La réunion commence à neuf heures.
La commission spéciale poursuit l'examen du projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie.
Article 5 (suite) : Définition et conditions d'accès de l'aide à mourir
Amendement CS1805 de M. Christophe Bentz
Nous proposons d'exclure du dispositif les médecins militaires, afin qu'ils n'aient pas à provoquer la mort, par l'administration d'une substance létale, de soldats français prêts à donner leur vie pour défendre la nation. S'il est vrai que le risque de mourir fait intrinsèquement partie de l'engagement des militaires, ces derniers se sont avant tout engagés pour défendre la paix, donc la vie.
En demandant aux médecins militaires de pratiquer l'euthanasie sur leurs soldats, alors que leur mission est de prendre soin d'eux, on risque de les exposer à des troubles psychologiques, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les théâtres d'opérations.
Les médecins militaires, comme les autres, ont fait le serment d'Hippocrate pour sauver des vies et soigner des personnes. Il serait inconcevable de demander à ces médecins, qui sont aussi des militaires, de donner la mort dans leur propre camp, à nos soldats qui se battent pour défendre notre pays.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CS1453 de Mme Emeline K/Bidi, amendements identiques CS264 de Mme Sandrine Dogor-Such et CS358 de M. Patrick Hetzel (discussion commune)
L'amendement CS1453 vise à supprimer la possibilité que la substance létale soit administrée par un infirmier, une infirmière ou une personne volontaire désignée par le malade. J'ai dit hier soir combien il me paraît difficile de désigner la personne adéquate censée faire ce geste.
Les arguments que vous avez utilisés hier – si quelqu'un en fait la demande, pourquoi le lui refuser ? – pour nous convaincre qu'une personne volontaire de l'entourage du malade doit pouvoir intervenir ont confirmé ma conviction qu'il s'agit d'un projet extrêmement libéral. Or le rôle de la loi est précisément de déterminer un cadre et des limites, pour protéger à la fois la personne qui formule une demande et celle qui est volontaire.
Quant aux infirmières et aux infirmiers, il convient de les laisser dans le registre du soin et d'éviter que, pris dans des relations humaines, mais parfois aussi dans des relations hiérarchiques, ils ne se sentent contraints d'accomplir un geste qui leur coûterait trop cher humainement et qui constituerait pour eux un préjudice.
En décembre 2023, une vingtaine de syndicats et d'organisations de soignants ont exprimé leur inquiétude et leur colère. Ils demandaient notamment que le volet relatif aux soins palliatifs soit mis en œuvre le plus tôt possible et qu'il soit séparé du projet de loi sur la fin de vie et l'aide à mourir. Ils s'inquiétaient aussi de la notion de « secourisme à l'envers », qui signifie qu'un soignant pourra hâter le décès si l'administration de la substance létale se passe mal.
Les infirmiers, qui s'attachent à soulager la souffrance et à accompagner les patients jusqu'à leur décès, sont conscients de la complexité des situations en fin de vie. C'est pourquoi ils s'opposent à ce texte et à tout ce qui risque de faire peser une pression sur les patients vulnérables. Ce qu'il faut avant tout, c'est une meilleure prise en charge de la douleur et de la souffrance.
L'article R. 4312-621 du code de la santé publique énonce que « l'infirmier ne doit pas provoquer délibérément la mort ». Comment comptez-vous surmonter la contradiction qui existe entre votre projet de loi et cet article ? Le considérez-vous désormais comme nul et non avenu ?
Avis défavorable.
Adopter l'amendement CS1453 reviendrait à supprimer la possibilité de recourir à une personne volontaire. Or nous avons déjà eu ce débat hier soir et voté le maintien de cette disposition.
En audition, la présidente de l'Ordre national des infirmiers nous a dit que, pour elle, l'aide à mourir percute la déontologie des infirmiers et que, selon une petite enquête réalisée au sein de la profession, il faut avant tout faire des efforts en matière de soins palliatifs. Elle craint que les patients ne subissent des pressions et que les personnes vulnérables aient le sentiment d'être un poids – elle le constate quotidiennement.
Pour tenter de répondre à la question qui nous occupe depuis hier – qui peut administrer la substance létale ? –, peut-être faudrait-il poser celle de ses modalités d'administration. Ce n'est pas la même chose, pour le patient comme pour le soignant ou la personne volontaire, s'il s'agit d'appuyer sur un interrupteur commandant un pousse seringue.
Les infirmières, comme les aides-soignantes, sont sans doute les personnes les plus présentes auprès des patients jusqu'à leur mort, puisqu'elles les accompagnent au quotidien. Elles pourront, comme les médecins, invoquer la clause de conscience. Il faudra effectivement envisager de modifier le code de déontologie pour le rendre compatible avec l'acte d'aide à mourir.
C'est précisément parce que ces personnes accompagnent les malades au quotidien qu'il ne faut pas qu'elles aient à donner la mort. Leur métier consiste à accompagner les gens dans la vie et à les soigner ! Avez-vous pensé aux répercussions psychologiques que cela peut avoir ?
Tous les professionnels de santé savent qu'à la fin, la vie s'arrête. Il ne s'agit pas de donner la mort mais d'anticiper quelque chose d'inéluctable, dans le cadre du volontariat. Remettons les choses à leur place et ne faites pas comme s'il s'agissait d'assassiner quelqu'un.
Les infirmières et les infirmiers, parce qu'ils accompagnent les personnes au quotidien, sont effectivement celles et ceux qui les connaissent le plus intimement. C'est précisément pourquoi ils et elles sont les mieux placés pour savoir ce que souhaite la personne, dans quelles conditions elle souhaite être délivrée de ses souffrances et comment la guider pour respecter ses vœux, son état et sa condition. Au reste, ce n'est pas un acte isolé ; il s'inscrit dans le prolongement de l'accompagnement d'un individu par la personne qui lui est le plus proche. Enfin, la clause de conscience fait que nul ne sera contraint à faire un acte qui n'est pas conforme à son éthique personnelle et professionnelle. Pour toutes ces raisons, la contradiction que pointent ces amendements n'existe pas.
Moi aussi, j'ai rencontré tout le monde, y compris l'ancien président de l'Ordre national des infirmiers. Ce qui est au cœur de ce texte, c'est la notion de choix : celui du patient, évidemment, mais aussi celui du personnel de santé. Personne ne sera obligé de faire un acte qu'il ne veut pas faire : la clause de conscience permet à celui qui ne veut pas faire le geste de ne pas le faire. C'est vrai pour une infirmière, comme pour un médecin.
S'agissant du code de déontologie, il est de nature réglementaire. Une fois que vous aurez écrit la loi, les codes s'y adapteront.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements CS653 de M. Stéphane Delautrette et CS654 de Mme Marie-Noëlle Battistel (discussion commune)
L'un des points problématiques pour nombre d'entre nous, c'est la réalité du consentement libre et éclairé de la personne volontaire. Afin de s'en assurer, nous proposons qu'elle soit désignée dans les directives anticipées. Le fait d'éloigner dans le temps le moment où la personne donne son consentement et celui où elle accomplit l'acte est une bonne façon de s'assurer qu'elle est effectivement volontaire. Rien ne l'empêchera d'ailleurs de se rétracter à tout moment. Nous demandons par ailleurs qu'elle bénéficie d'un accompagnement psychologique, son deuil risquant d'être aggravé par le fait d'avoir eu à agir.
Mon amendement de repli vise à préciser que la personne volontaire peut à tout moment faire savoir qu'elle ne l'est plus, à garantir qu'elle sera accompagnée et à préciser qu'elle agit à titre gratuit.
Je vous invite à retirer vos amendements au profit de mon amendement CS1959, qui est plus complet, puisqu'il précise aussi que la personne volontaire doit être majeure.
La personne volontaire peut déjà se retirer à tout moment. L'amendement de la rapporteure est effectivement plus complet, puisqu'il aborde la dimension financière en précisant que la personne volontaire « ne peut percevoir aucune rémunération ou gratification à quelque titre que ce soit en contrepartie de sa désignation ».
Je suis défavorable à l'amendement CS653 et je demanderai à Mme Battistel de retirer le sien au profit de l'amendement CS1959.
Nous voterons contre ces amendements. Voulez-vous vraiment qu'un père ou une mère puisse demander à son enfant de lui administrer la solution létale ? Songez-vous au choc que cela peut être de donner la mort à ceux qui nous ont donné la vie ? Et aux conflits auxquels cela pourra donner lieu, entre parents et enfants, dans les derniers moments d'une vie ? Rendre possible de donner la mort à un proche ou à une personne de sa famille, je trouve cela scandaleux.
Madame la rapporteure, vous n'avez rien dit de la proposition de M. Delautrette de désigner la personne volontaire dans les directives anticipées.
Nous sommes favorables à ces amendements, qui précisent le mode de désignation de la personne volontaire, qui indiquent qu'elle doit être assistée par un médecin ou un infirmier, qu'elle peut se rétracter à tout moment et qu'elle agit à titre gratuit. Mais il nous paraît également très important de préciser qu'elle doit être majeure. Nous voterons pour ces amendements, tout en souhaitant que notre commission adopte également celui de la rapporteure.
Sachez que si l'un de ces amendements est adopté, il fera tomber le mien.
Pour ce qui est des directives anticipées, leur objet est de désigner la personne de confiance, pas la personne volontaire. Cela n'empêche pas que, le moment venu, la même personne puisse être désignée dans le cadre de l'aide à mourir. Je suis, en tout cas, très défavorable à une telle mention à cet endroit du texte.
J'aurais volontiers retiré mon amendement si le vôtre précisait aussi que la personne volontaire doit être accompagnée et assistée par un médecin ou par un infirmier. Je propose que l'on sous-amende l'un ou l'autre de ces amendements, car cette précision me paraît essentielle, tout comme celle relative à la majorité.
On voit là combien nous sommes obligés de nous contorsionner pour rendre les choses un peu acceptables. Or le moment viendra où ces contorsions ne fonctionneront plus.
Dans la mesure où les directives anticipées sont révisables à tout moment, tout au long de la vie, il paraît un peu compliqué d'y désigner une personne volontaire, qui n'aura peut-être pas le réflexe de faire savoir qu'elle souhaite se rétracter.
J'insiste sur deux points. D'une part, la personne volontaire est à la fois désignée et accepte de l'être, ce qui est quelque peu éloigné de l'objet des directives anticipées. D'autre part, l'adoption de votre amendement ferait tomber le mien, et disparaître la précision que la personne volontaire doit être majeure. Je ne suis pas fermée à l'idée d'un sous-amendement.
Le problème, avec les directives anticipées, c'est que l'on ne sait pas à quel moment elles seront rédigées. Or les relations du patient avec sa famille ou ses proches peuvent évoluer dans le temps, et il y a un risque que les directives anticipées ne correspondent plus à la situation. C'est pourquoi je suis très défavorable à l'amendement CS653.
En revanche, garantir un accompagnement psychologique à la personne qui accepterait d'administrer le produit ne me pose aucun problème. Je ne verrais aucun inconvénient, si Mme la rapporteure l'accepte, à ce que son amendement CS1959 soit sous-amendé en ce sens. Dès lors, demande de retrait de l'amendement CS654.
À moins que vous ne teniez absolument à un sous-amendement, je peux rectifier mon amendement en ajoutant : « Elle est accompagnée et assistée par un médecin ou par un infirmier. »
Nous sommes en train de construire un élément essentiel du projet de loi autour d'un amendement de la rapporteure. Faut-il vraiment essayer de tout y mettre ? Et faut-il ouvrir dès à présent un débat que nous avions prévu d'avoir plus tard ? Si le débat est ouvert, j'ai, moi aussi, des tas d'idées de sous-amendements à vous soumettre !
Je crois qu'il faut distinguer deux sujets : le rôle éventuel des directives anticipées, d'une part, et l'administration de la substance létale, d'autre part. Sur le deuxième point, se pose la question de savoir si le patient a le choix ou non de se l'auto-administrer, ou de demander l'aide ou le secours d'un tiers ? Cette possibilité a été exclue hier, mais je continue de penser que c'est un choix qui doit être offert au patient. Et aussi, comment la personne qui administrera la substance létale doit-elle être désignée ? Sera-t-il possible de désigner un volontaire qui ne soit pas un proche ?
Je souhaite que l'on sous-amende maintenant l'amendement de la rapporteure pour aborder des sujets qui n'y figurent pas.
Compte tenu de la complexification qu'annoncent les amendements s'agissant de la personne volontaire, Mme la ministre pourrait peut-être revenir sur les raisons pour lesquelles il a été jugé utile d'introduire une telle personne dans le dispositif.
