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – Mme Anna Pic applaudit également.
Une aide publique au développement efficace devrait servir à renforcer la construction des États et favoriser l'établissement d'administrations fiscales performantes leur permettant de faire leurs propres choix budgétaires et d'utiliser leurs ressources pour les services publics – l'éducation, la santé, la sécurité, les infrastructures routières et énergétiques. Dans cette perspective, les députés du groupe GDR proposent de dédier 10 % du total de l'aide publique au développement française au renforcement des capacités des États et de leurs services fiscaux. Le développement qui résulterait d'une telle mesure émanerait des forces vives du pays au lieu d'être maintenu plus ou moins artificiellement depuis l'extérieur. Notre logique consiste à apprendre aux gens à pêcher plutôt qu'à leur donner du poisson.
Vous pourriez faire un troisième pas en modifiant en profondeur votre politique sécuritaire et commerciale vis-à-vis du continent. L'intervention du Rwanda au Mozambique, à la demande de la France, pour pacifier une région où travaille Total, démontre la vision militariste de notre action sur le continent africain et l'usage utilitariste de l'aide publique au développement. La réaction d'Emmanuel Macron à la suite du coup d'État au Niger cet été, ainsi que la menace d'une guerre menée par la Cedeao, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, encouragée par Paris, relèvent du même réflexe mortifère, en l'occurrence de la crainte de perdre l'accès à l'uranium nigérien, que nous achetons à bas prix.
Les députés du groupe GDR le disent depuis longtemps : il faut engager une révision complète des traités de coopération militaire, ainsi que le retrait des bases militaires dans tous les États du continent. Car on ne combat pas le terrorisme uniquement par les armes, mais aussi par la politique. Partout où ils se trouvent, les entrepreneurs de violence, dont les djihadistes, se comportent comme des mafias : ils créent l'insécurité pour se présenter en protecteurs des populations en profitant du vide des politiques publiques et de la faiblesse des États – une faiblesse que la France a encouragée en subordonnant son aide et sa coopération à la signature d'accords avec la Banque mondiale, avec le Fonds monétaire international et avec le Club de Paris, de tels accords ayant pour but de supprimer des services publics pour rembourser les dettes.
Nous soldons aujourd'hui les comptes de ces errements. Et lorsqu'il y a un coup d'État comme au Mali ou au Niger, dont les instigateurs prétendent reprendre en main la situation sécuritaire, si la France a pour seule réponse des sanctions qui étouffent le peuple sans gêner les nouveaux dirigeants, il est évident que cela n'améliore pas l'image de notre pays. Nous ne soutenons évidemment pas les putschistes, mais nous dénonçons ce réflexe des sanctions, catastrophique pour l'image de la France.
Le quatrième pas qu'il vous faudra faire pour recréer la confiance entre la France et les États d'Afrique consiste bien évidemment à en finir avec votre politique du deux poids, deux mesures en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. À ce titre, les parlementaires communistes et ultramarins défendent l'idée qu'il faut régler, par le droit international, toutes les crises actuelles et cesser de tergiverser. La crise au Sahara occidental est une épine dans le pied de la France et dans celui du Maroc. Pourtant, le droit dicte déjà ce qu'il faut faire :…
…un référendum d'autodétermination, comme en ont bénéficié l'ensemble des États de l'Afrique francophone.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR – NUPES.
La présence française à Mayotte, issue d'un référendum d'autodétermination déclaré nul et non avenu par les Nations unies, doit être rediscutée pour montrer notre bonne volonté. La situation actuelle n'est pas tenable : il faut construire un avenir commun entre Mayotte et l'archipel.
Ainsi, le fait que la France ne critique pas le troisième mandat illégal du président ivoirien Ouattara, mais condamne le troisième mandat illégal du président guinéen Condé, démontre l'arbitraire de notre diplomatie. Que le président Macron se rende en personne au Tchad, en 2021, pour adouber le fils du président Déby après la mort de son père, au mépris de la constitution tchadienne, n'est pas digne de la France non plus.
Les relations à géométrie variable de la France avec certains dirigeants des pays d'Afrique constituent l'une des raisons principales du rejet de notre pays en Afrique et ailleurs. Mais qu'on ne s'y trompe pas : il ne s'agit pas que de la France ; l'Afrique est l'une des zones de fracture entre le monde occidental et de nombreux autres États. Le dossier israélo-palestinien est aussi un sujet qui concerne l'Afrique. Les violations quotidiennes du droit international par Israël, qui ne sont pas condamnées, sont du pain béni pour les États qui veulent s'attaquer à l'image des pays occidentaux.
Refonder les relations entre la France et les États africains exigera d'écouter leurs besoins, mais aussi d'entendre les jeunesses, qui veulent la liberté et la souveraineté, et surtout pouvoir se former, se soigner, vivre et grandir dans des espaces pacifiés, travailler et se développer dignement.
Si vous faites ces quatre premiers pas et que vous comprenez que c'est aux États africains de prendre leurs propres décisions, vous agirez enfin dans le sens de la paix et d'un partenariat renouvelé entre la France et les États d'Afrique. Changer la politique de la France vis-à-vis de ces États est la seule voie pour lui permettre de retrouver sa crédibilité sur la scène internationale. Notre pays fera ainsi entendre une voix différente, une voix originale, utile et écoutée avec intérêt par les peuples du monde.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES et Écolo – NUPES, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
L'Afrique est un continent capital pour notre pays, humainement, historiquement, stratégiquement, économiquement, culturellement et intimement. Nos relations avec l'Afrique sont profondes, riches et complexes, parfois conflictuelles et douloureuses, mais toujours interdépendantes et intenses. Aussi, se pencher sur ce sujet n'est jamais superflu et le débat qui se tient aujourd'hui est nécessaire. Je veux saluer, à cet égard, la qualité du rapport d'information de nos collègues Tabarot et Fuchs sur la politique française en Afrique, un rapport qui fera date grâce à la vivacité de ses analyses et à la sincérité de son examen de notre politique en Afrique.
Impossible de ne pas commencer par l'actualité, c'est-à-dire par la succession de coups d'État au Sahel depuis trois ans et par la fin de l'opération Barkhane, considérés comme des échecs stratégiques français. Le recul brutal de notre pays dans la région en est la sanction. Nous devons au sacrifice de nos cinquante-huit militaires décédés au Sahel la gratitude de la nation, mais aussi un questionnement rigoureux de la politique qui a mené à cet échec caractérisé par l'avancée territoriale des djihadistes, la montée du sentiment antifrançais et la fin de nos accords militaires.
Pour rappel, les forces françaises étaient engagées au Sahel de 2013 à 2022, neuf années pendant lesquelles les experts n'ont cessé de répéter que pour favoriser le retour à une stabilité durable dans la région, la France devait non seulement consentir un effort militaire, mais aussi, et surtout, un effort en faveur d'un dialogue politique élargi, de la lutte contre la corruption et de la reconstruction économique au bénéfice de tous. La France était ainsi appelée à traiter ses partenaires sahéliens d'égal à égal pour éviter d'alimenter la rancœur du passif colonial ; elle était appelée à construire une coalition large pour éviter un tête-à-tête malsain. La lutte contre le terrorisme n'est pas uniquement militaire : l'enfer est pavé de bonnes intentions. Voilà des évidences que notre pays a oubliées et qu'il a payées cher au Sahel.
Il ne s'agit pas ici de refaire le film, mais bien d'en tirer des leçons indispensables. Le recul de notre influence en Afrique de l'Ouest souligne les difficultés de notre diplomatie à sortir de l'habitude de relations privilégiées avec des dirigeants contestés et contestables. Notre diplomatie a également peiné à comprendre que la montée en puissance de nouveaux partenaires mettait fin à la rente postcoloniale et exigeait de rendre nos offres commerciales plus compétitives.
L'Afrique avance et se transforme rapidement, l'environnement stratégique évolue, mais notre pays semble englué dans un passé idéalisé, dans sa superbe perdue, ressassant ses échecs tout en refusant toute adaptation. C'est à se demander qui n'est pas rentré dans l'histoire…
Pour la députée de Mayotte que je suis, représentant ici le département français le plus proche géographiquement de l'Afrique, la politique africaine de la France n'est pas une abstraction. Nos voisins immédiats sont, je le rappelle, les Comores, Madagascar, la Tanzanie, le Mozambique et le Kenya. Notre relation avec les Comores est, je dois le dire, un concentré des errements du Quai d'Orsay : le président Azali Assoumani, du genre putschiste, tire à l'occasion sur sa population et emprisonne ses opposants ; il a pourtant été reçu avec le tapis rouge à l'Élysée et invité au Forum de Paris sur la paix ; il préside en outre l'Union africaine grâce aux bons offices de notre diplomatie.
Notre voisin comorien est un champion avéré de la corruption. Sa gouvernance est si grave que les institutions les mieux intentionnées n'arrivent pas à fermer les yeux. C'est sans compter la générosité aveugle de l'Agence française de développement, qui s'obstine – notez qu'elle opère à l'étranger, mais aussi en outre-mer, ce qui en dit long sur la vision des ultramarins par l'administration…
Les Comores, ce prétendu partenaire, revendiquent Mayotte depuis 1974 et instrumentalisent les flux migratoires pour asseoir leur projet de colonie de peuplement sur notre île. Le Quai d'Orsay a choisi de mener avec Moroni une politique d'accommodement coupable qui ne marche pas. Churchill disait qu'un conciliateur est quelqu'un qui nourrit un crocodile en espérant qu'il sera le dernier à être mangé. Les Comores font monter les enchères en nouant des liens avec Moscou, Pékin et New Delhi ; Paris cède et Mayotte s'enfonce.
Votre politique, madame la ministre, doit changer radicalement parce qu'elle est visiblement en échec. Depuis le début de mon mandat, je vous alerte sur son inefficacité et vous me répondez que votre ministère travaille pour Mayotte… Regardons donc ce qu'il en est et reprenons votre argumentaire.
Tout d'abord, l'accord de 2019 avec les Comores, dont vous expliquez qu'il permet de faire baisser la pression migratoire et d'augmenter les reconduites à la frontière : selon les chiffres de la préfecture de Mayotte, il y a eu 27 831 reconduites à la frontière en 2019, 13 301 en 2020 – à cause du covid –, 23 724 en 2021 et 25 389 l'an dernier ; il y a donc moins de reconduites à la frontière depuis la signature de l'accord de Moroni !
On peut considérer que votre politique du chiffre n'a fait qu'avaliser le projet de libre circulation cher à vos diplomates et combattu résolument par les Mahorais : les kwassa comoriens entrent à Mayotte comme dans un moulin et le billet retour est payé par les contribuables. C'est un formidable jeu de dupes qui valide le chantage migratoire alors que la population comorienne augmente à Mayotte. Malgré la signature de l'accord de Moroni, le trafic humain et le marché des kwassa prospèrent avec l'aval des Comores, qui s'en sont même vantées en dénonçant l'opération Wuambushu. Les chiffres et les faits sont têtus, madame la ministre. La politique de votre ministère ne produit aucun résultat à Mayotte.
Le deuxième axe de votre défense est la reconnaissance d'une Mayotte française sur la scène internationale. Bizarrement, sur ce point, vous êtes d'accord avec monsieur Lecoq.
Vous vous félicitez qu'aucune résolution n'ait été votée à l'ONU contre la France, mais vous saluez en réalité une situation d'inertie, l'ONU ne reconnaissant toujours pas le territoire français de Mayotte ni le choix de ses habitants. Pis, les autorités russes mentionnent de plus en plus le cas de Mayotte pour affaiblir l'image de la France. Là encore, les faits sont têtus : la politique de votre ministère ne produit aucun résultat diplomatique.
Enfin, s'agissant de l'intégration régionale de Mayotte, sur laquelle vous dites que le Quai d'Orsay travaille depuis trente ans et dont Mayotte est exclue du fait de l'opposition des Comores, je vous rappelle que notre île ne fait toujours pas partie des institutions de son voisinage et ne participe à aucun projet de la Commission de l'océan Indien (COI), dont la France est pourtant membre au titre de La Réunion et dont elle est le principal bailleur de fonds. Il n'y a même pas eu une mention de Mayotte pendant la présidence française de la Commission en 2021. Nos athlètes sont toujours interdits de Marseillaise et de drapeaux tricolores lors des manifestations sportives et l'accueil des Jeux de l'océan Indien dans notre île est pour vous un casse-tête diplomatique.
Là encore, les faits sont têtus, madame Colonna : la politique comorienne du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ne produit aucun résultat pour Mayotte. Elle est même un bel exemple de ce qui ne va pas. Depuis l'accord de 2019, la France a versé 150 millions d'euros d'aide aux Comores alors que Mayotte subit une déstabilisation totale de son territoire, organisée par l'immigration comorienne : saturation des services publics, dislocation de l'équilibre social et politique, affaiblissement de l'autorité publique et recul de notre souveraineté. C'est un cas d'espèce de ce que l'Union européenne et l'Otan qualifient de « menace hybride » par instrumentalisation des flux migratoires. Dois-je rappeler que la France est membre de l'Union européenne et de l'Otan ?
Étonnamment, lors des auditions que j'ai menées au nom de la commission des affaires étrangères au sujet du pacte européen sur la migration et l'asile, nos diplomates à Bruxelles ont benoîtement reconnu que la question de la protection des frontières de Mayotte n'était pas soulevée par la France au niveau de l'Union. Madame la ministre, les faits sont là : votre ministère n'est pas mobilisé sur les enjeux migratoires à Mayotte.
Vous seriez pourtant bien inspirée de vous engager davantage pour ce département français, seule terre française habitée du canal du Mozambique, dont le gaz est plus stratégique que jamais pour l'Europe depuis la guerre en Ukraine. Mayotte est par ailleurs vulnérable face à la menace terroriste de Daech, nichée à 500 kilomètres de nos côtes, au Mozambique. Mayotte est aussi un sanctuaire tricolore au large de l'Afrique, un sanctuaire de plus en plus précieux au fur et à mesure que la présence militaire française s'étiole sur le continent. Mayotte et son lagon mériteraient d'être pivot dans la stratégie indopacifique de notre pays : notre île est en capacité d'accueillir un port militaire français en eaux profondes sans subir une cohabitation à la djiboutienne – ce que souligne la loi de programmation militaire. Notre position stratégique est unique. La France ne peut pas, et ne doit pas, s'en passer à cause du contentieux avec les Comores.
Si la guerre en Terre sainte doit nous apprendre quoi que ce soit, c'est que l'on n'enjambe pas les peuples, ni les conflits territoriaux, avec des accords aveugles. Le temps qui passe ne fait qu'envenimer la situation.
