La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
Suite de la discussion d'une proposition de loi
Cet après-midi, l'Assemblée a commencé l'examen des articles, s'arrêtant à l'amendement n° 45 à l'article 1er .
La parole est à M. Jérémie Iordanoff, pour soutenir l'amendement n° 45 .
Il s'agit d'un amendement de repli. Nous plaidons pour l'exclusion des procédures administratives du champ de l'application de cette loi. Les pouvoirs d'enquête et de contrôle de l'administration ne sont pas optionnels, ils sont même indispensables à la découverte des pratiques illicites des entreprises.
C'est bien souvent grâce aux enquêtes administratives que les poursuites pénales peuvent être déclenchées. Or ce texte prive toute une série d'acteurs des moyens de mener à bien leur mission – les inspecteurs du travail, les agents en charge du respect des normes sanitaires ou ceux qui mettent en œuvre le droit de l'environnement, par exemple. Il est impératif de sauvegarder ces pouvoirs d'investigation.
La parole est à M. Jean Terlier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour donner l'avis de la commission.
Nous avons déjà eu le débat, mais cet amendement est le premier d'une série, avec plusieurs variantes. Nous avons trouvé un équilibre, satisfaisant, que je ne souhaite pas modifier : il faut préserver la confidentialité des consultations dans les matières civiles, commerciales et administratives, en excluant les matières les plus sensibles – le fiscal et le pénal.
Vous évoquez le cas des autorités administratives. Nous avons prévu des garde-fous afin qu'elles puissent demander la levée de la confidentialité quand elles ont un doute sur le fait qu'une consultation juridique présente tous les critères d'une véritable consultation juridique.
Lors de cette contestation, la consultation dont on conteste la confidentialité peut être mise sous scellés grâce à l'intervention d'un commissaire de justice. L'équilibre auquel nous avons abouti, qu'il s'agisse du périmètre ou de la procédure me semble donc satisfaisant. Avis défavorable.
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l'avis du Gouvernement.
L'amendement de M. Iordanoff vise à rendre inopposable le dispositif envisagé en matière administrative, ou en cas de demande d'une autorité administrative française ou étrangère.
Je comprends votre souci de préserver l'efficacité des enquêtes et des contrôles des autorités administratives, et je le partage, mais votre amendement ne se justifie pas ; j'y suis opposé.
Le mécanisme prévu permet, tant par son objet que dans ses modalités, de préserver l'efficacité des contrôles administratifs. En effet, la confidentialité ne concernera que l'analyse juridique du juriste, mais aucun autre document de l'entreprise – comment le dire plus clairement ?
Les autorités administratives pourront donc saisir l'ensemble des documents sur lesquels le juriste a fondé sa consultation. En outre, elles pourront toujours saisir un juge pour obtenir, le cas échéant, une levée de la confidentialité, les documents étant conservés et scellés par des commissaires de justice.
Réduire le champ d'application de la confidentialité, déjà strictement encadré par rapport à certains modèles étrangers, risquerait de mettre en péril l'objectif de cette réforme – renforcer l'attractivité de la France et faire de nos juristes de véritables acteurs de la politique de conformité de leur entreprise.
Enfin, en matière pénale et fiscale, il est toujours possible d'obtenir les documents nécessaires à une enquête en cours. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est évidemment défavorable à votre amendement.
Cet amendement est pourtant très intéressant et pose les bonnes questions sur la transparence et la conformité auxquelles doit se soumettre l'entreprise.
Nous qui aimons les entreprises savons à quel point elles s'appuient sur les exigences de conformité pour dépasser leurs concurrentes. Aucune entreprise ne m'a demandé de travailler sur la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise !
Le rapporteur évoque un dispositif équilibré. Je ne sais pas si c'est le cas, mais il est compliqué ! Est-ce l'instinct qui va guider l'autorité administrative quand elle demandera la levée de la confidentialité de la consultation du juriste ?
En outre, je vous alerte : il s'agit d'une nouvelle procédure. Or nous savons à quel point nous devons tout faire pour éviter l'encombrement des tribunaux.
Comment les autorités administratives pourront-elles suspecter un dispositif déficient si elles ne peuvent y avoir accès ?
Enfin, il faut disposer de documents pour entamer une procédure au pénal. Or votre construction empêche les autorités administratives d'avoir accès à ces documents ! C'est pourquoi nous considérons que le dispositif n'est sans doute pas suffisamment équilibré, contrairement à ce que vous affirmez.
Vous estimez que les autorités de contrôle ne disposeront pas des documents nécessaires aux contrôles. Mais ce n'est pas vrai.
Quelle est leur préoccupation essentielle ? Il s'agit d'éviter que les documents sur lesquels porte la confidentialité soient éventuellement altérés et de pouvoir faire un tri préalable – c'est la fameuse boîte noire.
La proposition de loi dispose que les autorités pourront confier, en présence des juristes d'entreprise, les documents couverts par la confidentialité aux commissaires de justice ; ainsi, les risques d'atteinte à l'intégrité des documents et de divulgation des pièces seront écartés.
Les difficultés que vous évoquez n'existent pas, et votre amendement n'a pas lieu d'être.
L'amendement n° 45 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Alexandra Masson, pour soutenir l'amendement n° 30 .
Dans le cadre d'un procès, les parties ne sont pas des tiers comme les autres. Le présent amendement vise à préciser qu'à l'instar des autorités administratives françaises ou étrangères, les parties au procès ne peuvent se prévaloir du litige, voire provoquer un litige, pour exiger la levée de la confidentialité.
Il s'agit bien de viser les tiers au document et non pas des tiers à la procédure. Il serait illogique d'opposer la confidentialité à des tiers à la procédure, et pas aux autres parties. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
L'amendement n° 30 , ayant reçu un avis défavorable du Gouvernement, est retiré.
La parole est à Mme Béatrice Roullaud, pour soutenir l'amendement n° 84 .
Cet amendement vise à modifier l'alinéa 14, qui dispose que la confidentialité n'est pas opposable dans le cadre d'une procédure pénale ou fiscale, afin d'étendre l'inopposabilité à toute procédure.
En effet, il n'y a aucune raison de limiter l'inopposabilité aux seules procédures pénales et fiscales. C'est une question d'équité et de respect du droit, puisqu'un procès doit être équitable conformément à l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH). Les justiciables doivent donc bénéficier des mêmes droits devant les juridictions, notamment le respect du contradictoire, cher à nos institutions.
Exclure les procédures civiles, commerciales, prud'homales et administratives du dispositif porte une atteinte grave au principe du droit de la preuve en privant les justiciables – consommateurs ou salariés par exemple – de la possibilité de rapporter la preuve des agissements qu'ils dénoncent ou contestent.
L'adoption de cet amendement viderait la proposition de loi de sa substance. Avis défavorable.
L'amendement n° 84 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il vise à restreindre le périmètre des cas où l'on peut opposer le principe de confidentialité. En l'état, il n'y a qu'en matière fiscale et pénale qu'il ne peut être opposé : dans ces domaines, les documents doivent être transmis sans délai.
Au fil de nos échanges en commission, nous nous sommes rendu compte que la confidentialité pouvait également soulever des interrogations en matière administrative – pour les autorités administratives indépendantes (AAI) –, en matière environnementale, commerciale – l'Autorité de la concurrence (ADLC) étant également concernée – et prud'homale – il serait inéquitable d'opposer la confidentialité à des syndicats qui ont besoin d'accéder à des documents dans le cadre d'un procès. Nous avons donc amendé le texte pour prendre en compte ces domaines. En définitive, on se demande bien quelle utilité cette disposition peut avoir, si ce n'est éviter d'avoir à transmettre des documents dans le cadre d'un contentieux d'intérêt général, régi par la loi.
Dans le courrier que nous avons déjà évoqué, l'Autorité des marchés financiers (AMF) rappelle que les obstacles posés en matière administrative auront des conséquences en matière pénale, puisque c'est le contrôle administratif qui permet de lever des lièvres et d'enclencher une procédure pénale. Vous avez donc beau jeu de nous dire qu'on ne pourra pas opposer la confidentialité en matière pénale : le commencement de l'action publique, l'enquête administrative, sera bien empêché.
Lors de la discussion de la motion de rejet, nous avons alerté sur le fait que le principe de confidentialité était susceptible de créer un déséquilibre entre les grandes et les petites entreprises. Ces dernières ne peuvent en effet se doter d'un service juridique et sont parfois subordonnées à une autre entreprise dans le cadre de la sous-traitance. Cette loi ne doit pas créer d'écart de droits : nous proposons d'exclure du périmètre de la confidentialité les analyses commerciales que les juristes d'entreprise produisent dans le contexte d'un conflit entre entreprises.
Nous vous présentons une variation d'amendements autour du même thème, dans l'espoir d'arriver à un périmètre convenant à tous. Nous vous proposons ici d'exclure du champ de la confidentialité le domaine administratif dans son ensemble, et pas seulement ce qui relève des autorités administratives indépendantes. Elles ont leur importance et nous défendons leurs prérogatives et leur périmètre d'intervention – si elles avaient un peu plus de moyens, ce serait encore mieux. Elles ne constituent cependant pas l'ensemble du domaine administratif : l'Inspection du travail, par exemple, se verra-t-elle opposer le principe de confidentialité des consultations de juristes d'entreprise ? C'est un cas de figure intéressant.
Vous nous dites que l'exclusion du périmètre de la confidentialité des matières pénale et fiscale est suffisante. Pour le reste, prétendument moins important, vous créez une nouvelle procédure ad hoc, sur laquelle nous reviendrons, alors qu'il en existe déjà ! Vous voulez rendre l'accès à ces pièces difficiles, assumez-le fièrement ! Vous pourriez défendre avec panache votre texte, et dire que l'obligation de fournir l'ensemble des documents en cas de contrôle par une autorité administrative indépendante ou par l'Inspection du travail constitue une rigidité pour la compétitivité de nos entreprises ; que vous voulez pallier ce genre de difficultés, qu'après tout les entreprises n'ont pas à tout dévoiler sur la place publique. Mais vous préférez cacher l'objectif réel de votre texte. Si d'aventure ces amendements n'étaient pas adoptés – on verra le rapport de force dans l'hémicycle le moment venu –, nous aurions au moins fait la lumière sur vos intentions : les sages du Conseil constitutionnel ne pourront pas ignorer les arguments que nous aurons égrainés au cours du débat.
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l'amendement n° 19 .
Nous en revenons à la matière commerciale. Loin de moi l'idée de prêter des idées tordues à certains, mais prenons un exemple concret, celui d'une société qui fabriquerait des médicaments. Conseillée par des juristes d'entreprise, elle déciderait d'organiser la pénurie d'un médicament pour pouvoir augmenter son prix unitaire et donc ses bénéfices.
Cela s'est déjà vu ! Il faut pouvoir enquêter sur ce genre de pratiques avant d'atteindre le stade pénal, puisque pour ouvrir une enquête judiciaire, il faut avoir eu accès aux documents qui prouvent qu'il s'agissait d'une stratégie d'entreprise. Il est donc indispensable d'exclure les aspects commerciaux du champ de la confidentialité.