Les textes qui nous sont soumis sont toujours perfectibles, mais les débats auxquels nous assistons montrent combien celui-ci est imparfait. Par ailleurs, madame la rapporteure, si vous commencez à rectifier vos propres amendements, votre méthode va prendre un tour assez baroque.
Nous ne prendrons pas part au vote sur les amendements CS653 et CS654, mais nous invitons nos collègues à les réécrire. Afin de protéger la personne désignée volontaire des possibles répercussions psychologiques de son acte, nous proposerons qu'un entretien avec un psychologue ait lieu avant le jour de l'administration de la substance létale, si les délais le permettent.
Il nous faut avancer. Je vous invite à retirer vos amendements et à adopter le mien, que nous pourrons ensuite retravailler ensemble en y ajoutant les précisions que vous voulez, en vue du débat en séance.
Pour répondre à M. Martin, le principe de ce texte, c'est le choix du patient : dans la grande majorité des cas, le patient s'administre lui-même le produit létal ; s'il ne peut pas le faire, il peut le demander au personnel médical ou paramédical, ou à un proche. Il y a une option pour que le patient puisse choisir.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements CS482 et CS483 de M. Yannick Neuder (discussion commune)
Afin de ne pas diviser la communauté des soignants entre ceux qui sont favorables au texte et ceux qui y sont défavorables, je propose que les médecins et les infirmiers volontaires pour administrer la substance létale se fassent reconnaître auprès du conseil départemental de l'ordre professionnel compétent, afin que l'on dispose d'une liste des professionnels favorables à cette pratique. Il faut bien trouver un système qui permette à la fois à ceux des soignants qui considèrent cet acte comme le dernier soin de le faire, et de respecter la clause de conscience de ceux pour qui la main qui soigne ne peut pas tuer.
Notre rôle de législateur est de trouver une solution qui ne heurte pas la communauté médicale, qui respecte les convictions de chacun et qui ne nuise pas au choix du malade, si on décide de le satisfaire.
L'article 16 prévoit que les professionnels de santé disposés à participer à la mise en œuvre de la procédure d'aide à mourir pourront se déclarer auprès de la commission d'évaluation et de contrôle. Cette commission est notamment chargée de centraliser les données et d'établir un registre à cette fin.
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
La commission de contrôle et d'évaluation tient un registre national dont la vocation est d'enregistrer celles et ceux qui souhaitent se déclarer comme tels, ce qui n'empêchera pas le patient de demander à son médecin s'il est prêt à accomplir cet acte. Si le médecin accepte, la procédure se poursuivra. Dans le cas contraire, le registre permettra de trouver un autre médecin.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements identiques CS188 de M. Philippe Juvin, CS549 de Mme Annie Genevard, CS652 de M. Jérôme Guedj, CS1247 de Mme Nicole Dubré-Chirat et CS1452 de Mme Elsa Faucillon
L'amendement CS188 vise, comme les autres amendements qui ont été déposés, à supprimer la possibilité de recourir à une personne volontaire. Imaginer qu'un proche puisse intervenir activement dans l'administration de la substance létale nous pose un vrai problème.
Je l'ai déjà dit hier soir avec solennité, je ne comprends pas l'introduction de cette disposition, que nous n'avions pas envisagée dans le groupe de contact constitué en amont du dépôt du texte. Cette disposition, qui est une innovation mondiale, est une rupture tellement importante que vous êtes obligés de disposer des garde-fous un peu partout pour essayer d'en limiter la portée.
Depuis le début, on nous dit que l'aide à mourir est un acte de soin, et j'adhère à cette vision. Pourquoi, alors, vouloir rompre le colloque singulier, qui est la rencontre d'une confiance et d'une conscience ? Pourquoi y introduire un proche et lui confier, alors qu'il aura probablement déjà joué un rôle d'aidant depuis des mois, voire des années, cette mission supplémentaire ? Pour moi, cette disposition est très problématique, car elle rompt l'équilibre d'un texte que je souhaite soutenir. Mon amendement a pour but de vous faire part de mon désarroi.
Je vais dans le sens de M. Guedj : il s'agit d'un dialogue entre l'équipe médicale et la personne concernée. La situation de la personne volontaire serait très difficile.
C'est en effet une responsabilité immense. Cet article donne l'impression qu'on crée un droit nouveau, mais de façon minimale, et qu'on reporte la responsabilité sur d'autres. Il serait, de plus, délicat de savoir si la personne désignée est vraiment volontaire : est-ce qu'un proche sera vraiment en mesure de refuser une telle demande ? L'acte est suffisamment grave pour qu'on laisse au corps médical la responsabilité d'administrer le produit. Je défends donc l'amendement CS1452.
Nous avons eu ce débat. Il me paraît nécessaire de prévoir la présence d'une tierce personne. Comme vous, j'ai réfléchi, cheminé, à la suite des auditions, et j'estime qu'il revient au patient de souhaiter, ou pas, la présence d'un proche, d'un ami, d'un volontaire qui voudra l'aider dans ce geste final.
Que ce soit à domicile, à l'hôpital ou en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), le patient ne sera jamais seul avec cette personne volontaire, qui accepte de l'accompagner : un professionnel de santé sera toujours présent à leurs côtés.
Avis défavorable. Je vous propose de vous rallier à mon amendement CS1959.
Le point central, c'est la notion du choix : nous n'imposons rien. La règle, c'est que le patient s'administre lui-même le produit. S'il ne le peut pas, alors il a le choix de demander cet acte au personnel médical ou paramédical, ou bien à quelqu'un d'autre. Je suis sensible aux propos de M. Guedj : c'est un choix très lourd. Mais si le patient veut confier cette responsabilité à un proche, pourquoi ne pas respecter son choix ?
Ils ne seront pas seuls, évidemment : un professionnel médical ou paramédical sera toujours présent.
Je partage la philosophie de ces amendements. Au cours de ce débat, les mots de « volontaire » et de « proche » ont été utilisés ; or il peut y avoir des volontaires non proches. C'est une préoccupation majeure pour moi : je ne voudrais pas qu'un proche doive assumer cette responsabilité. Dans l'immédiat, dans l'émotion, par souci de bien faire, par amour, il le fera ; mais nous créerions ainsi une dette non remboursable, durable.
Est-il possible de désigner un volontaire qui ne soit pas un proche ? J'espère que nous pourrons trouver une solution en ce sens.
Je partage le sentiment des auteurs de ces amendements. On nous dit que cet acte est un soin. Mais une personne volontaire peut-elle apporter un soin ? Cela me paraît contradictoire. Il a aussi été question d'acte gratuit – pour le volontaire mais pas pour le médecin ou l'infirmier ? La confusion est totale.
Madame la ministre, vous parlez de « proche » mais le texte parle de « personne volontaire ».
La sagesse serait de voter ces amendements.
Cette désignation ne se fera pas le matin au petit déjeuner ! C'est un cheminement long, un échange. Si la personne volontaire accepte d'accompagner le patient jusqu'au bout, c'est après réflexion. Je suis opposée à ces amendements.
Il me semble qu'on mélange ici définition et procédure. Ne faudrait-il pas s'en tenir, à cet article, à la définition de l'aide à mourir pour se concentrer sur la procédure au chapitre III ?
Par ailleurs, comment protéger un enfant de l'emprise psychologique d'un parent ? Comment, inversement, l'enfant qui serait vraiment volontaire peut-il être autorisé à accomplir ce geste ? Le groupe La France insoumise réfléchit à ces questions : nous devons tous chercher une solution.
En effet, la procédure figure à l'article 11. Nous défendrons à ce moment des amendements pour exclure les conjoints et les proches jusqu'au quatrième degré notamment. Il faut peut-être affiner ou élargir cette réflexion. Mais il me semble également que l'article 5 expose un principe général : ce n'est pas le lieu d'apporter ces précisions, car nous affaiblirions le texte.
Croyez-vous que quelqu'un qui veut mourir et désigne un volontaire pour l'y aider n'est pas en mesure de choisir la personne qui va accomplir cet acte ? Le principe, c'est celui de l'autonomie de la personne ; personne n'est obligé de faire quoi que ce soit. Notre mission est d'imaginer des scénarios, mais nous allons ici beaucoup trop loin. Simplifions, et revenons au principe : le choix de la personne concernée.
La dose est-elle administrée par quelqu'un d'autre parce que la personne ne peut pas le faire elle-même ou parce qu'elle ne veut pas ?
Qui décide qu'elle ne le peut pas ?
Si c'est parce qu'elle ne le veut pas, on fait porter à une tierce personne la responsabilité de cet acte, que vous revendiquez pourtant comme une liberté individuelle.
Je partage l'avis de M. Pilato : c'est une discussion que nous devrons avoir dans le détail un peu plus loin. L'article 5 énonce un principe général.
Pour lever votre inquiétude, monsieur Pilato, mon amendement prévoit que la personne désignée est majeure.
Inscrire ici la présence d'une personne volontaire la protège pénalement.
Il ne nous revient pas de nous substituer au libre arbitre des patients : c'est le principe qu'il faut tenir jusqu'au bout. On ne peut ni protéger, ni aider les gens malgré eux. Il est important de respecter le choix des patients d'avoir à leurs côtés une personne désignée et qui accepte de le faire.
C'est bien la notion de personne volontaire qui est inscrite dans la loi. Dans sa rédaction actuelle, le texte n'exclut personne, ni ami, ni proche.
Le principe est que le patient s'administre lui-même le produit. C'est le médecin qui décide s'il en est incapable.
La commission rejette les amendements.
Amendement CS1959 de Mme Laurence Maillart-Méhaignerie et sous-amendement CS2013 de M. Patrick Hetzel, sous-amendements CS2022 de M. Sébastien Peytavie et CS2023 de Mme Marie-Noëlle Battistel (discussion commune), sous-amendements CS2020 de M. Charles de Courson, CS2018 de Mme Marie-Noëlle Battistel et CS2021 de Mme Annie Genevard, amendements CS935 de Mme Cécile Rilhac et CS1854 de Mme Caroline Fiat (discussion commune)
C'est l'amendement dont je vous parlais. Il pose comme principe général que la personne désignée est majeure, qu'elle accepte, et qu'elle ne perçoit pour cela aucune rémunération ou gratification à quelque titre que ce soit.
Mon sous-amendement prévoit que la personne désignée n'est pas un proche. Ce serait là une ligne rouge absolue. Nous n'avons aucun recul sur ces questions.
Par le sous-amendement CS2022, nous proposons d'utiliser plutôt la notion de consentement : accepter, ce n'est pas consentir. Il faut vérifier ce consentement.
Le sous-amendement CS2023 va dans le même sens que le précédent. Nous proposons la formule « se manifeste pour ».
Il nous semble prudent d'exclure les proches : parents, alliés, conjoints, concubins, partenaire de pacte civil de solidarité, ayants droit... Il faut éviter des conséquences graves pour la personne désignée, notamment psychologique.
Le sous-amendement CS2018 prévoit l'accompagnement par un médecin ou un infirmier dont nous avions parlé avec Mme la rapporteure.
Je propose de préciser que le médecin « s'assure que le patient n'a subi aucune pression de la part de la personne volontaire qu'il a désignée ». Il faut éviter le risque, identifié par les infirmiers, de pression de l'entourage pour convaincre une personne qu'il est nécessaire qu'elle disparaisse.
J'ai du mal avec l'idée d'une personne volontaire désignée. Mon amendement précise donc que la personne désignée a accepté cette responsabilité. Je le retire au profit de celui de Mme la rapporteure.
Avec l'amendement CS1854, nous allons dans le sens de Mme Maillart-Méhaignerie : la personne chargée d'administrer le traitement létal doit être majeure, car elle doit être en mesure de comprendre pleinement les conséquences de ses actes et de les assumer en toute responsabilité. Cette précision est indispensable pour renforcer le processus menant à cet acte délicat et irréversible qui a des aspects éthiques importants.
Je suis défavorable à l'ensemble des sous-amendements, à l'exception du CS2018, dont nous avons déjà discuté : il propose une précision que je m'étais engagée à apporter en séance.
Je souhaite, pour ma part, conserver une définition concise. Les précisions pourront être apportées dans la partie consacrée à la procédure.
Demande de retrait de l'amendement CS1854 au profit du mien.
Même avis.
Je redis, monsieur de Courson, que le texte évoque une personne volontaire : ce peut être un proche, mais cela n'a rien d'obligatoire.
Je voterai l'amendement de la rapporteure sous réserve de l'adoption des sous-amendements de M. Hetzel ou de M. de Courson. C'est un élément apparu clairement pendant nos auditions, y compris dans la bouche de ceux qui soutiennent ce texte sans réserve : la question du proche est stratégique, sensible. Nous pourrons en reparler à l'article 11, mais dès lors que nous sommes invités à prendre parti sur ce point, je voterai les sous-amendements CS2013 et CS2020.
