La séance est ouverte à neuf heures cinq.
La commission auditionne Mme Fabienne Bourdais, directrice des sports au ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques.
Nous accueillons pour une deuxième audition Mme Fabienne Bourdais, directrice des sports au ministère des sports et des Jeux olympiques et paralympiques.
Madame, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre aux nombreuses questions qui se posent à l'issue d'un cycle d'auditions bientôt achevé. Pour entamer notre échange, revenons un instant sur le passé.
Nous cherchons à comprendre pourquoi il a fallu attendre si longtemps et la publication de témoignages tels que celui de Sarah Abitbol pour que l'État prenne conscience de l'ampleur du problème.
En 2014, en tant qu'inspectrice de la jeunesse et des sports, vous avez été l'auteure du premier vrai rapport d'évaluation sur la prévention des violences sexuelles dans le sport. Vous y formuliez des constats accablants et des préconisations nombreuses, notamment sur la création d'un observatoire, annoncé par la ministre Najat Vallaud-Belkacem et sur lequel il vous a été demandé de travailler.
En janvier 2015, vous avez été nommée directrice de cabinet de Thierry Braillard, secrétaire d'État chargé des sports. Avez-vous, dans ces fonctions, soutenu la mise en œuvre des préconisations de ce rapport important ? Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cet observatoire, annoncé par la ministre, n'a jamais vu le jour ? Pourquoi les préconisations de votre rapport n'ont-elles pas été suivies d'effets ? Quels ont été les blocages ?
Mme Maracineanu, ancienne ministre des sports, a déclaré que de son point de vue, en 2020, nous partions de rien et que ce sujet était inexistant au sein de la direction des sports et des services déconcentrés. Partagez-vous ce sentiment ?
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Fabienne Bourdais prête serment.)
En effet, madame la présidente, j'ai été corédactrice de ce rapport qui avait été demandé par Mme Vallaud-Belkacem, alors ministre chargée des sports. Ce rapport avait vocation à dresser le bilan du premier plan de lutte contre les violences, qui avait été engagé en 2007-2008 par la ministre de la santé et des sports Mme Bachelot. Nous ne partions donc pas de rien en 2020. Il est d'ailleurs intéressant de relire ce qui avait été fait à cette époque, en particulier la charte d'engagement de lutte contre les violences sexuelles, qui avait été signée par quasiment toutes les fédérations.
Dans notre rapport, nous avons dressé un bilan pour le moins contrasté quant à la mise en œuvre des engagements qui avaient été pris. Nous y disions que la volonté politique des années 2007-2008 s'était ensuite clairement étiolée, une des raisons en étant le nombre très faible de signalements de violence qui étaient remontés. Il faut garder à l'esprit que, dans le prolongement des préconisations formulées et des actions de prévention et de formation engagées, les services de la direction des sports du ministère, en particulier les services déconcentrés, ont continué à mettre en place des actions, dont on parlait peu. Je regrette de devoir dire, en effet, que ce sujet n'intéressait pas grand monde.
Ce rapport était un travail d'évaluation de la politique publique qui avait été conduite, mais il demandait aussi à l'Inspection générale d'étudier l'opportunité de créer un observatoire. Nous ne préconisions pas forcément la création, ex nihilo, d'un observatoire des violences : il s'agissait plutôt de réfléchir à un système de remontée des signalements, à l'aune notamment des observatoires qui existaient déjà en matière de délinquance au sens large. On se demandait alors – et cette question est toujours d'actualité – s'il fallait se doter d'un dispositif propre aux violences sexuelles dans le sport ou s'il fallait recourir à ce qui existait déjà pour les violences ou les maltraitances. Le choix politique qui a été fait a été de ne pas créer cet observatoire et de continuer à travailler selon une approche interministérielle, sans faire du sport un cas particulier qui devait être traité dans une structure ad hoc.
Pour répondre très clairement à votre question, ce sujet a toujours fait partie de mes responsabilités après 2014, sans pour autant qu'il soit politiquement prioritaire. C'est très clairement la libération de la parole, après la vague #MeToo, qui a été le déclencheur, avec le livre de Sarah Abitbol, que vous avez évoqué, mais aussi, avant lui, avec l'enquête menée par le site Disclose fin 2019.
Vous faites votre rapport en 2014, dans lequel sont évoquées la question des violences sexuelles dans le sport et l'idée d'un observatoire. Vous nous dites aujourd'hui qu'on ne s'était pas décidé pour une structure ad hoc. Sauf que le dispositif Signal-sports auquel on a abouti est une structure ad hoc – mais qui arrive dix ans plus tard. Si je comprends bien vos propos, il n'y avait pas de réelle volonté politique d'avancer sur la question et il a fallu attendre tout ce temps et le témoignage de Sarah Abitbol pour que Signal-sports soit installé. Mais si, en 2014, vous avez mis en évidence la question des violences sexuelles dans le sport, c'est qu'on avait déjà pris conscience du phénomène. Au-delà du manque de volonté politique, pourquoi a-t-il fallu attendre dix ans ?
Je l'explique par le fait que le nombre de signalements qui remontaient était très faible – quelques unités par an. Le sentiment qui prévalait à l'époque était que le problème existait, qu'il devait être traité, dans le cadre des procédures existantes, mais qu'il ne nécessitait pas forcément une politique d'ampleur.
Dans votre rapport, vous précisez que l'on a besoin d'analyser ce phénomène : c'est pour cela que vous parlez d'un observatoire. Certes, il n'y avait pas de signalements, mais la parole n'était pas encore libérée. Peut-être que cet observatoire aurait pu susciter des témoignages, dès 2014-2015. On a le sentiment que dix années se sont écoulées sans que l'on ait avancé sur la question.
Avez-vous milité pour que vos préconisations voient le jour et qu'elles deviennent la priorité ?
Oui, je peux même dire que s'il y a un fil rouge dans mon parcours professionnel, c'est celui-là, en particulier celui de la protection des mineurs. J'en veux pour preuve que j'ai été directrice régionale jeunesse et sports en Île-de-France, cette région étant une de celles qui avaient déployé un plan de prévention et de formation des acteurs en la matière. Donc oui, j'ai milité pour que mes préconisations se concrétisent, d'autant que nous disposions déjà d'éléments, puisque l'enquête réalisée à l'université de Bordeaux par Greg Décamps et Sabine Afflelou mettait en évidence des faits qui n'étaient pas marginaux.
Vous expliquez donc le besoin de créer un observatoire, vous militez pour qu'il soit instauré, les faits de violences sexuelles dans le sport ne sont pas marginaux, et pourtant rien ne se passe. Qui bloque, à ce moment-là ?
Je ne peux pas répondre à votre question, je ne sais pas quel a été le blocage. L'idée qui prévalait était plutôt de s'appuyer sur les structures du ministère, notamment ses établissements et ses services déconcentrés.
Non, et cela apparaît en filigrane dans notre rapport. Un long temps a passé, la temporalité était très différente. Moi-même, s'agissant de cet observatoire – je ne parle pas des autres préconisations –, je considérais que le ministère n'avait pas forcément les moyens de créer un nouvel outil alors même qu'il existait des circuits de remontée des signalements. C'est ce qui nous a amenés à travailler beaucoup en interministériel, avec les outils disponibles – notamment avec le numéro d'appel 119 – et dans le cadre des plans pour la protection de l'enfance ou pour la lutte contre les violences faites aux femmes.
Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) s'était-il prononcé quant à cet observatoire ?
Je n'en ai pas le souvenir.
Nous avons du mal à comprendre pourquoi on n'en a pas fait une priorité alors que, selon vous, des études montraient qu'il existait un phénomène d'ampleur. Vous avez évoqué le temps long : en effet, dix années ont passé sans que l'on crée une structure pour recueillir les témoignages des victimes ! Vous nous dites que le ministère des sports n'était pas favorable à cet observatoire et qu'en ce qui concerne le CNOSF, vous ne vous en souvenez plus. C'est difficilement compréhensible.
En janvier 2020, un rapport d'étape d'évaluation des violences sexuelles dans le sport a été rédigé par M. Patrick Karam, à la demande de la ministre des sports, Mme Roxana Maracineanu – contrairement, d'ailleurs, à ce qu'elle nous a dit. Pouvez-vous nous éclairer quant aux raisons pour lesquelles il n'a pas été achevé ?
M. Karam a entamé ce rapport avant tout pour dresser un état des lieux des actions qui avaient été lancées par les fédérations au titre de la lutte contre les violences dans le sport. En effet, même si ni le ministère, ni les fédérations n'étaient complètement au rendez-vous, des actions avaient été entreprises. L'objet de ce rapport était de mettre en évidence ce qui avait été fait, ou pas, et les difficultés rencontrées par le mouvement sportif. Mais une fois que M. Karam a eu entrepris ce travail s'est produit ce cataclysme auquel nous avons été confrontés, avec des signalements qui affluaient. Le contexte avait donc changé : il n'était plus opportun de poursuivre ce travail de diagnostic. La démarche de la ministre était de renforcer le traitement des signalements et de généraliser les plans de prévention dans les fédérations. Les interrogations d'un inspecteur général quant aux actions menées par les fédérations et aux difficultés qu'elles rencontraient devenaient décalées face à l'engagement et à la détermination de la ministre, qui demandait aux fédérations de faire.
Nous avons rencontré beaucoup de difficultés pour accéder au rapport de M. Karam. On nous a d'abord dit qu'il s'agissait d'un brouillon, puis qu'il n'était pas achevé, avant finalement de nous remettre un rapport de plus de 80 pages, dans lequel figurent trente-huit préconisations. Franchement, il ne s'agit pas d'un état des lieux. Il y a certes une partie diagnostic, mais aussi des recommandations très précises, y compris sur le contrôle d'honorabilité. Il apporte des réponses à nombre de questions que nous nous sommes posées au cours de cette commission d'enquête. Nous ne comprenons donc pas pourquoi on nous l'a présenté comme un brouillon.
M. Karam avait d'ailleurs été invité à intervenir lors de la première convention nationale de prévention des violences sexuelles dans le sport. Il avait présenté, à cette occasion, plusieurs préconisations, dont la grande majorité s'inscrivait dans la prolongation du rapport de 2014 et qui, depuis, ont toutes été mises en œuvre ou engagées.
On ne comprend vraiment pas très bien le traitement réservé à ce rapport…
S'agissant de la cellule Signal-sports, nous avons très clairement constaté un manque de visibilité. La majorité des personnes que nous avons entendues ne connaissaient pas ce dispositif. Est-ce que vous faites le même constat, et si tel est le cas, est-ce que ce problème a été signalé au cabinet de la ministre ? Est-ce que des actions ont été recommandées ou mises en œuvre pour remédier à ce problème ?
Lorsque l'on a mis en place la cellule Signal-sports, la question de la communication relative aux dispositifs de signalement s'est bien évidemment posée. Je rappelle que, dans le cadre du code de l'action sociale et des familles et des mesures en faveur de la protection des mineurs, le numéro de droit commun dédié est le 119. Nous nous sommes demandé, une nouvelle fois, si nous devions créer un canal spécifique et communiquer sur ce nouveau canal, ou si nous devions nous appuyer sur les dispositifs existants, qui pourraient, ensuite, orienter vers Signal-sports.
Cela explique pourquoi, dans un premier temps – vous avez dû le voir dans différents documents, sur les affiches notamment – la communication a été faite sur le 119. En effet, légalement, toutes les structures qui accueillent des mineurs sont obligées d'afficher ce numéro. Or, comme nous le signalions dans notre rapport de 2014, les établissements sportifs étaient un endroit où ce numéro n'était pas affiché. Nous avons donc d'abord travaillé sur le canal du 119.
Le dispositif Signal-sports a lui aussi fait l'objet de mesures d'information, mais essentiellement dans l'écosystème sportif – services et établissements du ministère des sports et fédérations notamment. Nous voyons bien, et je vous remercie de l'avoir mis en évidence, que cette communication est insuffisante auprès du grand public. Mais il me semble que, aujourd'hui, les structures sportives connaissent Signal-sports, même si l'on peut indéniablement faire mieux en matière de communication. J'ajoute que Signal-sports a été créé pour recueillir les signalements, mais aussi pour assurer la traçabilité du suivi qui leur serait donné. À l'origine, il n'était pas conçu comme une plateforme d'écoute, raison pour laquelle il a fallu penser son articulation avec d'autres dispositifs, comme le 119 ou le 3919.
Je suis surprise. À partir du moment où le ministère décide de créer Signal-sports, la logique voudrait qu'il lui donne les moyens de se faire connaître, y compris en indiquant aussi le numéro 119 – les deux dispositifs peuvent tout à fait apparaître sur une même plaquette d'information. Je trouve étonnant de créer la plateforme, mais de ne pas communiquer pour la faire connaître.
En outre, vous nous dites que la plateforme est plutôt connue du monde du sport, mais pas du grand public. Je vous le dis, c'est faux. L'écosystème du sport ne la connaît pas. Les victimes que nous avons auditionnées ne connaissaient pas Signal-sports, alors qu'elles étaient à l'Insep (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance). De même, la majorité des fédérations que nous avons entendues nous ont dit n'avoir reçu aucun matériel d'information et de communication sur Signal-sports. Elles sont allées piocher elles-mêmes des informations – parfois incompréhensibles –sur le site du ministère. Mme Maracineanu nous a dit qu'elle avait organisé un colloque avec 500 étudiants en Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives) et que parmi eux, seulement 5 connaissaient la plateforme. Il n'y a donc pas lieu d'opérer une distinction entre le monde du sport et le grand public.
Je ne comprends toujours pas pourquoi le ministère a créé un outil sans le valoriser, d'autant que, lorsque nous-mêmes avons mis en place une plateforme, au lancement de cette commission d'enquête, nous avons été inondés de témoignages – plusieurs centaines en quelques jours. Il y a donc un vrai besoin. Pourquoi ne pas faire connaître ce dispositif, avez-vous une explication ?
Cette cellule Signal-sports a une vraie raison d'être, elle est nécessaire, elle doit même être développée. Vous avez parlé tout à l'heure du recueil et du suivi des témoignages. Il est réalisé notamment par des associations, qui en ont l'habitude. Cependant, vous laissez également une place importante aux cellules qui ont été créées par les fédérations. Les témoignages sont alors recueillis par des membres de la fédération même où les actes ont été commis. Cela rend compliqué de s'expliquer et de signaler un problème, comme d'ailleurs de recevoir ce témoignage. Il est dommage que les victimes ne puissent pas sortir des fédérations pour faire un signalement. Signal-sports le permet, mais vous le brimez !
Plusieurs fédérations, comme celles de canoë-kayak ou de tennis, ou encore l'Insep, ont élaboré chacune leur propre plateforme, sur laquelle ne figure aucune mention de Signal-sports. Avez-vous repéré ce dysfonctionnement ?
Dans la communication initiale, à la création de Signal-sports, peut-être les documents n'étaient-ils pas suffisamment lisibles, mais l'ensemble des numéros étaient indiqués. Notre volonté était de laisser le choix aux victimes, car si celles-ci peuvent se défier de leur propre fédération, cette défiance peut également exister envers le ministère des sports. C'est un élément essentiel. Les supports de communication faisaient donc référence à la fois au 119, au 3919 et à Signal-sports ; aucun support n'excluait celui-ci au profit de ceux-là. Et, s'agissant du 119, nous avons en outre fait en sorte que la loi soit respectée, puisqu'elle ne l'était pas auparavant.
Je suis d'accord, il faut laisser à la victime la possibilité de choisir entre plusieurs numéros ou plateformes. En revanche, très sincèrement, il nous a fallu plusieurs mois pour comprendre qu'on pouvait soi-même saisir Signal-sports sans passer, au préalable, par un président de club ou de fédération ou par un DTN (directeur technique national). Ce n'est vraiment pas clair.
Vous avez raison et nous avons d'ailleurs modifié le site internet du ministère, il y a quelques semaines, en explicitant très clairement que cette cellule était à disposition des victimes.
Pour en revenir aux plateformes propres à certaines fédérations, j'ai été étonnée, lorsque nous avons demandé à celles-ci de généraliser une stratégie de prévention, de constater qu'une de leurs premières actions avait été de créer leur propre cellule – aujourd'hui, seules trois fédérations olympiques n'ont pas créé leur plateforme dédiée. Personnellement, après en avoir discuté avec elles, j'ai acquis la conviction que ce n'est pas un problème, à la condition que la communication relative à Signal-sports soit claire et que la victime puisse avoir le choix. En tout état de cause, nous savons combien il est difficile de relater des faits dont on a été victime, et cela quel que soit le circuit de signalement.
Nous avons également noté que la cellule Signal-sports permet de faire remonter des signalements qui ne relèvent pas de ses propres compétences mais de celles des fédérations, concernant notamment des violences entre sportifs ou des violences non sexuelles. Les plateformes internes aux fédérations ont donc elles aussi leur raison d'être, même si, in fine, cela pose la question de leur périmètre de compétences et de celui de Signal-sports.
J'imagine que vous avez repéré les fédérations qui n'informent pas bien sur Signal-sports. Est-ce que vous le leur avez signalé ?
Oui. Nous avons débuté les bilans de mise en œuvre des contrats de délégation, et la question de la lutte contre les violences dans le sport occupe une place centrale dans ces échanges. Pour chaque fédération, nous passons en revue le contenu du plan de prévention et nous examinons leur communication vis-à-vis de leurs licenciés, ce qui nous permet d'aborder la question de leurs relations avec la cellule Signal-sports.