Vous devez régler ce conflit et défendre Mayotte ! Que la puissance de votre ministère, que la puissance de la France se mette enfin en branle pour protéger son intégrité territoriale. Pour nous, Mayotte n'est pas comorienne, mais française, et le Quai d'Orsay doit travailler activement à le faire reconnaître au niveau international. Il faut faire plier Moroni, cet État parasite qui ne survit qu'avec l'aide de notre pays. Utiliser les leviers financiers et politiques de la France contre Moroni n'est pas honteux : c'est votre devoir pour Mayotte, pour vos compatriotes.
Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT et Dem.
Notre perception des partenariats entre la France et l'Afrique ne doit pas être surdéterminée par l'agitation de putschistes du Sahel et d'influenceurs prorusses ou salafistes. Deux exemples me paraissent révélateurs.
Dans une de ces polémiques franco-françaises dont nous avons le secret, on nous affirmait, il y a quelques semaines, qu'à la suite du coup d'État au Niger, la France avait rompu tout lien de coopération culturelle avec les artistes du Sahel. Sur certains bancs de cet hémicycle, on faisait ressurgir le spectre de la morgue et du néocolonialisme français. Mais, évidemment, il n'en était rien. Les artistes maliens, nigériens ou burkinabés continuent de travailler avec leurs homologues en France ou dans nos réseaux culturels à travers toute l'Afrique.
Vendredi dernier, Sidiki Diabaté, le prince de la kora, a enflammé l'Arena de Paris-Bercy : les réseaux sociaux en ont relayé les images à Bamako, suscitant des milliers de témoignages de fierté devant la capacité de cet artiste malien à remplir une grande salle française.
Autre exemple concret : dans la commune VI de Bamako, l'espace culturel Urgol Café, une initiative privée de l'universitaire Tiefing Sissoko, met à profit les expertises scientifiques, universitaires et professionnelles de la diaspora malienne pour promouvoir l'autonomisation des jeunes, en confrontant les acteurs du monde économique et du monde de l'éducation. L'ambassade de France a aidé à nouer des liens avec France Alumni Mali, le réseau des anciens étudiants maliens en France, que suivent la délégation de l'Union européenne au Mali et l'agence de coopération suisse. Malgré la junte prorusse, c'est un témoignage remarquable des liens qui se tissent encore entre le Mali, la France et l'Europe.
Ainsi, c'est en partant de la réalité des liens franco-africains, de celle des besoins et des attentes de l'Afrique, que l'on peut construire une politique durable. Telle est bien la démarche que les ministres nous ont présentée et qu'il nous revient d'approfondir.
Depuis 2017, à l'initiative du Président de la République, la France a engagé un vaste aggiornamento de sa politique africaine afin de répondre aux attentes de partenariat gagnant-gagnant, nourrissant des liens durables et plus égalitaires. À rebours de certains discours caricaturaux, il faut rappeler que ces orientations, impulsées par le Président de la République, n'ont pas du tout été définies en vase clos. Au contraire, elles ont été débattues, approuvées et coconstruites publiquement, ici même, lorsque nous avons voté des textes permettant la montée en puissance et la réorientation de l'aide publique au développement, la réforme du franc CFA, ou encore le travail conjoint sur le patrimoine africain.
Les ministres viennent de présenter en détail les avancées considérables réalisées ces dernières années ainsi que les enjeux de réorientation de notre coopération militaire et sécuritaire, qui demeure essentielle, en particulier pour appuyer les pays du golfe de Guinée dans la lutte contre les groupes criminels organisés qui tirent profit de la traite des êtres humains, des trafics de stupéfiants ou de la cybercriminalité.
Dans ce domaine, comme ailleurs, on ne construit de partenariat qu'à partir d'un diagnostic des besoins de chacun des partenaires, ceux des Africains comme les nôtres, et on ne le fait qu'avec ceux qui veulent bien de nous. Cela nécessite d'abord de connaître nos partenaires et de dialoguer avec eux, en se gardant de toute appréciation à l'emporte-pièce et en évitant de monter en épingle les difficultés inévitables à des fins politiciennes. Rien n'est plus condescendant que les discours misérabilistes de l'extrême gauche de l'hémicycle qui cherchent à faire des Africains, malgré eux, la nouvelle avant-garde de l'insoumission mondiale : après tout, se disent-ils, pourquoi ne pas recommencer au Sénégal ce qui a si formidablement échoué au Venezuela ? Eh bien, mes chers collègues, le seul néocolonialisme qui s'exporte encore de France, c'est bien ce discours caricatural, pseudo-savant et volontiers conspirationniste ,…
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES
…complaisamment relayé sur les réseaux sociaux, qui croit trouver la cause de tous les maux de l'Afrique dans notre pays, ou dans l'Europe, et pourquoi pas dans le Président de la République !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Cette posture est non seulement dangereuse et funeste, mais aussi préjudiciable à nos partenaires africains eux-mêmes, qui veulent construire et non détruire.
Nous devons donc partir des besoins réels en Afrique, en considérant de façon lucide tant les possibilités considérables du continent que les risques qu'elles recèlent. Le problème de bon nombre de pays africains, c'est d'abord la pauvreté et un déficit énorme en infrastructures de base – routes, ponts, énergie –, pour lesquelles nous sommes encore très loin du compte. Comme me le confiait un ami très qualifié issu de la diaspora sénégalaise en France, dans sa ville d'origine, les jeunes, privés de toute perspective économique, partent en Mauritanie en pirogues, puis tentent l'aventure vers la Libye ou le Maroc à destination de l'Europe, ou vers le Nicaragua, à destination des États-Unis. Rien ne les arrêtera tant que l'activité économique ne leur permettra pas de sortir d'une paupérisation insidieuse et d'exercer leur droit à ne pas migrer – oui, j'y insiste : leur droit à ne pas migrer !
Cet enjeu saute aux yeux de quiconque traverse le boulevard du Centenaire à Dakar, le poumon commercial de la ville, où des commerçants chinois emploient des jeunes sans qualification ni diplôme : cela améliore un peu la vie de ces Africains et donne une bonne image de la Chine, mais il n'en résulte pas de vraies perspectives structurantes à long terme pour le Sénégal. Notre coopération économique doit être prioritairement orientée vers des projets concrets, visibles, qui créent de l'emploi sur place. Il faut organiser la transformation locale des produits, puis aider à les commercialiser sur le marché européen, dont l'accès reste compliqué pour les importations africaines, qui font l'objet de barrières à l'entrée. L'action de la France doit, dès l'origine, intégrer pleinement les logiques européennes et les instruments de soutien au développement propres à l'Union, car c'est une attente importante des Africains : le partenariat avec la France est, pour eux, un point d'entrée dans l'Europe.
J'ajoute que le fait qu'il n'existe plus aucune chasse gardée de la France en Afrique est bon pour nous comme pour les Africains. Cela oblige nos entrepreneurs à proposer des projets d'excellence. Lorsque nous savons nous montrer attentifs à l'autre et soucieux de construire des relations durables, le savoir-faire français est bien accueilli en Afrique, car nous avons la langue française et une histoire commune en partage. De Digital Africa à Choose Africa et bientôt Choose Africa 2,…
…la France a clairement fait, ces dernières années, le choix du soutien à l'entrepreneuriat africain, de plus en plus souvent en lien avec les projets issus des diasporas – c'est une bonne chose. Il faut désormais démultiplier cette approche avec des projets à taille humaine, relatifs aux biens de première nécessité : agriculture, équipement urbain, éducation, formation. Le Président de la République l'a clairement dit dans son discours du 27 février : toutes les forces de la société française – les entreprises comme les universités et les collectivités territoriales – doivent être embarquées dans une diplomatie partenariale. Cette mise en relation concrète de sociétés représente un apport majeur ; il y a quatre ans, à la demande du premier ministre de l'époque, Édouard Philippe, j'avais remis au Gouvernement un rapport sur la coopération décentralisée, c'est-à-dire sur les échanges entre territoires français et africains – réseaux professionnels, associations, société civile. Il y a là un terreau considérable que certains postes diplomatiques s'efforcent de mobiliser, mais qui reste souvent sous-utilisé. Il permet de dessiner une autre géographie de notre relation à l'Afrique, loin des idées reçues.
Relier les territoires et les pays africains est aussi une manière de mettre en avant une France diverse et pluraliste, qui dément la centralisation ou l'autoritarisme caricaturés par nos détracteurs. Ces liens démultipliés permettent de ne plus donner de prise à nos adversaires : nous parlons alors de nous tels que nous sommes, et non d'un fantasme. Nous donnons aussi accès à des guichets de solutions partout sur notre territoire pour outiller nos initiatives à destination de l'Afrique ou accueillir les meilleurs entrepreneurs et créateurs africains.
À cet égard, madame la ministre, il me paraîtrait utile de créer, au sein de la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international du Quai d'Orsay, une direction de l'internationalisation des territoires et des acteurs de la société civile, afin de sortir des seules logiques de la coopération traditionnelle ou des ONG et pour mettre l'intelligence de nos territoires, de nos diasporas et de notre jeunesse au service de la relation entre l'Afrique et la France.
Notre débat à l'Assemblée coïncide par exemple avec la nouvelle édition des appels à projets « Acteurs de l'énergie pour l'Afrique » concernant les énergies renouvelables et la formation professionnelle à la maintenance des équipements et à la gestion des ressources : lancés par la région Hauts-de-France, ils mobilisent des entreprises locales, des clusters de start-up et des opérateurs ; le potentiel de l'équipe France territoriale est ainsi mobilisé au service de partenariats permettant un saut qualitatif des pays africains en matière de développement durable. Dans une relation de pair à pair entre entreprises et entrepreneurs français et africains, les réseaux territoriaux peuvent recenser les besoins en main d'œuvre selon les spécialisations locales. Cela permettra d'accélérer le programme des jeunes professionnels (PJP) mis en œuvre par les antennes de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) en Afrique, qui offre à de jeunes travailleurs africains l'occasion, pendant un temps limité, de développer leur expertise en France. Nous pourrons ainsi favoriser les migrations circulaires afin que le passage par l'Europe assure la montée en compétences des professionnels africains, devienne un accélérateur de développement et change le regard sur les migrations.
Voici quelques exemples, parmi beaucoup d'autres, d'échanges gagnant-gagnant élaborés à partir de la réalité de nos besoins partagés, échanges qui naissent d'un dialogue avec l'autre. Sur le plan économique comme en matière culturelle, l'enjeu est de bâtir des communautés connectées qui se parlent et qui créent. Ce sont elles qui écriront notre futur commun, et on n'y décèle pas une once de discours caricatural antifrançais !
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. le président de commission des affaires étrangères applaudit également.
Le partenariat avec l'Afrique, ça n'intéresse pas beaucoup le groupe Renaissance !
En novembre 2017, à l'université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, le président Emmanuel Macron avait ouvert son discours en annonçant qu'« il n'y [avait] plus de politique africaine de la France ». Le 23 février 2023, à l'Élysée, à la veille d'un déplacement sur le continent, il confirmait : « Ces mots sont toujours d'actualité. » Eh bien, une fois n'est pas coutume, je dois reconnaître que le Président de la République a magistralement résumé la situation : il n'y a plus, en effet, de politique africaine de la France. Sous Emmanuel Macron, cette politique a disparu ; elle s'est envolée, volatilisée dans un magma d'erreurs, d'incohérences et de contradictions dont la sinistre mésaventure nigérienne de ces derniers mois aura été le point d'orgue.
Les premiers à en prendre bonne note – et comment pourrait-il en être autrement ? – sont les Africains eux-mêmes, qui ne peuvent que constater l'effacement de l'influence française sur le continent. Contrairement au Président de la République, je crois, pour ma part, que la disparition de sa politique africaine constitue un drame pour la France et une très mauvaise nouvelle pour l'Afrique. Comme je n'imagine pas que l'inscription de ce débat à l'ordre du jour par le Gouvernement vise à instruire le procès en incompétence du président Macron, ni que le terme de « partenariats renouvelés » reflète une quelconque volonté de mettre un terme à ce qui nous sert depuis six ans de politique étrangère, permettez-moi de me tourner vers l'avenir et, dans la suite de mon discours de N'Djamena de mars 2017, de vous exposer ce que devrait être – et ce que sera, si les Français le décident – la politique africaine de la France.
Avant cela, il nous faut cependant prendre acte du tsunami qui nous a frappés : du coup d'État malien d'août 2021 à celui de Libreville le 30 août dernier, en passant par la Guinée-Conakry, le Burkina Faso et le Niger, ce qui s'est passé en Afrique francophone s'apparente à un mouvement tectonique profond. Ce qui fut notre zone d'influence et de solidarité prioritaire a basculé dans une nouvelle ère, marquée en premier lieu par la défiance croissante de l'Afrique tout entière vis-à-vis d'un multilatéralisme pensé à Washington et à Bruxelles selon des conceptions mondialistes et uniformisantes. Malheureusement, la France a sous-estimé l'importance de ce nouveau contexte et la capacité effective de subversion de son dispositif par ses compétiteurs, comme elle a sous-estimé les attentes du continent africain à l'égard d'un monde multipolaire qui lui donne, plus que jamais, le loisir de choisir ses amis, ses partenaires et, si nécessaire, ses protecteurs.
La politique menée ces dernières années au Sahel en est peut-être la plus visible illustration. Malgré le professionnalisme et le courage de notre armée, à qui je rends ici un hommage appuyé ,
Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – M. Nicolas Dupont-Aignan applaudit également
Emmanuel Macron a surestimé notre capacité à changer la donne stratégique dans la région – et je ne parle pas de sa volonté d'externaliser une partie de notre diplomatie au profit de l'Union européenne, dont l'action dans cette région est, une fois de plus, un échec. Plus grave, cette stratégie va à l'encontre des intérêts de notre pays.
Malgré ce constat accablant, il n'y a pas – j'aime à le répéter – de fatalité : dans ce domaine aussi, d'autres choix politiques peuvent aboutir à d'autres résultats. Il y a en revanche une forme d'urgence car nos compétiteurs ne nous attendent pas et, comme il est compréhensible, les Africains se tournent vers les puissances qui paraissent le plus en mesure de leur apporter les soutiens dont ils ont besoin. Néanmoins, notre pays dispose sur le continent d'un capital d'histoire et de langue partagées, dont j'ai la conviction qu'il nous permet toujours de nous inscrire dans le temps long de l'Afrique et de ne pas désespérer. J'entends donc proposer ma vision d'une relation entre la France et l'Afrique, qui récuse les repentances infondées et les nostalgies d'antan.
