France Insoumise (NUPES)
PCF & ultramarins (NUPES) PS et divers gauche (NUPES) EELV (NUPES)
Radicaux, centristes, régionalistes... LREM et proches (Majorité gouv.)
MoDem et indépendants (Majorité gouv.) Horizons (Majorité gouv.) LR et UDI
RN et patriotes
Non-Inscrits (divers gauche à droite sans groupe)
La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L'ordre du jour appelle le débat sur la lutte contre la fraude sous toutes ses formes.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties : dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
La parole est à M. Franck Allisio.
À l'initiative du groupe Rassemblement national, nous sommes amenés ce soir à débattre de la fraude sous toutes ses formes. Parlementaires chargés de consentir à l'impôt et aux cotisations sociales au nom de tous les Français, nous nous devons de nous saisir pleinement de ce fléau qu'est la fraude. Car il faut nommer les choses : la fraude est la plus terrible et la plus insidieuse des trahisons de notre contrat social et du principe fondateur de consentement à l'impôt ; la fraude mine les fondements mêmes de notre République. La fraude, on nous en parle régulièrement dans nos circonscriptions, lors de nos rendez-vous et sur les marchés – chez moi, sur ceux de Marignane, de Vitrolles, Châteauneuf-les-Martigues ou encore Sausset-les-Pins et Carry-le-Rouet –, et toujours avec la même colère. Car frauder, c'est trahir la confiance de tous les Français et porter un coup terrible à notre solidarité nationale, frauder, c'est voler chacun et chacune d'entre nous, chaque Français, chaque contribuable et non pas seulement abuser du système, profiter de ses largesses ou de ses faiblesses. La fraude est insupportable pour nos concitoyens, dans un pays où le poids des prélèvements obligatoires est l'un des plus élevés du monde : en France, sur 100 euros de richesse produite, plus de 45 euros sont engloutis dans des prélèvements obligatoires.
Lutter contre la fraude sous toutes ses formes n'est pas seulement un enjeu de finances publiques, c'est une question de justice fiscale et sociale. Afin que notre débat soit efficace et à la hauteur de l'enjeu, il se doit donc d'embrasser le sujet dans toutes ses dimensions, à commencer par son ampleur. Selon la Cour des comptes, la fraude serait chaque année de l'ordre de 15 milliards d'euros pour la seule TVA et de 10 milliards à 25 milliards d'euros pour la fraude aux prestations sociales. Ajoutons que pour la totalité de la fraude fiscale, le chiffre de 70 milliards d'euros est souvent avancé et, tout aussi inquiétant que le montant, est le fait que la lutte engagée contre elle est très insuffisante puisque seuls 50 % à 60 % des sommes exigées par le fisc sont finalement recouvrées. L'Allemagne et le Royaume-Uni font beaucoup mieux.
S'agissant des fausses cartes Vitale obtenues frauduleusement, leur nombre était estimé à 2,5 millions en 2020 ! Les fraudes aux prestations sociales ne font pas l'objet de sanctions, sauf de la part de la caisse d'allocations familiales (CAF), qui se limite d'ailleurs à prononcer de simples avertissements, bien peu dissuasifs.
Source emblématique de fraude et de concurrence déloyale : le travail détaché, encouragé par l'Union européenne. En effet, les mécanismes de fraude liés au travail détaché aboutissent à de la fourniture illicite de main-d'œuvre et non à une prestation de service comme prévu par le droit européen.
Autre source importante de fraude : la vente en ligne. Si cette dernière est une source de fraude à la TVA importante, elle est aussi responsable de la mise sur le marché de produits non conformes aux normes en vigueur, ce qui fait courir des risques pour la santé des consommateurs.
Parmi les fraudes plus méconnues, on trouve les ententes illégales entre entreprises. Elles ont pour but de fausser la concurrence et donc de faire payer le client – consommateur, collectivité locale ou État – plus cher que ce que permettrait une concurrence saine et loyale.
S'agissant des fraudes internationales dont usent certaines multinationales au détriment de la France, je voudrais revenir sur les facilités dont bénéficient certains pays ayant signé avec la France des conventions fiscales abusivement souples : je fais ici référence aux fameux CumEx Files. Certaines conventions fiscales bilatérales ont déjà été pointées du doigt par les sénateurs, puisque la France est partie à neuf conventions de ce type prévoyant un taux de retenue à la source nul sur les dividendes versés à des résidents étrangers. Les pays concernés sont l'Arabie Saoudite, le Bahreïn, l'Égypte, les Émirats arabes unis, la Finlande, le Koweït, le Liban, Oman et le Qatar. Dois-je rappeler, concernant le Qatar, qu'Emmanuel Macron avait promis, en 2017, de dénoncer cette convention fiscale ?… Qu'a-t-il fait depuis ? Rien !
Il faut dire qu'en matière de fraude fiscale des plus grands groupes internationaux, le gouvernement actuel fait œuvre d'une passivité parfois suspecte. Il y a tout juste quelques mois, des perquisitions ont eu lieu au siège français de McKinsey après l'ouverture d'une enquête pour blanchiment aggravé de fraude fiscale : il aura fallu l'intervention des sénateurs pour lever certains lièvres concernant cette entreprise acoquinée avec la République en marche et son champion devenu Président de la République ! Et que dire de la société Uber, autre société très amie du pouvoir, pointée du doigt pour sa fraude sociale et dont le faible montant des impôts payés en France laisse planer un doute sur ce qui serait à tout le moins une évasion fiscale massive.
Nous l'aurons tous constaté : la lutte contre la fraude sous toutes ses formes est très insuffisante. Ce débat est pour notre groupe l'occasion de défendre des propositions concrètes pour que cette lutte soit enfin efficace, sincère et prioritaire. Elle passe par la création d'un vaisseau amiral pour coordonner et mener cette mission, à savoir un grand ministère de lutte contre la fraude.
Il est également essentiel de mieux cibler les flux internationaux de marchandises qui facilitent la fraude. L'Observatoire européen de la fiscalité estime que 40 % des profits dans le monde sont délocalisés dans les paradis fiscaux. Il convient donc d'instaurer une législation fiscale qui garantisse que les profits réalisés en France sont dans leur intégralité assujettis à l'impôt français sur les sociétés, moyennant des sanctions appropriées en vue de décourager les stratégies d'optimisation fiscale abusive.
Pour ce qui est du travail détaché, cette pratique est une telle source de fraude au droit du travail et aux cotisations sociales qu'il faut tout bonnement la supprimer.
On sait que la fraude fiscale peut également résulter de l'extrême complexité et de l'instabilité des règles applicables en matière fiscale, ce qui est par ailleurs source d'erreurs. En conséquence, la simplification du droit fiscal est une des conditions de la réduction de la fraude.
Une lutte efficace contre la fraude fiscale nécessite évidemment la fin du dumping fiscal pratiqué par Chypre, par l'Irlande, par le Luxembourg, par Malte et par les Pays-Bas au sein même de l'Union européenne !
La lutte contre la fraude aux cotisations et aux prestations sociales passe notamment par le remplacement des cartes Vitale actuelles par des cartes infalsifiables contenant des données biométriques. Il est incroyable que la technique du 2D-Doc, ce protocole de sécurisation des données transmises par quelque moyen que ce soit, développé depuis dix ans par l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), ait été utilisée pour contrôler étroitement chaque citoyen français via les certificats de vaccination… mais jamais contre les fraudeurs !
Enfin, la maîtrise de nos frontières est une condition indispensable à la lutte contre les fraudes. Ainsi, selon un rapport du Sénat de 2019, jusqu'à 25 % des produits alimentaires importés en France violent les normes que nos agriculteurs et nos producteurs, eux, respectent ! Seuls les contrôles aux frontières permettent de s'assurer de la conformité des marchandises destinées au marché français.
Mes chers collègues, monsieur le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, il est temps que le Gouvernement retire ses mains des poches de cette France qui se lève tôt, qui travaille dur et qui élève ses enfants en espérant un jour toucher une retraite bien méritée, pour les mettre dans les poches des fraudeurs et des voleurs qui ruinent tout esprit de justice fiscale et sociale ! Reprenez cet argent volé et rendez-le aux Français pour qu'ils puissent à nouveau consommer et investir. La France n'est pas condamnée à rester la championne du monde des impôts !
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Nous sommes ici pour débattre de la lutte contre la fraude « sous toutes ses formes ». Pourquoi donc cette précision ? Cette formulation, destinée à laisser penser que vous souhaitez vous attaquer à l'entièreté du problème, sonne pourtant bizarrement à notre oreille, comme restrictive. « Sous toutes ses formes », dites-vous, et on a d'emblée la sensation qu'on va rater l'éléphant au milieu du couloir en tirant sur la souris à ses pieds. Certains, sur les bancs de la majorité comme sur ceux du Rassemblement national, ont en effet une fâcheuse tendance à mettre l'accent sur la fraude aux prestations sociales, une tendance à préférer regarder la paille plutôt que la poutre, en l'occurrence l'évasion fiscale. Pourtant les chiffres sont là : chaque année, la fraude fiscale représente entre 80 milliards et 120 milliards d'euros de manque à gagner pour l'État quand la fraude aux prestations sociales, elle, atteignait péniblement 1 à 2 milliards d'euros en 2019. Bref, chers collègues, si votre objectif est ce soir de parler de justice et de trouver comment faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'État, alors soyons efficaces et occupons-nous de l'éléphant plutôt que de la souris, de la poutre plutôt que de la paille.
La mise en avant permanente de la fraude aux prestations sociales sur certains bancs a en réalité des buts bien peu avouables. Tout d'abord, il s'agit de renforcer le contrôle social des plus précaires : on flique les chômeurs, on stigmatise les allocataires des minima sociaux, on exige des contreparties aux bénéficiaires du RSA. Ensuite, il faut faire oublier la fraude fiscale : on baisse donc les effectifs à la DGFIP, la direction générale des finances publiques – plus de 4 000 postes perdus ces vingt dernières années, je le rappelle –, et l'on invente la justice négociée, où les arrangements entre l'administration et les plus riches ou les grandes multinationales sont la norme, tout cela pour qu'il continue d'être possible de cacher la majeure partie de la fraude fiscale sous le tapis.
Placer sur un pied d'égalité fraude fiscale et fraude sociale, c'est encore une fois être fort avec les faibles et faibles avec les forts. Voilà un bien bel exemple de politique de classe…
Mais si nous devons parler de fraude sociale, alors parlons-en et apportons ici une précision, et pas des moindres. La fraude sociale recouvre deux phénomènes : la fraude aux prestations sociales, dont j'évoquais à l'instant le caractère marginal, et la fraude aux cotisations sociales. Cette dernière n'est que très rarement mentionnée. Pourtant, elle est estimée à 8 milliards par an, soit quatre à huit fois plus que la fraude aux prestations sociales. Là encore, le discours dénonçant la fraude aux prestations sociales soi-disant hors de contrôle vise à dissimuler le vrai scandale : celui des patrons voyous, du travail dissimulé, de l'exploitation des sans-papiers, de la mise en danger permanente des travailleurs et des travailleuses – cette fraude sociale dont vous ne parlez jamais !
De même, vous n'évoquez jamais l'ampleur du non-recours aux droits. Ainsi, un trop perçu de la CAF pour une famille, un chômeur qui prend deux jours de vacances pour raison familiale ou un travailleur qui prolonge un congé maladie pour se remettre d'un burn-out, et on entend tout de suite hurler à l'assistanat, alors que les 10 milliards que représentent les non-recours et qui maintiennent des milliers de personnes dans la pauvreté ne semblent pas vous émouvoir.
Concernant la fraude, l'hypocrisie est partout. Vous vous alarmez de la charge fiscale qui pèserait sur les entreprises, mais restez silencieux sur l'évasion fiscale comme sur le scandale que représentent les centaines de milliards d'aides versées sans contrepartie. Ainsi, Google, Amazon ou encore Total nous volent en ne payant pas 1 euro d'impôt sur les sociétés, mais sont toutes accros aux aides publiques de l'État. Commençons par prendre l'argent là où il est avant d'aller fliquer les Françaises et les Français qui bouclent difficilement les fins de mois. S'il vous plaît, chers collègues, stop à cette hypocrisie ! On ne peut pas décemment dire que l'on veut lutter contre la fraude « sous toutes ses formes » sans une volonté politique forte de lutter contre la principale d'entre elles : la fraude fiscale.
Lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, c'est d'abord redonner des moyens au contrôle fiscal en revenant sur les suppressions de postes qui laissent la DGFIP démunie et aussi en accroissant les recrutements au parquet national financier (PNF), dans les services d'enquête spécialisés et à Tracfin (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) pour qu'ils ne soient plus en sous-effectifs.
Lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, c'est en finir avec la justice négociée pour que les puissants ne puissent plus s'en tirer avec une tape sur les doigts.
Lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, c'est également pénaliser fermement les intermédiaires qui aident les fraudeurs et sans qui l'évasion fiscale n'existerait pas.
Lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, enfin, c'est donner un statut protecteur aux lanceurs d'alerte, dont les révélations servent l'intérêt général. Raphaël Halet, à l'origine des fuites de documents qui ont abouti aux LuxLeaks, vient d'être reconnu comme lanceur d'alerte par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), après plus de huit ans de calvaire judiciaire. Presque au même moment, Jeff Bezos, patron d'Amazon qui ne paie pas d'impôt en France malgré des milliards de chiffre d'affaires, se voyait remettre la Légion d'honneur des mains d'Emmanuel Macron. Voilà où on en est ! Le héros a été traîné en justice et le voleur est honoré ! Monsieur le ministre délégué, chers collègues, si vous voulez réellement lutter contre la fraude, commencez alors par décorer Raphaël Halet et mettez les moyens contre l'évasion fiscale !
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, GDR – NUPES et Écolo – NUPES.
Lutter contre la fraude sous toutes ses formes : voilà un débat aux dimensions multiples, tant économiques et sociales que démocratiques. Ce sujet a déjà fait l'objet d'importants travaux dans notre assemblée ; au nom du groupe Les Républicains, je tiens à saluer en particulier les contributions de notre collègue Patrick Hetzel.
Dans ce débat, gardons-nous de privilégier telle répression des fraudes par rapport à une autre ; nous devons lutter tout à la fois contre la fraude sociale, fiscale et douanière – je pense ici au renforcement du contrôle sur la contrebande de certains produits, comme le tabac. Il convient également de distinguer l'erreur de bonne foi, reconnue par la loi depuis 2018, du préjudice aux finances publiques, et d'éviter tout amalgame ou toute suspicion à l'égard de bénéficiaires légitimes des politiques publiques.
Monsieur le ministre délégué, il serait bon de proscrire toute forme d'autocongratulation gouvernementale : non, 2022 n'est pas une année record de la lutte contre la fraude fiscale ! Celle-ci fait en réalité du surplace. Lutter contre la fraude est tout d'abord une question de justice. Mais c'est aussi une question de recettes publiques, dans un contexte que je tiens à rappeler : notre groupe s'est fortement opposé à votre budget, qui envoie la France dans le mur avec 47 milliards d'euros de dépenses supplémentaires,…
…158 milliards de déficit et 3 000 milliards de dette – triste passif dont le Gouvernement est comptable.
Nous déplorons l'absence d'un plan ambitieux pour lutter contre les fraudes, pour opérer une véritable convergence des luttes face à un cartel des fraudes bien organisé. Monsieur le ministre délégué, lors de l'épidémie de covid, il aura fallu seulement quelques semaines au gouvernement pour organiser le traçage de millions de Français avec un QR code. Alors, qu'attendez-vous pour mettre en place la carte Vitale biométrique, qui permettrait de récupérer plusieurs milliards d'euros de fraude sociale ? Il s'agit là d'une priorité absolue !
Autre exemple : l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). On sait qu'elle est détournée à l'étranger, comme un certain nombre de minima sociaux. Il est temps de définir des solutions concrètes pour enrayer ces manœuvres. Une mesure essentielle pour nos retraites serait de faire en sorte que les pensions soient versées sur des comptes en France – c'est du bon sens paysan ! Il en va de même de l'aide médicale de l'État (AME), qui bénéficie à des étrangers en situation irrégulière. Cela ne peut plus durer.
Du côté fiscal, l'un des gros morceaux reste la fraude à la TVA. Face aux schémas complexes difficiles à détecter, souvent désignés sous le nom de « fraude carrousel », il y a encore beaucoup à faire. Il conviendrait de favoriser l'automatisation des échanges de données entre la douane et la DGFIP. Et pour sanctionner directement la fraude à la TVA réalisée dans le cadre du dédouanement à l'importation, nous devrions créer un délit douanier spécifique. C'est une priorité législative que nous défendons, pour laquelle plusieurs députés et sénateurs ont formulé des propositions très concrètes : à vous de vous en saisir.
Autre sujet majeur : les flux financiers opaques, que le grand public connaît depuis l'affaire des Panama Papers et celle des Pandora Papers. En la matière, il est indispensable d'accroître les échanges et la transparence des informations, mais aussi de réviser les conventions fiscales. Même si personne ne conteste la complexité du sujet, n'admettons aucune concession face à ces fraudeurs à grande échelle !
Enfin, comment passer sous silence l'exit tax, que je proposais de rétablir dans le budget 2023 ? Vous l'avez balayée d'un revers de 49.3 !
Pourtant, au sein de votre majorité, des voix se sont élevées de toutes parts pour saluer le fait que cette taxe est une mesure de justice à même de lutter contre l'évasion fiscale – j'espère qu'elles se feront de nouveau entendre ce soir, au cours du débat.
En définitive, chaque fois que l'État est faible avec les fraudeurs, ce sont toujours les mêmes qui trinquent, à savoir ceux qui travaillent et qui, bien souvent, n'ont droit à aucune aide. Or ceux-ci réclament tout simplement une sévérité et une justice exemplaires envers les fraudeurs.
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Certains disent que la fraude est un sport national. Non, la fraude n'est pas un sport, c'est avant tout un comportement contraire à la loi ; ce comportement est répréhensible et il est réprimé par la loi. Le fraudeur se comporte comme un passager clandestin qui voyage sans payer son billet ; il continue pourtant de vouloir bénéficier des prestations, des protections et des services offerts par les budgets publics, financés par les impôts payés par d'autres citoyens.
La fraude sous toutes ses formes sape les fondements de la confiance des citoyens entre eux et envers la collectivité. Elle porte atteinte au principe fondamental d'égalité devant les charges publiques, elle grève les recettes publiques nécessaires à la solidarité nationale et au financement des services publics. La fraude est l'affaire de tous. Qu'elle soit fiscale, sociale ou douanière, elle est une atteinte à chacun d'entre nous. Lutter contre la fraude c'est, en somme, protéger nos concitoyens en sauvegardant notre modèle de financement des services publics.
Monsieur le ministre délégué, je tiens à saluer, devant la représentation nationale, le travail entrepris par le Gouvernement et les services de l'État, à savoir la direction générale des finances publiques, la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), Tracfin et les Urssaf, ainsi que les agents de ces administrations. Ce travail se traduit aujourd'hui par des résultats exceptionnels en matière de contrôle et de lutte contre les fraudes.
En matière fiscale, 2022 est une année record à plus d'un titre : les résultats ont non seulement retrouvé leur niveau d'avant la crise du covid, mais ils ont aussi et surtout dépassé ceux de 2019. Les montants mis en recouvrement après contrôle fiscal atteignent un niveau inédit avec un total de 14,6 milliards d'euros, soit 1,2 milliard de plus qu'en 2021. Au total, 10,6 milliards d'euros d'impôts ont été encaissés par l'État suite à contrôle : redresser c'est bien, procéder à l'encaissement, c'est mieux ! Cet excellent résultat s'explique entre autres par un ciblage national du contrôle fiscal, renforcé par l'analyse des données. La nouvelle réglementation prévue pour 2024 avec la facture électronique est un nouvel outil pour lutter encore plus efficacement contre la fraude à la TVA – dans ce domaine, l'autoliquidation est une sacrée avancée.
En matière douanière, on observe aussi des résultats historiques. Plus de 104 tonnes de drogue ont été saisies en 2022 par la douane française, pour une valeur estimée à 1,41 milliard d'euros. Près de 250 tonnes de tabac et de cigarettes de contrebande ont été saisies, contre 402 tonnes en 2021. Nous nous félicitons aussi du démantèlement de plusieurs usines clandestines de fabrication de cigarettes sur le territoire national.
En matière sociale, le réseau des Urssaf a plus que doublé le montant des redressements réalisés depuis dix ans, passant de 320 millions d'euros en 2013 à 788 millions en 2022. Les pénalités prononcées par les caisses d'allocations familiales se sont élevées en 2022 à 23 millions d'euros, soit une augmentation de 36 % par rapport à 2017, pour un montant moyen de 751 euros. S'agissant de la fraude à l'assurance maladie, sur la période 2018-2022, le préjudice détecté et évité s'élève au total à 1,2 milliard d'euros. Notons également le rôle essentiel de Tracfin, dont les notes et les analyses en matière de lutte contre les fraudes représentent un enjeu financier s'élevant à 1,5 milliard. Tracfin démontre ainsi son utilité.
Lutter contre les fraudes suppose bien évidemment des contrôles et des sanctions. Mais surtout, cela implique d'accompagner nos entreprises et les contribuables de bonne foi. Tel est le sens de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, dite loi Essoc, qui reconnaît le droit à l'erreur.
Enfin, n'oublions pas les nouvelles fraudes ou l'évolution de certaines d'entre elles. Parmi les évolutions de la fraude détectée en 2022, notons les fraudes liées aux cryptoactifs, les fraudes aux dispositifs d'aide de l'État et les schémas de dissimulation d'avoirs à l'étranger.
Voilà, chers collègues, un bilan dont nous pouvons être fiers. Je le redis ici, la fraude est l'affaire de tous et touche chacun d'entre nous.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, RE et HOR.
Le débat qui nous réunit ce soir est un débat important. Nous ne saurions nous enfermer dans les caricatures d'une gauche qui pourfendrait d'abord la fraude fiscale et d'une droite qui pourfendrait d'abord la fraude sociale. Même si les montants n'ont rien à voir, et que la fraude sociale est infinitésimale à côté des montants de la fraude fiscale dans notre pays, nous devrons être attentifs, car nous sommes attachés à notre système de protection sociale, à sa soutenabilité, mais aussi à la confiance que les citoyens placent en lui. J'insiste, nous devons être absolument attentifs au sujet de la fraude sociale.
Je rappellerai quelques chiffres : la fraude détectée l'année dernière par les organismes de recouvrement de la sécurité sociale s'élève à 1,5 milliard d'euros. Pour moitié, il s'agit d'une fraude aux cotisations sociales et au travail dissimulé. Permettez-moi d'y accorder quelques instants. Je le répète, la moitié de la fraude sociale en France est le fait du travail dissimulé. Pourtant, au cours des cinq dernières années, le Gouvernement a supprimé environ 20 % des postes d'inspecteurs du travail dédiés à des activités de contrôle effectif dans les entreprises. Comment lutter contre la fraude aux cotisations sociales et au travail dissimulé en nous privant en même temps du concours de ces inspecteurs dans les directions économiques régionales ?
La fraude sociale, c'est-à-dire la fraude aux prestations, représente environ 750 millions d'euros sur le montant total de 1,5 milliard d'euros de fraude sociale détectée l'an dernier. Il ne s'agit pas aujourd'hui de dire que cette fraude doit être minorée ou ne doit pas être regardée droit dans les yeux. Nos concitoyens sont souvent plus attentifs aux petites injustices qu'ils vivent dans leur quotidien – il est difficile de voir un voisin qui fraude quand on respecte soi-même les règles – qu'aux grandes injustices, telles que la fraude fiscale.
S'agissant de la fraude sociale, référons-nous au rapport que notre collègue Patrick Hetzel a rendu en 2019. Aujourd'hui en France, il y a environ deux millions de numéros de sécurité sociale en trop par rapport au nombre de bénéficiaires effectifs. On observe aussi, à la lecture de plusieurs rapports, une augmentation de la fraude à l'identité, de l'ordre de 23 % l'an dernier. Nous devons y faire face par tous moyens. Aussi, nous proposons de créer une autorité antifraude qui permette de mettre en relation l'ensemble des services et de renforcer les capacités d'investigation. Encore une fois, c'est la condition de la soutenabilité de notre système de sécurité sociale et surtout de la confiance qu'y prêtent nos concitoyens. Ce système, nous y sommes attachés et nous souhaitons le rendre encore plus redistributif.