Pouvez-vous préciser à quel moment vous leur avez parlé de ce problème d'information ? Jean Zoungrana, président de la Fédération française de canoë-kayak et des sports de pagaie (FFCK), nous a dit ici même qu'il n'avait pas eu de contact avec le ministère des sports depuis près d'un an.
Pas de contact en tant que président de la fédération de canoë-kayak ?
Voici ce qu'il a dit, à propos des violences sexistes et sexuelles : « Sur ce point, le suivi n'est pas aussi régulier : cela fait quelque temps que je n'ai pas eu de relation directe avec le ministère sur cette question. »
Je pense qu'il s'exprimait aussi en tant que coprésident de la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport du CNOSF. J'ai tenu une réunion au CNOSF sur ce sujet lors de la création de cette commission. Nous y avons balayé l'ensemble des champs de collaboration entre le ministère et le mouvement sportif et cette question du traitement des signalements. Je ne me souviens pas précisément de ce point de l'ordre du jour, mais je confirme en effet qu'il n'y a pas forcément eu de relation récente sur ce thème avec le CNOSF. Il y en a eu en revanche avec les fédérations.
À quel moment avez-vous indiqué aux fédérations qu'il y avait un problème d'information sur Signal-sports, sur leurs plaquettes ou sur leur site ? Leur avez-vous demandé d'y remédier, et comment assurez-vous le suivi ?
Il a été demandé à chaque fédération de se doter d'un plan de prévention, qui inclut la question du traitement des signalements. Ces plans font l'objet d'un accompagnement et d'un suivi par la direction des sports. Un chargé de mission, en l'occurrence M. Bonvallet, a des rendez-vous réguliers avec les fédérations pour faire des points d'avancement de leur plan de prévention. Cette question est systématiquement abordée avec les fédérations, puisque l'enjeu majeur est que les signalements faits auprès des fédérations arrivent jusqu'à Signal-sports.
Dans le bilan 2022 de la cellule – celui de 2023 n'est évidemment pas encore finalisé – on observe que 40 % des signalements qui sont traités par Signal-sports émanent des fédérations sportives. Le lien et la fluidité des transmissions entre les fédérations et le ministère existent donc, même si ce n'est pas complètement homogène. Pour répondre très clairement à votre question, c'est dans le cadre du bilan de délégation que nous sommes en train de réaliser que nous dressons cet état des lieux et qu'une notification est faite à chaque fédération pour leur rappeler le lien qui doit exister entre les cellules qu'elles ont créées et Signal-sports.
Cet état des lieux a-t-il été fait en 2022 ? L'absence de renvoi vers Signal-sports aurait en effet pu être repéré dès cette année-là. Or, au moment de l'audition des fédérations, en octobre et novembre 2023, cela n'avait pas encore été corrigé sur leur site. À quel moment précisément leur avez-vous notifié qu'elles devaient modifier leur site ?
Il n'y a pas eu de notification expresse sur ce sujet particulier. C'est lors des échanges relatifs au suivi du plan de prévention que je viens d'évoquer que ce point a été abordé. Les réunions en cours sur le bilan des contrats de délégation, en revanche, se font dans un cadre qui n'est plus celui de l'accompagnement : il s'agit d'une activité de contrôle. Nous vérifions que les préconisations qui ont été formulées ont bien été suivies d'effets. Si ce n'est pas le cas, une notification est adressée au président de la fédération.
Les contrats de délégation ont été signés en mars 2022 et prévoient un bilan annuel. C'est donc la première fois que ces bilans ont lieu. Ils ont commencé en juillet 2023.
Plusieurs personnes que nous avons auditionnées ont déploré l'insuffisance des moyens dont dispose la cellule. Par exemple, M. David Lappartient, président du CNOSF, a déclaré : « Il faut qu'il y ait plus de moyens sur cette cellule, sinon cela ne peut pas fonctionner. » Envisagez-vous, d'une part, de renforcer ces moyens, et d'autre part d'élargir la destination de cette plateforme ? M. Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT, a indiqué avoir demandé une extension de son périmètre – je pense notamment à l'homophobie et au racisme. Le confirmez-vous et quelle suite avez-vous donnée à cette demande ?
Vous avez raison, nous nous interrogeons – je l'ai brièvement évoqué tout à l'heure – quant au périmètre de la cellule Signal-sports. À l'origine, elle a été créée pour recenser les signalements liés aux violences sexuelles dans le sport. Preuve que cet outil était indispensable, très rapidement, nous avons recueilli des signalements concernant des faits sans connotation sexuelle mais qui pour autant étaient des violences, à caractère psychologique ou physique. Nous les avons malgré tout traités, parce qu'il n'était pas question de laisser sans effet des atteintes à l'intégrité physique et morale, a fortiori concernant des mineurs. D'ailleurs, peut-être avez-vous remarqué, dans le bilan de Signal-sports, que ces violences qui ne sont pas à caractère sexuel sont en augmentation dans l'activité de la cellule.
La question s'est évidemment posée quant à d'autres types de signalements, comme les discriminations. À l'heure actuelle, la cellule ne les traite pas : elle les reçoit, mais elle n'assure pas leur suivi et les oriente vers la plateforme anti-discrimination mise en place par le Défenseur des droits. Elle renvoie également vers les fédérations pour les faits qui se sont déroulés dans leur cadre, afin que des procédures, disciplinaires notamment, puissent être lancées. La question qui se pose désormais est la suivante : faut-il plusieurs plateformes « thématiques » ou en faut-il une seule, qui traiterait l'ensemble des dérives ? En attendant, compte tenu des moyens disponibles, la priorité de Signal-sports est de traiter les signalements de violence.
Comme pour toutes les cellules, il y a un noyau, qui est composé de trois personnes à plein temps. Elles travaillent exclusivement sur le recueil des signalements, sur leur suivi et sur l'accompagnement de nos services dans la mise en œuvre des enquêtes administratives. Une quatrième personne se consacre au suivi des plans de prévention, dont j'ai parlé tout à l'heure. En outre, considérant que la violence ne concerne pas la seule plateforme et qu'il s'agit d'un sujet transversal au sein de la direction des sports, j'ai veillé à ce qu'un agent du bureau des fédérations sportives et un autre du bureau des établissements sportifs participent également aux travaux de la cellule.
Vous avez dit « compte tenu des moyens disponibles » : est-ce pour cette raison des moyens que vous n'avez pas fait plus, alors que la volonté existait ? Ou estimez-vous que ce n'est pas le cas, et que la cellule fonctionne bien avec les moyens dont elle dispose ?
Au moment de la création de la cellule, il n'y avait pas trois personnes : elle a été instaurée à moyens constants au sein du ministère, avec des personnes qui s'occupaient également d'autres sujets, comme le contrôle des établissements d'activités physiques et sportives (APS) et des éducateurs sportifs. C'est fin 2021 ou début 2022 qu'on est arrivé à trois personnes exclusivement dédiées à Signal-sports. J'ajoute – j'ai oublié de le signaler, alors que c'est fondamental dans notre organisation – qu'un agent est chargé du contrôle de l'honorabilité.
Oui, j'étais à l'époque déléguée ministérielle à la lutte contre les violences dans le sport et en lien avec le directeur des sports, mon prédécesseur.
Et aujourd'hui, estimez-vous que vous disposez de suffisamment de moyens humains ou qu'il est nécessaire de développer le dispositif pour accompagner les témoignages ?
Aujourd'hui, je pense que la cellule gère les signalements dans de bonnes conditions dans la mesure où, selon les indicateurs d'activité, nous parvenons dans la journée à traiter un signalement qui arrive, à procéder aux vérifications d'usage et à le transmettre, sans délai, au préfet et au service départemental qui sera chargé de conduire l'enquête.
Cependant, la situation est assez tendue et il apparaît que, comme l'illustrent les victimes qui se sont exprimées devant votre commission, le sujet n'est pas derrière nous. Même s'il y a eu une libération de la parole, nous savons que de nombreux faits ne remontent pas encore, ou insuffisamment. Par exemple, on a observé en septembre et octobre une augmentation de 30 % des signalements par rapport à la même période l'année dernière. Nous ne pouvons donc pas nous dire que les faits sont anciens et que les signalements sont quasiment tous traités : on voit tous les jours que ce n'est pas du tout le cas.
Vous dites que la cellule parvient, « aujourd'hui », à suivre les dossiers. Est-ce à dire qu'il y a déjà eu des dysfonctionnements, des délais dans le traitement ?
Vous avez également précisé que les informations étaient transmises aux services déconcentrés. Au cours de nos auditions, nous avons reçu une personne, Mme Gangloff, qui a fait un signalement auprès de l'association Colosse aux pieds d'argile concernant la fédération de canoë-kayak. Le signalement vous a été transmis, puis a été transféré à la Drajes (délégation régionale académique à la jeunesse, à l'engagement et aux sports), mais sans la prévenir. Cette personne a alors été mise en difficulté localement, face à ceux-là mêmes qu'elle avait signalés. Pourriez-vous revenir sur ces deux points ?
Parler de dysfonctionnement, c'est savoir quel est le délai raisonnable pour traiter un signalement. Oui, nous avons eu des périodes, notamment à la création de la cellule, où les délais de traitement n'étaient pas aussi courts qu'aujourd'hui. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles la plateforme a été renforcée. Cela a pu, parfois, mettre en difficulté les personnes chargées de l'enquête, puisque les délais étaient trop importants entre le moment où la cellule recevait le signalement et celui où il était transmis pour traitement au service départemental. Ces problèmes sont aujourd'hui derrière nous.
Est-ce que le cabinet était informé de ces dysfonctionnements, de ces délais qui ont pu poser problème ?
Oui, parce que l'on faisait des points réguliers. Le cabinet savait que ces difficultés de gestion et de moyens étaient des obstacles à l'efficacité du dispositif. C'est pour cela que la cellule a reçu du renfort.
Pour ce qui est du deuxième point que vous avez soulevé, il faudrait que je puisse refaire tout le cheminement du dossier pour vous répondre. Mais ce qu'il est important de rappeler, c'est que dès lors que nous recevons un signalement, nous en faisons quelque chose.
La question n'est pas là, car il est normal qu'un signalement soit traité. Nous nous demandons pourquoi la personne qui a fait le signalement auprès de Colosse aux pieds d'argile n'a pas été contactée par Signal-sports avant que ce signalement ne soit transféré au niveau local, ce qui l'a mise en difficulté.
Il s'agit sans doute d'un dysfonctionnement dans l'information communiquée à la victime par l'association qui recueille son témoignage. Dès lors qu'une structure recueille un témoignage, elle a l'obligation d'y donner suite, en le transmettant au procureur ou à la cellule Signal-sports. La personne doit alors être informée de ce qui est fait de son témoignage. Si ce n'est pas le cas, cela peut être problématique. Je comprends, à ce que vous dites, que ce n'est pas tant la question du service qui a traité le signalement qui est problématique, que celle de la personne qui en a été informée.
Oui. Nous vous transmettrons les éléments pour que vous puissiez comprendre précisément le cheminement de ce signalement, qui d'ailleurs recensait les témoignages de plusieurs victimes. Cette personne aurait aimé être informée avant la transmission au niveau local, ne serait-ce que pour se préparer à ce qui s'est passé ensuite dans son propre club, car elle a été mise en grande difficulté.
S'agissant des moyens, vous dites qu'il y avait des points réguliers avec le cabinet. Qu'a mis en place ce dernier pour corriger les dysfonctionnements dus au manque de moyens ?
En ma qualité de déléguée ministérielle, j'étais en contact quasi quotidien avec le cabinet de la ministre pour évoquer ces différents sujets, en lien avec le directeur des sports. J'avais préconisé, lors de sa création, que la cellule Signal-sports ne soit pas rattachée à mon niveau de déléguée ministérielle, mais intégrée à la direction des sports et qu'elle relève très clairement de ses missions. La question des moyens a donc été assez vite identifiée au cours des échanges avec le cabinet de la ministre, d'où sa volonté de renforcer la cellule – je ne saurais vous dire quand précisément, mais je pourrai le retrouver.
En ce qui concerne l'exercice de leur pouvoir disciplinaire par les fédérations, l'ancienne ministre, Mme Maracineanu, a déclaré : « Malheureusement, il n'est pas exercé de manière idéale par toutes les fédérations, vous avez pu vous en rendre compte vous-mêmes lors des auditions que vous avez menées. » Partagez-vous ce constat ? Les dysfonctionnements que nous avons constatés étaient-ils déjà connus de la direction des sports ? Quelle action était, éventuellement, préconisée ? Selon vous, ces problèmes sont-ils dus à un manque de moyens ?
Il me semble que plusieurs raisons expliquent que les fédérations ne se soient pas toutes emparées du versant disciplinaire de la question, alors même que cela relève clairement de leur responsabilité. Il peut y avoir des raisons juridiques, des questions de compétence, voire un manque de moyens, humains notamment, même si cela ne me paraît pas être l'obstacle principal.
Concernant les raisons juridiques, à partir du moment où une personne licenciée est mise en cause pour des faits de la nature de ce dont nous parlons aujourd'hui, une fédération est obligée d'engager la procédure disciplinaire. Il faut, dès lors, avoir quelques éléments à l'esprit. Encore une fois, un long temps a passé : entre-temps, les règlements disciplinaires des fédérations ont été modifiés, à la faveur d'une réduction du temps de traitement des procédures.
Les commissions de discipline des fédérations ont, avant tout, à traiter de faits qui sont liés aux pratiques sportives : il y a eu un non-respect de la règle sportive, qui justifie une sanction disciplinaire. Les violences sexuelles, elles, sont dans un autre registre. Il ne s'agit plus de faits de jeu et on n'est plus dans le champ du sport, mais dans celui de l'éthique, de l'intégrité et de l'accompagnement des victimes, dans le cadre de faits graves.
Lorsque les dispositions obligatoires du règlement disciplinaire ont été revues, en 2016, le choix a été fait, je l'ai dit, de réduire les délais des procédures disciplinaires, pour que les manquements sur les faits de jeu soient traités le plus vite possible. C'est ainsi que sont apparus le délai de dix semaines pour saisir la commission de discipline en première instance et celui de quatre mois au total, qui intègre l'appel – au lieu de six mois auparavant. Or les fédérations évoquent un problème de décalage dans la temporalité des différentes enquêtes, puisque lorsqu'une mesure de police administrative est prise en urgence par un préfet de département, le délai est de six mois. Un des souhaits des fédérations est donc de caler les délais de la procédure disciplinaire fédérale sur ceux de la procédure administrative de la compétence du ministère des sports. Cela pose une réelle difficulté, puisque les procédures sont indépendantes.
J'entends bien, mais les dysfonctionnements sont beaucoup plus larges que cela, les auditions l'ont montré. Il arrive que des mesures conservatoires ne soient jamais prises alors qu'il y a des témoignages accablants, pourquoi ? Il arrive aussi que des signalements ne soient pas effectués alors que des personnes se livrent à des agressions, à l'Insep notamment. On se contente de déplacer la personne qui pose problème. Nous avons d'ailleurs adressé un courrier à la ministre après l'audition de M. Canu, le directeur général de l'Insep. M. Blateau, le président de la Fédération française de gymnastique, parle de « bruits » pour évoquer les faits de violence dont est accusé un entraîneur, qui avait été licencié, puis recruté à nouveau. Aucune enquête n'a été ouverte, rien n'a été fait. Il ajoute qu'il ne dispose pas du pouvoir de prendre des décisions. Daniel Galletti, arbitre de football, a été suspendu de ses fonctions officielles mais a conservé sa licence dans l'attente d'une décision administrative ou judiciaire, ce qui lui permet de rester au contact des jeunes. Le contrat de délégation signé avec la FFF (Fédération française de football) ne mentionne pas cette problématique. Pourquoi ?
Il y a vraiment beaucoup de dysfonctionnements. Peut-être s'agit-il d'incompréhensions ; peut-être s'agit-il de personnes qui ne veulent pas traiter ce type d'affaires. Quoi qu'il en soit, comment le ministère agit-il dans de telles situations ?
Après avoir exposé le contexte, je voulais en venir à la question de la mesure conservatoire. Car là est la question : l'automaticité de la mesure conservatoire, dès lors que les faits révélés sont graves. Il y a des présidents de fédérations qui se sont saisis du sujet et qui prennent systématiquement des mesures conservatoires, et d'autres qui ne le font pas. Au-delà de l'aspect juridique, il y a la question de l'appréciation de la gravité des faits et de la responsabilité de la fédération qui autorise des personnes contre lesquelles des enquêtes pénales ou administratives, voire les deux, ont été engagées à rester en situation.
Les différents aspects de cette question sont traités au quotidien par la cellule. Les échanges que nous avons avec les référents qui ont été désignés à la demande de la ministre dans chacune des fédérations sportives nous permettent de vérifier que lorsqu'une mesure administrative a été prise et que la fédération en a été informée – ce qui est systématique – cette dernière en a tiré les enseignements, parfois en prenant une mesure conservatoire et en tout état de cause en saisissant sa commission de discipline. C'est notamment ce que j'évoquais tout à l'heure, quand je parlais de traçabilité des suites données à un signalement. Au cours des entretiens que je conduis en ce moment avec les présidents de fédération, nous abordons précisément le bilan des commissions de discipline et les mesures conservatoires qui ont été prises ou non – car l'automaticité n'a lieu d'être qu'en cas de gravité avérée.
Aujourd'hui, certaines fédérations ne prennent pas systématiquement des mesures, quand d'autres prennent des décisions disciplinaires sans nous en informer. C'est une des raisons pour lesquelles il nous est très difficile d'avoir une vision exhaustive de ce qui se fait dans les fédérations.