J'espère que les collègues prennent bien note de la spécificité de chaque amendement.
L'amendement n° 21 porte sur la matière environnementale, qui n'est pas étrangère à nos discussions sur la portée de l'intérêt général. Je n'évoquerai pas l'A69 pour ne pas mettre en difficulté le rapporteur.
…de construire une mégabassine en sachant qu'il faudra contrevenir à des règles et que cela empêchera certains riverains d'avoir de l'eau. Le projet est lancé et ces échanges placés sous le sceau de la confidentialité. S'il y a ensuite un contrôle administratif visant à déterminer si on a porté atteinte au droit de l'environnement, les enquêteurs des autorités de police administrative ne pourront pas accéder aux documents. Vous avez beau jeu de nous dire qu'ils pourront demander la levée de la confidentialité : il faudra d'abord prouver que les documents en question ont un intérêt pour l'enquête administrative. Mais comment prouver l'intérêt de ces documents sans y avoir eu accès ? C'est le serpent qui se mord la queue !
Rien ne concourt à aider les enquêteurs à faire la lumière, mais tout contribue à les en empêcher ! Or le contentieux environnemental est en plein développement et, au vu du réchauffement climatique, on doit progresser en la matière et ne pas se contenter du statu quo. Ce n'est pas le moment de donner des outils à des entreprises potentiellement malveillantes, qui cacheraient des informations pour qu'on ne puisse pas retenir l'élément intentionnel si leur dirigeant commet une infraction.
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l'amendement n° 17 .
…a une unique visée : réintégrer dans le périmètre ouvert aux investigations les différents aspects de l'activité d'une entreprise. Ici, il s'agit des aspects judiciaires, qui doivent naturellement être exclus du périmètre de la confidentialité, car ils permettent le cas échéant de déterminer la responsabilité pénale du dirigeant.
Il concerne le domaine prud'homal. Lors d'un plan social économique (PSE) ou, plus généralement, d'un plan de licenciement, les organisations syndicales déclenchent désormais très rapidement un contentieux en matière civile. En l'état actuel du texte, les juristes d'entreprise pourront opposer la confidentialité pour ne pas communiquer aux organisations syndicales certaines pièces qui ont trait au PSE. Il faudra lancer une procédure spécifique pour lever la confidentialité, mais je vous rappelle qu'il faudra prouver au cas par cas que le document concerne l'objet du litige. Si la procédure devait être appliquée à l'ensemble des documents, ce serait la pagaille et cela prendrait un temps monstrueux aux juridictions, qui sont déjà en difficulté.
Le texte renforce le déséquilibre qui existe déjà entre les parties lors d'un PSE – c'est inacceptable. Il ne faut pas en rajouter une couche : même sans la confidentialité, les patrons peuvent faire des choses qui sont, de notre point de vue et pas forcément de celui des tribunaux, contestables et problématiques. Les salariés gagnent parfois leur procès trois ans après le lancement de la procédure, alors que les licenciements ont déjà eu lieu et que certains salariés sont tombés malades ou ont retrouvé du travail. Et vous voulez rendre les procédures encore plus complexes,…
…y compris là où il existe déjà un déséquilibre, par exemple en matière prud'homale !
Vous avez donc le choix entre l'amendement n° 8 , qui est all inclusive – tout compris –, et les autres amendements, en fonction de vos appétences.
Vous proposez peu ou prou de vider de sa substance la proposition de loi, car elle prévoit de conférer la confidentialité aux consultations en matière civile, commerciale et administrative. Je vais vous apporter deux éléments de réponse complémentaires, qui vous conduiront, je l'espère, à retirer vos amendements.
Pour circonscrire le périmètre de la confidentialité et éviter les fantasmes entourant les documents soumis ou non à ce principe, nous venons de préciser ce qu'était une consultation juridique : des avis et des conseils relatifs à l'application d'une règle de droit. Vous avez voté contre ces amendements.
Les autorités administratives indépendantes nous ont dit qu'elles voulaient pouvoir consulter tous les documents dans le cadre de leurs enquêtes. Avec ce texte, elles auront accès à l'ensemble des documents, à l'exception de ceux produits dans le cadre d'une consultation juridique.
Elles auront donc accès à tous les documents, sauf à ceux auxquels elles n'auront pas accès !
Mais les autorités administratives indépendantes n'ont pas besoin de l'analyse juridique effectuée dans le cadre de ces consultations pour déterminer si elles vont engager une procédure administrative ou pénale.
On ne vous sent pas très à l'aise aux entournures, monsieur Coulomme : l'organisation d'une pénurie de médicaments, que vous avez citée en exemple, est caractéristique d'une infraction pénale.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Dans ce cas de figure, la confidentialité ne pourra pas être opposée aux autorités administratives. Compte tenu de l'ensemble des documents qu'elles auront saisis, elles n'ont pas besoin de l'analyse juridique correspondante,…
…ces documents leur permettront de déterminer si une infraction est caractérisée ou non.
Pour toutes ces raisons et pour préserver la cohérence et le périmètre de cette proposition de loi, avis défavorable.
Ce train d'amendements – comme l'a qualifié M. Coulomme – vise à vider le texte de sa substance.
Dès lors, il n'a qu'une vocation : rentrer au dépôt. Dans ces conditions, personne ne sera étonné que le Gouvernement soit hostile à tous les amendements en discussion commune.
À la lecture de ces différents amendements, la démarche apparaît clairement.
Notre collègue Ugo Bernalicis nous a d'ailleurs demandé d'être attentifs à chacun des amendements, puisqu'en effet chacun se justifie par lui-même !
Pour reprendre la métaphore utilisée par le garde des sceaux, une fois arrivé en gare, le train ne transporte plus de voyageurs ; il n'y a même plus de train, ni de voies, ni de gare. Il n'y a plus rien, le texte n'existe plus !
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Ces amendements proposent des exclusions relatives à la procédure fiscale, aux procédures pénales, aux domaines civil, commercial et administratif. Le texte propose déjà un véritable encadrement, mais ces amendements visent à supprimer totalement le peu qui reste. Vous comprendrez qu'on ne peut évidemment pas souscrire à de tels amendements.
J'aime bien prendre le train, mais à condition d'arriver quelque part !
S'agissant de l'amendement n° 8 , nous sommes démasqués : s'il était adopté, le texte ne servirait plus à rien. C'est précisément l'un de nos objectifs, comme l'ont montré la motion de rejet et les amendements de suppression de l'article 1er – nous sommes assez déterminés.
Il y a en effet une certaine constance, mais attention, perseverare diabolicum est !
S'agissant des autres amendements cependant, l'honnêteté intellectuelle devrait conduire à reconnaître que seule une partie du périmètre serait élargie, et non la totalité. Toutefois, chacun est libre d'interpréter les arguments comme il le souhaite.
Le rapporteur a rappelé qu'au début de l'examen du texte, nous avons adopté un amendement visant à rappeler que la consultation juridique ne s'applique pas à n'importe quoi – on ne peut apposer un sceau de confidentialité sur des coloriages échangés entre deux bureaux. La consultation juridique se rapporte à une règle de droit.
En 2024, en toute matière, il y a toujours une règle de droit qui se cache quelque part. C'est normal : nous sommes dans un État de droit, qui se complexifie et adopte des lois, des normes et des règlements. Si on cherche bien, on trouve toujours une règle de droit.
On peut donc s'en prévaloir pour affirmer qu'une consultation juridique concerne telle règle de droit, voire l'anticipation d'un manquement à une autre règle de droit ou même à une évolution potentielle de la loi – n'importe quelle règle de droit, finalement –, mais cela revient à se gargariser d'un vocabulaire qui ne change rien à l'affaire, le périmètre reste très large. Ce n'est pas de nature à nous rassurer, mais confirme plutôt qu'il y a bien anguille sous roche ; c'est là le cœur de ce texte. Nous verrons si ces amendements et les suivants sont adoptés.
S'ils ne le sont pas, nous examinerons ceux qui portent spécifiquement sur les autorités de contrôle. En effet, nous avons bien compris à quel jeu vous jouez, au profit d'intérêts privés particuliers.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 61
Nombre de suffrages exprimés 61
Majorité absolue 31
Pour l'adoption 26
Contre 35
L'amendement n° 8 n'est pas adopté.
Ces amendements visent à poursuivre la litanie des domaines que nous souhaitons exclure de la confidentialité.
Je reviendrai plus longuement sur la question des autorités administratives, au sujet desquelles nous pouvons réduire le périmètre d'une manière plus intelligente que ce que nous avions imaginé à l'origine.
Nous nous sommes déjà exprimés au sujet du périmètre de la confidentialité des consultations. Avis défavorable.
Sur les amendements n° 9 rectifié et identiques, je suis saisie par les groupes La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale, et Socialistes et apparentés, d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Je suis saisie de six amendements identiques, n° 9 rectifié , 36 rectifié , 43 rectifié , 46 rectifié , 50 rectifié et 87 rectifié .
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l'amendement n° 9 rectifié .
Je m'adresse à tous mes collègues, notamment ceux de la majorité. Cet amendement vise à exclure du périmètre de la confidentialité, qui pourrait être opposée, les seuls contrôles des autorités administratives indépendantes ; non pas la matière administrative ou la matière civile en général, mais uniquement les autorités administratives indépendantes : l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), l'Autorité des marchés financiers et l'Autorité de la concurrence.
De deux choses l'une : soit vous leur faites confiance et vous estimez qu'elles font bien leur travail, auquel cas nous pouvons maintenir le fonctionnement actuel ; soit vous considérez qu'elles nuisent – pour rester poli – au marché, à la compétitivité et au bon fonctionnement des entreprises, auquel cas vous décidez de les entraver. À moins que vous ne leur fassiez pas confiance et que vous les pensez capables de faire fuiter des documents vers une puissance étrangère.
En d'autres termes, soit vous leur faites confiance et il faut adopter ces amendements, afin de les laisser continuer à travailler comme elles le font déjà, soit vous choisissez délibérément de les entraver, quand bien même il existerait une procédure de levée. Cela va les entraver, les mettre en difficulté et rallonger les délais ; cela les obligera à diminuer le nombre d'affaires traitées, parce qu'elles devront aller au contentieux pour demander la levée de la confidentialité dans tel ou tel dossier.
Les choses sont dites. Voulez-vous vous inscrire dans la continuité des annonces du Premier ministre Gabriel Attal, à l'occasion de sa grand-messe sur la lutte contre la délinquance économique et financière et sur les résultats exceptionnels de la lutte contre la fraude – à laquelle concourent l'ACPR, l'AMF et l'Autorité de la concurrence ? Sinon, vous vous opposez à votre Premier ministre – à tout le moins aux propos qu'il a tenus ce jour-là – et vous cédez à des intérêts particuliers privés.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l'amendement n° 36 rectifié .