Avec la même conviction, je récuse l'inscription de la relation franco-africaine dans un cadre multilatéral désincarné qui impose au continent des modèles politiques, économiques et même anthropologiques qui ne tiennent pas compte de son génie propre. Comme je l'ai dit à cette même tribune il y a tout juste un mois, que ce soit en Afrique ou dans d'autres régions du monde, la politique étrangère de la France doit s'enraciner dans la reconnaissance préalable de deux certitudes : l'existence des nations participe à la diversité du monde et donc à la richesse de l'humanité ; la considération des peuples et le respect des nations sont des principes essentiels à la paix et l'harmonie du monde.
Vous le savez, c'est cette réflexion sur les relations internationales, en particulier les relations entre la France et les pays africains, qui m'a amenée à rédiger une déclaration des droits des peuples et des nations, outil juridique qui pourrait venir demain compléter le droit international. Entre l'utopie d'une coopération aseptisée par la médiation d'un multilatéralisme anonyme et une Françafrique qui ne peut et ne doit plus exister, j'ai la conviction qu'il y a la place pour créer, entre nos pays, une relation adulte, basée sur la prise en compte des réalités et des intérêts légitimes, et dont les grands principes sont précisément contenus dans cette déclaration.
C'est aussi cette conviction qui m'a amenée à proposer, il y a plusieurs mois, lors de mon voyage au Sénégal, que l'Afrique puisse bénéficier d'un siège de membre permanent au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Je réaffirme ici, comme je l'avais fait devant feu le président Déby,…
…que « si je veux que l'Afrique soit la première des priorités internationales de la France, ce n'est ni par charité, ni par cupidité ; c'est, tout simplement, parce que notre intérêt commun rencontre notre amitié réciproque. La France doit avoir une politique africaine et, au sein de celle-ci, des priorités et des alliances privilégiées avec ses amis historiques. »
En raison de son histoire, de son savoir-faire technique, de ses moyens, mais aussi de sa langue – pour une large partie du continent africain, du moins –, la France peut accompagner positivement le processus de construction et de consolidation des États-nations africains, en se basant sur le respect dû à nos partenaires quant au choix souverain de leur politique et de leur modèle de développement.
Sur ce sujet, nous devons être clairs : la non-ingérence dans les affaires intérieures des États souverains doit être notre règle d'action. J'ai d'ailleurs souhaité consacrer solennellement ce principe dans l'article 3 de ma déclaration des droits des nations et des peuples, qui dispose que « [l]es États déterminent librement les éléments de leur statut politique et poursuivent leur développement selon leur volonté propre et sans ingérence extérieure ». À titre d'illustration, je considère que l'implication directe de l'armée française sur le terrain devrait – et devra – répondre à des objectifs politiques et stratégiques précis. Il conviendra de limiter dans le temps la présence des troupes, en assurant que celles-ci puissent disposer d'un horizon de retrait clairement défini.
J'entends aussi que cessent les incohérences diplomatiques, qui alimentent l'incompréhension des populations africaines à notre égard. La France ne peut pas accepter la situation institutionnelle créée au Tchad après la mort du président Idriss Déby et, dans le même temps, condamner le Mali d'Assimi Goïta, reconnaître la junte du colonel Damiba au Burkina Faso, envisager de faire la guerre au régime nigérien via la Cedeao et donner son feu vert au coup d'État mené au Gabon par le général Brice Clotaire Oligui Nguema.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – M. Nicolas Dupont-Aignan applaudit également.
Il arrive un moment où les subtilités théoriques se transforment en arguties rhétoriques, qui finissent en douloureuses contorsions et font le lit du sentiment qu'on fait deux poids, deux mesures. Je le dis sans ambages : si nous ne sommes plus compris de nos amis africains, dans les chancelleries comme dans la rue, c'est parce que nous ne sommes tout simplement pas compréhensibles, ce qui revient à dérouler un tapis rouge à toutes les interprétations et manipulations de nos concurrents.
Or, pour comprendre les enjeux et être compréhensibles pour nos partenaires – bref, pour mener une politique étrangère digne de ce nom –, nous avons besoin d'experts. Cela nécessite de renforcer la formation aux relations bilatérales des diplomates, des agents de renseignement et des militaires, et non de procéder à une absurde réforme du corps diplomatique. Je note d'ailleurs que la question des moyens humains est assez longuement évoquée dans le rapport de nos collègues Fuchs et Tabarot.
Aujourd'hui peut-être même plus qu'hier, les enjeux communs que j'évoquais à l'instant et les sujets sur lesquels les intérêts de la France et ceux des pays africains convergent ne manquent pas : démographie, énergie, environnement, sécurité, et ainsi de suite. Devant une telle liste, l'absence de politique africaine revendiquée par le Président de la République apparaît comme une absurdité, une incongruité et, j'ose le dire, une faute politique.
Alors que le continent africain a dû faire face au choc de la pandémie, puis aux effets dévastateurs de l'inflation induite par la guerre en Ukraine et la désorganisation des marchés alimentaires, il est temps que la France renoue avec une politique africaine qui constituera le cadre des partenariats qu'elle proposera en toute transparence à ses amis africains. Cette politique devra répondre à une définition clarifiée de nos intérêts dans cette partie du monde, en particulier la prévention des migrations, la sécurisation de nos ressortissants, la dynamisation de la francophonie et le développement de nos échanges commerciaux, qui sont scandaleusement insuffisants – je rappelle que la zone franc n'absorbe que 0,6 % du commerce extérieur français.
Et puisque j'évoque la francophonie, permettez-moi de m'arrêter quelques instants sur ce sujet. La francophonie est l'autre grande réalité humaine qui doit structurer notre partenariat avec l'Afrique, car elle trouve sur le continent africain un cadre de développement naturel. À mes yeux, la francophonie n'est pas la roue de secours de l'influence française. Comme le disait Léopold Sédar Senghor ,
M. Carlos Martens Bilongo s'exclame
la francophonie est « un mode de pensée et d'action » ; c'est un canal naturel de dialogue et d'échanges pour les pays ayant le français en partage, ce qui concerne tout de même près de 300 millions d'hommes et de femmes à travers le monde, dont beaucoup vivent sur le continent africain.
La francophonie est essentielle vu ce qu'elle apporte au monde en termes de préservation de la diversité culturelle et linguistique, mais elle doit apparaître aussi comme directement utile à la jeunesse africaine.
Au-delà de la langue, qui doit bien sûr servir à promouvoir les coopérations éducatives, scientifiques, universitaires et techniques, la francophonie devra être la base du développement d'une véritable union francophone. J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'en présenter les grandes lignes durant la campagne présidentielle avec, entre autres, un volet économique et financier comportant la création d'une banque de développement de la francophonie, à laquelle serait adjointe une agence francophone de promotion de l'industrialisation en Afrique. Cette dernière pourrait notamment relancer l'initiative d'électrification de l'Afrique, prise il y a quelques années par Jean-Louis Borloo.
À plus court terme, je suis convaincue qu'il faut dépasser la notion d'aide publique au développement, dont le sens est étroitement budgétaire, pour redonner tout son lustre au concept de coopération. La coopération rénovée, c'est notamment la promotion des investissements pour aider l'Afrique à réussir son industrialisation et sa montée en gamme technologique et productive. Pour l'aider dans cette voie, il manque à la France un ministère de la coopération, qui assurerait la tutelle effective de l'Agence française de développement et donnerait des impulsions conformes à une loi d'orientation sur cinq ans.
Cette loi, qui devrait être votée après un large débat, devrait notamment avoir pour objectif de donner un avenir à la jeunesse africaine, sur le sol africain. Que les choses soient claires : l'avenir de la jeunesse africaine ne peut et ne doit pas être la migration. Il est urgent de mettre un terme à la situation mortifère que nous constatons depuis des années. Sur ce point, je reprends avec constance les mots que j'adressais aux Africains à N'Djamena, en 2017 : « Ceux qui partent sont souvent dynamiques et audacieux ; c'est la sève vitale de vos peuples qui s'échappe, alors que vous avez tant besoin d'eux pour relever les innombrables défis de l'avenir ! »
Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – M. Nicolas Dupont-Aignan applaudit également.
Ceux qui partent sont aussi ceux qui arrivent chez nous ; vous ne leur dites pas la même chose, alors !
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Leur faire croire le contraire est non seulement dangereux pour eux, mais aussi à l'opposé de la volonté du peuple français, au nom duquel – je vous le rappelle, mes chers collègues – nous légiférons.
Nous avons donc, Français et Africains, la responsabilité de tout faire, dès maintenant, pour voir aboutir un cercle vertueux qui amènera deux milliards d'Africains à vivre de leur travail, selon leurs propres valeurs, leurs propres identités et leurs propres cultures, sous la gouvernance d'États stables. Il y va de l'intérêt de la France et des pays africains ; plus largement, c'est une nécessité pour la stabilité du monde.
De ces intérêts pour notre pays en Afrique – intérêts que nous n'avons pas à cacher, parce qu'ils sont légitimes, et donc compréhensibles par tous – découleront des objectifs logiques, des politiques publiques cohérentes et des moyens adaptés. La politique africaine de la France doit redevenir une réalité ; c'est ainsi que nous disposerons d'un réel instrument de solidarité internationale, mais aussi de rayonnement et de sécurité, au bénéfice partagé de l'Afrique, de notre pays et d'une histoire commune.
Après six ans de macronisme et une telle dégradation des relations entre la France et les nations et les peuples africains, je n'ai pas un mot à enlever aux propos que j'ai adressés aux Africains : « Travaillons ensemble, dans le respect et la confiance, à la construction d'un futur qui verra nos peuples vivre dignement chez eux, tout en s'ouvrant d'autant mieux les uns aux autres qu'ils sauront qui ils sont, d'où ils viennent et où ils vont. »
Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – M. Nicolas Dupont-Aignan applaudit également.
L'exécutif a enfin consenti à inscrire à l'ordre du jour de notre assemblée un débat sur les relations entre la France et les pays africains. Hasard du calendrier, un rapport bienvenu de nos collègues Fuchs et Tabarot sur ce sujet crucial a été rendu public la semaine dernière, malgré l'abstention de nos collègues du groupe Renaissance.
Quiconque est de bonne foi ne peut désormais plus douter de l'existence d'une grave crise des relations entre la France et de nombreux pays africains, notamment francophones. Ce débat parlementaire devrait donc être la « première étape d'un processus démocratique, consultatif et transparent pour repenser en profondeur l'avenir de nos relations avec les pays africains », comme y invite une tribune signée par quelques dizaines de responsables d'ONG, de chercheurs et d'anciens diplomates. Cette tribune précise que le rejet exprimé dans des proportions variables aux quatre coins de l'Afrique francophone ne vise pas la France et les Français en général, mais bien la politique menée par notre pays.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES.
Il faut en finir avec la tradition des débats erratiques et purement formels, puisqu'ils ne sont suivis d'aucun vote. Le Parlement doit être saisi et décider, et non simplement s'exprimer sur des décisions prises dans l'opacité.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Ce déficit démocratique n'est pas un détail : il est au cœur du désastre. Pour qu'enfin on nous accorde ce temps de débat, sans vote, il aura fallu un affaiblissement sans précédent – certains diraient un effondrement – de nos relations en Afrique.
La stratégie, ou plutôt l'absence de stratégie de la France en Afrique depuis des années, est d'abord le résultat de décisions et de non-décisions prises dans l'entre-soi élyséen. Il y a eu une suite de choix erronés, de fautes, d'aveuglements. Comment pouvait-on croire, par exemple, que la militarisation quasi exclusive de nos relations avec le Sahel mènerait ailleurs que dans le mur ? Si les interventions militaires depuis 2011 n'expliquent pas tout, elles ont eu un impact décisif. Cela a commencé par l'intervention en Libye, qui a conduit, au prix d'un détournement du mandat onusien initial, à un changement de régime plus que hasardeux, dont l'effet a été désastreux sur la situation sécuritaire de tout le Sahel.
Il y eut ensuite l'opération Serval : ses premiers succès ont été indéniables, mais elle a connu un prolongement sans fin, dans un cadre opaque, sous la forme de l'opération Barkhane. Je veux rendre hommage, comme tous et toutes ici, à nos soldats morts ou blessés au combat au Sahel depuis 2013.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Nos armées ont obtenu de nombreuses victoires tactiques, mais le cadre stratégique était défaillant. L'approche strictement militaire n'était pas adaptée à la réalité. Dès 2013, nous avertissions qu'une intervention sans plan de retrait ni projet politique partagé aboutirait à une impasse.
Après l'augmentation de l'influence des groupes armés au Sahel et trois coups d'État que nos services n'ont pas vu venir, beaucoup, ici, conviendront qu'il aurait été préférable de ne pas se contenter d'un unique vote de la représentation nationale en neuf ans.
Initialement accueilli en sauveur – à tort –, notre pays est désormais considéré – tout autant à tort – comme responsable de tous les maux au Sahel. Après une guerre conduite sans débat, nous avons encore dû vivre une retraite sans discussions ni bilan. Le Gouvernement s'abrite derrière une explication facile : l'existence d'une propagande hostile, notamment russe. Voilà une nouvelle manière de prendre les peuples de la région pour des pantins sans conscience propre. Car la vérité est que cette propagande, qui n'est pas nouvelle en soi, n'aurait aucune prise si notre pays n'avait pas été aussi exposé par des choix inconséquents.
Pire, la crise multiforme affectant nos relations avec nombre de pays africains ne se limite pas au Sahel. Dans toute l'Afrique francophone, le crédit est entamé. Nous pouvons en témoigner, pour nous être récemment rendus en République démocratique du Congo, premier pays francophone du monde :
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES
on n'observe pas de rupture, mais la défiance existe et il y a urgence !
Certes, il n'existe pas de solution miracle pour sortir de l'ornière, dans un contexte international où nous ne maîtrisons qu'une partie des paramètres. Mais commençons déjà par changer le fond et la forme de la politique de notre pays en Afrique. D'abord, abandonnons tout paternalisme. À l'Élysée, on n'a pas rompu avec le vieil imaginaire : les sommets convoqués sans ménagement, les sermons aux chefs d'États africains, les gestes et paroles vexatoires qu'on ne se permettrait jamais en Chine ou aux États-Unis.
« Exactement ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Les petites blagues condescendantes ont laissé de mauvais souvenirs en Afrique.
Ensuite, cultivons l'entraide. Oui, remplissons notre engagement de consacrer 0,7 % du PIB dévolu à l'aide publique au développement ; surtout, inscrivons cette aide dans une logique d'entraide. En République démocratique du Congo, nous l'avons dit sur place, nous sommes venus aussi pour apprendre, pour échanger. Cette démarche a été appréciée, car elle correspond à l'intérêt mutuel des deux peuples.