Vous avez dit, madame la rapporteure, qu'un soignant serait toujours là pour accompagner. C'est un point qu'il faudra évaluer. La rédaction actuelle du texte dit qu'il doit être à proximité. J'aimerais que nous définissions ce terme : à proximité, ce peut être sur le trottoir, dans l'appartement, dans la clinique.
Mme Genevard souligne le risque de contrainte, de pression psychologique. Là aussi, ce sont des problèmes soulevés par des professionnels plutôt favorables à l'aide active à mourir. Ce sous-amendement me paraît prudent : il faut s'assurer que la décision n'est pas contrainte.
Il me revient à l'esprit la phrase de Mauriac : « L'épreuve ne tourne jamais vers nous le visage que nous attendions. » Je ne m'attendais pas à un tel débat sur la personne volontaire. C'est une question qui cristallise bien des interrogations éthiques, car on sort de la sphère médicale pour entrer dans une sphère privée où tout devient possible – pressions, mais aussi conséquences psychologiques pour l'entourage.
Ce débat nous invite à nous demander s'il faut conserver cette disposition.
Il me paraît important de préciser que la personne volontaire souhaite accomplir ce geste. Accepter quelque chose ou manifester son souhait, ce n'est pas la même chose.
Je redis que je préfère la notion de consentement. Quand les soignants vont préciser à la personne désignée les conséquences d'un tel acte, et s'assurer de son accord, il me semble qu'elle est plus protectrice.
Pour conserver toute sa force à cet article, il me semble qu'il ne faudrait évoquer ici que la personne volontaire, pour ensuite préciser la procédure, et notamment les personnes présentes et les qualités requises. Tel que l'article est écrit, on peut même se demander si le médecin ou l'infirmier doivent être volontaires.
La difficulté ici est légistique : le Conseil d'État a souhaité qu'il y ait une idée par article. Nous essayons finalement de détailler la totalité de la procédure avec un article chapeau, qui est l'article 5.
Je comprends la volonté des uns et des autres de respecter la volonté du patient tout en garantissant aussi la liberté de la personne désignée : il faut s'assurer que celle-ci est bien volontaire. En vous écoutant, je me dis que le sous-amendement CS2023 est pertinent. Je lui donne donc un avis de sagesse.
L'amendement CS935 est retiré.
Successivement, la commission rejette les sous-amendements CS2013 et CS2022, adopte le sous-amendement CS2023, rejette le sous-amendement CS2020, adopte le sous-amendement CS2018 et rejette le sous-amendement CS2021.
Puis elle adopte l'amendement CS1959 sous-amendé.
En conséquence, l'amendement CS1854 tombe, de même que les amendements CS655 de Mme Christine Pires Beaune, CS1068 de Mme Sandrine Rousseau, CS127 de Mme Marie-France Lorho, CS1639 de Mme Annie Vidal, CS22 de M. Thibault Bazin, CS550 de Mme Annie Genevard, CS488 de M. Yannick Neuder, CS573 de Mme Annie Genevard et CS782 de M. Paul-André Colombani.
Amendement CS781 de M. Paul-André Colombani
Dans l'esprit du débat que nous venons d'avoir, cet amendement précise que la personne volontaire n'est ni un parent, ni un allié, ni le conjoint, ni le concubin, ni le partenaire de pacs, ni un ayant droit de la personne. Je sais bien que la commission est divisée, mais cet amendement me paraît important pour protéger les proches.
Je ne comprends pas le sens de cet amendement. Je comprends que l'on s'interroge sur le sentiment de culpabilité, sur la pression qui pourrait être mise sur les proches. Mais quelqu'un qui veut mourir, qui ne peut plus supporter ses souffrances, ne demandera pas ce geste ultime à quelqu'un qui serait très éloigné de lui. La question des associations se pose, bien sûr, mais on ne prendra pas quelqu'un au hasard.
On a beaucoup parlé d'un acte d'amour de celui qui accepte de faire le geste d'administrer le produit létal. L'acte d'amour consiste aussi, à mon sens, à ne pas demander à un proche d'effectuer ce geste : l'amour, c'est aussi le protéger des conséquences d'un tel acte. Celui qui accepterait ne mesure pas nécessairement les conséquences qu'un tel geste aura pour lui. Je suis favorable à l'idée d'épargner aux proches la possibilité d'accomplir ce geste. Le législateur doit aussi protéger le proche du malade.
En tant que rapporteur spécial des crédits de la mission Justice, j'ai demandé à la chancellerie combien de personnes sont condamnées pour abus de faiblesse de proches. Eh bien, il y a déjà cinq cents condamnations par an en moyenne. Ne soyons pas naïfs : il est nécessaire de poser des verrous. C'est un chiffre qui doit nous inquiéter.
Le texte sous-estime l'impact psychologique sur les proches qui devront administrer la mort à un parent, à un ami. Cela va trop loin. Nous voterons cet amendement.
Le législateur doit garantir la liberté tout en l'encadrant : l'aide à mourir est assortie de conditions pour s'assurer qu'il n'y a pas d'abus, et notamment pas d'abus de faiblesse. Nous ne sommes pas ici pour juger ce qui est, ou pas, acte d'amour ; nous devons respecter la volonté ultime du patient. Oui, il faut accepter qu'une personne veuille choisir qui va accomplir l'acte de l'aide à mourir.
Que se passe-t-il si la personne de confiance, au dernier moment, ne peut plus ? Il y a un médecin à côté, me direz-vous : mais que se passe-t-il s'il n'avait pas prévu de le faire, s'il ne veut pas le faire ?
Tout cela devra être détaillé à l'article 11 : il vaut mieux s'en tenir ici au principe.
Il faut distinguer deux situations. Il y a celle du proche qui veut simplement assister, comme aujourd'hui on assiste à la fin d'une personne malade : c'est un accompagnement moral et physique. Et il y a celle de la personne qui accomplit le geste. Dans ce dernier cas, nous avons une responsabilité vis-à-vis de la famille proche : il faut poser une limite. Cela n'empêche personne d'être présent ; mais il faut peut-être empêcher certains de faire le geste.
Par cet amendement, vous mettez en avant une idée de culpabilité, de responsabilité qui écraserait la personne volontaire parce que vous voyez cet acte comme celui de donner la mort. Mais l'acte même d'aider à mourir peut aussi être vu de façon positive, comme un acte qui peut être beau, celui de délivrer des souffrances. C'est aussi le sens de cette loi : c'est pour cela que le terme d'aide à mourir est plus intéressant que celui de suicide assisté ou d'euthanasie.
La commission rejette l'amendement.
Amendements CS1069 et CS1070 de Mme Sandrine Rousseau
L'amendement CS1069 tend à associer aux soins d'accompagnement, notamment sur le plan psychologique, la personne volontaire. On connaît bien l'importance du soutien à l'entourage de la personne malade. Nous avons dû rédiger l'amendement de manière à contourner la problématique financière, mais il n'est évidemment pas question que ce ne soit pas la sécurité sociale qui prenne en charge le coût.
L'amendement CS1070 permettra aussi à l'aidant, la personne volontaire, de bénéficier d'un accompagnement psychologique. C'est une question de santé publique.
Je vous rejoins en ce qui concerne la proposition d'un accompagnement pour la personne qui administrera la substance létale et, pourquoi pas, l'entourage de la personne qui décédera. Toutefois, l'amendement CS1069 fait référence aux soins d'accompagnement mentionnés à l'article 1er du projet de loi, qui concernent les personnes malades, alors que ce n'est pas d'elles qu'il s'agit en l'espèce. Je vous propose donc de retirer cet amendement ; sinon, avis défavorable.
Même position en ce qui concerne le second amendement. Une telle disposition n'a pas vocation à être inscrite dans la loi, en particulier dans l'article définissant l'aide à mourir.
Une étude suisse a montré que 20 % des proches de personnes décédées à la suite d'un suicide assisté développent des troubles post-traumatiques et que 16 % souffrent de dépression, ce qui est bien supérieur à la moyenne au sein de la population générale. Cela montre qu'une vraie question se pose : nous devrions y être particulièrement attentifs.
C'est vraiment un point majeur. Même si l'écriture de ces amendements ne convient pas, effectivement, il faut mener une vraie réflexion au sujet de l'accompagnement des personnes qui vont donner la mort, tant en amont qu'en aval. On dira peut-être qu'il s'agit de soulager des souffrances, mais les personnes en question n'auront que quelques heures pour prendre une décision qui les poursuivra toute leur vie. Ce n'est pas parce qu'on agira par amour qu'on ne portera pas des stigmates et que des risques de troubles post-traumatiques n'existeront pas.
J'avais déposé un amendement du même type, mais il est tombé sous le coup de l'article 40. J'aimerais savoir quelles sont les solutions envisagées pour assurer un accompagnement psychologique des personnes aidantes. Si vous nous dites que le Gouvernement y veillera – nous ne pouvons pas, pour notre part, créer de nouvelles charges –, il ne sera pas nécessaire d'adopter ces amendements.
M. Hetzel a évoqué des chiffres. Il faut ajouter qu'ils ne concernent pas des personnes qui font le geste, mais qui y assistent, et que se pose également la question des pressions. Quelle est votre estimation, madame la rapporteure, du nombre de gens qui auront besoin d'un soutien ?
Selon l'Institut européen de bioéthique, qui doit être la source des statistiques évoquées par M. Hetzel, « une étude menée en Suisse en décembre 2007 sur 85 parents et amis qui ont été témoins d'un suicide assisté a révélé une prévalence plus élevée d'état de stress post-traumatique et de deuil compliqué que suite à un décès naturel ». J'entends tout à fait l'argument, mais cela n'entre pas complètement dans le cadre de cet article.
La question de l'accompagnement est traitée à l'article 11 : il faudra regarder, lorsque nous l'examinerons, si tout est prévu – ce n'est pas le cas à ce stade, je le dis très clairement.
La personne volontaire n'aura-t-elle que quelques heures pour se décider ? Pas du tout. Je reviens sur la procédure : la question des différentes conditions posées à l'article 6 se posera, ainsi que celle des soins palliatifs. Un examen médical permettra de voir si la personne concernée est éligible ou non. Elle aura ensuite un délai de deux jours pour réfléchir. Si elle réitère sa demande, l'organisation à mettre en place fera l'objet d'une discussion. L'espace-temps prévu est court, mais il n'est pas de quelques heures, il est très important de le souligner.
Quant à savoir ce qu'il se passera si la personne volontaire renonce au dernier moment, c'est un peu la même chose, dans un autre registre, que si, au moment de procéder à l'acte, lorsque le médecin ou l'infirmier qui accompagne la personne vérifie qu'elle confirme sa demande, la réponse est non : la procédure s'arrête alors.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CS1575 de Mme Danielle Simonnet
Cet amendement vise à prendre en compte les directives anticipées en ce qui concerne l'aide à mourir. Celle-ci est conditionnée à l'expression, par la personne concernée, d'une demande. C'est un acte volontaire et il faut respecter cette volonté.
La fonction des directives anticipées est précisément de permettre de respecter une volonté exprimée de façon anticipée dans l'éventualité où on ne pourrait plus le faire le moment venu. Il faut que l'aide à mourir demandée dans le cadre de directives anticipées puisse être prise en considération, comme la demande de refus de tout acharnement thérapeutique et celle d'une sédation profonde et continue, c'est-à-dire le laisser-mourir. Il serait injuste et absurde qu'un accident de voiture ou une maladie dégénérative très rapide vous empêche de bénéficier de l'aide à mourir parce que vous ne pouvez plus exprimer votre volonté et enclencher la procédure ; cela remettrait en cause le principe même des directives anticipées.
Si cet amendement n'est pas adopté, toute la philosophie consistant à respecter la volonté, librement exprimée, de la personne sera très fortement entachée.
Je comprends parfaitement la volonté d'apporter une réponse dans des situations où la personne n'est plus en état d'exprimer sa volonté, à la suite d'un accident, par exemple. Le projet de loi repose cependant sur le principe de l'autonomie du patient. La procédure d'aide à mourir fait ainsi appel à la volonté libre et éclairée du malade, dont la demande doit être répétée, notamment à l'issue d'un délai de réflexion de deux jours, au minimum, après l'accord donné par le médecin. Cet amendement ne me paraît pas compatible avec le reste du texte, puisqu'il faudrait prévoir une procédure spécifique pour les cas que vous évoquez.
Par souci de cohérence, j'émets un avis défavorable.