J'en viens évidemment à la fraude fiscale, qui est l'élément écrasant du débat de ce soir. Parlons par exemple de la fraude à la TVA, qui est estimée par l'Insee en 2022 à un peu plus de 25 milliards d'euros. Nous devons considérer ce sujet avec l'attention qu'il mérite. Il apparaît nécessaire de développer les contrôles monétiques et de réduire le paiement en espèces qui, de toute évidence, est aujourd'hui un facteur de fraude à la TVA. Au-delà de la multiplication des contrôles, nous devons veiller à disposer de services de renseignement fiscal pour donner à notre pays le moyen de lutter contre les grandes infractions fiscales. Je vous renvoie à l'excellent rapport d'information que Christine Pires Beaune a rendu il y a deux ans sur les aviseurs fiscaux. Notre collègue suggérait de créer un service de renseignement fiscal et de doter le ministère de l'économie et des finances des moyens nécessaires pour mener des enquêtes à grande échelle sur la fraude à la TVA, qui aujourd'hui s'avère massive.
Voilà, monsieur le ministre délégué, chers collègues, quelques idées pour mener ce combat essentiel contre la fraude. Nous ne saurions que rappeler la faiblesse du montant de la fraude sociale par rapport à celui de la fraude fiscale. Nous sommes convaincus que notre État, nos services publics ont de l'importance ; une fois de plus, nous sommes profondément attachés à notre système de sécurité sociale, lequel ne peut être garanti que si l'on a la preuve du respect des règles.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI – NUPES, Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
La lutte contre la fraude est une préoccupation majeure de nos compatriotes. C'est un sujet vaste, car la fraude prend dans notre pays plusieurs formes : fraude fiscale, fraude sociale, fraude douanière… Les modes de fraude diffèrent ; il convient donc de s'attaquer à chacun d'eux de manière adaptée.
Si un bilan de la lutte contre la fraude en France est publié chaque année par le ministère de l'économie et des finances – je tiens à souligner le travail important réalisé par les services de l'État dans ce domaine –, ce bilan annuel ne nous fournit pas une estimation fiable du coût global que la fraude représente pour notre pays, puisqu'elle est, par principe, une pratique dissimulée.
La lutte contre la fraude est un enjeu pour nos finances publiques. Ni l'équilibre budgétaire de l'État ni le consentement à l'impôt ne peuvent tenir à terme si nous ne nous attaquons pas à la fraude. Si le bilan annuel du ministère ne nous permet pas, je l'ai dit, d'établir de manière précise l'ampleur du phénomène de la fraude dans notre pays, il apporte néanmoins quelques éclairages intéressants pour nos débats.
Voici les chiffres pour 2022. En matière de contrôle fiscal, 14,6 milliards d'euros d'impôts éludés ont été mis en recouvrement. En matière de fraude au recouvrement social, les Urssaf ont annoncé un montant de 788 millions s'agissant des redressements. En matière de fraude aux prestations sociales, les différents opérateurs ont détecté des fraudes d'un montant global avoisinant les 800 millions.
Par ailleurs, des travaux sont engagés sous l'autorité de l'Insee afin d'obtenir une analyse précise des montants. Ils sont de nature à éclairer nos débats et à améliorer notre compréhension de l'ampleur du phénomène pour les finances publiques.
Au-delà des aspects financiers, qui sont indispensables et tiennent à cœur au groupe Horizons et apparentés, la fraude est également un objet de débat politique. Pour les uns, les fraudeurs seraient nécessairement les multinationales et les citoyens les plus aisés, qui se déchargeraient systématiquement de leurs obligations fiscales. Pour les autres, les fraudeurs sont nécessairement des fraudeurs sociaux, profiteurs d'un modèle social à la française particulièrement généreux. La réalité est un peu plus complexe que ces caricatures que l'on nous présente parfois de manière simpliste, bien souvent lors des campagnes électorales pour justifier le financement de mesures au coût élevé.
La lutte contre la fraude est pourtant un objet politique complexe, qu'il convient de traiter avec sérieux. C'est ce qui a été fait dès 2018 sous l'impulsion du Premier ministre de l'époque, Édouard Philippe, d'une part en accompagnant mieux nos compatriotes de bonne foi grâce à la reconnaissance du droit à l'erreur par la loi pour un État au service d'une société de confiance, d'autre part en réprimant plus fortement les fraudeurs au moyen de la loi relative à la lutte contre la fraude, qui a renforcé les moyens de détection et de caractérisation des fraudes dans notre pays.
Ces textes de loi ont d'ores et déjà permis de nombreuses avancées. Ainsi, l'accompagnement des contribuables de bonne foi a fortement progressé : près d'un contrôle sur deux a abouti à des régularisations en cours de contrôle. En parallèle, le nombre de saisines de l'autorité judiciaire pour des fraudes à l'impôt continue de progresser et d'aboutir à des condamnations. Ces avancées seront vraisemblablement complétées dans les mois à venir par un plan « fraude » présenté par le ministre délégué chargé des comptes publics, Gabriel Attal. Si les contours de ce plan ne sont pas encore précisément définis, il devra nécessairement permettre des simplifications administratives pour faciliter le travail de contrôle des administrations, tout en étendant les moyens de contrôle à disposition de l'État.
Pour conclure, il convient de rappeler ici que la lutte contre la fraude est un enjeu majeur pour notre pays : un enjeu financier, bien sûr, mais aussi un enjeu de justice et de souveraineté. Sur cette question comme sur tant d'autres, il nous faudra sortir des postures et des discours rodés que nous entendons encore trop souvent, afin d'analyser de manière objective les chiffres et la situation, et surtout de proposer à nos compatriotes une stratégie claire, complète et concrète. Vous pouvez compter sur le groupe Horizons et apparentés pour agir dans cette direction.
Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et RE.
Je note que c'est le ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications qui est présent pour ce débat sur la fraude…
La lutte contre la fraude, entendue comme une violation délibérée et consciente de la réglementation en vigueur, participe de la stratégie d'incitation au civisme et doit être soutenue par chacune et chacun d'entre nous. Sans prétendre à l'exhaustivité sur un si vaste sujet, que ces quelques heures de débat ne nous permettent pas d'aborder dans son ensemble, je focaliserai mon intervention sur les types de fraude régulièrement évoqués dans le débat public : la fraude fiscale, la fraude douanière et la fraude sociale.
Commençons par la fraude fiscale. Pour atteindre l'objectif d'incitation au civisme, notre administration doit assurer une présence suffisante et équitable auprès de tous les contribuables, de l'autoentrepreneur à la multinationale, et combattre tous les types de fraude, de l'encaissement en espèces des recettes non déclarées à l'utilisation des instruments hybrides.
Il est clair que le respect des obligations ne peut qu'être encouragé par la confiance que chacun peut avoir dans la capacité du système fiscal à détecter et imposer impartialement les revenus de tous les autres. En effet, le potentiel du civisme fiscal dépend de manière cruciale de la confiance que les contribuables peuvent placer dans l'exemplarité et l'intégrité de ceux qui, aux divers niveaux, surtout les plus visibles, sont chargés de prélever, de répartir ou d'utiliser le produit de l'impôt.
Or, ces dernières années, cette exemplarité a souvent fait défaut. En septembre 2018 a éclaté l'affaire Laura Flessel, qui était alors ministre des sports. En octobre 2019, Thierry Solère, député La République en marche, a été mis en examen pour fraude fiscale. En décembre 2021, Alain Griset, ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, a été condamné pour déclaration incomplète de son patrimoine. En novembre 2022, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a saisi la justice concernant Caroline Cayeux, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales.
C'est l'honneur de la France que d'être un grand pays redistributif des richesses qu'elle produit. Ceux qui incarnent l'État et qui orientent les actions de lutte contre la fraude doivent en être les gardiens et des exemples, selon la formule célèbre « l'État doit être le plus honnête homme de France ».
La lutte contre la fraude fiscale passe également par une solide action préventive, qui suppose une organisation rationnelle des moyens et des méthodes. En la matière, les gouvernements qui se sont succédé depuis la fin des années 2000 ont choisi de ne pas adapter les effectifs des services de contrôle fiscal, en arguant que des mesures technologiques seraient plus efficaces. Ce choix s'est avéré inapproprié : on a dénombré 27 000 vérifications de comptabilité en 2021, contre 35 000 en 2019 et 47 000 en 2010, alors que, de 2008 à 2021, le nombre d'entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés est passé de 1,5 million à 2,84 millions, et celui des entreprises assujetties à la TVA est passé de 4 millions à 7,55 millions. Autrement dit, le ratio du nombre de contrôles rapporté au tissu économique et fiscal s'effondre, laissant à la fraude des marges de manœuvre de plus en plus importantes.
En 2022, les résultats financiers des contrôles fiscaux se sont élevés à 14,6 milliards d'euros, en progression de 1,2 milliard par rapport à 2021. Toutefois, ces résultats sont très inférieurs à ce qu'ils étaient entre 2010 à 2018, puisqu'ils oscillaient alors entre 16 milliards et 21 milliards. Il ne s'agit donc pas de résultats « exceptionnels », comme les ont qualifiés Bruno Le Maire et Gabriel Attal. De plus, si le data mining est à l'origine de 52 % des contrôles fiscaux, il ne représente que 13,69 % des résultats obtenus.
J'en viens à la fraude douanière. S'agissant des procédures douanières et des taxations directes ou indirectes, l'existence de ports francs fait courir des risques importants de blanchiment d'argent sale ou de financement d'actes terroristes – nous y reviendrons. Les travaux internationaux menés par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l'Organisation mondiale des douanes (OMD) ont démontré que certaines organisations frauduleuses ou criminelles utilisaient ces plateformes pour infiltrer plus facilement le fret légal et y faire transiter des marchandises illicites.
Je termine par la fraude sociale. Sa composante majeure est la fraude aux cotisations sociales, estimée à 8 milliards d'euros par an. Celle-ci est majoritairement le fait d'employeurs qui ne déclarent pas les heures travaillées. En 2022, le réseau des Urssaf a effectué des redressements pour 788 millions, montant stable par rapport à 2021. Ces chiffres révèlent, cela a été dit, la faiblesse de l'ambition gouvernementale en la matière. Il est nécessaire de renforcer les moyens des Urssaf pour augmenter les montants des redressements.
Quant à la fraude aux prestations sociales, autre composante de la fraude sociale, son montant a été évalué en 2020 par la Cour des comptes à 1 milliard d'euros par an. Elle représente donc une infime partie des trois types de fraude que j'ai abordés. Cette réalité contraste avec l'indignation que nous observons notamment à la droite de cette assemblée et le battage médiatique qui l'accompagne. C'est là une façon de ne pas traiter le vrai sujet, à savoir la fraude qui prive les États des moyens de répondre aux enjeux de justice sociale et environnementale, et de défendre ainsi avec vigueur notre modèle républicain.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et GDR – NUPES.
« La fraude sous toutes ses formes ». Un thème aussi large aurait pu sembler inadapté pour une heure trente de débat. Néanmoins, après avoir pris connaissance des initiateurs du débat, j'ai compris qu'il s'agissait non pas d'un manque d'inspiration sur la question, mais bien d'une volonté de masquer l'objectif réel du débat : passée une dénonciation rapide de la fraude fiscale, certains voudraient glisser aisément vers leur thème de prédilection, sinon leur mantra, à savoir la fraude sociale, a fortiori celle des étrangers.
Très souvent confrontés aux propositions des élus de la NUPES contre la fraude fiscale des plus aisés ou des grandes entreprises, les élus de la droite et de l'extrême droite de cet hémicycle se sont souvent rangés derrière la majorité présidentielle pour refuser toute évolution. Ils sont en revanche particulièrement disposés à voter toutes les mesures visant à introduire des cartes Vitale biométriques, à accroître les contrôles sur les arrêts maladie, à fliquer les chômeurs.