Je comprends bien tous les échanges que vous avez avec les fédérations, mais concrètement, lorsqu'il y a des dysfonctionnements avérés, et importants, que fait le ministère ? De quels pouvoirs dispose-t-il pour y mettre un terme et faire en sorte que des mesures soient mises en place pour l'avenir, pas seulement d'ailleurs dans le domaine des violences sexistes et sexuelles ?
Les fédérations bénéficient d'un agrément, voire pour certaines d'entre elles d'une délégation, qui sont délivrés par le ministère. Le maintien de cet agrément a pour condition le respect d'un certain nombre de critères, qui ont été renforcés dans le cadre de l'engagement républicain ; y figure la question de l'éthique et de l'intégrité, qui est de la responsabilité des fédérations. Il s'agit d'ailleurs d'une double responsabilité, puisque les fédérations doivent mettre en œuvre les mesures nécessaires au niveau national et qu'elles doivent aussi veiller à leur respect dans leurs structures déconcentrées, jusqu'au niveau des clubs.
Tous ces agréments seront renouvelés au cours de l'année 2024, et l'on peut envisager des retraits d'agrément. Nous avons coutume de dire qu'il s'agit d'une arme lourde, mais nous l'avons déjà utilisée pour des fédérations qui ne respectaient pas les critères de gouvernance, de transposition dans leurs statuts et règlements des dispositions de lutte contre le dopage ou encore de sécurité des manifestations – de full-contact en l'occurrence. Je ne vois pas ce qui pourrait nous empêcher de le faire pour des fédérations qui ne respectent pas les critères d'éthique et d'intégrité, notamment en matière de contrôle d'honorabilité et de mise en œuvre des procédures disciplinaires, comme dans les cas évoqués aujourd'hui. Rien ne s'y opposerait, me semble-t-il, et je pense que l'on pourrait motiver cette décision. C'est ce que j'ai dit la semaine dernière lors d'un entretien tenu dans le cadre du contrat de délégation à un président de fédération qui ne respecte pas les critères de contrôle d'honorabilité.
Pourrais-je vous le dire en dehors de cette enceinte ?
Puisque les fédérations n'ont manifestement pas toutes la même attitude vis-à-vis des mesures disciplinaires, a-t-il été envisagé de transférer le pouvoir disciplinaire au ministère des sports par exemple ?
Plusieurs réflexions sur ce point ont été menées avec le mouvement sportif, au regard des difficultés rencontrées. On s'est ainsi demandé s'il était nécessaire qu'il y ait une double procédure, fédérale et administrative, pour un même fait. Cependant, juridiquement, par les pouvoirs qui leur sont conférés en vertu de l'agrément ou de la délégation, les fédérations ont une compétence qu'elles doivent exercer lorsque leurs licenciés sont mis en cause : ce n'est pas au ministère des sports de l'assumer. En revanche, les discussions ont conduit à envisager le transfert à des tiers, en dehors de la fédération, de tout le travail préliminaire d'enquête disciplinaire. Il s'agirait en quelque sorte de dépayser certaines affaires, comme on le fait parfois dans les champs judiciaire et administratif. Ainsi, ne pourrait-on pas confier à une autre entité, le CNOSF par exemple, la responsabilité de conduire les enquêtes pour le compte des fédérations, ces dernières conservant in fine la responsabilité de la décision disciplinaire, qui ne peut pas être externalisée ? L'idée serait de confier la conduite des enquêtes à des personnes spécialisées. En effet, au-delà de l'aspect juridique, se pose la question de la compétence pour conduire des enquêtes et des pouvoirs d'investigation, que les fédérations considèrent, à juste titre, comme insuffisants.
Vous avez évoqué le CNOSF, mais ce travail d'enquête ne pourrait-il pas être repris par la cellule Signal-sports ?
Dans ce cas, on considérerait que ce n'est plus une compétence du mouvement sportif, alors que cette procédure figure dans son champ de responsabilité. Cela me paraît incompatible avec notre organisation institutionnelle.
Le pouvoir du ministère des sports de suspendre ou de retirer un agrément ou une délégation est un moyen coercitif efficace. Dans combien de cas est-ce arrivé ?
Nous avons retiré trois agréments depuis 1998 ainsi que deux délégations – dont une en conséquence du retrait de l'agrément –, en 2005 et en 2014. Il n'y a donc pas eu de retrait récemment.
Vous avez mentionné un éventuel retrait de délégation pour une fédération. Y en a-t-il d'autres pour lesquelles la question se pose ?
La question pourrait se poser, car le contrôle d'honorabilité est un sujet majeur. Certaines fédérations ne sont pas encore au point, alors que le dispositif date de 2021. Là encore, la temporalité est à prendre en considération : voyons d'où nous sommes partis, où nous sommes aujourd'hui et ce qu'il reste à faire. En l'occurrence, on voit le chemin qui a été parcouru entre l'absence totale de contrôle d'honorabilité hier encore et les 1,2 million de contrôles qui sont effectués aujourd'hui. Pour y parvenir, le ministère a accompli tout un travail d'accompagnement, car c'était son rôle. Mais l'accompagnement ne fait pas tout. Même si, c'est vrai, toutes les fédérations ne sont pas structurées de la même façon et ne disposent pas des mêmes outils – il faut en tenir compte et ne pas être dogmatique – j'estime qu'il n'est plus possible aujourd'hui que des fédérations ne soient pas au rendez-vous en matière de contrôle d'honorabilité.
Une trentaine, à des degrés divers : soit les contrôles n'ont pas encore débuté, soit ils sont très loin de couvrir le nombre de personnes qui doivent l'être. Il peut arriver ainsi que le nombre d'individus soumis au contrôle d'honorabilité soit manifestement inférieur à celui des personnes qui relèvent du périmètre de ce contrôle.
Nous vous demanderons de nous envoyer la liste des fédérations qui ne sont pas à jour quant au contrôle d'honorabilité. Quand vous êtes-vous aperçus que le nombre de personnes qui passaient par ce filtre était inférieur à ce qu'il devrait être ? Nous avons malheureusement pu constater qu'une seule personne qui passe entre les mailles du filet suffit pour faire des dizaines de victimes. Quand avez-vous pris conscience soit que les fédérations ne jouaient pas le jeu, soit que le périmètre du contrôle d'honorabilité n'était peut-être pas suffisamment clair ?
Je voudrais quand même dire devant vous que la très grande majorité des fédérations jouent le jeu, pour reprendre votre expression. Chacun a bien compris que le contrôle d'honorabilité était un dispositif protecteur pour les fédérations et pour les bénévoles des clubs. Les fédérations savent également que si elles ne le pratiquent pas, elles engagent leur propre responsabilité en cas de problème. Je n'ai aucun doute quant à leur bonne volonté, et certaines d'ailleurs le font très bien.
Le périmètre du contrôle d'honorabilité a été élargi, grâce à des mesures législatives successives. Partant, à l'origine, des éducateurs sportifs bénévoles et des exploitants d'établissement d'activités physiques et sportives, il inclut désormais les arbitres, les surveillants de baignade et les personnes en contact avec les mineurs. Il faut donc bien avoir à l'esprit que c'est un chantier colossal, le seul périmètre initial ayant été estimé à 2 millions de bénévoles au minimum. Pour déterminer ce contrôle d'honorabilité et le mettre en place dans des conditions conformes aux textes relatifs à la protection des données, il fallait que ce périmètre soit extrêmement précis.
Il n'y a pas de difficulté particulière quant à la notion d'encadrant, même si elle doit être entendue au sens large : éducateur sportif, entraîneur, toute personne qui a une fonction d'encadrement, notamment pour des mineurs.
En revanche, des questions se sont posées pour ce qui concerne les exploitants d'établissements d'APS. Dans le code du sport, ce terme d'exploitant renvoie aussi bien aux structures privées, comme les salles de remise en forme, qu'aux clubs sportifs. Le périmètre qui a été déterminé est celui des personnes qui ont une action en matière d'organisation de la pratique dans le club et des personnes qui ont une responsabilité au titre d'un mandat social, les élus en particulier.
Lors du déploiement du dispositif, nous avons travaillé dans un premier temps pour que, au minimum, le président, le secrétaire et le trésorier soient concernés, parce qu'ils étaient faciles à isoler. En effet, la difficulté à laquelle les fédérations ont été confrontées – certaines l'ont parfaitement gérée depuis – a été de croiser le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv) et le fichier des cadres interdits. Il faut en effet extraire du fichier des licences celui des personnes qui entrent dans ce périmètre. Or toutes les fédérations n'ont pas la même organisation : certaines ont des licences dédiées – licence éducateur, licence dirigeant… – alors que d'autres ont une seule licence, destinée aussi bien aux simples pratiquants qu'aux personnes qui ont des responsabilités. La constitution du fichier qui va être croisé est donc fondamentale, et ce ne sont pas les présidents de fédération qui vont s'en charger. Ce fichier ne peut être élaboré qu'à partir des informations qui sont communiquées par le président du club, en fonction des responsabilités qui sont exercées par les personnes concernées au sein du club.
Certaines fédérations ont mis à profit le contrôle d'honorabilité pour revoir leur processus d'attribution de licences et faire en sorte que toutes les personnes qui sont concernées par le contrôle d'honorabilité soient titulaires d'une licence identifiée, ce qui permet de les isoler et de pratiquer le croisement de fichiers. Mais ce n'est pas le cas dans toutes les fédérations. Nous observons des cas où des fichiers sont croisés, ce qui pourrait laisser à penser que le contrôle se fait, mais où leur nombre ne correspond pas à ce que nous savons du nombre de licenciés et de l'estimation que l'on peut faire du nombre de bénévoles concernés par le contrôle d'honorabilité.
Chaque conseiller technique sportif (CTS) a une lettre de mission, qui est signée par son autorité hiérarchique, c'est-à-dire par moi-même lorsque les CTS exercent des missions nationales au sein des fédérations sportives, ou par leur autorité hiérarchique régionale, c'est-à-dire le recteur ou la Drajes. Depuis trois ans, tous les CTS ont dans leur lettre de mission le rappel de leurs obligations en matière d'éthique et d'intégrité – donc de violences, mais pas seulement. C'est dans cette lettre de mission que l'on fait référence à leur responsabilité de signaler les crimes ou délits dont ils ont connaissance, selon l'article 40 du code de procédure pénale, que l'on évoque la question du traitement des signalements et qu'on les mobilise spécifiquement quant à la prévention. Dans le dispositif tel qu'il a été construit initialement, nous avons, dans chaque fédération, un référent qui se consacre au traitement des signalements – et qui n'est pas forcément un CTS, car c'est le président de la fédération qui décide. En revanche, j'avais souhaité qu'au sein de la direction technique nationale, il y ait forcément un conseiller technique sportif qui soit référent et chargé de la mise en œuvre du plan de prévention.
Avez-vous relevé des cas de CTS défaillants, notamment au sein des fédérations qui font partie de votre liste ?
Il y a des CTS qui ont été mis en cause dans des signalements et contre lesquels des procédures ont été engagées.
Ils ont pu être mis en cause dans le cadre de signalements.
Qu'entendez-vous par signalement, et par mise en cause : s'agit-il des contrôles qu'ils réalisent auprès des fédérations ?
Non. Ils ont été mis en cause par une victime.
Je ne peux pas vous répondre dans ce cadre.
Il y a deux types de défaillances, l'un étant plus grave que l'autre. Si je me fie à ce que vous dites, il y a donc des CTS qui ont été mis en cause par des victimes dans le cadre de violences sexuelles.
Y en a-t-il également qui ont été défaillants en tant que CTS, parce qu'ils n'ont pas effectué les contrôles nécessaires et qu'ils n'ont pas répondu à leur lettre de mission ?
Non. De très nombreux signalements nous sont remontés par les CTS, qui sont parfaitement informés – notamment grâce à la formation que nous avons dispensée – des responsabilités qui sont les leurs. Je ne serais pas aussi affirmative s'agissant de faits vieux de plus de quatre ou cinq ans : ils n'avaient pas forcément conscience alors de leur responsabilité sur ce volet.
Cela est dû notamment à la formulation des missions, y compris dans le code du sport et dans le statut des professeurs de sport. Selon cette formulation, les professeurs de sport sont chargés de mission de développement, de formation et d'accompagnement vers la performance sportive. Ce qui concerne l'éthique et l'intégrité ne figure pas parmi ces missions de manière explicite, pour la simple raison que ces questions relèvent de la responsabilité de l'ensemble des fonctionnaires, pas seulement de ceux du ministère des sports. C'est pourquoi le code de déontologie des CTS, publié en 2005, mentionne de manière explicite leurs responsabilités en matière d'éthique et d'intégrité. La grande majorité d'entre eux avaient donc bien conscience de leurs responsabilités, mais pas forcément au point de lancer d'eux-mêmes une procédure de l'article 40 par exemple.
Je pense que cette situation est derrière nous et que le travail de formation systématique des jeunes diplômés et de formation continue ont porté leurs fruits. La semaine dernière, nous étions ainsi à l'Insep pour travailler sur ces sujets avec la totalité des référents, qui me semblent pleinement conscients de leurs responsabilités. Ce sont des acteurs de la prévention dans leurs fédérations respectives.
Est-ce que les CTS que vous avez évoqués tout à l'heure ont été sanctionnés ?
Est-ce que vous considérez que les CTS ont joué leur rôle au sein de la FFF, alors que beaucoup de dysfonctionnements sont remontés de cette fédération ces derniers mois ?
Pour répondre à votre première question, oui, des fonctionnaires ont été sanctionnés.
Répondre à votre seconde question est difficile, car il faut savoir le degré de connaissance des faits qui sont remontés par lesdits cadres techniques. Je n'ai pas connaissance de faits – peut-être avez-vous des informations que nous pourrons partager – qui auraient pu se produire, dont les cadres techniques auraient été informés et dont ils n'auraient pas fait part à leur autorité hiérarchique ou à l'autorité judiciaire le cas échéant.
S'agissant de la FFF, il ressort tout de même de nos auditions que tout le monde savait peu ou prou ce qui se passait, y compris en matière de comportement. Certains journaux ont publié des articles dès 2020. La question est donc : pourquoi les CTS n'ont pas fait remonter l'information au ministère ? Ou peut-être l'ont-ils fait ?
Je n'ai pas connaissance de faits remontés par des cadres du ministère sur ce type d'affaires. Mais encore faudrait-il savoir précisément de quelles affaires nous parlons.
Les informations remontent par le canal de nos services déconcentrés, par celui des associations d'accompagnement des victimes, et par les victimes elles-mêmes. Parfois, nous nous autosaisissons de cas dont les médias se font l'écho, alors même qu'il n'y a pas eu de signalement.
S'agissant des dysfonctionnements qui sont survenus au niveau fédéral dans le football, à quel moment le ministère des sports a-t-il été informé ?
Je ne suis pas sûre de bien comprendre votre question.
Des éléments assez graves ont été constatés au niveau de la FFF. À quel moment le ministère a-t-il été informé de ces dysfonctionnements au niveau fédéral ?
Le rapport de l'Inspection a fait état de dysfonctionnements majeurs, mais aussi de situations pour lesquelles il y avait eu des enquêtes administratives, au cours desquelles tout n'avait pas toujours bien fonctionné. Les suites qui ont été données…
Je me doute qu'au moment du rapport de l'Inspection, vous aviez l'information, mais avant ? En 2020, le New York Times a publié un article assez circonstancié sur des problèmes au niveau de la FFF. Tout le monde savait, selon ce que nous a dit le directeur juridique de la fédération en audition.
Ce que je vous demande donc, c'est à quel moment le ministère a appris qu'il se passait des choses assez graves à la FFF, ne serait-ce que parce que c'était dans la presse.
Vous parlez de violences sexuelles ?
Par exemple, mais aussi de harcèlement et autres. Il y avait toutes sortes de dysfonctionnements, semble-t-il.
Ce n'est pas pour éluder la question, mais je n'étais pas directrice des sports à l'époque : je ne sais pas ce qui était remonté et à quel degré le ministère était informé de ces faits. Ce que je peux dire, c'est que l'on a traité, avant 2020, des signalements de la Fédération française de football. L'ampleur du phénomène n'avait peut-être pas été appréciée à sa juste dimension et je n'ai pas connaissance d'actions conduites, en 2020, spécifiquement à l'encontre de la FFF, en considération des dysfonctionnements que vous évoquez.
Justement, je crois que vous étiez déléguée en charge de ces questions de violences sexistes et sexuelles lors de la publication de l'article. Qu'a fait le ministère des sports à ce moment-là ? Pourquoi ne s'est-il rien passé ?
Il s'est passé des choses ! Comme dans chaque fédération, et a fortiori à la FFF, qui représente un volume de licenciés particulièrement important, un travail a été conduit avec le référent en matière de lutte contre les violences sexuelles, la cellule Signal-sports a été installée, un plan de prévention a été déployé au sein de la fédération, l'objectif étant de traiter les situations individuelles et de s'assurer que les signalements remontaient. Ce que m'ont fait valoir mes interlocuteurs de la fédération de l'époque, c'est la difficulté qu'ils rencontraient à recueillir les faits, notamment de violences sexuelles. En effet, en raison de la taille de la fédération, beaucoup de ses missions de gouvernance sont déconcentrées, en particulier au niveau des ligues et des districts. Ainsi, les questions qui doivent être traitées sur le plan disciplinaire ne sont pas du ressort de la fédération.