Nous poursuivons le même objectif, à savoir l'exclusion du périmètre des contrôles des autorités administratives indépendantes, qui ont précisément été créées pour contribuer et veiller à la juste application du droit.
La protection de l'ordre public économique et la recherche des auteurs d'infraction sont deux objectifs à valeur constitutionnelle. Or l'absence de dérogations au legal privilege pour les trois autorités précitées conduirait à fortement limiter leurs pouvoirs d'enquête et de contrôle, voire à totalement les entraver, compte tenu de la possibilité ainsi donnée aux entreprises de se constituer des boîtes noires.
Ces autorités sont des régulateurs puissants et utiles. Il nous semble tout à fait incohérent de limiter le pouvoir qui leur a été confié par l'État et par le législateur.
Je tiens à minimiser la portée de cette exclusion de périmètre, puisque l'étude d'impact n'en fait pas mention. Depuis le mois de janvier, trois décisions ont été prises par l'AMF et quatre par l'Autorité de la concurrence. Ce texte tend à créer un dispositif relevant de l'usine à gaz, en prévoyant des levées de confidentialité pour enquêter au service de l'intérêt général.
C'est pourquoi nous vous demandons, chers collègues, de faire en sorte que les autorités administratives indépendantes et les autorités publiques indépendantes (API) soient exemptées de ce legal privilege qui entraverait leur mission.
La parole est à Mme Emeline K/Bidi, pour soutenir l'amendement n° 43 rectifié .
Cet amendement soulève la question suivante : pour qui et pour quoi souhaitez-vous instaurer cette confidentialité ? Vous nous dites qu'il s'agit de favoriser la compétitivité de notre droit, celle des entreprises françaises vis-à-vis des autres entreprises. Il ne s'agit donc pas d'empêcher les AAI d'agir et d'enquêter. Elles ne portent tout de même pas atteinte à la compétitivité du droit de nos propres entreprises !
Votre gouvernement dit vouloir simplifier les formalités administratives, mais en réalité, ce texte vise à ajouter un processus qui imposera à ces autorités de lever la confidentialité avant de pouvoir faire leur travail.
Je ne comprends pas quel est le but poursuivi, si ce n'est d'offrir quelques avantages dissimulés à de grosses entreprises souhaitant échapper non seulement au manque de compétitivité, mais surtout aux règles françaises.
La parole est à M. Jérémie Iordanoff, pour soutenir l'amendement n° 46 rectifié .
Il est identique, mais il nous faut en comprendre la logique. Nous avons créé des autorités administratives indépendantes : l'AMF, l'ACPR et l'Autorité de la concurrence. Elles garantissent le bon fonctionnement et la compétitivité de l'économie française.
Vous ne pouvez donc dire que nous sommes opposés à l'économie et aux entreprises. Ces autorités veillent également à sanctionner des comportements anticoncurrentiels. Il est donc tout à fait normal qu'elles puissent pleinement remplir la mission pour laquelle elles ont été créées. Or ce texte vise à restreindre une partie de leurs attributions, puisqu'elles n'auront plus accès à l'ensemble des documents. Cela créera des difficultés pour mener à bien les contrôles et, plus généralement, pour l'économie. Il s'agit d'un amendement de bon sens, que je vous invite à voter.
La parole est à M. Jean-Louis Bricout, pour soutenir l'amendement n° 50 rectifié .
Il prévoit des aménagements du dispositif de confidentialité prévu à l'article 1
M. Bertrand Pancher applaudit.
La parole est à Mme Béatrice Roullaud, pour soutenir l'amendement n° 87 rectifié .
Le présent amendement, qui nous a été soumis par l'Autorité de la concurrence, vise à rendre la confidentialité des consultations juridiques inopposable à l'AMF, l'ACPR et l'ADLC.
Ces trois autorités assurant une mission d'intérêt général, l'exercice de celle-ci ne doit pas être entravé. Elles doivent continuer à agir dans le cadre des pouvoirs d'enquête et de sanction qui sont déjà les leurs.
Votre proposition de loi ne prévoit qu'une levée de la confidentialité a posteriori, ce qui constituerait une étape de plus à franchir avant de pouvoir enquêter. Elle n'apparaît donc pas comme une solution adaptée, et vous savez bien que la confidentialité pourrait entraver le fonctionnement de ces autorités.
Au fond, ces amendements ont le même objectif que ceux dont nous avons déjà discuté. À vouloir empêcher que la confidentialité soit opposée à l'AMF, à l'ACPR et à l'Autorité de la concurrence, vous supprimerez la matière administrative du champ d'application des règles de confidentialité : vous auriez pu vous montrer plus clairs à ce sujet.
Nous en revenons donc exactement à des amendements dont nous avons déjà discuté et qui visaient à amoindrir le périmètre d'application de la confidentialité. Comme nous l'avons déjà dit, nous n'y sommes pas favorables.
Nous avons auditionné Noëlle Lenoir, ancienne ministre déléguée aux affaires européennes, qui m'a soumis un article dans lequel elle indiquait la chose suivante : « Les autorités administratives indépendantes n'ont pas besoin des analyses juridiques, qu'elles doivent être capables de faire elles-mêmes, pour déterminer si une entreprise a manqué à ses obligations. » À ce sujet, vous disposez déjà d'un certain nombre d'éléments, et je vous rappelle que ce qui est soumis à la confidentialité, c'est l'analyse juridique de documents qui, eux, ne sont pas confidentiels. En d'autres termes, les autorités administratives pourraient accéder à ces documents dans le cadre de n'importe quelle procédure. Ainsi, le dispositif que nous proposons n'entrave nullement l'exercice du pouvoir d'investigation et de contrôle des autorités administratives indépendantes.
Si la confidentialité d'une consultation était discutée, il serait possible de la lever par une procédure réalisée sous l'autorité d'un commissaire de justice, chargé de vérifier le caractère intact des éléments de la consultation. J'y vois une garantie supplémentaire.
Tels sont les éléments que je souhaitais vous présenter et sur la base desquels vous pourrez retirer votre amendement. À défaut de retrait, notre avis serait défavorable.
Il est également défavorable.
Il paraît nécessaire de vous le répéter : les échanges ne sont pas confidentiels, les contrats ne sont pas confidentiels, les documents techniques ne sont pas confidentiels et les témoignages ne sont pas confidentiels. Aucun des éléments que je viens de citer ne pourrait porter le sceau de la confidentialité.
Seules les consultations, c'est-à-dire l'avis de juristes d'entreprise, deviendraient confidentielles, cette qualité n'entravant en rien le fonctionnement des autorités de contrôle. Une société qui souhaitait faire entrave à ces dernières pourrait d'ailleurs se contenter d'appeler son avocat, sachant que tout document annexé au document rédigé par ledit avocat, même l'un de ceux que je viens de citer, devient confidentiel.
Il me paraît d'ailleurs de mauvaise foi que d'affirmer que le recours à un avocat préviendrait l'obstruction du travail des autorités indépendantes, tandis que l'intervention d'un juriste d'entreprise serait de nature à l'entraver, même si les documents visés n'ont pas de caractère confidentiel. Non, en réalité, il n'y a pas d'obstruction, et une autorité administrative pourrait tout à fait accéder à ce que vous considérez comme une boîte noire : confiée dans un premier temps à un tiers, sa confidentialité serait ensuite simplement levée.
Les demandes de prises de paroles sont nombreuses, en tout cas plus que celles que j'accepterai. La séance sera levée à minuit, quoi qu'il advienne : je continuerai donc de n'accepter qu'une prise de parole pour et une contre, sauf si vous souhaitez tous l'élargissement du débat. Sachant qu'il reste encore quarante-deux amendements, nous ne pourrions pas terminer l'examen du texte ce soir s'il en était autrement.
Vous pensez donc que les autorités administratives indépendantes saisissent des documents qui ne leur servent à rien et qu'elles devraient donc se garder de saisir, n'est-ce pas ? Nous n'avons jamais soutenu que le périmètre de confidentialité que vous proposez les empêcherait de se saisir d'un document et de l'analyser, mais que leur travail deviendrait plus complexe. En effet, les documents d'analyse juridique révèlent parfois des raisonnements et des failles, et les autorités de contrôle pourront vérifier si ces failles ont été comblées ou si elles ont été laissées béantes, pour faciliter des malversations ou des infractions diverses et variées.
La mise à disposition d'une consultation juridique dans le cadre du contrôle réalisé par une AAI n'est certes pas suffisante, mais elle peut faciliter le travail de ladite autorité. Or vous devriez favoriser toutes les mesures de facilitation !
Cécile Untermaier a rappelé que la poursuite des infractions – pénales ou autres – était un objectif à valeur constitutionnelle et engageait l'ordre public et l'ordre public financier.
Garantir la poursuite des infractions est donc un enjeu constitutionnel, mais il y va également de la défiance à l'égard des autorités administratives indépendantes. Votre argument peut d'ailleurs se retourner contre vous : si les documents recherchés sont bel et bien dépourvus d'intérêt, pourquoi empêcher les AAI de les consulter ? En définitive, y a-t-il quelque chose à cacher ? Non, tout va bien : conservons donc la situation actuelle !
Votre intention, celle de cacher des choses aux autorités administratives indépendantes et de leur rendre la tâche plus difficile est donc caractérisée. Toute la représentation nationale en est informée : chacun fera donc son choix en son âme et conscience.
Je mets aux voix les amendements identiques n° 9 rectifié , 36 rectifié , 43 rectifié , 46 rectifié , 50 rectifié et 87 rectifié .
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 63
Nombre de suffrages exprimés 63
Majorité absolue 32
Pour l'adoption 28
Contre 35
Les amendements identiques n° 9 rectifié , 36 rectifié , 43 rectifié , 46 rectifié , 50 rectifié et 87 rectifié ne sont pas adoptés.
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l'amendement n° 12 .
Il concerne l'Autorité de la concurrence et vise à empêcher que la confidentialité de certains documents lui soit opposée, dans un moment où l'inflation frappe très durement les Français – je parle de ceux qui perçoivent un revenu plus proche du SMIC que de celui d'un député.
Actuellement, une grande partie de nos compatriotes sont confrontés à l'inflation galopante des prix des produits de première nécessité et de l'énergie – carburant ou électricité. Dans un tel contexte, nous avons intérêt à permettre à l'Autorité de la concurrence de vérifier que l'inflation des prix est réellement liée à la hausse des coûts de production, sachant qu'à nos yeux la guerre en Ukraine est le prétexte tout trouvé d'une spéculation qui entraîne la hausse du prix de la moutarde, de l'essence, de l'électricité et du gaz.
Ainsi l'Autorité de la concurrence devrait avoir accès aux documents qui lui permettraient de comprendre pourquoi certaines entreprises se livrent à des débauches inflationnistes et font les poches des Français, par pur calcul actionnarial et recherche de rentabilité.
Il est aussi défavorable.
Des décisions européennes ont rappelé que seuls des avocats indépendants peuvent opposer la confidentialité de leurs conseils aux autorités compétentes en matière de concurrence. À cet égard, votre proposition de loi pourrait être frappée d'inconstitutionnalité pour inconventionnalité.