On ne saurait pourtant faire illusion en instillant l'idée que toutes les fraudes se valent. Bien au contraire, il faut le rappeler encore et encore, la fraude des pauvres est une pauvre fraude. Si les évaluations restent imparfaites, les rapports parlementaires et ceux de la Cour des comptes permettent d'estimer un ordre de grandeur de la fraude aux prestations sociales : entre 1 milliard et 2 milliards d'euros. Ainsi, la fraude au RSA approcherait 800 millions, quand la fraude aux allocations familiales ne dépasserait pas 120 millions. Mes collègues l'ont dit, la fraude sociale est d'abord la fraude aux cotisations sociales et le recours au travail dissimulé.
De tels ordres de grandeur ne sont bien entendu pas à négliger, car c'est le consentement à la solidarité qui peut être abîmé. Toutefois, ils semblent relativement modestes une fois rapportés au montant des prestations sociales délivrées chaque année, soit près de 600 milliards, et devant celui du non-recours à ces prestations, évalué à plus de 10 milliards.
II nous revient donc de nous concentrer sur le réel fléau de notre société, sur la vraie fraude : la fraude fiscale. C'est celle qui coûte cher ; celle qui détruit l'égalité républicaine permise par les services publics en grevant le budget de l'État de 80 milliards à 100 milliards chaque année par l'évasion fiscale ; celle qui détériore le consentement à l'impôt dès lors que le taux effectif d'imposition des 370 ménages les plus riches est de 2 %, comme l'a montré l'économiste Gabriel Zucman ; celle qui se règle dans le secret des bureaux de Bercy, le contrevenant pouvant négocier son amende au moyen de dispositifs tels que les règlements d'ensemble. Bien entendu, nous n'oublions pas la fraude des grands groupes à la TVA, notamment au moyen du fameux « sandwich hollandais ».
Au vu de ces éléments, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales aurait dû être érigée en priorité nationale. Pourtant, depuis 2017, elle est restée un sujet plus que subalterne. Aux yeux des experts de l'optimisation fiscale, la liste des paradis fiscaux instaurée par la France en 2018 s'apparente à un conte pour enfants. Parmi les douze pays et territoires qui aident le plus les entreprises à échapper à l'impôt en France, seules les Bahamas et les îles Vierges figurent sur notre liste, tandis que le Luxembourg, l'Irlande, les Bermudes et Jersey y échappent.
Dans la même logique, le récent accord sur l'imposition minimale des multinationales a été vidé de sa substance. S'il empêche les délocalisations artificielles de bénéfices, il ne sera d'aucun effet pour les multinationales qui exercent des activités dans des pays pratiquant des taux prédateurs d'impôt sur les sociétés ; il pourrait même tendre à accroître et à légitimer la concurrence fiscale entre les pays.
Loin de ces avancées lentes et en trompe-l'œil, la France pourrait d'ores et déjà agir de manière unilatérale. Les aides publiques, qui représentent 200 milliards d'euros par an, pourraient être limitées pour les multinationales qui exercent dans certains pays pratiquant une concurrence fiscale trop féroce. Le Gouvernement pourrait aussi laisser le Parlement légiférer directement pour transposer la directive sur le reporting public, plutôt que de le faire par ordonnance comme il le prévoit. Enfin, il s'agit de redonner les moyens de contrôle et de poursuite à la DGFIP et au parquet national financier.
Les pistes pour lutter efficacement contre la fraude fiscale sont nombreuses et d'ampleur. Elles doivent désormais constituer une priorité, loin des cartes Vitale biométriques, dont l'unique objectif est d'opposer les Français les uns aux autres, alors même qu'il faut rassembler et retrouver le chemin du consentement à l'impôt comme contribution juste en fonction de ses capacités, ainsi que l'énonce notre texte fondamental.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES, LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
Monsieur le ministre, votre collègue Gabriel Attal a annoncé un plan spécifique de lutte contre la fraude fiscale et sociale dont la présentation devrait intervenir dans les prochaines semaines. Ce plan englober les trois principaux types de fraude : la fraude douanière, la fraude sociale et la fraude fiscale. J'ai moi-même eu la chance de faire partie, avec d'autres collègues présents ce soir dans l'hémicycle, du groupe de travail de parlementaires que vous avez réunis, et je vous en remercie.
La fraude est une thématique que mon groupe parlementaire a souhaité examiner avec attention sous la précédente législature, puisque nous avons été à l'origine du rapport de la commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales et fiscales. Ce rapport a dressé plusieurs constats sans appel et demandé des réponses bien plus fortes que celles qui existent actuellement en matière de prévention comme en matière de répression. Nous préconisions alors une forte impulsion interministérielle antifraude visant à resserrer les liens entre les caisses de sécurité sociale, l'administration fiscale et les services de police. La difficulté réside dans notre incapacité à chiffrer l'étendue des fraudes de manière fiable et précise, puisque seuls les préjudices détectés peuvent être chiffrés ; en d'autres termes, nous ne voyons que la partie émergée de l'iceberg. Certaines études indiquent que la fraude sociale représenterait entre 3 et 10 % du montant des prestations versées, c'est-à-dire entre 14 et 45 milliards d'euros.
Ce ne sont pas les mêmes chiffres que ceux qui ont été donnés tout à l'heure !
Le rapport de la commission d'enquête mettait en lumière l'un des points faibles de notre système en termes de fraude sociale, à savoir la problématique de l'enregistrement des bénéficiaires nés à l'étranger dans notre système de sécurité sociale. Il arrive régulièrement que cette immatriculation soit fondée sur de faux documents ou sur des usurpations d'identité puisque, dans de nombreux pays, les documents d'état civil ne sont pas formalisés.
Ces documents, dont la forme est libre, sont facilement falsifiables. Une fois l'enregistrement effectué, les organismes sociaux ne peuvent plus démontrer la falsification ; c'est l'accès assuré aux bénéfices de nos différentes prestations. Afin de lutter contre cette fraude aux enjeux financiers importants, nous demandions notamment la création d'une liste de pays dont les documents d'état civil ne seraient plus considérés comme fiables. Un rapport sénatorial avait tenté de mesurer l'ampleur de ces manœuvres et les avait chiffrées à environ 140 millions d'euros chaque année. Je souhaiterais connaître les mesures que vous entendez prendre sur ce point et savoir si vous envisagez l'établissement d'une telle liste.
Nous avions également été surpris par le nombre des cartes Vitale en circulation et nous avions rencontré des difficultés à en pointer le nombre exact. Certains rapports parlementaires en dénombraient sept millions, d'autres cinq millions, tandis que l'administration nous affirmait l'existence de 152 000 cartes surnuméraires. La méthode de calcul utilisée dans le rapport de la commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales a abouti à l'estimation d'un excédent réel de 1,8 million de cartes Vitale. Face à la disparité de ces chiffres, il est évident qu'un travail doit être réalisé pour fiabiliser le système du parc des cartes Vitale.
Ainsi, dans le cadre de la première loi de finances rectificative de 2022, 20 millions d'euros avaient été alloués au développement du principe des cartes Vitale biométriques et à l'établissement d'un cahier des charges permettant de lutter contre les cartes frauduleuses. Toutefois, pour assurer le développement des cartes Vitale biométriques sur tout le territoire, il faut débloquer un budget important qui représenterait une dépense supplémentaire de 900 millions d'euros, le coût de production d'une carte Vitale biométrique étant estimé à 15 euros, contre 4,40 euros de coût de production actuel. Dans le cadre de cette loi de finances rectificative, le Gouvernement avait émis un avis de sagesse et annoncé la création d'un programme relatif à la création de cartes Vitale biométriques, lequel n'a finalement pas vu le jour dans le projet de loi de finances 2023. J'en suis étonné et je vous serais reconnaissant de bien vouloir m'en indiquer les raisons.
Applaudissements sur les bancs des groupes RN et LR, ainsi que sur quelques bancs du groupe Dem.
La lutte contre la fraude fait l'objet d'une attention soutenue de la part du Gouvernement et de la majorité.
Elle est un facteur essentiel du consentement à l'impôt et de notre capacité à rester une société solidaire qui assume le financement par tous, dans le respect des capacités de chacun, de nos services publics.
Grâce aux réformes adoptées depuis 2017 et à la performance de nos administrations, le bilan de la lutte contre les fraudes fiscale, douanière et sociale révèle des résultats exceptionnels en 2022. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : les montants mis en recouvrement atteignent un niveau inédit avec un total de 14,6 milliards d'euros, soit 8,2 % de plus qu'en 2021. Les résultats de la douane sont, eux aussi, à un niveau jamais atteint sur plusieurs segments de fraude, comme les contrefaçons ou les trafics de drogue et de tabac. Je tiens à souligner ici le travail d'excellence des douaniers du Jura, qui battent régulièrement des records nationaux en matière de saisies en tout genre. Par ailleurs, la priorité donnée depuis 2017 à la lutte contre la fraude sociale porte ses fruits, avec des résultats en augmentation pour l'assurance maladie et les prestations versées par les CAF.
Je tiens à rappeler l'importance de la loi du 23 octobre 2018 mettant fin au verrou de Bercy ; les performances de Tracfin dans les fraudes émergentes ; la création, en 2019, du SEJF, le service d'enquêtes judiciaires des finances ; la création, en 2020, de la Micaf, la mission interministérielle de coordination antifraude. La coopération entre les services de Bercy et la justice a ainsi été renforcée. Leur action conjointe, moderne et efficace, a beaucoup amélioré les moyens de détection et de caractérisation de la fraude. C'est l'occasion de saluer le travail remarquable réalisé par les femmes et les hommes de ces services.
Un autre axe de cette politique est la coopération européenne et internationale, domaine dans lequel la France doit continuer d'être moteur et force de proposition, comme elle sait le faire depuis 2017.
En ce qui concerne la fraude sociale, l'instauration de la solidarité à la source sera sans doute une avancée, puisque vingt millions de Français sont concernés. Elle permettra aussi de traiter la problématique du non-recours aux prestations sociales, laquelle représente près d'un tiers des usagers et plusieurs milliards d'euros, soit beaucoup plus que le montant estimé de la fraude sociale.
Depuis 2017, nous avons donc fortement accru les pouvoirs de contrôle des administrations compétentes et augmenté les peines encourues en cas de fraude. La France est désormais l'un des pays dont l'arsenal législatif dans ce domaine est le plus sévère.
M. le ministre de l'action et des comptes publics a annoncé un nouveau plan spécifique de lutte contre toutes les fraudes. Il sera utile car, depuis quelques années, les fraudes sont de plus en plus complexes, les fraudeurs de plus en plus inventifs et les cyberfraudes de plus en plus fréquentes. Nous avons donc encore une marge de progression et il est essentiel de garder un temps d'avance sur les fraudeurs.
Parallèlement à la répression des fraudeurs, un autre grand axe de notre politique de contrôle a été renforcé : l'accompagnement des contribuables dans le cadre d'une relation de confiance. En effet, la prévention joue un rôle crucial. Dans cet esprit, la loi Essoc a reconnu le droit à l'erreur et créé la plateforme oups.gouv.fr, laquelle vise à expliquer aux contribuables, avant toute sanction, comment ne plus se tromper dans ses démarches. Lutter contre la fraude implique de bien informer les usagers pour les dissuader de contrevenir à la législation.
Il est important de lutter contre toutes les fraudes – fiscale, sociale et douanière –, mais nous devons avoir aussi à cœur de renforcer par l'éducation, dès le plus jeune âge, le sens civique de chacun, le devoir citoyen et le respect des lois, gages de notre cohésion nationale et donc de notre pacte social.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.
La parole est à M. le ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications.
La lutte contre la fraude est une priorité du Gouvernement.
Vous avez été un certain nombre à rappeler que l'égalité devant l'impôt et les prélèvements obligatoires était l'un des fondements de notre démocratie et de notre pacte républicain. En effet, la fraude porte atteinte à l'idée que nous nous faisons d'une société juste ainsi qu'aux valeurs républicaines édictées par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La fraude fiscale et sociale est un poison qui mine notre cohésion sociale, particulièrement par les temps actuels où les Français, qui subissent la hausse des prix malgré les politiques que nous mettons en œuvre, demandent que l'effort soit justement réparti.
Malgré des difficultés méthodologiques importantes pour la quantifier précisément, il est évident que la fraude prive les pouvoirs publics de ressources importantes, à l'heure où nous devons affronter le double défi de la transition écologique et du redressement de nos comptes. Depuis 2017, la majorité présidentielle a considérablement renforcé les moyens de lutte contre la fraude fiscale, comme l'a rappelé Mme Brulebois à l'instant.
