Commission d'enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

Réunion du jeudi 6 juin 2024 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CNC
  • audiovisuel
  • casting
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  • intimité
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La réunion

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La séance est ouverte à quatorze heures.

La commission procède à l'audition de M. Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), M. Vincent Villette, adjoint au directeur général délégué et Mme Leslie Thomas, secrétaire générale.

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Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, du spectacle vivant, de l'audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous cherchons également à identifier les responsabilités de chacun dans ces domaines. Notre objectif est de proposer des solutions pour que chacun puisse évoluer dans ces secteurs sans craindre pour son intégrité physique et mentale. Cette audition est particulièrement attendue. Vous êtes au centre de l'industrie cinématographique par vos missions. Vous intervenez à tous les niveaux de la filière cinématographique, mais aussi dans le multimédia. Il est important de le rappeler. Vous êtes impliqués dans l'écriture, le développement, la production, l'exploitation et l'exportation des films et des projets audiovisuels. Votre audition va nous fournir de nombreux éléments et nous permettre d'approfondir les informations recueillies lors des auditions précédentes. Je vous propose de commencer par un propos liminaire, exhaustif mais succinct, afin que nous puissions ensuite vous poser les nombreuses questions que nous avons préparées.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes entendues par une commission d'enquête doivent prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Leslie Thomas ainsi que MM. Olivier Henrard et Vincent Villette prêtent successivement serment.)

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

La question de la prévention et de la lutte contre les violences concerne le cinéma, comme tous les autres secteurs de l'économie. Cependant, la notoriété des personnes impliquées dans ce domaine crée un effet de loupe. Le cinéma demeure la pratique culturelle la plus répandue parmi les Français, avec deux tiers d'entre eux fréquentant les salles chaque année, et 85 % des jeunes. Cet élément doit nous guider, car les jeunes sont particulièrement sensibles aux aspects que nous allons aborder aujourd'hui. Les conditions de production des films, le traitement des collaborateurs, ainsi que l'impact carbone, constituent désormais des critères de choix importants pour les jeunes lorsqu'ils sélectionnent un programme. Cette attention accrue envers la filière cinématographique peut parfois être perçue comme inéquitable par les milliers d'entreprises et de salariés qui travaillent de manière impeccable. Néanmoins, il est essentiel que le secteur en tienne compte, tout comme les pouvoirs publics.

L'action collective que nous, au centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), cherchons à mener doit non seulement mettre fin à certains abus, mais également viser un niveau d'ambition extrêmement élevé, transformant ainsi la filière en un modèle en la matière. Le CNC s'engage pleinement dans cette démarche. Il est important de souligner que nous avons commencé ce travail il y a cinq ans, conformément à notre rôle. Le CNC, établissement sous l'autorité directe du ministère de la culture, a pour mission d'assurer le développement économique et artistique de la filière, notamment par l'octroi de subventions. Cependant, ce rôle ne comprend pas la modification ou le contrôle du droit du travail, qui relève de l'administration du travail. Le CNC n'est pas l'inspection du travail du cinéma ; il existe une seule inspection du travail pour toutes les entreprises en France, et le cinéma ne fait pas exception. Ainsi, il est crucial de comprendre que le CNC ne dispose d'aucune prérogative en matière de droit du travail. L'aspiration que nous percevons est une aspiration à la normalisation de la situation, et non à la création de dispositifs particuliers en la matière.

Pour autant, le CNC dispose d'outils d'incitation extrêmement puissants pour influencer les comportements des entreprises et de leurs collaborateurs. Nous utilisons deux types d'outils, d'une part, les aides financières que nous attribuons. En conditionnant l'attribution de ces aides, nous avons obtenu, depuis plusieurs années, des modifications significatives dans les comportements. D'autre part, le CNC, bien qu'étant une administration de l'État, entretient des liens étroits avec tous les acteurs de la filière. Cela nous permet de jouer le rôle de maison commune du cinéma, de l'audiovisuel et du jeu vidéo, et d'être un lieu d'échange, d'orientation et de débat sur tous les sujets de la filière, y compris ceux sur lesquels nous n'avons pas nécessairement une prise directe au sens juridique. Sans nous substituer aux partenaires sociaux, qui sont les seuls responsables de la relation de travail, le CNC peut considérablement faciliter et accompagner leurs discussions, ce que nous avons effectivement fait.

Pour revenir aux mesures mises en œuvre depuis cinq ans, celles-ci se divisent en deux séries, toutes deux fondées sur le droit du travail. Comme dans tous les secteurs d'activité, les entreprises de la filière, notamment les entreprises de production, sont tenues par le code du travail de prévenir ou de mettre fin aux violences sexistes et sexuelles. L'employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir le harcèlement sexuel, y mettre un terme et le sanctionner, conformément à l'article L. 1153-5 du code du travail. Afin de renforcer l'effectivité de cette obligation préexistante, nous avons adopté deux séries de dispositions exemplaires.

Depuis le 1er janvier 2021, l'accès à l'ensemble de nos aides est conditionné au respect de l'obligation inscrite dans le code du travail par l'employeur, qu'il soit producteur, exploitant de salle ou distributeur. En anticipation de cette échéance, et malgré l'année de la covid, nous avons imposé à tous les responsables d'entreprise et mandataires sociaux du secteur de suivre une formation préventive et de lutte contre les violences sexuelles et sexistes (VSS), sous peine de perdre l'accès aux aides du CNC. À ce jour, nous avons formé 5 000 producteurs de cinéma, d'audiovisuel, de jeu vidéo et 1 200 exploitants de salle, atteignant presque 100 % de la profession. Des feuilles de présence attestent le suivi de cette formation, contrôlée lors de l'examen de chaque demande d'aide.

Pour renforcer juridiquement notre pratique de retrait des aides en cas de non-respect du droit du travail en matière de lutte contre les VSS, le gouvernement a récemment approuvé un amendement à la proposition de loi dite « cinéma » adoptée le 14 février dernier au Sénat. Cet amendement prévoit que, lorsqu'une agression sexuelle survenue lors de la production d'un film a conduit à une condamnation pénale, le CNC retire l'aide à l'entreprise de production fautive. La ministre de la culture soutient vivement cette disposition et souhaite son inscription rapide à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, si la représentation nationale le décide.

Deux étapes supplémentaires seront franchies dès cet été. Premièrement, nous imposerons la formation des équipes de tournage dans leur ensemble, sous peine de retrait de nos aides. Actuellement, seule la formation du chef d'entreprise est exigée. Pour créer des réflexes à tous les niveaux, nous imposerons cette formation à l'ensemble de l'équipe dès le début du tournage. Ainsi, nous toucherons toutes les personnes potentiellement concernées, qu'il s'agisse des réalisateurs, des comédiens ou des techniciens. La mise en œuvre effective de cette formation sera une condition d'accès aux aides du CNC. Avant le tournage, le producteur, lorsqu'il dépose sa demande de soutien, doit s'engager à mettre en œuvre la formation. Si l'exécution de cette formation n'est pas constatée, l'aide pourra être retirée.

Nous venons de terminer la concertation avec les partenaires sociaux pour définir le contenu et les modalités d'exécution de la formation. Le marché est sur le point d'être notifié, et les formations seront opérationnelles pour tous les tournages démarrant à compter du 1er septembre prochain. La conditionnalité s'appliquera dès ce moment. Cette formation, financée intégralement par l'Afdas, notre partenaire dans ce dossier, sera gratuite, tout comme celle que nous dispensons aux chefs d'entreprise depuis 2020.

La deuxième étape que nous franchirons cet été concerne spécifiquement la protection des mineurs sur les tournages, car cette question revêt une importance particulière. Actuellement, pour le travail des mineurs de moins de seize ans sur les tournages, le producteur doit obtenir une autorisation particulière de l'autorité préfectorale. Le préfet statue après consultation d'une commission présidée par un juge des enfants et composée, entre autres, d'un médecin, d'un représentant de la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS), ainsi que de la direction régionale des Affaires culturelles (Drac). Cette commission examine l'ensemble des intérêts matériels et moraux de l'enfant, y compris les conditions de respect de l'obligation de suivi scolaire. Elle ne se limite pas aux conditions de travail sur le lieu de tournage, mais adopte une approche globale. Pour renforcer encore la protection des mineurs, le 27 juin prochain, le conseil d'administration du CNC votera l'obligation de recourir à un responsable enfant sur tous les tournages comme nouvelle condition d'accès aux aides du CNC, avec effet immédiat. Dès que cette délibération deviendra exécutoire, soit un mois après le vote, la conditionnalité des aides entrera en vigueur.

Comme je le rappelais, les aides constituent un levier indirect très puissant dont dispose le CNC. Cependant, l'essentiel demeure la négociation entre les partenaires sociaux, auxquels nous ne pouvons nous substituer. Nous nous sommes néanmoins fortement engagés au CNC pour les encourager et les accompagner de notre expertise. Cela a permis, en un temps record, de trois ou quatre mois, d'aboutir le 19 mai dernier à Cannes à la signature de deux avenants à la convention collective nationale de l'industrie cinématographique. Je suppose que vous allez auditionner les partenaires sociaux, ou que vous l'avez déjà fait, car ils sont les mieux placés pour présenter eux-mêmes le contenu des avancées. Si je me borne à énumérer les points figurant dans ces avenants, on est assez impressionnés par les progrès réalisés.

Ces avenants concernent à la fois la situation des enfants et deux situations particulièrement sensibles : les castings et les scènes d'intimité. Désormais, le droit du travail impose le recours à des responsables enfants. Ce n'est plus seulement une condition d'accès aux aides du CNC, mais une obligation légale. Cette obligation est entrée en vigueur le 1er juin, et le poste de responsable des enfants a vu ses missions et qualifications précisées par l'avenant à la convention collective. Le recours à un coordinateur d'intimité, qui devra justifier d'une certification professionnelle, est fortement encouragé par la convention collective. Celle-ci contient une clause type insérée dans les contrats de travail des artistes amenés à jouer des scènes d'intimité, afin de prévoir une protection globale. Lors des castings, les mineurs devront obligatoirement être accompagnés par un adulte référent. De manière plus générale, tous les castings, y compris ceux impliquant des adultes, seront beaucoup plus strictement encadrés quant aux lieux où ils se déroulent. Certains lieux seront interdits, notamment les lieux privés, et certaines scènes seront proscrites lors des castings, telles que les scènes d'intimité et les scènes à caractère sexuel, désormais totalement prohibées.

L'association des directeurs de casting travaille actuellement à l'élaboration d'une charte de bonnes pratiques, en cohérence avec les principes que j'ai évoqués. Par ailleurs, le métier de coordinateur d'intimité, dont nous avons constaté le manque de professionnels disponibles, fait désormais l'objet d'une fiche métier incluse dans la convention élaborée par les partenaires sociaux. Cette fiche servira de base pour mettre en place, espérons-le, une certification d'ici l'année 2025. Ainsi, nous pourrons engager le processus d'augmentation du nombre de coordinateurs disponibles.

En conclusion, ce travail a débuté il y a plusieurs années sous l'égide du CNC, avec les outils dont nous disposions à l'époque. Cependant, il a pris de l'ampleur récemment grâce à la complémentarité des actions que nous avons instaurées avec les partenaires sociaux, l'organisme de formation et l'organisme mutualiste du secteur, à savoir l'Afdas et Audiens, ainsi que les associations professionnelles avec lesquelles nous avons été en contact permanent. Le caractère collectif de ce travail témoigne de la profondeur de la prise de conscience de l'ensemble de la filière.

Lors du Festival de Cannes, nous réunissons chaque année les trente-six CNC des pays membres du Conseil de l'Europe. Sur les quarante-sept pays du Conseil de l'Europe, trente-six disposent d'un CNC. Nous avons eu un tour de table extrêmement intéressant sur ce sujet et avons constaté que ce que nous avons réalisé en France n'a aucun équivalent, tant par l'étendue des mesures que par leur caractère contraignant, dans aucun autre pays du Conseil de l'Europe, et a fortiori dans des pays moins réglementés que le nôtre.

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Vous avez effectivement mentionné plusieurs avancées significatives. Je suis particulièrement frappée par vos remarques concernant les réactions positives des autres CNC du Conseil de l'Europe, qui soulignent que ce qui se fait actuellement en France n'a pas été entrepris ailleurs. Il est également important de noter que le cinéma français, dans le cadre des violences examinées par cette commission d'enquête, se distingue de manière notable. Peut-être commençons-nous à prendre la mesure du travail nécessaire, ce qui explique pourquoi nous tentons désormais de progresser rapidement pour combler le retard en matière de protection des personnes travaillant dans ces métiers. Cela étant dit, j'aimerais poser une première question concernant les formations. À mon avis, elles revêtent une importance bien supérieure à celle des chartes, car nous avons constaté, au cours de cette commission d'enquête, que de nombreuses chartes sont souvent élaborées mais rarement respectées. Je m'interroge donc sur la manière dont vous allez vérifier que toutes ces formations seront effectivement dispensées à partir de cet été à l'ensemble des personnes intervenant sur les plateaux.

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Ces sujets étant nouveaux, il est normal que nous rattrapions en formation continue le rappel de certaines règles du droit du travail. Que penseriez-vous de rendre ces formations obligatoires dans le cursus diplômant ou reconnaissant le métier de producteur ? Actuellement, sauf erreur de ma part, ce n'est pas un métier nécessitant un diplôme. Il existe des professions où un diplôme est indispensable. Je pense par exemple aux architectes ou aux coiffeurs. On ne peut pas exercer ces métiers sans diplôme. Pourquoi ne pas envisager que, pour certaines professions, dont celle de producteur, un diplôme soit requis ? Ce diplôme inclurait évidemment une formation solide en droit, permettant aux producteurs de bien connaître le droit du travail et leurs obligations. Cela compléterait la première question de Mme la rapporteure.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Je vais partir de votre point d'arrivée, à savoir l'intégration de ces questions dans la formation des professionnels. Actuellement, le paysage des écoles est assez contrasté. En effet, il existe une école publique, la Fémis, et plusieurs écoles privées. La Fémis propose une spécialité en production, mais comme vous l'avez souligné, ce n'est pas une profession réglementée. Il est évident qu'il faut intégrer cette dimension dans les cursus des écoles existantes. Cependant, comme vous l'avez mentionné, cela ne constitue qu'un aspect du droit du travail. Nous parlons ici de réglementer la relation de travail pour prévenir certains types de risques, à l'instar d'autres risques. Il s'agit simplement d'approfondir la formation juridique des producteurs dans le domaine du droit du travail. Il me semble que l'effort demandé aux établissements d'enseignement supérieur qui dispensent ce type de formation n'est pas considérable. Lorsque ces écoles existent, il est tout à fait souhaitable et nécessaire d'inclure cette dimension dans leur cursus. D'ailleurs, à la Fémis, je me tourne vers Leslie Thomas, mais je suis presque certain que la formation, en particulier dans la spécialité production, aborde déjà cette question.

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Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC

La formation au sein de la Fémis comporte une sensibilisation à la question des VSS. Pas plus tard qu'hier, il m'a été demandé d'intervenir à la Fémis sur ce sujet-là.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

La vérification est essentielle, d'autant plus que l'accès à nos aides en dépend. Concernant la formation des mandataires sociaux des entreprises, le cahier des charges a été entièrement rédigé par le CNC. Nous n'avons pas laissé les organismes de formation dans le flou, et nous maîtrisons totalement le financement, ce qui nous permet de contrôler étroitement le contenu. La formation se déroule en deux étapes. D'abord, une session en présentiel obligatoire, soit au CNC, soit lors de formations déconcentrées dans les grands pôles régionaux de l'industrie. Nous avons dispensé ces formations dans chacun de ces pôles. Les feuilles de présence sont exigées, ce qui facilite la vérification de la participation. Ensuite, une session en distanciel se termine par un questionnaire validant les connaissances acquises. Sur la base de ce questionnaire, nous délivrons un certificat que le mandataire social doit fournir au CNC lors de la demande d'aide. Il n'est donc pas possible de déposer une demande d'aide sans ce certificat. Cette formation est la plus ancienne et la plus éprouvée.

Pour la formation à venir, destinée à l'ensemble des équipes de tournage, elle se déroulera également en deux étapes. Tout d'abord, une partie de la formation se déroulera à distance, ce qui nécessitera un justificatif de suivi dématérialisé. Ensuite, une session en présentiel aura lieu au début du tournage, avec une feuille d'émargement. Celle-ci sera sous la responsabilité de l'organisme de formation, qui est extérieur à l'entreprise. Les justificatifs de suivi de la formation devront être fournis au CNC lors de la délivrance de l'agrément de la production par le producteur. Par ailleurs, une clause de modification des contenus de la formation est prévue. Cet engagement a été pris par les partenaires sociaux afin de pouvoir ajuster, si nécessaire, le contenu des enseignements et les modalités. Cela permet de s'assurer qu'ils sont parfaitement adaptés au phénomène qu'il s'agit de prévenir et de réprimer.

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Et en cas de non-respect par une seule personne, qu'advient-il des aides ?

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Le producteur est le bénéficiaire des aides, il est donc logique qu'il assume la responsabilité de ce qui se passe dans son exploitation. Il a une obligation globale, que ce soit pour une personne ou dix personnes, de respecter cette obligation de suivi. C'est la responsabilité du producteur, en tant que chef d'entreprise. Les chefs d'entreprise sont habitués à gérer diverses obligations, notamment en matière de respect du droit du travail et de santé au travail. Cela n'a rien d'exorbitant par rapport à ce que l'on attend normalement d'eux.

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Pour revenir sur le périmètre de notre commission d'enquête, et notamment sur les violences sur les tournages, je souhaiterais savoir si vous avez établi un protocole à destination des professionnels du cinéma. Êtes-vous informé des sollicitations et des signalements concernant les violences rapportées, notamment sur la plateforme Audiens ? Dans ce cas, quelles mesures prenez-vous ?

Je mentionne cela car, la semaine dernière, nous avons auditionné l'actrice Noémie Kocher. En 2005, suite à son dépôt de plainte, elle a obtenu la condamnation de Jean-Claude Brisseau. À cette époque, parallèlement à son dépôt de plainte, elle avait également informé et le CNC et le ministère du travail des faits de harcèlement sexuel. Elle a conservé des copies de ces courriers, qu'elle met à disposition de cette commission d'enquête, et elle nous a indiqué n'avoir jamais reçu de réponse du CNC.

Je souhaite comprendre ce qui se passe lorsque des victimes, ayant eu le courage de dénoncer des violences et obtenu la condamnation de leurs agresseurs, signalent des faits. Est-il habituel de ne pas apporter de réponse, ou cela a-t-il changé ? Jean-Claude Brisseau est décédé en 2019, mais entre 2005, date de sa condamnation, et 2019, il a continué à réaliser des films, dont Les Anges exterminateurs, qui fait allusion à cette condamnation. Le CNC a-t-il financé ce film ? Les films réalisés par Brisseau entre 2005 et 2019 ont-ils été financés par le CNC ? Quelle est votre politique de financement concernant les réalisateurs condamnés ?

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Nous allons d'abord aborder la question du protocole. Au CNC, nous n'avons pas élaboré de protocole spécifique. Cependant, un protocole a été défini en collaboration avec les partenaires sociaux, les associations et le CNC, et nous pouvons vous en informer. Vous connaissez le protocole utilisé par les professionnels.

En ce qui concerne le CNC, lorsque nous prenons connaissance d'une information de ce type, nous procédons de trois manières. Premièrement, nous transmettons l'information à la cellule d'écoute opérée par Audiens, au cas où la personne concernée n'aurait pas elle-même entrepris cette démarche. La cellule d'écoute offre un conseil sur les plans médical, psychologique, juridique, etc. Deuxièmement, nous effectuons un signalement au Comité central d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) de la production cinématographique, qui se charge de la santé au travail. Troisièmement, dès lors que les faits sont susceptibles de revêtir une qualification pénale, nous signalons systématiquement ces faits au procureur de la République. Nous agissons ainsi de manière régulière.

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Je me permets de relancer. Aujourd'hui, quand il y a un signalement qui est fait sur la plateforme Audiens, vous en avez connaissance ? Non, pas du tout. Donc, vous ne pouvez pas, à ce moment-là, faire un signalement au procureur de la République.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Nous traitons les signalements quand ils nous sont signalés.

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Ne pourrait-on pas envisager que les signalements vous soient directement remontés ? Je suis conscient des problèmes juridiques, notamment la présomption d'innocence, qu'il faudra sans doute clarifier. Cependant, il existe peut-être une solution plus simple, étant donné que vous êtes une autorité constituée. Ainsi, la possibilité de recourir à l'article 40 du code de procédure pénale pourrait être explorée. Nous avons observé, dans de nombreuses situations rencontrées jusqu'à présent, que certaines personnes détiennent des informations mais ne savent pas à qui les transmettre, de peur de perdre leur emploi, voire leur carrière. En effet, dans certains milieux, les répercussions sur la réputation peuvent compromettre toute capacité de travail future. Cette dimension mérite une attention particulière. N'oublions pas l'importance de la réponse à apporter.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

La CNC est le bon destinataire à partir du moment où quelqu'un veut procéder à un signalement.