Et puis finissons-en avec la pratique désastreuse du « double standard », du « deux poids, deux mesures ». Comment dénoncer ici les coups d'État, et là adouber leurs auteurs, comme au Tchad ?
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et SOC.
Comment dénoncer certains massacres et en légitimer d'autres ? Croit-on vraiment que les peuples ne voient pas cela ? Ce double discours, ces contradictions sapent la crédibilité de notre pays.
Enfin, redonnons à la politique de la France en Afrique les moyens nécessaires à sa cohérence. Le rapport de nos collègues Fuchs et Tabarot esquisse des pistes. Oui, il faut redonner au ministère de l'Europe et des affaires étrangères un rôle central ; oui, il faut associer le Parlement, cette chambre étant dépositaire de la souveraineté.
Mêmes mouvements.
On aiderait ainsi à mettre fin certaines absurdités, qu'il s'agisse du franc CFA – compétence exclusive de Bercy, en dépit de sa charge politique immense – ou de la politique des visas, sur laquelle le ministère des affaires étrangères n'exerce plus de compétence réelle et qui obéit à des logiques obsidionales ayant pour effet de fermer la porte à de nombreux étudiants, acteurs économiques voire dignitaires politiques africains.
Se donner les moyens d'une politique cohérente, c'est aussi rebâtir notre expertise civile, après plus de deux décennies d'attrition de notre présence dans les sociétés africaines. Nous n'avons jamais remplacé les 10 000 coopérants présents sur le continent il y a encore trente ans ; ils ne sont plus que quelques centaines. Leur présence était une ressource précieuse. Sans ignorer les travers de cette coopération « à l'ancienne », reconnaissons qu'elle permettait de mieux comprendre la diversité des contextes politiques, économiques et sociaux du continent. Elle prémunissait contre le désastreux fonctionnement décidé en vase clos depuis Paris.
La réduction drastique de ces moyens essentiels d'information et de compréhension éclaire certains choix regrettables. Je ne citerai que deux exemples. Comment a-t-on pu penser qu'il serait pertinent de voter une nouvelle convention d'extradition judiciaire entre la France et le Sénégal au moment même où le gouvernement sénégalais instrumentalisait la justice contre son principal opposant et provoquait la colère de toute la jeunesse du pays ? Comment ne pas comprendre qu'il faut davantage aider la République démocratique du Congo qui subit l'agression du Rwanda ? La RDC traverse, dans l'indifférence générale, la pire crise humanitaire au monde : près de 7 millions de déplacés internes cumulés depuis trente ans et une guerre qui perdure malgré la fin officielle en 2003 du conflit le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale.
La situation en RDC n'est certes pas de la seule responsabilité du Rwanda mais celui-ci a une responsabilité écrasante dans la poursuite des combats, comme l'ont reconnu l'ONU ainsi que notre ministère des affaires étrangères. Pourtant, pas un mot de tout cela au sommet de l'État !
C'est pourquoi nous continuerons, avec mon collègue Carlos Martens Bilongo, à défendre notre proposition de résolution qui condamne le soutien de la République du Rwanda au groupe rebelle du Mouvement du 23 mars, le M23.
Au-delà de ces cas particuliers, l'enjeu est de savoir si notre pays sera au rendez-vous de l'histoire. Car l'Afrique, contrairement à ce qu'a pu dire un ancien président de la République, c'est l'histoire. De grands historiens, en France même, sont là pour nous le rappeler : c'est une histoire qui est aussi la nôtre, une histoire d'échanges, d'interdépendance croissante, de constructions communes, de créolisation, que cela plaise ou non ,
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
une histoire de combats et d'émancipation toujours en cours. Plus de soixante ans après l'indépendance politique, les peuples réclament une seconde indépendance et réaffirment clairement leur souveraineté. Sans formule préconstruite mais en s'inspirant d'un Lumumba ou d'un Sankara ; sans confondre souveraineté et obsession identitaire, mais avec détermination.
La réaffirmation de la souveraineté des peuples africains rencontre une nouvelle fois l'histoire du monde, les transformations de l'ordre géopolitique. Qu'on le veuille ou non, l'Afrique, continent dont la moitié des habitants ont moins de 18 ans, est au cœur de l'avenir. Plutôt que de nous couper de ce continent, le plus francophone qui soit, sachons écouter ce que disent les peuples. Ils ne veulent plus de sauveurs ni de parrains, mais des partenaires, prêts à traiter d'égal à égal.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
C'est pourquoi nous devons développer, en Afrique ou ailleurs, une politique étrangère non alignée, non réduite aux manichéismes mortifères et à la politique de la peur. Le monde passe d'un modèle unipolaire à un modèle apolaire. Chaque nation doit redéfinir ses propres alliances. Les vieilles logiques de bloc sont dépassées et il faut rebâtir un monde ordonné.
Pour faire face aux grands défis du siècle, qu'il s'agisse du changement climatique et de l'effondrement de la biodiversité, de l'explosion mondiale des inégalités, de la crise du système de sécurité collective ou de celle, permanente, du néolibéralisme, proposons et renforçons de nouveaux espaces de droit, au sein de l'ONU et dans les autres arènes compétentes, autour de biens communs d'intérêt général : climat, forêts, grands fonds marins, espace, santé publique, sans oublier ce bien commun suprême qu'est la paix, si malmené par le renoncement à appliquer le droit.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Cette diplomatie des causes communes, altermondialiste, doit avoir pour point de départ notre relation avec les pays africains. Sinon, nous tournerons le dos à notre propre histoire et nous nous rabougrirons.
Les députés du groupe LFI – NUPES se lèvent et applaudissent.
Notre débat intervient à un moment pour le moins paradoxal. Alors qu'à première vue, la France n'a jamais été aussi contestée depuis les indépendances, nous sommes convaincus que c'est aujourd'hui que nous avons le plus de chances de nouer de nouvelles relations, égales et respectueuses, susceptibles de garantir les intérêts des parties. Si nous affichons notre bon espoir d'y parvenir, c'est parce que la France détient un nombre non négligeable d'avantages comparatifs.
Tout d'abord, nous avons une bonne image dans une grande partie des pays d'Afrique anglophone ou lusophone et nos échanges commerciaux y progressent. Quant à l'Afrique francophone, les Français n'y ont pas une mauvaise image.
Nous y sommes même plutôt appréciés et nous aurions tort de penser que les Africains ne veulent plus de la France. En revanche, ce qu'ils nous disent,…
…c'est qu'ils veulent que la France agisse autrement. C'est là-dessus que nous devrons réfléchir et concentrer nos efforts.
Depuis 2017, sous l'impulsion du président Macron, beaucoup a été fait. À la suite du discours de Ouagadougou, nous avons entrepris un travail sur la mémoire, doublé le montant de notre aide au développement, engagé un processus de restitution d'œuvres d'art, démarré la transformation du franc CFA – même si elle est encore inachevée.
En clair, nous déployons depuis longtemps un grand nombre de politiques publiques performantes et exemplaires ; c'est l'un des axes forts de notre relation avec les Afrique. Nous nourrissons de longue date une tradition d'engagement solidaire, pour l'accès à la santé, la conservation de la biodiversité ou encore la lutte contre le changement climatique. Notre engagement est également remarquable en faveur de l'entrepreneuriat, de la formation ou de l'égalité des chances.
Dès lors, l'image actuelle de la France, mise en regard de toutes ces politiques publiques, peut susciter une sorte d'injustice et de frustration. Tous nos efforts semblent en effet masqués par des attitudes et des pratiques héritées du passé. Tant que nous n'aurons pas éradiqué ces irritants, ces « chiffons rouges » – pour reprendre l'expression du professeur Achille Mbembe –, il nous sera impossible de démarrer un nouveau cycle fécond avec nos partenaires africains. C'est dans cette optique que nous devons nous livrer avec lucidité, sans tabou ni complaisance, à notre introspection.
Première idée : nous n'avons pas vu, ou pas voulu voir, l'Afrique évoluer. Or elle n'est plus celle qu'elle était il y a dix, vingt ou trente ans, ne serait-ce qu'en raison de sa démographie. En 2050, l'Afrique abritera près de 2,4 milliards d'habitants et ils seront plus de 4 milliards en 2100 ! En cent ans, entre 1960 et 2060, la population du Niger sera passée de 3 à 70 millions d'habitants.
Le continent africain, très jeune, est devenu une terre attractive, de forte compétition. La Chine y a injecté 150 milliards de dollars sous forme de dons en vingt ans. Elle est désormais le premier partenaire commercial de l'Afrique, avec 27 % de ses parts de marché. L'Inde compte près de 2,7 millions de ressortissants en Afrique. L'Allemagne est parvenue à pénétrer le marché africain à un niveau similaire à celui de la France.
Nous devons mieux comprendre cette nouvelle donne et nous y adapter d'urgence. Le Président de la République le disait en 2017, « ce changement profond qui consiste à revoir, à révolutionner toute notre façon de penser est indispensable ».
Deuxième idée : nous devons nous défaire des irritants qui ont progressivement altéré notre relation. Nos attitudes – celles de tous les Français en général, pas spécialement celles de la classe politique – ont pu être jugées paternalistes, voire condescendantes : les Africains ne les supportent plus. Nous devrons solder définitivement notre passé colonial et achever la réforme du franc CFA entreprise en 2019…
…– même si c'est aux pays africains de le faire. Le ministre Lecornu l'a annoncé, nous devrons aussi redéfinir nos emprises militaires et le rôle de nos armées en Afrique car, en attendant, toutes les spéculations et les malveillances ont libre cours.
Nous devrons également revoir en profondeur la politique de délivrance des visas – cette refonte a déjà démarré – tout en conservant la maîtrise des flux migratoires. La situation actuelle nous est très préjudiciable. Comment expliquer, en effet, que le premier de la classe du lycée Mermoz d'Abidjan, qui a fait toute sa scolarité dans des établissements français, se voie refuser un visa ? Il poursuit désormais ses études au Canada. Pourquoi le vice-président du parlement d'un grand pays francophone, en possession d'un passeport diplomatique et d'une note verbale de son ministre, ne peut-il obtenir le visa qui lui permettrait de se rendre à une réunion consacrée à la francophonie ? Comment est-il possible qu'une cheffe d'entreprise qui veut investir en France ne parvienne pas à obtenir de visas pour ceux de ses collaborateurs qu'elle souhaitait envoyer se former en France ? Elle achètera donc son matériel en Inde, où ses collaborateurs seront formés.
M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit.
Enfin, nous devons en finir avec le double standard. En effet, notre position a fini par devenir illisible. Pour clore définitivement le chapitre de la Françafrique, nous devons réinterroger notre doctrine issue du discours prononcé par le président François Mitterrand en 1990 à La Baule.
Résumons : après les indépendances, le général de Gaulle a établi une doctrine claire selon laquelle la France garantirait la sécurité des pays africains et leur apporterait son aide en échange de leur loyauté et de leurs votes à l'ONU. Dans son discours de La Baule, François Mitterrand y a ajouté une condition : que cette collaboration ne se poursuive que si les pays concernés enclenchent des processus démocratiques. Ce n'est pas tant la doctrine, plutôt vertueuse, qui est source de confusion mais son application car, dans les faits, les gouvernements successifs se sont révélés incapables de l'appliquer de manière cohérente et rigoureuse, ce qui a suscité des doutes et des suspicions sur les véritables objectifs de la France et sur l'existence d'un agenda caché.
On pourrait se convaincre qu'il est inutile de dramatiser car ce désenchantement ne s'exprime pas partout – il n'a pas cours en Afrique non francophone, par exemple, où notre image reste bonne – mais nous pensons au contraire que nous devons agir d'urgence pour éviter le risque de contagion dans tout le continent et la perte durable d'influence de la France.
Nous devons donc afficher clairement nos intentions pour ce qui concerne le soutien aux pays dont les régimes ne sont pas démocratiques et rester cohérents dans toutes les situations. Je préconise en la matière d'adopter une juste distance démocratique et politique, comme le suggère Achille Mbembe : la France préserve ses valeurs avec force mais n'intervient plus dans les affaires intérieures des pays du continent africain. En revanche, elle peut proposer de relever des défis en commun ou de mener des projets ensemble, soit de manière bilatérale, soit à l'échelle du continent. Elle devra communiquer clairement autour de ses objectifs et de ses intérêts en Afrique. Enfin, elle devra s'engager à obtenir des résultats et à présenter une vision opérationnelle à ses partenaires.
Une fois cette doctrine clairement énoncée, nous devrons nous donner les moyens de mobiliser tous nos leviers. Il conviendra de reconnaître fortement les diasporas, encore en proie au doute, mais aussi de réarmer notre diplomatie en constituant au Quai d'Orsay une filière dédiée à l'Afrique, de repenser l'aide au développement pour qu'elle profite plus directement aux populations et serve notre stratégie d'influence. Nous devrons convaincre tous nos partenaires européens de nous suivre dans cette voie comme nous avons su le faire lorsqu'il s'est agi de prendre des décisions concernant la crise du covid-19 ou la guerre en Ukraine.
Vous l'aurez compris, il n'est pas trop tard pour réenchanter nos partenariats avec les pays africains. C'est au contraire le bon moment puisque nous avons identifié les blocages et trouvé le moyen d'y mettre fin. Comme on dit en Afrique, c'est au bout de la vieille corde qu'on tisse la nouvelle.
Tout est donc encore possible, à condition de tisser vite et de changer rapidement de logiciel. L'enjeu dépasse largement la simple perte d'influence : il tient à notre avenir et à l'idéal de société dans lequel nous voulons vivre. Notre modèle d'État de droit, de libertés publiques, de vision multilatérale et universaliste est en danger. Face aux intégrismes religieux, aux impérialismes politiques, aux nationalismes autoritaires, aux libéralismes sans foi, aux populismes, le réenchantement de nos relations avec nos partenaires africains est tout simplement la condition de notre avenir et de celui de nos enfants.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et RE.
C'est en tant qu'élue des Français d'une vaste circonscription qui comprend 80 % de l'Afrique que j'ai l'honneur de m'adresser à vous, pour traiter du renouvellement des relations entre la France et l'Afrique grâce à la politique engagée depuis six ans sous l'impulsion du Président de la République.
Ma fonction me permet de me rendre fréquemment sur le continent africain afin d'y rencontrer les Français qui y sont installés, dont plus de la moitié sont binationaux, ainsi que des parlementaires, des responsables politiques, des membres des différents gouvernements et des représentants des sociétés civiles. Je vais donc vous restituer mon analyse concernant l'état de nos relations avec l'Afrique.
