J'ai la ferme conviction que toutes les démarches entamées pour lutter contre les défaillances constatées au sein du monde sportif permettront à tous les acteurs de progresser – tant la fédération que moi-même, en tant que président. Je souhaite donc commencer ce propos liminaire en remerciant cette commission d'enquête. Elle participe grandement à identifier les problèmes et elle contribuera à impulser les régulations nécessaires.
J'ai été élu à la tête de la Fédération, en novembre 2020, dans un contexte particulier : pendant le covid, après le mouvement #MeToo et la sortie du livre de Sarah Abitbol. De nombreuses victimes ont alors, enfin, été entendues, parmi lesquelles des judokas.
Durant la campagne pour la présidence de la Fédération, j'ai découvert des modalités de gouvernance centralisées autour d'un petit nombre de personnes et s'exerçant dans un mouvement descendant, mais aussi une situation financière dont la crise liée au covid avait accentué la dégradation.
J'ai surtout découvert avec effroi les témoignages de personnes victimes de violences sexuelles, physiques ou psychologiques dans le sport, y compris au sein de notre fédération ; je n'étais préparé ni à la nature de ces violences, ni à l'ampleur du phénomène. Aujourd'hui encore, je n'ai pas honte de l'avouer, il m'est difficile d'appréhender la complexité du sujet, qui fait partie des priorités de mon mandat.
La commission s'interroge souvent sur le rôle d'un président de fédération. Laissez-moi vous présenter ma vision et la manière dont je l'incarne. En effet, j'ai volontairement rompu avec la méthode de mon prédécesseur, que vous avez entendu le 19 octobre dernier.
J'ai démarré le judo à Grigny, dans un quartier de la Grande-Borne. J'ai ensuite intégré l'équipe de France et passé dix ans à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep). À la fin de ma carrière, la Fédération et mon club m'ont payé une formation, car je n'avais pas de diplôme ; je suis devenu informaticien puis chef d'entreprise : j'ai réussi à créer une société informatique consacrée à la transformation numérique.
Dès que je l'ai pu, j'ai voulu rendre au judo ce qu'il m'avait apporté. J'ai d'abord pris la présidence d'un club, devenu en quelques années champion de France puis vainqueur du championnat d'Europe des clubs, la Ligue des champions de judo. Ensuite, avec ma société Ippon Technologies, j'ai commencé à soutenir des athlètes en difficulté tant dans le judo que dans d'autres sports. En 2016, je suis devenu président du pacte de performance, pour aider les athlètes olympiques et paralympiques qui en avaient le plus besoin à trouver des conventions et des sociétés à même de les soutenir.
En 2020, j'ai été élu à la tête de la Fédération française de judo ; troisième fédération française, elle compte 530 000 licenciés, plus de 5 000 clubs, 120 salariés, 143 conseillers techniques et 59 cadres d'État.
Une fédération sportive est un organe qui représente l'ensemble de ses clubs et notre pays dans le monde. C'est aussi un délégataire de service public, ce qui implique des responsabilités et des obligations. Cette institution est au carrefour de nombreux univers : le monde associatif, le monde sportif, le monde fédéral, le monde politique – étatique, parlementaire ou territorial –, et le monde de l'entreprise, pour ne citer que les principaux.
En tant que président, je représente la Fédération et suis l'interlocuteur privilégié des différentes institutions. Cela demande énormément de temps et de disponibilité. Je reste pourtant bénévole, et je dirige également mon entreprise. En conséquence, je ne peux ni ne dois œuvrer seul : je suis entouré d'une équipe. Tous les sujets nécessitent des connaissances fines et des compétences spécifiques, or je ne suis pas omniscient, et je le sais. Toutefois, je reste le responsable de la Fédération, y compris en matière pénale. Il est donc essentiel pour moi de m'entourer de personnes de confiance, mobilisées et compétentes.
Pour cette audition, je m'appuie principalement sur deux personnes qui, au sein de la Fédération, peuvent se consacrer pleinement aux sujets cruciaux qui intéressent la commission : le directeur général Sébastien Nolesini, en lien avec le trésorier et les services, pour les questions relatives à la probité et à la gouvernance financière de la fédération ; la secrétaire générale Magali Baton, en lien avec le service juridique, pour les violences physiques, sexistes, sexuelles et psychologiques, et les discriminations sexuelles et raciales. Je souligne que tous les responsables de notre fédération sont présents ici – vous avez reproché le contraire tout à l'heure à Mme Bourdais.
Selon moi, un président de fédération est un chef d'orchestre en mesure de définir une vision, en accord avec son assemblée générale, pour nous de 230 membres ; d'impulser une politique fédérale ; de rythmer les chantiers ; de responsabiliser les cadres et les élus ; de s'assurer de l'efficacité des actions menées ; de représenter les clubs, les comités et les ligues, au niveau national, et, au niveau international, la Fédération, voire la France. Tout cela s'effectue, de la Fédération jusqu'aux clubs, dans le respect du cadre républicain. Le président garantit également aux licenciés une pratique éducative et sécurisée.
Je vais maintenant vous présenter les différents chantiers relevant de cette commission auxquels mon équipe a travaillé depuis le début de mon mandat.