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Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC

Ce qui est complexe, c'est que les signalements adressés à la cellule d'Audiens sont anonymes, qu'ils proviennent de témoins ou de victimes. Cela rend difficile la transmission de ces informations au CNC. L'anonymat entraîne également une multitude de signalements. Nous intervenons, comme l'a mentionné Olivier Henrard, dès lors que nous sommes saisis directement par une présumée victime ou un présumé témoin.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

En réalité, nous sommes saisis assez rarement. Il nous arrive de saisir le CCHSCT, le procureur de la République ou la cellule d'écoute, mais le nombre de cas est relativement limité. Peu de personnes brisent l'anonymat pour se manifester auprès du CNC et déclarer avoir subi des préjudices, ce qui nous permettrait d'engager une procédure. Lorsque nous sommes saisis, nous agissons. Sinon, nous n'avons pas les moyens d'inspection nécessaires pour intervenir. Nous recevons une multitude de courriels anonymes, de pétitions diverses, surtout dans les semaines précédant les Césars ou le Festival de Cannes, où nous sommes submergés par des dénonciations anonymes. Concernant le cas de Jean-Claude Brisseau, les faits remontent à vingt ans. Nous ne sommes pas en mesure de répondre précisément aux circonstances exactes de cette affaire.

Pour répondre à votre question, les films de Jean-Claude Brisseau ont bénéficié d'un soutien automatique du CNC. Le CNC propose deux types de soutien au cinéma un soutien automatique, qui ne nécessite pas d'appréciation sur la qualité du projet, mais requiert l'agrément du producteur, et un soutien sélectif. Concrètement, aujourd'hui, si Jean-Claude Brisseau obtient un soutien automatique pour son film, celui-ci n'est jamais passé devant les commissions du CNC. Il lui suffit de satisfaire certains critères mathématiques pour obtenir cette aide. Si, par la suite, il est révélé que le producteur a méconnu ses obligations en matière de prévention des risques psychosociaux en laissant le réalisateur agir de manière inappropriée, le producteur se verrait privé des aides du CNC.

Il y a dix-huit mois, le CNC a retiré la somme de 330 000 euros à un film de grande qualité parce que le dossier soumis à la commission des enfants du spectacle était incomplet. Ce dossier ne comportait notamment pas une scène sensible. Le producteur a manqué à ses obligations en matière de droit du travail, ce qui a conduit le CNC à retirer ce soutien financier. C'est ainsi que nous procédons aujourd'hui.

En 2001, cela n'a pas été fait. Après avoir lu la presse, nous avons entrepris des recherches dans les archives du CNC, mais nous n'avons pas retrouvé le courrier de Mme Kocher. Nous l'avons cherché, mais en vain. En 2001, il s'agissait d'une lettre papier, non d'un mail. À cette époque, il existait déjà quelques boîtes mail, mais j'imagine qu'elle a rédigé un véritable courrier. Nous n'en avons pas retrouvé trace à trois reprises.

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Sur la procédure, pour que vous répondiez complètement à la question de Mme la rapporteure, vous avez dit tout à l'heure que vous retirez l'aide quand il y avait une condamnation pénale.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

C'est l'amendement à la proposition de loi sénatoriale.

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La proposition de loi n'a pas encore été votée. Elle est dans la navette parlementaire. Je tiens à souligner que jusqu'à présent, lorsqu'une condamnation pénale était prononcée, cela n'entraînait aucune suspension des aides. Ces aides continuaient d'être versées.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Une condamnation pénale, pour quelque raison que ce soit, ne constitue pas en soi une base légale permettant de refuser ou de retirer des aides. Cela est encore plus vrai lorsque la condamnation concerne une personne autre que le producteur. En réalité, pour que la condamnation pénale soit pertinente, il faut qu'elle concerne le réalisateur. Ce fait nous permet de reconnaître , a posteriori, que le producteur, bénéficiaire de l'aide, n'a pas respecté ses obligations en matière de prévention des violences sexistes et sexuelles.

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N'ayant pas répondu à ses obligations, cela pourrait suffire pour lui supprimer des aides ou pour récupérer même des aides a posteriori qui auraient été versées.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Les aides accordées au film durant lequel les faits ont été commis doivent être examinées au cas par cas. Une condamnation pénale pour des faits survenus pendant le tournage du film X révèle que le producteur n'a pas respecté son obligation de moyens pour prévenir et faire cesser les VSS. Par conséquent, les aides attribuées à la production peuvent être retirées. Mais cela a-t-il déjà été fait ? Je vous ai donné un exemple, il n'y avait même pas eu de violence en réalité. Il y a eu une obligation pour le producteur de requérir une autorisation préfectorale pour faire travailler un mineur de seize ans. Cette autorisation n'a pas été demandée, et ce manquement nous a été signalé. Nous ne sommes pas l'inspection du travail, mais dès que nous avons eu connaissance de ce fait, nous avons retiré 330 000 euros de soutien. Cela nous a été ouvertement reproché à l'époque.

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Et là, il n'y a même pas eu de condamnation pénale ?

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Même pas. Par ailleurs, il pourrait y avoir des implications pénales, mais je n'ai même pas besoin qu'il y ait une condamnation pénale pour agir.

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On ne remet pas en doute le fait que Mme Kocher vous a envoyé ce courrier, mais si je comprends bien, aujourd'hui, une victime qui ferait condamner et qui vous enverrait un courrier mériterait en tout cas un retour du CNC.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Elle mériterait plus qu'un retour du CNC. Nous devrions examiner les faits dénoncés. En général, quelqu'un viendrait pallier l'absence du CNC sur le terrain. Ainsi, la victime nous transmettrait des informations. Bien que nous ne disposions pas des moyens d'enquête de la police ou de la justice, cela permettrait de déclencher un processus. Nous tenterions alors de rassembler des éléments et demanderions au producteur de s'expliquer. L'objectif serait de comprendre si le producteur méconnaît son obligation de prévenir et de mettre fin aux VSS.

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Est-ce que vous pouvez nous expliquer cette différence entre les aides qui sont conditionnées et les aides automatiques ?

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Toutes les aides attribuées par le CNC, quelle que soit leur nature, sont conditionnées au respect d'un ensemble d'obligations générales. Notamment, l'entreprise bénéficiaire doit se conformer à toutes ses obligations en matière de droits sociaux et du travail. Ainsi, une entreprise qui ne paie pas ses salariés, qui ne s'acquitte pas de ses cotisations sociales ou qui manque à son obligation de prévenir ou de mettre fin aux VSS viole une obligation essentielle. La violation de cette obligation peut entraîner la privation des aides du CNC. Cela concerne toutes les aides, qu'il s'agisse d'un exploitant de salle de cinéma, d'un producteur ou d'un distributeur. Le non-respect du droit du travail et du droit social dans leur intégralité peut les priver des aides du CNC. C'est une première base légale. Ensuite, nous attribuons des aides automatiques. Ce que je viens de dire s'applique à toutes ces aides automatiques.

Par ailleurs, nous octroyons également des aides sélectives, fondées sur la qualité du projet soumis. Cela peut concerner la qualité artistique d'un film ou la qualité d'un projet d'investissement, par exemple lorsqu'il s'agit de la rénovation d'une salle de cinéma. En effet, notre intervention ne se limite pas à la production. Lors de l'attribution de ces aides sélectives, nous procédons à un examen beaucoup plus approfondi que pour les aides automatiques, ce qui nous permet de réaliser des vérifications supplémentaires.

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Je sais que nos députés qui sont dans la salle connaissent ces processus, mais je pense que d'expliquer le mécanisme des aides automatiques serait tout de même bien, parce que c'est quelque chose qui est assez particulier.

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Vincent Villette, adjoint au directeur général délégué du CNC

Le principe des aides automatiques repose sur le fait que dès lors que le bénéficiaire satisfait aux conditions définies par les textes, il est assuré de recevoir ces aides. Cela contraste avec le système sélectif, comme l'a expliqué Olivier Henrard, où une commission évalue la demande du bénéficiaire avant de décider de l'octroi de l'aide. C'est la première spécificité des aides automatiques.

La deuxième spécificité réside dans l'objectif initial de ce soutien, inciter le bénéficiaire à réinvestir l'argent dans le secteur concerné. Par exemple, un producteur de films qui reçoit une aide automatique peut investir cet argent dans la production de son film. Par la suite, lorsque le film est exploité en salle, des fonds sont crédités sur son compte au CNC. Ces fonds peuvent ensuite être réinvestis dans la production d'un autre film. Ainsi, plus un film rencontre de succès, plus le producteur accumule de crédits sur son compte au CNC, qu'il pourra utiliser pour ses projets futurs. Le mécanisme de soutien automatique se base donc sur les succès passés pour financer les productions à venir.

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En appréciant les aides automatiques du CNC, je reconnais leur vertu, comme vous l'avez souligné. Cependant, elles présentent également des inconvénients, notamment en rendant difficile l'accès aux nouveaux arrivants. En effet, pour un nouveau producteur, il est complexe de monter son premier film, car il ne bénéficie pas, par définition, de cette aide automatique.

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Vincent Villette, adjoint au directeur général délégué du CNC

Les coproductions jouent un rôle essentiel en permettant à des producteurs expérimentés de guider les nouveaux arrivants. À cet égard, les soutiens sélectifs sont particulièrement importants car ils accompagnent ces nouveaux producteurs. En termes de répartition, environ 60 % des soutiens sont automatiques et 40 % sont sélectifs. Cet équilibre judicieux favorise le renouvellement de la création et permet chaque année l'agrément de nombreux premiers films.

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Pourriez-vous rappeler le volume financier des aides délivrées par le CNC et le mécanisme de collecte de ces aides, d'où vient l'argent de ces aides.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Il est essentiel de rappeler que 100 % du budget du CNC, y compris son propre fonctionnement, provient de taxes prélevées sur les diffuseurs du secteur. En d'autres termes, aucun euro de l'impôt sur les sociétés ou de la TVA ne finance le cinéma ou l'audiovisuel via le CNC. En réalité, bien que le cinéma et l'audiovisuel soient financés par des fonds publics, ces fonds résultent d'une surfiscalité acquittée par les entreprises de diffusion du secteur, en plus de la fiscalité générale. Cela explique que nos contribuables, étant en partie les bénéficiaires de nos soutiens, soient doublement responsabilisés.

Concernant l'utilisation de ce volume de soutien, qui représente environ 700 millions d'euros, il se répartit de manière équilibrée entre l'audiovisuel et le cinéma. Plus précisément, 40 % sont alloués au cinéma, 40 % à l'audiovisuel et 20 % à des actions communes. Par exemple, la Fémis et les écoles concernent à la fois l'audiovisuel et le cinéma, justifiant ainsi leur inclusion dans cette dernière catégorie. Cet équilibre historique entre les montants alloués au cinéma et ceux alloués à l'audiovisuel perdure depuis une quinzaine d'années.

Pour le cinéma, les 300 millions d'euros hypothétiquement consacrés à son soutien se décomposent en plusieurs postes. Environ 100 millions d'euros sont destinés aux salles de cinéma, lesquelles sont directement contribuables du CNC, puisque la taxe prélevée sur leur billetterie représente entre 130 et 150 millions d'euros. En retour, les salles bénéficient d'environ 100 millions d'euros de soutien. Quant au soutien à la production, il s'élève à environ 130 millions d'euros. Les 70 autres millions, c'est essentiellement du soutien à la distribution.

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Les actions de promotion et d'export que vous faites aussi ?

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Nous avons unifié les deux opérateurs que nous soutenions pour faciliter l'exportation de nos œuvres. Auparavant, TVFI s'occupait de l'audiovisuel et Unifrance du cinéma. Désormais, un seul opérateur reçoit annuellement un soutien d'environ 12 millions d'euros pour exporter à la fois l'audiovisuel et le cinéma. Nous avons également des initiatives pour l'exportation, les écoles et les actions de diffusion, notamment à travers les festivals.

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Vous avez exposé une série de mesures, dont certaines sont déjà en vigueur depuis un certain temps, tandis que d'autres seront bientôt déployées. J'aimerais connaître votre avis et votre politique future concernant les éventuels bonus liés au respect de la parité, notamment dans le domaine des tournages.

Actuellement, le nombre de réalisatrices reste nettement inférieur à celui des réalisateurs. La profession de réalisateur demeure majoritairement masculine. À titre d'exemple, seules trois femmes ont reçu une Palme d'or dans l'histoire du cinéma. Bien que les Palmes d'or ne relèvent pas de votre compétence, ce chiffre est révélateur. Malgré les efforts du Festival de Cannes, le déséquilibre entre les films réalisés par des hommes et ceux réalisés par des femmes persiste de manière significative.

L'un des leviers pour équilibrer cette situation pourrait consister à instaurer des bonus ou des conditions en lien avec le respect de la parité. Quelle est votre opinion sur cette proposition ? Il est évident que la prédominance masculine dans ce milieu ne favorise pas la diminution des violences sexistes et sexuelles.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Il est essentiel de considérer cette question connexe pour équilibrer la réponse à celle qui nous occupe aujourd'hui. Partons des Palmes d'or, mais n'oublions pas les Lions d'or et les Ours d'or. En examinant les palmarès des trois grands festivals internationaux ces dernières années, on constate une forte représentation des femmes, notamment des Françaises. Justine Triet et Julia Ducournau ont remporté des palmes d'or, tandis qu'Audrey Diwan a décroché un Lion d'or à Venise. Leur présence dans les palmarès récents est très significative. Si l'on remonte au Festival de Cannes de 1947, cette proportion était encore réduite. Cependant, en se concentrant sur les palmarès des années récentes, la présence des femmes est tout à fait notable et même plus que notable. Pour approfondir, examinons les jurys sous toutes leurs formes.

Nous soutenons 159 festivals, et tous les prix qu'ils attribuent le sont par des jurys paritaires. Nos aides sélectives, évoquées précédemment, sont également attribuées par des commissions paritaires. En effet, toutes les commissions du CNC sont paritaires, et cela s'étend également aux présidences. En réalité, nous avons même 51 % de femmes et 49 % d'hommes parmi les présidents de commission. Nous comptons soixante-cinq commissions, toutes paritaires, avec une légère majorité de femmes présidentes.

Concernant les bonus au stade de la production, vous en avez sans doute entendu parler, car cette mesure a été largement médiatisée. En 2019, le CNC a instauré le bonus parité dans le domaine du cinéma. Concrètement, cela signifie que nous accordons un supplément de 15 % de soutien aux films dont l'équipe des chefs de poste est paritaire. Le succès de cette mesure se manifeste par le fait que, désormais, 40 % de la production annuelle de films de cinéma en 2023 est éligible à ce bonus, c'est-à-dire que 40 % des films remplissent ces conditions de parité au sein de leurs équipes.

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Les chefs de poste sont au nombre de huit, et il est impératif de garantir la parité parmi eux. J'admets que je vais un peu caricaturer pour illustrer mon propos. Par exemple, la chef costumière est souvent une femme. Ce constat n'est peut-être pas idéal, mais c'est ainsi. De même, la chef monteuse est fréquemment une femme également. Cela nous fait déjà deux postes féminins, il en reste donc six. Je reconnais que je force un peu le trait volontairement.

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Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC

La mesure bonus parité visait à accroître la visibilité des femmes dans les postes à responsabilité. Cette initiative était essentielle, car nous constations une absence quasi totale de femmes dans les postes d'encadrement. En plus des huit postes que vous mentionnez, nous avons étendu le dispositif à la composition musicale, l'année dernière. Nous avons également élargi son application à la post-production et à l'animation. Cette mesure n'est pas figée ; elle évolue progressivement et permet de mettre en lumière les femmes occupant des postes de responsabilité.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Les deux dernières Palmes d'or françaises ainsi que le dernier Lion d'or attribué à un Français ont été remportés par des femmes. Le dernier Ours d'or a été décerné à un homme, un documentariste. Si je ne m'abuse, le film Titane bénéficiait du bonus parité. De même, Anatomie d'une chute était éligible à ce bonus, bien que la réalisatrice n'ait pas fait la demande. En tout cas, ce film était parfaitement éligible. Le Lion d'or attribué à Audrey Diwan pour L'Événement relevait également du bonus parité. Pour nous, cela marque une deuxième preuve de succès. Non seulement 40 % de la production était éligible, mais il ne s'agissait pas de films de niche. C'est là un point essentiel, ces films, bénéficiant du bonus, ont connu une réussite artistique et économique extraordinaire.

Permettez-moi de partager quelques chiffres sans vouloir vous submerger. En 2022, année pour laquelle nous avons les données complètes, 33 % des films réalisés étaient l'œuvre de femmes, contre 27 % en 2020. C'est le plus haut niveau jamais atteint. Pour les longs-métrages de fiction, ce pourcentage s'élève à 34 % en 2022, contre 27 % en 2021. Il est également important de souligner notre engagement à intervenir tant au stade de la production qu'à celui de la réception des œuvres. L'éducation à l'image, vous le savez, est orchestrée par le CNC, qui élabore des catalogues de films mis à la disposition des coordinations locales d'éducation à l'image. Le programme « Ma classe au cinéma » touche chaque année 5 % des étudiants, lycéens, collégiens et écoliers de notre pays.

En 2023, plus de la moitié des films intégrés dans notre catalogue, soit 54 %, ont été réalisés par des femmes. Ce catalogue puise dans l'ensemble de l'histoire du cinéma depuis ses débuts. Si l'on considère la totalité du catalogue, les films réalisés par des femmes représentent aujourd'hui entre 21 et 22 % du total. Cependant, le flux des nouveaux films intégrés montre que plus de la moitié sont des œuvres de réalisatrices. En ce qui concerne la valorisation et la conservation des films appartenant à l'histoire du cinéma et réalisés par des femmes, nous en sommes actuellement à 105 films que le CNC a aidé à numériser pour leur préservation. Ce chiffre inclut deux films supplémentaires en 2023. Ces opérations sont longues et coûteuses, mais nous veillons à ce que les films réalisés par des femmes reçoivent toute la reconnaissance légitime. Par « réalisés », j'entends aussi bien au sens artistique qu'au sens technique.

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Je souhaite tout d'abord reconnaître l'engagement du CNC et la mise en œuvre de mesures concrètes qui se déploient progressivement. La comparaison européenne que vous avez évoquée, M. Henrard, bien qu'inquiétante, renforce l'idée que le CNC, plus que d'autres organismes européens, a pleinement saisi l'importance de cet enjeu. Il a non seulement pris conscience de cette problématique, mais il a également mobilisé tous les moyens nécessaires pour prévenir, lutter, sanctionner et supprimer les aides lorsque cela est nécessaire. Ces actions s'inscrivent dans le cadre des différents plans mis en place. Je rappelle que c'est Franck Riester, alors ministre de la Culture, qui a présenté le premier plan de mesures dès le début de l'année 2020, mettant ainsi cet enjeu en lumière.

J'ai deux questions. La première concerne la deuxième étape, qui entrera en vigueur à compter du 1er septembre 2024. Cette phase inclut la formation élargie à l'ensemble des équipes de tournage, y compris les comédiens et comédiennes. Cette mesure concernera un nombre considérable de personnes. Je souhaite obtenir une précision : cette formation inclura-t-elle également les figurants et figurantes, toutes catégories confondues ? Je vous remercie par avance pour cette clarification.

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Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC

Les figurants, non. Le marché public publié par l'Afdas porte sur la production de 600 films sur la durée du contrat. Cette opération sera massive et progressive. Nous formerons l'ensemble des salariés, y compris les réalisateurs, les producteurs, les techniciens et les chefs de poste. Cependant, les figurants ne sont pas inclus dans ce volume, qui est déjà extrêmement conséquent.

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Je me doute. Cela fait une transition toute trouvée pour ma deuxième question, qui découle de notre discussion précédente. J'ai consulté le site du CNC, ce qui peut être pertinent. Pour ceux qui nous écoutent et nous regardent, voici les chiffres concernant la mise en œuvre de la première séquence de formation, lourde et conséquente, depuis le 1er janvier 2021. Officiellement, cela a concerné 5 000 producteurs audiovisuels, de cinéma, de jeux vidéo, ainsi que 1 200 exploitants de salle. C'est déjà considérable. Je voulais savoir, compte tenu de l'entrée en vigueur progressive de cette première phase dont vous avez parlé, si vous avez une idée du volume d'heures, que ce soit en présentiel ou en distanciel, concernées par la deuxième tranche. Cette phase, bien que l'expression ne soit pas très heureuse, sera assez massive. Est-ce que tout le monde est prêt, que ce soit l'association mandatée pour la formation ou les écoles qui devront intégrer cela dans leurs programmes et dans les heures disponibles dans la journée ?

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Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC

Depuis 2020, la formation des mandataires sociaux se compose de trois heures et demie en présentiel, complétées par une session en distanciel. Cette dernière inclut un questionnaire permettant de valider les connaissances acquises, aboutissant à la délivrance d'un certificat transmis au CNC. Ce dernier est indispensable pour recevoir et attribuer des aides. Nous finançons et assumons ce marché, géré en partie par l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Le premier volet de cette formation est déjà en place. Concernant le second volet, l'Afdas a publié son marché, et la notification d'attribution est imminente, probablement la semaine prochaine. Ce second volet représente un budget de 1 million d'euros sur trois ans, avec un objectif de 600 films concernés. L'organisme de formation sélectionné devra assurer les formations sur l'ensemble du territoire. La première partie se déroulera en distanciel, et la seconde en présentiel, au début du tournage. Cette condition est essentielle pour répondre à ce marché de formation. Vous m'interrogez sur la durée de la formation. La partie en distanciel dure deux heures et demie, tout comme la partie en présentiel. Ces durées respectent les critères de formation définis par l'Afdas, l'Opco de la filière. Il ne s'agit pas d'une simple sensibilisation, mais d'une véritable formation validée par un certificat.