Première évidence : il n'y a pas « une » Afrique. L'Afrique est un continent comprenant cinquante-quatre nations, et non un pays homogène. Il est par conséquent malvenu de parler d'un sentiment antifrançais généralisé en Afrique. À vrai dire, seuls trois ou quatre des cinquante-quatre pays africains expriment un tel sentiment de manière marquée, et cela souvent à la suite de putschs antidémocratiques. Honnêtement, être critiqués par des putschistes n'est pas un déshonneur, bien au contraire !
Certaines nations extérieures profitent de cette minorité bruyante pour déstabiliser la relation franco-africaine. Il s'agit de manœuvres politiques et financières. Nous ne devrions pas les laisser obscurcir le tableau général.
Depuis l'élection en 2017 d'Emmanuel Macron à la présidence de la République, la France connaît un renouveau de ses relations avec l'Afrique, y compris avec l'Afrique de l'Est. Dans le discours de Ouagadougou, des questions essentielles pour la jeunesse africaine ont été abordées ; elles fournissent aujourd'hui autant de sujets de revendication pour celle-ci. Au Québec, ancienne colonie française, on ne ressent pas le besoin de chercher à l'extérieur des boucs émissaires pour expliquer les tensions internes !
Il est donc grand temps de valoriser les cinquante pays africains qui entretiennent une relation positive avec la France et de ne pas se laisser distraire par une minorité qui ne représente pas l'Afrique dans sa diversité et sa complexité.
Je souhaite également évoquer tout ce qui a été accompli ces dernières années et qui s'inscrit dans la logique partenariale qui a été énoncée par le chef de l'État et qui forme le socle des relations renouvelées entre notre pays et le continent africain.
En premier lieu, alors que certains fustigent notre présence militaire et que la propagande de puissances hostiles s'évertue à y voir une marque de néocolonialisme, je rappelle que c'est à la demande des autorités maliennes que la France est intervenue dans leur pays et qu'elle a sauvé la capitale des forces djihadistes qui la menaçaient. Elle y est restée ensuite pour prévenir la menace terroriste qui subsiste toujours dans toute la région. Dois-je évoquer tout le bien que font nos militaires – notamment les médecins militaires que j'ai rencontrés à Faya-Largeau ou à Abéché, au Tchad, et qui effectuent pour certains jusqu'à 800 visites médicales par semaine, sauvant des bébés, soignant hommes et femmes ? Les milices hostiles à notre pays agissent-elles de même ? Je ne le crois pas. Je remercie infiniment nos militaires pour leurs actions.
L'action de la France n'a jamais été envisagée suivant une logique néocoloniale. Notre pays s'est au contraire efforcé d'encourager la coopération entre les États africains de la région au travers du soutien au G5 Sahel, créé par le président mauritanien Aziz, et de l'Alliance Sahel, lancée par le Président de la République. La France a impliqué de nombreux autres partenaires dans cet enjeu qu'est la lutte contre le djihadisme, à travers par exemple la création de la task force Takuba. La France a aussi mené un travail de fond avec les États de la bande sahélo-saharienne ainsi qu'avec les Nations unies, l'Union européenne, l'Union africaine et l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), dans le cadre de la Coalition pour le Sahel, en vue de mettre en œuvre un volet « développement », en parallèle de l'action menée sur le terrain contre les djihadistes.
La France n'a donc pas ménagé ses efforts diplomatiques et a adopté l'attitude la plus fédératrice afin de répondre au mieux aux demandes des États de la région. Reprocher à notre pays, ici ou ailleurs, une attitude néocoloniale s'apparente à un faux procès, d'une écœurante malhonnêteté ; c'est aussi une insulte à nos cinquante-huit soldats tombés sur le terrain pour la sécurité de toutes et tous.
Avec le retrait de nos soldats de plusieurs pays du Sahel, une nouvelle page de nos relations avec le continent africain semble s'ouvrir : celle de la coconstruction. Nous sommes ici pour en parler. À l'instar des ministres et de plusieurs collègues, je souhaite féliciter – encore une fois, mais je ne cesserai jamais de le faire – nos forces armées pour leur efficacité exemplaire durant l'évacuation de ressortissants français et étrangers du Soudan.
Dès son discours de Ouagadougou, le Président de la République a compris qu'il était temps de mettre un terme à tout ce qui pouvait s'apparenter à ce que l'on nomme la Françafrique, mot-valise servant à dénoncer – pas toujours à juste titre – la mainmise que la France aurait conservée sur ce continent.
Il s'est adressé à la société civile et à la jeunesse africaine, qui, comme lui, n'a pas connu la colonisation. Cet effort pour renouveler nos relations avec le continent africain, je n'ai cessé de le constater depuis 2017 dans les domaines que le Président de la République a cités.
Je salue ainsi le travail effectué avec la société civile par l'intermédiaire de nos postes diplomatiques, ainsi que de très nombreuses associations.
En ce qui concerne les échanges culturels, on ne peut que se féliciter de la richesse des relations entre la France et le continent africain, qu'il s'agisse de la saison Africa 2020, du lancement de la Maison des mondes africains ou de la foisonnante programmation culturelle des instituts français et des alliances françaises. J'ai constaté lors de mes déplacements à l'occasion d'innombrables manifestations, au Cameroun, au Gabon ou en Afrique du Sud, l'importance du dialogue par la culture, de petite ou de grande ampleur. Ces événements ont d'ailleurs souvent lieu sous la bannière de la francophonie, dont l'épicentre se situe, pour reprendre l'expression du Président de la République, « dans le bassin du fleuve Congo, ou quelque part dans la région ». La langue française est une chance pour nos relations avec l'Afrique, notamment dans le domaine économique – nous ne le mesurons pas suffisamment.
Je suis heureuse que la France accueille l'année prochaine le Sommet de la Francophonie. Ce sera une occasion supplémentaire de tirer parti de ce lien linguistique qui nous unit à de nombreux pays africains et qui en séduit beaucoup d'autres. J'espère que nos compatriotes et que mes collègues parlementaires saisiront à cette occasion l'importance de la francophonie comme outil d'échanges et de développement de nos relations avec le continent africain, et au-delà.
Les échanges culturels peuvent souvent être aussi un outil susceptible de résoudre des problèmes mémoriels causant rancœurs et différends. Sous l'impulsion du Président de la République, un mouvement de restitution de biens culturels s'est engagé, désormais étendu à d'autres pays européens. Ce travail mémoriel, cher au Président, nous l'avons aussi vu à l'œuvre, sous un autre format, avec l'Algérie et le rapport Stora, qui aborde courageusement des questions qui dérangent, ou avec le Rwanda.
La richesse de nos relations culturelles dépend aussi de la coopération dans le secteur éducatif. Je félicite vivement les lycées français d'Afrique, qui accueillent nombre d'élèves autochtones. Beaucoup d'entre eux viennent étudier ensuite en France et enrichissent les relations entre notre pays et le leur. Je rappelle que, parmi les contingents d'étudiants étrangers en France, on trouve dans les dix premières places six contingents originaires de pays d'Afrique, qu'il s'agisse du Maghreb ou de l'Afrique subsaharienne. J'en suis fière.
Je tiens à signaler – et c'est l'un des points que nous devrions corriger, nous sommes plusieurs à le dire – que ces étudiants peuvent eux aussi rencontrer des difficultés pour obtenir un visa, ce qui nuit considérablement à l'image de la France et est instrumentalisé par la propagande antifrançaise. Nous devons à tout prix faciliter la procédure de demande de visa, que beaucoup jugent humiliante. De nombreux Français mariés sur place m'interpellent également sur le sujet. Cela nous cause du tort – beaucoup plus qu'on ne l'imagine ici.
Le renouveau de la relation avec l'Afrique, je l'ai aussi constaté dans le secteur de la solidarité et du développement, en particulier avec la loi de 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, ainsi qu'avec la hausse importante de notre aide publique au développement. Les pays africains sont les grands bénéficiaires de l'augmentation de l'APD. À chacun de mes déplacements, je visite des projets menés grâce à des financements de l'Agence française de développement dans les domaines de l'agriculture, de la santé ou des infrastructures. Toutefois, cette action n'est pas assez visible et les populations locales ne sont pas toujours conscientes – c'est peu de le dire – que telle route ou telle école a été réparée ou bâtie avec le concours de la France. À nous de le faire savoir.
Cette solidarité se marque aussi dans les engagements individuels, avec le magnifique travail accompli par France Volontaires, qui permet à des milliers de jeunes Français de partir sur le terrain pour s'occuper de projets de développement dans un cadre structuré. J'ai organisé à l'Assemblée nationale un colloque sur cet aspect de notre coopération. On y a entendu le témoignage de jeunes Français partis aider au Burkina Faso ou en République du Congo, ainsi que celui de jeunes Africains venus en France en soutien au réseau associatif : le mode d'action de France Volontaires est en effet fondé sur la réciprocité, ce qui est bien dans l'esprit que le Président de la République appelait de ses vœux.
Le Président a également compris que le renouvellement de nos relations avec le continent africain passait par le développement de nos relations économiques. En effet, pendant que notre pays, au prix d'un important effort militaire, se concentrait sur la préservation de notre sécurité commune, d'autres acteurs, plus pragmatiques, renforçaient leurs positions économiques.
Je salue les efforts déployés par la France pour encourager le développement du secteur privé africain au travers de programmes du groupe AFD, tels que ceux menés par Proparco. Il nous faut néanmoins faire davantage pour stimuler nos échanges. Nous pouvons certes nous appuyer sur les réseaux dynamiques des chambres de commerce et d'industrie, des comités de conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF), des clubs d'affaires ou des bureaux de Business France, mais il nous faut aussi compter sur l'expertise de nos expatriés et sur les milliers d'entrepreneurs français présents sur place, les « entrepreneurs français à l'étranger » (EFE), que nous essayons avec le Gouvernement de faire mieux reconnaître et de soutenir davantage.
En tant qu'élue des Français d'une large partie de l'Afrique et du Moyen-Orient, je ne voudrais pas que l'on oublie ce formidable atout que constitue la présence de centaines de milliers de nos concitoyens sur le sol africain. Qu'ils soient enseignants dans les lycées français, travailleurs humanitaires, entrepreneurs individuels ou collaborateurs de grands groupes, qu'ils soient des expatriés de passage ou des binationaux installés durablement sur place, ils sont nos vrais ambassadeurs sur le terrain.
Nous, députés des Français de l'étranger, sommes à leur écoute ; ils sont des ponts entre la France et les pays dans lesquels ils sont installés. De même que nous travaillons mieux avec les diasporas africaines présentes sur notre sol, ce qui est grandement dû à l'impulsion du Président de la République, nous devrions mieux travailler avec notre propre diaspora, dont les conseils et la connaissance fine de leurs pays d'adoption sont précieux. Les conseillers des Français de l'étranger, c'est-à-dire les élus locaux, sont en particulier des atouts que nous devons valoriser davantage.
Mes chers collègues, il est inutile d'être pessimistes concernant nos relations avec le continent africain. Ce serait être inutilement décliniste et faire trop d'honneurs aux États qui se plaisent à agiter un sentiment antifrançais dans plusieurs pays africains.
Nous avons beaucoup d'atouts, mais beaucoup d'autres acteurs sont désormais présents en Afrique et il nous faut compter avec eux. De ce point de vue, la nouvelle approche prônée par le Président de la République me semble saine et constructive. Et je vous l'assure : de très nombreux Africains, même dans des pays plutôt hostiles à notre encontre, sont demandeurs de France.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur plusieurs bancs du groupe Dem.
De notre capacité à bâtir une belle relation de confiance entre l'Afrique et la France dépendront au XXI
La politique étrangère narcissique, imprévisible, incohérente et méprisante d'Emmanuel Macron a mené la France à la déroute au Sahel. Nous payons très cher trois contradictions françaises.
Depuis le départ de Jacques Chirac qui, lui, aimait et comprenait l'Afrique, les gouvernements successifs ont réduit nos moyens d'action, au moment même où ce continent connaît une forte croissance démographique et économique. Le rapport d'information que vient de publier notre assemblée en témoigne : le nombre de coopérants a été divisé par dix ; les effectifs du Quai d'Orsay en Afrique ont été réduits de 40 %.
Pire, faute de vision d'une politique africaine, les moyens qui demeurent ont été dispersés. Entre la cellule diplomatique de l'Élysée – solitaire –, le Quai d'Orsay et l'Agence française de développement – qui est devenue un État dans l'État et ne rend compte à personne – règne une cacophonie à laquelle s'ajoutent désormais les interférences de Bruxelles. On comprend la déception des gouvernements africains, qui n'ont plus d'interlocuteurs fiables et, dès lors, se tournent vers des nations qui savent ce qu'elles veulent et qui respectent leurs engagements.
Une troisième contradiction, entre la promesse affichée de sortir de la Françafrique et, dans la pratique, un interventionnisme donneur de leçons de démocratie, de surcroît à géométrie variable, fait perdre toute crédibilité à la parole de la France, comme en témoigne le fiasco au Niger.
Il est donc urgent de réaffirmer et de mettre en pratique le principe, fondateur, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Pour bâtir un nouveau partenariat avec les différentes nations d'Afrique, la France doit revoir en profondeur sa politique en l'articulant autour de trois grandes priorités.
Tout d'abord, nous devons augmenter nos moyens diplomatiques, en reconstituant un vrai ministère de la coopération, en augmentant notre investissement dans la francophonie – et en y croyant ! –, en développant le réseau des écoles et instituts culturels français.
Ensuite, il faut remettre un pilote dans l'avion, en plaçant enfin sous la tutelle du Quai d'Orsay l'Agence française de développement, qui n'en fait qu'à sa tête, en reprenant la pleine maîtrise du processus de délivrance des visas, en cessant d'associer nos partenaires de Bruxelles.
Enfin, nous avons besoin d'une vision partagée avec les gouvernements africains afin de relever, par grande zone, les principaux défis du continent pour les années à venir. Je pense par exemple à la question fondamentale qu'est le développement d'une agriculture suffisamment protégée des règles du libre-échange pour permettre l'autosuffisance alimentaire et assurer des revenus décents aux paysans. Plus que d'aides, les pays africains ont besoin que leurs matières premières soient rémunérées correctement et transformées sur place. Faute de temps, je ne fais que mentionner les grands projets continentaux qui pourraient unir la France à l'Afrique, comme la Grande Muraille verte au Sahel, l'électrification ou le développement des énergies propres. En un mot, il faut une vraie coopération, gagnant-gagnant.