Puisque vous n'envisagez pas d'instituer une nouvelle profession réglementée, les juristes consultés par les entreprises seront subordonnés à leur employeur. Par nature, ils ne seront pas indépendants et ne pourront donc pas opposer à l'Autorité de la concurrence la confidentialité de leur consultation.
Nous le rappelons et constatons que, pour vous, la constitutionnalité d'un texte est une notion à géométrie variable. Nous nous en faisons donc les garants.
L'amendement n° 12 n'est pas adopté.
Il concerne l'ACPR, qui vérifie que les entreprises – notamment les banques et les compagnies d'assurance – respectent bien les règles de conformité, de lutte contre le blanchiment et de lutte contre le financement du terrorisme.
Il est toujours possible d'admettre que le blanchiment d'argent ou le financement du terrorisme sont des sujets de peu d'intérêt et que les combattre pourrait compromettre la compétitivité des entreprises, soumises aux insupportables contrôles des autorités administratives indépendantes. Mais il est tout autant possible de réaffirmer notre attachement aux missions de l'ACPR, en la laissant mener à bien ses missions. Tel est justement l'objet de notre amendement, qui ne porte donc que sur l'ACPR, dont les missions ont été développées après la crise des subprimes en 2008 et après l'entrée en vigueur subséquente de règles françaises et européennes.
Je pense d'ailleurs que personne n'envisage de revenir sur ces règles, d'intérêt public. De plus, il a été décidé d'obliger les entreprises à internaliser le contrôle de ces règles mais, en dépit de ces autocontrôles internes, des scandales surviennent encore en 2024, comme ils sont survenus en 2023 et en 2022.
L'ACPR était déjà une autorité de contrôle modeste, mais vous voulez la mettre encore plus en difficulté, en instituant de nouvelles règles de confidentialité.
Votre proposition me paraît donc peu cohérente avec l'impératif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. J'ai pourtant entendu le ministre Darmanin se plaindre que les magistrats ne lançaient pas d'enquêtes systématiques pour blanchiment dans le cadre d'une inculpation pour trafic de stupéfiant, mais la situation semble finalement devenue moins grave.
L'amendement n° 11 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l'amendement n° 10 .
Nous nous limiterons donc à la lecture de la définition que donne l'encyclopédie en ligne Wikipédia de la corruption.
« La corruption est la perversion ou le détournement d'un processus ou d'une interaction avec une ou plusieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d'obtenir des avantages ou des prérogatives particulières ou, pour le corrompu, d'obtenir une rétribution en échange de sa complaisance. Elle conduit en général à l'enrichissement personnel du corrompu ou à l'enrichissement de l'organisation corruptrice (groupe mafieux, entreprise, club, etc.). Il s'agit d'une pratique qui peut être tenue pour illicite selon le domaine considéré (commerce, affaires, politique…) mais dont le propre est justement d'agir de manière à la rendre impossible à déceler ou à dénoncer. » En donnant lecture de cet article de l'encyclopédie en ligne, j'ai presque eu l'impression d'avoir donné une définition de cette proposition de loi.
L'amendement n° 10 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il porte sur la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), qui compte également parmi les autorités administratives indépendantes.
Au sujet des données personnelles, certaines entreprises pourraient estimer que le maintien d'un dispositif – au hasard, un dispositif de surveillance algorithmique – pourrait contrevenir à la loi interdisant le recueil de données biométriques par une solution d'intelligence artificielle.
Si une note juridique indiquait que l'entreprise procède sciemment à un traitement algorithmique qui s'appuie sur des données biométriques, contraire à la loi, il faudrait attendre la saint-glinglin avant que quelqu'un décortique l'algorithme. Avec la proposition de loi, lors d'un contrôle, la Cnil ne pourrait détecter cette intention ni approfondir ses investigations. Nous dressons donc un obstacle supplémentaire, alors qu'il est nécessaire que la Cnil puisse faire son travail comme n'importe quelle autorité administrative indépendante, en accédant à toutes les pièces des entreprises contrôlées.
Je ne sais plus quoi vous dire pour défendre les autorités administratives indépendantes.
Je finis par croire que vous avez un problème avec l'autorité, je ne vois pas d'autres explications.
C'est ça !
Toutefois, je garde espoir que certains collègues, qui sont restés dans l'hémicycle car ils y ont peut-être été contraints, soient un peu attentifs.
Je ne désespère pas de les convaincre que les prérogatives des autorités administratives indépendantes sont utiles et pourraient même être renforcées. C'est précisément ce que nous avions défendu lors de l'examen de plusieurs textes, notamment la loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, qui transposait le règlement général sur la protection des données – RGPD – dans le droit national. Encore une fois, vous êtes en train de mettre en difficulté une des autorités administratives indépendantes.
Votre amendement est archisatisfait. Je vous invite à lire – je ne peux vous imposer de le faire – l'article 19 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
L'amendement n° 14 n'est pas adopté.
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l'amendement n° 13 .
Il concerne l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique – Arcom –, qui est très importante dans le contexte actuel, notamment dans le cadre des élections européennes. D'ailleurs, nous rappelons à tous les Françaises et les Français de s'assurer qu'ils sont bien inscrits sur les listes électorales, puisque le Gouvernement n'a pas lancé de campagne pour les y inciter.
L'Arcom doit également être exclue du champ de la confidentialité, à un moment où, dans la vie politique de notre pays, des dirigeants politiques français, notamment de La France insoumise, sont inquiétés pour avoir défendu le droit des Palestiniens de vivre en liberté.
Ce n'est pas l'histoire !
D'un autre côté, les entreprises médiatiques, comme CNews, ne sont pas inquiétées.
On se demande par quel miracle elle a réussi à passer entre les gouttes d'une mise en cause, pour non-respect du pluralisme ou incitation à la haine raciale, par exemple. Il est intéressant que l'Arcom puisse enquêter sur les mécanismes qui permettent aux chaînes de télé en France de s'absoudre des règles minimales de morale et des normes constitutionnelles que prévoit notre pays – cela relève du prodige.
L'amendement n° 13 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il vise à éviter que la confidentialité soit opposée aux organisations syndicales dans le cadre des comités sociaux et économiques – CSE – que les ordonnances travail du 22 septembre 2017 ont créés.
En l'état actuel du droit, la transmission des documents obligatoires aux organisations syndicales fait régulièrement l'objet de contentieux. Les organisations syndicales doivent se bagarrer pour obtenir des documents auxquels elles ont normalement accès. La proposition de loi constitue un frein supplémentaire à leur action en cas de réorganisation de l'entreprise, notamment lors de l'application d'un plan de licenciement. Elles se verront opposer qu'elles ne peuvent avoir accès à certains documents, notamment aux documents préparatoires à la décision, rédigés par un juriste – car, comprenez-vous, il était nécessaire d'avoir une analyse de l'application de la règle de droit. Elles devront demander la levée de la confidentialité de ce document. Par ailleurs, elles n'auront pas connaissance de l'existence de tous les documents qui seront de facto confidentiels, à moins que des collègues bienveillants ne leur transmettent l'information.
Je plains les juristes qui seront des fusibles de l'entreprise, lorsqu'elle connaîtra des difficultés. À tout le moins, il faut garantir aux organisations syndicales l'accès à tous les documents dans le cadre du comité social et économique.
Il sera le même pour les amendements n° 5 , 6 et 7 . Par ces amendements, vous proposez que la confidentialité ne soit pas opposable aux organisations syndicales et aux représentants du comité social, économique. Nous avons déjà eu ce débat en commission.
En premier lieu, la confidentialité est opposable à des parties externes à l'entreprise, que ce soit dans le cadre de litiges commerciaux, civils ou de procédures administratives. Or ni les organisations syndicales ni les représentants du CSE ne sont des parties externes.
En second lieu, la proposition de loi ne modifie pas la liste des documents mis à la disposition du CSE par l'employeur, établie à l'article L. 2312-36 du code du travail.
L'amendement n° 5 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l'amendement n° 6 .
Dans une heure et trente minutes, nous serons le 1er mai, qui, rappelons-le à nos plus jeunes compatriotes, n'est ni la fête du travail ni celle de la famille et de la patrie, mais celle des travailleurs.
Cet amendement concerne les organisations syndicales. Nous voulons leur garantir l'accès aux documents qui permettent de comprendre la cause de certains licenciements boursiers, parfois accompagnés d'interactions entre plusieurs grands groupes, notamment des holdings transnationales. Nous demandons qu'une enquête soit menée afin de comprendre les causes d'une telle maltraitance des travailleurs de notre pays.
L'amendement n° 6 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il vise à exclure les CSE du champ de la confidentialité. Bien que la loi prévoie la liste des documents à leur transmettre, l'absence de transmission des documents donne lieu à des contentieux. Dans le cadre d'une enquête interne qui lui serait confiée, le CSE, au fur et à mesure de son investigation, demandera l'accès à des documents qui ne seront pas forcément énumérés dans la liste et à des documents classés confidentiels par des juristes d'entreprise qui pourraient présenter un intérêt pour son enquête. Il se retrouvera donc en difficulté.
Vous avez beau qualifier nos idées de fantaisistes, le risque réel de contentieux aura tôt fait de survenir. Votre proposition de loi, qui est d'une inefficacité redoutable, est une usine à contentieux. Vous êtes une machine à créer du contentieux et à faire perdre du temps à tout le monde. Ce texte n'améliorera ni la compétitivité des entreprises ni celle du secteur juridique ; en revanche, il pourrait servir non pas l'intérêt général mais les intérêts privés de quelques personnes qui mettront plus d'argent dans leurs poches.
Retrouvez la raison !
Vous devriez voter cet amendement au risque de vous en mordre les doigts.
L'amendement n° 7 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
…qui sont louées sur l'ensemble de ces bancs lorsqu'elles réussissent enfin à dénoncer un risque. Elles sont passées à travers les gouttes des poursuites judiciaires que leur intentent les entreprises faisant les frais de leurs révélations.
Vous comprenez bien qu'il nous faut les protéger. Or votre proposition de loi conduira à les sanctionner davantage lorsqu'ils auront divulgué des documents placés sous le sceau du secret des affaires 2.0, que vous appelez de vos vœux par ce texte. Nous, nous tenons à les protéger.
Votre proposition de loi ne vise pas du tout à protéger les entreprises de la concurrence internationale et des investigations de systèmes judiciaires étrangers. Non, elle les protège surtout des enquêtes nationales. C'est pourquoi nous demandons que les lanceurs d'alerte soient exclus du champ d'application de ces dispositions.
L'amendement n° 44 de Mme Emeline K/Bidi est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
L'article 122-9 du code pénal prévoit déjà les causes d'exonération de responsabilité pénale des lanceurs d'alerte. Cette proposition de loi ne modifie pas cette disposition. Avis défavorable.
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l'amendement n° 47 .