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Pour préciser, on parle beaucoup des films, ça concerne aussi la production des séries et l'audiovisuel que vous gérez ?

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Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC

Sur le premier volet de la formation des mandataires sociaux, cela concerne les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, de l'animation et du jeu vidéo. Pour le deuxième volet, à ce stade, seul le cinéma est concerné. Nous avons entamé des discussions avec les partenaires sociaux de l'audiovisuel et nous examinerons les modalités d'élargissement de cette formation. Pour l'instant, nous nous concentrons sur le volet cinéma.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Je précise que les partenaires sociaux de l'audiovisuel sont très impliqués en réalité. Ils sont totalement en demande. Cependant, comme il s'agit d'une opération d'une ampleur assez exceptionnelle dans le cadre de l'audiovisuel, nous ne sommes plus du tout dans les mêmes ordres de grandeur en termes de volume de production. Nous souhaitons que les choses se déroulent dans le bon ordre afin de ne pas manquer cette étape essentielle.

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Je suis heureuse de constater que vous affirmez, au sein de cette commission d'enquête, que le CNC n'hésite pas à prendre des sanctions. Il est essentiel que chacun puisse s'exprimer librement dans ce métier et que le code du travail soit respecté en tous points. Cependant, le CNC doit également faire preuve d'exemplarité. Lorsqu'il impose des règles strictes sur les tournages et conditionne les aides, il doit veiller à ce que son image soit irréprochable et transparente. Je suis surprise de ne pas voir votre président à vos côtés aujourd'hui. Cela relève du périmètre de cette commission d'enquête, car, en présence de faits sous procédure judiciaire, nous ne pouvons interroger les personnes auditionnées. De même, nous ne pouvons aborder des faits en dehors du périmètre de cette commission.

Pour préparer nos auditions, nous consultons de nombreux articles et nous nous informons afin de disposer de tous les éléments nécessaires pour des auditions complètes et éclairantes. Ces auditions doivent mettre en lumière des faits que nous ne souhaitons plus voir dans la profession et nous permettre de formuler des propositions à l'issue de ces six mois de travail. J'ai lu un article de Libération, daté du 10 mai dernier, qui évoque des comportements ou des apparitions publiques gênantes de votre président, Dominique Boutonnat. L'article mentionne un tempérament festif ou problématiquement festif. Je ne rentrerai pas dans les détails, effectivement embarrassants et accessibles à tous. Je souhaite savoir si vous avez été témoin de ces comportements. Je vous rappelle que vous avez prêté serment au début de cette audition.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Je me souviens parfaitement de ce serment et je peux vous répondre que pour ma part, je n'ai jamais été témoin d'un comportement de mon président de nature à me mettre mal à l'aise ou à mettre en difficulté l'institution qu'il représente.

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Et c'est le cas aussi des personnes qui vous accompagnent ?

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Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC

Exactement.

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Vincent Villette, adjoint au directeur général délégué du CNC

Oui.

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Ma question s'inscrit dans la continuité de celle de Mme la rapporteure. Je tiens d'abord à saluer votre présence et à vous remercier pour votre exposé sur le travail du CNC, qui témoigne d'une prise de conscience de l'ampleur de la lutte à mener et des actions déjà mises en œuvre. Je regrette également l'absence de Dominique Boutonnat, maintenu dans ses fonctions par le président Macron, malgré les accusations de violences sexuelles portées contre lui par son filleul. De plus, des témoignages évoqués par Mme la rapporteure dans la presse signalent des comportements problématiques, y compris dans le milieu du cinéma. Une pétition, soutenue par le Collectif 50/50, l'Association d'acteur.ices féministe et anti-raciste (ADA), l'ARDA, Divé+, les Femmes à la caméra, MeToo Media, la CGT Spectacle et de nombreuses personnes individuellement, demande son retrait.

Je souhaite souligner que si l'on choisit de ne pas se retirer, il faut assumer ses responsabilités et se présenter devant une commission d'enquête pour rendre compte de ses actions, sans nécessairement aborder les aspects judiciaires, mais en discutant des actions menées et de leur perception au sein du CNC. Je suis néanmoins heureuse de pouvoir vous poser des questions sur plusieurs sujets.

Ma question porte sur les signalements internes. J'ai noté l'existence d'une cellule d'écoute, mais si je comprends bien, cette cellule étant entièrement anonymisée, elle ne peut pas aboutir à des signalements. C'est un point que je découvre. J'avais discuté avec la cellule d'écoute, mais je n'avais pas perçu cela. J'ai donc du mal à comprendre son fonctionnement. Il est évidemment très important d'avoir une partie écoute, mais comment fonctionne la partie signalement ? Qui a besoin d'une levée de l'anonymat pour mener des enquêtes ? Vous avez mentionné que nous ne disposons pas des moyens d'enquête des services de police et de justice, ce qui est évidemment vrai. Cependant, le code du travail dispose que les entreprises, ainsi que les organismes publics de protection des employés, ont des responsabilités qui peuvent nécessiter des enquêtes. Seriez-vous favorable à ce qu'en plus de la cellule d'écoute, un organisme indépendant soit mis en place, auquel le CNC et les entreprises pourraient recourir pour mener des enquêtes ? Nous savons que les affaires relevant de la justice doivent être traitées par celle-ci, mais il y a aussi des mesures de précaution à prendre lorsque des signalements sont reçus. Je comprends la question de l'anonymat, mais envisagez-vous de vous auto-saisir dans certains cas ?

Par exemple, lorsque des propos tels que : « vous allez voir beaucoup de porno, j'espère que vous aimez ça, la salle de projection est super confortable, vous verrez que je n'y vais jamais, mais quand vous y serez, je passerai vous voir du coup » apparaissent dans la presse, même de manière anonyme, quelles mesures prenez-vous pour aller au-delà de la rumeur et de l'anonymat afin de mener des enquêtes et identifier les victimes ? Si ces victimes restent anonymes, c'est souvent par crainte de représailles. Quelles actions mettez-vous en œuvre pour qu'elles puissent sortir de l'anonymat et que leurs signalements deviennent officiels ? Je suppose que vous tenez à ce que ces signalements aboutissent à des mesures concrètes.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Permettez-moi de clarifier plusieurs points soulevés par Mme la députée. En premier lieu, concernant les faits rapportés par l'article mentionné, je tiens à rappeler que Dominique Boutonnat a publié un droit de réponse les contestant formellement. Ensuite, je comprends que ma présence aujourd'hui pour représenter le CNC puisse susciter des interrogations. Cependant, il ne faut pas interpréter la composition de cette délégation comme une esquive de la part du président. Depuis plusieurs années, la répartition des tâches entre le président et moi-même fait que j'assiste systématiquement à ce type d'auditions, qu'il s'agisse de commissions d'enquête, de commissions permanentes ou de groupes de travail formés par la représentation nationale. La configuration actuelle n'a donc rien d'exceptionnel et ne traduit en aucune manière une dérobade de Dominique Boutonnat.

Abordons maintenant la question de fond. Comment traiter les éléments anonymes portés à notre connaissance ? Il est vrai que les contacts avec la cellule d'Audiens se font sous couvert de l'anonymat. Néanmoins, cette cellule a précisément pour mission de fournir des conseils sur les plans médical, psychologique et juridique. Les personnes anonymes qui sollicitent la cellule d'Audiens se voient exposer toutes les possibilités à leur disposition pour faire cesser ou réprimer ce qu'elles dénoncent. À ce stade, il leur est expliqué le rôle du CNC, de la justice, de la police, de l'inspection du travail, etc. Ainsi, chaque personne est informée des démarches possibles et des institutions compétentes pour répondre à ses préoccupations. Nous sommes bien d'accord sur le fonctionnement.

Si ensuite, après avoir pris connaissance de toutes ces informations, la personne décide de ne pas franchir le pas, alors nous retombons dans le cas de figure que j'évoquais. Le CNC se charge en réalité de mobiliser l'ensemble des leviers disponibles au sein de l'État judiciaire, de l'administration du travail et en rapport direct avec ses compétences, notamment la mise en œuvre de procédures pour retirer les aides attribuées à un tournage ou à une entreprise quelconque où le droit du travail, et en particulier l'obligation de prévention et de cessation des comportements sexistes et sexuels (VSS), n'est pas respecté.

C'est le point de départ de notre réflexion commune. Faut-il envisager dans le cinéma une autre entité, distincte de l'inspection du travail ou des services de police, pour mettre fin aux problèmes que nous abordons aujourd'hui ? Très honnêtement, je n'en suis pas convaincu. Notre conviction est que les axes de progression résident dans l'efficacité des actions du CNC concernant les aides et l'organisation du dialogue au sein de la filière, ainsi que dans les interventions de la police et de l'inspection du travail, chacun dans son domaine de compétence.

Ce qui remonte de la filière, c'est que l'approche de l'inspection du travail concernant le déroulement des tournages n'est pas satisfaisante. En effet, un tournage est une entreprise foraine et temporaire, ce qui le rend très particulier. Les processus et les services de l'inspection du travail éprouvent des difficultés à appréhender certaines spécificités. Plutôt que de concevoir une entité hybride entre la justice, l'inspection du travail et le CNC, il serait plus pertinent de doter les entités existantes de moyens spécifiques et de compétences diversifiées. Il est préférable que les organismes disposant déjà d'une base solide de compétences soient formés aux particularités du métier du cinéma. En réalité, c'est cette demande qui émane du secteur, et c'est également la réflexion que j'aurais tendance à suivre. L'inspection du travail n'est pas à l'aise avec les modes de fonctionnement des tournages. Cette observation s'applique également aux services de police dans le traitement des violences sexistes et sexuelles.

Le secteur du cinéma et de l'audiovisuel présente des particularités dues à la conjonction de nombreux facteurs. Les professionnels travaillent souvent de manière temporaire, loin de chez eux, et doivent parfois passer la nuit sur place. Ils évoluent dans un environnement où la frontière entre les moments de travail et les moments festifs est souvent floue. De plus, ce secteur dépend largement de la cooptation, en l'absence de cursus validés par des diplômes, rendant la réputation essentielle pour travailler. Cette multitude de particularités crée un risque spécifique dans notre domaine. Il est donc préférable que l'inspection du travail et les services de police soient formés pour appréhender ces spécificités, plutôt que de créer une entité administrative hybride entre le CNC, la police et l'inspection du travail.

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Vous avez présenté un tableau détaillé du travail accompli en matière de formation et de prévention, soulignant son importance. Je me demande si le CNC dispose également, dans ses statuts, de la capacité d'organiser la filière pour certains métiers, en définissant des prérequis, des encadrements et des bonnes pratiques. Par exemple, depuis la directive Bolkestein, les agents n'ont plus besoin d'agrément ni de licence particulière. Aujourd'hui, pour devenir agents, réalisateurs, comédiens ou comédiennes, il suffit de le décider. Disposez-vous de leviers d'action, similaires au modèle anglo-saxon où l'organisation en guildes est très structurée ? Là-bas, le syndicat des chefs opérateurs, le syndicat des acteurs, et tout l'écosystème sont fortement régulés. Pouvez-vous, au-delà de la conditionnalité instaurer le respect de certaines règles, une régulation dans divers domaines tels que le casting, les métiers de la production, ou les conditions de tournage ? Est-ce juridiquement possible dans les statuts du CNC ?

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Juridiquement, il existe encore une profession réglementée, celle d'exploitant de salle de cinéma, et celle-ci est encadrée de manière exhaustive. On l'autorise à tous les stades, mais les autres professions intervenantes ne sont pas réglementées. A fortiori, les professions qui sont simplement des prestataires de services, comme les agents, les avocats ou les directeurs de casting, ne sont pas soumises à une réglementation stricte. Ces professionnels, embauchés par le producteur, l'auteur ou le comédien, assistent ces derniers dans leurs démarches.

Pour le reste, nous n'avons pas de prise directe sur l'organisation des professions, mais nous disposons d'une multitude d'autres outils. Le CNC joue un rôle central dans ce domaine. Le dialogue social, qui se déroule entre les syndicats de salariés et les syndicats d'employeurs, est un processus dans lequel nous intervenons comme facilitateurs. Il nous arrive même de nous créer un rôle de facilitateur de manière proactive. Un exemple pertinent concerne les relations entre producteurs et auteurs. En matière de rémunération, il n'existe pas de convention collective fixant des minima de rémunération. Le CNC a proposé au Parlement et au gouvernement, il y a trois ans, lors de la transposition de la directive sur le droit d'auteur, d'imaginer un cadre de négociation obligatoire entre les producteurs et les auteurs pour établir des minima de rémunération et encadrer les pratiques contractuelles.

Ces négociations ont connu un certain succès, en partie grâce au soutien du CNC. Lorsque le dernier n'abritait pas directement les discussions, il apportait son expertise et ses compétences intellectuelles pour garantir leur bon déroulement. Ce rôle illustre parfaitement ce que le CNC peut accomplir, malgré l'absence de pouvoir juridique direct. Un aspect fondamental de notre mission consiste à orienter ces travaux grâce à l'observation de la filière et à la publication des informations recueillies. Cette tâche est l'une de nos missions légales et revêt une importance capitale. Dans le domaine culturel, aucune autre entité ne réalise une observation et une publication statistique aussi approfondies que celles effectuées par le CNC. La filière cinématographique et audiovisuelle est la plus observée, mesurée et quantifiée de tout le secteur culturel, conformément à notre mission légale.

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Je souhaite revenir sur le rôle du responsable enfant, qui deviendra obligatoire à partir de cet été. Nous avons mené plusieurs auditions au cours desquelles nous avons abordé ce sujet. Nous avons également interrogé les coachs enfants. Cependant, cela reste encore assez flou à nos yeux. Peut-être pourriez-vous nous fournir des précisions, notamment concernant les attributions de ce responsable enfant. Par qui sera-t-il rémunéré ? En cas de signalement, quels seront ses pouvoirs ? Il me semble que la question de la formation demeure particulièrement floue. Si j'ai bien compris, l'obligation est d'être une personne qualifiée, justifiant d'un diplôme ou d'une expérience significative. C'est un peu le cas des coachs enfants, dont les formations varient, et qui ne sont d'ailleurs pas souvent des formations françaises, notamment pour les coordinateurs et coordinatrices d'intimité. Par ailleurs, quels seront le contrôle et l'évaluation de ces responsables enfants ?

Il semble qu'une formation française de coordination d'intimité soit en cours de mise en place. Il serait également pertinent qu'elle soit encadrée pour les responsables enfants, car ce rôle est très particulier et ne peut être exercé avec n'importe quel diplôme. Souvent, cela commence par une expérience dans le monde du cinéma, parfois avec des diplômes d'animation auprès des enfants. À notre sens, il sera nécessaire d'établir un socle commun pour ces rôles. Enfin, une fois que vous nous aurez précisé le périmètre et tous les éléments demandés, est-il envisagé d'accorder un bonus à ces figures lorsqu'elles seront présentes sur les plateaux de tournage ?

Est-ce que l'on vous demande également des bonus pour pouvoir rémunérer ces deux figures ? Jusqu'à présent, lorsque de telles demandes ont été formulées, quelle a été la réponse du CNC ? Il me semble que ces pratiques sont vertueuses et méritent d'être généralisées auprès des enfants. Personnellement, je pense que la responsabilité envers les enfants devrait s'étendre jusqu'à dix-huit ans, et non pas seulement jusqu'à seize ans. Je ne comprends pas pourquoi cette limite est fixée à seize ans. Quant au rôle de coach d'intimité, il est effectivement très important, tant pour les adultes que pour les enfants. L'intimité revêt un caractère assez large et ces figures doivent être de plus en plus présentes, notamment lors de scènes d'intimité et lorsque des enfants participent aux tournages.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Je souhaite aborder un point technique préalable concernant l'âge minimum de travail, fixé à seize ans plutôt que dix-huit ans. Cette distinction découle de la structure même du droit du travail. Historiquement, il existe une interdiction générale de travailler avant seize ans. L'autorisation que nous évoquons ici est donc une dérogation à cette interdiction. C'est pourquoi nous sollicitons la commission des enfants du spectacle pour obtenir une autorisation préfectorale. Ainsi, la limite des seize ans a servi de fondement pour élaborer l'ensemble du dispositif. Le rôle de responsable enfant est désormais défini de manière très précise, tant dans la convention collective du cinéma que dans celle de l'audiovisuel.

Cela répond aux divers critères d'appréciation évoqués précédemment concernant la Commission des enfants du spectacle. Le responsable enfant assure la surveillance et l'encadrement des mineurs, veille à leur confort durant la préparation du film et le tournage, prépare les enfants à leur rôle, assure leur suivi scolaire et, en cas de difficulté, peut saisir l'inspection du travail, les syndicats, le préventeur santé et sécurité au travail, ainsi que le CCHSCT. Ce rôle englobe donc une protection complète des enfants sur les lieux de tournage. Le responsable enfant est embauché par le producteur et rémunéré au salaire conventionnel minimum, soit 1 047,37 euros pour 39 heures hebdomadaires. Il est naturel que cette rémunération incombe à la production.

Concernant les compétences et qualifications requises, il est essentiel de souligner que depuis le 1er juin, l'absence de responsable enfant constitue une infraction au droit du travail. Les avenants signés le 17 mai sont entrés en vigueur le 1er juin. En deux semaines, il n'a pas été possible de transformer l'ensemble du paysage social pour permettre aux producteurs de disposer immédiatement de personnes diplômées selon des cursus très contraignants.

C'est pour cette raison que la convention collective modifiée par l'avenant stipule que le responsable enfant doit justifier d'un diplôme ou d'une expérience significative, sans préciser le contenu exact de ces qualifications. Toutefois, il est impératif que ces compétences soient rapidement définies, non seulement en termes d'accompagnement des enfants, mais également en termes de connaissance du secteur du cinéma et de l'audiovisuel, ainsi que des modalités de fonctionnement des tournages. Nous avons besoin de quelqu'un qui possède ces deux types de qualifications.

Il est donc essentiel de progresser sur ce point et d'apporter les précisions nécessaires de manière rapide. Nous estimons que cela peut rester au niveau des partenaires sociaux. Comme ils l'ont fait pour la définition du contenu des missions, les partenaires sociaux doivent être en mesure de définir plus précisément la liste des qualifications, le type de certification ou les diplômes requis pour que le responsable enfant puisse être embauché en satisfaisant l'ensemble des obligations exigées.

En ce qui concerne la question de savoir s'il faut encourager par des bonus la mise en place du responsable enfant, la réponse est négative. En effet, cette mise en place est obligatoire. Par conséquent, en l'absence de responsable enfant, les aides seront retirées. Il s'agit d'un bonus inversé. Nous ne récompenserons pas le respect d'une obligation, mais nous sanctionnerons son non-respect.

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Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC

Je souhaite ajouter un point complémentaire. L'intérêt d'avoir intégré ces avenants aux conventions collectives réside dans le fait que le poste devient désormais obligatoire. Grâce à un arrêté d'extension, les inspecteurs du travail pourront contrôler leur présence, ce qui n'était pas possible auparavant lorsque cette présence n'était qu'une faculté. En matière de contrôle, il est particulièrement pertinent d'avoir cet avenant qui rend obligatoire la présence d'un responsable enfant dès lors qu'un mineur de moins de seize ans est présent sur un tournage. Cela constitue un outil supplémentaire pour les contrôles.

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Légalement, rien n'empêche de prolonger la présence du responsable des enfants entre seize et dix-huit ans. Deuxième question, que faire lorsqu'il y a plusieurs enfants sur un tournage ? Par exemple, un responsable des enfants doit toujours être présent auprès d'eux. Si, sur un tournage, il y a cinq ou six enfants, certains en train de tourner, d'autres dans les loges, et d'autres encore au maquillage, impose-t-on la présence de plusieurs responsables ? Exigez-vous, comme à l'éducation nationale, un taux d'encadrement spécifique, tel qu'un adulte pour un certain nombre d'enfants ? Cette question a-t-elle été prise en compte ? J'avais également posé une question concernant le coordinateur d'intimité. Des personnes ont-elles sollicité le CNC pour obtenir un bonus en vue de la coordination d'intimité sur les tournages ? Avez-vous reçu de telles demandes ? Si oui, combien de demandes ont été formulées ? Avez-vous accepté toutes les demandes de coordination d'intimité ou en avez-vous refusé certaines ? Si des refus ont été opposés, quelles en étaient les raisons spécifiques ?

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Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC

Sur le premier point, il n'existe pas de définition précise d'un taux d'encadrement pour les enfants sur un tournage. Il est fréquent de se retrouver avec plusieurs enfants sur un plateau. Dans ces situations, les producteurs prennent la responsabilité de désigner plusieurs responsables pour les enfants présents. Je rappelle que le temps de travail d'un enfant peut varier d'une heure à plusieurs jours, selon le rôle. La présence des responsables enfants est donc adaptée au temps de travail de chacun, en cohérence avec l'organisation du tournage.