Nous comprenons qu'il y a beaucoup de monde à la FFF et que son activité est en grande partie déconcentrée. Mais ce que nous voulons savoir, c'est ce que le ministère a fait, lorsqu'un article a mis en lumière des faits graves, pour aller chercher l'information : une inspection, un contrôle ?
Après une heure et demie d'audition, M. Lapeyre, le directeur juridique de la FFF, a fini par admettre que tout le monde savait ce qui se passait. En 2020, c'est sorti dans la presse, et il a fallu attendre 2023 pour que M. Le Graët démissionne de la Fédération. Que s'est-il passé au sein du ministère ?
Je ne suis pas certaine d'avoir en tête l'article dont vous parlez. Ce que je peux dire, c'est que mes responsabilités touchaient aux violences sexuelles. Dans le cadre des échanges que j'ai pu avoir avec le référent dédié ou avec le DTN, je n'ai pas connaissance d'un engagement de la direction des sports ou d'une action spécifique vis-à-vis de la Fédération française de football. Ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas eu, mais je n'en ai pas connaissance.
Pour ce qui est de la Fédération française de football, je crois que nous avons auditionné la quasi-totalité des acteurs qui ont eu connaissance des faits qui nous intéressent. Selon vous, du point de vue des fonctions vous occupiez à l'époque, qu'est-ce qui a dysfonctionné et a empêché que des remontées concrètes aillent jusqu'au ministère et aboutissent à des sanctions dans un délai raisonnable ?
Et, du point de vue des fonctions que vous occupez aujourd'hui, si une telle situation devait se reproduire, qu'est-ce qu'il faudrait changer – ou qu'est-ce qui a déjà changé – pour que nous n'ayons pas à subir des mois d'auditions et d'approximations ? Comment faire pour être plus efficaces et pour aider les victimes ?
Je pense que ce qui a changé, c'est le positionnement de la direction des sports. La dimension régalienne de son contrôle a été clairement réaffirmée, y compris par rapport au rôle des différents acteurs. Les instruments juridiques dont nous disposons, notamment les contrats de délégation, sont essentiels pour fonder une réaction quasi immédiate lorsque des faits graves sont portés à notre connaissance. Quand un président ou une fédération sont mis en cause par les médias pour des faits graves, des échanges ont lieu très rapidement avec le DTN, qui est le cadre d'État qui représente le ministère au sein de la fédération, voire avec le président de ladite fédération, à mon niveau ou à celui de la ministre. C'est ce qui s'est passé lors de la publication du livre de Sarah Abitbol avec la Fédération française des sports de glace (FFSG). On ne peut pas dire que le ministère n'a pas engagé les procédures qui permettaient de traiter les faits graves dont il avait eu connaissance.
S'agissant de la Fédération française de football, au-delà des faits très graves qui ont été commis, c'est aussi la gouvernance qui a été mise en cause. Les responsabilités n'apparaissaient pas clairement établies. J'ajoute que la posture du ministère et de la direction des sports a été de dire qu'il s'agissait de sujets internes à la fédération, qui devaient être traités comme tels. Je n'ai malheureusement pas d'autre réponse à vous apporter et je conçois qu'elle ne soit pas satisfaisante. Je rappelle, cependant, que certaines affaires de la FFF étaient connues du ministère et qu'elles avaient été traitées.
Saviez-vous que M. Didier Gailhaguet cumulait la fonction de CTS et celle de président de la FFSG, ce qui est contraire à vos textes ? Par ailleurs, avez-vous un fichier de recrutement qui recense les compétences des CTS, avec des CV actualisés ?
J'ai eu connaissance des fonctions qu'exerçait M. Gailhaguet, à la fois fonctionnaire du ministère des sports et président de la FFSG, quand j'étais directrice régionale en Île-de-France, puisqu'il était officiellement affecté à mon service. Lorsque j'ai pris mes fonctions, et en dépit de cette affectation administrative, il n'était pas présent dans mon service. J'ai d'ailleurs fait en sorte de lui confier une mission, qu'il a réalisée, au sein de la direction régionale. Il y avait un autre cas analogue, en l'occurrence celui du président de la fédération de judo. J'étais donc informée de cette situation, à laquelle il n'a pas été mis fin. Mais il n'y a plus de situation de ce type aujourd'hui.
Et quand vous étiez directrice de cabinet, avez-vous demandé de mettre fin à ces situations ?
Oui.
Je ne sais pas répondre à cette question.
Je ne sais pas.
C'est une décision qui relève de la direction des ressources humaines du ministère, en concertation avec la direction des sports. Je pense qu'il fallait tenir compte d'une situation un peu « historique » et que l'âge des intéressés a contribué également à ce que l'on n'y mette pas fin. Je n'ai pas d'autres éléments à vous apporter.
Le ministre de l'époque a-t-il décidé de mettre un terme à ces situations, ou a-t-il jugé préférable de ne pas donner de consigne en ce sens ?
Je sais que le ministre avait demandé que soient étudiées les conditions pour y mettre fin, mais cela n'a pas abouti.
Et concernant ma question sur les fichiers des ressources humaines recensant les compétences des CTS, qui permettraient de trouver les bonnes personnes et de les placer aux bons postes ?
Nous avons un suivi des cadres techniques, qui est assuré par un service à compétence nationale au ministère des sports. L'école des cadres accompagne quant à elle ces cadres techniques lors de leur montée en compétences. Mais nous n'avons pas de fichier formalisé qui recense les compétences des différents cadres.
Est-ce que vous pouvez nous préciser quelle est la situation du DTN de la Fédération française de tennis (FFT) au regard des textes ?
Il fait partie des deux DTN qui ne sont pas des fonctionnaires de ce ministère. Ce sont des cadres de droit privé, auxquels a été confiée la mission de directeur technique national.
Non, ce n'est pas conforme aux textes.
J'ai en effet eu un échange avec le président de la FFT sur le fait que cette situation déborde du cadre légal. Nous sommes convenus de voir ensemble comment y remédier après 2024, parce qu'il est compliqué de remettre en question le dispositif d'ici aux Jeux olympiques. La nomination des DTN se fait pour chaque olympiade.
Et maintenant que vous avez demandé la fin de ce dysfonctionnement, il ne se passe rien d'autre ? On attend la fin des Jeux olympiques ?
Oui. Une lettre de mission a été signée avec le cadre en question pour la durée de l'olympiade. Il n'est pas forcément opportun d'y mettre fin avant. Mais, encore une fois, j'ai fait part au président de mon souhait que, pour la prochaine olympiade, le DTN soit bien un cadre d'État.
S'agissant des fédérations que vous évoquiez tout à l'heure et qui sont dans le viseur du ministère, l'organisation reste la même, entre le CTS et le DTN ? Vous n'avez pas mis remis en question les compétences de chacun ?
Pardon, je n'ai pas compris votre question.
Vous nous avez parlé tout à l'heure de fédérations qui étaient dans votre viseur. Elles sont pourtant laissées en l'état. Leur fonctionnement reste le même.
Nous sommes dans un processus de contrôle de ce qui est fait et de ce qui ne l'est pas. Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
Ces fédérations sont bien dans le viseur pour cause de dysfonctionnement. Des cadres d'État y sont délégués, y a-t-il un échange avec eux pour les remettre dans le droit chemin ? Le suivi est-il encore plus sérieux avec ces fédérations qu'avec les autres ?
Pardonnez-moi, je ne comprenais pas : oui, bien sûr ! J'en veux pour preuve que, dans les fédérations dans lesquelles il y a de forts dysfonctionnements, j'ai également revu le profil de poste du DTN. Pour le kickboxing par exemple, le DTN a souhaité qu'il soit mis fin à ses fonctions. Nous nous sommes demandé s'il fallait affecter un nouveau DTN dans les mêmes conditions. J'ai finalement pris la décision de publier un poste qui n'est pas celui d'un DTN classique, dont les missions sont centrées sur la délégation et les questions d'éthique et d'intégrité.
Dès lors que des fédérations sont, pour reprendre vos termes, dans le viseur du ministère parce qu'elles ne satisfont pas à nos attentes, il y a effectivement une responsabilité particulière du cadre. Toute la difficulté pour moi est alors de faire la part entre ce qui relève de la dimension technique, et donc de la responsabilité du cadre d'État, et ce qui relève de la dimension politique de la fédération et du défaut de soutien du président dans la mise en œuvre de ces responsabilités.
Justement, puisque l'on parle de questions techniques et politiques, ne trouvez-vous pas problématique qu'un DTN puisse accéder à la présidence d'une fédération au sein de laquelle il a œuvré en tant que DTN ? Ne s'agit-il pas d'une forme de conflit d'intérêts, qui pourrait remettre en cause son indépendance par rapport à la présidence de la fédération ? Nous pensions qu'on ne pouvait pas être directeur technique national d'une fédération et candidat à la présidence de la même fédération, mais il semblerait que le ministère et le comité d'éthique aient donné leur aval en ce qui concerne la Fédération française de handball.
Ce que je sais de ce cas précis, c'est que le DTN a demandé une disponibilité à son administration, la direction des sports, en amont du dépôt de candidature à la présidence. Elle lui a été accordée. Le code de déontologie des CTS rend incompatible d'exercer des fonctions électives dans la fédération au sein de laquelle le cadre technique exerce. Il prévoit aussi un délai de carence de trois ans entre la fin de mission du cadre au sein de la fédération et le moment où il peut se présenter à des fonctions électives – mais il ne s'agit, aujourd'hui, que d'une recommandation. On peut se demander s'il ne faut pas rendre un tel délai obligatoire entre la fin des fonctions et l'accès à des fonctions électives. C'est en tout cas un sujet qui mérite débat.
Dans votre rapport de 2014, vous préconisiez d'inscrire la prévention des violences sexistes et sexuelles dans les conventions d'objectifs des fédérations, avec une évaluation sérieuse des actions conduites. La Cour des comptes a jugé, à juste titre, que ces documents étaient trop généraux et qu'ils ne tenaient pas suffisamment compte des situations spécifiques des fédérations. Qu'en pensez-vous ? Pourquoi ne pas avoir prévu des actions précises, assorties d'indicateurs ?
Il y avait, à l'époque, des conventions d'objectifs entre la direction des sports et les fédérations, puisque les moyens qui étaient dédiés à celles-ci étaient gérés par celle-là. Ce n'est plus le cas aujourd'hui : ces moyens sont désormais alloués par l'Agence nationale du sport (ANS). Nous avions fait évaluer ces conventions d'objectifs pour y faire figurer l'éthique et l'intégrité, mais sans aller jusqu'à l'élaboration de critères d'évaluation, comme le préconisait la Cour des comptes. Cette évolution était réelle cependant, de la même façon que les lettres de mission des conseillers techniques sportifs, qui ne traitaient pas de ces questions auparavant, les ont intégrées ensuite.
Aujourd'hui, l'accompagnement des fédérations dans les plans de prévention se fait sous deux formes : l'accompagnement technique, qui est assuré par la direction des sports, et l'accompagnement financier, qui est pris en charge par l'Agence nationale du sport. Les moyens alloués par l'ANS aux fédérations dans le cadre de leurs projets sportifs fédéraux dépassent les 3 millions d'euros. L'ANS est associée aux réunions de bilan organisées avec les fédérations pour inclure l'évaluation des projets sportifs fédéraux dans les échanges avec les présidents de fédération.
L'article 4-1 du contrat de délégation signé entre l'État et la Fédération française de canoë-kayak et sports de pagaie, qui est relatif à la lutte contre les violences, les discriminations et les incivilités, prévoit d'« accompagner les victimes et les parties prenantes », sans plus de détails. Comment évaluez-vous sérieusement la mise en place d'un objectif aussi vague ?
La direction des sports tient un tableau qui répertorie le contenu précis de chaque plan de prévention des fédérations, et qui nourrit le dialogue en matière d'accompagnement. Il se trouve que la réunion de contrat de délégation avec la FFCK vient de se tenir. Nous avons passé en revue tous les aspects de la lutte contre les violences : la cellule de signalement, le contrôle d'honorabilité, le plan de prévention ou encore les formations – systématiques ou non. Il s'agit d'un travail beaucoup plus fin que ce que laisse supposer le contrat de délégation. On peut estimer, c'est vrai, que la formulation des contrats de délégation est de qualité inégale et qu'elle n'est pas suffisamment précise par rapport aux attentes. L'enjeu de ces bilans est de rentrer beaucoup plus dans le détail.
C'est d'autant plus important lorsqu'il s'agit de fédérations qui risquent, éventuellement, de perdre leur délégation. Avec des objectifs aussi flous, il peut être difficile de justifier le retrait de la délégation.
C'est la raison pour laquelle je suis très attachée à la formalisation. Pour préparer ces réunions de bilan de contrat de délégation, nous menons en amont un travail avec chaque fédération, pour reprendre les différents items et les sujets sur lesquels il pourrait y avoir des difficultés. De même, après l'entretien, un compte rendu exhaustif de tout ce qui s'est dit au cours du dialogue est rédigé, tandis qu'un courrier est adressé au président de la fédération, qui acte les attentes en matière d'amélioration. C'est grâce à tout ce dispositif que l'on peut motiver, ensuite, une éventuelle décision de retrait d'agrément ou de délégation.
Comment expliquez-vous que la formulation soit aussi vague ? Est-ce par méconnaissance des sujets, par manque de moyens ?
Je l'explique par l'urgence dans laquelle nous avons travaillé, à la sortie du décret d'application sur les contrats de délégation, compte tenu des délais prévus pour conclure ces contrats. Les fédérations sont très nombreuses et nous avons eu très peu de temps. Il s'agit d'un premier jet, qui est évidemment perfectible.
Pourquoi les contrats de délégation ne comportent-ils pas de clause relative à l'obligation d'intégrité et d'exemplarité des dirigeants ?
Il me semblait qu'il y avait une disposition relative à l'atteinte à la probité.
Je ne peux pas vous répondre.
La Cour des comptes a pointé la perte de lisibilité et d'efficacité qui peut découler de l'existence de quatre contrats, conclus entre les fédérations et la direction des sports pour deux d'entre eux, et avec l'ANS pour les deux autres : contrat de délégation ; contrat de performance ; contrats de développements fédéraux et projets de performance fédéraux. Qu'en pensez-vous ?
En effet, cela peut paraître complexe, d'autant que l'on pourrait ajouter le contrat d'engagement républicain. Cependant, tous ces contrats ne sont pas de même nature, en particulier le contrat de délégation, qui ne comporte pas de conséquence en matière d'attribution de moyens par l'État à la fédération.
En revanche, il y a sans doute un travail de rationalisation à faire en ce qui concerne les moyens alloués par l'Agence nationale du sport. Je pense également que, vous avez raison, il y a un défaut de visibilité sur toute la partie régalienne, même si un effort a été accompli, y compris par le législateur, pour montrer comment ces différentes procédures s'articulaient. Nous serons peut-être amenés à revoir le contenu du contrat d'agrément et celui du contrat de délégation qui, finalement, traitent largement des mêmes choses.
Puisque vous l'avez évoquée, ne pensez-vous pas que la création de l'ANS a affaibli le ministère des sports dans ses missions régaliennes ?
Non, au contraire. D'ailleurs, je commence chacune de mes réunions avec les présidents de fédération en leur disant que c'est une réunion historique, dans la mesure où c'est la première fois que nous systématisons un temps d'échange avec eux, dédié exclusivement à la question de leurs obligations en matière d'éthique et d'intégrité, sans évoquer le sujet des moyens financiers qui leur sont alloués – à l'exception notable des moyens humains, à travers les conseillers techniques sportifs.
La Cour des comptes estime que la direction des sports ne dispose pas des moyens adéquats pour exercer ses fonctions de contrôle et d'audit. Les moyens de la direction des sports ont diminué parallèlement à son repositionnement sur des missions régaliennes. Son plafond d'emploi est passé de 144 équivalents temps plein en 2018 à 126 en 2022. Avez-vous signalé que vous manquiez de moyens humains ? Demandez-vous des moyens supplémentaires pour la direction des sports ? Vous dites que la création de l'ANS n'a pas eu d'impact, mais la baisse des moyens de la direction des sports a été concomitante.
A été transféré de la direction des sports à l'ANS tout ce qui relève des conventions d'objectifs et de l'allocation des moyens financiers : la direction des sports n'a donc plus de moyens humains qui y sont dédiés. Cela étant, on voit bien l'étendue des missions qui restent à la direction. Les effectifs du bureau dédié au suivi des fédérations sportives ayant été très réduits, nous avons demandé des moyens supplémentaires. Le projet de loi de finances pour 2024 prévoit d'ailleurs la création de quatre postes pour renforcer l'équipe de la direction des sports.
J'aimerais revenir sur la situation particulière du DTN de la FFT. En avez-vous fait part à la Première ministre ?
Oui.
L'idée, dans les échanges que nous avons eus avec les services de la Première ministre, est celle que je vous ai déjà exposée : même si la situation est problématique et que les médias s'en font l'écho, dans la mesure où elle est installée, on attend la fin de l'olympiade pour agir. La situation devra être réglée pour la prochaine olympiade.
J'aimerais également revenir sur la question du contrôle d'honorabilité. La FFF nous a dit qu'elle aurait à maintes reprises, depuis juillet 2021, alerté le ministère des sports sur les dysfonctionnements du contrôle automatisé de l'honorabilité et demandé son élargissement. La FFF aurait notamment demandé sans succès d'ouvrir le contrôle automatisé d'honorabilité à tous les dirigeants des clubs, et pas seulement aux président, trésorier et secrétaire. Confirmez-vous ces informations ?