La loi de 2018 relative à la lutte contre la fraude a constitué un tournant : obligation de déclaration des comptes à l'étranger, création du service d'enquêtes judiciaires des finances, dénonciation obligatoire des faits de fraude fiscale et durcissement des règles applicables à l'e-commerce sont quelques-unes des nombreuses mesures qui, depuis, ont prouvé leur efficacité.
Le Gouvernement a également été très actif en Europe avec la poursuite de l'édification d'un corpus de règles européennes de lutte contre la fraude et pour l'échange d'informations par la voie des directives dites DAC – les directives relatives à la coopération administrative, nous en sommes désormais à la huitième –, les travaux conduits à l'OCDE pour lutter contre l'érosion des bases et le transfert des profits – le projet Beps (Base Erosion and Profit Shifting) – et la réforme de la fiscalité internationale.
La loi de finances pour 2023 comportait, comme chaque année, des dispositions en matière de lutte contre la fraude. Je pense notamment à la refonte du mécanisme de suspension des numéros de TVA, outil décisif face aux fraudes dites carrousel, ou à l'élargissement des compétences du service d'enquête judiciaire des finances à l'escroquerie à la TVA.
La fraude à la TVA demeure bien trop importante : d'après les dernières estimations de l'INSEE, elle pourrait représenter autour de 23 milliards d'euros. La facturation électronique interentreprises, dont la généralisation est prévue en 2024, devrait nous permettre d'augmenter d'au moins 2 milliards d'euros les recettes de la TVA. Je profite de cette occasion pour saluer le travail du député Mohamed Laqhila sur la question. Les résultats de la lutte contre la fraude fiscale atteignent cette année de nouveaux records : en 2022, les montants mis en recouvrement après contrôle fiscal s'élèvent à 14,6 milliards d'euros, dépassant les niveaux d'avant la crise sanitaire.
Pas moins de 10,6 milliards d'euros d'impôts ont été encaissés par l'État à la suite de ces contrôles, ce qui représente un niveau équivalent à 2019 : ainsi, si le taux de recouvrement n'est pas de 100 %, comme l'a fait remarquer M. Allisio, il n'est pas non plus de 50 %, mais plutôt de 73 %.
La DGFIP a montré sa capacité à se saisir des optimisations frauduleuses des plus grandes entreprises, par exemple dans le cas de la CJIP – convention judiciaire d'intérêt public – conclue avec McDonald's l'été dernier, avec plus de 1 milliard d'euros à la clé. Nous avons donc des outils efficaces.
Ces résultats historiques s'expliquent notamment par le renforcement du ciblage national du contrôle fiscal par l'analyse de données, le data mining : 52 % des contrôles d'entreprises ont ainsi été engagés en 2022 après des analyses de données, et ce chiffre record a vocation à croître encore cette année. Si, comme l'a indiqué Mme Arrighi, le montant total représente encore une proportion limitée des sommes recouvrées par l'État, c'est parce que la montée en puissance de ces contrôles est progressive et qu'à ce stade, les contrôles basés sur l'analyse de données ne ciblent pas les grands groupes, pour lesquels d'autres dispositifs sont utilisés.
Révolution du contrôle fiscal depuis quelques années déjà, l'action pénale s'est encore intensifiée : 1 770 dossiers ont été transmis à la justice. Ce chiffre croît désormais chaque année et nous nous en félicitons.
Les excellents résultats des services fiscaux ne doivent pas masquer ceux des autres services de Bercy : la douane, en matière de lutte contre les contrefaçons et les trafics de tabacs, et Tracfin, dont 30 % de l'activité est centrée sur la fraude fiscale, sociale et douanière.
Enfin, je veux souligner que le précédent quinquennat nous a légué un acquis majeur, celui du droit à l'erreur : c'est une ligne d'action qui commande la fermeté contre la fraude tout en préservant la confiance, qui est le terreau des échanges et de l'initiative d'entreprendre dans notre pays.
Alors oui, nous devons aller encore plus loin. La Première ministre et le Président de la République ont chargé mon collègue Gabriel Attal, sous l'autorité de Bruno Le Maire, de présenter, à la fin du premier trimestre 2023, une feuille de route afin d'impulser dans les méthodes, les moyens et les objectifs un véritable saut capacitaire dans la lutte contre les fraudes aux finances publiques d'ici à la fin du quinquennat. C'est une nécessité, et c'est une nécessité qui rassemble. Notre débat le montre ce soir, et je pense que nous pouvons avancer de façon transpartisane sur plusieurs de ces sujets.
Notre main ne tremble pas davantage en matière de fraude sociale. Nous ne saurions d'ailleurs opposer fraude fiscale et fraude sociale : l'une comme l'autre sapent la confiance qu'ont nos concitoyens dans leurs institutions ; l'une comme l'autre représentent un préjudice pour les finances publiques de plusieurs milliards d'euros par an. Nous les combattons et nous les combattrons donc sans relâche l'une comme l'autre. À cet égard, permettez-moi de préciser que lorsque l'on parle de fraude sociale, on parle bien davantage de fraudes de réseaux et de professionnels que d'une « fraude de la pauvreté ».
À titre d'exemple, le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFIPS) estime que la fraude au recouvrement social représente un préjudice de plus de 6 milliards par an pour les Urssaf, les caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA), les régimes complémentaires et l'Unedic : il s'agit bien là d'une fraude d'employeurs qui ne déclarent pas ou sous-déclarent le travail de leurs salariés ou de salariés mis à leur disposition. De la même manière, en matière de fraude à l'assurance maladie, la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) estime à 70 % la proportion de la fraude qui résulte de l'initiative de certains professionnels de santé peu scrupuleux – centres de santé, professionnels libéraux, établissements sanitaires et médico-sociaux.
S'attaquer à la fraude sociale, ce n'est donc pas porter atteinte aux droits des allocataires modestes, mais bel et bien rétablir l'équité entre les cotisants et entre les allocataires pour démanteler les réseaux criminels, sanctionner les surfacturations ou redresser les montants dus de cotisations et de contributions sociales. Je veux vous présenter le bilan des actions que nous avons conduites en la matière.
S'agissant de la fraude au recouvrement social, le réseau des Urssaf a plus que doublé le montant des redressements réalisés depuis dix ans, passant de 320 millions d'euros en 2013 à 788 millions en 2022. Cumulés sur la période 2018-2022, les redressements issus de la lutte contre le travail informel ont atteint 3,5 milliards, soit un montant supérieur de 150 millions à l'objectif initialement fixé lors du précédent quinquennat. Cette amélioration est notamment permise par un ciblage renforcé des contrôles : les cent redressements les plus importants en 2022 concentrent ainsi 37 % des montants redressés. En outre, les sanctions financières appliquées dans ce cadre, telles que les majorations de redressement ou les annulations d'exonérations de cotisations, représentent 30 % des sommes redressées. Enfin, le contrôle des prestations de service internationales, notamment du travail détaché dans le secteur de la construction, a permis, depuis cinq ans, d'effectuer des redressements pour un montant total de 331 millions. Nous poursuivons cette action avec détermination.
S'agissant de la fraude aux prestations sociales – nous pensons, contrairement à Mme Leduc, qu'elle n'a rien d'une paille et ne doit pas être sous-estimée –, son montant total est estimé à 2,8 milliards d'euros.
Le préjudice total détecté et subi par le réseau des CAF s'élève à 351 millions d'euros en 2022, pour 49 000 cas de fraude, soit une croissance de 21 % du préjudice et de 8 % du nombre de fraudes détectées depuis 2017. Au total, sur la période 2018-2022, le préjudice détecté s'élève à 1,5 milliard. Les pénalités prononcées par les CAF se sont élevées à 23 millions en 2022, soit une augmentation de 36 % par rapport à 2017, pour un montant moyen de 751 euros. Un cas de fraude sur quatre fait l'objet d'un avertissement. Trois sur quatre font l'objet d'une pénalité. Un sur dix est suivi d'un dépôt de plainte.
Le réseau de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) a quant à lui évité 155 millions d'indus en 2022, soit un montant stable par rapport à 2021 et en forte progression par rapport à l'objectif fixé. L'efficacité des contrôles progresse, avec un dossier contrôlé sur deux débouchant sur un redressement. En 2022, l'activité de contrôle et de recouvrement s'est aussi attaquée aux fraudes en réseau, permettant par exemple la suspension de prestations frauduleuses sur des relevés d'identité bancaire lituaniens et l'intensification des échanges d'informations avec les pays européens.
Pour répondre à M. Fabrice Brun sur le détournement de l'Aspa, je rappelle que nous avons inscrit dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 des mesures visant à interdire les versements sur des comptes à l'étranger à compter de juillet 2023. Nous avons par ailleurs acté le renforcement des contrôles réalisés par la Cnav à l'étranger : elle a dépêché des agents en Algérie, ce qui a permis d'identifier et de clore une centaine de dossiers non conformes.
S'agissant de la fraude à l'assurance maladie, le préjudice détecté et évité s'est élevé à 316 millions d'euros en 2022, pour 19 000 dossiers de fraude, soit une augmentation de 44 % en montant financier et de 46 % en nombre de dossiers par rapport à 2021. Sur la période 2018-2022, le préjudice détecté et évité s'élève au total à 1,2 milliard. En 2022, le nombre de sanctions a également augmenté puisqu'il est passé de 7 900 à 8 800. L'accent a notamment été mis sur le contrôle des centres de santé ophtalmologiques et dentaires présentant de fortes atypies de facturation : deux centres de santé ont ainsi été déconventionnés pour une durée de cinq ans en Seine-Saint-Denis et dans les Yvelines. De manière analogue, 360 pharmacies ont fait l'objet de contrôles en 2022 au titre de la fraude aux tests antigéniques : des pratiques frauduleuses ont été mises à jour pour 65 d'entre elles, pour un préjudice estimé de 58 millions d'euros. Deux procédures de déconventionnement d'officine, ainsi que plusieurs dizaines de procédures ordinales et pénales, ont été engagées à ce titre.
S'agissant de la carte vitale, évoquée par plusieurs orateurs, notamment par M. Franck Allisio, il n'est pas vrai que 2 millions de fausses cartes vitales sont en circulation. Leur nombre était de 600 000 en 2019 et il est passé à 3 096 fin 2022. Le préjudice lié aux fausses cartes vitales est estimé à 2 millions d'euros. Néanmoins, comme l'a souligné M. Christophe Naegelen, nous devons mettre en œuvre le chantier sur la carte vitale biométrique ouvert par la loi de finances rectificative pour 2022. Une mission a été confiée à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et à l'Inspection générale des finances (IGF), qui rendra ses conclusions dans quelques semaines, au début du printemps. Celles-ci viendront alimenter les travaux menés par Gabriel Attal, sous l'autorité de Bruno Le Maire.
Les résultats de la lutte contre la fraude sociale sont-ils historiques ? Oui, car nous faisons mieux en 2022 qu'en 2017, et nous faisions déjà mieux en 2017 qu'en 2012. Mais nous pouvons, et nous devons, faire encore beaucoup mieux, tant pour évaluer, détecter, prévenir, que sanctionner les fraudes en matière sociale. Les mesures adoptées dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 ont déjà permis de renforcer nos outils, avec notamment le déploiement de cyberenquêteurs dotés de prérogatives de police judiciaire dans les caisses de sécurité sociale, le renforcement des sanctions en matière de fraude à l'assurance maladie ou aux prestations sociales, l'application de frais de gestion aux fraudeurs, l'interdiction du versement d'allocations sur des comptes bancaires hors espace unique de paiement en euros (zone Sepa) à compter du 1er juillet 2023, l'extension des procédures de déconventionnement par les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) des professionnels de santé frauduleux, ou encore l'usage généralisé du fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) pour vérifier l'identité bancaire des allocataires et lutter contre les fraudes à l'usurpation d'identité.
Je le disais, mon collègue Gabriel Attal prépare en ce moment un plan de lutte contre les fraudes aux finances publiques pour aller encore plus loin. Il comportera un volet ambitieux sur la fraude sociale. En dix ans, nous avons triplé les montants de redressement par les Urssaf – qui sont passés de 253 millions d'euros en 2012 à 788 millions en 2022 – et des fraudes détectées et évitées par les CAF. Nous avons également doublé les fraudes détectées et évitées par l'assurance maladie, passées de 149 millions en 2012 à 316 millions en 2022. Durant les cinq prochaines années, nous pourrons encore doubler les résultats de l'assurance maladie et intensifier l'action du réseau des CAF, des Urssaf et de la Cnav. Nous y parviendrons notamment en renforçant les échanges de données entre les caisses de sécurité sociale, en généralisant l'usage du dispositif de ressources mensuelles pour lutter contre les fraudes aux déclarations de ressources, mais aussi en intensifiant la régulation des plateformes et des micro-entrepreneurs qui représentent une part croissante des cotisations et des contributions sociales éludées.
Un mot maintenant sur la fiscalité internationale, que vous êtes plusieurs à avoir évoquée, en particulier M. Nicolas Sansu. Grâce aux outils documentaires qu'elle impose, la liste des paradis fiscaux a permis de rectifier 774 millions d'euros de fraudes fiscales internationales. M. Franck Allisio a rappelé dans son intervention les différentes conventions fiscales. Grâce à la convention multilatérale Beps, ces conventions fiscales sont désormais complétées par des clauses anti-abus. Je souligne, par ailleurs, s'agissant de la fiscalité internationale, qu'avec la taxe Gafa et l'impôt minimum sur les sociétés de 15 %, qui a fait l'objet d'un accord entre les pays de l'OCDE et d'une directive européenne,…
…c'en est désormais fini du dumping fiscal, c'est-à-dire de la capacité de certains pays à pratiquer des taux d'impôt sur les sociétés minimes pour attirer les entreprises au détriment des autres nations.
Enfin, parce que j'ai entendu la proposition de M. Philippe Brun de créer une autorité anti-fraude et celle de M. Franck Allisio de créer un grand ministère de la fraude, je rappelle qu'une institution est déjà chargée de cette mission : le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Pour conclure, je salue donc le remarquable travail effectué par les agents des services de Bercy dans la lutte contre la fraude afin de rétablir le consentement à l'impôt.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Mathilde Paris.
Monsieur le ministre délégué, votre gouvernement ne cesse d'exiger plus d'efforts du peuple français, que ce soit avec la réforme des retraites, particulièrement injuste et brutale, avec une pression fiscale toujours plus lourde ou encore du fait de votre incapacité à restaurer le pouvoir d'achat. Dans le même temps, vous détruisez la valeur travail en laissant prospérer les fraudeurs aux allocations chômage. L'estimation du coût de cette fraude s'élève à plusieurs centaines de millions d'euros par an. Les travailleurs honnêtes en sont les premières victimes. Les remontées de terrain, qui ne représentent que la partie émergée de l'iceberg, sont édifiantes.
Dans ma circonscription, Michel, un entrepreneur du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), s'est vu expliquer par un bénéficiaire de Pôle emploi qu'il souhaitait recruter qu'il ne « faisait que du black ». Combien d'autres allocataires utilisent-ils Pôle emploi pour trouver des opportunités de travail dissimulé tout en continuant à percevoir leurs indemnités chômage ?
Je peux également vous parler de l'abus du CDD d'usage, qui permet à des salariés peu scrupuleux d'alterner les périodes de travail de six mois, pour recharger leurs droits au chômage, et les périodes de vacances, payées par Pôle emploi.
Lorsque j'ai commencé à travailler, l'obtention d'un CDI était considérée comme un accomplissement. Aujourd'hui, c'est le CDD de six mois qui est devenu le nouveau Graal, et le statut de « permittent » qui est le plus prisé.
Je terminerai par le cas de Laura, partie un an à l'étranger en congé sabbatique, grâce à ses allocations chômage. C'est sa mère qui, depuis la France, actualise chaque mois sa situation sur le site de Pôle emploi. Cette technique bien rodée est largement répandue. Pour reprendre une expression chère à la Macronie, « un pognon de dingue » est en jeu !
Face à ces fraudeurs, il existe un véritable sentiment d'injustice chez les travailleurs qui se lèvent tôt et qui, malgré leurs efforts quotidiens, peinent à s'en sortir et à payer leurs factures.
Monsieur le ministre délégué, avez-vous une stratégie concrète et des outils efficaces pour mettre fin à ce fléau et revaloriser le travail ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Mme Christine Arrighi s'exclame.
Je partage une partie de votre constat, madame la députée. C'est la raison pour laquelle le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, M. Olivier Dussopt, a soumis il y a quelques mois à l'Assemblée nationale un texte visant à modifier le fonctionnement de l'assurance chômage dans notre pays, pour éviter les périodes de « permittence » que vous avez mentionnées. Je regrette que votre groupe n'ait pas soutenu cette réforme,…
…qui visait précisément à s'attaquer au problème que vous évoquez, c'est-à-dire au fait pour des demandeurs d'emploi d'abuser du système en refusant des offres d'emploi ou en privilégiant les périodes courtes d'activité alors qu'ils pourraient obtenir un CDI. Le problème que vous évoquez est important et nous pensons que la réforme de l'assurance chômage que nous avons engagée constitue la réponse la plus appropriée pour y remédier.
La fraude aux prestations sociales est un fléau qui coûte des milliards d'euros par an. Dans le contexte d'une réforme des retraites injuste, menée uniquement pour faire des économies sur le dos des Français, il est cohérent d'aborder le sujet de la fraude aux retraites versées à des retraités fantômes à l'étranger. Entre 200 millions et 1 milliard d'euros : voilà ce que nous coûte cette fraude.
En effet, nous avons affaire à un système de fraude presque institutionnalisée ou « a minima régionalisée », comme l'a déclaré M. Pierre-Alexandre Rocoffort de Vinnière, président de la société Excellcium, à l'occasion de son audition par la commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, menée par notre assemblée en 2020. Cette audition révèle les nombreuses anomalies existant dans le dispositif de contrôle des retraites à l'étranger, qui permettent de laisser s'organiser une fraude gigantesque, particulièrement en Algérie – et grâce à la complicité, d'ailleurs, de certaines collectivités algériennes.
Chers collègues, avant de faire les poches des Français pour régler le problème du déficit public, arrêtez de verser des centaines de millions d'euros à des supercentenaires fantômes à l'étranger, et renforcez enfin le dispositif de contrôle des retraites à l'étranger. Cette politique du « en même temps » permanent est insupportable, car on fait travailler les Français plus longtemps pour faire des économies, tout en laissant – en même temps – des milliards d'euros d'argent public se déverser dans la poche des fraudeurs.
Alors, avant de siffler la fin de l'abondance pour les Français, veuillez siffler, s'il vous plaît, la fin de l'abondance pour les fraudeurs ; c'est ce que devrait être, normalement, le travail de l'État et du Gouvernement.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Voilà, là aussi, un problème – le versement indu de prestations à l'étranger – qu'il convient de régler ; de ce point de vue, la situation a déjà évolué au gré de plusieurs mesures qui ont été prises. D'abord, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 comporte une mesure qui va mettre fin au détournement de l'Aspa, le minimum vieillesse, à l'étranger, en interdisant les versements sur des comptes bancaires à l'étranger à partir de juillet 2023.
Par ailleurs et plus généralement, s'agissant du contrôle de l'existence de retraités à l'étranger, la Cnav a par exemple déployé des ETP – équivalents temps plein – en Algérie ; cela a permis, en 2022, de supprimer quelques centaines de dossiers non conformes – à peu près 300 dossiers.
Il ne s'agit pas de montants colossaux, puisqu'ils représentent une somme totale de moins de 1 million d'euros.
Nous avons eu, ce soir, l'occasion d'entendre le Rassemblement national donner des leçons sur la fraude fiscale : c'est un peu comme si Bernard Arnault donnait des leçons de sobriété énergétique !
Exclamations sur les bancs du groupe RN.
…que les affaires qui cernent les membres les plus éminents de la famille Le Pen sur le sujet de la fraude fiscale ; c'est assez intéressant !
Protestations sur les bancs du groupe RN.
Bien sûr, c'est l'occasion pour vous de taper – comme d'habitude – sur les plus pauvres et sur les étrangers – …
…tranquillisez-vous ! –, mais vous avez oublié certains de vos amis, en particulier les oligarques russes ! Je pense notamment à M. Konstantin Malofeev, mais on pourrait aussi évoquer les zones de non-droit existant sur la Côte d'Azur, qui abritent des oligarques comme M. Suleyman Kerimov ; ceux-ci ont pratiqué et pratiquent encore la fraude fiscale. Ils le font notamment, monsieur le ministre délégué, par l'intermédiaire de l'immobilier. C'est une question sur laquelle je voudrais attirer votre attention : il y a maintenant quelques années, en 2006, l'OCDE a produit un rapport qui montrait que, dans la plupart des dix-huit pays qui étaient passés en revue, le secteur de l'immobilier était concerné par un niveau important de fraude fiscale et de blanchiment de capitaux. Cependant, aucun des pays ayant fait l'objet d'une enquête n'a été en mesure de fournir des chiffres ou des statistiques officiels, à l'exception de l'autruche…de l'Autriche, pardonnez-moi pour ce lapsus.
Sourires sur divers bancs. – M. Joris Hébrard applaudit.
Puisqu'il est question de politique de l'autruche, il faudrait aussi évoquer les questions relatives à la capitalisation des retraites et aux fonds de pension vautours, comme BlackRock, qui – on le sait – cachent leur argent dans l'immobilier. Aussi, j'aimerais savoir si le Gouvernement a demandé un rapport sur l'ampleur de la fraude fiscale liée à l'immobilier.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – Mme Christine Arrighi applaudit également.
Comme je le disais tout à l'heure, en matière de fiscalité internationale, la Convention multilatérale Beps comprend des clauses anti-abus qui s'imposent aux conventions fiscales entre États et qui incluent évidemment la fraude en matière immobilière. Je n'ai pas de chiffres particuliers à vous livrer ce soir, mais je suis à votre disposition si vous voulez que nous approfondissions cette discussion.
Je voudrais d'abord mettre en perspective quelques chiffres. En 2022, 351 millions d'euros de fraude à la CAF ont été détectés ou évités sur près de 100 milliards d'euros de prestations versées, ce qui représente 49 000 cas sur un total d'environ 17 millions de bénéficiaires. Sans absoudre les fraudeurs, ces données factuelles montrent combien la fraude aux allocations est marginale ; si une estimation large de la fraude aux prestations sociales, toutes branches confondues, la situe autour de 2,4 milliards d'euros, cela reste un montant trente-trois fois moins important que celui de l'évasion fiscale, estimé à 80 milliards d'euros par an. Sur ces 80 milliards, seuls 14,6 milliards ont été mis en recouvrement en 2022, dont près de 9 milliards concernent des entreprises. C'est l'histoire des petits poissons qui focalisent opportunément toute l'attention, pendant que les gros requins se régalent.
Au moment où le Gouvernement croit pouvoir imposer à toutes et tous – mais cela n'arrivera pas – deux ans de travail supplémentaires, prétextant un déficit du système de retraite qui atteindrait 12,5 milliards d'euros en 2027, je souhaite attirer l'attention sur une fraude bien particulière. Dans sa fonction d'Observatoire du travail dissimulé, en novembre 2022, le Haut Conseil du financement de la protection sociale évaluait entre 7,3 et 9,2 milliards d'euros le manque à gagner en matière de cotisations sociales non versées par les entreprises, dont une part devrait précisément venir alimenter les caisses de retraite.
Voici donc ma question : à quel moment le Gouvernement va-t-il retrouver la raison en retirant son projet injuste et injustifié de retraite à 64 ans pour toutes et tous, pour le remplacer par une politique réellement volontariste permettant de récupérer l'argent là où il est, dans les poches de grandes entreprises qui ont les coudées franches pour optimiser, éluder, évader – bref, pour frauder ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Vous avez raison de dire que le travail n'est pas tout à fait terminé et que, même si les chiffres de mise en recouvrement – 14,6 milliards d'euros – sont historiquement élevés, il reste encore beaucoup à accomplir. Cependant, comme j'ai eu l'occasion de le dire en m'exprimant tout à l'heure, nous progressons depuis cinq ans, particulièrement depuis l'adoption de la loi de 2018 mais aussi grâce à des mesures qui ont été prises chaque année pour renforcer notre arsenal de lutte contre la fraude : nous avançons dans le bon sens.
J'ajouterai simplement une chose, s'agissant des chiffres que vous avez cités, ceux du Haut Conseil du financement de la protection sociale, auxquels je souscris : lorsque vous évoquez la fraude aux cotisations, vous semblez avoir à l'esprit des fraudes impliquant des entreprises d'une certaine taille ; or il y en a aussi qui émanent d'indépendants, de toutes petites entreprises. Vous semblez vouloir traiter le sujet avec une forme d'humanité lorsqu'il est question de fraude aux prestations ; de la même manière, en ce qui concerne la fraude aux cotisations, il s'agirait d'adopter une approche qui ne soit pas trop manichéenne.
Si la France entière est tournée cette semaine vers nos agriculteurs, nous nous intéressons, quant à nous, aux fraudeurs. Permettez-moi de réunir ces deux catégories le temps de nos débats, pour montrer à quel point la fraude sociale et la fraude fiscale nourrissent une injustice profonde. En effet, dans leur quotidien, tout oppose l'agriculteur et le fraudeur. En France, l'un paie ses cotisations MSA, pendant que l'autre ment pour toucher le RSA : 335 millions d'euros de fraude au RSA, c'est la moitié de la CSG – contribution sociale généralisée – payée par nos agriculteurs. En France, l'agriculteur voit son corps usé par son labeur, pendant que 2 millions de fraudeurs continuent d'user nos hôpitaux sans jamais rien payer ; 2 millions de fausses cartes Vitale, c'est quatre fois plus que le nombre d'agriculteurs en France.
Dans notre pays, l'agriculteur ploie sous le poids des charges sociales, alors que le fraudeur profite de la fraude fiscale : 35 milliards de fraude fiscale, c'est quatre fois le montant des aides accordées par la PAC – politique agricole commune – à nos agriculteurs cette année. La liste est longue et l'histoire est tragique, car il est une chose qui rassemblera ces hommes que tout oppose : les deux auront la même retraite, basée sur le minimum vieillesse.
Pendant toute cette semaine, nous discutons des moyens permettant d'aider nos agriculteurs, d'aider la France qui travaille, celles et ceux qui se lèvent tôt ou se couchent tard pour gagner leur vie ; une des manières de financer ces politiques publiques, c'est de s'attaquer franchement à la fraude sociale et à la fraude fiscale. Car, depuis maintenant de nombreuses années, l'État laisse la France se faire tromper et les Français se faire voler. Il n'y a pas une fraude du pauvre et une fraude du riche ; il n'y en a qu'une seule : la fraude. Alors, face à ce constat, qu'a fait le Gouvernement depuis 2017 ? et que compte-t-il faire pour récupérer cet argent qui, tous les mois, ne rentre pas dans les caisses de l'État, mais aussi cet argent qui sort, tous les mois, au bénéfice des fraudeurs ?
Je vais, là aussi, m'accorder avec vous pour dire qu'il faut aller plus loin dans la lutte contre la fraude sociale et en particulier contre la fraude à la CAF, mais je rappellerai simplement, tout de même, la chose suivante : nous voudrions identifier davantage de fraudes mais, lorsque nous les identifions, des mises en recouvrement ont lieu dans trois cas sur quatre, et elles font l'objet d'un dépôt de plainte dans un cas sur dix. En 2022, 350 millions d'euros ont été rectifiés, ce qui constitue un chiffre honorable.
Cela dit, nous devons aller plus loin et, comme je le disais tout à l'heure, l'arsenal de détection mais aussi de sanction se renforce chaque année. Je pense par exemple à ce que nous avons voté – ou plutôt que vous avez voté – cette année, dans la loi de finances pour 2023, où figure une mesure qui vient ajouter une majoration de 10 % aux pénalités, lorsqu'une fraude à la CAF est détectée.
Bien qu'il soit par essence difficile d'évaluer le montant de toutes les fraudes confondues – fiscales, sociales et douanières –, certains experts l'établissent à environ 100 milliards d'euros de pertes annuelles pour nos administrations publiques, ce qui représente plus du double du budget du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse. À cet égard et au nom du groupe Démocrate, je voudrais saluer les décisions courageuses qui ont été prises par le Gouvernement depuis 2017 pour lutter contre les fraudes sous toutes leurs formes ; la loi de 2018 prévoyait notamment d'aggraver la répression pénale des délits de fraude fiscale.
Cela dit, dans son étude du 25 juillet dernier, l'Insee a estimé le montant de la fraude à la TVA à 25 milliards d'euros par an ; c'est le quart de la fraude globale. Or il est absolument nécessaire, vous l'avez rappelé, de s'assurer que chacun – particuliers comme entreprises – contribue justement à la solidarité nationale.
Monsieur le ministre délégué, vous avez récemment annoncé au Sénat un plan pour lutter contre la fraude fiscale, et vous avez défendu à cette occasion le renforcement du service d'enquête judiciaire des finances. Pouvez-vous nous détailler les contours de ce plan et, plus précisément, les objectifs du Gouvernement en la matière ? Par ailleurs, on parle souvent de la fraude carrousel, c'est-à-dire la fraude à la TVA, qui a explosé depuis trente ans, notamment en lien avec le commerce électronique. Pouvez-vous nous dire ce qu'a apporté la directive européenne sur le commerce électronique – ou directive e-commerce – s'agissant de ce problème spécifique, et s'il faut, selon vous, aller plus loin que celle-ci ?
M. Pascal Lecamp applaudit.
Vous soulignez un problème important, celui de la fraude à la TVA, dont les montants sont très élevés même s'ils sont difficiles à estimer – vous l'avez rappelé, l'Insee estime à 25 milliards d'euros la TVA non recouvrée, tandis que d'autres estimations, par exemple celle de la Commission européenne, sont plus basses, de l'ordre de 13 milliards d'euros. Quoi qu'il en soit, ces montants sont particulièrement élevés et il nous faut améliorer notre capacité à recouvrer la TVA.
Je voudrais citer trois décisions récentes qui améliorent nos moyens de recouvrement. Je pense d'abord à la suspension des numéros de TVA, adoptée dans le cadre du dernier projet de loi de finances : ce renforcement des moyens dont dispose la DGFIP doit notamment nous permettre de mieux lutter contre les schémas de fraude carrousel que vous évoquiez, puisque l'invalidation du numéro de TVA des sociétés utilisées pour ce type de fraude permettra de mettre fin à ces pratiques lorsqu'elles seront détectées.
Deuxième élément, la facturation électronique constituera, dès l'année prochaine, une nouvelle arme des services fiscaux, puisqu'elle donnera à l'administration une vision complète et en direct des chaînes de facturation, ce qui permettra un recoupement systématique des flux de TVA et facilitera grandement la détection des fraudes et des carrousels de TVA.
Enfin, la directive e-commerce, durement négociée par la France, est, depuis l'année dernière, un puissant outil pour lutter contre la fraude à la TVA sur les flux de biens provenant de pays tiers à l'Union européenne, notamment en rendant redevables de la TVA les plateformes de commerce électronique qui ont facilité les ventes en ligne.
Vous l'avez souligné, Gabriel Attal, sous l'autorité de Bruno Le Maire, présentera à la fin du présent trimestre un nouveau plan de lutte contre toutes les formes de fraude, plan que je lui laisserai le temps de détailler en temps voulu.
Mais je sais qu'il s'inspirera des contributions des deux assemblées.
Dans la presse, le Gouvernement affirme qu'en 2022 la lutte contre la fraude a donné des résultats historiques. En effet, selon les chiffres de l'administration fiscale, la mise en recouvrement pour cette année-là a été de 14,6 milliards d'euros, soit 1,2 milliard de plus qu'en 2021. Il semble malheureusement que cette autosatisfaction se fonde en partie sur un changement de méthode de présentation des chiffres depuis 2019 : à méthode constante, il semblerait que les chiffres pour 2022 n'atteignent pas ceux que vous avancez aujourd'hui.
Reste qu'au-delà de ce concours de chiffres il est clair que la fraude fiscale détectée n'est que la partie émergée de l'iceberg. En effet, selon les estimations de certains syndicats, la fraude fiscale pourrait représenter, en France, entre 80 et 100 milliards d'euros par an, ce qui est considérable.
Même si c'est un lieu commun, il est parfois bon de rappeler que l'impôt et les contributions sociales sont le ciment de la société, en assurant le financement et le fonctionnement des services publics comme l'éducation, la santé, la sécurité, le système de solidarité. Je fais partie de ceux qui considèrent que nous avons beaucoup trop de fraude fiscale, d'évasion fiscale et, sans doute, trop de mécanismes d'optimisation, autant de pratiques employées par de trop nombreuses grandes entreprises ou de trop nombreuses grandes fortunes. À ceux qui considèrent que nous avons trop d'impôts, voire trop de charges sociales, je rappellerai que l'impôt comme la cotisation sociale sont les outils principaux de la redistribution et d'une mutualisation minimale de la valeur et des richesses créées.
Je rappellerai en outre que, malheureusement, les effectifs du contrôle fiscal ont été réduits de 1 600 postes depuis 2017, selon les chiffres d'un rapport de notre collègue Leduc.
Monsieur le ministre délégué, le Gouvernement a annoncé, par voie de presse, le lancement d'un nouveau plan de lutte contre les fraudes fiscale, sociale et douanière à la fin du premier trimestre. Au-delà des effets d'annonce, ce nouveau plan reviendra-t-il sur la réduction du nombre des agents du contrôle fiscal entamée depuis 2017 ?
Enfin, si je partage votre ambition de lutter contre la fraude sous toutes ses formes, certains ont voulu insister funestement sur la fraude sociale ;…
…or j'appelle simplement notre attention sur le taux important de non-recours aux aides sociales, pour des montants sans doute supérieurs à ceux des fraudes et qui affectent principalement les plus modestes de nos concitoyens. Monsieur le ministre délégué, allez-vous engager un plan ambitieux de lutte contre le non-recours aux aides ?
Le changement de méthode que vous évoquez consiste à comptabiliser les montants mis en recouvrement et encaissés plutôt que d'enregistrer, comme c'était le cas auparavant, les montants notifiés, qui sont supérieurs – de façon un peu artificielle – aux montants mis en recouvrement. Or si l'on ne considère que les montants mis en recouvrement, nous avons bel et bien atteint un record.
Pour ce qui concerne les effectifs, leur réduction depuis 2017 s'explique par l'introduction du prélèvement à la source et par le développement du data mining – en bon français, l'analyse de données – qui ont permis de redéployer une partie des personnels vers des missions de contrôle.
En 2021, la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), avec son réseau de CAF, a réalisé 37 millions de contrôles et récupéré 255 millions d'euros. Lorsqu'on distingue les contrôles par nature, 46 % des redressements concernent des fraudes au RSA, 20 % la prime d'activité et 16 % les aides au logement.
Pour ce qui concerne ces dernières, elles ne sont versées aux locataires mais aux propriétaires – mes propos ne traduisent donc en aucun cas une volonté de sanctionner les locataires. Reste que la fraude à l'aide personnalisée au logement (APL), est devenue un sport important et la lutte contre cette fraude exige des contrôles sur pièces et sur place. Sans doute continue-t-on à louer des logements de catégorie G+, à louer des logements indécents ; sans doute leurs propriétaires continuent-ils à encaisser les aides au logement. En outre, les occupants de ces logements ne sont pas toujours déclarés, et les contrôler exige des moyens, monsieur le ministre délégué.
Or la Cnaf est en train de négocier avec l'État sa convention d'objectifs et de gestion. Je souhaite par conséquent connaître les objectifs que l'État souhaite lui fixer pour ses contrôles sur pièces et sur place, afin d'éviter que des locataires occupent des logements indécents ou qu'ils fraudent sur le nombre d'occupants de leur logement pour pouvoir se garantir des prestations sociales.
La Cour des comptes a indiqué qu'il était indispensable de changer l'échelle des contrôles, notamment pour les prestations sociales et les aides au logement. Cela devient une priorité et, si je sais que le ministre délégué Gabriel Attal y est sensible, je crains que ses annonces n'interviennent trop tardivement par rapport à la négociation de la convention d'objectifs et de moyens de la Cnaf.