Concernant la coordination d'intimité, l'ADA nous a sollicités l'année dernière. Nous les avons rencontrés à plusieurs reprises. Ils ont proposé de conditionner les aides à la présence d'un coordonnateur d'intimité pour chaque scène d'intimité tournée. Nous avons collaboré avec les partenaires sociaux et mené une enquête via le CPNEF audiovisuel pour déterminer les besoins en France en matière de coordination d'intimité. Cette enquête a abouti, en décembre dernier, à la publication d'une fiche métier. Sur cette base, une proposition de formation est en cours d'élaboration, avec pour objectif de former des coordonnateurs d'intimité d'ici début 2025, comme l'a mentionné Olivier Henrard.

Dans le cadre des avenants à la convention collective, des clauses contractuelles pour les interprètes ont été préconisées, à l'instar des pratiques anglo-saxonnes. Cela permet d'établir un cadre contractuel entre l'employeur producteur et l'interprète pour les scènes d'intimité. Actuellement, nous ne conditionnons pas les aides à la présence d'un coordonnateur d'intimité, car ce travail est en cours de mise en œuvre par les partenaires sociaux.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Pour conclure sur ce point, nous considérons qu'il incombe au producteur une obligation générale. En effet, il est de sa responsabilité professionnelle de prévenir et de faire cesser les VSS si elles surviennent. Le producteur dispose du choix des moyens à mettre en œuvre pour atteindre cet objectif. En cas de débat, nous examinerons concrètement si, dans chaque situation, le producteur a déployé tous les moyens nécessaires. Par exemple, sur un tournage comportant une scène d'intimité sur une période de trois mois, la présence d'un coordonnateur d'intimité pourrait être jugée suffisante. En revanche, pour un film comportant des scènes d'intimité de manière continue pendant trois mois, avec un coordonnateur présent une semaine sur deux, cela pourrait être jugé insuffisant. Cependant, il ne nous appartient pas de nous immiscer dans les détails opérationnels qui relèvent du producteur, sur lequel repose une obligation de moyens. Celui-ci doit choisir et mobiliser tous ceux nécessaires pour atteindre le résultat escompté. Si nous commençons à identifier chaque levier possible que le producteur peut actionner pour sécuriser son tournage, nous risquons de nous perdre dans des détails superflus.

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Dans le prolongement de ce que vous avez évoqué concernant les coordinateurs d'intimité, une question récurrente lors des auditions concerne le coût global de la prise en compte de ces aspects. Que ce soit pour les coordinateurs d'intimité ou pour d'autres mesures, la question du bonus se pose. Je ne suis pas certain que le bonus soit la solution adéquate, mais de manière générale, comment le CNC peut-il soutenir cette prise en compte, sachant que les pratiques les plus vertueuses seront plus coûteuses en raison du temps supplémentaire requis en amont des tournages ?

Par ailleurs, j'avais une question sur le rôle de référent harcèlement. Ce qui nous revient souvent, c'est le flou entourant cette fonction, souvent cumulée avec d'autres responsabilités, ce qui ne garantit pas une indépendance vis-à-vis des potentiels auteurs de harcèlement. Cela rejoint ma question précédente sur les enquêtes internes. Je ne préconisais pas nécessairement la création d'un nouvel organisme, mais simplement le recours à des cabinets extérieurs par les entreprises pour mener des enquêtes. Cela permet de recueillir un certain nombre de témoignages, rendant un dossier plus substantiel, contrairement à une simple rumeur qui ne permet pas d'agir. Cela pose aussi la question des suspensions et des sanctions, qui ont également un coût. On nous a également parlé de clauses dans les assurances. Avez-vous envisagé de rendre plus coûteux pour un producteur le fait d'ignorer certains problèmes sur un tournage, plutôt que de les prendre en compte et de permettre des suspensions ?

Par ailleurs, vous avez mentionné les facteurs de risque spécifiques aux tournages et à l'événementiel autour du cinéma. Avez-vous engagé une réflexion sur la consommation de produits psychoactifs ? En matière de prévention, une réglementation devrait s'appliquer. Disposez-vous de signalements concernant le non-respect des règles en vigueur dans le monde du travail, notamment en ce qui concerne la consommation d'alcool ou d'autres substances ? Avez-vous également réfléchi à des mesures de prévention à ce sujet ? Je sais que le Collectif 50/50 travaille activement sur cette question. Cela fait déjà beaucoup de points. J'aurais souhaité aborder le sujet des jeux vidéo, mais je pense qu'une audition entière serait nécessaire pour traiter cette question en profondeur.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

La question du coût, il faut quand même la relativiser. J'évoquais tout à l'heure le coût horaire. Le budget moyen d'un film en France, c'est 4,5 millions d'euros. Le coordinateur d'intimité, c'est 1 000 euros la semaine.

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Lorsqu'on intègre ces questions, le temps de préparation s'allonge et le travail avec les équipes devient plus complexe. Par exemple, pour les formations, il ne s'agit pas seulement du coût des formateurs, mais également du fait que deux heures de tournage seront consacrées à la formation. Il est essentiel de prendre en compte ce temps nécessaire pour éviter des situations regrettables.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Notre objectif est de généraliser les pratiques vertueuses, qui sont désormais des pratiques légales. Toute pratique contraire est illégale, c'est binaire. Nous soutenons particulièrement les producteurs qui adoptent ces pratiques de leur propre initiative et avec plus d'engagement que d'autres. Cependant, mobiliser des soutiens financiers supplémentaires interroge parce que le coût nous semble raisonnable comparé au budget moyen d'un film en France. En moyenne, 25 % des financements proviennent de fonds publics.

Vous soulevez un point essentiel, celui de l'assurance des dommages en cas d'interruption de tournage. Ce sujet est crucial car les coûts ne sont pas comparables à ceux d'embaucher un coordinateur d'intimité à 1 000 euros par semaine. Concernant l'assurance, qui est effectivement centrale, ce n'était pas initialement de la compétence du CNC, mais nous avons œuvré pour réunir tous les acteurs concernés. Depuis le 1er janvier 2021, deux assureurs mutualistes, la MAIF et Aréas, ont mis en place une clause assurantielle gratuite couvrant les risques de violences sexistes et sexuelles sur les tournages. Cette clause permet de couvrir jusqu'à 500 000 euros de frais liés jusqu'à cinq jours de tournage. C'est une mesure substantielle. La seule obligation pour le producteur, afin de bénéficier de cette clause, est de signaler l'incident au procureur de la République. Pour bénéficier de cette couverture pouvant atteindre 500 000 euros, le producteur doit impérativement procéder à un signalement auprès du procureur.

J'ai entrepris un travail supplémentaire pour adapter cette clause, l'élargir et la rendre plus généreuse, tant en termes de montant que d'analyse, ainsi que pour l'adapter à la réalité des tournages. Actuellement, nous pouvons être confrontés à une situation où un tournage, suite à un incident comme celui évoqué, ne reprend pas du tout pour diverses raisons. Cela peut être dû à l'éclatement de l'équipe ou à la réputation du film, désormais si ternie qu'il n'a plus d'équilibre économique, poussant ainsi le producteur à arrêter le tournage. Pour couvrir un dommage de cette nature, il n'existe actuellement aucune couverture assurantielle. Nous nous efforçons donc de mobiliser les parties prenantes, les professionnels et les assureurs pour remédier à cette lacune. Cependant, cette couverture ne sera évidemment pas gratuite, les montants en jeu seront bien différents.

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Nous allons interroger les assureurs, car cela nous semble important. Il est envisageable que certains assureurs refusent de couvrir des productions qui ne respecteraient pas les prérequis établis par le CNC. Ce levier me paraît extrêmement significatif. Par exemple, l'assurance de 500 000 euros pour une interruption de tournage, si j'étais producteur, je mettrais en place, dans le cadre légal et assurantiel traditionnel, des obligations de respect du code du travail, ainsi que des règles de prévention des risques.

Ce qui est intéressant, et c'est un point soulevé par Anne-Cécile Mailfert de la Fondation des Femmes, c'est que les questions de violences sexistes et sexuelles relèvent de la gestion des risques. Elle a justement affirmé qu'on ne fait pas de prévention incendie en se contentant d'une charte. De la même manière, on ne peut pas se limiter à une charte pour la prévention des VSS. Il est nécessaire de mettre en place des outils complémentaires. Je pense qu'il est crucial de continuer à définir ces outils et d'aller plus loin, peut-être pas en imposant des obligations, mais en exigeant un engagement fort et volontaire de la part de la filière.

La réponse n'a pas été donnée concernant cette question importante des substances que vous appelez, chère collègue, psychoactives, et que nous allons résumer pour les auditeurs la question de la consommation de drogue et d'alcool.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Actuellement, nous n'avons pas de chantier en cours au CNC sur ce sujet. Pour illustrer la diversité de nos interventions, nous avons pu contribuer, par exemple, à des groupes de travail sur la consommation de friandises dans les salles de cinéma. Nous nous préoccupons de la santé publique. Dans ce cas précis, le risque est bien plus élevé. Bien que nous ne soyons pas engagés pour le moment, nous suivons attentivement les travaux menés au sein de la profession, notamment à l'initiative du Collectif 50/50. En fin de compte, l'autorégulation demeure probablement la solution la plus adéquate et efficace.

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Il est important de noter que ce domaine est déjà couvert par le droit du travail.

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Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC

Le sujet est abordé dans le cadre de la formation destinée aux producteurs et, demain, dans celle destinée aux équipes. Olivier Henrard en a parlé parmi les facteurs de risque, il y a cette porosité entre vie professionnelle et temps de détente. Nous savons très bien que, durant ces moments de détente, la consommation éventuelle d'alcool ou de drogue peut susciter divers comportements. Ces éléments sont déjà identifiés dans le cadre des sessions de sensibilisation des producteurs, qui sont obligatoires. Nous n'avons pas de chantier spécifique sur la consommation d'alcool et de drogue. Cependant, en alertant et en sensibilisant les professionnels au fait qu'ils sont également responsables de ces moments, en raison du lien de subordination hiérarchique, nous abordons ce sujet sans en faire un chantier spécifique.

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Je crois que nous avons approché de manière assez approfondie, bien que non exhaustive, les questions qui nous préoccupent. Ce que je vais vous demander maintenant, c'est de nous fournir des chiffres précis. Par exemple, nous souhaiterions connaître le nombre de tournages en France, et plus spécifiquement, le nombre de tournages impliquant des enfants. Pour cela, il serait utile de distinguer deux catégories, les enfants de moins de seize ans et ceux âgés de seize à dix-huit ans. Vous m'indiquez que vous ne disposez pas de ces données ?

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Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC

Non, ce sont des informations que nous n'avons pas du tout.

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Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

Puisqu'il n'existe de régime juridique d'encadrement que pour les mineurs de seize ans ? Entre seize et dix-huit, ce n'est pas une catégorie pertinente.

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Je constate que vous n'avez pas les données pour les âges de seize et dix-huit ans, mais que vous disposez des informations pour les moins de seize ans. Je pense que, pour cet avenant, en collaboration avec la rapporteure, et les députés participant à nos travaux, nous proposerons que l'âge soit fixé à dix-huit ans et non à seize ans. À seize ans, on reste très jeune et un accompagnement des jeunes mineurs est nécessaire. Nous ferons cette proposition, même si cela peut engendrer des complications supplémentaires. Toutefois, si la majorité dans notre pays est fixée à dix-huit ans, ce choix n'est pas anodin.

Concernant les chiffres, notamment ceux relatifs au nombre de films financés en France et la proportion de subventions publiques, vous avez mentionné que cela représente environ 25 %, nous souhaitons récupérer toutes les statistiques habituelles que vous possédez.

La commission procède à l'audition de syndicats du spectacle, du cinéma et de l'audiovisuel : M. Philippe Gautier, membre de la commission exécutive de la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle (FNSAC-CGT) et Mme Karine Huet, membre du collectif Femmes ; M. Christophe Pauly, secrétaire national en charge des médias pour la fédération communication, conseil, culture (F3C-CDFT) ; M. Frank Laffitte, trésorier de la fédération des arts, du spectacle, de l'audiovisuel et de la presse (FASAP-FO).

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Mesdames, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Vous avez probablement déjà suivi une partie de nos travaux et savez que notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, du spectacle vivant, de l'audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous cherchons également à identifier les responsabilités de chacun et à proposer des solutions pour améliorer les conditions de travail et la situation des personnes dans ces secteurs. Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous présentiez chacun votre syndicat et les actions que vous menez dans le cadre de cette commission. Nous essaierons de garder cette première partie assez brève afin de réserver du temps pour les questions.

Je rappelle que les auditions se déroulent sous serment. Nous ne cherchons pas à obtenir des noms, car nous ne sommes ni enquêteurs de police, ni procureurs, ni un tribunal. Notre objectif est d'identifier les systèmes et leurs dysfonctionnements, ce qui est essentiel à rappeler. Cette audition est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d'entamer nos échanges, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Karine Huet, ainsi que MM. Frank Laffitte, Christophe Pauly et Philippe Gautier prêtent succesivement serment.)

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Frank Laffitte, trésorier de la fédération des arts, du spectacle, de l'audiovisuel et de la presse (FASAP-FO)

Je représente la FASAP-FO, fédération des arts, des spectacles, de la presse et de l'audiovisuel — Force ouvrière. Je remplace Mme François Chazaud, notre secrétaire général, actuellement engagée dans des obligations syndicales à l'international. La FASAP-FO regroupe huit syndicats nationaux présents dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant et enregistré, qu'il soit privé ou subventionné. Nous comptons également le seul syndicat de mannequins et de métiers de la mode constitué de salariés, animé par Marie-France Vernabel, avec qui je collabore étroitement. Nos actions concernant les violences sexuelles et sexistes (VSS) se concentrent principalement sur l'information de nos adhérents. Nous encourageons la libre parole et la communication, afin que les victimes ne se renferment pas dans le silence. Nous privilégions une approche au cas par cas pour traiter ces situations.

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Christophe Pauly, secrétaire national en charge des médias pour la fédération communication, conseil, culture (F3C-CFDT)

Je suis secrétaire national à la fédération communication, conseil et culture de la CFDT. Mon domaine de responsabilité englobe les médias et la publicité. La Fédération, relativement jeune avec une vingtaine d'années d'existence, couvre un champ très large incluant les activités postales, les bureaux d'études, les centres de gestion, le cinéma, la culture, la distribution, l'édition, les experts, les industries graphiques, ainsi que l'audiovisuel et les médias. Ce dernier secteur comprend les journalistes, la presse, les messages de presse, le portage salarial, la publicité sportive et les télécoms. Nous avons délibérément choisi d'avoir un champ d'action étendu, en réponse aux regroupements sectoriels observés depuis la fin des années 1990 et qui continuent aujourd'hui.

Au sein de notre fédération, nous avons mis en place un réseau interne appelé le réseau des sentinelles, doté de nombreuses prérogatives et impliqué dans diverses actions, dont les violences et harcèlements sexuels et sexistes (VHSS). Plus spécifiquement, pour les secteurs sous ma responsabilité, nous disposons de deux CCHSCT (comités centraux d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail) l'un pour le cinéma et l'autre de la production audiovisuelle. De plus, nous participons activement à une commission nationale paritaire pour l'emploi et la formation dans l'audiovisuel, où la CFDT mène de nombreuses actions de manière paritaire, en lien avec votre commission.

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Philippe Gautier, membre de la commission exécutive de la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle (FNSAC-CGT)

Je suis ancien musicien et actuellement l'un des dirigeants de la CGT Spectacle, particulièrement du syndicat regroupant les musiciens et musiciennes. Notre fédération, très ancienne, est majoritaire, notamment dans le secteur du spectacle vivant, qui emploie le plus d'artistes. En effet, par nature, le spectacle enregistré offre des périodes d'emploi beaucoup plus brèves. Nous abordons les questions d'égalité femmes-hommes, de lutte contre les violences et d'intégration des hommes et des femmes dans tous les métiers, car ces problématiques sont interconnectées. Le mouvement # MeToo a été un élément déclencheur pour nous, nous sensibilisant à l'ampleur du problème et nous rendant plus activistes qu'il y a dix ans. Notre action syndicale se déploie à l'intérieur des entreprises, comme dans les orchestres symphoniques ou les maisons d'opéra, où nous avons des artistes en CDI et une implantation syndicale durable. Cependant, la majorité des artistes et techniciens du spectacle étant intermittents, notre activité syndicale se déroule souvent en dehors des entreprises. Nous pensons qu'il est utile de parler du problème tel qu'il se pose pour bien l'identifier et discuter efficacement des solutions possibles.

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Suite au mouvement # MeToo, vous avez pris en compte les dénonciations émises par ce mouvement. En 2020, vos trois organisations syndicales ont signé avec la fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l'audiovisuel et du cinéma (Fesac) un plan d'action comportant divers leviers, notamment la promotion de l'égalité et la lutte contre les violences et harcèlements sexuels (VHS) dans le spectacle vivant et enregistré. Je souhaite connaître votre bilan de ce plan d'action. Est-il réellement appliqué ? Identifiez-vous des points de faiblesse ou des aspects à souligner devant cette commission d'enquête ?

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Philippe Gautier, membre de la commission exécutive de la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle (FNSAC-CGT)

Je reprends la parole car j'avais participé aux discussions à l'époque. Aujourd'hui, nous souhaitons souligner que de nombreuses actions ont été entreprises de manière constructive. Nous avons rencontré des interlocuteurs constructifs du côté de nos employeurs, de l'État et des établissements publics, comme le Centre national de la musique (CNM). Nous avons répondu par écrit au questionnaire que vous nous avez envoyé. Globalement, la plupart des objectifs ont été atteints. Par exemple, un protocole a été mis en place dans le cadre du CNM, ainsi que deux accords de branche dans le secteur du spectacle vivant privé et subventionné, concernant les protocoles de lutte contre les violences.

Cependant, nous devons aborder un point important, particulièrement mis en lumière par la presse ces derniers jours, notamment dans le secteur musical. Vous avez probablement pris connaissance de cet article paru il y a deux semaines dans Le Canard enchaîné, révélant les agissements condamnables d'un chef d'orchestre réputé. Malheureusement, un des points essentiels de l'accord signé avec la Fesac était la mise en place d'une cellule d'écoute, à la fois juridique et psychologique, pour les victimes. Karine Huet pourra témoigner, car elle a parlé à de nombreuses victimes, mais aucune d'entre elles n'a contacté cette cellule.

Nous avons négocié, dans le cadre de la convention collective, un protocole complet. Nous avons prévu les modalités de signalement, d'enquête, de protection des victimes et d'accompagnement. Cependant, aucune victime n'a mis en œuvre les dispositifs que nous avons instaurés. Nous ressentons actuellement un effet de désillusion profond. Malgré nos efforts considérables pour élaborer et mettre en place ces mesures, nous nous retrouvons face à un cas concret où les victimes ne s'en saisissent pas.

Cela indique qu'il est probablement nécessaire de faire davantage et de continuer à nous interroger sur les moyens à adopter. Il est possible que la peur de sacrifier sa carrière soit un facteur déterminant, mais je laisse Karine, qui est plus informée sur nos secteurs, répondre à cette question. N'ayant pas parlé directement aux victimes, je préfère m'abstenir de commenter davantage sur cette affaire, qui démontre clairement que nous n'avons pas encore atteint nos objectifs.

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Frank Laffitte, trésorier de la fédération des arts, du spectacle, de l'audiovisuel et de la presse (FASAP-FO)

Nous sommes particulièrement investis dans les grands cabarets parisiens. Dans ces établissements, les comités sociaux et économiques (CSE) ont mis en place des référents en matière de VHS, et cela fonctionne bien. Je suis en contact régulier avec les directions des cabarets. Récemment, l'un des grands cabarets parisiens n'a pas hésité à licencier un salarié et à en mettre à pied un autre en raison de dérives qui ont été immédiatement signalées. À Paris, les choses évoluent positivement, les progrès sont considérables.

Cependant, comme l'a souligné M. Gautier, il est regrettable qu'il n'y ait pas suffisamment de suivi, ce qui laisse ces initiatives sans suite concrète. Nous souhaiterions que les victimes portent plainte, que les affaires soient portées devant le procureur de la République. Il est essentiel de ne pas banaliser ce type d'agressions. Les agressions, pouvant aller jusqu'au viol, ne sont pas de simples délits, elles relèvent des assises. Le viol est passible de quinze ans de prison, et il est crucial de rappeler la gravité de ces actes, qui ont brisé des centaines, voire des milliers, de vies dans le milieu du spectacle depuis des décennies.

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Mme Huet, pourriez-vous nous expliquer les mécanismes de cette peur qui empêche parfois d'aller jusqu'au dépôt de plainte ? Il est souvent facile de comprendre cette réticence. Nous avons commencé à en percevoir les raisons, mais des exemples concrets et une description détaillée de ces processus nous seraient très utiles.

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Karine Huet, membre du collectif Femmes de la FNSAC-CGT

J'ai eu des victimes au téléphone. Moi-même, je suis allée sur le terrain, donc nous avons recueilli quelques éléments. Je ne suis pas certaine que nous puissions tout expliquer, mais en tout cas, les victimes de cette affaire sont véritablement terrorisées. Nous avons également tenté de comprendre pourquoi elles peuvent être terrorisées. L'une des raisons pour lesquelles elles n'ont pas parlé est qu'on leur a dit que ce qu'elles vivaient n'était pas grave.