L'une des lignes directrices qui nous ont guidés pour l'établissement des critères d'éligibilité de l'aide à mourir a été, je l'ai dit, que le patient devait être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée au moment de la demande d'aide à mourir et devait aussi être capable de réitérer cette demande, de la confirmer, tout au long de la procédure, jusqu'au moment – je ne parle même pas du jour – de l'administration de la substance létale. Le patient doit toujours être en mesure de renoncer. Pour cela, encore faut-il qu'il soit capable de manifester sa volonté. Le texte prévoit donc que le médecin doit évaluer de nouveau le caractère libre et éclairé de la manifestation de la volonté de la personne. Cette condition permet de garantir que l'aide à mourir reste volontaire, ce qui est une des clefs du projet de loi.
Cet amendement conduisant à rompre l'équilibre du texte, j'y suis particulièrement défavorable.
Il s'agit d'acter, à cet endroit du texte, le principe de la prise en compte des directives anticipées dans le cadre de l'aide à mourir : les modalités pourront être précisées plus loin.
Nous avons adopté hier un sous-amendement d'Élise Leboucher qui permet aux directives anticipées d'ouvrir le droit à mourir dignement dès lors que la personne qui les a rédigées perd conscience de façon irréversible. Le présent amendement suit la même approche lorsqu'une personne souffrant, par exemple, d'une maladie dégénérative a perdu sa lucidité de manière irréversible. Si nous ne permettons pas d'appliquer les directives anticipées, nous les priverons de leur sens et de leur utilité.
Comme l'esprit de ce texte est le libre choix, il faut respecter la volonté des personnes en déplaçant le curseur dans la direction proposée par Danielle Simonnet.
Nous abordons là un sujet vertigineux qui relève de la dentelle législative. Pourra-t-on le traiter à l'initiative des rapporteurs, compte tenu du nombre important d'amendements portant sur cette question qui ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 40 ?
J'avais déposé un amendement similaire qui a été déclaré irrecevable, comme de nombreux autres – je soutiens donc celui de Mme Simonnet. Nous avons également proposé de modifier les articles 6 à 11 pour assurer, à chaque étape, une prise en compte effective des directives anticipées. Je souhaitais même créer un article 8 bis en ce sens. Je suis favorable à l'idée de préciser dès l'article 5 que la demande peut être faite directement ou par l'intermédiaire des directives anticipées ou de la personne de confiance.
J'avais également déposé un amendement qui a été retoqué au titre de l'article 40 – je suis ravie qu'un autre, en revanche, soit passé à travers les mailles du filet.
Si les directives anticipées ne sont pas respectées lorsqu'une personne se trouve dans une situation médicale qui ne lui permet plus d'agir, à quoi sert-il de rédiger de telles directives ? Les cas Humbert et Lambert vont-ils se répéter ad vitam aeternam ? Vous dénaturez l'esprit de ce projet de loi qui, pour moi, devait permettre de donner un espoir à des gens qui veulent avoir le choix.
Je soutiens la position de Mme la ministre et de Mme la rapporteure : la liberté consiste à pouvoir demander mais aussi à pouvoir dire au dernier moment qu'on ne veut plus. Par construction, quand on est inconscient, on ne peut plus dire non au dernier moment. C'est pourquoi il faut rejeter l'amendement.
Mme Simonnet a avancé l'argument, fréquent, selon lequel on ne pourrait pas « bénéficier » de cette loi dans certains cas, en particulier ceux dans lesquels on n'est pas conscient, mais il y aura toujours, quelle que soit la loi, des cas non couverts. La loi parfaite n'existe pas.
Nous sommes très nombreux à expliquer, depuis le début de ce débat, que nous sommes allés dans des services de soins palliatifs et que nous avons échangé et procédé à de multiples auditions. Nous avons très fréquemment entendu dire que l'avis du patient pouvait changer au cours de sa maladie. Il faut qu'il puisse être exprimé : si on reste figé sur des directives anticipées qui n'ont pas été mises à jour, on ferme cette possibilité. Le projet de loi prévoit qu'on repose la question jusqu'au moment de l'administration du produit létal, pour vérifier ce que le patient souhaite. La liberté de choix doit être respectée jusqu'au bout. Or la limite des directives anticipées est qu'elles sont figées : elles ne suivent pas l'évolution du choix du patient. Son discernement, qui lui permet d'exprimer sa volonté jusqu'au dernier moment, est un point clef de l'équilibre du texte.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CS1911 de M. Cyrille Isaac-Sibille
Cet amendement est le pendant d'un autre que j'ai défendu hier soir. Il vise non pas à autoriser l'aide à mourir, mais à la dépénaliser, comme Simone Veil a eu la sagesse de le proposer, il y a cinquante ans, dans un autre domaine. Même si les arguments de Mme la rapporteure et de Mme la ministre ne m'ont pas convaincu, je retire le présent amendement.
L'amendement CS1911 est retiré.
Amendements CS1670 de M. Christophe Bentz, CS727 de Mme Annie Genevard, CS855 de M. Julien Odoul et CS1806 de M. Christophe Bentz (discussion commune)
L'amendement rédactionnel CS1670 a l'avantage de dissiper une équivoque concernant la responsabilité individuelle. « Il suffit de nommer la chose pour qu'apparaisse le sens sous le signe » a écrit Léopold Sédar Senghor dans « Comme les lamantins vont boire à la source ». Il faut donc substituer aux mots « L'aide à mourir est un acte autorisé » les mots « Le suicide assisté et l'euthanasie sont des actes autorisés ».
Il est essentiel, nous l'avons dit et nous continuerons à le faire, de clarifier le texte pour assurer à la fois sa bonne compréhension et celle des actes qui pourront avoir lieu. Quel que soit l'avis que nous pouvons avoir, les uns et les autres, il faut que la loi soit intelligible afin qu'il n'y ait pas de doute dans l'esprit des patients et des soignants, ni de confusion entre l'aide, le soin et l'euthanasie. Il faut protéger les soignants, et pour cela la loi doit être la plus claire possible. J'ai entendu les arguments du rapporteur général au sujet de l'infamie attachée au terme « euthanasie », mais celui-ci est très clair et connu par une majorité de Français. Il leur évoque quelque chose. Il faut donc l'utiliser pour expliciter cette réalité, pour mettre des mots sur elle.
Suivant l'avis de la rapporteure, la commission rejette successivement les amendements.
Amendement CS1509 de M. Hervé de Lépinau
Suivant l'avis de la rapporteure, la commission rejette l'amendement0.
Amendement CS952 de Mme Mireille Clapot
Il s'agit de créer une nouvelle exception à l'article 122-4 du code pénal pour dépénaliser clairement l'aide à mourir apportée selon les modalités prévues par les articles 6 à 11. Il me semble, néanmoins, madame la rapporteure, que vous avez déjà donné une réponse à ce sujet. Je retire donc l'amendement.
L'amendement est retiré.
Amendement CS129 de Mme Marie-France Lorho
Nous sommes inquiets de ce que le projet de loi ne comporte aucune mesure susceptible de prévenir des incitations intéressées. La Suisse, où le suicide assisté est légal depuis 1942, a pensé à ériger une telle barrière, avec l'article 115 de son code pénal. Notre amendement s'appuie donc sur le droit suisse pour pénaliser les personnes qui auraient intérêt à en pousser d'autres à commettre un suicide assisté. Il tend à prévoir qu'un tiers intervenant est coupable d'homicide s'il est reconnu avoir été poussé par un mobile égoïste. Nous ne pouvons imaginer que le droit français puisse comporter une lacune en la matière.
Pourriez-vous nous expliquer les raisons de ces avis ? La question de l'incitation au suicide se pose vraiment.
C'est un amendement très important. Il concerne des gens qui pousseraient d'autres personnes, pour des motifs égoïstes, à s'administrer une substance létale. Pourquoi ne voulez-vous pas répondre, madame la ministre ?
Il est, bien sûr, toujours intéressant de faire du droit comparé, mais le code pénal français obéit à ses propres principes. La prise en compte d'un mobile, quel qu'il soit, ne correspond pas à la manière dont fonctionne le droit français. Néanmoins, la provocation au suicide est une infraction prévue par notre code pénal. Son article 223-13 punit le fait de provoquer au suicide d'autrui d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsque la provocation a été suivie d'un suicide ou d'une tentative de suicide.
La commission rejette l'amendement.
Amendements CS369, CS362 et CS363 de M. Patrick Hetzel
Nous sommes un certain nombre à dire très clairement que le fait d'administrer une dose létale ne saurait en aucun cas être assimilé à un soin. L'objet de l'amendement CS369 est de le préciser à l'article 5.
La personne dite de confiance aura un rôle central, et il est important qu'elle soit informée de la demande du patient. Il est arrivé à l'étranger que des proches n'aient pas du tout été prévenus. L'amendement CS362 tend à veiller à ce que ce soit fait.
L'amendement suivant porte sur la question de l'état de faiblesse ou d'ignorance. Il y a, en moyenne, cinq cents condamnations par an pour abus de faiblesse en France. Nous demandons que la personne de confiance, un parent, un proche ou le médecin traitant s'assure que la personne concernée par l'aide à mourir ne se trouve pas en état de faiblesse ou d'ignorance. Vous avez dit, madame la ministre, que la volonté est l'élément central. Pour qu'elle soit pleine et entière, il faut s'assurer de l'absence d'état de faiblesse ou d'ignorance chez la personne concernée.
L'article L. 1110-5 du code de la santé publique prévoit, en son alinéa 2 : « Toute personne a le droit d'avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. » Ce projet de loi vise ainsi à défendre le droit de chacun à avoir une fin de vie digne et à être accompagné par un professionnel de santé qui aura la responsabilité d'apaiser sa souffrance. J'émets un avis défavorable à l'amendement CS369.
S'agissant de l'amendement suivant, je me suis déjà exprimée à plusieurs reprises au sujet de l'équilibre du présent texte. En ce qui concerne le choix du patient, à toutes les étapes de la procédure, votre amendement est satisfait.
Pour ce qui est de l'amendement CS363, nous avons déjà abordé la question des directives anticipées. Il est important que le patient puisse exprimer, à chaque étape, sa volonté. Avis également défavorable.
Le texte que nous examinons permettra de libérer des personnes d'une certaine pression, inquiétude ou angoisse vis-à-vis de la mort. Or prévenir les proches est de nature à remettre de la pression. Cet amendement placerait quasiment sous tutelle affective les personnes qui choisiraient de recourir à l'aide active à mourir. Laissons-les plutôt absolument libres, sans contrainte.
Il est important de réaffirmer, notamment pour les soignants, que l'euthanasie n'est pas un soin. Il existe une grande confusion qui crée un fort traumatisme, car l'euthanasie n'est pas la vocation de ceux qui exercent ces métiers. Beaucoup de médecins s'inquiètent à juste titre de la transformation de leur profession et du risque de crise des vocations. Le fait de participer au suicide assisté ne doit pas être intégré dans les soins. Il faut établir une frontière : ce ne sont pas les mêmes actes que ceux du soin, ni la même philosophie.
Un amendement voté hier fait que l'expression de la volonté de mourir n'aura pas forcément à être réitérée en pleine conscience, ce qui nous conduit à nous interroger sur la suite de nos travaux, en particulier au sujet de l'article 6.
Madame la ministre, je crois que vous n'avez pas répondu à notre collègue en ce qui concerne l'amendement CS363. Le risque d'abus de faiblesse est un des grands oubliés du projet de loi. M. Hetzel a rappelé que cinq cents condamnations étaient prononcées chaque année en France pour ce motif. Quand on demande un placement sous curatelle ou tutelle d'un parent, il faut passer par le juge, afin de garantir qu'il n'y a pas d'abus de faiblesse. Dans la rédaction actuelle du projet de loi, rien ne protégera contre ce risque les personnes qui « bénéficieront » de l'aide à mourir ou de l'euthanasie. C'est un des grands dangers du projet de loi.
Si l'aide à mourir ne correspond pas à la définition du soin, elle pourra, en revanche, relever des actes que seuls les professionnels de santé peuvent accomplir, comme le diagnostic, la prescription ou l'administration de médicaments. On peut aussi penser, dans un tout autre domaine, à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.
Si le texte prévoit un examen médical et demande que le patient exprime sa volonté de façon libre et éclairée à chaque étape de la procédure, y compris au moment de l'administration du produit, c'est précisément en lien avec la notion d'abus de faiblesse.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements identiques CS366 de M. Patrick Hetzel et CS912 de M. Philippe Juvin
Mon amendement vise à éviter un mélange des registres. Il y a, d'un côté, les soins, dont s'occupent les professionnels de santé, et, de l'autre, la question du suicide assisté et de l'euthanasie. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'un certain nombre d'entre nous voulaient deux textes.