Comme je vous l'ai dit, le contrôle d'honorabilité concerne actuellement le président, le trésorier et le secrétaire et il est prévu de l'étendre à d'autres membres. D'ailleurs, certaines fédérations l'ont déjà fait. Nous sommes capables, dans le respect de la définition que j'ai rappelée tout à l'heure de l'exploitant d'établissement d'EAPS, de faire en sorte que les listes qui nous sont transmises fassent l'objet d'un contrôle. Vous aurez d'ailleurs observé – si ces informations ne vous ont pas été transmises, je le ferai – que le nombre de contrôles d'honorabilité réalisés au sein de la FFF a connu une augmentation significative.
La question qui se pose avec la FFF, sur laquelle j'ai eu l'occasion de revenir maintes fois depuis que je travaille sur ces sujets, est celle de l'articulation entre la typologie des licences et le croisement des fichiers, pour s'assurer que toutes les personnes qui sont en situation de responsabilité sont bien dans le fichier. Or on sait que ce n'est pas le cas.
L'Insep est sous la tutelle du ministère. Une audition et un contrôle sur pièces et sur place ont suffi à notre commission pour relever plusieurs dysfonctionnements, notamment un déficit d'information des sportifs, un déficit de formation et de sensibilisation que plusieurs outils permettraient de rendre obligatoires, un défaut de signalement des cas d'agressions sexuelles et une interprétation plus que contestable de la notion de consentement. Aviez-vous relevé ces problèmes, et comment contrôlez-vous l'action de l'Insep ?
Tous les établissements du ministère, et l'Insep en premier lieu, sont soumis, dans le cadre de la tutelle que nous exerçons sur eux, à des obligations, notamment en matière de lutte contre les violences. Nous leur avons demandé de sécuriser le recueil de la parole d'éventuelles victimes et d'en assurer le traitement, et de veiller au lien avec le ministère et la cellule Signal-sports et à leur stratégie de prévention.
Ma question était plus précise : aviez-vous connaissance de ces dysfonctionnements au sein de l'Insep ?
Non. Dans les relations que nous avons avec l'Insep et dans le cadre de cette tutelle, nous avons constaté que ce qui était attendu au titre du plan de prévention avait été mis en œuvre et soumis au conseil d'administration de l'Insep. Il me semble que ce que vous pointez, c'est un décalage entre le dispositif qui a été transmis au ministère, qui laisse à penser que les choses sont faites et bien faites, et la réalité du traitement des signalements. J'ai bien sûr eu l'occasion d'échanger avec le directeur général de l'Insep sur cette question. Ce que j'ai constaté de positif à l'Insep, c'est l'introduction d'un circuit de signalement, avec des personnes dédiées à leur traitement. L'Insep a une relation assez régulière avec la direction des sports et même avec moi concernant certains signalements. Cela étant, il semble que, dans certains cas, l'établissement n'ait pas été au rendez-vous. Peut-être faut-il que nous prenions les sujets les uns après les autres ?
Je vais donc préciser mes questions. Avez-vous été informée de tous les cas de violences sexistes et sexuelles en lien avec l'Insep ? Estimez-vous avoir été correctement informée et êtes-vous satisfaite du suivi des différentes affaires ? Je pense notamment à celle ayant impliqué un escrimeur, où il y a manifestement eu des demandes contradictoires de la part de la fédération et de l'Insep.
Par ailleurs, ce n'est pas un décalage que les affaires de Claire Palou et d'Emma Oudiou mettent en évidence, mais des questions très précises : à quel moment un directeur d'établissement doit-il faire un signalement au titre de l'article 40 ? Comment l'Insep est-il accompagné par la direction des sports sur ces dossiers ?
Dans une des affaires dont il a été question, la personne mise en cause, qui appartenait à une entreprise de sécurité du site, n'a fait l'objet d'aucun signalement. On a juste demandé à son entreprise de l'employer ailleurs. Je ne sais pas si vous avez suivi l'audition de l'Insep ?
Oui, je l'ai suivie. Pour tous nos établissements, nous avons un suivi des signalements – dont nous avons évidemment connaissance. Au-delà des dispositions de l'article 40 et d'une éventuelle procédure administrative, qui est de la compétence du préfet, il est de la responsabilité du directeur de l'établissement de décider d'une éventuelle procédure disciplinaire si la personne mise en cause est au sein de l'établissement, quel que soit son statut – sportif, entraîneur, etc. Il est donc important de disposer d'un recensement des affaires de violences.
La direction des sports a eu connaissance d'une dizaine d'affaires à l'Insep au cours des quatre ou cinq dernières années – je pourrai retrouver des informations plus précises si vous le souhaitez. À propos de ces affaires, nous avons été amenés, à l'instar de ce que j'ai pu dire tout à l'heure au sujet des CTS, à renforcer la montée en compétences dans nos établissements sur le traitement de ces sujets : très clairement, les procédures disciplinaires n'étaient pas systématiques, pas plus que les signalements au titre de l'article 40.
J'entends ce que vous dites, mais il se trouve que le directeur de l'Insep était lui-même DTN : on peut donc partir du principe qu'il connaissait les procédures. Dans l'affaire de Claire Palou, il se passe plusieurs mois avant qu'un signalement soit fait au titre de l'article 40. Quels sont vos échanges avec l'Insep à cette époque, et qu'est ce qui explique ce délai de plusieurs mois après qu'on a eu connaissance des faits ? Vous avez parlé d'une dizaine d'affaires : étiez-vous informée qu'un agent de sécurité avait agressé une sportive et qu'il n'avait pas été sanctionné ?
Je n'étais pas informée de l'affaire concernant l'agent de sécurité. S'agissant de l'article 40, la consigne donnée à nos établissements est claire : nous leur demandons de transmettre au procureur de la République les faits qui sont portés à leur connaissance. Peut-être pourrons-nous revenir sur cette situation en dehors de cette audition publique : je pense qu'il faut aussi, dans le traitement des signalements, prendre en compte certains éléments liés à l'environnement de la victime.
Vous aviez préconisé en 2014 de rendre obligatoire dans chaque établissement une sensibilisation sur le sujet des violences sexuelles. Avez-vous poussé cette proposition ? On nous a expliqué que c'était impossible dans certains établissements, notamment à l'Insep.
Non seulement ce n'est pas impossible, mais c'est obligatoire ! C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons renforcé nos partenariats au niveau national avec les associations qui interviennent dans les établissements. Nous demandons aux établissements d'organiser, notamment au moment de la rentrée sportive, des temps de présentation et de sensibilisation sur ces sujets. Ce ne sont pas forcément les mêmes associations qui interviennent dans tous les établissements. L'essentiel des établissements recourent à l'association Colosse aux pieds d'argile. Ce n'était pas le cas à l'Insep et une situation fort regrettable survenue il y a deux ou trois ans semble avoir marqué suffisamment l'établissement pour que l'on soit amené à lui rappeler que ces opérations de sensibilisation sont obligatoires. De ce que j'en sais, elles ont désormais lieu à la rentrée.
Êtes-vous bien sûre que les responsables de l'Insep sont au courant que c'est obligatoire ? Ils nous ont dit qu'il n'était pas possible d'obliger des personnes majeures à participer à ces opérations de sensibilisation, alors qu'ils le font pour les mineurs.
J'ai un peu interprété votre question. Ce qui est obligatoire, c'est que chaque établissement organise ces séances – et tous le font désormais. Ensuite, comment faire en sorte que le public auquel on souhaite s'adresser soit effectivement présent ? Cette question relève en réalité du règlement intérieur des établissements.
Vous ignorez peut-être qu'à l'instar de ce qui se fait dans des établissements étrangers du même type, notamment dans les pays anglo-saxons, l'Insep a travaillé avec la direction des sports à un dispositif qui permettrait de subordonner l'accès à l'établissement à la vérification d'un certain nombre de « compétences de base » sur la question de la lutte contre les violences sexuelles. Cette expérimentation, qui débutera au début de l'année 2024, sera étendue à l'ensemble de notre réseau d'établissements.
À très court terme, ne pensez-vous pas qu'il serait plus efficace de modifier le règlement intérieur de l'Insep pour rendre cette information obligatoire ?
Peut-être, oui. En tout cas, c'est une question qui revient souvent et sur laquelle on peut progresser. L'une des difficultés tient au fait que la stratégie de l'établissement croise celle des fédérations, au sein desquelles évoluent aussi bien les athlètes que les entraîneurs. Chacun a tendance à se reposer sur l'autre : l'établissement considère que le pôle qui est accueilli relève de la responsabilité de la fédération concernée ; la fédération, de son côté, a tendance à considérer que ce genre d'initiative relève de l'établissement dans lequel le pôle est accueilli.
Nous avons bien compris l'enjeu des relations entre l'Insep et les fédérations. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai évoqué la situation de l'escrimeur qui a été exclu de l'établissement : après un classement sans suite, la fédération a demandé à ce qu'il soit réintégré à l'Insep. Il a été réintégré sous surveillance.
Sans qu'il y ait eu une décision judiciaire ?
Si : le classement. L'Insep a mis en place tout un système pour éviter que la personne qui a dénoncé les faits se retrouve dans le même périmètre que cet athlète. On voit bien là la complexité du lien entre les fédérations et l'Insep.
Le travail des associations qui interviennent pour informer et parfois accompagner les victimes dans les fédérations, les clubs et les ligues fait-il l'objet d'une évaluation ?
Oui, dans le cadre du financement qui leur est alloué. Le soutien aux associations est passé de 380 000 euros l'année dernière à 670 000 euros cette année ; 40 % de ces moyens sont dédiés à des associations qui œuvrent dans le champ de la lutte contre les violences. Une évaluation est faite de leur travail, dans le cadre de la convention signée avec elles. Elles ont une offre de formation proposée sous forme de catalogue et nous laissons les établissements choisir l'association qui leur convient – il peut y avoir des partenariats locaux très féconds, à côté des partenariats nationaux. Nous avons un temps d'échange annuel avec les associations au cours duquel nous faisons le bilan de leur activité, ce qui peut d'ailleurs conduire à réorienter certaines subventions. Par ailleurs, nous avons évidemment un retour des établissements sur la qualité de la prestation dispensée.
Justement, pouvez-vous nous expliquer comment cela fonctionne concrètement ? Lorsqu'une association est financée par le ministère des sports pour des actions de sensibilisation, d'information ou de formation, est-il normal que les fédérations, voire les ligues, doivent à leur tour les payer, pour des actions de formation qui nous semblaient relever du partenariat avec le ministère des sports ?
Les partenariats qui ont été négociés au niveau national avec les associations leur permettent simplement d'intervenir dans les établissements, et parfois d'apporter leur contribution à des travaux ou à l'élaboration de documents. Il n'y a pas de partenariat au niveau national avec les associations pour l'activité qui est la leur auprès des fédérations sportives. Cela n'est pas inclus dans les financements du ministère.
J'aimerais revenir sur les CTS et les DTN. On a le sentiment que les missions des CTS sont très peu définies par la loi, ce qui leur permet de jouer des rôles très différents selon les fédérations. Les missions du DTN ne devraient-elles pas être précisées, par exemple avec la création d'un véritable statut du DTN ?
Oui, c'est d'ailleurs une revendication des DTN, dont le statut pourrait être nettement amélioré en renforçant leur mission managériale et administrative au sein de la fédération. C'est un vrai débat, et cela rejoint la question que vous me posiez tout à l'heure au sujet de l'existence d'un répertoire des compétences des DTN. Une question récurrente est de savoir si l'on doit privilégier, dans la fonction de DTN, la dimension technique et disciplinaire, liée à l'activité, ou la dimension administrative, de gestion, de la fédération. Comme les choses ont été écrites dans le code du sport, on voit bien qu'il penche plutôt en faveur de la compétence disciplinaire et de la gestion de l'organisation de la discipline. Nous y sommes très attachés, et c'est d'ailleurs ce qui justifie que l'on affecte des cadres d'État dans ces fédérations. Mais on voit bien, à l'aune de l'expérience et de la réalité de la gouvernance des fédérations, qu'il faut se réinterroger sur ce qui est attendu des DTN et sur la place qu'ils occupent dans la gouvernance.
S'agissant du contrôle d'honorabilité, lorsque le croisement avec le Fijaisv révèle un problème, le président du club reçoit un courrier l'informant par exemple que telle personne ne peut plus avoir de fonction d'encadrement. Or il arrive qu'une licence soit malgré tout délivrée par la fédération. Il semble qu'il y ait un dysfonctionnement à ce niveau-là. Ne faudrait-il pas que la fédération refuse systématiquement de délivrer une licence quand il y a une alerte de ce type ? Souvent, les présidents de clubs nous disent qu'ils ne sont informés de rien : ils reçoivent seulement un courrier avec des références juridiques, mais dès lors que la demande de licence a été acceptée par la fédération, ils ne se posent pas tellement de questions.
Mais comment se fait-il qu'un président de club fasse une demande de licence pour une personne ayant fait l'objet d'une mesure d'incapacité ou d'interdiction d'exercer ? Encore une fois, cela pose la question de la typologie des licences et de la chaîne de décision. Pour aller dans votre sens, si nous avons introduit l'information systématique de la fédération, en plus de l'information du club au sein duquel évolue la personne, c'est justement pour qu'elle puisse tirer les conséquences qui s'imposent. L'idée, c'est que la licence ne puisse justement pas être délivrée à la personne en cause. Cela recoupe ce que nous avons dit tout à l'heure au sujet des mesures conservatoires et de la réunion des commissions de discipline sur ces affaires-là.
Ne faudrait-il pas inscrire dans la loi l'obligation, pour les fédérations sportives, de suspendre ces personnes à titre conservatoire ? Pour l'instant, c'est seulement une possibilité qui leur est laissée.
La question se pose toujours de savoir s'il faut inscrire dans la loi une disposition qui relève de la responsabilité des fédérations, laquelle doit être réellement exercée. Cela soulève la question de la typologie des licences : une mesure d'incapacité doit-elle conduire à un retrait de la licence, jusqu'au niveau de pratiquant ? Cela touche aux libertés publiques. En tout état de cause, il est important de ne pas délivrer une licence qui donne droit à l'exercice de responsabilités, en qualité d'encadrant ou de dirigeant, et qui permet d'être en contact avec des mineurs.
Le 20 juillet dernier, le journaliste Romain Molina évoquait, au cours de son audition, les nombreux dysfonctionnements qui affectent la fédération de kickboxing. Il a notamment dénoncé un système de prostitution, en tout cas de chantage sur des parents, dans un club d'Aulnay-sous-Bois. Je crois que le ministère a porté ces faits à la connaissance de la justice en application de l'article 40 du code de procédure pénale. D'anciens membres de cette fédération nous ont rapporté les mêmes faits, en indiquant que le ministère n'a jamais voulu entendre quoi que ce soit. Ils ont notamment formulé des accusations contre M. Albert Pernet, qui était directeur technique national de la fédération entre 2014 et 2021 et qui est actuellement chargé de mission au ministère. Celui-ci aurait, selon eux, couvert ces faits et se serait rendu complice d'un certain nombre d'entre eux. En outre, M. Pernet bloquerait des signalements dont avait connaissance le ministère des sports.
J'ai eu un échange avec M. Molina, qui m'a fait part d'un certain nombre de dysfonctionnements tels que ceux que vous décrivez. Il m'a mise en contact avec une personne avec laquelle j'ai échangé sur ces questions. Compte tenu de la gravité des faits dénoncés, j'ai demandé que l'on me transmette les signalements qui auraient été faits au ministère et qui n'auraient pas été traités. À l'heure où je vous parle, je n'ai rien reçu. Vous venez de citer le nom d'un cadre de ma direction qui se trouve ainsi publiquement mis en cause alors que je n'ai pas d'éléments me faisant penser que des faits étayés puissent lui être reprochés. Je suis évidemment preneuse des éléments qui auraient pu être portés à votre connaissance pour que des suites puissent être données.
Nous avons reçu beaucoup de documents. Nous allons voir ce que nous pouvons vous transmettre sans divulguer d'informations sur les personnes qui les ont communiquées.
Pouvez-vous nous confirmer que la mission de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche qui est conduite au sein de cette même fédération a commencé en septembre 2023 ? Relève-t-elle d'une mission de contrôle spécifique ?
La mission a en effet commencé, puisque j'ai été auditionnée par les inspecteurs généraux. Il me semble qu'elle a débuté en septembre. Je pourrai vous indiquer la date précise à laquelle j'ai été auditionnée si cela vous est utile. C'est une mission de contrôle de la fédération.
M. Lappartient semble estimer que vous ne faites pas preuve de suffisamment de fermeté à l'égard des fédérations qui ne respectent pas la loi. Lors de son audition, il a jugé inacceptable que 17 % des fédérations n'aient pas de comité d'éthique alors qu'il s'agit d'une obligation légale. Il a ajouté : « À cet égard, je trouve que les fédérations qui n'en ont pas devraient être mises en demeure sous peine de perdre leur délégation ou ne plus être éligibles aux financements publics. » Avez-vous proposé des actions en ce sens à votre cabinet ?
À l'heure où je vous parle, seules deux fédérations – de petite taille, au demeurant – n'ont pas institué de comité d'éthique : celle de ballon au poing et celle de course camarguaise. Dans le cadre du bilan des contrats de délégation, les fédérations sont systématiquement interrogées sur ce point. Nous leur demandons très précisément la composition de la commission d'éthique, les réunions qu'elle a tenues et son bilan d'activité. Nous avons demandé aux présidents des fédérations de nous transmettre ces bilans d'activité, ce qui nous permettra, comme nous y invite M. Lappartient, de dresser un état des lieux et d'aller, le cas échéant, vers un retrait de la délégation ou de l'agrément.