Le sexisme et l'ambiance qui règnent autour de nous leur font croire que ce n'est pas important, que c'est normal. Depuis longtemps, nous normalisons dans nos secteurs des comportements qui ne le sont pas. Il est nécessaire de rétablir les choses juridiquement, ce qui n'est pas toujours évident.

Nous sommes dans une situation de précarité. La précarité engendre la peur de perdre son emploi, mais aussi la peur d'être perçue comme une personne qui se plaint. Dans l'affaire qui nous préoccupe, des hommes ont également reçu des messages, tout comme les femmes. Je peux vous rapporter les témoignages que j'ai reçus, ils recevaient des photos du sexe du chef d'orchestre, des propositions de prendre des douches ensemble, et ce, de manière très régulière, adressées à un grand nombre de personnes. Ces personnes, en parlant de ce qu'elles vivaient, constataient que cela ne se faisait pas, et tout le monde riait autour d'elles. Minorer les faits et décourager les victimes de porter plainte ne fait qu'aggraver leur situation, car elles sont déjà souvent moquées à l'avance.

Nous évoluons dans un milieu où la compétition pour obtenir des postes est féroce et où la précarité est omniprésente. De nombreuses personnes sont prêtes à prendre ces places et à s'y investir. Il est impératif de ne rien dire, de ne rien faire, et même de ne pas appeler la cellule de soutien. L'article du Canard enchaîné mentionne sept témoignages, mais une seule personne n'est pas anonyme, son nom y figure. Cette personne m'a confié qu'elle a découvert en lisant l'article qu'elle était la seule nommée. Cette soliste a une carrière très importante et est reconnue dans son domaine.

Les hommes occupent généralement les postes hiérarchiquement les plus élevés et les mieux rémunérés dans ce secteur. En revanche, les victimes sont souvent économiquement plus fragiles et occupent des positions hiérarchiquement inférieures au sein de l'orchestre. Cette soliste, cependant, est moins vulnérable car elle a été accompagnée par de nombreux orchestres réputés à travers le monde et ne travaille pas exclusivement pour un seul orchestre ou en Île-de-France.

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Christophe Pauly, secrétaire national en charge des médias pour la fédération communication, conseil, culture (F3C-CFDT)

La CFDT est la première organisation syndicale dans le secteur du spectacle enregistré et de la publicité. Il est essentiel de souligner qu'il n'existe aucun cas de force majeure ni aucune exception au respect de l'intégrité physique et morale des individus. Pour notre organisation syndicale, il est impératif de mener un travail constant avec l'ensemble des partenaires sociaux afin de mettre en place des dispositifs adaptés. Cela s'applique non seulement à la situation actuelle, mais également à d'autres domaines. La contractualisation et l'engagement de toutes les parties prenantes sont primordiaux pour nous.

Je tiens à préciser que, bien que je ne dispose pas des chiffres exacts à cet instant, cela ne contredit en rien les propos de mes collègues concernant la situation évoquée. La cellule d'écoute, instaurée suite à un accord début 2020, a été mise en place quelques semaines plus tard. Ces discussions étaient déjà en cours depuis la fin des années 2010, notamment en 2018 et 2019. Les deux CCHSCT, du côté du cinéma et de la production audiovisuelle, existent depuis plus d'une décennie et sont intégrés dans nos travaux sur ces sujets. La cellule d'écoute est hébergée par Audiens, et nous pouvons obtenir des retours sur le nombre de personnes qui y font appel.

Nous distinguons deux types de situations de travail celles temporaires, avec un collectif de travail créé pour un projet spécifique, et celles permanentes, au sein d'une entreprise avec des employés permanents. Dans le secteur de la publicité, le hashtag qui incite à dénoncer une agence a émergé il y a quelque temps. Parallèlement, les partenaires sociaux ont élaboré et mis en œuvre un accord VHSS avec des procédures spécifiques. Cet accord est disponible et peut être communiqué. Le fait que cette question ait suscité autant de réactions, tant en interne qu'en externe, dans le secteur de la publicité, nous amène à penser que le nombre de cas similaires a considérablement diminué. Toutefois, un cas notable a encore été signalé l'année dernière.

Il est possible que des incidents se produisent, mais ils sont désormais beaucoup moins fréquents. Les entreprises craignent qu'un événement similaire à celui qui a eu un fort retentissement médiatique ne se reproduise, ce qui serait très préjudiciable. Cet aspect joue évidemment un rôle, mais nous avons également observé un véritable effet positif dans la publicité, à la fois en termes de communication et grâce à la mise en œuvre de dispositifs internes par les partenaires sociaux. Cela est particulièrement vrai dans le secteur de la publicité, car les équipes y sont permanentes. La rapidité et l'efficacité des mesures sont dues à cette permanence des équipes.

En revanche, la situation est différente lorsque les équipes ne sont pas permanentes et fonctionnent en mode projet. Ces projets sont de courte durée et les personnels sont majoritairement précaires. Nous revenons ici sur ce que Karine Huet et Philippe Gautier mentionnaient plus tôt concernant les postes, les carrières, et l'ensemble de ces dynamiques. Il est relativement aisé de manipuler ces aspects dans un système hiérarchique. Il est également essentiel de lutter contre cette culture et de faire évoluer les mentalités.

Nous observons également une approche différente de ces sujets selon les tranches d'âge. Les choses évoluent. Par exemple, les enfants de certains chefs de poste n'adoptent pas du tout les mêmes comportements que leurs parents. Ils ont une vision des choses totalement différente, avec un écart de vingt à trente-cinq ans. À moyen terme, nous considérons cela comme une évolution positive. Tout ne se résoudra pas immédiatement, mais les changements sont en cours.

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Mme Huet, ce que vous avez mentionné concernant les ressorts de la peur de témoigner est particulièrement intéressant. La seule personne qui a souhaité que son nom soit divulgué est quelqu'un qui jouissait déjà d'une certaine notoriété et qui, de par son talent et sa réputation, retrouverait probablement du travail. Les autres, bien que talentueux, ne bénéficient pas de cette notoriété. Cela soulève une question importante.

J'aimerais comprendre pourquoi, même lorsque des faits graves sont avérés et que des preuves existent, certaines personnes hésitent à dénoncer collectivement. On pourrait penser qu'elles se protègent mutuellement et qu'elles ne souffriront pas de cette situation. Bien sûr, la présomption d'innocence doit toujours être respectée. Cependant, si les preuves sont irréfutables et comparables, on peut s'attendre à ce que la personne incriminée soit condamnée.

Pourquoi alors cette réticence à témoigner ? Est-ce simplement la peur de perdre son emploi, même si, en théorie, elles pourraient retrouver du travail et avoir agi de manière juste ? Ou est-ce aussi la crainte de briser la carrière d'une personne qui, malgré des actes répréhensibles, reste un artiste ?

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Karine Huet, membre du collectif Femmes de la FNSAC-CGT

Dans certains milieux, tout le monde se connaît. Les comédiennes, les musiciennes, notamment dans le domaine de la musique classique, sont majoritairement en Île-de-France, ils passent d'un orchestre à l'autre et se connaissent tous. La crainte de se faire mal voir par ses pairs est omniprésente. On redoute d'être perçue comme une « chochotte » ou une « chieuse », ce qui pourrait nuire à sa carrière. En effet, dans ces milieux restreints, porter plainte ou dénoncer une situation peut entraîner des répercussions importantes. La personne concernée pourrait être jugée et l'information se répandrait rapidement. Les autres membres de ce secteur pourraient alors lui en vouloir et choisir de ne plus collaborer avec elle. C'est ainsi que cette dynamique est perçue.

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Ne pourrait-on pas envisager l'inverse ? Ne pourrait-on pas renverser la perspective ? Ne pourrait-on pas considérer que celui qui n'aurait pas dénoncé serait justement le collègue avec qui nous n'avons pas envie de collaborer, car il ne signale pas des actes délictueux ?

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Karine Huet, membre du collectif Femmes de la FNSAC-CGT

Je milite pour un changement de comportements. Changer les comportements signifie que la peur change de camp. Nous en parlons depuis longtemps, ce terme « la peur ». Cependant, nous constatons qu'elle ne change pas de camp, ce qui est tout de même terrible. Je partage votre avis à ce sujet.

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Philippe Gautier, membre de la commission exécutive de la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle (FNSAC-CGT)

Je vais illustrer un autre exemple survenu au sein du ballet d'un opéra national d'une grande ville. Le maître de ballet avait pour habitude de toucher les testicules des danseurs avant qu'ils ne montent sur scène. De plus, lorsqu'il estimait qu'un danseur avait commis une erreur, il lui administrait une fessée devant les autres. Bien que cela ne le concernait pas directement, un syndicat au niveau de l'orchestre et du chœur en a été informé. Nos camarades ont alors mené une enquête pour établir les faits avec précision. Cette affaire remonte à 2019. Nos camarades ont déposé une plainte très détaillée, que nous tenons à votre disposition, à la fois auprès du procureur de la République et de la direction de l'opéra, qui était la Ville. Le procureur de la République a classé cette plainte sans suite.

Au sein de l'opéra, dans un premier temps, il ne s'est presque rien passé. Le directeur du ballet a tenté de faire signer une pétition de soutien parmi les membres du ballet, suite à cette plainte. Deux artistes ont refusé de la signer. Les contrats dans les opéras, notamment dans les ballets de droit public, sont renouvelables chaque année. Ces deux artistes, qui avaient été programmés sur tous les ballets des deux saisons précédentes, n'ont pas vu leur contrat renouvelé car le directeur du ballet a estimé qu'ils n'avaient plus le niveau requis. Ces faits sont bien connus.

Des changements ont eu lieu, et bien que la préoccupation soit compréhensible, il y a eu une évolution à la tête de cet opéra. La nouvelle direction a jugé que la situation était désormais sous contrôle. La direction avait épuisé toutes les possibilités, dans le cadre des procédures disciplinaires, pour renvoyer le directeur du ballet pour ce motif. Elle a donc trouvé un autre prétexte. Actuellement, il n'est plus directeur du ballet. Dans cette affaire, un homme politique de la région, ancien ministre et député pendant de nombreuses années, a pris la plume dans la presse régionale pour soutenir le directeur du ballet. Il a affirmé que ceux qui ne comprenaient pas qu'un directeur de ballet devait toucher les danseurs n'avaient rien compris à la danse. Je dispose de tous les éléments de ce dossier, si cela vous intéresse.

Ce sont des exemples fâcheux contre lesquels nous avons agi. Nous avons également porté plainte auprès du procureur de la République, non pas pour des faits internes à l'entreprise, mais pour une guitariste bassiste qui envisageait de se produire dans un festival, en 2021. Elle a reçu des propositions extrêmement malhonnêtes de la part du directeur du festival, conditionnant son engagement. Cette plainte a été transmise au procureur de la République, accompagnée d'un courrier de soutien du syndicat, mais elle est restée sans suite. Ces exemples illustrent les difficultés concrètes rencontrées dans l'accompagnement des victimes.

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Karine Huet, membre du collectif Femmes de la FNSAC-CGT

Je souhaite apporter une précision supplémentaire concernant ce dossier que j'ai traité. La situation est encore plus grave que ce qui a été décrit. L'impunité est telle que l'on peut écrire ce que l'on veut sans craindre de conséquences. Nous avons reçu des messages WhatsApp explicites, tels que : « Je veux bien produire ton disque, je veux bien te programmer sur le festival que j'organise si nous couchons ensemble. » Ces propos étaient écrits noir sur blanc. Nous avons déposé une plainte en joignant des captures d'écran comme preuves. Cependant, trois ans après, nous n'avons toujours pas reçu de nouvelles concernant cette plainte, déposée conjointement par le syndicat et la musicienne concernée. Cette musicienne, qui a fait preuve de force et de détermination, est venue me voir pour en parler. Elle m'a affirmé : « Non, je n'ai pas cédé. Je ne coucherai pas pour être programmée ou pour que mon disque soit produit. » Cela illustre bien l'ambiance délétère et la violence psychologique que génère un environnement où de tels propos peuvent être tenus sans crainte de répercussions.

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Merci pour ces exemples concrets, ils nous renseignent beaucoup. Dans le cas de la musicienne que vous nous citez, vis-à-vis d'un directeur de festival, c'est ça ?

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Karine Huet, membre du collectif Femmes de la FNSAC-CGT

D'un directeur de festival qui était musicien et qui produisait des disques d'un style musical très précis.

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Nous sommes conscients qu'il existe parfois deux temporalités distinctes, celle de la justice, qui peut s'étendre sur une longue durée, et celle du droit du travail, qui inclut les suspensions et les enquêtes. Cependant, le véritable problème réside dans la période intermédiaire, celle où l'on n'est pas encore embauché et où aucun contrat de travail n'a encore été signé. Cette situation est effectivement plus complexe à gérer. C'est un sujet sur lequel, avec Mme la rapporteure, nous allons nous pencher afin de trouver des solutions et des moyens d'améliorer ces situations.

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Merci pour ces éclairages et témoignages qui confirment l'ampleur du problème, ainsi que la mobilisation en cours, y compris de la part des syndicats dont je salue le travail.

Vous avez souligné la question de la précarité. J'aimerais approfondir les liens entre le statut d'intermittent et la précarité. Je souhaite également aborder la situation des artistes auteurs, qui se trouvent dans des contextes encore plus spécifiques, où la protection et le code du travail s'appliquent différemment. Je ne connais pas les détails, mais peut-être avez-vous des éléments à ce sujet.

Par ailleurs, la responsabilité des organismes publics, notamment les lieux de formation, mérite d'être examinée. Pouvez-vous nous fournir des exemples positifs de mesures prises dans certains établissements ? Sinon, avez-vous des recommandations de procédures à suivre dans le domaine de la formation ?

Enfin, j'aimerais savoir comment nous pouvons renforcer le rôle des syndicats dans cette lutte.

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Frank Laffitte, trésorier de la fédération des arts, du spectacle, de l'audiovisuel et de la presse (FASAP-FO)

Le problème des intermittents réside dans la précarité inhérente à leur statut. Les artistes, comédiens, chanteurs et danseurs luttent constamment pour obtenir leurs quarante-trois cachets annuels. Comme le soulignaient mes collègues, ce milieu est restreint et tout le monde se connaît. Chaque année, l'intermittent s'interroge sur la possibilité de conserver son statut l'année suivante. En cas de problèmes de harcèlement ou de violence sexiste, il craint de disparaître du milieu et de ne plus pouvoir exercer son métier d'artiste. Il est indéniable qu'il est nécessaire de trouver des solutions à ces problématiques. Cependant, je n'ai pas de solution miracle pour y remédier, car il est extrêmement facile de blacklister quelqu'un dans ce secteur.

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Karine Huet, membre du collectif Femmes de la FNSAC-CGT

Je vais aborder la question de l'enseignement, car il n'existe actuellement aucune prévention ni formation dans les lieux de formation. Il serait très pertinent d'introduire de tels outils, que ce soit dans l'enseignement initial des conservatoires ou dans l'enseignement supérieur. À ce jour, rien n'est mis en place. De plus, ces lieux perpétuent des stéréotypes de genre. Les instruments sont genrés et, par exemple, les musiciens sont exclusivement des compositeurs, sans aucune compositrice. Ce contexte favorise les violences ultérieures.

Actuellement, il n'existe aucun protocole, même pour les enfants. J'ai rencontré la semaine dernière un directeur d'un conservatoire à rayonnement régional (CRR) d'Île-de-France qui m'a fait part de nombreux problèmes et situations de VHSS dans son établissement, notamment entre adolescents. Il m'a cité un cas survenu dans ses cours de théâtre entre adultes élèves, et nous voyons également dans les journaux des cas impliquant des professeurs et des élèves. De nombreuses situations demeurent sans solution, les responsables manquant d'outils pour les traiter. Chacun agit comme il peut, sans directives claires.

Lors d'un comité de suivi du schéma national d'orientation pédagogique au ministère de la culture, nous avons évoqué la nécessité de mettre en place des outils pour permettre les signalements. Il est impératif de trouver des protocoles adaptés aux paroles des mineurs, car nous sommes souvent confrontés à des situations impliquant des mineurs, et nous ne savons pas comment les gérer. En plus de traiter et de signaler ces situations, il est essentiel de mettre en œuvre des actions de prévention, tant pour les futurs professionnels que pour les amateurs. Cela me semble d'une importance capitale.

L'autre jour, j'ai évoqué au ministère un véritable terrain propice aux violences sexuelles, la non-mixité dans de nombreux secteurs. Par exemple, dans la musique actuelle, les femmes représentent seulement 8 à 10 % des effectifs. Si l'on trouve des chanteuses, les musiciennes sont en revanche très rares. De même, les chefs d'orchestre et les directeurs artistiques sont majoritairement des hommes. Cette absence de mixité favorise largement les violences sexuelles. J'ai également souligné l'importance de mettre en place des politiques incitant les filles à s'engager dans des formations où elles sont actuellement sous-représentées. L'absence de modèles féminins dans certains domaines, comme le jazz, dissuade les jeunes filles de s'y aventurer. Il est donc essentiel que les conservatoires adoptent des politiques visant à encourager la mixité, ce qui pourrait, à terme, bénéficier aux professions artistiques.

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Christophe Pauly, secrétaire national en charge des médias pour la fédération communication, conseil, culture (F3C-CFDT)

Concernant les dispositifs et les procédures pour les intermittents dans notre périmètre, nous avons élaboré un kit VHSS pour les secteurs du cinéma, de la production audiovisuelle et du film d'animation. Ce kit est évolutif et nous avons mené une vaste campagne de communication à ce sujet. Il s'agit d'un outil détaillant les procédures internes. Je ne vais pas entrer dans les détails ici, mais nous pourrons vous le transmettre. Pour ce qui est de la publicité, nous avons mis en place un dispositif similaire, accessible à toutes les entreprises. La manière dont ces entreprises et les collectifs de travail non permanents s'approprient ces outils est un autre sujet, en constante évolution.

Par ailleurs, vous avez reçu le CNC plus tôt. Nous avons désormais des formations obligatoires sur ces sujets, lancées juste avant la pandémie de la covid-19. Ces formations sont intégrées dans le travail de la commission nationale paritaire pour l'emploi et la formation, et concernent notamment la coordination d'intimité. Nous avons pris exemple sur les États-Unis et leur syndicat interne pour structurer ces formations. L'année prochaine, nous mettrons en place une certification après avoir réalisé une étude d'opportunité et rédigé un cahier des charges.

En ce qui concerne les référents VHSS sur les projets et les tournages, il reste des aspects à approfondir. Nous allons recueillir des retours d'expérience car, actuellement, certaines personnes suivent des formations tout en ayant d'autres responsabilités sur les tournages. Ces retours nous permettront probablement de redimensionner les dispositifs en place. Ces discussions sont régulières entre partenaires sociaux dans les CCHSCT. Il y a une véritable prise en compte et une prise de conscience de ces enjeux.

Sur l'aspect de la précarité, l'intermittent est un professionnel du spectacle, qu'il soit vivant ou enregistré. Il s'agit d'une personne qui fait carrière dans un secteur d'activité de manière substantielle ou essentielle, mais de façon intermittente, avec des contrats de travail qui débutent et s'achèvent, laissant des périodes d'inactivité entre eux. Cela engendre inévitablement des effets pervers. Quel que soit le sujet, qu'il s'agisse de violences ou de thèmes moins dramatiques, la victime se demande si elle pourra travailler à nouveau par la suite. Est-ce que quelqu'un ne va pas dire quelque chose à quelqu'un d'autre ? « Tu sais, celui-là, c'est vraiment quelqu'un qui nous pose problème. » Cette situation est récurrente. Nous devons lutter contre cette culture, mais je vous avoue que c'est assez complexe.

Je vais aborder la situation des intermittents, qu'ils soient du côté du spectacle vivant ou enregistré. Cela ne concerne pas uniquement les tournages de cinéma, mais également la radiodiffusion, la prestation technique et la télédiffusion. Les intermittents sont présents partout, représentant plus d'une centaine de milliers de personnes. Dans le secteur de l'enregistré, on compte 120 000 personnes, dont 80 % sont précaires. Ces précaires ne représentent peut-être pas 80 % en termes de fréquence de travail, car certains ne travaillent qu'occasionnellement. Cependant, ils sont censés exercer avec expérience et expertise tout au long de leur vie professionnelle. Cette situation crée une sorte d'épée de Damoclès permanente. C'est ainsi que nous vivons, c'est notre réalité.

Après avoir quitté la réunion, lorsque nous nous retrouvons témoins, nous engageons des discussions entre paritaires. Il y a à la fois la victime, que l'on peut qualifier de présumée, et la personne qui est l'auteur des faits qui n'auraient pas dû se produire, ainsi que les éventuels témoins. Cela ne se limite pas à l'aspect financier, à la production ou à d'autres considérations. Cette sorte d'omerta, due aux liens futurs et à la peur qu'ils suscitent, représente un immense travail de révolution culturelle que nous avons entrepris. Je ne sais pas comment, d'un point de vue légal ou juridique, les choses peuvent évoluer. Ce qui est certain, c'est qu'en termes de communication, au sein de nos échanges internes entre paritaires, plus nous en parlerons, plus les situations tendront à s'améliorer. Actuellement, les situations restent très complexes.