S'agissant des atteintes à la probité, nous avons renforcé les réglementations, la sensibilisation et la répression, avec détermination. La Fédération a établi un plan d'action s'adressant à tous les acteurs du judo, qui vise à affermir la culture éthique en se fondant sur la charte d'éthique et de déontologie, en cours de refonte par le nouveau comité du même nom. La Fédération dispose aussi d'un protocole RSE, responsabilité sociale des entreprises, qui prévoit notamment les règles spécifiques liées aux relations avec les tiers. Conformément à la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2, elle a également établi une cartographie des risques d'atteinte à la probité, approuvée par le conseil d'administration (CA) le 17 juin 2023. Cette démarche, menée en collaboration avec un cabinet d'avocats, a abouti à instaurer un plan d'action et des mesures correctives concrètes à même de renforcer la culture de l'éthique introduite par la gouvernance actuelle. Au cours du deuxième semestre 2022, la Fédération a aussi déployé un plan de formation relatif à la prévention des atteintes à la probité, destiné aux élus et aux salariés membres du comité de direction élargie. Elle a également formalisé une procédure de gestion des conflits d'intérêts incluant des déclarations d'intérêt et, le cas échéant, l'obligation de déport. De plus, un code de conduite a été approuvé par le comité d'éthique et de déontologie, le comité social et économique (CSE) et le conseil d'administration. Ce dernier a désigné un responsable conformité et validé la création d'un réseau de référents conformité, tous formés, dans les ligues régionales. Enfin, à la suite des recommandations de la Cour des comptes et de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR), la Fédération a réécrit son règlement financier.
Pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) et toute autre forme de dérive portant atteinte à l'intégrité physique et morale de nos pratiquants, nous tâchons d'agir de manière systémique. Le 17 décembre 2020, le premier CA de mon mandat a validé la délégation de ce dossier à notre secrétaire générale. Dès le 11 septembre 2023, après votre audition des victimes appartenant du monde du judo, elle vous a fait part des actions accomplies depuis sa nomination et s'est mise à votre disposition pour éclairer vos travaux.
Nous souhaitons agir à la fois par la répression, par la prévention des violences et par l'accompagnement des victimes.
Je regrette de dire que depuis 2020, notre plateforme a enregistré 180 signalements, dont 95 concernent des VSS, 30 des violences physiques, 42 des violences verbales ; 123 de ces cas, soit 68 %, ont été transmis à l'administration, lorsqu'elle était compétente. En application de l'article 40 du code de procédure pénale, nous avons signalé au procureur de la République 24 crimes et délits. Nous avons ouvert 30 des 39 procédures disciplinaires motivées par des faits de violence. Les signalements sont examinés par la cellule Judo propre, composée de trois juristes et de la secrétaire générale, et, le cas échéant, par la commission de discipline.
Je ne suis pourtant pas satisfait. Nous prenons des sanctions disciplinaires quand les services de l'État ne prennent pas de mesures administratives ; quand ils en prennent, notre commission disciplinaire ne sanctionne pas. En matière pénale, il arrive que ces affaires ne donnent pas lieu à instruction, soient classées sans suite ou n'aboutissent pas à un jugement, pour cause de prescription. Cela jette un doute sur la qualité du travail d'enquête effectué par la Fédération, le ministère, la police, ou les trois à la fois.
Il est paradoxal que les fédérations doivent arbitrer un cas en dix semaines à compter du début des poursuites disciplinaires, alors que l'État peut mettre plus d'un an à produire une mesure de police administrative, et les tribunaux plusieurs années avant de rendre leur jugement. Nous sommes les premiers à arbitrer, alors que nous détenons les pouvoirs d'enquête et de sanction les plus faibles. En effet, la sanction la plus forte à notre disposition est la radiation du licencié. Dans le cas d'un éducateur, nous pouvons certes l'empêcher d'intervenir sur des événements fédéraux, mais il nous est impossible de lui interdire d'enseigner au sein d'un club, sous peine d'entrave au droit du travail. Rien ne l'empêche d'ailleurs d'exercer dans une autre fédération ou collectivité. Seul l'État peut le lui interdire.
De plus, la complexité du traitement de ce type d'affaires suscite de nombreuses incompréhensions chez les employeurs. Les fédérations, les ligues, les comités, les clubs, le ministère doivent ainsi appliquer des mesures conservatoires, au risque d'être poursuivis par les mis en cause. Je pense aussi aux victimes, qui subissent les décalages entre les phases d'instruction et entre les décisions.
Ma position de président est inconfortable. Je n'ai pas le pouvoir d'agir avant que les décisions soient rendues, ni de les commenter quand elles l'ont été.
En matière de prévention, une commission Dérives a été créée dès le mois suivant mon élection. Composée de psychologues, de juges pour enfants, de cadres d'État, de juristes, d'élus locaux et de victimes, elle a pour objectif de proposer des actions de prévention. Elle a produit depuis trois ans de nombreux documents supports à destination de notre communauté, et a élaboré les critères de désignation et une partie du contenu de la formation des quinze référents nommés dans l'ensemble du territoire. Tous ses rapports sont diffusés aux membres du CA et de l'assemblée générale (AG).
Depuis cet été, tous nos encadrants, professeurs, arbitres et dirigeants, ont suivi deux modules obligatoires de formation de lutte contre les violences. Le premier porte sur la posture éthique et déontologique, le second sur les violences sexistes et sexuelles.
La Fédération a d'ailleurs signé dès le début de mon mandat un partenariat avec deux associations spécialisées, Colosse aux pieds d'argile et Les Papillons. L'association Colosse propose aux victimes un accompagnement psychologique que la Fédération ne saurait offrir, car elle ne dispose pas des compétences spécifiques et, j'insiste sur ce point, serait mal placée pour guérir une blessure reçue en son sein. Nous avons cependant amélioré la prise en charge des victimes par les services de l'assurance fédérale.
Pour finir, je voudrais profiter de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer pour demander pardon, au nom de la Fédération, à toutes les personnes qui, par le passé, ont été victimes de violences dans nos clubs et dans nos structures. Le mal qui leur a été fait, alors que nous aurions dû les protéger, restera une ombre qu'aucune médaille ne saurait dissiper.