Je profite de cet amendement, qui concerne les entreprises classées Seveso, pour évoquer des projets contre lesquels un grand nombre de nos concitoyennes et concitoyens se sont élevés dans le département de la Savoie où je suis élu. Il n'est pas question pour les habitants de la vallée de la Tarentaise d'accueillir un site Seveso seuil haut. Ce projet donne lieu à une discussion.
Nous devons avoir accès à l'ensemble des pièces relatives à la décision aberrante d'installer une entreprise Seveso dans une zone très sensible. En matière environnementale, les entreprises Seveso doivent être exclues du dispositif.
L'amendement n° 47 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
C'est un amendement de repli. Je n'aime pas trop déposer des amendements de repli sur un texte auquel je suis très opposé. Toutefois, c'est mieux que si c'était pire.
Il vise à mettre à jour la liste de tous les documents classés confidentiels, qui indiquerait la date à laquelle ils ont été consultés, le lieu de la consultation, leur auteur et surtout leur objet – et non leur contenu. Une personne souhaitant recourir à la procédure de levée de la confidentialité, qui soulève de nombreuses questions, pourrait ainsi cibler les bons documents assez rapidement. Dans le cadre d'un contentieux, il serait alors possible de déterminer si la mention « confidentiel » a été apposée à tort sur un document. Tant que la personne n'a pas accès au document, il est impossible de le déterminer.
Je ne sais pas si vous avez des lunettes magiques, comme celles qui existent dans les histoires d'agent secret, pour lire le contenu d'un document sans y avoir accès. Dans la réalité, cette proposition de loi sera une usine à entraver l'accès aux documents. Étant donné que vous êtes attachés à la possibilité de lever la confidentialité, vous pouvez au moins faciliter cette étape dans le cadre d'une procédure où interviendrait un magistrat ou un commissaire aux comptes. Cela relève de la bonne gestion.
Même avis.
Vous ne prenez même pas la peine de développer des arguments sur un amendement de repli qui vise à dresser la liste des documents confidentiels ! Vous auriez pu préciser que ce dispositif serait superfétatoire ou que l'amendement était satisfait.
À partir d'une certaine heure, il n'y a plus personne qui se prononce sur le banc des commissions. Circulez, votez, il n'y a rien à voir ! Or il y a quelque chose à voir, ce sujet est très important.
Ce n'est pas une petite proposition de loi dans un coin ! Ce n'est pas parce que la disposition avait déjà été votée dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, sans étude d'impact, qu'on va lâcher le morceau : on continuera à argumenter jusqu'au bout ! Il est bien dommage que le débat manque à ce point de loyauté, qu'on soit laissés sans réponse, que le principe de clarté et l'objectif d'intelligibilité de la loi soient aussi entachés.
Le débat est loyal. Je ne vais pas remettre 100 balles dans la machine,…
Ça démange, quand même !
…vous vous auto-alimentez très bien tout seul, cher collègue. Nous sommes dans un long tunnel d'amendements qui se succèdent et se ressemblent les uns les autres. Je vais résumer votre technique, monsieur Bernalicis : on connaissait la vente à la découpe, vous inventez les amendements à la découpe,…
…chaque amendement ayant pour objet de déconstruire, de détricoter ce que l'on essaie patiemment de faire.
Je vous réponds, non parce que vous me provoquez, mais pour briser un peu votre élan d'autosatisfaction et votre enchaînement de monologues ; tout a déjà été dit et redit. Il ne suffit pas de répéter des contrevérités pour qu'elles deviennent des vérités.
Mme Caroline Abadie applaudit.
L'amendement n° 23 n'est pas adopté.
L'amendement n° 77 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
Il s'agit d'un amendement de repli, suggéré par l'ADLC. Il vise à exclure les autorités administratives du champ de la confidentialité, afin de limiter les nombreux effets négatifs de cette dernière dans le cadre des enquêtes qu'elles mènent.
Défavorable. Votre amendement, qui prévoit de créer une procédure spécifique de levée de la confidentialité pour les opérations des autorités administratives, comporte deux écueils. D'abord, il aboutirait à supprimer un degré de juridiction et réduirait donc les possibilités de recours des parties. Cela ne me paraît vraiment pas opportun.
Ensuite, la rédaction que vous proposez supprime plusieurs étapes de la procédure, sans offrir de solution alternative s'agissant par exemple des critères de levée de la confidentialité ou de l'intervention du commissaire de justice.
Défavorable.
Si j'étais taquin, je dirais que pour une autorité qui se dit indépendante, l'ADLC susurre beaucoup à l'oreille de certains…
Ce n'est pas sérieux, cher collègue Gosselin ! Elle ne susurre rien du tout !
Le champ lexical que vous choisissez laisse entendre que nos échanges avec les autorités administratives indépendantes sont couverts par une forme de confidentialité. Si celles-ci ont été auditionnées par le rapporteur de la commission des lois, c'est parce que nous l'avons demandé – ce n'était pas prévu ! Néanmoins, cette audition était publique.
D'autre part, tous les parlementaires ont des échanges avec les autorités administratives indépendantes ou les services de l'État. Nous formulons des demandes, nous échangeons et ils nous répondent, dans le cadre de leurs prérogatives. C'est leur mission ! Heureusement qu'ils nous répondent lorsque nous les interrogeons, en tant que parlementaires, au sujet d'un texte et des conséquences qu'il pourrait avoir pour eux. On ne s'en cache pas ! Si nous avions déposé un amendement sans dire d'où il venait, cela aurait été pire – vous vous seriez montrés suspicieux. Nous faisons preuve de transparence, contrairement à vous avec ce texte qui vise à l'entraver.
L'amendement n° 59 n'est pas adopté.
L'amendement n° 67 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'amendement n° 78 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'amendement n° 79 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l'amendement n° 15 .
Soyons honnêtes : le délai de quinze jours pour contester la confidentialité alléguée par une entreprise est une fumisterie ! Comment peut-on imaginer des plaignants réagir dans un délai aussi court ? On n'a jamais vu une telle contrainte. Là, il faudrait se précipiter. Pourquoi ? Parce qu'il faut garantir l'opacité dont le Gouvernement, comme cette loi, porte la marque.
Même avis.
Ce n'est pas un petit sujet. Aussi aimerions-nous avoir une explication : pourquoi quinze jours et pas deux jours, ou trois semaines, ou deux mois ? Vous ne pouvez pas vous contenter d'émettre un avis défavorable sans plus de précisions. Nous avons besoin de comprendre.
L'amendement n° 15 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Béatrice Roullaud, pour soutenir l'amendement n° 88 .
Par cet amendement, nous proposons de remplacer par un délai d'un mois ce délai de quinze jours, qui est beaucoup trop court et ne repose sur aucune justification logique.
Le délai de quinze jours est le bon. Il est équilibré. Nous parlons du délai de saisine du juge pour contester la confidentialité alléguée par une entreprise. Avec un délai trop long, la pièce litigieuse resterait trop longtemps entre les mains du commissaire de justice. C'est la raison pour laquelle nous l'avons limité à quinze jours. Une fois saisi, le juge peut ouvrir la procédure ; en quinze jours, c'est parfaitement réalisable. Avis défavorable.
Même avis.
J'ai une solution à proposer, puisque vous pensez que quinze jours est un délai trop long pour conserver le document : n'instaurez pas de confidentialité ! Ainsi, en cas de contrôle, une copie pourrait être réalisée, l'original resterait entre les mains de l'entreprise, sur place, et tout le monde pourrait continuer à travailler. Je dis ça…
Je ne dis rien !
Enfin lucide !
L'amendement n° 88 n'est pas adopté.
L'amendement n° 68 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l'amendement n° 39 .
Nous sommes un peu atterrés par la mise en œuvre d'une procédure aussi complexe, lourde et finalement coûteuse, car j'imagine que le commissaire de justice ne va pas travailler gratuitement. Je m'interroge mais n'attends pas de réponse.
Le présent amendement vise à faire confiance au juge des libertés et de la détention (JLD) qui a autorisé une opération de visite dans le cadre d'une procédure administrative et peut être saisi, par une requête motivée de l'autorité administrative ayant conduit cette opération, d'une contestation de la confidentialité alléguée, ou d'une demande de levée de la confidentialité de certaines consultations.
Nous proposons donc de supprimer les mots « qui ont eu pour finalité de faciliter ou d'inciter à la commission de manquements passibles d'une sanction au titre de la procédure administrative concernée » à la fin de l'alinéa 21 de l'article 1er . Le JLD n'ayant pas connaissance des documents, il lui est difficile de présumer ce qu'ils contiennent. Faites-lui confiance : il saura motiver sa décision et apprécier la nécessité d'une levée de la confidentialité.
Très défavorable. Vous souhaitez que le juge ne soit pas contraint par des critères précis pour lever la confidentialité des documents ; qu'il puisse, au fond, la lever dans n'importe quelles circonstances. Cela ne peut pas fonctionner. Je me permets de vous rappeler qu'il est prévu qu'il peut lever la confidentialité des documents lorsque ceux-ci ont eu pour finalité de faciliter ou d'inciter à la commission de manquements aux règles applicables. La marge du juge est donc suffisamment large.
Même avis.
Une fois n'est pas coutume, je ne suis pas du tout convaincue par vos arguments. Faisons confiance au juge ! Cessons de lui expliquer en détail, par le menu, ce qu'il doit faire, penser, et comment il doit agir. Si l'autorité administrative lui demande de lever la confidentialité, il saura apprécier, après examen du texte et de la situation, les raisons de le faire ou de ne pas le faire. Comment peut-il s'assurer d'un manquement potentiel s'il n'a pas connaissance du document ? Au bout du compte, dès lors qu'une perquisition aura lieu, il lèvera la confidentialité.
L'amendement n° 39 n'est pas adopté.
L'amendement n° 71 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
Il vise à supprimer l'alinéa 32, qui prévoit que la procédure concrète de mise en confidentialité des documents – autrement dit, le cœur du dispositif que nous examinons, ainsi que les garanties qui pourraient lui être apportées – est renvoyée à un décret. J'ai du mal, par principe, à faire confiance au Gouvernement ; ce sont des choses qui arrivent quand on siège dans l'opposition. Je préfère quand c'est écrit dans la loi. Ce renvoi à un décret est un facteur d'incertitude et de déséquilibre, voire témoigne d'une incompétence négative du législateur, alors que la confidentialité pourrait avoir des conséquences importantes sur les poursuites engagées à la suite d'infractions intervenant dans les domaines fiscal, administratif, commercial ou autre. Évidemment, si on supprime l'alinéa, il vous faudra travailler à un dispositif plus précis et plus clair, ce qui n'est pas votre objectif. Ainsi démasquons-nous vos pratiques : ce texte contient une boîte noire dans la boîte noire.
L'amendement n° 24 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 72 rectifié .
Il est le fruit de nos réflexions en commission des lois. Le texte initial prévoyait une sanction pour le juriste qui apposerait frauduleusement le sceau de la confidentialité sur un document.