L'idée qui sous-tend mon amendement, c'est qu'on ne peut pas confier le suicide assisté et l'euthanasie à des établissements dont la mission de service public est d'assurer des soins. Il faut renvoyer ces questions vers des tiers-lieux pour faire en sorte que la confiance dans les établissements de santé reste pleine et entière. Il serait extrêmement brutal de leur demander de pratiquer le suicide assisté et l'euthanasie, et je ne pense pas que nos concitoyens aient envie qu'il en soit ainsi.
Je souscris à l'argumentation de M. Hetzel. L'acte de l'aide à mourir ne doit pas être effectué par un professionnel de santé.
L'exemple de la Suisse, où les hôpitaux organiseraient eux-mêmes le suicide assisté, est inexact : dans certains cantons, les structures hospitalières peuvent autoriser les associations à intervenir dans leurs murs mais, en aucun cas, les soignants ne participent à l'acte. Cette distinction est absolument fondamentale.
Le projet de loi ne crée pas de mission de service public pour l'accès à l'aide à mourir dans les structures sanitaires et médico-sociales. Le patient pourra choisir le lieu où se déroulera l'acte dans des conditions convenues avec le professionnel de santé chargé de l'accompagner. Tous les lieux de vie et de soins sont ainsi couverts : domicile privé, établissement de santé, établissement et services sociaux et médico-sociaux, maisons d'accompagnement, etc.
Dans les pays qui ont adopté un tel dispositif, le domicile est le lieu principal des décès – 40 % au Canada et près de 50 % en Belgique.
Je suis donc défavorable aux amendements.
Même avis.
Le projet de loi ne crée pas de mission de service public. Le choix du patient a été privilégié. En conséquence, lors de l'entretien pour déterminer les conditions d'administration du produit, il sera possible d'envisager les différents lieux de vie possibles. Je vous renvoie au débat d'hier sur les Ehpad et les maisons d'accompagnement.
Il est vrai qu'en Suisse, les gens décèdent encore au domicile mais il est désormais possible de faire l'acte dans certains hôpitaux. Aux Pays-Bas, le pourcentage d'actes à domicile est très élevé puisqu'il est de 81,2 %.
Au nom de l'égalité, le groupe La France insoumise considère que l'aide à mourir est une mission de service public. On ne se débarrasse pas de la souffrance dans les caves ou avec de l'argent. Nous voterons évidemment contre ces amendements.
Le patient ne pourrait donc pas être entouré par un médecin ou du personnel médical, ni par ses proches. Il se trouverait seul face à la maladie, éventuellement soutenu par des associations, avec les risques de dérive que l'on sait. Vous faites vraiment peu de cas du patient pour privilégier le confort du corps médical et des personnels de santé. C'est très surprenant. Je voterai contre l'amendement.
La question de savoir si l'aide à mourir est une mission de service public a été tranchée par la ville de Paris puisque chacun a pu voir inscrit sur les panneaux d'affichage : « choisir de mourir dans la dignité est un droit fondamental ». Je trouve particulièrement choquant que la ville de Paris se prononce avant même que les parlementaires ne l'aient fait et qu'elle ait choisi de faire la promotion de l'aide à mourir.
L'objet du projet de loi, c'est de permettre de mourir dans la dignité. Il n'est pas toujours possible de mourir chez soi ; il faut donc garantir au malade que l'acte pourra être effectué dans un hôpital ou un établissement médico-social. C'est une exigence de dignité. Si vous ne l'autorisez dans ces lieux-là, où pourrait-il se faire ? Vous ne proposez rien qui rende vos amendements compréhensibles.
La commission rejette les amendements.
Puis elle adopte l'article 5 modifié.
Après l'article 5
Amendement CS647 de Mme Marie-Noëlle Battistel
Il est proposé d'étendre le droit d'avoir une fin de vie digne, tel qu'il est défini à l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, au droit à l'aide à mourir. Cette codification nous semble très importante.
L'article L. 1110-5 dispose que « toute personne a le droit d'avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance ». Le projet de loi visant à renforcer le droit à avoir une fin de vie digne et apaisée, votre amendement va dans le bon sens.
Sagesse.
La dignité a été abondamment évoquée. Je considère qu'une personne ne perd jamais sa dignité. L'aide à mourir ne peut pas être une réponse à la prétendue perte de dignité. Cette dernière est constitutive de l'être humain, quel que soit son état de santé.
D'un côté, vous réfutez l'instauration d'un droit ; de l'autre, vous êtes favorables à inscrire l'aide à mourir dans le code de la santé publique. Il y a là un vrai paradoxe.
L'aide à mourir n'est pas de l'ordre du soin ; elle relève d'un autre registre. Avec la codification, une ligne rouge est franchie. Il faut assumer et dire que le suicide assisté et l'euthanasie seront désormais dans le code de la santé publique en France.
Seules sont indignes une fin de vie dans la solitude, l'absence ou l'insuffisance de prise en charge médicale, sociale et solidaire de la souffrance, et les réponses inappropriées à une demande ou à un signal de détresse.
Dans le mouvement féministe, on a l'habitude de dire que notre corps nous appartient et que précisément, on perd notre dignité à partir du moment où il ne nous appartient plus. Tel est exactement l'objet de la loi : affirmer que notre corps nous appartient, à chaque instant et jusqu'à la fin.
Hier nous avons très longuement parlé de codification. M. Bazin et M. Hetzel nous ont enjoint de respecter les préconisations du Conseil d'État. Or la codification est précisément un des points sur lequel le Conseil d'État nous a interpellés.
On ne peut pas nous taxer d'hypocrisie et nous reprocher de ne pas utiliser les bons mots, d'un côté, et de l'autre, contester la nécessité de codifier ce qui figure dans la loi.
Le code de la santé publique reconnaît déjà le droit d'avoir une fin de vie digne. L'objet du projet de loi est précisément de garantir le droit de mourir dans la dignité par le biais de différentes modalités, dont l'aide à mourir. Donc soyons cohérents ! Inscrivons le droit à l'aide à mourir dans le code de la santé publique par extension du droit d'avoir une fin digne.
Pour que les autres textes soient conformes à la loi que nous voulons voir adoptée, la codification s'impose.
La commission adopte l'amendement.
La réunion est suspendue de onze heures dix à onze heures vingt-cinq.
Chapitre II Conditions d'accès
Article 6 : Conditions d'accès de l'aide à mourir
Amendements de suppression CS40 de Mme Emmanuelle Ménard, C189 de M. Philippe Juvin, C712 de Mme Annie Genevard et CS1310 de M. Jocelyn Dessigny
L'article 6 définit les conditions d'accès à l'aide à mourir, c'est-à-dire au suicide assisté ou à l'euthanasie. J'en demande la suppression, après celle de l'article 5, car il pose plusieurs problèmes.
Le premier d'entre eux concerne les conditions posées à l'acte létal, et en premier lieu l'âge. La limite de 18 ans me semble problématique puisqu'elle est une porte ouverte évidente à l'euthanasie ou au suicide assisté des mineurs. Rien ne sera plus facile que de voter plus tard un amendement – il y en a déjà dans la suite de la discussion – proposant l'accès à l'aide à mourir à partir de 10, 12 ou 15 ans, voire sans aucune limite d'âge.
Le second problème a trait au pronostic vital à moyen terme qui est impossible à établir précisément médicalement.
Les critères stricts que vous mettez en avant ne le sont pas. J'essaierai de le démontrer dans les futurs amendements.
Je me suis opposée à l'article 5, qui est l'article principiel de la loi autorisant l'euthanasie et le suicide assisté. Par conséquent, il y a une logique à s'opposer et à demander la suppression de l'article 6 qui en fixe les modalités.
Mon attention et mon opposition se portent plus particulièrement sur la délivrance d'un produit létal à un patient dont le pronostic vital est engagé à moyen terme ; sur les patients présentant une souffrance psychologique ; sur la volonté libre et éclairée, dont on a vu dans les débats ce matin qu'elle pouvait être entravée, notamment par l'emprise ou l'abus de faiblesse.
Bien qu'il ait été longuement préparé en amont, le texte a manifestement été présenté dans la précipitation. Nous ne savons toujours pas ce que vous entendez par moyen terme ni de quelle manière vous comptez administrer la dose létale.
Dans ces conditions, nous ne pouvons pas voter un texte qui va si profondément modifier la société, d'autant plus que le développement des centres de soins palliatifs ne sera pas aussi massif que ce que vous aviez annoncé initialement puisque vous préférez développer des maisons d'accompagnement dans lesquelles l'administration de la dose létale pourra être pratiquée. Ce n'est pas du tout la même chose.
Avis défavorable évidemment. L'article 6 forme avec l'article 5 la pierre angulaire du projet de loi.
Il précise les différentes conditions, qui ont été strictement définies, pour accéder à l'aide à mourir. Celle-ci sera ainsi réservée aux personnes âgées de plus de 18 ans, âge de la pleine capacité juridique. Le Conseil d'État a considéré que cette exclusion des mineurs ne méconnaît aucun principe constitutionnel, ni aucun principe conventionnel.
La personne devra être de nationalité française ou résider de manière stable et régulière en France.
Elle devra être atteinte d'une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme. Nous aurons l'occasion de revenir sur cette condition compte tenu des questions qu'elle soulève.
La personne doit présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable lorsque la personne ne reçoit pas ou a choisi d'arrêter de recevoir des traitements.
La personne doit être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée.
J'ajoute que les critères sont cumulatifs. C'est une différence importante avec la loi Claeys-Leonetti dans l'appréciation de la fin de vie et de l'engagement du pronostic vital, lequel dépend de la pathologie, de l'état de santé général du patient et de l'observance du traitement.
La mention d'un engagement du pronostic vital à court ou moyen terme reprend l'avis du Comité consultatif national d'éthique et le souhait des membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie.
Les critères tenant aux souffrances physiques ou psychologiques liées à l'affection caractérisent la situation dans laquelle une personne peut demander l'aide à mourir. La personne doit également présenter une souffrance réfractaire ou insupportable, ce qui englobe toutes les souffrances que peuvent ressentir des personnes en fin de vie sans perspective d'amélioration de leur situation. Ce dernier élément est vraiment très important.
L'aide à mourir est une réponse nécessaire à un besoin d'accompagnement des souffrances inapaisables. C'est la raison pour laquelle je suis défavorable aux amendements.
Je m'adresse aux députés du Rassemblement National et des Républicains qui ont déposé les amendements : vous exprimez votre opposition à cette ultime liberté. Vous avez le droit de le faire pour vous-mêmes au nom de vos convictions spirituelles ou religieuses, mais ne vous opposez pas à cette liberté pour ceux qui souhaitent en user.
Plus de 88 % de la population est favorable à l'aide à mourir. Écoutez les citoyens et les citoyennes qui souhaitent avoir le choix d'abréger leurs souffrances quand elles sont insupportables ; le choix d'avoir droit à une mort digne quand ils estiment que les conditions de leur vie ne le sont plus. C'est une question essentielle.
Je l'ai dit hier, mon corps, ma vie, ma mort m'appartiennent. Le débat est proche de celui sur le droit à l'avortement. On peut ne pas vouloir y recourir pour soi-même pour des raisons spirituelles mais on ne peut pas s'opposer à ce que d'autres puissent en faire usage. L'aide à mourir est bien encadrée, les conditions posées sont d'ailleurs trop strictes selon moi.
Je rappelle à toutes et tous ici que le spirituel doit être laissé aux portes du Palais Bourbon. Nous sommes dans une république laïque. Chacun doit se souvenir qu'il est le représentant de toute sa circonscription et de tous les Français.
S'agissant de l'article 6, nous voterons évidemment contre ces amendements de suppression. Nous sommes favorables au texte et à une discussion sur les conditions d'accès à l'aide à mourir. Il y a désormais une option supplémentaire pour choisir la fin de sa vie ou pour mourir.
Les conditions posées dans l'article 6 assurent que la décision est prise en pleine conscience, de manière individuelle et sans contrainte.
Il n'y a pas de principe supérieur à la liberté sans contrainte et dans un corps qui nous appartient de prendre la décision de mettre fin à sa vie d'une manière ou d'une autre. Notre travail consiste à définir les conditions dans lesquelles la liberté peut s'exprimer. Vous cherchez à imposer des principes moraux à des personnes en fin de vie. Vous les empêchez de vivre leur vie jusqu'au bout comme elles le souhaitent. Nous sommes ici, au contraire, pour leur permettre de le faire.
Ces amendements de suppression sont cohérents avec les positions défendues par leurs auteurs jusqu'à présent. En cohérence, le groupe socialiste votera évidemment contre ces amendements puisque l'article 6 s'inscrit dans la continuité de l'article 5. Après avoir défini l'aide à mourir, il convient d'en préciser les conditions.