Il y a un demi-siècle, en pleine guerre froide, le général de Gaulle avait anticipé le monde multipolaire d'aujourd'hui et avait su incarner une espérance pour tous les peuples de la Terre. Au moment où ce monde est là, avec le Sud global, quel paradoxe de voir ses successeurs, principalement Emmanuel Macron, rapetisser la France au rang de petit porte-parole d'une Union européenne vassalisée par les États-Unis ! La France regagnera l'estime des pays d'Afrique, comme d'ailleurs de ceux d'Amérique latine – qui n'ont pas vu le Président au cours de ces six ans – ou de ceux du Moyen-Orient, lorsqu'elle redeviendra une France libre, menant une politique étrangère indépendante, au service d'un monde juste.
Dans ses dialogues avec Alain Peyrefitte, le général de Gaulle déclarait : « Voyez-vous, notre pays se distingue des autres en ce que sa vocation est plus désintéressée et plus universelle que celle d'aucun autre. La France, chaque fois qu'elle est elle-même, est humaine, est universelle. La vocation de la France, c'est d'œuvrer pour l'intérêt général. » Comment Emmanuel Macron pourrait-il œuvrer pour l'intérêt général s'il ne le sert pas en France et dans les relations franco-africaines ?
Mme Marine Hamelet applaudit.
C'est avec émotion que je prends la parole dans un débat qui est nécessaire, particulièrement en cette période, au sein des instances de la représentation nationale. La relation que la France en tant que nation entretient avec les pays du continent africain structure tant nos histoires individuelles que notre histoire commune. Nous devons tous faire attention aux mots que nous utilisons, afin de ne pas raviver des maux qu'il nous faut définitivement renvoyer dans une ère passée, afin de continuer d'apaiser et de guérir certains autres maux.
À l'instar de plusieurs collègues, je rappelle que l'Afrique est un continent composé de régions, de sous-régions, de pays et de nations. Si certains de ces pays ont des histoires communes, il existe en Afrique autant de différences que nous pouvons en connaître sur notre propre continent. Il importe de rappeler que, pour cette raison même, les relations que nous entretenons avec chacun des pays du continent africain peuvent être différentes selon nos histoires et nos constructions.
La globalisation qui se cache bien trop souvent dans l'usage du mot « Afrique » a entraîné, selon moi, bien des amalgames et le sentiment d'un mépris de notre part. Si la fraternité avec les nations du continent africain relève de l'évidence, elle nécessite que le cadre du dialogue soit à la hauteur de la qualité de la relation que nous exigeons réciproquement.
La reconnaissance des différentes territorialités, identités et structurations n'a nullement vocation à apporter de l'eau au moulin d'une politique de fragmentation du continent, bien au contraire. Elle permet de réaliser une photographie à un instant T de ce territoire-continent, afin d'en soutenir avec plus de transparence, de cohérence et de méthode, les volontés de développement et les stratégies de mutualisation des moyens.
À travers sa capacité à construire et à développer son union de manière bien plus complète et globale que celle dont nous avons construit l'Union européenne à ses débuts, l'Afrique nous donne peut-être une leçon politique. En effet, nous avions d'abord privilégié la stratégie économique par rapport à la construction politique, et nous voyons combien il est complexe d'arrimer de nouvelles dimensions au projet européen, tandis que l'Union africaine est un espace où tout sujet peut trouver sa place.
L'un des enjeux majeurs est la question monétaire, qui semble souvent fragiliser nos échanges avec nos partenaires africains. Nous avons là aussi un chantier fondamental à affronter. Notre majorité a reçu du passé des héritages qui polluent la relation Afrique-France. Le Président de la République s'est engagé à ce sujet ; je pense notamment au franc CFA et je salue les avancées en la matière. Néanmoins, nous devons désormais construire un partenariat ; c'est une évidence, ne serait-ce que du fait de l'arrimage des systèmes monétaires africains à l'euro. Nous devons assumer d'entrer dans une négociation franche ayant trait à des équilibres complexes. Nous devons le faire de manière pragmatique et technique, sans simplification ni approche politicienne,…
…alors même que le sujet suscite des réactions épidermiques. Si nous voulons un nouveau partenariat, nous ne pourrons pas nous exonérer de ces discussions,…
…car ce sont précisément ces ajustements significatifs qui détermineront directement le rééquilibrage du schéma monétaire, dont dépendent les capacités réelles des pays en matière de politique d'importation et d'exportation.
Nous ne devons avoir aucune hypocrisie en la matière et assumer la nécessité de trouver un équilibre gagnant-gagnant, dans lequel aucune partie ne se sente lésée. Cette nouvelle méthode de négociation et, surtout, les résultats opérationnels de cette négociation doivent constituer un atout fondamental pour le développement de cette zone monétaire, qui sera, n'en doutons pas, une des zones économiques majeures du XXI
En effet, l'adossement des monnaies nationales à l'euro doit s'inscrire dans un cercle vertueux de développement économique, pour la France tout autant que pour les pays partenaires africains. Il est donc nécessaire de rechercher, de manière pragmatique, de réels points de synergie, tout en étant capables de comprendre les enjeux du contexte actuel. Cela permettra un alignement des intérêts stratégiques de développement de notre pays et de ses partenaires.
Dans cette nouvelle relation souhaitée par le Président de la République, le paternalisme postcolonialiste latent doit laisser la place à une compréhension de nos intérêts partagés. De ce point de vue, il convient de saluer certains acteurs français, car ils sont souvent oubliés, voire décriés. Pourtant, ils sont les meilleures sentinelles dont nous disposons, et je suis convaincue qu'en prenant le temps de mieux les écouter, nous éviterions les écueils dramatiques de ces dernières années.
Je pense tout d'abord au réseau économique des entreprises françaises installées sur le continent africain, parfois depuis plus de cent ans. Elles ont traversé les crises du continent, avec les acteurs locaux ; elles ont vécu et donné lieu à la fondation de familles binationales ; elles aiment avec autant d'engagement leurs deux continents. Ces entreprises ont vu arriver les mutations et les stratégies d'implantation des puissances extérieures. Elles nous le disent : elles ont plusieurs fois tiré la sonnette d'alarme, mais nous ne les avons pas suffisamment écoutées.
Il en est de même de nos militaires, qui ont vu les implantations des autres grandes puissances se développer ces vingt dernières années. Bien évidemment, je me joins aux hommages rendus à nos soldats en opération. Enfin, je n'oublie pas les diasporas, qui ne cessent de nous alerter, elles aussi, sur la nécessité de changer de logiciel.
Oui, Emmanuel Macron est le premier président à avoir, dans ses prises de position, exprimé avec une clarté sans précédent et assumé la nécessité de tourner cette page et d'en ouvrir une autre. Il est le premier à avoir reconnu que les équilibres sur le continent africain avaient radicalement changé et que nous devions, nous aussi, changer. Je n'ai rien à retirer au discours de Ouagadougou, mais c'est sur les actes que nous serons jugés. Aussi devons-nous aller plus loin et plus vite dans la déclinaison opérationnelle des engagements du Président.
Nous devons changer notre logiciel, mais pas de manière cosmétique, ni cynique ou hors sol. Nous devons considérer les acteurs français et les diasporas, insuffisamment écoutés, je l'ai dit, alors même qu'ils détiennent des éléments de réponse opérationnels. Ils peuvent donner du corps à notre nouvelle vision, nous donner une capacité d'action, à ce jour insuffisante, voire contre-productive, alors que l'intention et la vision stratégique qui ressortent du discours du Président de la République sont claires et visionnaires.
Pour ce faire, nous avons aussi besoin de nouveaux partenariats sur le continent africain, inscrits dans une démarche de réciprocité. Cette nouvelle posture demandera assurément de sortir des sentiers battus, le chemin le plus efficace n'étant pas toujours le plus direct. Des détours seront nécessaires via ces partenaires qui peuvent être des passerelles, afin de retrouver des relations apaisées et de qualité, afin de nous permettre de prouver les intentions et la nouvelle capacité d'action de la France.
Il est probable que cela passera aussi – les récents évènements nous le montrent – par des pauses constructives et la recherche de solutions alternatives courageuses, privilégiant les besoins stratégiques de notre pays. Nous devons cesser de subir, d'être en réaction. Il nous faut avancer dans la réflexion stratégique et prospective sur notre approche multilatérale. La relation entre l'Afrique et la France est une des dimensions d'une ambition dont les enjeux majeurs sont notre vision du développement humain et l'avenir que nous souhaitons construire. Cette relation n'a de sens que dans la cohérence avec nos valeurs sur lesquelles est bâtie notre propre nation. Elle doit se traduire par des actes que nous pourrons assumer en exerçant nos responsabilités.
Joseph Ki-Zerbo, qui a été au XX
Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. le président de la commission des affaires étrangères et M. Bruno Fuchs applaudissent également.
Nous nous exprimons sur les partenariats renouvelés entre la France et l'Afrique, qui est constituée de cinquante-quatre pays. Si vous me le permettez, je reformulerai ainsi l'intitulé de notre débat : « partenariats à renouveler ». En effet, l'enjeu essentiel, aujourd'hui, est de ne pas être le pays à qui serait réservée la chaise vide.
J'ai souligné récemment dans La Tribune l'importance de la vision que nous donnons aux citoyens africains des affaires publiques de la France, à commencer par la portée des déclarations parfois outrancières de certains élus, qu'ils soient d'extrême droite ou d'extrême gauche. Nous commettrions une erreur manifeste en croyant naïvement que les propos à l'emporte-pièce tenus au sujet des migrants vivant sur notre sol n'ont aucune incidence sur les relations bilatérales entretenues avec les pays dont ils sont issus. Nous ne sommes plus au temps où la diplomatie se cantonnait au confort feutré de salons fermés d'où ne fuitait nul écho. Renouveler nos relations avec les pays d'Afrique, en particulier avec les pays subsahariens, exige plus que jamais de prendre en considération l'opinion publique de ces pays, qui, seule, décidera à long terme de l'orientation politique de leurs gouvernants.
Objectivement, il serait difficile de ne pas reconnaître l'apport de la France aux dispositifs de soutien économique, éducatif, sanitaire, social ou encore sécuritaire à destination des Africains. S'agissant du volet sécuritaire, nos ministres ont approfondi la mobilisation de la France aux côtés des pays d'Afrique ; je tiens à saluer l'engagement de nos armées et à rendre hommage aux soldats morts pour la France.
Nos ministres ont rappelé les engagements qu'a pris le Président de la République depuis 2017, notamment à la suite de son discours de Ouagadougou. Dans la plupart des domaines, la France fait partie des premiers partenaires des pays africains ; elle se situe rarement au-delà de la dixième place. En 2021, elle était le second investisseur étranger sur le continent, derrière le Royaume-Uni, et détenait 60 milliards de dollars de stocks d'investissements directs.
Certes, l'histoire est parfois douloureuse et peut laisser de profonds stigmates dans la mémoire collective des peuples. Toutefois, ne convient-il pas, en l'occurrence, de la lire non comme l'annonce d'un recommencement qui marquerait l'avenir, mais comme une épreuve à surmonter, telle une image figée sur le rétroviseur du temps ? C'est à partir de ce postulat que nous devons repenser nos relations avec l'Afrique et avancer. Voyez plutôt : il n'y a pas de désamour entre l'Espagne et les pays d'Amérique latine, ni entre le Portugal et les pays lusophones, pas davantage entre le Royaume-Uni et les pays anglophones. Pourquoi, alors, la France subit-elle le désamour des pays francophones subsahariens ? Je refuse catégoriquement que cela soit ! Après tout, ne suis-je pas moi-même le fruit de la relation réussie entre la France et un pays africain ?
Ainsi, j'appelle de mes vœux la renaissance du désir de France chez les jeunes générations africaines et la renaissance d'un dialogue franc et direct, au-delà des malentendus, des erreurs et des fautes commises, au sujet des ressorts distendus de nos relations et des causes qui poussent la France hors d'Afrique.
L'offre concurrentielle de pays tels que la Russie, la Chine, les États-Unis, la Turquie, l'Inde ou encore le Brésil, qui se fait de plus en plus pressante et parfois déloyale, constitue sans doute un facteur important dans la diminution de nos échanges. Mais pourquoi donc ? Les participations françaises, pourtant les plus anciennes et les plus généreuses, ne seraient-elles plus adaptées, pertinentes ni utiles ? Avons-nous, au cours du temps, laissé se dénaturer nos engagements au point de rendre invisibles à la grande majorité des citoyens de ces pays des contributions qui profitent pourtant à l'essor de leur économie ?
Oui, d'autres pays participent plus que la France à la construction d'infrastructures telles que des routes, des ponts ou des ports, qu'utilise quotidiennement le citoyen lambda. Faut-il donc revoir notre stratégie pour l'aligner sur ce schéma ? Peut-être faut-il aussi garder à l'esprit qu'il conviendrait d'associer davantage les pays d'Afrique à la lutte contre le réchauffement climatique, à la préservation de la biodiversité et à la limitation des émissions de CO
Nous devons également corriger l'image d'Épinal que les pays d'Afrique reçoivent de notre pays, car, si la France constitue une nation une et indivisible, elle n'en est pas moins plurielle et multiculturelle. En ce sens, il conviendrait de mettre à l'honneur les grands hommes qui façonnèrent l'histoire de la République. Je pense en particulier à feu le président du Sénat Gaston Monnerville, dont j'ai l'immense honneur de porter l'héritage en tant qu'élue du Lot. Ce digne homme d'État sut, avant tout le monde, par le discours qu'il tint dès le 21 juin 1933 sur l'esplanade du Trocadéro, dénoncer la condition des Juifs dans l'Allemagne nazie en la comparant avec le génocide des Héréros et des Namas perpétré en Namibie.
Reformulons donc nos propositions en adoptant une approche qui tienne compte de l'évolution moderniste des pays africains ainsi que des attentes d'une jeunesse connectée, avant-gardiste, à l'écoute du monde et de plus en plus consciente de la valeur de ses terres. Nous avons avec eux – mais pour combien de temps encore ? – la langue en partage et leur sommes attachés par de profonds liens culturels, sociaux, économiques et humains. Ces liens mutuels sont d'une valeur inestimable pour construire, en symbiose, un avenir commun, gage d'un développement fécond dans lequel nos entrepreneurs auront une place de choix en participant à un retour partenarial bien compris en faveur du tissu économique africain.