Or, je tiens à le souligner, Ugo Bernalicis a appelé notre attention sur le fait que nous ne prévoyions pas de sanctionner l'employeur qui exercerait des pressions sur son salarié afin qu'il appose frauduleusement le sceau de la confidentialité sur un document. Nous proposons donc que ce type de comportement fasse l'objet d'une sanction pénale spécifique, en le punissant des peines prévues à l'article 441-1 du code pénal, relatif au faux et à l'usage de faux, soit 45 000 euros d'amende et trois ans d'emprisonnement.
Je me dois d'exposer ici notre seconde divergence, monsieur le rapporteur. En effet, nous pensons que la création d'un délit spécifique n'est pas utile.
Dans l'hypothèse où un dirigeant apposerait lui-même le sceau de la confidentialité de manière frauduleuse, l'article 66-2 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, modifiée par les alinéas 33 et 34 de l'article 1er de la proposition de loi adoptée par la commission, constitue d'ores et déjà une base légale permettant de rechercher la responsabilité et d'engager d'éventuelles poursuites, puisque le terme « quiconque » prend en compte les dirigeants d'entreprise.
Dans l'hypothèse où un dirigeant aurait fait apposer ce sceau, les règles actuelles relatives à la complicité suffisent à rechercher sa responsabilité, l'alinéa 2 de l'article 121-7 du code pénal disposant en effet qu'« est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre ». Dès lors, le dirigeant d'entreprise qui n'aura pas lui-même apposé la mention « confidentiel-consultation juridique-juriste d'entreprise » sera susceptible d'être poursuivi sur le terrain de la complicité.
Dans ces conditions, j'insiste, la création d'un délit spécifique ne me paraît ni utile ni opportune. Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement.
Il est bien que l'on reconnaisse que les oppositions ont parfois quelques qualités.
Ce n'est pas ce que j'ai dit !
Je me faisais un plaisir de constater, monsieur le rapporteur, que vous vous étiez ralliés à la déflation pénale en vous abstenant de créer en permanence de nouvelles infractions, et en fin de compte, c'est moi qui vous ai conduit à proposer cet amendement…
Cela dit, je ne suis pas d'accord avec vous, monsieur le garde des sceaux : si l'employeur fait pression sur le juriste pour qu'il appose le sceau de la confidentialité, il doit être poursuivi, non pas en tant que complice, mais en tant qu'auteur principal de l'infraction. C'est le juriste qui n'aurait pas résisté à ces pressions qui pourrait éventuellement être considéré comme complice. On voit donc bien, dans votre raisonnement, qu'il s'agit de protéger le patron et de faire du juriste le fusible de l'entreprise.
Par ailleurs, ce n'est pas parce que vous créez une infraction qu'il ne se trouvera personne pour la commettre. En réalité, c'est le dispositif de confidentialité lui-même qui augmente le potentiel criminogène en créant la possibilité d'une infraction. Vous proposez à présent de la punir, soit. Mais le problème tient à l'existence même de ce texte. C'est pourquoi je ne suis favorable ni à l'amendement ni à la proposition de loi.
Je suis assez sensible à l'argumentation du garde des sceaux. Puisque la possibilité de sanctionner le chef d'entreprise – qui est l'objectif que nous poursuivons – existe déjà, je retire l'amendement.
Sourires.
L'amendement n° 72 rectifié n'est pas adopté.
Le vote à main levée n'ayant pas été concluant, il est procédé à un scrutin public.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 50
Nombre de suffrages exprimés 50
Majorité absolue 26
Pour l'adoption 28
Contre 22
L'article 1er , amendé, est adopté.
Il s'agit de supprimer l'article 2, dont je ne comprends pas la raison d'être dans le texte.
Cette disposition a pour objet d'offrir aux juristes d'entreprise en exercice qui ne peuvent pas justifier de la qualification requise pour bénéficier de la confidentialité, à savoir la détention d'un master en droit, la possibilité d'obtenir ce diplôme à l'issue d'une pratique professionnelle de huit années. Ce faisant, elle remet en cause nos acquis professionnels reconnus dans la loi de 1971 et aura notamment pour conséquence néfaste de diminuer la valeur du diplôme de master en droit, qui sera distribué au titre de la reconnaissance d'une pratique professionnelle.
L'amendement n° 73 rectifié , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 2, amendé, est adopté.
L'article 3 est adopté.
L'amendement n° 74 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
Sur le vote de l'ensemble de la proposition de loi, je suis saisie par le groupe Renaissance et le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Nous en venons aux explications de vote sur l'ensemble de la proposition de loi.
La parole est à Mme Mathilde Desjonquères.
Le groupe Démocrate a bien conscience que la proposition de loi inquiète une grande partie des avocats. Mais les réponses que vous avez apportées au cours de nos débats, monsieur le rapporteur, sont de nature à apaiser ces inquiétudes légitimes. Ainsi, comme cela a été rappelé à de nombreuses reprises, il ne s'agit pas de créer une nouvelle profession réglementée. En outre, le juriste d'entreprise devra être qualifié et avoir suivi une formation déontologique, le champ d'application de la mesure est restreint et la confidentialité sera levée en cas de manquement, lorsque le document aura incité ou facilité la commission d'une infraction.
Dans le contexte d'une augmentation croissante de la demande d'éthique dans les pratiques internes et externes des entreprises, la protection de la confidentialité des avis juridiques renforcera inévitablement la réflexion juridique en leur sein. Aussi le groupe Démocrate soutient-il, pour le bien de nos entreprises, la confidentialité des consultations de juristes d'entreprise, comme il l'a fait lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice.
Nous entendons, nous aussi, les interrogations exprimées par un certain nombre d'avocats inscrits aux barreaux des régions – celui de Paris ayant une position différente. Tout cela n'est pas binaire : personne ne cherche à opposer les uns aux autres. Je crois que nos débats ont pu dissiper les incompréhensions, voire les fantasmes. Il ne s'agit pas d'affirmer que tout est bien et que le texte est parfait, mais il traduit une volonté réelle et sincère de renforcer l'attractivité de nos entreprises et de notre pays. Si, nous en avons bien conscience, la proposition de loi n'est pas l'alpha et l'oméga en la matière, elle est un élément nécessaire.
Il n'est pas question de créer un statut de sous-avocat ou un cheval de Troie destiné à préparer une réforme qui ne dirait pas son nom. Nous verrons, dans les années à venir,…
Si, le texte va prospérer, cher collègue Bernalicis. Vous avez tenté de le déconstruire ; ce faisant, vous êtes dans votre rôle : c'est le jeu du débat parlementaire, et il est respectable. Mais il y a un temps pour tout : après le débat et le vote, vient celui de la navette puis celui de l'application du texte, dont nous pourrons tirer tous les enseignements nécessaires.
Je tiens à saluer le travail accompli par le rapporteur Terlier et par notre collègue sénateur Louis Vogel en étroite concertation avec le garde des sceaux. La proposition de loi sur laquelle nous nous apprêtons à nous prononcer a été considérablement enrichie par leur travail ; des points importants ont ainsi été précisés, tels que la procédure de levée de la confidentialité ou l'exclusion de toute référence à une déontologie propre à la profession de juriste d'entreprise.
Ce texte est essentiel pour le renforcement de la compétitivité juridique des entreprises françaises et la préservation de notre souveraineté économique. La France est en effet l'un des seuls pays européens où les avis des juristes d'entreprise, qu'ils soient d'anciens avocats ou des diplômés en droit, ne sont pas protégés. Or cette absence de protection place nos entreprises dans une situation de grande vulnérabilité face aux lois de portée extraterritoriale, notamment américaines.
Enfin, je le redis, la proposition de loi n'a pas pour objet et n'aura pas pour effet de créer une profession réglementée ou de concurrencer la profession d'avocat ; nous en avons longuement débattu, je n'y reviens donc pas.
Vous l'aurez compris, le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de la proposition de loi.
Nous sommes évidemment fort déçus de ne pas avoir su emporter l'adhésion d'une majorité d'entre vous pour rejeter une proposition de loi qui n'aura absolument pas l'efficacité qu'on lui prête : la préservation de notre souveraineté et de notre compétitivité internationale n'est qu'un prétexte. De fait, le texte ne protégera pas les entreprises des enquêtes judiciaires qui pourraient être menées par l'Europe ou par des pays relevant de la common law, notamment les États-Unis, qui, en raison de l'extraterritorialité de leur droit, se fichent pas mal de son adoption.
Il ressort des nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé – organisations professionnelles, autorités administratives indépendantes, avocats, magistrats, Medef, juristes – que la proposition de loi ne suscite pas un grand enthousiasme. Aussi se demande-t-on qui a pu penser que celle-ci apporterait un réel bénéfice à nos entreprises. Quel est le lobby qui est à l'origine de cette proposition de loi ? Force est en effet de constater qu'il s'agit d'un texte catégoriel, qui permet d'armer les plus grosses entreprises d'un dispositif qui les met à l'abri d'autres entreprises, y compris de celles avec lesquelles elles ont une relation de sous-traitance ou de concurrence – ce qui est un gros problème.
Nous sommes également déçus que vous n'ayez pas fait la moindre concession sur la définition des domaines dans lesquels la confidentialité est exclue. Je pense en particulier au domaine environnemental, puisque des atteintes très graves à l'environnement sont portées sur l'ensemble du territoire national, y compris ultramarin, par des entreprises prédatrices qui s'attaquent à nos ressources et au bien commun qu'est l'eau. Lorsque nous évoquons ces questions, on nous répond : « Circulez, y'a rien à voir ! » On crée un rideau de fumée, à seule fin de protéger les bénéfices et la rente actionnariale.
Enfin, sur le plan social, les CSE ou les organisations syndicales se verront également opposer la confidentialité des documents émis par les juristes d'entreprise.
En somme, le texte ne protégera pas les entreprises contre les ingérences étrangères, mais servira l'objectif que la Macronie s'est donné depuis 2017 : tout faire pour les entreprises et pour les intérêts privés, désarmer la puissance publique et l'autorité de l'État et dépouiller les Français du peu de pouvoir qui leur reste encore. Vous prétendez, par exemple, que les lanceurs d'alerte ne seront pas touchés par le texte : nous pensons tout à fait le contraire.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
C'est assez pratique : on peut répéter les propos tenus à l'ouverture du débat, puisque rien n'a bougé dans le texte. Vous n'avez entendu aucune objection, accepté aucun amendement. C'est quelque peu désespérant, car aucune réponse de fond n'a été apportée à la très grande majorité des objections que nous opposions à la proposition de loi.
Je souhaite notamment revenir sur la question des AAI. Le seul argument qui pourrait nous convaincre est celui selon lequel le texte améliorerait l'attractivité des services juridiques français ; mais il n'est pas démontré et ne s'appuie sur aucune étude d'impact. En réalité, on ne sait pas quels effets le texte aura en matière d'attractivité. Or l'affaiblissement des AAI – l'AMF, l'ACPR ou encore l'Autorité de la concurrence – affectera aussi l'économie française et son attractivité ; il convient d'en tenir compte.