Je suis contre les amendements de suppression. Il est indispensable de pouvoir faire preuve de compassion dans les cas dans lesquels la science montre ses limites.
Je souhaite que l'aide à mourir relève d'une approche compassionnelle et reste exceptionnelle – je proposerai un amendement en ce sens. Elle doit être réservée aux personnes qui sont réfractaires aux traitements et qui endurent des souffrances physiques ou psychologiques.
Rappelons les mots de Jacques Ricot : « l'euthanasie ne complète pas les soins palliatifs, elle les interrompt ; elle ne couronne pas l'accompagnement, elle le stoppe ; elle ne soulage pas le patient, elle l'élimine ».
Pourquoi la solution à la souffrance doit-elle passer par la mort ? En quoi la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté fera-t-elle reculer le « mal mourir » ? Pense-t-on aux conséquences pour les proches ? La personne âgée se sent inutile dans notre société qui voue un culte à la performance. Dépendante, lente, non productive, elle entend les signaux du corps social qui cherche à l'évacuer jusqu'à la mort sociale. Est-ce cela la réponse que le projet de loi entend leur apporter : un protocole de mort programmée ?
Parmi les membres de la convention citoyenne sur la fin de vie, 76 % se sont prononcés en faveur de l'évolution de la législation en la matière. Dans tous les sondages, une très grande majorité des Français le souhaite également. Il est de notre devoir d'en débattre, raison pour laquelle les amendements de suppression doivent être rejetés. Faisons ce que nos concitoyens demandent aux parlementaires que nous sommes de faire.
Pourquoi la majorité de nos compatriotes est-elle favorable à une évolution de la législation, selon les sondages du moins ? Parce que la législation actuelle n'est pas appliquée et parce que nombre d'entre eux n'ont pas accès aux soins palliatifs.
La vraie liberté, le vrai droit s'attache non pas à la fin de la vie, mais à l'éradication de la douleur et de la souffrance. C'est ce que demandent la majorité de nos concitoyens. Malheureusement, le retard de notre pays en la matière est criant ; l'accès aux soins palliatifs n'est pas assuré pour l'ensemble des citoyens. Faute de solutions pour gérer leur souffrance, les citoyens se tournent vers des options plus radicales, mais quand leur souffrance est traitée, ils renoncent à l'euthanasie.
Appliquons d'abord la législation et résolvons les difficultés structurelles d'accès aux soins palliatifs avant d'aller encore plus loin !
On a souvent reproché à la loi d'être bavarde. L'article 6 a le mérite d'être précis dans la définition des conditions d'accès, donc de bien encadrer l'aide à mourir.
Contrairement à ce qui a été dit et répété dans les médias, le texte n'ouvre pas l'aide à mourir aux mineurs. Ensuite, il crée un nouveau droit qui n'enlève rien aux autres. Enfin, il nous faudra revenir sur la notion de moyen terme s'agissant du pronostic vital.
Ces amendements de suppression sont irresponsables.
L'article 6 est particulièrement clair. Il permet de définir un nouveau droit. Je suis en désaccord avec M. Odoul : les lois Leonetti et Claeys-Leonetti sont adaptées à une prise en charge de fin de vie à court terme par le biais d'une sédation profonde et continue. Le projet de loi crée un nouveau droit pour les personnes qui ne répondent aux critères de la loi Claeys-Leonetti mais qui remplissent des conditions très précises : une volonté libre et éclairée ; un pronostic vital engagé à court et moyen terme ; une douleur non contrôlée. Nous sommes là aujourd'hui pour ces malades ; il ne faut pas les oublier.
Le titre Ier, qui permet d'améliorer l'accès aux soins palliatifs, et le titre II relatif à l'aide à mourir ne sont pas antinomiques mais complémentaires.
La commission rejette les amendements.
Amendements CS1961 de Mme Laurence Maillart-Méhaignerie et CS1738 de M. Nicolas Turquois (discussion commune)
Compte tenu de l'importance du sujet, il est souhaitable d'inscrire les dispositions dans le code de la santé publique.
Ayant une préférence pour l'amendement de Mme la rapporteure, j'invite M. Turquois à retirer le sien.
L'amendement CS1738 est retiré.
La commission adopte l'amendement CS1961.
Amendements CS632 de Mme Christine Loir, CS1674 de M. Christophe Bentz, CS722 de M. Charles de Courson, CS856 de M. Julien Odoul, CS130 de Mme Marie-France Lorho, CS266 de Mme Sandrine Dogor-Such, CS1808 de M. Christophe Bentz (discussion commune)
Il s'agit d'appeler les choses par leur nom. Il est proposé de remplacer l'expression « aide à mourir » par celle d'« assistance au suicide avec exception d'euthanasie ».
Ce n'est pas en supprimant les mots que vous supprimerez la violence de l'acte que vous voulez légaliser. Vous oubliez que les demandes d'euthanasie sont, en réalité, des appels à l'aide. C'est une demande de soins et d'accompagnement qui s'exprime. Ces personnes ont besoin de notre soutien inconditionnel.
Les actes que vous souhaitez légaliser sont incompatibles avec les soins palliatifs. Dans les pays où l'euthanasie est légalisée, les soins palliatifs sont systématiquement marginalisés. Je réitère donc ma question : en quoi la légalisation de l'euthanasie fera-t-elle reculer le « mal mourir » ?
La commission rejette successivement les amendements.
Suivant l'avis de la rapporteure, elle rejette successivement les amendements CS330 et CS276 de Mme Sandrine Dogor-Such ainsi que les amendements identiques CS857 de M. Julien Odoul et CS1355 de Mme Maud Petit.
Amendement CS1340 de Mme Julie Laernoes
Par cet amendement d'appel, je souhaite ouvrir le débat sur l'autorisation de l'aide active à mourir pour les mineurs.
La souffrance d'un patient mineur vaut celle d'un patient majeur. C'est pourquoi il est important de débattre et d'envisager les éventuelles procédures spécifiques qui pourraient être mises en place pour les mineurs.
Deux pays ont instauré un protocole médical éthique d'aide à mourir pour les mineurs : la Belgique depuis 2014, en posant des conditions supplémentaires – l'accord des représentants légaux, l'actualité de la demande, l'exclusion de la seule souffrance psychique résultant d'une affection psychiatrique. À ce jour, seules les demandes d'aide à mourir de quatre mineurs ont obtenu le consentement médical. Ces quatre cas sont connus, recensés, documentés et ont été contrôlés.
Les Pays-Bas permettent l'euthanasie des mineurs dès 12 ans. En dessous de cet âge, l'euthanasie est illégale. À partir de 12 ans, les critères appliqués sont les mêmes que pour les personnes majeures mais une condition supplémentaire est posée : le consentement des parents. Moins de dix cas d'euthanasie des mineurs ont été recensés depuis 2002 ; là aussi, ils sont connus, documentés et contrôlés.
Au sein de la convention citoyenne sur la fin de vie, plus de la moitié des membres s'étaient prononcés en faveur de l'ouverture de l'aide à mourir aux mineurs.
Il me semble important d'engager le débat. Dès lors qu'on reconnaît aux majeurs le droit de mettre fin à ses souffrances lorsqu'on est atteint d'une maladie incurable, pourquoi ne pas l'étendre aux mineurs ?
C'est important que ce débat ait lieu, et je vais prendre quelques minutes pour vous expliquer pourquoi ce texte exclut les mineurs, y compris les mineurs émancipés. Cette exclusion s'explique tout d'abord par des considérations éthiques. Le discernement d'un enfant progresse avec son âge. La faculté d'expression d'une volonté libre et éclairée, condition centrale dans l'accès à l'aide à mourir, suppose une maturité et un discernement plein et entier. L'ouverture de l'aide à mourir aux mineurs impliquerait nécessairement l'accord des parents, titulaires de l'autorité parentale, dont la position peut être délicate et discutable dans cette prise de décision qui doit rester un choix individuel.
L'exclusion des mineurs du dispositif d'aide à mourir repose également sur des raisons médicales. Les traitements destinés aux jeunes patients sont de plus en plus prometteurs, comme en oncologie où le taux de rémission est considérablement plus élevé chez les jeunes.
Le projet de loi prévoit donc de s'en tenir à la seule barrière juridique incontestable, qui est celle de la majorité, l'âge de la responsabilité pleine et entière du patient citoyen.
Avis défavorable.
Aux considérations éthiques et médicales de Mme la rapporteure, que je partage, j'ajoute que l'exclusion du mineur de la prise en charge des frais liés à l'aide active à mourir serait de nature à créer une rupture d'égalité entre les personnes majeures et mineures.
Avis défavorable.
Je vous remercie, madame Laernoes, d'ouvrir ce débat, alors que les autres amendements relatifs à ce sujet ont été jugés irrecevables. Madame la ministre, madame la rapporteure, vous opposez des arguments juridiques à l'ouverture de l'aide à mourir aux mineurs. Or notre loi reconnaît deux barrières d'âge. À 16 ans, un mineur peut être émancipé. Dès lors que l'on reconnaît qu'un mineur de 16 ans peut s'affranchir de l'autorité parentale pour vivre sa vie en toute autonomie, il me paraît d'ores et déjà possible qu'il puisse bénéficier de l'aide à mourir, sans accord parental. À 13 ans, on reconnaît la responsabilité juridique – demeure la question de l'autorité parentale. Les adolescents atteints d'une maladie grave incurable acquièrent une maturité et une lucidité qui ne sont pas celles des adolescents de leur âge, ainsi qu'une vision de la mort différente de celle des adultes.
Nous abordons là un sujet très grave : l'euthanasie des mineurs, des enfants. Cet amendement a au moins un mérite, celui de révéler ce qui risque de nous arriver dans les années à venir si nous votons le texte. Il y a un effet cliquet. Franchissons une étape – ce terme a été prononcé par Jean-François Delfraissy lors de son audition – et tous les garde-fous finiront par sauter. Il suffit de prendre l'exemple belge, qui a vingt-deux ans de recul. Quasiment tous les garde-fous inscrits dans la loi initiale ont sauté.
Nous changeons en effet de paradigme. J'ai la grande crainte qu'en se plaçant du point de l'individu et de sa liberté individuelle, nous n'ouvrions la porte à des revendications individuelles et non à une protection collective. Veillons à ce que les verrous que nous nous attachons à poser ne sautent pas. Ayons conscience que nous ouvrons un droit qui modifie profondément le sens que nous donnons à l'accompagnement des personnes plus vulnérables.
L'amendement supprime en réalité toute limite d'âge, ce qui rendrait l'aide à mourir possible dès la naissance. Aux Pays-Bas, que vous citez en exemple, deux catégories d'âge ont été définies : les personnes entre 12 et 16 ans et celles de plus de 16 ans. En imposant d'obtenir le consentement des parents, si l'enfant a deux parents, que se passe-t-il si l'un est pour et l'autre contre ? On ne peut pas mettre le doigt là-dedans. Si le texte est voté, il se passera ce qui s'est passé dans la plupart des autres pays : une dérive. On a bien vu tout à l'heure à quelles dérives avaient conduit les directives anticipées, avec lesquelles certains tentaient de contourner les fameux critères de l'article 6.
Je remercie à mon tour Mme Laernoes d'avoir ouvert ce débat. Je dois avouer que, au début des auditions, j'étais totalement opposée à cette possibilité. Puis l'écoute et la lecture de témoignages m'ont fait évoluer dans ma réflexion. C'est un sujet extrêmement délicat. Je ressens le besoin d'avoir encore du temps pour réfléchir avant de pouvoir voter. Je ne me retrouve pas derrière la personnalité juridique à 13 ans. En revanche, la majorité sexuelle est à 15 ans – ce pourrait être un élément du débat. On met en place l'aide à mourir parce que l'on estime que l'on n'a pas à condamner une personne à des souffrances insupportables. Doit-on condamner à ces souffrances insupportables un jeune sous prétexte qu'il a moins de 18 ans ? J'invite tout le monde à prolonger cette réflexion mais je ne pourrai pas, en l'état, voter cet amendement.
Je suis également encore en cheminement, un cheminement auquel nous invite l'amendement. Les membres de la Convention citoyenne ont dit que ce sujet représentait un si grand chantier qu'ils avaient préféré se concentrer sur les majeurs, pour pouvoir bien travailler. Ils ont senti en eux quasiment des interdits, rien qu'en commençant à y penser. Le législateur ne peut pas s'autoriser ces interdits. En revanche, nous pouvons prévoir de réfléchir sur cette question, même si, admettons-le tous, elle fait partie des sujets sur lesquels on aimerait ne pas avoir à travailler. Notre subjectivité emporte presque tout le reste.