L'Afrique a besoin de nous et nous avons besoin de l'Afrique. Disons-le lui et soyons davantage attentifs à sa diaspora.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LR et Dem. – M. le président de la commission des affaires étrangères, applaudit également.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
Le continent africain est, pour la commission que je préside, une source d'attention constante et un sujet d'intérêt fondamental. Ne serait-ce que dans les dernières semaines, la commission des affaires étrangères a adopté pas moins de quatre rapports qui traitent, dans divers contextes, d'enjeux touchant à la relation de la France avec ce continent ou avec les pays qui en font partie.
Ainsi, le 8 novembre, la commission a adopté un rapport d'information, rédigé par Michèle Tabarot et Bruno Fuchs, sur les relations entre la France et l'Afrique. En plus de contenir un vocabulaire renouvelé et de nombreuses initiatives souvent bienvenues, ce rapport important appelle à l'établissement d'une offre stratégique plus horizontale avec les pays africains.
Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, plusieurs rapporteurs pour avis de notre commission ont établi leurs rapports en portant un regard spécifique sur certains enjeux de notre relation avec l'Afrique. J'en distinguerai trois. L'avis d'Élise Leboucher sur la mission "Aide publique au développement " est ainsi largement revenu sur l'enjeu – dont vous reconnaîtrez le caractère fondamental – que représente la santé maternelle et infantile dans les pays prioritaires de l'Afrique subsaharienne. L'avis d'Estelle Youssouffa sur l'action audiovisuelle extérieure dans le cadre de la mission "Médias, livre et industries culturelles " et du compte de concours financier "Avances à l'audiovisuel public " a, pour sa part, souligné combien il est crucial, dans le contexte d'une mise en cause multiforme de l'audiovisuel extérieur français, de le doter des outils propres à conforter le lien de confiance avec les publics africains. Enfin, l'avis de Frédéric Petit sur le programme 185, Diplomatie culturelle et d'influence, s'est attardé sur la dimension culturelle de la coopération avec l'Algérie. Relevant les attentes prononcées de la jeunesse algérienne en matière de culture, de francophonie, de mobilités étudiantes et d'échanges économiques, notre collègue a souligné que nous – Algériens comme Français – n'avions pas le droit de les décevoir.
Lors de mes propres déplacements en Côte d'Ivoire et au Sénégal, j'ai pu observer que la voix de la France, malgré toutes les difficultés que nous rencontrons, continue de porter avec force.
M'exprimant ici au nom de la commission des affaires étrangères, je ne parle ni en mon nom propre, ni au nom de mon groupe politique ; je crois tout de même possible d'affirmer que la politique africaine de la France doit poursuivre la triple révolution qu'elle a engagée. Cette révolution réside d'abord dans un changement de périmètre, car ce n'est pas seulement notre traditionnel pré carré hérité de l'époque coloniale, mais bien l'ensemble de l'Afrique qui doit mobiliser notre attention et notre action. Du Nigéria à la République du Congo, du Mozambique à la République d'Afrique du Sud, les grands acteurs de l'Afrique d'aujourd'hui et de demain n'ont pas, à ce jour, fait l'objet d'un investissement intellectuel et politique suffisant de notre part.
La deuxième révolution est celle des enjeux, car, comme le souligne le chef de l'État, la coopération économique, écologique, technologique et démocratique doit, bien davantage que les affaires militaires, être au cœur de notre relation future avec l'Afrique. Cela exige de notre part des investissements relationnels et cognitifs autrement plus massifs que ceux auxquels nous nous sommes habitués, voire résignés.
Enfin, il nous faut accomplir une révolution partenariale. À l'antique relation d'une puissance coloniale qui n'est plus et de ses anciens protégés se substitue progressivement le dialogue de deux continents trop proches pour n'être pas solidaires et trop engagés dans la création d'un avenir commun pour ne pas nouer une relation égalitaire.
Le XXI
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
La parole est à M. le président de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Je tiens à remercier le Gouvernement d'avoir organisé ce débat sur les partenariats renouvelés entre la France et les pays africains. Permettez-moi, pour commencer, de vous faire part d'une conviction : l'Afrique, berceau de l'humanité, est aussi son avenir. Sa dynamique démographique l'explique en grande partie, puisque le continent comptera 2,5 milliards d'habitants en 2050, soit un quart de l'humanité. L'Afrique est aussi en pleine mutation politique, écologique, technologique, économique et sécuritaire.
Les mutations africaines redessinent le monde et donc les conditions dans lesquelles nous devons déployer une politique utile à la France et à l'Europe comme à nos partenaires africains. Bien sûr, il serait plus facile et prudent de temporiser, mais rappelons-nous ce que disait le général de Gaulle en 1944 à Brazzaville : « Rien ne serait, en réalité, […] plus imprudent que cette prudence. »
En restant engagée auprès de ses partenaires, la France s'est toujours adaptée aux réalités changeantes de l'Afrique, pour être fidèle à sa vocation universelle au service des équilibres du monde, mais aussi pour veiller à la défense de ses intérêts. Nous avons notamment payé un prix élevé pour la sécurité du continent : depuis 1963, 255 de nos militaires sont morts pour la France en Afrique, dont 58 ces dix dernières années. En leur rendant hommage, je souhaite mettre l'accent sur l'importance de leur sacrifice pour la France, pour nos concitoyens et, plus largement, pour l'Afrique elle-même.
Nous pouvons être fiers de ce que nos armées ont réalisé ces dernières années au Sahel : elles ont protégé Sévaré, libéré Tombouctou, sauvé des soldats nigériens à Tongo Tongo, appuyé les Burkinabés pour reprendre l'hôtel Splendid. Toutes ces opérations ont été réalisées à la demande des pays concernés.
Depuis 2017, en complément de cette action de sécurité et à la suite du discours du Président de la République à Ouagadougou, plusieurs actes forts ont été réalisés. Les rapports de Benjamin Stora sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie et de Vincent Duclert sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis contribuent à l'apaisement courageux des mémoires. Le rapport de Bénédicte Savoy et Felwine Sarr ouvre la restitution du trésor d'Abomey au Bénin. Nous avons entrepris une réforme ambitieuse pour faire évoluer le franc CFA. Nous faisons preuve d'une plus grande ouverture envers les pays anglophones et lusophones. L'initiative Choose Africa…
…permet de dépasser un modèle épuisé d'aide au développement. Le sommet de Montpellier ouvre de nouvelles voies à nos relations avec les sociétés civiles africaines.
Cependant, réinventer la relation entre l'Afrique et la France est un travail de longue haleine, qui doit faire l'objet d'une évaluation permanente.
Un des questionnements importants concerne notre action militaire : la présence de forces prépositionnées, la coopération de défense, les modalités de nos opérations. C'est pourquoi la commission de la défense a lancé la semaine dernière un cycle de travail à ce sujet – je remercie les orateurs qui l'ont mentionné. Nos travaux, à périmètre continental, visent à replacer les enjeux de défense dans le cadre beaucoup plus large des mutations africaines en cours et de leurs impacts sur nos intérêts, que nous devons défendre. Notre objectif est de conclure ces travaux en début d'année prochaine. Bien entendu, nous nous appuierons sur les débats de ce jour ainsi que sur le rapport récent de Bruno Fuchs et de Michèle Tabarot.
Plus généralement, nous avons chacun la responsabilité de contribuer à bâtir des ponts avec l'Afrique, car comme l'écrivait Léopold Senghor, notre « tâche est d'éveiller [nos] peuple[s] aux futurs flamboyants ». Nos relations interparlementaires doivent y contribuer, afin de permettre à nos sociétés de se parler, de se comprendre et de construire un avenir commun. Ainsi, la France sera au rendez-vous de ses valeurs et de ses intérêts.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
Tout d'abord, je vous remercie pour la qualité et la pertinence de vos interventions et de vos observations. Je partage de nombreuses remarques, en particulier celles qui ont été faites sur l'importance de la diplomatie parlementaire et de la coopération entre nous.
Je note aussi que, lorsque nous prenons le temps de nous pencher sur nos relations avec l'Afrique de façon approfondie, comme nous l'avons fait aujourd'hui, nous parvenons assez souvent aux mêmes conclusions.
D'abord, nous sommes tous d'accord sur l'importance croissante qu'aura le continent africain dans les années à venir, qu'a notamment soulignée le président Bourlanges.
Nous nous accordons également sur les atouts dont dispose la France ainsi que sur la nécessité de consolider nos relations avec nos partenaires africains et d'investir dans toute l'Afrique. M. le président Bourlanges a demandé un changement de périmètre, tandis que Mme Le Hénanff a soutenu que nous ne devions pas réduire l'Afrique à ce qu'elle a été souvent dans nos représentations : elle n'est pas – elle n'est plus, en tout cas – un terrain de compétition ou de rente, et nous voyons beaucoup plus large.
Je constate aussi un consensus sur la nécessité de mettre davantage en avant la jeunesse et les sociétés civiles du continent, de travailler davantage avec les diasporas. Je salue à cet égard les utiles rappels faits par Amélia Lakrafi et Sophie Errante. Vous le savez, c'est la grande priorité de notre politique à l'égard des pays africains depuis le discours de Ouagadougou de 2017, qui voit l'Afrique comme elle est, c'est-à-dire diverse, et non pas en bloc, madame Le Pen.
Nous continuerons de suivre cette voie. Merci, madame Tiegna, de votre témoignage optimiste ; il en faut. J'ai particulièrement apprécié que ce soit vous qui le souteniez.
Ce n'est évidemment pas un péché originel que de chercher à développer une plus grande intimité avec les sociétés africaines. Je voudrais rassurer la rapporteure Tabarot : nous ne nous contentons pas de mener une politique exclusivement culturelle, mais nous avons multiplié les investissements économiques et nos entreprises sont beaucoup plus présentes qu'auparavant – je l'ai rappelé, comme d'autres orateurs l'ont fait ensuite.
Je note aussi les nombreuses remarques concernant la nécessité de mieux communiquer sur ce que nous faisons en Afrique, sur les réussites de nos coopérations civiles, sur nos partenariats avec les sociétés civiles et sur certaines de nos faiblesses – je dois aller jusque-là. Comme beaucoup ici, je partage le constat de Mme Tabarot. C'est pour cela que j'ai augmenté les ressources humaines du ministère pour ce qui concerne l'Afrique – je réponds aux remarques de M. Dupont-Aignan sur ce point. Pour la même raison, comme je l'ai déjà souligné, nous avons augmenté le budget dédié à la communication de nos ambassades en Afrique.
Plus largement – c'était ô combien nécessaire –, nous avons décidé d'accroître les moyens consacrés à la diplomatie publique. Vous avez raison : nous devons être plus visibles, assumer nos réussites et le fait que nous avons des intérêts, sans fausse modestie.
Je constate aussi un certain consensus sur la nécessité d'être plus offensifs pour combattre la désinformation et les attaques antifrançaises. Je salue les propos de la députée Darrieussecq sur ce sujet. Il est vrai que nous n'étions pas confrontés à ces phénomènes par le passé. C'est un défi nouveau auquel nous nous adaptons. Nous avons créé un dispositif interministériel de veille et de riposte sur les réseaux sociaux, qui est monté en puissance ces derniers mois. C'était nécessaire car les attaques informationnelles – certains d'entre vous ont mentionné à raison le rôle de la Russie – se multiplient ; nous les combattons déjà beaucoup plus efficacement et plus rapidement, même si nous souhaitons progresser encore. Quoi qu'il en soit, le cap est fixé et nous poursuivrons nos efforts dans ce domaine.
Je partage aussi celles de vos remarques qui soulignent la nécessité de renforcer nos liens avec l'Afrique tout entière, pas seulement francophone. Soyez assurés qu'il s'agit d'une de nos priorités. Comme Mme Lakrafi, je l'ai rappelé dans mon propos introductif : l'Afrique compte cinquante-quatre pays, nous avons des atouts partout et nous devons en jouer.
Le Président de la République est allé dans des pays qui sortent clairement de l'ancien champ africain de la France, comme l'Angola, le Kenya, l'Éthiopie, le Nigéria ou l'Afrique du Sud. Je me suis moi-même rendue dans certains de ces pays avec Mme Lakrafi. Nous développons des partenariats positifs avec nombre d'entre eux.
Certains d'entre vous ont mentionné la suspension de notre aide au développement au Sahel, mais je voudrais préciser de nouveau les choses, comme je l'ai déjà fait tant et tant de fois. Si nous avons suspendu nos projets d'aide au développement, nous n'avons évidemment pas suspendu l'aide humanitaire, notamment celle qui passe par les ONG. De même, nous avons maintenu notre coopération universitaire et culturelle. Nous continuons de soutenir la société civile malgré toutes les difficultés.
Les artistes, les étudiants et les chercheurs sont les bienvenus. C'est ce qui a permis – je remercie M. Ledoux de l'avoir mentionné – que le grand chanteur malien Sidiki Diabaté puisse se produire vendredi dernier à l'Accor Arena de Bercy devant plus de 20 000 personnes. C'est bien la preuve qu'il est accueilli et apprécié en France.
Vous avez été nombreux à évoquer la question délicate des visas, notamment le rapporteur Fuchs et la députée Pic. Nous avons tous conscience que, dans nombre de pays, la hausse de la demande après le covid a entraîné un engorgement temporaire – je l'espère – de nos services consulaires. De fait, dans la plupart des pays où nous avions des difficultés, elles sont en voie de résolution. Nous n'avons toutefois pas jugé suffisant de nous arrêter là, mais nous avons pris des mesures pour adopter un meilleur traitement des demandes de visa.
Nous avons demandé un rapport sur la politique des visas à M. Paul Hermelin, qui a reçu l'aide de l'inspection générale des affaires étrangères et de l'inspection générale de l'administration. Nous avons donc lancé ce chantier de fond pour repenser notre politique de visas, mieux combiner l'objectif d'activité et la lutte contre l'immigration illégale.
J'ai entendu des critiques sur un prétendu double standard s'agissant des coups d'État. Je veux être très claire, d'autant que certains ont jugé que nous ferions preuve de trop de subtilité. Au Niger, au Tchad et au Gabon, la France agit selon un principe simple : nous ne nous substituons pas aux organisations régionales. Nous n'avons pas à juger des affaires internes des pays africains avant eux, mais nous soutenons les organisations régionales lorsqu'elles luttent pour la démocratie.
Au Niger, c'est la Cedeao qui est en première ligne. Faut-il rappeler que c'est elle, et non la France, qui a décidé des sanctions ?
Au Tchad, auquel M. Taché s'intéresse particulièrement, ce sont l'Union africaine et la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC) qui ont accepté un schéma de transition dans un souci de stabilité. Nous avons soutenu cette transition – et non une succession, selon un raisonnement que vous connaissez. Croyez-moi, nous passons des messages fermes et clairs aux autorités de transition pour qu'elles agissent conformément à leurs engagements.