Nous n'avons pas abordé l'enjeu économique lié à ces questions. En ce moment, entre paritaires, avec une prise de conscience du côté des producteurs, l'idée d'un outil assurantiel émerge. C'est une piste à explorer davantage. Si nous parvenons à mettre en place des amortisseurs de danger, psychologiques ou économiques, les collectifs seront progressivement plus sereins et pourront comprendre que prendre ce risque n'est pas si grave. Nous en sommes là. L'année dernière, lors d'un tournage, un homme a été violé et il ne souhaitait pas porter plainte. Cela ne se résout pas simplement, et le poids qui pèse sur les individus est immense.

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Quand on parle d'omerta, vous ne pensez pas que c'est abusif ?

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Christophe Pauly, secrétaire national en charge des médias pour la fédération communication, conseil, culture (F3C-CFDT)

Je ne pense pas que c'est abusif. En revanche, ça évolue quand même. C'est plus systématique. En tout cas, il y a quand même une légère évolution. Je l'entends, je le vois par les personnes qui sont concernées. On avance, mais c'est lent.

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Vous avez répondu à ma question, chacun à votre manière. Comme vous l'avez mentionné, nous venons d'entendre le CNC qui nous a décrit un processus extrêmement vertueux selon eux. Depuis que je vous écoute, je constate plutôt une absence de formation, comme l'a souligné Mme Huet. M. Pauly a exprimé une opinion légèrement différente, bien que vous ne soyez pas en désaccord. Actuellement, disposez-vous de formations mises en place dès l'entrée dans les différents métiers concernés ? Est-ce un projet en cours ? Le CNC nous a expliqué qu'ils disposaient de moyens, notamment via des appels à projets de leur opérateur de compétences (Opco). Pensez-vous que dans vos secteurs, vous aurez les ressources nécessaires pour que, demain, les victimes n'aient plus peur ? Nous avons évoqué au début de cette audition la peur des victimes et la nécessité de faire changer la honte de camp. C'est une phrase que l'on entend souvent.

J'avais également une question sur les référents VHSS. Existent-ils réellement à tous les niveaux ? J'ai entendu dire que les victimes avaient du mal à solliciter cette cellule, gérée par l'organisme Audiens. Peut-être que cette cellule, comme dans d'autres secteurs, est trop éloignée des personnes concernées pour qu'elles aient le réflexe de la contacter, et qu'elles se sentent écoutées et accompagnées de manière satisfaisante tout au long du processus, qui peut éventuellement mener à une plainte. Vous avez également mentionné que la plainte devait être l'aboutissement. Il est important de respecter le fait que toutes les victimes ne souhaitent pas porter plainte. Cela ne légitime en rien les actes dont elles sont victimes.

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Philippe Gautier, membre de la commission exécutive de la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle (FNSAC-CGT)

Au croisement de toutes ces questions, les avancées ne sont pas uniformes. Par exemple, les artistes, nous sommes une profession relativement peu formée, voire non formée à cette question. Les personnels techniques des industries audiovisuelles et cinématographiques, grâce à l'action du CNC, bénéficient d'une situation plus favorable aujourd'hui. Toutefois, un tournage implique souvent une équipe nombreuse. Une des difficultés pour le spectacle vivant réside dans le fait que ce sont majoritairement des TPE. Ces entreprises n'ont pas de représentant du personnel, et le référent violence se déclenche avec le CSE. Or, ces entreprises fonctionnent souvent avec des intermittences et n'atteignent pas le volume nécessaire pour avoir un CSE. Il n'y a donc pas de CSE d'entreprise ni de référent.

Notre présence est parfois éphémère. Par exemple, dans le secteur des musiques actuelles, notre durée moyenne d'appartenance à l'entreprise est d'un jour, car nous venons pour un concert. Un gros festival peut rassembler une communauté de travail importante, mais chaque prestataire (sécurité, nourriture, etc.) et chaque producteur de spectacle programmé appartient à une entreprise différente. Même dans un contexte de travail avec beaucoup de monde, l'addition de toutes ces petites structures ne déclenche pas les mécanismes juridiques comme le CSE ou le référent violence. Dans l'audiovisuel et le cinéma, des CHSCT de branche ont été créés, permettant à des structures extérieures à l'entreprise d'agir utilement.

Les négociations avec les représentants des employeurs dans le spectacle vivant sont extrêmement difficiles. Depuis des années, ils nous refusent la mise en place d'un CHSCT, que nous souhaiterions interbranche en raison de l'imbrication entre le spectacle vivant public subventionné et le spectacle vivant privé. Il serait en effet inefficace de créer deux CHSCT distincts alors qu'un seul serait plus pertinent. Nous cherchons à faire preuve d'inventivité dans ces négociations. Par exemple, un courrier adressé au ministère du travail par les employeurs et les salariés est resté sans réponse depuis deux ans.

Concernant les institutions représentatives du personnel du CSE, la loi est rigide, rendant difficile la mise en place de telles institutions, même lorsque la volonté existe. Prenons l'exemple des orchestres constitués d'intermittents. En France, plusieurs orchestres emploient les mêmes artistes dans chaque pupitre depuis des années, voire des décennies. Cependant, ces artistes ne participent pas aux élections de représentants du personnel en raison de la nature morcelée de leur emploi, qui les empêche d'atteindre le seuil nécessaire pour se présenter. Cette situation ne concerne pas uniquement les violences sexuelles. Par exemple, dans un opéra, c'est souvent le syndicat qui apprend les incidents.

Il y a également la question des salariés protégés. Aucun intermittent n'est considéré comme un salarié protégé dans une entreprise. Un militant syndical élu dans un CSE bénéficie d'une certaine sécurité vis-à-vis de l'employeur. Pour les intermittents, ces protections n'existent pas. Nous souhaitons travailler sur des sujets tels que le CHSCT ou l'accès des intermittents à l'éligibilité dans les entreprises. Ces questions ont des conséquences directes sur les problèmes que nous évoquons devant votre commission.

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Je pense qu'il est essentiel de réfléchir à la manière dont nous pouvons organiser la représentation syndicale pour les micro-entreprises et les indépendants. Dans d'autres entreprises, cette représentation fonctionne bien et joue souvent un rôle de garde-fou. Elle permet de créer un relais et un espace de dialogue, qui n'est pas nécessairement un lieu de conflit, mais avant tout un espace de discussion.

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Christophe Pauly, secrétaire national en charge des médias pour la fédération communication, conseil, culture (F3C-CFDT)

Je soulignais que cet espace est conçu pour favoriser le dialogue. Ce que Philippe mentionnait concernant un CCHSCT du côté du spectacle vivant est extrêmement pertinent. En effet, chaque CCHSCT dans les secteurs de la production et du cinéma inclut un salarié qui se déplace sur les tournages. Actuellement, nous discutons entre les deux CCHSCT pour instaurer une approche plus systématique de la remontée des fiches de visite et pour établir un bilan statistique de toutes les fiches de visite effectuées sur les tournages, afin de produire des rapports concrets. Je ne sais pas ce que vous pouvez entreprendre, mais avec un peu plus de moyens, nous pourrions être encore mieux structurés et élargir notre champ d'action sur ces aspects. Je crois fermement à la discussion paritaire et à la formation, même si cela prend du temps et que nous avons encore des lacunes évidentes. En ce qui concerne la formation initiale, il est essentiel d'informer toutes les personnes entrant dans ce secteur d'activité sur son fonctionnement et sur les ressources disponibles, tant pour les salariés que pour les employeurs, car cette problématique touche tout le monde. Ces axes sont également importants pour nous.

Vous évoquiez les artistes auteurs. Leur situation est encore plus complexe, car, d'un point de vue conventionnel et organisationnel, même s'il existe une certaine organisation syndicale, ils sont souvent plus isolés. Je ne maîtrise pas ce sujet en détail, mais il y a énormément de travail à accomplir et de nombreux aspects à approfondir. Leur situation est encore plus déconnectée du mode projet et de l'équipe collective de travail.

En ce qui concerne la représentation du personnel, nous avons des délégués de branche dans les secteurs du cinéma et de la production audiovisuelle. Même si cela est utile, il y a toujours des améliorations à apporter. Nous sommes actuellement en discussion avec la Fesac sur ces sujets.

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Dans le cadre de la loi agricole, nous avons apporté plusieurs modifications visant à améliorer la situation, notamment en faveur de la Fesac, qui m'avait sollicité pour un amendement. Cet amendement, que nous avons intégré à la loi agricole, concerne la représentativité. Il est intéressant de noter qu'un élément de la loi permettait déjà cette modification, et nous l'avons effectivement mise en œuvre. Cette initiative a été votée et devrait apporter des améliorations significatives.

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Je voulais savoir si vous pouviez nous donner de la visibilité quant aux remontées que vous pourriez avoir sur la situation des mineurs.

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Frank Laffitte, trésorier de la fédération des arts, du spectacle, de l'audiovisuel et de la presse (FASAP-FO)

Je souhaite compléter sur l'absence de représentativité de nombreux métiers, notamment celui de mannequin. Lors des élections dans les agences de mannequins, seuls les personnels administratifs sont autorisés à voter. Les mannequins eux-mêmes ne remplissent pas les critères requis. De plus, il est important de noter que la profession de mannequin est la seule où l'assurance-chômage est payée sur le bulletin de salaire. Cependant, contrairement aux intermittents dont les bulletins de salaire comptabilisent douze heures, ceux des mannequins ne comptent que cinq heures. En outre, les mannequins dépendent de l'annexe générale de l'assurance-chômage et doivent accomplir 1 014 heures pour en bénéficier. Cela signifierait qu'un mannequin devrait travailler 203 jours par an pour avoir droit à l'assurance-chômage, ce qui est pratiquement impossible. En conséquence, aucun mannequin ne bénéficie de cette assurance. Les mannequins ne sont donc pas représentés.

Par ailleurs, en ce qui concerne les violences sexuelles et sexistes, les contrôles effectués par l'inspection du travail ou la médecine du travail sont souvent inefficaces. Ces contrôles se concentrent sur les fashion weeks officielles, organisées par les grandes maisons de couture telles que Kering, Pinault ou LVMH, qui sont généralement prudentes pour préserver leur image de marque. En principe, il n'y a pas de problème majeur lors de ces événements.

Cependant, de nombreux défilés de mannequins sauvages échappent à tout contrôle. Dans ces défilés, les mannequins ne sont parfois pas rémunérés, et il arrive même que des mannequins mineurs, parfois âgés de moins de quinze ans, y participent sans aucune surveillance. Les risques de harcèlement et de violences sexistes sont alors considérables. Ce problème est également lié à un manque de moyens. Il serait nécessaire de créer des corps d'inspection du travail spécialisés pour remédier à cette situation.

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Philippe Gautier, membre de la commission exécutive de la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle (FNSAC-CGT)

Je mène une expérience syndicale depuis de nombreuses années, mais cela s'avère quelque peu difficile avec des enfants. J'ai écouté intégralement la séance que vous avez tenue avec les représentants des commissions départementales. Le texte est ancien, et il ne fait aucun doute que chacun en tirera les conclusions qu'il souhaite par rapport à cette séance. Tout cela mériterait d'être revu et sécurisé.

Notamment, une question n'avait pas été évoquée la question financière. Par exemple, je ne connais pas la doctrine concernant la répartition de l'argent consigné à la Caisse des Dépôts, comme le prévoit la loi, et la part de l'argent destinée aux parents. Il est également important de comprendre que, pour les jeunes artistes, les parents peuvent parfois exercer une pression pour que leurs enfants entrent dans la carrière artistique, ce qui peut être malsain. Par exemple, des collègues professeurs de conservatoire nous expliquent qu'une fois tous les dix ans, ils rencontrent un élève exceptionnel, et l'un des parents cesse de travailler pour devenir le coach de son enfant. Ces logiques sont malsaines. Si un professeur de conservatoire rencontre un élève exceptionnel tous les dix ans, cela peut sembler rare pour les parents, mais il y a de nombreux professeurs de conservatoire dans notre pays. Un élève exceptionnel tous les dix ans pour chaque professeur de conservatoire représente un nombre significatif, et ce n'est pas parce qu'un enfant est exceptionnel qu'il fera nécessairement carrière. Je me suis également renseigné au sujet des organismes de gestion collective et des droits voisins des enfants. Actuellement, cela ne fait l'objet d'aucune réglementation spécifique. Je pense qu'il serait utile, à la suite de cette commission, d'organiser une concertation pour envisager une modification de la loi ou des décrets, ou des deux, afin de clarifier ces aspects.

Je vais m'exprimer sans mandat, car cette question est récente et nous n'avons eu que quelques échanges à ce sujet. Il est important de noter que cette position n'a pas été débattue en interne et ne représente donc pas nécessairement celle de notre organisation. Je vous livre ici mon opinion personnelle. Concernant l'annonce de la ministre de la culture stipulant que désormais, lorsqu'il y aura des enfants au travail, une personne sera présente pour veiller à leur sécurité. Je pense que cette personne ne devrait pas être un intermittent du spectacle. En effet, si les individus responsables de la sécurité globale des enfants voient leur carrière dépendre des producteurs de tournées ou de films qui emploient ces enfants, ils se retrouveraient dans une situation de dépendance. Je crois fermement que si un tel statut devait être créé, il faudrait veiller à ce qu'il ne mette pas ces personnes en situation de dépendance vis-à-vis des producteurs.

Par exemple, ces personnes pourraient être employées par le Défenseur des droits, qui possède des prérogatives en matière de défense des enfants, ou par le CNC, le CNM ou toute autre institution appropriée. Les producteurs pourraient ainsi être tenus de collaborer avec ces entités. Il existe de nombreux enjeux autour de cette question, notamment le fait que les familles ne peuvent pas toujours insister sur la sécurité des enfants. Il nous semble donc essentiel d'ouvrir un débat sur cette question pour garantir la protection des enfants dans le cadre de leur travail.

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Christophe Pauly, secrétaire national en charge des médias pour la fédération communication, conseil, culture (F3C-CFDT)

Le responsable des enfants sera clairement pris en charge par le CNC. Il est impératif que les personnes désignées possèdent des compétences minimales en tant qu'éducateurs d'enfants. L'objectif est de garantir un suivi continu de l'enfant, notamment en cas d'interruption temporaire de la scolarité, afin d'éviter toute rupture. Il est essentiel de préciser que ce responsable ne sera pas un garde du corps. Il s'agira plutôt d'une personne assurant le lien avec l'enfant, en fonction de son âge. Une formation spécifique pourrait être envisagée, bien que nous exigerons un minimum de qualifications pour ce rôle. Il est évident que ce ne sera pas une personne du tournage cumulant cette responsabilité. Nous abordons cette question avec sérieux, sans la traiter de manière superficielle.

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Nous avons auditionné des personnes responsables d'enfants, notamment les coachs pour enfants. Ces derniers préfèrent d'ailleurs être appelés responsables d'enfants. Il ressort de ces auditions que cette profession est en pleine émergence et qu'elle est vouée à évoluer. Il me semble que nous avons dressé un panorama assez complet de la situation. Nous pourrions continuer, mais nous sommes contraints par le temps et le calendrier. Si vous avez des contributions écrites, nous serions ravis de les recevoir. Vous pouvez nous transmettre des témoignages ou des faits, en les anonymisant si nécessaire. Ces contributions enrichiront notre réflexion et nous fourniront des exemples concrets pour étoffer nos propositions.

La commission procède à l'audition de M. Stéphane Gaillard, directeur de casting, à l'origine du mouvement #MeTooActeur.

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Monsieur, je vous souhaite la bienvenue. Comme vous le savez, notre commission d'enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, du spectacle vivant, de l'audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous cherchons également à identifier les responsabilités de chacun en la matière et à proposer des solutions. Nous souhaitions vous recevoir pour vous entendre à la fois sur votre expérience de directeur de casting, puisque c'est votre métier, et sur la démarche qui vous a conduit à lancer le mouvement # MeToo Acteur. Nous aimerions également connaître les pistes de réflexion que vous pourriez nous apporter pour mieux protéger les acteurs au sens large, incluant toutes les personnes travaillant sur les plateaux de tournage. Dans un second temps, Mme la rapporteure posera un certain nombre de questions plus précises. J'en aurai sans doute également, et ma collègue Martin peut-être aussi.

Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d'entamer nos échanges, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Stéphane Gaillard prête serment.)

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

Je me présente, Stéphane Gaillard, cinquante-deux ans, directeur de casting pour le cinéma et la télévision depuis vingt-huit ans. J'ai débuté dans ce milieu très jeune, à dix-neuf ans, en tant qu'assistant de Michel Serrault au sein de sa société de production, MS Productions. J'ai toujours eu une passion pour les acteurs et les actrices, et j'ai rapidement aspiré à devenir directeur de casting. Ainsi, j'ai été assistant pendant plusieurs années de deux directrices de casting, aujourd'hui décédées, mais qui étaient très influentes à l'époque Françoise Combadière et Margot Capelier. Cette dernière, en particulier, a joué un rôle déterminant en introduisant ce métier en France. Avant elle, il n'existait pas de directeurs ou directrices de casting ; cette tâche était assurée par les premiers assistants réalisateurs, majoritairement des hommes. Margot, en s'appropriant ce métier, a ouvert la voie aux femmes pour accéder à des postes de pouvoir, comme celui de directrice de casting. Aujourd'hui, les femmes représentent 80 % de cette profession, tandis que les hommes en constituent seulement 20 %. Ces femmes m'ont tout appris. Au cours de ma carrière, j'ai été membre de l'Académie des arts techniques du cinéma et du comité Révélation. En 2001, j'ai cofondé l'ARDA (Association des responsables de distribution artistique) avec huit autres directrices et directeurs de casting. Nous nous sommes réunis et l'association a vu le jour cette année-là. Aujourd'hui, je ne suis plus membre de cette association, mais nous pourrons peut-être en discuter plus tard.

Je tiens à préciser en préambule que nous allons aborder # MeToo Garçons concernant les témoignages que j'ai reçus. Pour que cela soit bien clair, je dois vous informer que dès la création de cette adresse mail et la réception des témoignages, je me suis confronté à la réalité. Je reçois des témoignages, des noms. Dès que cela a été rendu public, mon téléphone a cessé de sonner. Vous m'avez demandé de dire toute la vérité, rien que la vérité. Je dois avouer, M. le président, que je vous ai menti. Je ne suis plus directeur de casting depuis le 22 février. Ma carrière est terminée. Je suis fini. Ma parole est désormais totalement libre, je n'ai plus rien à perdre. C'est pour cette raison que j'ai demandé à être auditionné aujourd'hui.

Je souhaite également aborder un point important concernant les victimes, les acteurs et les actrices. J'ai un secret personnel qui ne concerne pas le cinéma, mais qui est tout aussi significatif. Je fais partie des 160 000 enfants. J'ai récemment révélé un secret, que j'ai gardé pendant quarante-trois ans, j'ai été violé à l'âge de neuf ans par un membre de ma famille. Je ne m'étendrai pas sur ce sujet car ce n'est pas l'objet de votre commission.

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Je crois pouvoir m'exprimer également au nom du président et de notre collègue présente aujourd'hui, nous sommes profondément touchés par vos propos, M. Gaillard. En tant que membre de la délégation aux droits des enfants, je suis particulièrement sensible aux questions d'agression sexuelle et d'inceste sur mineur. Toutefois, comme vous l'avez mentionné, ce n'est pas le sujet de notre commission d'enquête actuelle.

Je souhaite revenir sur votre parcours. Vous avez indiqué être l'un des membres fondateurs de l'ARDA, que nous avons reçue. Cette association se considère comme une sorte de congrégation regroupant des directeurs de casting. Certains d'entre eux en sont exclus en raison de pratiques jugées dysfonctionnelles, et l'ARDA ne souhaite pas les intégrer en son sein. Vous étiez l'un des membres fondateurs de l'ARDA, mais vous n'en faites plus partie aujourd'hui. J'imagine que des raisons spécifiques expliquent cette situation, et je vous invite à les partager avec notre commission d'enquête.

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

Effectivement, je suis l'un des membres fondateurs de l'ARDA et, à ce titre, j'ai été élu vice-président lors de sa création. De mémoire, car cela remonte à quelques années, j'ai occupé ce poste durant sept années. Un renouvellement de bureau tout à fait normal et très sain a eu lieu. Je suis favorable à un renouvellement, afin que les bureaux et les présidents changent régulièrement. Cela permet d'éviter les abus de pouvoir et une forme d'autocratie. À ce moment-là, je n'ai absolument pas souhaité me représenter au bureau, préférant laisser la place à d'autres. Je me suis retiré pour deux raisons. Premièrement, j'avais un désir d'indépendance et une soif de liberté que je ne retrouvais pas au sein de cette association. Les orientations et les engagements de l'ARDA ne me correspondaient tout simplement pas. Deuxièmement, et c'est peut-être la raison la plus importante, il y avait à l'époque, au sein de l'ARDA, un membre, un directeur de casting, dont j'ai appris par la suite qu'il avait commis de nombreuses agressions sexuelles. Il s'est présenté, et il me semble qu'il a été membre du bureau pendant un certain temps.

Nous sommes en 2007-2008. Je n'avais pas connaissance à ce moment-là d'agressions sexuelles sur des actrices et des acteurs, bien qu'il soit important de noter qu'il agressait les deux genres. Cependant, je voyais un homme en pleine possession de son pouvoir, étant un directeur de casting dit « influent » dans le milieu du cinéma, où il existe des hiérarchies assez snobs. Le fait qu'il réalisait des films très importants m'inquiétait, car je suis toujours méfiant face à toute forme de puissance. Je ne me reconnaissais plus dans une association où cet homme, bien que je n'avais rien à lui reprocher légalement, exerçait une telle influence. C'est pour ces deux raisons principales que je me suis retiré à cette époque.