Même lorsqu'ils existent, M. Lappartient estime que certains comités d'éthique « ne disposent pas des moyens nécessaires pour fonctionner ». Il considère que, parfois, « les liens avec l'exécutif n'en garantissent pas l'impartialité » et qu'ils « pourraient être revisités ». Partagez-vous ce constat ? Avez-vous préconisé des actions à votre cabinet pour remédier à cette situation ?
Pour l'instant, non. Nous avons commencé à travailler sur le bilan. Les échanges que j'ai eus m'ont montré que les situations des comités d'éthique et leur positionnement dans l'institution fédérale sont très hétérogènes. Je suis persuadée que, comme au sujet des procédures disciplinaires, il faut à présent dresser un premier bilan et formuler des préconisations. Rappelons que les comités d'éthique entrent dans le champ de compétence du CNOSF, à qui il revient aussi d'en assurer le suivi et la coordination. Le cadre de ces commissions d'éthique est peu précisé : on sait juste qu'il doit être mis en place et quelles pourraient être ses missions. Mais, étant donné ce qui s'est passé au cours des derniers mois, on devrait être en mesure de montrer quelles sont les bonnes pratiques et ce qui, à l'inverse, ne fonctionne pas. Ce sujet a partie liée à la question des violences. À tire d'exemple, l'articulation entre les comités d'éthique et les commissions disciplinaires est un sujet prégnant dans le fonctionnement des fédérations.
Comment vous assurez-vous que des actions parallèles ne sont pas menées concernant les mêmes faits de violences sexistes et sexuelles ? Le CNOSF – auquel, me semble-t-il, le ministère attribue près de 10 millions – a-t-il une feuille de mission claire ? Cette question a été évoquée en audition notamment par l'ancienne ministre des sports Mme Maracineanu. Comment travaillez-vous avec le CNOSF sur cette question ?
La convention d'objectifs qui nous lie au CNOSF prévoit un certain nombre d'actions relatives à l'accompagnement juridique des fédérations, aux événements susceptibles d'être organisés et à l'articulation des différentes mesures. L'organe du CNOSF avec lequel nous travaillons le plus est la commission juridique – il y a d'ailleurs eu un temps de travail, cette semaine, sur le règlement disciplinaire des fédérations. Il n'y aurait aucune justification à ce que le ministère lance des actions de sa propre initiative sans y associer le CNOSF ou, au moins, sans partager des informations avec lui, et inversement. Le ministère est associé à chaque manifestation, qu'il s'agisse des conventions nationales ou du colloque international organisé par la commission de lutte contre les violences du Conseil – lors duquel je suis d'ailleurs intervenue.
Oui, elle a été signée.
Que pensez-vous des propos de M. Masseglia, qui nous a affirmé sous serment ne jamais avoir eu connaissance d'aucun fait qui aurait pu justifier de déclencher l'application de l'article 40 du code de procédure pénale ?
M. Masseglia faisait sans doute référence aussi aux fonctions qu'il a exercées au sein de sa fédération. Je crois malheureusement que beaucoup de dirigeants auraient pu faire la même réponse, car ils n'ont pas pris la mesure de la gravité de ces faits qui ont inévitablement été portés à leur connaissance.
Vous croyez vraiment que ces dirigeants n'ont pas pris en considération la gravité des faits ?
Depuis que je travaille sur ces questions, et compte tenu du nombre de signalements que nous avons à traiter, j'ai acquis la conviction que pour leur très grande majorité ils auraient dû être révélés bien en amont, et qu'en tout cas un certain nombre de dispositions n'ont pas été prises qui auraient permis d'éviter que ces faits se produisent. Je ne suis pas en train de dire que, lorsqu'on est dirigeant, on n'a pas conscience de la gravité des faits dont on parle ici : la grande majorité des dirigeants non seulement le sont, mais mettent tout en œuvre pour que l'accueil dans les clubs soit bienveillant. Je pense simplement, et cela figure dans le rapport de 2014, qu'il y a eu un temps où l'on savait que ces questions existaient, mais où elles étaient plutôt traitées de manière interne aux fédérations, sans déclencher forcément, puisque c'était la question, la procédure de l'article 40.
Je crois que nous ne parlons pas de la même chose. Comme nous l'avons constaté à diverses reprises, lorsqu'on demande à une personne auditionnée si elle a, ou a eu, connaissance de faits graves, par exemple en matière de violences sexistes et sexuelles, la réponse est très généralement non. Vous expliquez cela par l'absence de prise en considération de la gravité des faits. Or ce n'est pas vraiment la même chose. On peut parfaitement avoir connaissance des faits et juger, à tort ou à raison, qu'il faut ou non saisir la justice sur le fondement de l'article 40. Mais en l'occurrence, la personne nous dit généralement qu'elle n'a pas ou qu'elle n'avait pas connaissance des faits. C'est à cela que nous nous heurtons depuis cinq mois, et je retrouve cet aspect dans certaines de vos réponses. C'est toujours le même petit jeu : renvoyer la balle à celle ou à celui qui n'est pas présent à l'audition.
Je pose la question à mes collègues : pourrait-on auditionner en même temps l'ensemble des personnes concernées au sein d'une même fédération ? J'ignore si c'est possible mais il est clair que, lorsqu'on a affaire à une seule personne – étant rappelé que nous ne sommes ni juges, ni procureurs – on ne peut assurer une confrontation. Sans vouloir aucunement vous mettre en cause, madame Bourdais, vous répondez sans répondre. Je ne mets pas sur le même plan le fait d'avoir eu connaissance des faits et de ne pas l'admettre, d'une part, et le jugement porté sur la gravité de ces faits et donc sur la nécessité ou non d'appliquer l'article 40, d'autre part. Ce qui me consterne, depuis juillet, c'est que très régulièrement des responsables nous disent qu'ils n'étaient pas au courant. C'est très difficile à entendre. Quand on est dans ce déni quasi-permanent, cela laisse augurer de moments encore compliqués.
Je partage pleinement vos propos. Cela nous ramène aux questions qui m'ont été posées au début de l'audition, sur l'époque à laquelle on a commencé à parler de ces sujets. Il faut rappeler le courage qu'ont eu les premières victimes qui ont parlé, telles Catherine Moyon de Baecque ou Isabelle Demongeot. On a lancé une politique publique sur cette question, qui n'a pas eu les effets escomptés, en partie parce que les sujets ne remontaient pas. On s'aperçoit aujourd'hui qu'à l'époque, les victimes avaient exprimé des choses mais qu'elles n'avaient pas été entendues. Les dirigeants ou les personnes qui étaient aux responsabilités disent qu'ils ne savaient pas alors que, manifestement, compte tenu des faits et des circonstances qui les ont entourés, il était impossible que personne ne soit au courant. C'est sans doute ce qui est le plus consternant.
Nous sommes confrontés à une réelle difficulté car ces personnes qui ont peut-être été informées, qui n'ont pas fait ce qu'il fallait au moment où il le fallait, qui n'ont pas dénoncé les faits, sont toujours là. Le mouvement sportif est un petit milieu : les personnes qui ont été informées de certains faits, dans le cadre de leurs fonctions, il y a quelques années s'occupent à l'heure actuelle d'autres responsabilités, mais toujours au sein du mouvement sportif. Parfois, une personne a été mise à l'écart, mais toutes les autres sont encore là. Nous avons auditionné des gens qui nous ont expliqué qu'ils n'avaient jamais été informés de rien – en vingt-cinq ans ! Certains sont restés à la tête de leur fédération pendant de très longues années et n'ont jamais fait de signalements. Ils sont toujours présents dans le mouvement sportif – M. Le Graët par exemple, a certes quitté la FFF, mais pour rejoindre la Fédération internationale de football (Fifa) ! Certaines de ces personnes ont été, à un moment ou à un autre, directeur technique national. Dans ce contexte, nous nous demandons comment faire évoluer les mentalités et faire en sorte que cela n'arrive plus, que des actions concrètes soient menées.
C'est également une source de difficulté pour nous. Certaines des enquêtes que nous avons à conduire concernent des faits anciens, voire très anciens. Les personnes visées s'inscrivaient dans un contexte qui pouvait conduire à la commission de violences psychologiques, voire physiques – je ne parle pas, évidemment, de violences sexuelles. Elles sont mises en cause des années plus tard, et l'on demande alors à l'administration et aux fédérations de prendre des mesures qui soient à la hauteur de la gravité des faits.
Dans ces cas, nous sommes confrontés à des difficultés de deux ordres. D'une part, l'administration doit évaluer le risque que présente aujourd'hui la personne vis-à-vis du public susceptible de lui être confié. Nous ne sommes pas des juges et nous n'avons pas à rechercher une sanction : il nous appartient de protéger le public. Or il s'agit d'affaires très graves, dans lesquelles les personnes mises en cause sont parfois toujours aux responsabilités, mais au sujet desquelles nous n'avons pas d'éléments précis, récents, qui laisseraient à penser que ce risque existe toujours. C'est absolument inaudible pour les victimes, puisque cela revient, dans une certaine mesure, à nier leur souffrance.
D'autre part, comment peut-on resituer la personne mise en cause dans un contexte où, manifestement, tout le monde savait et personne n'a rien fait ? Finalement, cela donne le sentiment que certains seront les boucs émissaires du système, même s'ils y ont bien sûr contribué. J'ajoute immédiatement que le système ne justifiera jamais certaines pratiques et que ce que je dis n'est pas de nature à remettre en cause les responsabilités individuelles. Cela étant, c'est une question très complexe pour les personnes qui, au sein de nos services, ont à conduire les enquêtes.
La commission auditionne M. Stéphane Nomis, président de la Fédération française de judo, et M. Sébastien Nolesini, directeur général.
L'Assemblée nationale a décidé de créer cette commission à la suite de nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires liées à la gestion de certaines fédérations. Nos travaux sont organisés autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles et psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales ; les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.
Monsieur Nomis, vous êtes un ancien sportif de haut niveau, chef d'entreprise spécialisé dans le développement et la transformation de systèmes informatiques. Vous avez été élu à la tête de la Fédération française de judo en 2020, succédant ainsi à M. Jean Luc Rougé.
Monsieur Nolesini, également ancien athlète de haut niveau, vous avez exercé différentes responsabilités au sein de collectivités territoriales. Vous avez présidé le club Flam 91 jusqu'en 2020, avant d'être nommé directeur général de la Fédération en 2021, aux côtés de Stéphane Nomis.
Dans un bref propos liminaire, pouvez-vous nous indiquer de quels faits relevant du champ de cette commission d'enquête vous avez eu connaissance, et les réponses que vous y avez apportées ?
Sur les sujets qui intéressent cette commission, quelles actions la Fédérations a-t-elle accomplies et quelle organisation a-t-elle mis en place ? Quels contrôles le ministère des sports exerce-t-il dans ces domaines ?
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.
Avant de vous laisser la parole et d'entamer nos échanges pendant environ une heure trente, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Stéphane Nomis et M. Sébastien Nolesini prêtent successivement serment.)
J'ai la ferme conviction que toutes les démarches entamées pour lutter contre les défaillances constatées au sein du monde sportif permettront à tous les acteurs de progresser – tant la fédération que moi-même, en tant que président. Je souhaite donc commencer ce propos liminaire en remerciant cette commission d'enquête. Elle participe grandement à identifier les problèmes et elle contribuera à impulser les régulations nécessaires.
J'ai été élu à la tête de la Fédération, en novembre 2020, dans un contexte particulier : pendant le covid, après le mouvement #MeToo et la sortie du livre de Sarah Abitbol. De nombreuses victimes ont alors, enfin, été entendues, parmi lesquelles des judokas.
Durant la campagne pour la présidence de la Fédération, j'ai découvert des modalités de gouvernance centralisées autour d'un petit nombre de personnes et s'exerçant dans un mouvement descendant, mais aussi une situation financière dont la crise liée au covid avait accentué la dégradation.
J'ai surtout découvert avec effroi les témoignages de personnes victimes de violences sexuelles, physiques ou psychologiques dans le sport, y compris au sein de notre fédération ; je n'étais préparé ni à la nature de ces violences, ni à l'ampleur du phénomène. Aujourd'hui encore, je n'ai pas honte de l'avouer, il m'est difficile d'appréhender la complexité du sujet, qui fait partie des priorités de mon mandat.
La commission s'interroge souvent sur le rôle d'un président de fédération. Laissez-moi vous présenter ma vision et la manière dont je l'incarne. En effet, j'ai volontairement rompu avec la méthode de mon prédécesseur, que vous avez entendu le 19 octobre dernier.
J'ai démarré le judo à Grigny, dans un quartier de la Grande-Borne. J'ai ensuite intégré l'équipe de France et passé dix ans à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep). À la fin de ma carrière, la Fédération et mon club m'ont payé une formation, car je n'avais pas de diplôme ; je suis devenu informaticien puis chef d'entreprise : j'ai réussi à créer une société informatique consacrée à la transformation numérique.
Dès que je l'ai pu, j'ai voulu rendre au judo ce qu'il m'avait apporté. J'ai d'abord pris la présidence d'un club, devenu en quelques années champion de France puis vainqueur du championnat d'Europe des clubs, la Ligue des champions de judo. Ensuite, avec ma société Ippon Technologies, j'ai commencé à soutenir des athlètes en difficulté tant dans le judo que dans d'autres sports. En 2016, je suis devenu président du pacte de performance, pour aider les athlètes olympiques et paralympiques qui en avaient le plus besoin à trouver des conventions et des sociétés à même de les soutenir.
En 2020, j'ai été élu à la tête de la Fédération française de judo ; troisième fédération française, elle compte 530 000 licenciés, plus de 5 000 clubs, 120 salariés, 143 conseillers techniques et 59 cadres d'État.
Une fédération sportive est un organe qui représente l'ensemble de ses clubs et notre pays dans le monde. C'est aussi un délégataire de service public, ce qui implique des responsabilités et des obligations. Cette institution est au carrefour de nombreux univers : le monde associatif, le monde sportif, le monde fédéral, le monde politique – étatique, parlementaire ou territorial –, et le monde de l'entreprise, pour ne citer que les principaux.
En tant que président, je représente la Fédération et suis l'interlocuteur privilégié des différentes institutions. Cela demande énormément de temps et de disponibilité. Je reste pourtant bénévole, et je dirige également mon entreprise. En conséquence, je ne peux ni ne dois œuvrer seul : je suis entouré d'une équipe. Tous les sujets nécessitent des connaissances fines et des compétences spécifiques, or je ne suis pas omniscient, et je le sais. Toutefois, je reste le responsable de la Fédération, y compris en matière pénale. Il est donc essentiel pour moi de m'entourer de personnes de confiance, mobilisées et compétentes.
Pour cette audition, je m'appuie principalement sur deux personnes qui, au sein de la Fédération, peuvent se consacrer pleinement aux sujets cruciaux qui intéressent la commission : le directeur général Sébastien Nolesini, en lien avec le trésorier et les services, pour les questions relatives à la probité et à la gouvernance financière de la fédération ; la secrétaire générale Magali Baton, en lien avec le service juridique, pour les violences physiques, sexistes, sexuelles et psychologiques, et les discriminations sexuelles et raciales. Je souligne que tous les responsables de notre fédération sont présents ici – vous avez reproché le contraire tout à l'heure à Mme Bourdais.
Selon moi, un président de fédération est un chef d'orchestre en mesure de définir une vision, en accord avec son assemblée générale, pour nous de 230 membres ; d'impulser une politique fédérale ; de rythmer les chantiers ; de responsabiliser les cadres et les élus ; de s'assurer de l'efficacité des actions menées ; de représenter les clubs, les comités et les ligues, au niveau national, et, au niveau international, la Fédération, voire la France. Tout cela s'effectue, de la Fédération jusqu'aux clubs, dans le respect du cadre républicain. Le président garantit également aux licenciés une pratique éducative et sécurisée.
Je vais maintenant vous présenter les différents chantiers relevant de cette commission auxquels mon équipe a travaillé depuis le début de mon mandat.
S'agissant des atteintes à la probité, nous avons renforcé les réglementations, la sensibilisation et la répression, avec détermination. La Fédération a établi un plan d'action s'adressant à tous les acteurs du judo, qui vise à affermir la culture éthique en se fondant sur la charte d'éthique et de déontologie, en cours de refonte par le nouveau comité du même nom. La Fédération dispose aussi d'un protocole RSE, responsabilité sociale des entreprises, qui prévoit notamment les règles spécifiques liées aux relations avec les tiers. Conformément à la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2, elle a également établi une cartographie des risques d'atteinte à la probité, approuvée par le conseil d'administration (CA) le 17 juin 2023. Cette démarche, menée en collaboration avec un cabinet d'avocats, a abouti à instaurer un plan d'action et des mesures correctives concrètes à même de renforcer la culture de l'éthique introduite par la gouvernance actuelle. Au cours du deuxième semestre 2022, la Fédération a aussi déployé un plan de formation relatif à la prévention des atteintes à la probité, destiné aux élus et aux salariés membres du comité de direction élargie. Elle a également formalisé une procédure de gestion des conflits d'intérêts incluant des déclarations d'intérêt et, le cas échéant, l'obligation de déport. De plus, un code de conduite a été approuvé par le comité d'éthique et de déontologie, le comité social et économique (CSE) et le conseil d'administration. Ce dernier a désigné un responsable conformité et validé la création d'un réseau de référents conformité, tous formés, dans les ligues régionales. Enfin, à la suite des recommandations de la Cour des comptes et de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR), la Fédération a réécrit son règlement financier.
Pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) et toute autre forme de dérive portant atteinte à l'intégrité physique et morale de nos pratiquants, nous tâchons d'agir de manière systémique. Le 17 décembre 2020, le premier CA de mon mandat a validé la délégation de ce dossier à notre secrétaire générale. Dès le 11 septembre 2023, après votre audition des victimes appartenant du monde du judo, elle vous a fait part des actions accomplies depuis sa nomination et s'est mise à votre disposition pour éclairer vos travaux.
Nous souhaitons agir à la fois par la répression, par la prévention des violences et par l'accompagnement des victimes.
Je regrette de dire que depuis 2020, notre plateforme a enregistré 180 signalements, dont 95 concernent des VSS, 30 des violences physiques, 42 des violences verbales ; 123 de ces cas, soit 68 %, ont été transmis à l'administration, lorsqu'elle était compétente. En application de l'article 40 du code de procédure pénale, nous avons signalé au procureur de la République 24 crimes et délits. Nous avons ouvert 30 des 39 procédures disciplinaires motivées par des faits de violence. Les signalements sont examinés par la cellule Judo propre, composée de trois juristes et de la secrétaire générale, et, le cas échéant, par la commission de discipline.
Je ne suis pourtant pas satisfait. Nous prenons des sanctions disciplinaires quand les services de l'État ne prennent pas de mesures administratives ; quand ils en prennent, notre commission disciplinaire ne sanctionne pas. En matière pénale, il arrive que ces affaires ne donnent pas lieu à instruction, soient classées sans suite ou n'aboutissent pas à un jugement, pour cause de prescription. Cela jette un doute sur la qualité du travail d'enquête effectué par la Fédération, le ministère, la police, ou les trois à la fois.
Il est paradoxal que les fédérations doivent arbitrer un cas en dix semaines à compter du début des poursuites disciplinaires, alors que l'État peut mettre plus d'un an à produire une mesure de police administrative, et les tribunaux plusieurs années avant de rendre leur jugement. Nous sommes les premiers à arbitrer, alors que nous détenons les pouvoirs d'enquête et de sanction les plus faibles. En effet, la sanction la plus forte à notre disposition est la radiation du licencié. Dans le cas d'un éducateur, nous pouvons certes l'empêcher d'intervenir sur des événements fédéraux, mais il nous est impossible de lui interdire d'enseigner au sein d'un club, sous peine d'entrave au droit du travail. Rien ne l'empêche d'ailleurs d'exercer dans une autre fédération ou collectivité. Seul l'État peut le lui interdire.
De plus, la complexité du traitement de ce type d'affaires suscite de nombreuses incompréhensions chez les employeurs. Les fédérations, les ligues, les comités, les clubs, le ministère doivent ainsi appliquer des mesures conservatoires, au risque d'être poursuivis par les mis en cause. Je pense aussi aux victimes, qui subissent les décalages entre les phases d'instruction et entre les décisions.
Ma position de président est inconfortable. Je n'ai pas le pouvoir d'agir avant que les décisions soient rendues, ni de les commenter quand elles l'ont été.
En matière de prévention, une commission Dérives a été créée dès le mois suivant mon élection. Composée de psychologues, de juges pour enfants, de cadres d'État, de juristes, d'élus locaux et de victimes, elle a pour objectif de proposer des actions de prévention. Elle a produit depuis trois ans de nombreux documents supports à destination de notre communauté, et a élaboré les critères de désignation et une partie du contenu de la formation des quinze référents nommés dans l'ensemble du territoire. Tous ses rapports sont diffusés aux membres du CA et de l'assemblée générale (AG).
Depuis cet été, tous nos encadrants, professeurs, arbitres et dirigeants, ont suivi deux modules obligatoires de formation de lutte contre les violences. Le premier porte sur la posture éthique et déontologique, le second sur les violences sexistes et sexuelles.
La Fédération a d'ailleurs signé dès le début de mon mandat un partenariat avec deux associations spécialisées, Colosse aux pieds d'argile et Les Papillons. L'association Colosse propose aux victimes un accompagnement psychologique que la Fédération ne saurait offrir, car elle ne dispose pas des compétences spécifiques et, j'insiste sur ce point, serait mal placée pour guérir une blessure reçue en son sein. Nous avons cependant amélioré la prise en charge des victimes par les services de l'assurance fédérale.
Pour finir, je voudrais profiter de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer pour demander pardon, au nom de la Fédération, à toutes les personnes qui, par le passé, ont été victimes de violences dans nos clubs et dans nos structures. Le mal qui leur a été fait, alors que nous aurions dû les protéger, restera une ombre qu'aucune médaille ne saurait dissiper.
Les violences dénoncées depuis les années 2000 existaient-elles déjà quand vous étiez vous-même judoka, et à quelle échelle ? Dans un entretien au Point, en novembre 2020, vous déclariez au sujet des violences, notamment sexuelles : « Il faut libérer la parole et surtout sortir de l'omerta qui règne dans le judo français. » Avez-vous réussi à faire cesser cette omerta ?
Comme dans la société civile, les violences dans le sport, dans le judo, existent de tout temps. Nous en avons connues. L'entraînement que j'ai suivi à l'Insep était dur ; un tel système ne serait plus acceptable aujourd'hui. Il n'aurait d'ailleurs pas dû l'être à l'époque. Mais personne ne disait rien : on acceptait la situation car on voulait poursuivre sa carrière. On a vu un professeur ayant étranglé un athlète être mis de côté par l'ancienne gouvernance.
Quant à savoir si nous avons mis fin à l'omerta, les chiffres que je vous ai communiqués – 180 signalements – parlent d'eux-mêmes.
Avant 2020, la commission de discipline s'est réunie entre sept et treize fois. Aujourd'hui, on est à 180 signalements, de VSS et d'autres violences.
Je ne saurais pas vous dire s'il existait une omerta. Mais la différence de chiffres s'explique par un changement structurel. Nous avons davantage d'outils et de moyens, comme la plateforme spécifique, Signal-sports, à laquelle nous avons transmis les deux tiers des signalements reçus ; nous avons également recouru plusieurs fois à l'article 40. Depuis 2020, il n'est plus nécessaire que la justice ou le ministère saisisse la Fédération pour convoquer une commission de discipline. Enfin, le travail de formation, de prévention et de sensibilisation contribue à libérer la parole.
Oui : 95 concernent des violences sexuelles et sexistes ; 30 des violences physiques ; 42 des violences verbales ; 8 des dysfonctionnements au sein des clubs et 7 la sphère privée.
Beaucoup datent des années 2000 et 2010. Vos auditions précédentes ont montré que toute cette génération est passée à côté de la justice. La médiatisation de ces affaires, notamment dans Le Parisien et avec le livre de Patrick Roux, a permis un changement de gouvernance, plus de transparence et la libération de la parole. Cela explique le chiffre de nos signalements que les autres fédérations n'atteignent pas. Tout le monde a apporté sa pierre à l'édifice. Ce n'est pas encore parfait, mais aujourd'hui, tout le monde est écouté, surtout dans les structures fédérales, toutes formées par l'association Colosse aux pieds d'argile ou par d'autres organismes spécialisés. Un seul pôle Espoir, que vous avez d'ailleurs mentionné lors de vos auditions, pose encore un problème : nous travaillons à le résoudre. Il s'agit plutôt de violences verbales.
Il est plus difficile d'intervenir sur l'omerta dans certains clubs dont les violences sont indétectables parce qu'ils sont trop petits ou absents des compétitions. Ainsi, on ne peut obliger les présidents des petits clubs à suivre les modules de formation de lutte contre les violences obligatoires pour les encadrants, qui, depuis leur publication en août, ont déjà été suivis par plus de 800 personnes. Ce chiffre énorme témoigne d'une prise de conscience générale du problème, grâce à la sensibilisation que nous menons et à sa médiatisation. Notre objectif est évidemment de former tout le monde.
La plateforme a été créée au printemps 2020. Les premiers signalements reçus concernaient des faits datant des années 1980. En 2022, le fait le plus ancien datait de 2013 ; en 2023, on remontait à 2018. Les dates des faits dans les signalements sont de plus en plus récentes.
Nous en avons reçu également, concernant des faits de violence. Je n'ai pas le détail précis.
Ils sont très peu nombreux, nous précise notre secrétaire générale présente dans la salle. La majorité des signalements concernent d'anciennes histoires.
Pouvez-vous préciser leur nombre exact ? Cette commission d'enquête s'intéresse particulièrement aux VSS. Vous deviez vous attendre à cette question.
En 2023, nous avons reçu 15 signalements de VSS, 25 en 2022, 23 en 2021 et 30 en 2020. Cependant j'ignore à quelle date les faits signalés se sont déroulés.
C'est cela ; en 2022, le fait le plus ancien remontait à 2013.
Trois cas de VSS survenus depuis le début de notre mandat ont été signalés ; les faits ont eu lieu entre mineurs et sont en cours d'examen.
Pourriez-vous nous confirmer la date de déploiement de vos modules de formation ? S'ils sont obligatoires, pourquoi dites-vous que vous ne pouvez pas les imposer à certains clubs ?
Il s'agit du module de l'association Colosse aux pieds d'argile, qui a formé tous les pôles de haut niveau. Mais puisque nous voulons former tous les clubs, nous avons créé, avec l'aide d'experts, nos propres modules France judo, que nous rendons obligatoires pour tous ceux que nous formons. Ainsi, nos 800 nouveaux entraîneurs annuels suivent tous ces modules. Quant aux dirigeants et aux entraîneurs déjà en poste, nous leur envoyons les modules en précisant qu'ils sont obligatoires, mais il est difficile de contrôler s'ils les suivent.
Nous parlons des modules lancés en 2023, non de ceux lancés dès 2020. Si les enseignants ne les suivent pas, ils ne pourront plus participer aux compétitions ni encadrer leurs pratiquants lors des animations de France judo.
Nous nous sommes laissé une saison. Nos 13 000 enseignants répartis sur 5 000 clubs ont jusqu'à septembre 2024 pour suivre ces deux modules obligatoires et être labellisés pour intervenir en compétition et dans les animations de la Fédération française de judo et des disciplines associées. Nous sommes en train d'informer les clubs du calendrier.
J'ajoute que depuis décembre 2020, dans le cadre de notre partenariat avec Colosse, 64 actions de sensibilisation et de formation ont été engagées sur l'ensemble du territoire. Cela représente 1 400 professeurs, 694 dirigeants, 125 salariés et 280 bénévoles formés. Les 3 000 stagiaires qui se destinent à l'enseignement dans nos organismes régionaux de formation ou dans notre Dojo Academy de Paris en bénéficient quant à eux dès le début de leur formation au certificat de qualification professionnelle (CQP) ou au brevet professionnel de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport (BPJEPS).
La direction technique nationale a par ailleurs mené des actions pour les encadrants des centres d'entraînement de type pôle Espoir, pôle France et Insep.
Pour une fois, je me concentrerai sur les auteurs, plutôt que sur les victimes. Connaissez-vous les auteurs des 95 faites de VSS signalés ? Compte tenu de l'antériorité des faits, certains exercent-ils toujours au sein de votre fédération ? À quoi correspondent les huit dysfonctionnements que vous avez mentionnés ?
Je connais certains dossiers, surtout les cas les plus importants, qui remontent en conseil exécutif ; tous ceux-là sont examinés par la commission disciplinaire. Celle-ci a prononcé 20 sanctions et 10 non-lieux. Par ailleurs, la secrétaire générale, saisie de faits récents de VSS a, par son intime conviction, prononcé 7 mesures conservatoires avant même la tenue de la commission de discipline.
Le total de 30 commissions que vous citez correspond-il aux 95 signalements de VSS ou à l'ensemble des signalements ? Les 180 cas ont-ils été examinés par les commissions de discipline, car je suppose qu'elles examinent plusieurs cas à la fois ? Que désignez-vous précisément par « les cas les plus importants » ? Les mis en cause dans ces cas exercent-ils toujours des fonctions d'encadrement ou d'éducation ? Où sont-ils ?
Sur les 39 commissions de discipline, trente ont été saisies de cas de VSS. Il nous est impossible de juger certains cas car les mis en cause ne sont plus licenciés à la Fédération. En revanche, ils sont inscrits en rouge, au cas où ils tenteraient de se réinscrire. Vous avez auditionné Marie David. L'une des personnes qu'elle accuse de prédation fait l'objet d'une instruction. Elle dit qu'il est revenu exercer en France, mais hors de notre fédération. Nous ne pouvons donc rien faire – ce qui est dommage.
Monsieur le député, vous soulignez la limite des commissions de discipline fédérales, qui disposent de seulement dix semaines d'instruction avant de se réunir pour juger une personne, obligatoirement licenciée. Notre fédération a parfois radié des membres qui n'avaient pas empêché une personne mise en cause de continuer à enseigner. Mais nous n'avons qu'un pouvoir disciplinaire et non administratif ou judiciaire. Si la Fédération retire la licence d'un éducateur sportif mais que l'État maintient sa carte professionnelle, il peut enseigner. C'est la limite de la commission de discipline et nous sommes sincèrement heureux de pouvoir formuler devant cette commission les difficultés auxquelles la Fédération est confrontée.
Ce délai de dix semaines est insuffisant pour des affaires que parfois l'administration instruit en plusieurs mois et la justice en plusieurs années. La justice nous demande même quelquefois de ne pas examiner certaines affaires pour le bon déroulement de l'instruction judiciaire.
Vous avez auditionné ici certains témoins d'une affaire dans laquelle la Fédération avait radié une personne, sentence qu'elle avait confirmée en appel. Pourtant, cette personne peut encore enseigner. Je réponds malheureusement donc oui à votre question.
Je voudrais ajouter combien cette situation nous horrifie. Nous avons entendu les témoignages des victimes. Notre fédération a radié le mis en cause pour cinq ans. Il est injuste qu'il enseigne encore.
Cependant, en écoutant vos auditions, nous avons appris que d'autres fédérations radient le club qui emploie le fautif. Notre règlement ne prévoit pas cette mesure.
Une instruction étant en cours, nous ne pouvons pas être plus précis. Nous devons assurément faire évoluer nos règlements pour mieux protéger les victimes et éviter toute récidive, quand, comme la commission le souligne souvent, on savait.
Les dix semaines étant le délai maximum, vous pouvez instruire les affaires plus vite.
D'autre part, savez-vous où exerce la personne mise en cause par Mme David ? A-t-elle changé de discipline ? Lors des auditions, nous avons été confrontés à cette limite : le changement de discipline permet à certains d'échapper au contrôle d'honorabilité et à d'autres dispositifs.
J'ignore où est la personne mise en cause par Marie David, qui d'ailleurs n'a pas encore été jugée. Nous n'employons pas de détectives. Nous essayons de savoir où sont les gens. Si l'on apprenait que cette personne tentait d'intégrer une autre fédération, nous pourrions seulement prévenir cet organisme. Je ne sais pas où elle enseigne.
Cette personne n'est pas licenciée, et n'étant plus cadre d'État, est sortie à la fois des radars de l'administration et de la Fédération. Il me semble aussi qu'une instruction est en cours à son sujet.
Votre commission disciplinaire réunie en juillet 2023 a décidé de ne prononcer aucune sanction contre Paul-Thierry Pesqué, accusé de faits de violence remontant à une vingtaine d'années. Elle a motivé sa décision par l'ancienneté des faits, alors prescrits. Au contraire du juridique, le disciplinaire ne me semble pas limité par la prescription : n'auriez-vous donc pu appliquer une sanction ?
M. Pesqué a été jugé le 7 février dernier pour des faits de violence physique. Cadre d'État, il relevait de la direction technique nationale (DTN), donc du ministère chargé des sports, et non de la Fédération, comme les salariés. À la suite d'une enquête, il a reçu un arrêt d'interdiction de deux ans le 7 juillet 2023. Il est sorti de nos effectifs le 13 avril 2023. La commission de discipline a prononcé une exclusion mais pas de sanction, eu égard au délai du dernier signalement et a proposé, en lien avec le ministère, de rendre ce cadre à l'administration. Ce sont les magistrats et avocats membres de la commission qui ont estimé que les faits reprochés étaient trop éloignés dans le temps pour prononcer une sanction. Nous subissons cette situation.
Certes, pourtant il ne s'agit pas ici d'une condamnation par la justice où la prescription pourrait s'exercer, mais d'un cadre disciplinaire. Cette différence explique aussi celle des délais de traitement.
Dans nos statuts, il existe une prescription. Après une première période, les faits doivent être sanctionnés dans les sept ans.
La commission de discipline est indépendante de la Fédération. Quand M. Nomis dit que nous subissons, il parle de la Fédération, qui se garde bien d'interférer dans les débats de la commission. Vous avez pu constater au cours de cette enquête le danger de la concentration des pouvoirs et de l'intervention de certains présidents. La commission a choisi de ne pas prononcer de sanction disciplinaire – chacun aura son avis sur cette décision.
Quoi qu'il en soit, la personne jugée, suite à une instruction administrative de plusieurs mois du ministère, son employeur, ne fait plus partie de la Fédération. Cette double tutelle est d'ailleurs complexe à gérer. Cependant, dès que la Fédération a eu connaissance des faits reprochés à cet entraîneur national, elle lui a ôté ses missions impliquant un contact pédagogique avec des mineurs et des athlètes.
Quand vous êtes saisi par un signalement, ou que vous réunissez une commission de discipline, Signal-sports vous transmet-elle le dossier complet pour que vous puissiez instruire correctement l'affaire ?
Ce n'est systématique qu'en cas d'arrêté d'interdiction.
Nous ne travaillons donc pas tous ensemble.
Je me suis trompé sur ce point. Les membres de la commission eux-mêmes ne nous ont rien dit, puisqu'ils ne s'expriment pas. Si je me souviens bien, Mme la secrétaire générale nous a rapporté en comité exécutif que cette personne n'avait pas été condamnée en raison d'une prescription.
Je souhaite comprendre. Nous enquêtons sur les dysfonctionnements pour y mettre fin et nous avons besoin pour ce faire de votre éclairage. Nous espérons que la commission disciplinaire est la plus éclairée possible, or nous apprenons qu'elle fonde son jugement sur des critères qui ne sont pas les siens.
Effectivement, elle s'est appuyée sur des critères liés aux faits mais qui ne sont pas forcément d'ordre disciplinaire. Au regard du délai du dernier signalement concernant cette personne, la commission a décidé de ne pas condamner.
Je comprends que dans ce cas précis, la commission a fondé sa décision sur les critères d'une enquête judiciaire. Est-ce un cas isolé ? À quoi sert cette commission si elle copie des institutions différentes ?
Il est difficile de vous répondre : cette commission est indépendante, dispose d'éléments que nous ne connaissons pas. Certaines décisions, comme pour certains verdicts judiciaires, sont incompréhensibles. Nous n'avons même pas à donner un avis sur cette commission. Je crois qu'il s'agit moins d'une prescription au sens juridique que d'un délai qui a conduit la commission à estimer que la personne n'était plus dangereuse : les faits remontaient aux années 2000 et il n'y avait pas eu de signalement depuis.
À mon avis, cette commission est très compétente.
L'objet de cette commission n'est pas de juger de la compétence de la commission de discipline ou d'autres, mais de comprendre et d'améliorer le mécanisme. J'ai le sentiment que comme avec d'autres fédérations, on brandit l'indépendance comme un pare-feu. Ma question porte sur l'intime conviction que vous avez évoquée tout à l'heure. Si vous constatiez que cette commission de discipline indépendante rendait des décisions qui intriguent, quelle serait votre marge de manœuvre, en tant que président de la Fédération ? J'aimerais que vous me rassuriez sur ce point.
Je parle sans détours. Je trouve que la commission, très professionnelle, a toujours rendu de bonnes décisions ; ses membres sont des bénévoles très investis, en dépit du nombre d'affaires à examiner, et nous sommes chanceux de les compter parmi nous. Si elle allait dans le mauvais sens, je vous garantis que je l'arrêterais immédiatement, sans me poser de questions. Je parlais d'intime conviction à propos de notre secrétaire générale, qui a pris des mesures conservatoires avant même la tenue de la commission. Notre objectif prioritaire est de protéger les victimes : ce n'était plus le cas concernant la personne évoquée, étant donné l'ancienneté des faits. Le conseiller technique sportif (CTS) avait déjà été sanctionné par son employeur. Nous avons fait part de nos interrogations à la secrétaire générale. Je pense qu'elle les a transmises à la commission, qui a maintenu sa décision. Je suis un chef d'orchestre qui contrôle beaucoup : nous ne laisserons rien passer.
Loin de nous l'idée de brandir l'indépendance de la commission comme pare-feu pour nous déresponsabiliser. Nous sommes nous aussi parfois très surpris par ses décisions. Mais nous sommes attentifs à éviter la concentration des pouvoirs au sein de la Fédération. Vous connaissez mieux que moi l'importance de l'indépendance.
Dans le système actuel, d'autres sanctions existent, comme la transmission à Signal-sports des signalements effectués sur la plateforme France judo – c'est le cas pour les deux tiers d'entre eux ; comme le recours à l'article 40 ; comme les mesures conservatoires prises par la secrétaire générale. Nous pouvons donc limiter les risques. J'admets cependant avec vous que ces outils ne garantissent pas une efficacité totale.
C'est le cas d'une personne que j'ai déjà évoquée. Ce cas date de 2023 ; bien que sanctionnée en première et en deuxième instance et exclue de la Fédération, cette personne exerce encore des fonctions d'éducateur, ce qui est incompréhensible, surtout pour les victimes. Nous cherchons des moyens d'action plus forts.
Une autre affaire concerne un CTF (conseiller technique fédéral) mais la procédure en cours nous empêche d'en parler.
La presse a en effet parlé d'une personne alors encadrante mais qui occupe aujourd'hui d'autres fonctions, en retrait, à la Fédération. Ce changement s'est déroulé de manière transparente car son cas a été évoqué en conseil d'administration et en assemblée générale.
Je ne pourrai préciser davantage en raison de l'instruction judiciaire en cours que la révélation de certains éléments pourrait mettre en péril. Le directeur juridique ne cesse d'ailleurs de nous avertir depuis le début de cette audition que nous n'avons pas le droit dire certaines choses.
Deux non-lieux ont déjà été prononcés dans cette affaire. Si cette personne était condamnée, elle quitterait la Fédération.
L'article de presse donne des détails. En approfondissant les questions, nous sommes passés d'un seul à trois cas.
La troisième personne est un bénévole.
Quand nous vous demandons si des personnes, au sein de votre fédération, sont mises en cause dans une affaire de quelque type que ce soit, leur statut, encadrant, bénévole, ou autre, nous importe peu.
J'avais mal compris votre question, je pensais aux personnes encadrantes et en contact avec les enfants et les athlètes.
Je prolonge les propos très justes de Mme la rapporteure : nous cherchons à comprendre comment ces éléments s'enchevêtrent. Lorsque vous dénombrez 95 signalements de VSS, peu m'importe la date des faits : je comprends que ces 95 personnes, qui ont infligé des violences sexuelles ou sexistes à d'autres, ne devraient plus exercer aucune responsabilité, quel que soit leur statut – bien que ces différences soient importantes pour vous. Le sujet de fond est là, puisque, comme vous le dites, notre priorité est la protection des victimes : comment les fédérations et le ministère peuvent être efficaces dans la recherche de ces personnes et dans les décisions de sanction, pour leur interdire toute fonction ? Vous êtes en difficulté car vous n'avez pas d'informations sur ces personnes, qui sont dans la nature. Cela devrait être notre priorité. Nous avons posé la même question aux autres fédérations : c'est le flou artistique.
Savez-vous où sont toutes les personnes mises en cause pour des VSS, si elles sont encore licenciées ou en activité ? Vous avez parlé de 2013, c'est une date assez récente. Comment assurez-vous leur suivi et comment se fait la coordination avec Signal-sports ?
Nous en convenons : il y a des trous dans la raquette. La solution serait une forte coordination entre le disciplinaire, le juridique et l'administratif ; nous n'en sommes qu'aux débuts de l'organisation. Ainsi, pour lutter contre le dopage, une agence spécialisée a été dotée de tous les pouvoirs. Pourquoi, pour lutter contre les dérives, ne pas créer dès demain une agence indépendante qui, parce qu'elle aurait les éléments nécessaires, serait capable d'imposer aux fédérations des mesures disciplinaires concernant certains licenciés, d'exiger de l'État des mesures administratives, de faire des signalements à la justice au titre de l'article 40 ? Si on veut éviter la présence de prédateurs dans la nature alors qu'ils ont été identifiés, il faut aller plus loin. Nous, tous les mouvements sportifs, espérons que votre rapport nous y aidera et que nous pourrons mieux protéger les victimes.
À ce sujet, il ne faut surtout pas suivre l'avis de Fabienne Bourdais : il faut une agence totalement indépendante du monde du sport. Sinon, l'omerta qui règne aussi entre les présidents, entre les sports, se maintiendrait. Ce serait suicidaire.
D'autre part, parmi les 95 signalements, plusieurs concernent les mêmes personnes, qui souvent ne sont plus licenciées. Même si on sait où ils vivent, on ne peut rien faire de plus que de les signaler sur Signal-sports, puisque nous croisons régulièrement nos fichiers avec ceux du ministère.
Certes, nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir, mais nous ne pouvons pas faire plus. Or j'entends les victimes : c'est dramatique.
Avez-vous échangé avec Mme Bourdais sur ces points ? L'avez-vous rencontrée récemment pour établir un bilan de vos dispositifs de lutte contre ce fléau et présenter des propositions ?
Mme Baton rencontre souvent Mme Bourdais et les représentants du ministère à ce sujet. Elle fait des propositions.
La plupart des gens pensent qu'il faut garder le contrôle ; nous pensons qu'il faut parfois déléguer.
Vous en dites trop ou pas assez. Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par « garder le contrôle » ?
Si l'on créait une agence mais qu'on laissait le ministère et les fédérations la gérer, elle ne serait pas indépendante.
D'autres fédérations ont évoqué une autorité indépendante capable de gérer toutes les affaires de cette nature. Vous l'avez dit, il arrive souvent qu'une seule personne fasse plusieurs victimes sur plusieurs années. Quant à la question de l'absence de suivi, d'impossibilité de savoir où est la personne mise en cause, je m'interroge. Si je sais où est la personne concernée par l'affaire de Marie David, je suppose que vous le savez aussi.
Peut-être Mme Baton sait-elle où travaille cette personne ; nous, nous l'ignorons.
D'autre part, ce qui limite notre pouvoir disciplinaire, c'est qu'une personne dont la Fédération a supprimé la licence peut en obtenir une autre dans une discipline différente ou dans la même discipline, dans une autre fédération. On peut par exemple pratiquer le judo dans une fédération affinitaire. Il serait assez rapide et simple de créer une coordination efficace pour éviter ces cas de figure.
La Fédération française de judo regroupe 5 000 clubs. Moins de 5 % des clubs de judo, soit un peu moins de 250, sont affiliés à des fédérations affinitaires, comme la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail).
Je partage vos propositions concernant des dispositions très simples à mettre en œuvre, comme appliquer le parallélisme des formes aux fédérations. Avez-vous formulé ailleurs cette suggestion, et si oui, quelles ont été les réactions ?
C'est la première fois que je la formule – je vous l'avais réservée.
Que se passe-t-il quand une victime ou vous-mêmes effectuez un signalement sur Signal-sports ? Partagez-vous les informations ?
Les deux tiers environ des signalements effectués sur France judo sont transmis à Signal-sports mais il n'existe pas de retour systématique, sauf en cas d'arrêté d'éloignement. Nous échangeons parfois, mais c'est assez aléatoire.
Quand vous réunissez une commission de discipline, est-ce que vous demandez ou recevez des informations de Signal-sports ?
La réponse m'est soufflée : on ne reçoit d'informations que lorsqu'on en demande.
Je n'avais pas spécialement envie d'en parler. Il est venu sans ses dossiers et n'avait pas suivi les travaux de la commission. Je pense qu'il n'était pas prêt. Il était temps de changer de président de fédération !
À votre connaissance, les informations qu'il nous a transmises étaient-elles toutes exactes ?
Je ne sais pas – laissez-moi réfléchir…
Je pense que le prédécesseur de M. Nomis n'était pas prêt ; il n'avait pas pris la mesure des axes de travail de la commission. Il ne savait pas beaucoup de choses. Au début de notre audition, nous avons rappelé l'organisation d'avant 2020 pour expliquer le très petit nombre de commissions disciplinaires – entre 7 et 13 – convoquées en vingt ans, quand nous en avons réuni une trentaine en quatre ans, et reçu 180 signalements. C'est bien que plus que dans des fédérations au nombre d'adhérents similaire, comme le handball ou l'athlétisme qui ont reçu de 30 à 50 signalements pour 400 000 à 500 000 licenciés.
Notre sport est-il culturellement violent ? Je n'irais pas jusque-là. Toutefois, il ne faut pas être dans le déni ou avoir des tabous : il y a de la violence. Nous travaillons en tout cas à changer les mœurs et les méthodes d'entraînement, à libérer la parole. Ce que nous avons déjà modifié, c'est l'organisation, qui nous permet désormais d'instruire les affaires aussitôt qu'elles nous sont signalées sur la plateforme. Cela change la donne.
La question des violences a été au centre de notre mandat depuis le début. La campagne électorale de 2020 a été rythmée par de graves affaires de VSS révélées par des médias, notamment dans les articles de Sandrine Lefèvre parus dans Le Parisien, qui concernaient d'anciens élus de la Fédération protégés par tout un système. Aujourd'hui, le rôle de conciliateur n'existe plus. La procédure actuelle est la suivante : signalement, instruction, si nécessaire article 40, et presque systématiquement transmission à Signal-sports – 120 cas sur 180.
Je reprends. Il ne peut pas dire qu'il ne savait pas. Je ne comprends pas que mon prédécesseur, qui d'ailleurs a admis avoir eu connaissance de certaines affaires, n'ait ni mesuré l'ampleur du problème, ni agi plus tôt, ni pris des dispositions à la hauteur. Il m'est très difficile de l'entendre répéter qu'il n'était pas au courant. À un moment, ça suffit.
En effet, à quoi sert un président ? Combien de personnes présentes dans les instances dirigeantes – comité exécutif, comité de direction, CA – avant votre accession à la présidence y sont restées depuis ? Pardonnez-moi l'expression : avez-vous fait le ménage ?
Il n'y en a aucune dans le comex, le comité des vice-présidents, ni dans le comité directeur, composé de la liste de M. Nomis. Je ne veux pas m'avancer sur le collège des présidents de ligue, instance présente au CA. Nous pourrons vous signaler si certains de ses membres ont fait partie du comex ou du comité directeur pendant le mandat précédent.
Patrick Roux dénonce dans un entretien la consanguinité dans les fédérations : « Ce sont des organisations dont les membres se connaissent depuis des années, ce sont des amis un peu potaches qui ont vécu des aventures de jeunesse ensemble, des moments très forts. On se protège, comme dans une famille. » Avez-vous des dispositions spécifiques pour lutter contre ces phénomènes ?
Oui, nous avons fait le ménage. Nous avons changé beaucoup de choses et beaucoup de gens. Nous avons inclus des femmes et des personnes issues de la diversité – elles n'étaient pas présentes. Notre fédération reflète maintenant la France et j'en suis très fier.
Sur le sujet de la consanguinité, il est vrai que nous sommes amis depuis longtemps. Beaucoup d'entre nous ont grandi ensemble, ont été ensemble en équipe de France. Cependant les membres de notre conseil d'éthique et de la commission disciplinaire ne sont pas issus de notre monde, c'est pour cela qu'ils ont été choisis ; ils ne font de cadeaux à personne, ce d'ailleurs pour quoi ils ont été embauchés. Pour moi il n'y a plus ni omerta ni consanguinité à la Fédération.
Les membres du comité directeur viennent forcément du judo. Mais nous avons évoqué l'indépendance des commissions. Elle garantit un contre-pouvoir. En effet, si un élu passait en commission de discipline, il serait face à des magistrats et à des juges étrangers au judo. Le fait que le président ou moi-même, directeur général, n'ayons pas connaissance de toutes les affaires, et qu'il y ait un cloisonnement, comme entre le Président de la République et son garde des sceaux, est primordial. La transparence est également nécessaire : il faut évoquer ces affaires en conseil d'administration, en assemblée générale, en comex, pour laisser s'exprimer des avis divergents, tout en garantissant l'indépendance de la commission disciplinaire pour éviter toute dérive. C'est l'opacité qui crée les dérives. C'est la pression exercée sur les victimes et l'entre-soi qui créent l'omerta. Aujourd'hui, dans une fédération comme partout ailleurs, il faut éviter de concentrer les pouvoirs dans les mains d'une seule personne.
Avez-vous pris connaissance des recommandations de l'IGESR ? Avez-vous appliqué la deuxième – éviter systématiquement, notamment dans les structures d'accès au haut niveau, l'encadrement exclusif par un seul encadrant et favoriser la prise en charge à plusieurs –, et la quatrième – mettre en place au niveau fédéral un dispositif administratif de contrôle préalable et périodique et de suivi des cartes professionnelles des enseignants dans le cadre de la délivrance des licences ?
Vous évoquez le rapport relatif au traitement des faits de violence. Nous avons appliqué huit des douze recommandations, dont la deuxième, qui relève de la direction technique nationale. S'agissant de la délivrance de la carte professionnelle, ce sont les services administratifs qui contrôlent le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv) ; ils demandent également le bulletin n° 2 du casier judiciaire. Le contrôle d'honorabilité concerne chaque année 30 000 personnes, encadrants et bénévoles : nous avons eu cinq cas d'inscription au Fijaisv ou de condamnations recensées au bulletin n° 2.
Vous avez des informations que nous n'avons pas !
Certaines comportent plusieurs points, peut-être cela explique-t-il le malentendu.
Messieurs, je vous remercie. N'hésitez pas à contacter notre commission d'enquête si vous souhaitez transmettre des compléments d'information et, bien sûr, des propositions.
Nous vous remercions du fond du cœur. Votre travail devrait changer les choses, en particulier pour les présidents ou les fédérations dont l'engagement est insuffisant. Nous sommes tous concernés, responsables de la défense des victimes et de la prévention. Nous vous félicitons pour votre travail.
Je vous remercie également : il est rare que l'on nous remercie pour une commission d'enquête – c'est même souvent l'inverse !
La séance s'achève à treize heures trente-cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Béatrice Bellamy, M. Stéphane Buchou, Mme Sophie Mette, Mme Sabrina Sebaihi
Excusée. – Mme Soumya Bourouaha