Nous avons notamment condamné les violences contre les manifestants en octobre 2022 mais je salue – car il y a aussi des événements positifs que nous ne devons pas vous cacher – le retour au Tchad, il y a quelques semaines, de l'opposant Succès Masra, qui constitue un signal d'ouverture encourageant.
Au Gabon, qui a été évoqué, il ne nous revient pas non plus de nous substituer à l'Union africaine et à la CEEAC qui sont les organes compétents. Il revient à ces organisations de s'exprimer à ces sujets ; nous venons simplement en appui.
Enfin, il n'y a pas non plus deux poids, deux mesures, dans les Grands Lacs, monsieur Le Gall.
La France condamne sans ambiguïté l'offensive du mouvement M23, la présence de soldats rwandais en RDC, tout en appelant les deux parties à la désescalade. Je vous ai dit, dans mon propos introductif, que je l'ai encore fait hier et aujourd'hui auprès des deux parties.
La réforme du franc CFA a été évoquée, notamment par Mme Errante.
J'en ai parlé aussi, mais Mme la ministre ne cite que les députés de la majorité ; elle ne connaît pas les autres !
Je remercie particulièrement Mme Le Hénanff d'avoir présenté la réforme déjà ancienne du franc CFA en 2019. Nous avons mis fin aux réserves de change placées auprès du Trésor français et la France s'est retirée des instances de gouvernance.
Monsieur Lecoq, vous vous étiez exprimé comme M. Le Gall : faut-il rappeler que la France ne tire aucun bénéfice du franc CFA alors qu'elle joue un rôle utile et apprécié de ces pays, comme garante de la convertibilité de leurs monnaies ?
Madame Youssouffa, nous parlons souvent en commission du sujet qui vous importe. Soyez assurée une nouvelle fois que la diplomatie française défend activement Mayotte, son appartenance à la France et son rayonnement régional ; et qu'elle le fait depuis bientôt trente ans.
Les positions exprimées aux Nations unies en témoignent. Je suis sûre que nous poursuivrons les discussions sur ce sujet en commission.
Enfin, je voudrais revenir sur les critiques concernant de prétendus comportements arrogants, condescendants ou paternalistes, venant de quelques-uns d'entre vous, notamment de M. Le Gall mais aussi de votre rapporteur.
Si de tels comportements qui ont existé par le passé existent encore, il est évident qu'ils ne sont pas de mise. Ils sont inadmissibles. Comme dans toutes les régions du monde, nous devons nous comporter avec nos partenaires africains avec respect et humilité, le cas échéant, en faisant preuve d'écoute et en considérant que nous sommes égaux. En effet, nous recherchons un partenariat d'égal à égal, gagnant-gagnant.
On pourrait résumer cela d'une formule simple : nous devons nous comporter en Afrique comme nous le faisons partout dans le monde. C'est ce que nous cherchons à faire.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Je reprendrai quelques points du débat – puisque c'en est un, alors autant débattre –…
…en commençant par remercier Michèle Tabarot et Bruno Fuchs pour leur rapport, qui a servi de base à la plupart des interventions des uns et des autres.
Certains, un peu taquins, ont fait remarquer que les débats sur l'Afrique étaient rares et que c'était un domaine réservé. Je ne peux néanmoins m'empêcher d'observer, comme je le faisais au Sénat à l'époque où j'y siégeais, que lorsqu'un débat sur l'Afrique est organisé, les hémicycles ne font pas le plein, tant s'en faut. C'est arrivé au Sénat et c'est de nouveau le cas aujourd'hui ; je n'en veux à personne mais je rappelle simplement, patriotiquement, que ces débats sont observés. Quelle que soit la teneur des discours, ce n'est pas envoyer un bon signal que de venir si peu nombreux. Merci, donc, aux présents et à celles et ceux qui restent jusqu'au bout pour nous écouter.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
La présidente Le Pen a évoqué des mouvements tectoniques profonds ; tout dépend de quoi on parle. Depuis l'époque des mouvements de libération, des déclarations d'indépendance et, pour ce qui me concerne, depuis la signature des accords de défense, l'instabilité politique, malheureusement, domine : 150 coups d'État ont eu lieu en Afrique – dont beaucoup en Afrique francophone – et nous continuerons hélas de constater cette réalité tant que d'autres mécanismes de consolidation des démocraties africaines ne seront pas établis.
Vous dites d'ailleurs, et je vous en remercie, madame Le Pen, qu'il faut respecter la souveraineté des États et éviter les ingérences. Ainsi, la boucle est bouclée : après un coup d'État, comme au Mali, lorsque la nouvelle junte annonce que la lutte contre le terrorisme n'est plus sa priorité et qu'elle choisit comme partenaire le groupe Wagner plutôt que l'armée française, alors on s'en va – c'est l'application du principe de respect de la souveraineté et de non-ingérence. En d'autres temps, à une époque plus gaullienne – je parle en toute prudence –, on aurait sans doute eu tendance à mener des opérations destinées à constituer une offre politique différente avec d'autres méthodes, pour dire les choses pudiquement.
Cela veut aussi dire, si l'on va jusqu'au bout du raisonnement, qu'en cas de coup d'État au Mali ou au Niger, je ne vois pas en quoi c'est la faute de la France – d'aucuns diraient même la faute du Président de la République. Convenons-en : ce n'est pas la République française qui organise les coups d'État ou les contre-coups d'État en Afrique !
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Quant à la durée des interventions militaires et au prépositionnement des bases, il faut accepter qu'en vertu de nos accords de défense, les forces armées stationnent ou interviennent parfois dans des environnements politiques instables – mais ce n'est pas un scoop.
Mouvements tectoniques, avez-vous dit : selon moi, la situation actuelle se caractérise par une concomitance des risques. Depuis les mouvements d'indépendance, menés dans le contexte de la guerre froide, les intrusions et ingérences de puissances étrangères ont été nombreuses. Les historiens l'ont bien documenté : l'URSS, par exemple, agissait contre les intérêts français dans ses ex-colonies, et intervenait aussi en Afrique anglophone et lusophone. Après la chute du mur de Berlin et la dissolution du Pacte de Varsovie, l'actualité internationale a été plus stable, hormis les coups d'État que j'ai mentionnés.
Merci, monsieur le premier secrétaire du parti communiste, je l'ai en effet rappelé à l'instant. C'est la lutte antiterroriste qui a ensuite monopolisé l'actualité et les ingérences des grandes puissances ont diminué – et pour cause.
Depuis le début de la guerre que Vladimir Poutine mène contre l'Ukraine, nous sommes confrontés à une double difficulté : le retour de la compétition entre grandes puissances et le risque terroriste. Vous avez donc raison de parler de tectonique des plaques. Pour la première fois, le continent africain est confronté à un terrible risque sécuritaire endogène, le terrorisme islamiste, bien souvent mêlé à des nationalismes locaux ou tribaux, auquel vient s'ajouter l'exploitation – pour ne pas dire la manipulation – de l'opinion par de grands compétiteurs qui œuvrent contre les intérêts français. Il faudra documenter ce phénomène, y compris en tirant les conclusions du rapport Fuchs-Tabarot, car c'est tout notre appareil d'État – civil sous l'autorité de la ministre, militaire sous la mienne – qui y sera confronté. Ne nous payons pas de mots : c'est un défi, et nous devrons le relever ensemble.
Quant au sentiment antifrançais que plusieurs d'entre vous ont évoqué, notamment celles et ceux – je les salue – qui se rendent souvent en Afrique parce qu'ils représentant nos concitoyens établis hors de France, il doit lui aussi être bien documenté car, souvent, il est organisé – je pense encore une fois à nos grands compétiteurs. Je ne prétends pas que tout ce que nous faisons est formidable, mais à lire certains articles de presse qui montrent à peine trente ou quarante personnes payées pour se rassembler devant une ambassade française avec deux drapeaux russes à la main, articles dont on tire à la hâte des conclusions définitives, je trouve que c'est tomber un peu trop vite dans le panneau ! Il faut donc savoir raison garder et confronter les décisions prises à Paris avec la réalité de la compétition entre puissances.
Monsieur le député Lecoq, chacun sait qu'il n'y a aucune ingérence de Moscou depuis plusieurs décennies, n'est-ce pas ? Nos services constatent et documentent de la désinformation sur les réseaux sociaux et il n'est pas question de mettre en cause leur travail. Je vais maintenant être plus rapide sur mon deuxième point.
Sourires.
On ne pourra donc pas dire que sous cette législature, c'est l'exécutif qui refuse de débattre sur l'Afrique…
Sourires.
Je ne voulais pas vous presser, monsieur le ministre, mais nous avons une autre séance qui commence à vingt et une heures trente.
Je termine rapidement, madame la présidente. Je me réjouis que le sacrifice de nos soldats ait été mentionné sur tous les bancs – cela n'a pas toujours été aussi clairement le cas. Quelles que soient nos orientations politiques, il faut en effet penser aux familles des soldats. Nous avons une armée d'emploi : pour que nos soldats continuent de risquer leur vie quand le pouvoir politique leur en donne l'ordre, il faut éviter de redessiner a posteriori les contours d'opérations passées. J'avais réagi vivement cet été lorsqu'un sénateur avait évoqué l'échec militaire de Barkhane. Ce n'est pas vrai, Barkhane n'a pas été un échec militaire ou tactique. Si quelqu'un prétend le contraire, qu'il nous le démontre. Que les décisions politiques entourant cette opération aient ou non été satisfaisantes, c'est un autre débat, mais je me réjouis au moins que ce soir, chacun ait clairement salué nos soldats – pour un patriote, c'est précieux.
Troisième point : Mme Lakrafi a évoqué le rôle complet des armées, qui dépasse les questions sécuritaires – je pense notamment au service de santé des armées, qui est parfois le seul à pouvoir intervenir dans certaines zones pour prodiguer des soins tant aux populations locales qu'aux Français de l'étranger. Tout cela figure dans la loi de programmation militaire.
Barkhane, ensuite : le temps manque pour lancer un grand débat sur cette opération mais j'entends les critiques faites a posteriori. En écoutant le débat, cependant, ce qu'il aurait fallu faire ne me semble pas si évident. Pour la présidente Le Pen, il faut éviter les ingérences ; ce fut clairement le cas. L'opération a sans doute duré trop longtemps, nous dit-on aussi : je comprends cet argument, mais mettre un terme à l'opération Barkhane pendant les opérations de lutte contre le terrorisme aurait signifié abandonner tout le Mali – ou, du moins, nombre de ses habitants – à une mort certaine. Cela soulève la question de la nature même de ces opérations : dès lors qu'on combat à la place du partenaire, et non plus à ses côtés, la décision de débrancher l'opération – quel que soit le Président de la République, puisqu'en l'occurrence l'opération elle-même a été décidée par le président Hollande, et non le président actuel –, a pour effet qu'on nous reproche d'abandonner ledit partenaire – ici, le Mali – aux groupes armés et de livrer sa capitale aux terroristes. Convenons-en tous : la difficulté que nous avons eue tient au fait que l'armée française a fini par faire le travail à la place des forces armées maliennes.
Est-ce un problème politique ? Oui, on peut le dire, mais il faut considérer la situation dramatique dans laquelle se trouve le Mali. Je pense aux tweets concernant la reprise de Kidal et aux pratiques de la guerre informationnelle : sur ce point, gardons notre calme : les armées maliennes et le groupe Wagner n'ont fait que reprendre non pas la ville mais le camp de Kidal et, de surcroît, sans combats.
Malheureusement, la situation dans le Sahel parle – tristement, dramatiquement – pour le bilan de la France. Sur cela aussi, nous pourrons revenir.
J'accélère : la formation, peu évoquée dans le débat, est consensuelle. En ce qui concerne l'armement, on ne peut pas refuser d'intervenir à la place de nos partenaires et laisser leurs armées s'en charger tout en refusant dans le même temps de leur vendre du matériel – ce que d'autres feront à notre place, comme l'a rappelé Mme Tabarot en évoquant la Turquie. En matière d'armement, la France est attendue. Le Sénégal, par exemple, futur producteur d'hydrocarbures, sera bientôt exposé à des risques terroristes importants. Soit on agit aux côtés de nos partenaires, soit on agit à leur place – ce n'est pas l'ordre du jour –, soit on leur permet d'agir. Dans ce dernier cas, ils doivent pouvoir atteindre un certain niveau d'équipement, ce qui pose la question des prix et des modèles économiques que doit proposer la BITD aux pays africains.
Je le dis sans ambages : je suis le ministre de tutelle des industries de défense et je les aime, mais pendant des années, le marché africain ne les a pas intéressés. Depuis un an, je leur ai expressément demandé de développer une offre spécifique pour les pays africains, y compris avec le Trésor, en particulier sur le segment terrestre, les drones et la lutte antidrones mais aussi le cyber – car les infrastructures numériques des pays africains sont parfois très fragiles.
Enfin, je sais que certains députés, dont M. Ben Cheikh, souhaitaient aborder les stratégies d'accès aux ports et aux aéroports pour mener des évacuations de ressortissants en cas de crise – je pense à l'évacuation de Khartoum au Soudan. La coordination stratégique des différents partenaires est en cours.
Les organisations régionales apportent quant à elles un accompagnement plus politique que militaire. Les forces de ces organisations n'ont jamais vraiment été opérationnelles.
Je voudrais conclure en rappelant la dimension européenne de ces questions – un sujet intéressant à l'approche des élections européennes. Ne nous méprenons pas, monsieur Dupont-Aignan : j'ai beau ne pas toujours être le plus europhile de la majorité, je ne vois pas pourquoi le fardeau de la sécurité en Afrique ne reposerait que sur les épaules des Français.
On critique souvent la task force Takuba. L'objectif était d'inciter les armées européennes à se rendre sur le continent africain et à y « apprendre » – pardon pour ce terme désobligeant – le théâtre africain. Puisqu'il s'agit de lutter contre les risques terroristes et les risques migratoires connexes, tout l'effort ne doit pas incomber à l'armée et au contribuable français ; les Espagnols, les Italiens, les Allemands ou encore les Estoniens – comme l'a dit la ministre – peuvent y prendre leur part. Tel est l'esprit qui a inspiré la création de Takuba : il n'était pas seulement question de dire qu'on agit en Européens – cela aurait été un peu court – mais aussi que si tous les Européens sont concernés par ces risques, il n'y a aucune raison de ne pas partager l'effort.
Pardon, madame la présidente, d'avoir été trop long.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
Au contraire, ce débat était très intéressant. Merci à tous d'y avoir participé.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion de la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures quinze.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra