Intervention de Charlotte Leduc

Séance en hémicycle du mardi 28 février 2023 à 21h30
Lutte contre la fraude sous toutes ses formes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharlotte Leduc :

Nous sommes ici pour débattre de la lutte contre la fraude « sous toutes ses formes ». Pourquoi donc cette précision ? Cette formulation, destinée à laisser penser que vous souhaitez vous attaquer à l'entièreté du problème, sonne pourtant bizarrement à notre oreille, comme restrictive. « Sous toutes ses formes », dites-vous, et on a d'emblée la sensation qu'on va rater l'éléphant au milieu du couloir en tirant sur la souris à ses pieds. Certains, sur les bancs de la majorité comme sur ceux du Rassemblement national, ont en effet une fâcheuse tendance à mettre l'accent sur la fraude aux prestations sociales, une tendance à préférer regarder la paille plutôt que la poutre, en l'occurrence l'évasion fiscale. Pourtant les chiffres sont là : chaque année, la fraude fiscale représente entre 80 milliards et 120 milliards d'euros de manque à gagner pour l'État quand la fraude aux prestations sociales, elle, atteignait péniblement 1 à 2 milliards d'euros en 2019. Bref, chers collègues, si votre objectif est ce soir de parler de justice et de trouver comment faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'État, alors soyons efficaces et occupons-nous de l'éléphant plutôt que de la souris, de la poutre plutôt que de la paille.

La mise en avant permanente de la fraude aux prestations sociales sur certains bancs a en réalité des buts bien peu avouables. Tout d'abord, il s'agit de renforcer le contrôle social des plus précaires : on flique les chômeurs, on stigmatise les allocataires des minima sociaux, on exige des contreparties aux bénéficiaires du RSA. Ensuite, il faut faire oublier la fraude fiscale : on baisse donc les effectifs à la DGFIP, la direction générale des finances publiques – plus de 4 000 postes perdus ces vingt dernières années, je le rappelle –, et l'on invente la justice négociée, où les arrangements entre l'administration et les plus riches ou les grandes multinationales sont la norme, tout cela pour qu'il continue d'être possible de cacher la majeure partie de la fraude fiscale sous le tapis.

Placer sur un pied d'égalité fraude fiscale et fraude sociale, c'est encore une fois être fort avec les faibles et faibles avec les forts. Voilà un bien bel exemple de politique de classe…

Mais si nous devons parler de fraude sociale, alors parlons-en et apportons ici une précision, et pas des moindres. La fraude sociale recouvre deux phénomènes : la fraude aux prestations sociales, dont j'évoquais à l'instant le caractère marginal, et la fraude aux cotisations sociales. Cette dernière n'est que très rarement mentionnée. Pourtant, elle est estimée à 8 milliards par an, soit quatre à huit fois plus que la fraude aux prestations sociales. Là encore, le discours dénonçant la fraude aux prestations sociales soi-disant hors de contrôle vise à dissimuler le vrai scandale : celui des patrons voyous, du travail dissimulé, de l'exploitation des sans-papiers, de la mise en danger permanente des travailleurs et des travailleuses – cette fraude sociale dont vous ne parlez jamais !

De même, vous n'évoquez jamais l'ampleur du non-recours aux droits. Ainsi, un trop perçu de la CAF pour une famille, un chômeur qui prend deux jours de vacances pour raison familiale ou un travailleur qui prolonge un congé maladie pour se remettre d'un burn-out, et on entend tout de suite hurler à l'assistanat, alors que les 10 milliards que représentent les non-recours et qui maintiennent des milliers de personnes dans la pauvreté ne semblent pas vous émouvoir.

Concernant la fraude, l'hypocrisie est partout. Vous vous alarmez de la charge fiscale qui pèserait sur les entreprises, mais restez silencieux sur l'évasion fiscale comme sur le scandale que représentent les centaines de milliards d'aides versées sans contrepartie. Ainsi, Google, Amazon ou encore Total nous volent en ne payant pas 1 euro d'impôt sur les sociétés, mais sont toutes accros aux aides publiques de l'État. Commençons par prendre l'argent là où il est avant d'aller fliquer les Françaises et les Français qui bouclent difficilement les fins de mois. S'il vous plaît, chers collègues, stop à cette hypocrisie ! On ne peut pas décemment dire que l'on veut lutter contre la fraude « sous toutes ses formes » sans une volonté politique forte de lutter contre la principale d'entre elles : la fraude fiscale.

Lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, c'est d'abord redonner des moyens au contrôle fiscal en revenant sur les suppressions de postes qui laissent la DGFIP démunie et aussi en accroissant les recrutements au parquet national financier (PNF), dans les services d'enquête spécialisés et à Tracfin (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) pour qu'ils ne soient plus en sous-effectifs.

Lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, c'est en finir avec la justice négociée pour que les puissants ne puissent plus s'en tirer avec une tape sur les doigts.

Lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, c'est également pénaliser fermement les intermédiaires qui aident les fraudeurs et sans qui l'évasion fiscale n'existerait pas.

Lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, enfin, c'est donner un statut protecteur aux lanceurs d'alerte, dont les révélations servent l'intérêt général. Raphaël Halet, à l'origine des fuites de documents qui ont abouti aux LuxLeaks, vient d'être reconnu comme lanceur d'alerte par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), après plus de huit ans de calvaire judiciaire. Presque au même moment, Jeff Bezos, patron d'Amazon qui ne paie pas d'impôt en France malgré des milliards de chiffre d'affaires, se voyait remettre la Légion d'honneur des mains d'Emmanuel Macron. Voilà où on en est ! Le héros a été traîné en justice et le voleur est honoré ! Monsieur le ministre délégué, chers collègues, si vous voulez réellement lutter contre la fraude, commencez alors par décorer Raphaël Halet et mettez les moyens contre l'évasion fiscale !

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