Sans même parler des risques environnementaux et sociaux, je dois dire que vous ne nous avez pas convaincus de la nécessité du secret, qui constitue un frein objectif au droit et à la justice. Je suis déçu que le débat ne nous ait pas permis d'aller au fond des choses, et je considère que la proposition de loi, si elle est adoptée, aura des effets délétères sur le monde de l'entreprise.
Le groupe Écologiste maintient donc sa position initiale et votera contre le texte.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES et SOC.
Le groupe Rassemblement national maintient son opposition à ce texte rédigé à la va-vite. Nous, avocats, avons hâte de nous retrouver devant les magistrats pour engager la procédure de levée du secret. Je crois que nous serons bien accueillis par les juges, car il est évident que le secret des consultations suscitera une opposition de fait.
Ce n'est pas un secret, c'est la confidentialité. Ce n'est pas pareil !
Franchement, c'est n'importe quoi !
Je salue votre travail, monsieur le rapporteur, même si je n'en partage pas du tout les objectifs. Le groupe Socialistes et apparentés votera contre le texte, comme il l'a fait en commission des lois. En effet, l'examen en séance n'a rien apporté de neuf ; loin de s'enrichir d'une étude d'impact qui nous manque cruellement, le débat a reposé sur des arguments d'autorité qui ne sauraient nous convaincre. Le texte inquiète les avocats, les magistrats, les universitaires et tous les tenants d'une application efficiente du droit.
Étant des députés de terrain, nous rencontrons des représentants de PME, d'ETI – entreprises de taille intermédiaire – et de grands groupes. Pourtant, je n'ai jamais entendu un industriel ou un chef d'entreprise plaider pour la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise. Certes, nos circonscriptions ne sont pas toutes semblables, mais la mienne est située dans une zone d'activité très dynamique et accueille des leaders internationaux dans leur domaine. Aucun d'entre eux ne m'a fait part d'un quelconque problème d'attractivité lié à l'absence de confidentialité. Au contraire, ils sont très satisfaits des normes en vigueur et estiment nécessaire de s'y conformer.
Par ailleurs, je regrette sincèrement que nous n'ayons pas accordé aux AAI et aux API l'attention qu'elles méritent. Elles sont notre bras armé pour lutter contre la corruption et pour garantir le respect des normes que nous votons.
Ensuite, je déplore qu'un double avantage juridique soit offert aux entreprises : d'une part la confidentialité, d'autre part le fait que les documents ainsi cachés ne puissent être dévoilés qu'au moyen d'une procédure à la fois coûteuse et chronophage, alors même que la justice a besoin de tout le temps qu'elle peut dévouer aux justiciables.
Enfin, je considère que la protection de l'ordre public économique et la recherche des auteurs d'infractions sont des objectifs à valeur constitutionnelle. Or le texte y fait obstacle, au nom d'un objectif dont il n'est pas démontré qu'il le servira. C'est pourquoi nous voterons contre.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Lorsque l'examen du texte a débuté, nous avions quelques interrogations. Par exemple, nous trouvions floues, voire opaques, les raisons qui nous amenaient à débattre de la confidentialité des consultations. En effet, les différentes auditions menées par le rapporteur ont montré que cette mesure n'était réellement demandée par personne et qu'elle faisait même l'objet de vives critiques de la part des avocats, de la part des juges et de la part des autorités administratives indépendantes. Nous déplorions le manque de transparence quant à l'impact qu'aurait un tel texte sur le fonctionnement de la justice, notamment sur les auxiliaires de justice que sont les avocats.
Malgré nos débats en séance publique, ces interrogations n'ont pas trouvé de réponse. Je n'ai toujours pas compris pourquoi il nous est proposé d'instaurer la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise, sans leur imposer en contrepartie aucune des obligations auxquelles sont soumis les avocats et qui justifient la confidentialité de leurs consultations.
En tout cas, nous ne ferons aucun secret de notre vote contre le texte. En effet, aucun de nos amendements n'a été adopté et aucune de nos demandes d'explication n'a trouvé de réponse. En toute cohérence, nous maintiendrons donc notre position initiale et voterons contre.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 72
Nombre de suffrages exprimés 72
Majorité absolue 37
Pour l'adoption 38
Contre 34
La proposition de loi est adoptée.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
Je remercie M. le garde des sceaux, M. le président de la commission des lois et l'ensemble de mes collègues pour la qualité des débats que nous avons menés. Sans revenir sur les arguments relatifs à l'attractivité, à la souveraineté et au risque d'auto-incrimination, je tiens à dire que nous devions aux entreprises françaises de leur permettre de lutter à armes égales avec les entreprises étrangères. Il n'est pas normal que la France soit un des seuls pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à ne pas avoir prévu de protection au titre du legal privilege. Son instauration est donc une avancée.
Je précise que la proposition de loi ne doit pas faire peur à mes confrères avocats : elle ne porte pas atteinte au secret professionnel des avocats et ne vise pas à créer une nouvelle profession réglementée.
Quant aux autorités administratives indépendantes, nous avons prévu tous les garde-fous nécessaires pour qu'elles puissent continuer à mener leurs opérations de contrôle. En effet, la confidentialité porte uniquement sur les consultations de juristes ; de plus, elle peut être levée si les AAI estiment que le sceau de la confidentialité a été frauduleusement apposé.
Je remercie à nouveau tous les participants à ce débat, en particulier ma collègue Caroline Yadan, responsable du texte au sein du groupe Renaissance.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.
La parole est à M. Damien Adam, rapporteur de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Pas moins de 30 % des émissions de gaz à effet de serre françaises sont liées aux transports. La moitié de ces émissions, soit 15 % des émissions nationales, est due aux 33 millions de véhicules particuliers en circulation. Verdir ce parc automobile est donc essentiel pour permettre à la France de respecter sa trajectoire de baisse de 55 % des émissions d'ici à 2030 et d'atteindre la neutralité carbone en 2050. C'est de ce constat que sont nés le bonus écologique, la prime à la conversion, le leasing social et les aides à l'installation de bornes de recharge, qui ont permis de créer 130 000 points de charge ouverts au public et de porter les ventes de véhicules électriques en France à plus de 1,1 million depuis 2010.
Il est temps d'aller plus loin en planifiant la montée en puissance, dans les prochaines années, des achats de véhicules électriques par les plus grandes entreprises. En effet, 60 % des véhicules neufs acquis en France le sont par des entreprises ; parmi ces 60 %, une très grande part est destinée aux 3 500 entreprises disposant d'une flotte de plus de 100 véhicules. Ces véhicules restent trois ans en moyenne en la possession des entreprises, après quoi ils alimentent le marché de l'occasion pour la classe moyenne puis, dans une troisième vie, pour les classes populaires.
Verdir les flottes de ces grandes entreprises permettra donc efficacement d'accélérer la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, de développer le marché de l'occasion et de soutenir la transition de l'industrie européenne et française. C'est le sens de cette proposition de loi, qui se compose de six articles.
L'article 1er fixe une trajectoire plus ambitieuse de verdissement des flottes des entreprises en se concentrant sur les véhicules à très faibles émissions, c'est-à-dire sur ceux qui émettent moins de 20 grammes de CO
La trajectoire de renouvellement que je vous propose débute à 20 % des nouvelles acquisitions en 2025 et augmente de 10 points par an pour atteindre 50 % en 2028 et 90 % en 2032. Elle s'aligne sur celle que propose le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) créé par le Gouvernement en 2022. En outre, elle est cohérente avec le contrat de la filière automobile, en cours de signature, qui prévoit la construction de 2 millions de véhicules électriques en France d'ici à 2030.
À ceux qui estiment cette trajectoire trop rapide, j'aimerais dire de ne pas regarder dans le rétroviseur, mais droit devant. Un parlementaire se doit d'anticiper l'avenir, pas de rester bloqué sur le passé.
Regarder l'avenir, c'est garder à l'esprit que les constructeurs automobiles français nous demandent de ne pas remettre en cause l'interdiction de la vente de véhicules thermiques à partir de 2035. Ils nous demandent même de réunir les conditions nécessaires pour que cette transition soit un succès pour l'industrie européenne. Cette proposition de loi participe de cet effort. Je rappelle d'ailleurs que les principaux constructeurs européens, comme Renault, Stellantis ou encore Volkswagen, ont annoncé qu'à partir de 2030, ils ne proposeraient plus à la vente en Europe que des véhicules électriques.
Outre les entreprises qui possèdent une flotte, l'article 1er concerne les loueurs, qui se divisent en deux catégories : les loueurs de longue durée et les loueurs de courte durée.
Dans le secteur de la location de longue durée, 138 sociétés de location disposant d'une flotte de plus de 100 véhicules ont immatriculé 1 million de véhicules neufs en 2023, soit 54 % du total des véhicules légers neufs immatriculés en France. Le rôle des loueurs de longue durée est donc essentiel, notamment car ils sont propriétaires de nombreux véhicules utilisés ensuite par d'autres entreprises. Il s'agit d'éviter que les entreprises achètent uniquement le minimum de véhicules à très faibles émissions exigé par la loi et complètent leur flotte en louant des véhicules thermiques à des loueurs sur qui porterait la sanction ; à cette fin, je propose de limiter à 10 % maximum l'écart entre la part de véhicules achetée en propre par l'entreprise et la part qu'elle loue.
C'est le cas de la location de courte durée qui suscite les débats les plus vifs. Nous avons adopté en commission une trajectoire spécifique aux loueurs de courte durée pour tenir compte du rythme de renouvellement de leur flotte : ils la renouvellent en 9 mois en moyenne, contre 36 mois pour les autres acteurs.
Pour les loueurs de courte durée, la trajectoire commencera donc à 5 % en 2025, puis 10 % en 2026 et 15 % en 2027, avec une clause de revoyure la même année pour définir la suite de la trajectoire.
Le bonus écologique pour les flottes d'entreprises ayant été supprimé en février 2024, j'ai d'autre part souhaité inclure l'écoscore dans la proposition de loi. Nous avons ainsi adopté une bonification de 20 % pour les véhicules bénéficiant de l'écoscore. Concrètement, un véhicule présentant un écoscore comptera pour 1,2 au lieu de 1. Cette disposition favorise les constructeurs français et européens. Selon des associations environnementales, si la part des véhicules fabriqués en France reste stable, la demande additionnelle engendrée par la réforme entraînerait la fabrication de 1,7 million de véhicules supplémentaires dans les usines de notre pays et constituerait un fort soutien à la filière automobile nationale.
L'article 2 traite des obligations de transparence. L'obligation de transmettre les informations est restée jusqu'à présent largement ignorée par les entreprises, alors qu'elle est à la portée de tous et est essentielle pour déterminer si les entreprises respectent la trajectoire. L'article prévoit donc l'obligation de transmettre les informations. Pour les entreprises qui y sont soumises, le taux de verdissement des flottes devra également être communiqué dans la déclaration de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS).