Vouloir légaliser l'euthanasie ou le suicide assisté pour les mineurs serait une dérive terrible, pour plusieurs raisons. D'une part, l'euthanasie et le suicide assisté rompent, quoi qu'on en dise, avec le principe selon lequel la médecine protège la vie et doit accompagner les malades jusqu'au terme de celle-ci, sans provoquer la mort. D'autre part, même si j'entends les arguments disant que la maladie fait mûrir plus vite, le consentement du mineur ne peut pas être parfaitement libre et éclairé, du fait du jeune âge et du manque de maturité. Enfin, associer les parents à l'euthanasie ou au suicide assisté de leur enfant pourrait être extrêmement traumatisant et laisser des traces insupportables dans leur vie.
J'aimerais vous alerter, à mon tour, sur les conséquences psychologiques que pourrait créer l'ouverture de l'euthanasie aux mineurs. Chaque année, en France, 10 000 adolescents se suicident ; un adolescent sur sept, selon une enquête nationale, présente de graves risques de dépression. Tout cela a été amplifié par la crise sanitaire et le confinement. Notre jeunesse est de plus en plus exposée à la dépression et aux troubles psychiques et psychologiques. Ouvrir le droit à l'euthanasie aux mineurs, leur donner cette perspective morbide, aurait des conséquences gravissimes au regard des suicides.
Cette question est importante. Même si elle est encore plus taboue que la fin de vie des majeurs, chacun se l'est posée. Est-ce qu'à 15, 16 ou 17 ans un mineur qui souffre a moins le droit de demander l'aide à mourir qu'un majeur ? Est-ce que l'âge de 18 ans a l'importance que certains souhaiteraient lui donner ? Pour ma part, si je ne suis pas prête à franchir ce pas, c'est parce que je pense que la société française est enfin prête à admettre le débat sur l'aide à mourir, mais qu'elle ne l'est pas concernant les mineurs. J'aurais bien trop peur qu'en votant un tel amendement on fasse tout capoter. La législation est faite pour évoluer. Si l'on parvient à voter cette aide à mourir, dans les années qui viennent, nous aurons l'occasion d'y revenir. Certains cas nous obligeront à nous reposer la question.
Je ne voterai pas cet amendement, qui ne définit pas d'âge minimum. Néanmoins, il faut entendre la situation des mineurs qui n'atteindront pas la majorité. On pourrait se dire que l'âge n'est qu'un continuum rompu administrativement par la reconnaissance de certains droits. Il n'empêche que c'est ainsi que l'on considère la démographie du pays : des gens obtiennent des droits à différents âges. Dans la salle, certains souhaitent envoyer des jeunes en prison dès 13 ans – je ne me reconnais pas dans cette borne. Il existe déjà des âges associés au droit de choisir : à 16 ans, vous pouvez être administrateur d'une association, faire un testament, demander votre émancipation et faire certains choix médicaux. Cette borne d'âge justifierait, dans l'état du droit, que l'on y fonde notre réflexion.
Compte tenu de la sensibilité du sujet, vous comprendrez que je m'exprime en mon nom personnel. Comme beaucoup de ceux et celles qui ont pris la parole avant moi, je ne voterai pas cet amendement, tout simplement parce que je ne sais pas. Le sujet est tellement sensible qu'il nécessite un temps de réflexion et beaucoup d'échanges entre nous, ce qui n'a pas été le cas jusqu'à présent dans les différentes propositions de loi. Je remercie ma collègue de l'avoir mis sur la table, car c'est l'une des premières fois que nous abordons ce sujet qui mérite réflexion. Mais il est beaucoup trop tôt, à mon sens, pour voter un tel amendement.
Je remercie ma collègue de nous avoir soumis ce sujet. Effectivement, on ne veut pas se poser cette question, parce que c'est un drame d'avoir à la penser. Monsieur Odoul, les troubles psychiatriques n'entrent pas dans les critères d'accès à l'aide à mourir. Il est évident que, dans le cas d'un cancer avec des douleurs terribles, quoi qu'il en soit, c'est un drame pour les familles. Laisser et voir son enfant souffrir est un drame. On ne peut pas balayer cette question parce qu'elle nous est difficile.
C'est l'un des aspects les plus troublants de notre débat que d'imaginer pouvoir administrer la mort à un enfant. Je rappelle que cette question a été tranchée dans certains pays. Aux Pays-Bas, depuis le 14 avril 2023, la mort est autorisée pour les enfants de moins de 12 ans. Cela pose la question du recul des bornes encadrant la loi. Depuis le début du débat, on ne cesse de nous dire que le texte est très cadré. Mais, dès la première audition, des collègues sont intervenus pour demander l'élargissement de la loi, par exemple aux personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, qui altère le jugement sans engager le pronostic vital. Le professeur Delfraissy lui-même a dit que cette loi n'était qu'une étape avant d'autres. Nous n'avons pas encore voté la loi que nous posons déjà les bases de son élargissement, ce qui ne peut que redoubler nos inquiétudes. Je suis fondamentalement hostile à cet amendement.
Je ne crois pas que M. Delfraissy ait dit tout à fait cela, si ma mémoire ne me fait pas défaut.
Je remercie, à mon tour, ma collègue d'avoir posé la question de l'accès aux mineurs de l'aide active à mourir. Cet amendement pose la question du statut de l'enfant et du mineur. Est-il un sujet de droit ? Son corps lui appartient-il ? Peut-il être représenté en justice ? C'est une question qui est bien plus large que le seul sujet de cet accès : à quel moment un enfant devient-il un sujet autonome, capable de choisir et d'être acteur de sa propre destinée ? Cette loi ouvre un champ de libertés nouvelles que, pour l'instant, il faut borner. Je pense que cette ouverture sera une étape, que lorsque nous serons face aux souffrances insurmontables d'enfants qui réclameront cette aide, nous serons obligés de nous confronter tôt ou tard à cette question. Mais, pour l'instant, il est trop tôt.
Il existe des cas où la souffrance des mineurs est insupportable et où les parents se retrouvent démunis. Mais, comme beaucoup de nos collègues, je pense que cet élargissement n'a pas été envisagé. Il a été très peu abordé au cours de nos auditions. Parmi les membres de la Convention citoyenne, il n'y a pas eu une forte proportion favorable à cette ouverture. À ce stade, le sujet n'est pas mûr, ni au sein de la société ni à l'Assemblée. Cela mérite davantage de réflexion. Je voterai contre l'amendement.
C'est effectivement un sujet très grave d'un point de vue éthique. D'ailleurs, ni le Comité consultatif d'éthique ni la Convention citoyenne n'ont voulu ouvrir cette porte. Je souscris pleinement aux arguments de la rapporteure et du Gouvernement. Je pense aussi, à titre personnel, aux répercussions sur la famille, notamment sur les frères et sœurs. L'âge de 18 ans est la borne nécessaire.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CS1997 de Mme Laurence Maillart-Méhaignerie
Pour ouvrir le débat, j'ai repris cet amendement de Mme Faucillon, irrecevable au titre de l'article 40. J'y suis défavorable.
Je suis également défavorable à cet amendement, que je laisse Mme Faucillon présenter.
Merci, madame la rapporteure d'avoir redéposé mon amendement ! J'ai bien compris qu'il ne s'agissait pas, dans cet alinéa, d'exprimer une préférence nationale, comme c'était le cas dans la loi immigration, mais d'éviter, à l'échelle européenne, que des gens viennent en France bénéficier de l'aide à mourir. On peut néanmoins s'interroger : des Français vont en Belgique ou en Suisse ; pourquoi la réciproque ne serait-elle pas possible ? Par ailleurs, la condition de résidence stable et régulière ne couvre pas toutes les situations. Les travailleurs sans papiers qui résident sur notre territoire de façon parfois stable, qui cotisent voire surcotisent et qui paient des impôts ne pourraient pas avoir accès à l'aide. Pourriez-vous justifier cette rédaction ?
Je soutiens cet amendement, que nous avions également déposé. Nous avions également proposé des amendements de repli concernant les conventions de réciprocité avec d'autres pays ainsi que les personnes étrangères suivies en France. On ne peut pas, au moment ultime, leur dire que l'on ne peut plus rien pour elles et les renvoyer mourir chez elles. Qui plus est, cela fait des années que les Français peuvent accéder à l'aide à mourir dans d'autres pays. Une réciprocité pourrait être envisagée.
Je suis évidemment hostile à l'aide active à mourir, au suicide assisté et à l'euthanasie. C'est la raison pour laquelle je suis également hostile à ce que le dispositif puisse s'appliquer à des étrangers en situation irrégulière. Que diriez-vous si je m'opposais à l'un et pas à l'autre ? J'y suis également hostile, parce que certains pays sont devenus des destinations reconnues, notamment la Suisse, où le réseau associatif peut délivrer une mort administrée pour un coût très important. Je ne souhaite pas que la France s'illustre par cette spécialité. C'est pourquoi je pense indispensable de conserver le critère inscrit dans le texte, si d'aventure il était voté.
À la lecture, je n'avais pas bien compris pourquoi on limitait l'accès à l'aide à mourir aux citoyens français, avant de comprendre qu'il y avait une question financière, liée à la prise en charge intégrale par la sécurité sociale. On peut parfaitement décorréler la prise en charge et la condition de nationalité. Aurions-nous ce débat si les pays qui nous entourent n'avaient pas autorisé l'aide à mourir avant nous et si les Français n'avaient pas pu y recourir là-bas ? Ce sont eux qui nous permettent d'avoir ce débat et il est très important de garantir une réciprocité.
Il faudra régler le cas particulier des hôpitaux transfrontaliers. Dans le Briançonnais, un hôpital reçoit des patients français et italiens et ses médecins sont à moitié italiens et à moitié français. Nous devrons trouver une solution adaptée, parce que l'on ne peut pas considérer que, dans deux chambres contiguës, deux droits différents s'appliquent.
Notre rapporteure est assez amusante, puisqu'elle nous incite à voter contre son amendement – ce que je ferai d'ailleurs pour la satisfaire. Se pose la question de l'interprétation de l'article 40, dont l'application est à géométrie variable.
Ce n'est pas l'amendement de la rapporteure, mais un amendement qui a été redéposé dans le but d'ouvrir un débat.
Vous déposez un amendement qui est le contraire de ce que vous pensez pour faire réagir les gens !
La rapporteure a déposé des amendements pour ouvrir le débat sur différents aspects. Le critère de nationalité ou de résidence régulière sur le territoire français est un sujet sur lequel nombre d'entre nous ont déposé des amendements qui n'ont pas été jugés recevables. J'ai proposé un amendement qui ne vise pas à supprimer tout critère de nationalité mais qui puisse répondre aux cas des patients suivis en France. La loi belge permet cette ouverture, et d'avoir une réciprocité dans les territoires transfrontaliers. Les Belges voient des Français venir chez eux mais ne pourront pas recevoir chez nous les mêmes soins.
J'ai un hôpital transfrontalier dans ma circonscription. Des conventions existent. Je ne vois donc pas le souci.
Comparativement aux autres pays qui ont légalisé l'euthanasie ou le suicide assisté, votre texte est déjà l'un des plus permissifs. Il n'y a que cinq critères restrictifs et vous vous posez déjà la question de faire sauter ces cinq maigres garde-fous. Nous craignons l'effet cliquet et les risques de dérive, dans ce débat et les années à venir. Évidemment, nous voterons contre l'amendement.
S'agissant de la réciprocité entre pays, il y a quand même une différence majeure entre la France et la Suisse. Dans un cas, l'acte est remboursé et pas dans l'autre. L'alinéa vise à éviter le tourisme et que des personnes qui ne contribueraient pas à notre système bénéficient du remboursement.
Monsieur de Courson, vous connaissez suffisamment la commission des finances pour savoir que, sans intervention du rapporteur, les amendements irrecevables au titre de l'article 40 ne sont pas présentés et qu'il n'y a donc pas de débat. C'est plutôt bien pour la démocratie parlementaire que l'on puisse avoir un débat.
Sur ce sujet, je suis favorable à ce que l'on reste au texte initial. En France, l'aide à mourir sera remboursée, ce qui n'est pas le cas en Belgique ou ailleurs. En revanche, entendons ce qu'a dit Joël Giraud : il peut y avoir des conventions particulières dans des cas particuliers.
J'ai en effet repris cet amendement pour permettre un débat ; cela n'a rien à voir avec ma conviction. L'article 6 conditionne l'accès à l'aide à mourir à la nationalité française ou à une résidence stable et régulière en France du fait de la couverture des frais associés à l'aide à mourir par l'assurance maladie, prévue à l'article 19. Les citoyens étrangers pourront demander à bénéficier d'une aide à mourir, sous réserve de résider en France de façon stable et régulière. Cette expression est notamment utilisée à l'article L. 111-11 du code de la sécurité sociale. Ces deux critères feront l'objet d'une vérification par le médecin sur la base de pièces justificatives, précisées par voie réglementaire et versées dans le système d'information.
Quant au sujet transfrontalier, qui était apparu lors de nos auditions, nous pourrons trouver une solution ensemble.
Le Conseil d'État a considéré que les conditions de nationalité et de résidence ne méconnaissent aucun principe constitutionnel ni conventionnel. Ces conditions de nationalité et de résidence sont importantes, en ce qu'elles permettent de garantir que l'aide à mourir n'est pas un acte isolé. Elle s'inscrit dans un parcours global. La personne concernée est suivie, depuis longtemps parfois. Ce n'est pas quelqu'un qui arrive du jour au lendemain. L'instauration de cette condition repose aussi sur l'idée que le professionnel de santé qui va accompagner la personne malade la connaît pour l'avoir suivie. C'est dans cette logique que nous avons voulu éviter une sorte de tourisme – le mot est exagéré. Beaucoup d'États qui ont légalisé une forme d'aide à mourir ont introduit cette clause de nationalité ou de résidence, plus ou moins longue, comme l'Espagne, l'Autriche ou le Portugal, l'Oregon, l'Australie ou la Nouvelle-Zélande.
J'entends vos propos sur la réciprocité avec la Suisse ou la Belgique. Selon les chiffres de 2023, les Français représentaient 101 non-résidents sur 110 en Belgique. En Suisse, en dépit de l'absence de centralisation des statistiques, selon l'association Dignitas, il y avait 50 Français sur les 250 non-résidents.
Enfin, en ce qui concerne le sujet évoqué par M. Giraud, des accords bilatéraux – ce n'est d'ailleurs pas le seul domaine dans lequel nous en avons besoin – pourront préciser la situation de patients soignés dans des hôpitaux transfrontaliers.
Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Amendements identiques CS42 de Mme Emmanuelle Ménard, CS131 de Mme Marie-France Lorho, CS190 de M. Philippe Juvin et CS996 de Mme Frédérique Meunier
Je propose de supprimer la mention « ou résider de façon stable et régulière en France ». Injecter une dose létale à un malade en fin de vie n'a rien d'anodin ; les conditions qui encadrent ce nouveau droit doivent donc être très précises. Or le critère du caractère stable de la résidence n'est pas très précis, car il peut donner lieu à de nombreuses interprétations. Par ailleurs, si le caractère stable était supprimé, la condition de régularité ne serait plus nécessaire non plus puisqu'elle est liée à la stabilité du séjour de la personne et non à la nationalité française.
En conditionnant le recours à l'aide à mourir à des personnes résidant de façon stable et régulière en France, le législateur favorise la création d'un eldorado de l'assistance au suicide. Devrons-nous demain recevoir des ressortissants d'autres pays souhaitant se faire donner la mort au seul prétexte qu'ils peuvent démontrer qu'ils résident de façon stable ou régulière en France ? N'est-ce pas là privilégier les personnes socialement favorisées, disposant par exemple d'une résidence secondaire en France ?
Par ailleurs, le législateur se doit d'officier dans la seule perspective de la cité qu'il administre. C'est le sens de cet amendement qui prive les personnes résidant de façon stable et régulière en France de la faculté de recourir à cette manière de mourir.
L'amendement de notre collègue Philippe Juvin vise à supprimer la condition de résidence stable et régulière pour un étranger qui voudrait bénéficier de l'aide active à mourir, du suicide assisté ou de l'euthanasie. Cette possibilité ne serait réservée qu'aux seuls nationaux français. L'objectif est d'éviter que la France ne se substitue à la Belgique ou à la Suisse. Nous ne cherchons pas à faire la promotion de cette aide active à mourir, d'autant que nous y sommes opposés.
Ce droit nouveau que vous souhaitez créer, faut-il l'accorder à des personnes résidant de façon stable et régulière en France ? D'ailleurs, on ne comprend pas qui sont ces personnes : s'agit-il de personnes disposant d'une résidence secondaire en France ou bien de personnes résidant en France depuis un ou deux ans ?
Avis défavorable, car ce serait une façon d'instaurer une forme de préférence nationale dans un dispositif créant un accès universel à un droit. Au nom de quoi pourrait-on refuser l'accès à l'aide à mourir à des personnes ayant des attaches solides et régulières en France ? Le faire au seul motif de leur nationalité serait contraire à nos principes.
Le code de la sécurité sociale fixe de façon habituelle des conditions de stabilité nécessitant six mois de présence par an dans notre pays. La disposition proposée renvoie donc à des règles qui existent déjà.
Je m'opposerai à ces amendements, car il est à peu près certain qu'ils seraient considérés comme discriminatoires au sens de la Convention européenne des droits de l'homme. Par ailleurs, il serait incompréhensible de refuser ce droit à des personnes d'origine sénégalaise, turque ou portugaise vivant depuis des décennies en France alors qu'elles ont payé leurs impôts et cotisé à la sécurité sociale. Je ne fais pas de procès aux personnes qui ont déposé ces amendements ; je pense que c'est simplement l'expression de leur hostilité au texte.
D'un point de vue philosophique, ces amendements sont contestables. Certains de nos collègues estiment en effet que des gens doivent être obligés de souffrir parce qu'ils ne sont pas Français, alors qu'ils vivent, travaillent et payent leurs impôts ici et qu'ils partagent notre destin commun.
D'un point de vue juridique, ces amendements sont absurdes. Vous prétendez qu'on ne sait pas ce qu'est une résidence stable. Le code de l'action sociale et des familles, lui, le sait : son article R. 245-1 précise qu'il s'agit d'une personne résidant en France et qui ne séjourne pas à l'étranger plus de trois mois par an.
Vous affirmez également que lorsqu'un séjour n'est pas stable, il n'est plus régulier. Là encore, vous vous trompez : le critère de la régularité, purement administratif, concerne le titre de séjour et non la régularité dans le temps. Sur tous les points – philosophiques administratifs et juridiques –, vous avez réussi à faire 100 % d'erreurs ; j'espère donc qu'il y aura 100 % de rejet.
Si j'ai bien compris, ces soins sont pris en charge à 100 % par l'assurance maladie. Pour ceux qui résident de façon stable et régulière en France, il me semble qu'il y a deux cas de figure : les assurés sociaux, qui payent des cotisations – il est donc normal qu'ils bénéficient de ce droit – et ceux qui, n'étant pas assurés, ne bénéficient pas de la couverture d'assurance maladie. Qu'en est-il pour ces derniers ?
Le texte prévoit qu'il faut avoir la nationalité française ou résider en France de façon stable, c'est-à-dire au moins six mois par an. Cela permet de tordre le cou à l'argument selon lequel cela créerait des filières d'immigration dans notre territoire pour bénéficier de ce droit. Je suis d'ailleurs assez choqué de lire, dans les exposés sommaires des amendements, des formulations telles que « risques de tourisme international sur la mort », qui ne sont pas de nature à apporter de la sérénité au débat.
La commission rejette les amendements.
Amendement CS1339 de Mme Julie Laernoes
Il s'agit, en s'inspirant de la législation belge, d'ouvrir ce droit aux transfrontaliers suivis de manière régulière par un médecin en France. Je ne pense pas que l'on puisse l'ouvrir à une personne n'ayant aucun lien avec le pays.
Avis défavorable, car cette précision n'est pas nécessaire. Les critères de nationalité ou de résidence établis dans le projet de loi permettent d'ores et déjà de garantir un suivi régulier de l'assuré par le corps médical en France : l'aide à mourir ne peut pas être un acte isolé.
Avis défavorable, car cela ne peut pas être un acte isolé. Une personne qui viendrait de manière ponctuelle ne justifie pas de six mois de résidence et ne cotise pas : elle ne peut donc bénéficier d'une prise en charge.
La commission rejette l'amendement.
Amendement CS1383 de Mme Maud Petit
La notion de résidence stable et régulière en France me semble floue – j'ai entendu des durées allant d'un mois à six mois. Mon amendement vise donc à fixer une durée de trois mois, qui correspond à celle qui est nécessaire pour bénéficier de certaines allocations, mais mon objectif est surtout d'obtenir des éclaircissements sur cette notion de résidence stable et régulière.
Demande de retrait, car votre amendement est satisfait. Toute personne arrivant en France connaît une carence de trois mois ; ensuite, la prise en charge ne peut commencer qu'après un délai de six mois de résidence.
Je tiens à récuser l'utilisation par la rapporteure du terme « préférence nationale » pour qualifier nos amendements : ils ne relèvent absolument pas de cette idéologie.
Quant à l'amendement de Mme Petit, j'y suis absolument défavorable. Obliger une personne à résider au moins trois mois en France avant de pouvoir se faire administrer une dose létale n'est pas faire preuve d'humanité. S'agissant d'une démarche infiniment lourde de conséquences, cela reviendrait, non pas à lui octroyer un droit, mais à lui infliger une peine supplémentaire.
L'amendement est retiré.
Amendement CS814 de M. Jean-Pierre Pont, amendements identiques CS1036 de Mme Frédérique Meunier et CS1251 de M. Joël Giraud, amendements identiques CS659 de M. Stéphane Delautrette et CS1558 de Mme Anne-Laurence Petel, amendement CS374 de M. Patrick Hetzel (discussion commune)
Le texte vise les affections graves et incurables. Or certaines maladies graves, comme le cancer, sont fort heureusement curables. Je propose donc de retenir la formulation « affection grave arrivée à un stade incurable ».
Nombre de médecins affirment qu'il est très difficile de définir ce qu'est un « pronostic vital à court ou moyen terme ». Je propose de remplacer ces mots par « quelle qu'en soit la cause, en phase avancée ou terminale ». Cela permettrait au corps médical d'être plus serein et plus efficace dans ses diagnostics.
En clarifiant les conditions d'accès à l'aide à mourir, ces amendements permettraient aux personnes atteintes de maladies neurodégénératives de bénéficier de cette aide sans être entravées par la nécessité d'un pronostic à court terme. Celles qui font le voyage vers la Suisse ou la Belgique seraient ainsi traitées humainement dans le territoire national, ce qui serait un véritable acte d'amour.
Outre la difficulté d'établir ce qu'est le « court et moyen terme », cette terminologie écarte du dispositif de l'aide à mourir certaines affections alors que les patients concernés pourraient souhaiter y recourir.
Nous proposons de remplacer « pronostic vital à court ou moyen terme » par « phase avancée ou terminale » car le moyen terme n'est pas défini par la Haute Autorité de santé, qui a été saisie par la ministre de la santé dans ce but. La formule proposée permettrait d'élargir la possibilité d'accéder à l'aide à mourir tout en préservant un cadre strict.
La mesure proposée ferait prendre énormément de risques. Si vous souhaitez ouvrir ce droit avant la phase terminale, il faudra nous expliquer comment vous le justifiez.
La réunion s'achève à douze heures cinquante-cinq.
Présences en réunion
Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, M. Hadrien Clouet, M. Paul-André Colombani, Mme Bérangère Couillard, M. Charles de Courson, Mme Laurence Cristol, Mme Geneviève Darrieussecq, Mme Christine Decodts, M. Stéphane Delautrette, M. Jocelyn Dessigny, M. Pierre Dharréville, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, Mme Elsa Faucillon, M. Emmanuel Fernandes, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Thierry Frappé, Mme Annie Genevard, M. François Gernigon, M. Joël Giraud, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, Mme Marine Hamelet, M. Patrick Hetzel, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Philippe Juvin, Mme Emeline K/Bidi, Mme Julie Laernoes, M. Gilles Le Gendre, Mme Élise Leboucher, M. Hervé de Lépinau, Mme Brigitte Liso, Mme Christine Loir, Mme Marie-France Lorho, Mme Lise Magnier, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Christophe Marion, M. Didier Martin, M. Thomas Ménagé, Mme Emmanuelle Ménard, Mme Frédérique Meunier, M. Yannick Neuder, M. Julien Odoul, Mme Anne-Laurence Petel, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, Mme Christine Pires Beaune, Mme Lisette Pollet, M. Jean-Pierre Pont, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Cécile Rilhac, M. Jean-François Rousset, M. Michel Sala, Mme Danielle Simonnet, M. Nicolas Turquois, M. David Valence, M. Philippe Vigier, M. Léo Walter
Assistaient également à la réunion. – M. Stéphane Mazars, Mme Maud Petit, M. Dominique Potier, Mme Sandrine Rousseau