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Vous avez mentionné la création d'une adresse mail dédiée à la collecte des témoignages. Vous avez également déclaré dans la presse que vous vous êtes senti dépassé, probablement en raison du volume des témoignages reçus. La violence de certains entre eux a pu également contribuer à ce sentiment. Nous souhaiterions que vous nous parliez de ces témoignages. Nous sommes également intéressés par la réception de ces mails de manière anonyme afin de protéger les victimes. Pourriez-vous nous décrire comment vous vous êtes senti dépassé et si cela a eu des répercussions psychologiques pour vous, en plus des conséquences professionnelles ?

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

Pour revenir à l'origine de l'affaire, M. le président, vous avez mentionné # MeToo Acteur. Il est important de rendre à César ce qui appartient à César. En réalité, c'est Aurélien Wiik, le comédien, qui a créé le hashtag # MeToo Garçons, et non moi. Ce qui s'est passé, c'est qu'un peu avant le 22 février, j'ai reçu sur mon compte Instagram des messages d'acteurs. Le premier message provenait d'un acteur que je connais, qui est également agent. Il m'a écrit : « Stéphane, j'aimerais te parler. » J'ai immédiatement compris qu'il s'agissait de quelque chose d'important. Je lui ai donc donné mon numéro de téléphone pour qu'il puisse me contacter. Ce fut le premier témoignage que j'ai reçu.

Cet acteur m'a relaté l'agression sexuelle dont il avait été victime de la part d'un agent. Très rapidement, le bouche-à-oreille a fonctionné parmi les acteurs et les artistes, qui se disaient : « Il y a quelqu'un, Stéphane, à qui tu peux parler ». Un deuxième témoignage est arrivé, puis un troisième, un quatrième, jusqu'à atteindre huit témoignages. À ce moment-là, j'ai compris que huit témoignages en si peu de temps représentaient un nombre conséquent. J'ai donc décidé de centraliser ces témoignages quelque part. C'est ainsi que j'ai créé l'adresse metooacteur@gmail.com, le 22 février. Le 23 février, Aurélien Wiik, que je connais en tant qu'acteur mais que je n'avais pas vu depuis longtemps, a fait ses révélations sur son compte Instagram.

Je n'étais pas au courant de ces événements, donc j'étais suis choqué, bouleversé et attristé. J'ai immédiatement envoyé un message à Aurélien Wiik, et nous avons échangé. Il a regardé mon Instagram et m'a dit : « C'est incroyable, tu as fait cette adresse. » Je lui ai répondu : « Je ne savais pas pour toi et toi, tu ne savais pas pour moi. » En réalité, Aurélien Wiik a lancé ce mouvement grâce à son initiative. En parlant, il a effectivement encouragé les acteurs à s'exprimer. Il est important de préciser qu'Aurélien Wiik n'a pas souhaité s'exprimer à la presse pour des raisons qui lui sont propres et personnelles. La presse s'est alors tournée vers moi. À ce moment-là, je me suis interrogé, car je me suis dit : « Si je ne rends pas public ce que tout le monde sait mais que personne ne veut reconnaître, cela va être de nouveau enterré ». Ce n'était pas une partie de plaisir pour moi de m'adresser à la presse, notamment lors de l'émission « C'est l'hebdo ». Cela a été même très difficile. Je l'ai fait en étant pleinement conscient du danger dans lequel je me mettais, avec comme conséquence immédiate la sanction et l'omerta. J'avais brisé la loi du silence qui prévaut encore aujourd'hui en 2024.

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Est-ce que vous avez des témoignages féminins, masculins ou essentiellement masculins ?

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

Principalement, ce sont des acteurs qui m'ont contacté et j'ai reçu de nombreux témoignages de leur part. Cependant, je tiens à préciser que des actrices m'ont également sollicité, me demandant si elles aussi pouvaient témoigner. Bien entendu, je ne ferme pas la porte à leurs contributions. Je leur réponds : « Oui ». J'ai mentionné MeToo Acteur, mais je m'adresse à tous les artistes, qu'ils soient hommes ou femmes. Venez témoigner.

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Ce qui nous frappe, c'est l'intensité et la rapidité de votre mise à l'écart. C'est d'une violence incroyable. Lorsque, avec Mme la rapporteure, nous évoquons l'omerta et la loi du silence, et que l'on nous répond que ce n'est pas le cas, j'avoue que votre témoignage me questionne à nouveau.

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Il semble que vous ayez reçu près de 300 témoignages, n'est-ce pas ? Que révèlent ces témoignages ? Font-ils état de violences similaires ? Ces violences sont-elles concentrées dans un lieu ou à un moment précis ? Pouvez-vous nous en dire davantage ?

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Pour compléter la question, est-ce que ce sont des témoignages de violences ayant eu lieu quand les personnes étaient majeures ou quand les personnes étaient mineures ?

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

L'intérêt de recueillir autant de témoignages réside dans la possibilité d'en effectuer une analyse distanciée, afin de comprendre les mécanismes de manière claire. J'ai constaté que lorsqu'un acteur est victime d'agression sexuelle, qu'il s'agisse de harcèlement sexuel, d'agression sexuelle ou de viol, le viol est systématiquement associé à l'utilisation de substances chimiques telles que le GHB (gamma-hydroxybutyrate). Les témoignages que j'ai reçus montrent que la moyenne d'âge des acteurs majeurs victimes d'agressions dans le cinéma se situe entre dix-huit et trente ans.

Pour les mineurs, j'ai recueilli des témoignages d'acteurs qui ne sont plus mineurs aujourd'hui mais qui ont été agressés sexuellement, voire violés, dans le cinéma. La moyenne d'âge pour ces agressions se situe entre quinze et dix-sept ans. Il existe une différence notable entre les agressions et les viols subis par les mineurs et les majeurs. Pour les mineurs, ces actes se produisent toujours lors d'un tournage. En revanche, pour les acteurs majeurs âgés de dix-huit à trente ans, ces agressions ne surviennent jamais sur un tournage. J'ai suivi avec grand intérêt l'ensemble des auditions depuis le début.

Nous avons évoqué des lieux précis, comme le moment du casting ou du tournage. Cependant, il est important de rappeler qu'un acteur ou une actrice ne travaille pas tous les jours et doit entretenir son réseau. Ils participent à des festivals, rencontrent des personnes qui leur proposent des opportunités de rencontres professionnelles. C'est dans ces moments, dans ce territoire incertain, que surviennent ces agressions. On rencontre un agent qui vous vend du rêve, mentionnant la présence d'acteurs relativement connus. Une agression sexuelle s'est produite. Pour les acteurs majeurs âgés de dix-huit à trente ans, cela concerne toute cette zone. Cela peut se dérouler dans le cadre de festivals de films de diverses importances, tels que le Festival de Cannes, le festival de Cabourg ou encore le festival international du film de Saint-Jean-de-Luz. Ces événements sont des lieux de rencontre. Ce sont des professionnels du métier qui rencontrent ces jeunes acteurs en quête de reconnaissance, désireux de réussir, et qui se trouvent souvent en position de pouvoir, abusant malheureusement de cette situation.

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Nous savons que les violences sexistes et sexuelles touchent majoritairement les femmes. À notre connaissance, aucune personne n'a entrepris de collecter des témoignages de la manière dont vous l'avez fait. J'ai quelques éléments de réponse, car il me semble que les femmes comédiennes sont encore plus précarisées que leurs homologues masculins. Cela pourrait expliquer pourquoi il est encore plus difficile pour elles de témoigner. Avez-vous d'autres explications à ce sujet ? Savez-vous si quelqu'un a commencé à recueillir des témoignages féminins via une adresse mail, par exemple ? Je le mentionne car le nombre de témoignages que vous recevez est considérable. Il est bien documenté que les femmes sont encore plus touchées que les hommes par ces violences. Cela me donne des haut-le-cœur, car cela projette une réalité statistique et concrète des abus dans le monde des comédiens et des comédiennes.

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

J'ai lu les travaux de la sociologue Lucie Wicky, qui a réalisé des statistiques sur les garçons. Cela m'a fait réfléchir, j'aimerais qu'une Lucie Wicky mène une étude sociologique pour comprendre l'hécatombe que j'ai découverte concernant les jeunes acteurs. Je n'ai pas été surpris par l'existence de cas, mais par leur nombre. Aujourd'hui, cela continue de manière exponentielle, chaque jour.

Il est essentiel de comprendre que nous faisons face à des prédateurs. Une agression isolée n'existe pas. Tous les récits se recoupent, révélant une multiplication infinie d'agressions sexuelles ou de viols. Ces actes sont perpétrés par divers professionnels, acteurs connus, directeurs de casting, réalisateurs, producteurs, agents, attachés de presse, photographes, auteurs de théâtre, metteurs en scène. Les témoignages que je reçois sont extrêmement détaillés et circonstanciés, souvent très longs. On me rapporte des phrases prononcées par les victimes et les agresseurs présumés, des lieux précis, des appartements, des fêtes. Cela fait vingt-huit ans que j'exerce ce métier, et je reconnais les lieux mentionnés. Aujourd'hui, lorsque je reçois un témoignage, je n'ai même pas besoin de le lire jusqu'à la fin pour identifier l'agresseur, car je connais chaque prédateur et leur système de prédation, extrêmement bien rodé.

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Ce que vous nous décrivez est assez effrayant. J'imagine que les témoignages que vous recevez ne concernent pas uniquement des personnes dont les agissements ont déjà été rapportés par la presse ou ont fait l'objet de plaintes. Cela signifie que ces agresseurs sont actuellement en totale liberté, continuent d'agir et mettent en danger des vies. Il doit être extrêmement difficile pour vous de devenir une sorte de réceptacle de tous ces témoignages, et cela doit également vous affecter. Nous aussi, à force de lire des témoignages et d'écouter des prises de parole, nous nous rendons compte de la charge qui pèse sur cette commission d'enquête et de la difficulté pour les victimes de déposer plainte.

Je suppose que vous les encouragez à porter plainte, mais la question se pose de savoir pourquoi, malgré les chartes et les possibilités d'agir par des voies légales, le problème persiste. La peur de perdre un emploi ou d'être exclu de cette famille est un obstacle majeur. Ma question est donc de savoir si certaines de ces personnes sont prêtes à déposer plainte. Pour celles qui ne le font pas, qu'est-ce qui les bloque ?

Il est également essentiel de comprendre comment inverser le camp de la honte. Ces personnes ont peur et honte, mais ce n'est pas à elles de ressentir cela. Comment peut-on inverser cette situation ? Nous sommes nombreux à nous poser cette question et à nous demander pourquoi les outils mis en place ne fonctionnent pas. Il n'y a pas de suivi, et les victimes ne s'en saisissent pas. Elles ne contactent pas la cellule d'écoute et ne se rendent pas dans les commissariats.

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

Tout d'abord, je me suis interrogé sur la raison pour laquelle on vient me parler. Peut-être est-ce cela le plus important. Pourquoi est-il à la fois si facile et si difficile de me parler ? La première réponse, ce sont les victimes elles-mêmes qui me l'ont donnée. Ce sont toujours les victimes qu'il faut écouter. J'ai compris que je m'étais retiré de toutes formes d'associations, des César, etc. J'ai seulement revendiqué mon engagement sur mes réseaux sociaux, où je suis très impliqué sur les questions concernant les enfants et les violences faites aux femmes depuis de nombreuses années. Je pense que c'est pour cela qu'ils m'ont accordé leur confiance.

Pour eux, il y a une chose très importante. Pourquoi viennent-ils me parler ? Il y a une impérieuse nécessité pour eux que leurs paroles soient déposées, dans un premier temps, à l'intérieur même du système, et non à l'extérieur. Ils ressentent le besoin de se confier à quelqu'un qui occupe une position de pouvoir, comme un directeur de casting, une incarnation de l'autorité. De plus, lorsqu'ils mentionnent un nom, ce n'est pas un nom inconnu ; je sais de qui il s'agit. Pour eux, il est essentiel d'avoir l'impression de déposer quelque chose de significatif.

Ce n'est pas une simple réparation, mais ce qu'ils me disent, c'est que cela leur a fait un bien immense, ce qui est déjà énorme. Ils ne pensaient pas qu'il existerait un endroit où cela serait possible aujourd'hui. Il y a une impérieuse nécessité de se raconter à l'intérieur pour être cru. Ils ont besoin d'être crus, entendus et que leurs paroles soient protégées, sans trahison. Je suis le garant et le protecteur de cette parole. Je me suis engagé avec eux dans un contrat moral que je ne trahirai pas.

Ils ne souhaitent pas être dirigés vers une association. Lorsqu'ils me parlent, ils savent qui je suis. Ils n'attendent pas une aide psychologique, que je ne suis pas en mesure de fournir, ni même une aide judiciaire, bien que je l'aie mise en place. Au départ, ils veulent simplement savoir qu'ils seront crus, protégés et non trahis. Ils ne veulent pas être dénoncés, comme cela arrive parfois. Prenons l'exemple des directrices de casting. Une actrice a été agressée sexuellement par un directeur de casting. Lorsqu'elle s'est confiée à l'une d'elles, celle-ci a immédiatement informé l'agresseur. De même, un acteur, victime d'agression sexuelle par un directeur de casting, s'est confié à une directrice de casting qui a également informé l'agresseur. À qui peut-on faire confiance dans ce monde, dans cet univers ?

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Les victimes dont vous avez recueilli la confiance et, par la suite, le témoignage, souhaitent-elles porter plainte ? J'imagine que ce n'est pas le cas de toutes, évidemment. Parmi celles qui souhaitent porter plainte, sont-elles nombreuses ? S'organisent-elles entre elles ? De votre côté, êtes-vous en train de vous organiser pour structurer tout cela ? Nous sommes le 6 juin, et les faits remontent au 22 février, ce qui est relativement récent. Ce que vous nous rapportez est d'une violence incroyable. Comment vous organisez-vous actuellement face à ces révélations ?

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

Je suis actuellement en train de constituer une association. J'ai sollicité l'aide d'une juriste spécialisée en droit des associations pour travailler sur les statuts. Bien que je ne puisse pas encore en dévoiler les détails, ce processus est en cours. J'ai dû me constituer en association par nécessité. Il m'a semblé essentiel de comprendre, en cas de besoins psychologiques, vers qui me tourner. Il me faut connaître des juristes, notamment des pénalistes et des spécialistes en violence sexuelle, et j'ai réussi à en trouver. Aujourd'hui, je peux affirmer qu'il y a des plaintes déposées, bien que je ne connaisse pas le nombre exact. J'ai mis en place un protocole pour gérer ces situations.

Certains acteurs pensent qu'ils sont seuls lorsqu'ils sont agressés. Je leur explique qu'ils ne le sont pas. En général, lorsque je reçois un témoignage, il est suivi de plusieurs autres, souvent de deux à dix, impliquant les mêmes auteurs présumés. Je leur dis qu'ils ne sont pas seuls dans cette démarche. Il arrive qu'un acteur me demande s'il est possible de dialoguer avec une autre victime. Je leur réponds que cela est tout à fait envisageable. Je contacte alors l'autre personne sans révéler son identité. Mon protocole consiste à obtenir l'accord des deux parties avant de faciliter leur mise en relation, généralement via Instagram, quitte à échanger leurs numéros de téléphone après.

En ce moment, une quarantaine de victimes d'agressions par divers prédateurs se sont regroupées pour commencer à dialoguer entre elles. Elles cherchent à s'organiser et envisagent de porter plainte, car il est extrêmement difficile de le faire seul. Évidemment, lorsqu'on est deux, trois ou quatre à porter plainte contre la même personne, cela devient beaucoup plus facile. Il est important de noter que les témoignages que je reçois incluent des faits prescrits et non prescrits, certains remontant à une vingtaine d'années. Cependant, il est à souligner que tous les prédateurs mentionnés sont toujours en activité.

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Est-ce que ces prédateurs sont des prédateurs qui ont genré leur proie, c'est-à-dire qu'ils sont sur des victimes hommes ou aussi parfois des victimes femmes ?

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

La majorité des témoignages que je reçois, ce sont des prédateurs qui prédatent des jeunes hommes, donc des jeunes acteurs, à part ce directeur de casting dont j'aimerais bien développer puisqu'il est toujours en activité aujourd'hui, alors que l'ensemble du cinéma le connaît et connaît ses méfaits.

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Allez-y, développez. Vous êtes conscients que si vous citez un nom…

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

Je ne vais pas le citer. Il s'agit d'un fameux directeur de casting. Je prends cet exemple, mais il y en a tellement d'autres. Je suis obligé de faire un choix. J'ai reçu énormément de témoignages concernant ce directeur de casting qui a agressé sexuellement des actrices et des acteurs. Dès 2017, tout le monde était au courant de ces agissements. Un article dans Télérama mentionnait même deux actrices, dont l'une avait porté plainte. Aujourd'hui, j'ai encore reçu de nombreux témoignages concernant ce directeur de casting qui est toujours en activité. Ce directeur de casting était très important et très connu. Aujourd'hui, il est un peu plus discret, mais il continue d'exercer. Tout le monde sait ce qu'il a fait, il n'est plus totalement fréquentable. Dans une grosse production, l'engager ne serait peut-être pas bien vu. Cependant, ce monsieur, ce n'est pas illégitime, est trilingue. Pendant des années, il a participé à des festivals internationaux. En fait, il travaille pour des coproductions internationales ou américaines, très connues sur des plateformes. Il continue donc à exercer. Je me pose une question, les productions étrangères ne connaissent-elles pas son pedigree ?

Elles travaillent avec lui. Dans le cadre de ces productions, de ces films, de ces projets, de ces séries, il va caster des acteurs et des actrices françaises. Pour ce faire, il contacte les agents et les agentes. Cela signifie qu'encore aujourd'hui, en 2024, les agents et les agentes contribuent à travailler avec ce personnage, sans aucun problème.

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

Le milieu du cinéma est extrêmement restreint. Chacun aime parler, et bien que l'on dise souvent, « je te confie quelque chose, mais ne le répète pas », tout finit par se savoir. Tout le monde en est conscient. Je souhaite souligner que ces prédateurs bénéficient d'une impunité certaine grâce à leurs alliés. Il est impossible de commettre des agressions sur tant d'années sans soutien. Il existe des alliés directs et indirects. Parmi les alliés directs, on trouve des agents et agentes qui réduisent leurs clients et clientes au silence. Aujourd'hui encore, certains directeurs et directrices de casting font taire les victimes et protègent les agresseurs. Un aspect peut-être le plus important et désastreux est celui de ceux qui détournent le regard, affirmant : « Je ne sais pas, je ne veux rien savoir. » Cette attitude permet une impunité totale pour l'agresseur, qui n'a alors aucune raison de cesser ses actions.

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Vous savez que nous avons éditionné ce matin le SFAAL qui, au travers de Mme Tanner, nous a indiqué qu'elle n'avait pas connaissance d'agissements à ce jour. Est-ce que ces agents dont vous parlez font partie du SFAAL ?

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

Absolument. Les agents qui silencient et qui protègent les agresseurs, ce sont des agents de pouvoir, ce sont les grandes agences. Je dois dire que les femmes participent activement.

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Pas de questions ? Madame Martin, allez-y, cela va nous permettre de reprendre notre esprit et de respirer.

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J'en ai une très directe, M. Gaillard. Parmi les gens que nous avons auditionnés ce matin, est-ce qu'il y a des gens qui sont dans ce système ? Sans nommer de personnes.

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C'est un peu délicat de procéder ainsi car, je précise, nous disposons d'autres moyens pour poursuivre les enquêtes. C'est toute la difficulté de l'exercice. Nous ne sommes pas la justice. Cependant, si nous pouvons faire émerger des sujets, nous sommes là pour cela. Je comprends votre question, Mme Martin. Je le répète, ce n'est pas dans nos attributions de faire émerger des sujets nominatifs comme celui-là, mais cela reste très problématique. Je comprends ce que vous souhaitez, Mme Martin, car au vu de la violence et de la gravité des faits qui nous sont décrits, évidemment, nous ne voulons pas que l'impunité perdure. Cela me permet de vous poser cette question. Un réalisateur, Césarisé, M. Hazanavicius, nous a affirmé qu'il n'y avait pas d'omerta et que des sujets avaient été abordés, et que la situation s'améliorait. C'est vrai que les choses évoluent. Vous semblez indiquer, au contraire, qu'il existe une omerta terrible et un système en place. La question que je vous pose est la suivante ce système est-il organisé ou s'agit-il d'un système où l'on se cache, où l'on détourne le regard, ou est-il véritablement structuré ? Ma question peut sembler floue, mais nous sommes nous-mêmes dans une certaine confusion, je dois l'avouer.