Le présent débat est l'occasion de revenir sur les évolutions de la fraude aux prestations sociales, et c'est le bon moment pour que vos réflexions, vos alertes enrichissent le travail mené par Gabriel Attal, sous l'autorité de Bruno Le Maire.
Pour vous répondre, 1 800 ETP sont consacrés, dans les CAF, à la lutte contre la fraude, parmi lesquels 1 080 contrôleurs sur pièces et sur place, et 750 contrôleurs spécialistes.
La convention d'objectifs et de gestion de la Cnaf, pour la période 2023-2027, est, quant à elle, en cours de négociation et redéfinira les moyens et les objectifs fixés à chacun de ses personnels. C'est donc le bon moment, disais-je, pour faire remonter, par exemple, le problème que vous soulevez.
J'ajoute pour finir que le dispositif de ressources mensuelles est utile pour réduire les fraudes aux ressources.
Évoquant précédemment la fraude douanière, j'ai mentionné les risques importants que les ports francs font courir en matière de procédures douanières, de taxations directes et indirectes, de blanchiment d'argent sale et de financement d'actes terroristes. Les travaux menés par l'OCDE et par l'OMD aboutissent à de tels constats.
Ces ports francs ne sont pas taxés et offrent de plus des possibilités d'exemption de TVA pour des produits de grande valeur. Ils profitent par conséquent d'un avantage compétitif de coût par rapport aux autres ports européens, français en particulier. Des exemples existent, y compris au sein de l'Union européenne – je pense au Luxembourg.
Les ports francs constituent un facteur de vulnérabilité en ce qu'ils permettent aux criminels de stocker, éventuellement à long terme, des biens de grande valeur, en leur offrant anonymat, sécurité, et en permettant d'opacifier la traçabilité desdits biens.
Ma question est simple : quelles sont les initiatives prises non seulement à l'échelle française mais au niveau européen pour limiter ce fléau, qui non seulement engendre une importante fraude à la TVA mais permet également à des criminels de mener des opérations qui pourraient représenter un danger pour la France.
Comme vous le savez, il n'y a pas de port franc en France – nous militons, sur le plan européen, pour éviter la fiscalité dommageable, la concurrence indue causée par les ports francs entre des zones situées dans des États membres. Parmi les initiatives prises, je citerai la fixation à 15 % du taux minimum de l'impôt sur les sociétés dans l'ensemble de l'Union européenne, ports francs compris – mais j'ai bien entendu vos remarques sur la TVA. Pour le reste, le travail doit continuer pour faire reculer ce type de situations.
La liste des paradis fiscaux issue de la loi de 2018 relative à la lutte contre la fraude, se révèle aujourd'hui particulièrement inopérante. Notons du reste que la liste française n'est toujours pas alignée sur la liste européenne, situation qui nous conduit à nous interroger, quand on sait à quel point cette dernière n'est pas exhaustive. La liste européenne est en effet très insuffisante : elle ne comprend pas les îles Caïmans, les Bermudes, Hong Kong ou encore Singapour, pas plus que les paradis fiscaux européens, à l'image de Chypre, de l'Irlande, du Luxembourg, de Malte ou des Pays-Bas – puisque, j'y insiste, l'Union européenne se refuse à examiner la situation de ces États membres.
Cette situation ne semble plus tenable. Les récentes évolutions, notamment l'accord sur l'impôt minimal et sur les multinationales, ne seront d'aucun effet pour des pays comme l'Irlande ou le Luxembourg.
Monsieur le ministre délégué, quelle est la position de la France concernant ces ennemis de l'intérieur ? La France pèse-t-elle pour que le comportement des États membres soit abordé au cours des négociations européennes ?
La liste française des paradis fiscaux est calquée sur celle de l'Union européenne et elle y ajoute même plusieurs États. Cette liste a d'ailleurs été actualisée au début du mois, avec l'adjonction de nouveaux paradis fiscaux. Elle est importante, comme je le disais tout à l'heure, parce que, grâce aux obligations documentaires renforcées qu'elle prévoit, ce sont 774 millions d'euros de rectification qui ont été notifiés dans ces États l'année dernière.
La semaine dernière, le Gouvernement annonçait des résultats record dans la lutte contre les fraudes – signe qu'il s'agit-là d'une priorité du Gouvernement et de la majorité, en particulier depuis la loi de 2018 relative à la lutte contre la fraude, texte défendu alors par Gérald Darmanin, tant la fraude est un coup de canif dans le pacte républicain.
J'insiste sur les différents types de fraude et singulièrement sur la fraude sociale. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoyait une mesure importante d'interdiction du versement des prestations sociales sur les comptes bancaires à l'étranger. Et les résultats sont là, depuis 2017, vous l'avez rappelé. Le réseau des Urssaf a ainsi plus que doublé le montant des redressements réalisés depuis dix ans. En matière de fraude aux prestations sociales, le réseau des CAF a détecté en 2022 un préjudice de plus de 350 millions d'euros. Le réseau de la Cnav a, pour sa part, évité plus de 150 millions d'euros d'indus. Enfin, en ce qui concerne la fraude à l'assurance maladie, le préjudice évité s'élève à plus de 350 millions d'euros.
Je souhaite vous interroger sur la carte Vitale biométrique, dont les crédits n'ont pas été inscrits dans la loi de finances pour 2023 puisqu'ils sont gérés, en réalité, par des organismes dépendant de l'assurance maladie. Pouvez-vous nous donner les prémices des conclusions de la mission pilotée par l'Igas et l'IGF ? Disposez-vous à tout le moins d'éléments d'évaluation du préjudice causé par les fausses cartes Vitale ? Enfin, envisagez-vous la généralisation des cartes Vitale dématérialisées, expérimentées dans huit départements, et qui contiennent des éléments de biométrie ?
Nous évaluons le préjudice dont vous me demandez le montant à 2 millions d'euros. L'expérimentation, depuis 2019, dans plusieurs départements, de la e-carte Vitale – en français, la carte Vitale électronique –, qui est une application pour téléphones mobiles, a concerné, en chiffres cumulés, environ 7 500 utilisateurs ; mais trop peu de professionnels de santé l'utilisent, puisque seuls 114 en sont équipés. Il convient donc, à la suite de la loi de finances rectificative pour 2022, que nous engagions les travaux sur la carte Vitale biométrique.
Il est trop tôt pour vous donner le contenu ou les conclusions de la mission actuellement menée par l'Igas et l'IGF, qui présenteront des scénarios au début du printemps – scénarios qui seront intégrés au plan « fraude » conçu par Gabriel Attal sous l'autorité de Bruno Le Maire.
Depuis 2021, les services du ministère de l'intérieur ont déployé une nouvelle carte nationale d'identité (CNI). Celle-ci doit permettre de lutter contre le fléau de l'usurpation d'identité, qui a touché plus de 33 000 personnes en 2020 – chiffre en constante augmentation.
Les risques sont multiples. En effet, les fraudeurs peuvent utiliser les informations personnelles collectées pour ouvrir des comptes bancaires, contracter des prêts, acheter des biens ou même commettre des délits sous le nom de leur victime. Ce sont les vies de milliers de personnes qui se retrouvent bouleversées du jour au lendemain. Dettes, amendes, poursuites judiciaires : les risques sont multiples pour les victimes, et notre presse quotidienne régionale, partout sur le territoire, relate très régulièrement des situations kafkaïennes, inextricables.
Nettement plus difficile à falsifier, ce nouveau document d'identité doit donc permettre de lutter contre de telles dérives. Sécurisée, cette nouvelle CNI a le format d'une carte bancaire et est dotée d'une puce électronique qui contient certaines informations personnelles du titulaire, ainsi que d'un QR code permettant de vérifier l'authenticité de la carte et de l'identité de la personne. De plus, outre ces éléments visant à renforcer la sécurité, la nouvelle carte d'identité comporte une photo et certaines informations biométriques telles que les empreintes digitales, qui permettent de mieux identifier le titulaire et de prévenir une utilisation frauduleuse.
Quelles premières conclusions tirez-vous du déploiement de ce nouveau document d'identité, s'agissant de la lutte contre l'usurpation d'identité ? Et comment comptez-vous davantage protéger nos concitoyens face à la recrudescence des tentatives d'hameçonnage par courriel ou par téléphone, pratiques qui participent au développement de nouvelles formes de fraude d'identité ?
Vous avez raison de soulever ce problème majeur qu'est devenue l'usurpation d'identité dans notre pays. Ce phénomène commence effectivement par ces SMS que nous recevons de manière incessante au sujet d'un colis, de notre CPF – compte personnel de formation –, de l'assurance maladie, ou que sais-je encore, qui ont pour objectif de nous rediriger vers des sites qui collectent des données personnelles ou bancaires. Il s'agit bien de la première étape d'une possible usurpation d'identité.
Vous l'avez dit, la nouvelle carte nationale d'identité a vocation à servir de rempart contre ce phénomène en progression. Elle est déployée depuis mi-2021 et, en un an, ce sont 4,5 millions de cartes qui ont été distribuées. Le remplacement du stock de CNI sera progressif, puisque leur durée de validité est de quinze ans, mais nous souhaitons qu'il ait lieu le plus rapidement possible, justement afin d'éviter que nos concitoyens ne soient victimes d'une usurpation d'identité. Vous avez cité les nombreuses conséquences qui peuvent découler de cette infraction pour les victimes, notamment celle du surendettement, qui pose des problèmes majeurs.
« On n'aura aucun tabou. » « On n'hésitera pas à taper dans la fourmilière. » Voilà des mots entendus dans les couloirs de Bercy, au moment où se prépare un plan de lutte contre les fraudes sociales, fiscales et douanières, plan qui pourrait faire l'objet d'une loi au deuxième trimestre, nous dit-on. Il était temps, car cela fait des années que, sur tous les bancs de l'Assemblée nationale, nous alertons sur l'importance de cet enjeu. En effet, le montant total des prestations sociales s'élève à plus de 500 milliards d'euros, soit 21,5 % du PIB. Or seules les Urssaf et la caisse nationale des allocations familiales se livrent à une évaluation des fraudes, et il reste encore beaucoup à faire.
Je ne prendrai qu'un exemple : celui de la falsification des numéros de sécurité sociale de personnes nées à l'étranger – fraude qui touche toutes les branches famille, vieillesse et maladie de la sécurité sociale. Depuis 2011, nous vous proposons des solutions pour y remédier. En effet, chaque fois qu'un numéro NIR – numéro d'inscription au répertoire – frauduleux est détecté, l'arrêt du versement des prestations sociales devrait être automatique. Malheureusement, la direction de la sécurité sociale n'a pas voulu instaurer ce dispositif.
En 2020, la Cour des comptes a publié un rapport sur la lutte contre les fraudes sociales. Il en ressort que, depuis le début des années 2010, les branches du régime général de sécurité sociale et Pôle emploi détectent et sanctionnent un nombre et des montants de fraude de plus en plus élevés, et que toutes les fraudes constatées ne sont pas systématiquement sanctionnées.
Ma question est donc simple : êtes-vous enfin prêts à mettre fin au versement des prestations sociales dès lors qu'un numéro NIR frauduleux est détecté ? Par ailleurs, et même si vous avez déjà partiellement répondu à cette question, pouvez-vous nous dire où en est le déploiement de la carte Vitale biométrique, adoptée par notre Parlement l'année dernière ?
Vous rapportez des bruits que vous auriez entendus dans les couloirs de Bercy. Je pense que la réciproque est vraie et que les agents de Bercy, du moins ceux impliqués dans la réflexion relative au plan de lutte contre toutes les fraudes, seront attentifs aux éléments qui ont été versés au débat par les députés, ce soir.
S'agissant de la carte Vitale biométrique, la mission dédiée à cette question rendra ses conclusions dans quelques semaines, et l'Igas et l'IGF proposeront des scénarios pour lutter contre le problème des faux numéros de sécurité sociale que vous avez évoqué. S'il est donc encore trop tôt pour détailler les conclusions des rapporteurs, j'estime qu'il était utile que ce débat ait lieu en amont de leur publication, de sorte que les différentes remarques des uns et des autres puissent y être intégrées.
Prochaine séance, demain, à quinze heures :
Débat sur le thème « Femmes et retraites » ;
Questions sur les échecs de la politique migratoire.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures vingt.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra