Ce néoconservatisme, qui consiste à faire passer les intérêts de l'Occident avant le droit international, rejaillit aujourd'hui avec le soutien inconditionnel aux massacres d'Israël en Palestine, nous entraînant droit dans une logique mortifère de guerre des civilisations.
Cette même idéologie a conduit au désastre en Afrique de l'Ouest. Le Sahel, confronté au fléau de l'extrême pauvreté, a dû faire face aussi à celui du terrorisme. Or, pour l'éradiquer, nous avons calqué l'effroyable grille de lecture de la droite américaine et les schémas importés de la croisade des États-Unis au Moyen-Orient, parfaitement inadaptés au maintien de la sécurité dans la région.
À systématiquement chercher à rattacher les djihadistes du Mali ou des pays voisins à des organisations comme Al-Qaïda ou l'État islamique, nous avons sous-estimé les dynamiques locales et sociales qui conduisaient à la constitution de ces groupes. Cela nous a amenés à refuser tout dialogue avec eux et à privilégier une approche ultramilitarisée faisant fi des enjeux de développement et laissant de côté les dimensions économique et politique, pourtant indispensables au dénouement de ces crises. Les années passant, les objectifs de nos armées devenaient de moins en moins clairs tandis que le ressentiment des populations à notre égard grandissait, nous désignant comme des cibles de plus en plus indiquées pour des gouvernants qui n'arrivaient plus à convaincre de la justification de notre présence et que nous n'entendions pas quand ils disaient que nous étions stratégiquement dans l'impasse.
La suite, nous la connaissons. Le 18 août 2020, des putschistes chassent le président Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, de Bamako, avant d'être imités, le 30 septembre 2022, au Burkina Faso. Leur première décision sera de congédier nos armées auxquelles ils préféreront les terribles milices de Wagner. Car ces nouveaux gouvernants, aidés notamment par la Russie de Vladimir Poutine, nourrissent encore plus le rejet de l'État français. Incapables d'apprendre de nos erreurs, nous avons failli répéter ce scénario au Niger, où l'intervention de la France a dû être empêchée par le président Bazoum lui-même.
Peut-être est-il temps de reconnaître les limites de notre approche expansionniste. La stratégie du ministère des armées, telle qu'elle est présentée aujourd'hui, semble obéir à une logique moins verticale et plus intégrée, en lien avec les organisations locales de la région. Je renvoie à l'exemple mauritanien, le G5 Sahel perdurant grâce à ce pays.
Nous devons repenser notre présence en Afrique dans une perspective radicalement élargie, du point de vue de son champ comme de sa logique, en intégrant un véritable soutien à l'expression démocratique ainsi qu'à la défense de l'environnement et des droits humains. En somme, nous devons tenir les promesses de Ouagadougou, car leurs intentions étaient louables. Certaines d'entre elles ont d'ailleurs été tenues partiellement, à l'image de l'augmentation de l'aide publique au développement, même si une partie de la programmation a été détricotée cet été par un comité de hauts fonctionnaires. Nous devons évaluer l'aide publique au développement telle qu'elle est prévue par la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales – c'est d'ailleurs ce que propose le président Bourlanges.
Au Sahel, nous payons aussi les conséquences du démantèlement de notre outil diplomatique pendant trois décennies. Vous dites, madame la ministre, que vous souhaitez le réarmer durablement. J'en prends acte mais, en la matière, nous ne pouvons pas nous contenter des promesses présidentielles : une loi de programmation est nécessaire.