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

Je me suis évidemment posé la question de cette omerta, cette loi du silence, qui, selon moi, remonte aux fondations mêmes du cinéma. Le cinéma, c'est l'image, et il faut peut-être donner une bonne image. Structurellement, dans les racines du cinéma, l'omerta est présente. La loi du silence est là : si tu parles, tu payes, tu es éjecté. C'est une réalité dont je suis la preuve vivante. Après vingt-huit ans de métier, mon téléphone a cessé de sonner instantanément. Le corps du cinéma, comme un organisme, réagit de manière organique dans son ensemble. Par mimétisme, même des personnes formidables qui n'ont rien à se reprocher me considèrent comme radioactif. On me dit que je suis infréquentable, dangereux, qu'il faut me débrancher, que je suis fou, etc. Je suis seul. Aucun syndicat ne m'a contacté, aucune association, à l'exception d'une seule, l'Association d'acteur.ices féministe et anti-raciste (ADA), que vous avez reçu par l'entremise d'Alice de Lencquesaing et d'une autre femme formidable, Luana Duchemin. Nous avons eu une réunion téléphonique à trois, où pour la première fois, on m'a demandé comment j'allais et on m'a soutenu. Depuis, nous échangeons régulièrement et nous allons nous rencontrer très bientôt. C'est la seule association avec laquelle j'ai pu dialoguer à ce jour.

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Vous nous avez dit vingt-huit ans de métier et c'est la création de cette boîte mail qui est assez récente. Durant toutes ces années de métier, avez-vous assisté en tant que témoin direct de violences faites pendant le casting ou à d'autres moments sur les tournages ?

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

En tant que directeur de casting, je tiens à préciser que nous n'assistons pas au tournage. Je n'en ai aucune expérience. Mon travail se déroule en amont, dans des bureaux, lors de la phase de préparation. Une fois que les acteurs sont choisis et contractualisés, mon rôle est terminé. Le premier jour du tournage, je suis déjà engagé ailleurs. Par conséquent, je n'ai pas d'expérience de plateau, à l'exception d'un déjeuner occasionnel avec l'équipe. Je ne peux donc évaluer ce qui se passe sur un plateau et je ne me considère pas légitime pour en parler.

Concernant votre question, je vais être paradoxal. Je n'ai jamais été témoin de rien, mais il y a une raison à cela. Peut-être en raison de mon passé, ayant été un petit garçon humilié et violé, je ne supporte pas le moindre abus de pouvoir. Dès le début de ma carrière, j'ai toujours veillé à ce que cela soit impossible avec moi. Si quelqu'un avec qui je travaille commet le moindre abus de pouvoir, je le remets immédiatement à sa place. Ainsi, non, cela ne s'est jamais produit.

Peut-être ai-je un souvenir très lointain d'un réalisateur avec qui j'ai travaillé, aujourd'hui décédé, mais c'était vraiment insignifiant par rapport à ce que je reçois. Je trouvais néanmoins qu'il y avait une forme de malaise à recevoir des actrices en casting dans un bureau. Nous les recevions, nous discutions, sans forcément faire d'essai dans un premier temps. Nous accueillions des actrices ayant déjà une certaine expérience, nous pouvions visionner des extraits de films avant de procéder à un essai. Il y avait parfois une légère séduction, très subtile, mais je trouvais cela déplacé.

En casting, j'accueille toujours les acteurs et actrices et je les raccompagne systématiquement. C'est très important pour moi car cela me permet de leur demander comment s'est passée la rencontre. Nous nous connaissons suffisamment pour que les actrices sachent que, avec moi, la parole est libre. L'une d'elles me dit qu'elle s'est sentie mal à l'aise, je prends cela très au sérieux. Une autre me confie qu'il y avait une atmosphère de séduction déplacée, j'interviens immédiatement. Lors d'un troisième rendez-vous, j'ai demandé à une actrice de patienter cinq minutes, je suis retourné dans le bureau et j'ai fermé la porte. Le réalisateur, dans sa toute-puissance, m'a demandé ce que je faisais et où était la prochaine actrice. Je lui ai dit qu'il n'y aurait pas de prochaine fois pour le moment, car nous devions discuter tous les deux. Je lui ai expliqué qu'une certaine séduction me gênait et n'avait pas sa place dans notre collaboration professionnelle. Immédiatement, il a tenté d'affirmer son autorité en me rappelant qu'il était le réalisateur. La situation s'est rapidement clarifiée. Je lui ai répondu que, sans réalisateur, il n'y avait pas non plus de directeur de casting, mais simplement deux hommes en conversation, et que l'un d'eux devait maintenant mettre un terme à cette situation. Je lui ai demandé s'il était prêt à continuer dans ces conditions, et il a répondu affirmativement. Par la suite, notre collaboration s'est déroulée sans encombre. C'est la seule expérience de ce genre que j'ai vécue, mais je tiens à préciser que je ne tolère pas ce type de comportement. Donc, pour répondre à votre question, non.

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Sur vos vingt-huit années d'expérience, vous avez casté quelques films importants. Vous avez un parcours et une carrière.

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

Je ne souhaite pas particulièrement parler de moi, mais je tiens à vous faire part de la violence de ce que je vis actuellement, et par extension, de ce que peut endurer une victime. Je ne suis pas victime d'un agresseur dans le cinéma, mais je ressens profondément les répercussions psychologiques et physiques de cette situation. J'ai perdu 6 kilos en une semaine, soit 1 kilo par jour. Je dois prendre des médicaments pour tenir le coup. La pression est immense. On a l'impression de trahir, de devenir une balance. Personne ne vous adresse plus la parole. Des personnes que je croise dans la rue, qui travaillent dans le cinéma, changent de trottoir. C'est incroyable. On inverse la charge, je deviens celui qu'il faut absolument écarter du milieu, parce que j'en sais trop. Je répète, ces agresseurs ne peuvent pas perpétrer ces agressions à répétition sans complicité, ce n'est pas possible. Ma parole concerne les hommes, les acteurs, mais je ne peux pas ne pas penser aux actrices. Quand je m'exprime, je pense également à elles.

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La question que je souhaite poser est simple comment faire exploser cette loi du silence aujourd'hui ? Avec les membres de la commission d'enquête et Mme la rapporteure, nous avons l'impression d'être pris dans une sorte de sinusoïde. Parfois, on nous assure que tout va bien, que les choses avancent, que de nombreuses actions sont mises en œuvre. Puis, nous rencontrons des représentants de victimes ou les victimes elles-mêmes, qui nous parlent d'une chape de plomb immense. Maintenant, en tant que responsables, avec le mandat que nous a confié la représentation nationale, comment faire exploser cette loi du silence ?

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

Cette question me préoccupe profondément. Le métier et le territoire du cinéma sont construits et fonctionnent essentiellement par cooptation, réseaux, interdépendances, conflits d'intérêts et intérêts communs. Ce socle est indestructible et profondément enraciné. Je ne crois pas que le cinéma puisse s'autoréguler lui-même, cela me semble impossible. Peut-être que le CNC pourrait créer une instance totalement indépendante, une sorte de gendarme du cinéma. Cette instance, composée de différents modules, pourrait immédiatement recueillir des témoignages et offrir une protection adéquate. Toutefois, si cette cellule est placée à l'extérieur, le système pervertit tout.

Tout le monde parle d'Audiens, on renvoie constamment à Audiens, je ne m'attaque pas eux car ils font un travail formidable. Je suis convaincu de leur professionnalisme. Audiens est devenue un objet du cinéma, où les témoignages extérieurs sont envoyés et rapidement écartés. Tout est détourné, et il ne peut y avoir qu'un gendarme du cinéma interne, dont les membres jouiraient d'une totale indépendance pour réguler ce système. Il y a trop de conflits d'intérêts. Même les personnes que vous avez reçues, malgré leur sincérité, ne peuvent dépasser certaines limites sans se mettre en danger. Un travail urgent s'impose, et je comprends parfaitement cette situation. Qui voudrait être à ma place aujourd'hui ? Personne.

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Nous constatons, et je le dis en prenant en compte tous les témoignages que nous avons recueillis, que les personnes auditionnées sont de bonne volonté, elles observent les problèmes et souhaitent les combattre. Cependant, il est également évident, et je le souligne avec Mme la rapporteure, que le refus de témoignage de certaines personnes, que nous n'irons pas chercher par respect pour les victimes, révèle un blocage souvent lié à la peur. Dans le monde du travail traditionnel, il existe des règles régies par le droit du travail. Bien que des difficultés puissent survenir, le droit est généralement du côté des travailleurs.

Cependant, dans le secteur du cinéma, la situation est différente. Il ne s'agit pas seulement de risquer de compromettre un projet en cours, mais de mettre en péril toute une carrière. Je repose donc la question, non pas à vous directement, mais à l'ensemble de la profession qui nous écoute aujourd'hui comment briser cette loi du silence ? J'ai proposé une réponse, qui n'est peut-être pas la meilleure, mais qui mérite réflexion. Une cellule indépendante est-elle envisageable ?

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

Une cellule indépendante est impossible. Les associations font un travail remarquable, mais elles atteignent leurs limites lorsque la vérité met en danger les postes des individus. Il devient alors impossible de dire la vérité. Je souhaite ajouter un point important.

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Une cellule indépendante, compte tenu de la gravité des faits, il s'agit de la justice. Comment pouvons-nous aider et accompagner les victimes à porter plainte tout en les protégeant ? Voilà la véritable question.

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Je pensais exactement à la même chose. Dans un commissariat, un gendarme et un policier ne sont pas parties prenantes et n'ont rien à gagner ou à perdre. Je comprends bien la limite des associations, des syndicats que vous invoquez, ainsi que celle de la cellule Audiens. Toutefois, il est essentiel de reconnaître que se confier à une espèce d'unité de police ou de gendarmerie en interne comporte le même risque d'être blacklisté et de perdre son emploi. Je ne vois pas de différence.

Le seul levier que nous avons est de s'assurer que ces branches pourries et mortes de la profession ne puissent plus imposer leurs lois. Par le nombre de personnes qui dénoncent, aujourd'hui infiniment plus grand. Nous ne devons plus tolérer aucun geste déplacé, aucune parole inacceptable. Il est impératif que nous soyons nombreux à témoigner sans crainte. Le nombre de témoignages obtenus en seulement quatre mois, ainsi que ceux recueillis par Judith Godrèche de toutes les parties de la profession, qu'elles soient techniciennes, acteurs ou actrices, de plus d'un millier, signifie que si toutes ces personnes sortent de l'ombre, il n'y aura plus personne pour travailler dans le monde du cinéma. Si nous blacklistons les victimes, il n'y aura plus d'acteurs, ni de techniciens. Si nous blacklistons les auteurs de ces violences, comme vous le suggérez, nous tenterons de rendre ce système plus propre.

Cependant, nous atteignons une limite, car notre objectif est de mettre en évidence les dysfonctionnements et le caractère systémique des problèmes, afin d'y apporter des réponses, qu'elles soient législatives ou non. Nous devons également proposer des bonnes pratiques et rester vigilants quant aux mesures que nous souhaitons mettre en place. Toutefois, si les témoignages restent anonymes, je comprends la difficulté pour ces personnes courageuses, qui ont déjà beaucoup souffert et ne veulent pas mettre en péril leur carrière. Je ne vois pas comment nous pourrions sortir de cette situation.

En effet, il est important de les mettre en relation pour qu'elles ne se sentent pas isolées. Mais même en tant que victimes, elles n'ont aucune envie de continuer à travailler dans un système corrompu et dangereux. Que nous disent-elles ? Elles s'isolent, sachant que si elles parlent, elles seront blacklistées. Si elles restent dans l'ombre, elles doivent éviter et contourner de nombreux pièges, qui ne se trouvent jamais au même endroit. À chaque nouveau tournage ou film, de nouvelles équipes se forment et se mélangent, rendant impossible toute continuité de travail.

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Aux États-Unis, on pense souvent au mouvement # MeToo de 2017, mais en réalité, des dénonciations avaient déjà eu lieu auparavant. Maria Schneider, par exemple, a dénoncé des abus dès 1978. Ensuite, Noémie Kocher a pris la parole en 2001. Entre-temps, aux États-Unis, l'affaire Weinstein a éclaté, provoquant un véritable cataclysme qui a donné naissance au mouvement # MeToo, lequel s'est diffusé jusqu'en Europe et en France. Weinstein a fini en prison, et une réaction forte s'est manifestée aux États-Unis. J'ai l'impression que là-bas, l'omerta a été brisée. Peut-être que je me trompe, peut-être que c'est l'émotion et le chaos engendrés par les témoignages des victimes décrivant l'horreur, mais j'ai l'impression qu'en France, l'omerta persiste. En 2017, Adèle Haenel a pris la parole lors des César. Nous sommes en 2024, et cette année, le mouvement # MeToo Garçons. Parallèlement, Judith Godrèche a pris la parole lors des César et nous avons aujourd'hui cette commission d'enquête. J'ai l'impression que la situation perdure. Tout va bien, madame la Marquise ?

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

La France fait face à des résistances que je ne parviens pas à comprendre. Cette résistance est extrêmement forte. Aujourd'hui, je dois mentionner un phénomène que je n'avais jamais observé auparavant. Il y a eu la parole d'Adèle Haenel. Judith Godrèche a recueilli des témoignages et devient radioactive dans ce domaine. Pour ma part, je reçois également des témoignages, ce qui me permet de constater des changements concrets.

Un aspect nouveau que je remarque est que, paradoxalement, dans le milieu du cinéma, les personnes qui osent parler sont immédiatement sanctionnées. Je vais illustrer cela par un exemple concret, tout en protégeant l'anonymat de la personne concernée, car elle a fait preuve de beaucoup de courage. Il s'agit d'un agent, un homme, travaillant dans une série quotidienne française diffusée sur une chaîne importante. Un acteur de cette série se montre extrêmement problématique, adoptant des comportements violents envers les femmes et les actrices, tant verbalement que physiquement. Certaines actrices ont même dû quitter la série à cause de lui. Dans une série, un acteur étant récurrent, cela signifie perdre son emploi.

Les producteurs et la production en sont informés, mais cet acteur est toujours présent. Un agent, représentant un autre acteur de cette série, un rôle récurrent, ainsi qu'une réalisatrice parmi les dix réalisateurs de cette production, a eu le courage de s'exprimer. Il a dit : « Écoute, ce n'est pas normal de garder cet acteur, ce n'est même pas possible. » La réponse du producteur fut cinglante : « Mais de quoi te mêles-tu ? Je n'ai pas engagé de femme chez toi. » L'agent a rétorqué : « Ce n'est pas le problème. » Cet échange virulent s'est arrêté là. Deux jours plus tard, ses deux clients, l'acteur et la réalisatrice, l'ont contacté. Ils lui ont annoncé : « Nous devons te quitter. La production nous a informés qu'il y avait un gros problème avec toi. Si nous voulons continuer à tourner, nous devons changer d'agent. » Ainsi, cet agent a perdu ses deux clients. C'est la première fois que je vois cela. Auparavant, tout se passait dans l'ombre. Aujourd'hui, la situation se resserre et la peur s'installe. Cette peur, absente auparavant, provoque des réactions extrêmement violentes.

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Je vous ai interrogé sur la loi du silence et vous avez proposé une idée forte la création d'un poste de gendarme au sein du CNC, mais indépendant. Quelles autres propositions auriez-vous pour protéger les acteurs ? Vous avez mentionné un point important, la vie des acteurs en dehors des tournages, des castings et des répétitions, notamment leur réseau social. Dans ce milieu, nous savons que ces aspects sont essentiels. Nous ne pouvons pas avoir un coordinateur d'intimité pour chaque acteur en permanence. Cependant, pensez-vous que ces postes de coordinateurs d'intimité vont dans la bonne direction ? De même, pour les enfants, que pensez-vous des responsables dédiés ? Voyez-vous d'autres dispositifs qui pourraient protéger et améliorer cet écosystème ?

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Stéphane Gaillard, directeur de casting

Il y a plusieurs points à aborder concernant le référent qui va devenir obligatoire, je pense, sur les tournages de cinéma. Notons que la télévision n'est pas mentionnée dans ce contexte. Qu'en est-il des enfants à la télévision ? À ma connaissance, il n'existe pas de référent pour les enfants à la télévision, bien qu'ils y tournent également. Le référent est aujourd'hui indispensable sur un tournage. Cependant, tout le monde peut suivre cette formation, ce qui signifie que n'importe qui peut devenir référent. Un tournage représente un investissement en temps et en argent. En un temps limité, un groupe de personnes doit se réunir pour collaborer, souvent sans se connaître, afin de créer quelque chose. La réussite d'un film relève toujours d'un petit miracle. Je constate que tout le monde peut suivre cette formation et devenir référent, ce que je trouve extrêmement dangereux. Tout le monde n'est pas apte à être référent, en particulier sur un tournage.

Lorsqu'on est une jeune femme ou un jeune homme de vingt à vingt-cinq ans, avec seulement trois tournages à son actif, comment peut-on intervenir efficacement sur un tournage ? Cela me semble impossible. L'initiative de vouloir être référent est louable, mais il devrait exister une commission où les candidats déposent leur dossier. Cette commission devrait évaluer divers critères et mener des entretiens pour s'assurer que la personne sera efficace en cas de problème. Je vois bien comment les choses se passent sur les tournages. Je pose souvent la question aux acteurs et actrices : « As-tu rencontré la référente ou le référent ? » La réponse est souvent : « Ah non, je ne sais pas. » Ils mentionnent parfois un nom dans la bible de production, mais cela reste flou. Il est évident que certains producteurs ou productrices sont très honnêtes. Cependant, on ne peut pas laisser le choix du référent sans réglementation. C'est là que les dérives apparaissent. En réalité, ce n'est pas le producteur ou la productrice qui choisit le référent, mais ils délèguent cette tâche au directeur ou à la directrice de production. J'ai souvent entendu des techniciens discuter entre eux. À un moment, le directeur de production lance : « Dis donc, tu ne connais pas une petite qui a suivi la formation, qu'on l'intègre dans la Bible ? ». Voilà comment les choses se passent. Tout est détourné. Cette jeune femme se trouve dans l'incapacité d'intervenir dans une hiérarchie aussi vaste. Comment pourrait-elle interrompre le tournage en cas de problème ? Il faut une personne avec suffisamment d'expérience pour accomplir cette tâche. Encore une fois, on détourne les responsabilités. Oui, il faut des référents, mais pas à n'importe quel prix et pas n'importe qui.

Ce principe s'applique également aux coordinatrices et coordinateurs d'intimité. En France, il semble qu'il n'y ait que des coordinatrices. Vous avez reçu les quatre coordinatrices existantes. C'est une profession toute nouvelle, indispensable et intéressante à explorer. Cependant, l'une d'elles a mentionné avoir suivi une formation en ligne coûtant 10 000 euros, ce qui est stupéfiant. Elle n'a plus un sou. Cela m'inquiète également. Je le répète, ce métier est indispensable. Mais il doit être régulé, car il est essentiel pour gérer le contact physique avec les acteurs. On ne peut pas s'autoproclamer coordinateur ou suivre une autoformation. Je ne remets pas en question les compétences des quatre femmes que vous avez reçues. Je suis convaincu de leur compétence. J'ai d'ailleurs échangé avec l'une d'elles et il n'y a aucun problème.

Cependant, laisser cette situation perdurer ouvre la porte à toutes les dérives. Actuellement, les formations disponibles sont principalement anglo-saxonnes ou américaines, ce qui ne correspond pas à notre culture. Nous ne sommes pas dans un puritanisme à l'américaine. Il est essentiel que cela soit adapté à notre culture et aux réalités d'un tournage. Je suis fermement opposé à l'imposition systématique d'une coordonnatrice sur un tournage. Cela ne respecte pas la parole des premiers concernés, à savoir les actrices et les acteurs qui vont jouer ces scènes. En revanche, il est impératif de demander systématiquement leur avis. Si les deux répondent négativement, on n'en prend pas. Si les deux répondent positivement, on en prend. Si l'un des deux répond positivement et l'autre négativement, le oui l'emporte. On en prend et on ne discute plus. Cependant, imposer cette présence sans dialogue est inacceptable. Les acteurs et actrices doivent pouvoir décider, en fonction de leur connaissance mutuelle et de leurs besoins à ce moment-là. Ce métier est intéressant, mais il ne doit pas être imposé sans discernement. Ce matin, en écoutant Mme Tanner, on pourrait croire que toutes les productions ont des coordonnatrices attitrées. Or, elles ne sont que quatre pour environ 300 films par an. De qui se moque-t-on ?

Je souhaite aborder un dernier point, bien que le temps soit limité. Ce matin, madame Tanner a mentionné Mlle Charlotte Arnould. Peut-être par méconnaissance du dossier, mais j'y tiens. J'ai eu un échange avec Charlotte Arnould avant de venir ici. Elle n'a pas été violée une fois, mais deux fois. Je retranscris fidèlement ses propos, car cela revêt une grande importance pour elle.

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Je réitère ce que j'ai mentionné précédemment, la procédure est en cours. Nous attendons le jugement et auditionnons également Mme Arnould. La présomption d'innocence doit être respectée, mais cela n'empêche ni le débat ni une réflexion active sur ces questions. Merci, M. Gaillard, pour votre témoignage et les informations fournies. Votre engagement envers les victimes est précieux. J'espère sincèrement que votre travail sera reconnu et que vous pourrez reprendre votre carrière, ou peut-être en envisager une autre, mais en tout cas, que vous pourrez rebondir. Je lève la séance.

La séance s'achève à dix-huit heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Erwan Balanant, Mme Constance Le Grip, Mme Sarah Legrain, Mme Pascale Martin, Mme Francesca Pasquini

Excusée. – Mme Josy Poueyto