Le défaut de transmission de ces informations sera soumis à sanction. En commission, nous avons rendu cette sanction proportionnelle au poids de l'entreprise : elle est fixée à 0,1 % du chiffre d'affaires français.
L'article 2 bis a été ajouté pour intégrer une obligation de formation ou de sensibilisation des gestionnaires de parcs de véhicules afin de les former aux spécificités des véhicules électriques et de la recharge.
L'article 3 instaure une sanction pour non-respect de la trajectoire de verdissement prévue à l'article 1er . Elle est indispensable pour s'assurer du respect de la réglementation. Afin d'éviter les excès d'une logique punitive, j'ai rendu ces sanctions progressives. Elles seront de 2 000 euros maximum par véhicule manquant en 2025, 4 000 euros en 2026, puis 5 000 euros à partir de 2027, le tout dans la limite de 1 % du chiffre d'affaires français.
Enfin, l'article 4 prévoit la possibilité d'exclure des marchés publics les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations de transmission des informations ou la trajectoire à laquelle elles sont soumises. J'insiste sur le caractère facultatif de cette mesure : il reviendra à l'acheteur de décider s'il souhaite exclure ces entreprises. Cependant, il ne me paraît pas justifiable qu'une entreprise qui ne respecte pas la loi puisse accéder à certains marchés publics.
J'en viens aux effets concrets de la proposition de loi.
Outre les études de l'ONG Transport et environnement et de l'Institut mobilités en transition, le SGPE a accompli un important travail sur le sujet. Les études françaises et européennes établissent les effets positifs du véhicule électrique pour les émissions. Le soutien de la filière automobile est confirmé dans le contrat de filière en cours de signature.
Les effets attendus parlent d'eux-mêmes. Sur le plan écologique, les dispositions prévues par la proposition de loi permettraient à elles seules de réduire les émissions du secteur automobile de 57 millions de tonnes de CO
Sur le plan économique, cette réforme valorise les constructeurs français : elle entraînerait la production de 550 000 véhicules électriques supplémentaires dans les usines françaises. Du côté des utilisateurs, la motorisation électrique est désormais la plus intéressante financièrement si l'on prend en compte le coût complet, le surcoût à l'achat ou à la location étant compensé par la recharge, bien plus abordable que le carburant.
Enfin, le texte vise à alimenter le marché de l'occasion en véhicules électriques. Plus de 70 % des Français achètent leurs véhicules d'occasion, mais en 2023, seule 17 % de l'offre était constituée de véhicules électriques. Le texte permettrait d'injecter jusqu'à 2 millions de véhicules électriques supplémentaires d'ici à 2035 sur le marché de l'occasion, soit vingt fois plus qu'actuellement. Les ménages pourront ainsi activement prendre part à la décarbonation de leur mobilité, à un prix abordable.
Mes chers collègues, de nombreux députés, issus des groupes de la majorité comme de l'opposition, ont pris des engagements importants pour que la France assume sa part dans la limitation de la hausse des températures en dessous de 2 degrés.
Beaucoup de mesures ont ainsi été prises sous les dernières législatures pour passer aux actes et réduire effectivement les émissions de notre pays. Cette baisse s'accélère et nous devons poursuivre. La proposition de loi y participe en concentrant l'effort sur quelques entreprises parmi les plus grandes. C'est par leur mobilisation que nous pourrons augmenter l'offre de véhicules électriques d'occasion sur le marché français, ce qui permettra à la classe moyenne puis aux classes populaires de bénéficier de ce véhicule moins cher à l'usage, silencieux et qui n'émet pas de CO
Face à l'enjeu climatique, je vous appelle à être à la hauteur : agissons ensemble en votant ce texte qui, par des mesures concrètes et efficaces, nous permet de continuer notre chemin vers une transition juste alliant l'écologie, une dimension sociale, car elle demande un effort aux plus grandes entreprises au bénéfice des plus précaires, et le maintien, voire la croissance de l'industrie automobile en France et en Europe.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et HOR.
Rappel au règlement
Sur le fondement de l'article 91, relatif à la tenue de nos débats sur les projets et propositions de loi.
Dix orateurs doivent intervenir lors de la discussion générale, après la prise de parole du ministre. Étant donné l'heure tardive, nous n'avons pas le temps de tous passer. L'ordre prévu me laisserait peut-être le temps de prendre la parole…
Oui, ce n'est pas certain, et surtout, cela ne me paraît pas équitable par rapport aux autres groupes.
Je demande donc que nous n'entamions pas la discussion générale après l'intervention du ministre.
Mes chers collègues, je vous pose effectivement la question : voulez-vous entamer la discussion générale ? Si une majorité de députés est favorable à ce que nous levions la séance après l'intervention du ministre délégué chargé des transports, je le ferai. Je peux suspendre la séance pour quelques instants, le temps de trouver un accord, ou bien nous pouvons prendre immédiatement la décision dans l'hémicycle. D'après ce que je vois, les différents groupes sont d'accord pour ne pas entamer la discussion générale.
Cela aurait pour conséquence qu'une partie des orateurs de la discussion générale s'exprimerait ce soir, l'autre le jour où la discussion reprendra. Les deux sont possibles ; il s'agit simplement de prendre une décision commune.
De toute façon, cela n'a pas beaucoup de sens de commencer l'examen de ce texte à cette heure tardive.
Je n'ai pas à lever la séance sans commencer l'examen des textes inscrits à l'ordre du jour. Je vous propose donc que nous écoutions M. le ministre délégué chargé des transports, puis je lèverai la séance – si tout le monde est d'accord.
Présentation
La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports. Nous vous écouterons dans un silence d'or.
C'est mon heure !
Sourires.
Sourires.
Après un travail intense mené ces derniers mois puis en commission, nous examinons dans l'hémicycle la proposition de loi visant à accélérer et contrôler le verdissement des flottes automobiles déposée par votre collègue Damien Adam.
Celle-ci va dans le bon sens en s'attaquant à un pilier de la transition écologique, à savoir l'électrification des mobilités routières. Alors que le secteur des transports représente près de 30 % des émissions françaises, que nous visons la neutralité carbone à l'horizon 2050 et que les trajets en voiture sont encore le quotidien de la plupart des Français – ils représentent plus de 85 % des trajets entre le domicile et le travail en zones rurales et périurbaines –, l'électrification des mobilités constitue un levier majeur de la transition écologique.
Tous les pans de la société sont concernés par cette transition : les ménages, évidemment, mais aussi les entreprises, qui doivent prendre leur part dans l'effort collectif.
Cette proposition de loi, qui concerne les obligations d'électrification des entreprises gérant des flottes de plus de 100 véhicules, est un pas dans la bonne direction. Comme vous le savez, elle a pour double objectif de renforcer la trajectoire d'électrification définie dans la loi d'orientation des mobilités du 24 décembre 2019 et d'introduire des sanctions pour les entreprises qui ne respectent pas les obligations de remontée de données et la trajectoire fixée.
Vous l'avez compris, le Gouvernement est favorable à l'esprit de cette loi, mais il entend demeurer vigilant afin de trouver un équilibre.
Le défi de la transition écologique, dans lequel nous sommes pleinement engagés, justifie de se pencher sur le renforcement de nos outils. En 2023, les immatriculations de voitures électriques représentaient environ 22 % des véhicules neufs des ménages, mais seulement 12 % de ceux des personnes morales, dont les entreprises font partie. Face à ce constat, une accélération et un ciblage des efforts demandés sur les véhicules à très faibles émissions sont nécessaires.
Ce renforcement de la trajectoire permettra ensuite d'alimenter le marché de l'occasion et donc de rendre la voiture électrique accessible sur le marché de seconde main à tous les ménages qui n'ont pas les moyens d'acheter des véhicules électriques neufs.
Enfin, ces objectifs de verdissement sont de nature à garantir des débouchés à notre filière automobile et participent ainsi aux efforts de réorganisation de la production, dans la perspective de la fin de vente des véhicules thermiques en 2035.
Une fois cette ambition partagée avec vous, il me semble nécessaire de s'assurer de l'équilibre global de la proposition de loi examinée. Pour le Gouvernement, cela passe notamment par la définition d'un certain nombre d'exceptions pour tenir compte de la spécificité et de la réalité de terrain des différents acteurs concernés et par le renforcement progressif des obligations pesant sur les entreprises.
Je tiens à cet égard à souligner la qualité du travail parlementaire dès l'examen en commission et à noter que des modifications apportées au texte sont bienvenues. La trajectoire proposée a été modifiée pour devenir plus crédible pour l'ensemble des secteurs concernés en tenant compte des enjeux réels auxquels ils sont confrontés. Une trajectoire spécifique a été introduite pour la location de courte durée, ce qui permet de prendre en considération la situation spécifique de cette branche d'activité. Les centrales de réservation et les véhicules de transport avec chauffeur (VTC) ont été exclus du périmètre du texte. Un bonus a été introduit pour tenir compte du critère environnemental déjà instauré par le Gouvernement pour les aides à l'achat de véhicules neufs comme le bonus électrique et le leasing social, ce qui permettra de privilégier les véhicules les plus performants sur le plan environnemental. Enfin, les sanctions en cas de manquement ont été décalées et assouplies, améliorant l'équilibre global du texte.
Ces évolutions, vous l'avez compris, vont dans le bon sens mais elles n'épuisent pas le débat que nous aurons ce soir – ou peut-être un autre jour.
Sourires.
Dans le respect de l'esprit du texte, le Gouvernement reste soucieux de garantir un équilibre acceptable pour faire avancer concrètement la transition écologique des mobilités. Je serai attentif à intégrer à cette proposition de loi tous les apports utiles pour servir cet objectif.
Applaudissements et « Très bien ! » sur les bancs des groupes RE et Dem.
Rappels au règlement
Sur le fondement de l'article qui régit la bonne tenue de nos débats. Je voudrais simplement poser une question pratique. Nous convenons tous que nous n'avons pas le temps de tenir la discussion générale, mais je voudrais savoir ce qu'il adviendra de ce texte. Sera-t-il de nouveau soumis à notre examen afin que chacun des groupes politiques puisse donner son avis sur la proposition de loi présentée par M. Damien Adam, qui est le seul à avoir pu s'exprimer ?
Comme vous le savez, c'est à la conférence des présidents d'en décider, lorsqu'elle établit l'ordre du jour d'une semaine à l'initiative de l'Assemblée. Ce n'est pas M. Maillard qui en décide seul.
Sourires.
La parole est à M. Sylvain Maillard, pour un rappel au règlement. Sur quel fondement ?
Sourires.
Le groupe Renaissance a inscrit ce texte à l'ordre du jour. Il lui revient donc de le réinscrire au moment qui lui conviendra.
Prochaine séance, jeudi 2 mai, à neuf heures :
Discussion de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête relative à la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode ;
Discussion de la proposition de résolution portant sur l'usage de la langue française aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024 ;
Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à améliorer le repérage et l'accompagnement des personnes présentant des troubles du neuro-développement et à favoriser le répit des proches aidants.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra