La question de la prévention et de la lutte contre les violences concerne le cinéma, comme tous les autres secteurs de l'économie. Cependant, la notoriété des personnes impliquées dans ce domaine crée un effet de loupe. Le cinéma demeure la pratique culturelle la plus répandue parmi les Français, avec deux tiers d'entre eux fréquentant les salles chaque année, et 85 % des jeunes. Cet élément doit nous guider, car les jeunes sont particulièrement sensibles aux aspects que nous allons aborder aujourd'hui. Les conditions de production des films, le traitement des collaborateurs, ainsi que l'impact carbone, constituent désormais des critères de choix importants pour les jeunes lorsqu'ils sélectionnent un programme. Cette attention accrue envers la filière cinématographique peut parfois être perçue comme inéquitable par les milliers d'entreprises et de salariés qui travaillent de manière impeccable. Néanmoins, il est essentiel que le secteur en tienne compte, tout comme les pouvoirs publics.
L'action collective que nous, au centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), cherchons à mener doit non seulement mettre fin à certains abus, mais également viser un niveau d'ambition extrêmement élevé, transformant ainsi la filière en un modèle en la matière. Le CNC s'engage pleinement dans cette démarche. Il est important de souligner que nous avons commencé ce travail il y a cinq ans, conformément à notre rôle. Le CNC, établissement sous l'autorité directe du ministère de la culture, a pour mission d'assurer le développement économique et artistique de la filière, notamment par l'octroi de subventions. Cependant, ce rôle ne comprend pas la modification ou le contrôle du droit du travail, qui relève de l'administration du travail. Le CNC n'est pas l'inspection du travail du cinéma ; il existe une seule inspection du travail pour toutes les entreprises en France, et le cinéma ne fait pas exception. Ainsi, il est crucial de comprendre que le CNC ne dispose d'aucune prérogative en matière de droit du travail. L'aspiration que nous percevons est une aspiration à la normalisation de la situation, et non à la création de dispositifs particuliers en la matière.
Pour autant, le CNC dispose d'outils d'incitation extrêmement puissants pour influencer les comportements des entreprises et de leurs collaborateurs. Nous utilisons deux types d'outils, d'une part, les aides financières que nous attribuons. En conditionnant l'attribution de ces aides, nous avons obtenu, depuis plusieurs années, des modifications significatives dans les comportements. D'autre part, le CNC, bien qu'étant une administration de l'État, entretient des liens étroits avec tous les acteurs de la filière. Cela nous permet de jouer le rôle de maison commune du cinéma, de l'audiovisuel et du jeu vidéo, et d'être un lieu d'échange, d'orientation et de débat sur tous les sujets de la filière, y compris ceux sur lesquels nous n'avons pas nécessairement une prise directe au sens juridique. Sans nous substituer aux partenaires sociaux, qui sont les seuls responsables de la relation de travail, le CNC peut considérablement faciliter et accompagner leurs discussions, ce que nous avons effectivement fait.
Pour revenir aux mesures mises en œuvre depuis cinq ans, celles-ci se divisent en deux séries, toutes deux fondées sur le droit du travail. Comme dans tous les secteurs d'activité, les entreprises de la filière, notamment les entreprises de production, sont tenues par le code du travail de prévenir ou de mettre fin aux violences sexistes et sexuelles. L'employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir le harcèlement sexuel, y mettre un terme et le sanctionner, conformément à l'article L. 1153-5 du code du travail. Afin de renforcer l'effectivité de cette obligation préexistante, nous avons adopté deux séries de dispositions exemplaires.
Depuis le 1er janvier 2021, l'accès à l'ensemble de nos aides est conditionné au respect de l'obligation inscrite dans le code du travail par l'employeur, qu'il soit producteur, exploitant de salle ou distributeur. En anticipation de cette échéance, et malgré l'année de la covid, nous avons imposé à tous les responsables d'entreprise et mandataires sociaux du secteur de suivre une formation préventive et de lutte contre les violences sexuelles et sexistes (VSS), sous peine de perdre l'accès aux aides du CNC. À ce jour, nous avons formé 5 000 producteurs de cinéma, d'audiovisuel, de jeu vidéo et 1 200 exploitants de salle, atteignant presque 100 % de la profession. Des feuilles de présence attestent le suivi de cette formation, contrôlée lors de l'examen de chaque demande d'aide.
Pour renforcer juridiquement notre pratique de retrait des aides en cas de non-respect du droit du travail en matière de lutte contre les VSS, le gouvernement a récemment approuvé un amendement à la proposition de loi dite « cinéma » adoptée le 14 février dernier au Sénat. Cet amendement prévoit que, lorsqu'une agression sexuelle survenue lors de la production d'un film a conduit à une condamnation pénale, le CNC retire l'aide à l'entreprise de production fautive. La ministre de la culture soutient vivement cette disposition et souhaite son inscription rapide à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, si la représentation nationale le décide.
Deux étapes supplémentaires seront franchies dès cet été. Premièrement, nous imposerons la formation des équipes de tournage dans leur ensemble, sous peine de retrait de nos aides. Actuellement, seule la formation du chef d'entreprise est exigée. Pour créer des réflexes à tous les niveaux, nous imposerons cette formation à l'ensemble de l'équipe dès le début du tournage. Ainsi, nous toucherons toutes les personnes potentiellement concernées, qu'il s'agisse des réalisateurs, des comédiens ou des techniciens. La mise en œuvre effective de cette formation sera une condition d'accès aux aides du CNC. Avant le tournage, le producteur, lorsqu'il dépose sa demande de soutien, doit s'engager à mettre en œuvre la formation. Si l'exécution de cette formation n'est pas constatée, l'aide pourra être retirée.
Nous venons de terminer la concertation avec les partenaires sociaux pour définir le contenu et les modalités d'exécution de la formation. Le marché est sur le point d'être notifié, et les formations seront opérationnelles pour tous les tournages démarrant à compter du 1er septembre prochain. La conditionnalité s'appliquera dès ce moment. Cette formation, financée intégralement par l'Afdas, notre partenaire dans ce dossier, sera gratuite, tout comme celle que nous dispensons aux chefs d'entreprise depuis 2020.
La deuxième étape que nous franchirons cet été concerne spécifiquement la protection des mineurs sur les tournages, car cette question revêt une importance particulière. Actuellement, pour le travail des mineurs de moins de seize ans sur les tournages, le producteur doit obtenir une autorisation particulière de l'autorité préfectorale. Le préfet statue après consultation d'une commission présidée par un juge des enfants et composée, entre autres, d'un médecin, d'un représentant de la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS), ainsi que de la direction régionale des Affaires culturelles (Drac). Cette commission examine l'ensemble des intérêts matériels et moraux de l'enfant, y compris les conditions de respect de l'obligation de suivi scolaire. Elle ne se limite pas aux conditions de travail sur le lieu de tournage, mais adopte une approche globale. Pour renforcer encore la protection des mineurs, le 27 juin prochain, le conseil d'administration du CNC votera l'obligation de recourir à un responsable enfant sur tous les tournages comme nouvelle condition d'accès aux aides du CNC, avec effet immédiat. Dès que cette délibération deviendra exécutoire, soit un mois après le vote, la conditionnalité des aides entrera en vigueur.
Comme je le rappelais, les aides constituent un levier indirect très puissant dont dispose le CNC. Cependant, l'essentiel demeure la négociation entre les partenaires sociaux, auxquels nous ne pouvons nous substituer. Nous nous sommes néanmoins fortement engagés au CNC pour les encourager et les accompagner de notre expertise. Cela a permis, en un temps record, de trois ou quatre mois, d'aboutir le 19 mai dernier à Cannes à la signature de deux avenants à la convention collective nationale de l'industrie cinématographique. Je suppose que vous allez auditionner les partenaires sociaux, ou que vous l'avez déjà fait, car ils sont les mieux placés pour présenter eux-mêmes le contenu des avancées. Si je me borne à énumérer les points figurant dans ces avenants, on est assez impressionnés par les progrès réalisés.
Ces avenants concernent à la fois la situation des enfants et deux situations particulièrement sensibles : les castings et les scènes d'intimité. Désormais, le droit du travail impose le recours à des responsables enfants. Ce n'est plus seulement une condition d'accès aux aides du CNC, mais une obligation légale. Cette obligation est entrée en vigueur le 1er juin, et le poste de responsable des enfants a vu ses missions et qualifications précisées par l'avenant à la convention collective. Le recours à un coordinateur d'intimité, qui devra justifier d'une certification professionnelle, est fortement encouragé par la convention collective. Celle-ci contient une clause type insérée dans les contrats de travail des artistes amenés à jouer des scènes d'intimité, afin de prévoir une protection globale. Lors des castings, les mineurs devront obligatoirement être accompagnés par un adulte référent. De manière plus générale, tous les castings, y compris ceux impliquant des adultes, seront beaucoup plus strictement encadrés quant aux lieux où ils se déroulent. Certains lieux seront interdits, notamment les lieux privés, et certaines scènes seront proscrites lors des castings, telles que les scènes d'intimité et les scènes à caractère sexuel, désormais totalement prohibées.
L'association des directeurs de casting travaille actuellement à l'élaboration d'une charte de bonnes pratiques, en cohérence avec les principes que j'ai évoqués. Par ailleurs, le métier de coordinateur d'intimité, dont nous avons constaté le manque de professionnels disponibles, fait désormais l'objet d'une fiche métier incluse dans la convention élaborée par les partenaires sociaux. Cette fiche servira de base pour mettre en place, espérons-le, une certification d'ici l'année 2025. Ainsi, nous pourrons engager le processus d'augmentation du nombre de coordinateurs disponibles.
En conclusion, ce travail a débuté il y a plusieurs années sous l'égide du CNC, avec les outils dont nous disposions à l'époque. Cependant, il a pris de l'ampleur récemment grâce à la complémentarité des actions que nous avons instaurées avec les partenaires sociaux, l'organisme de formation et l'organisme mutualiste du secteur, à savoir l'Afdas et Audiens, ainsi que les associations professionnelles avec lesquelles nous avons été en contact permanent. Le caractère collectif de ce travail témoigne de la profondeur de la prise de conscience de l'ensemble de la filière.
Lors du Festival de Cannes, nous réunissons chaque année les trente-six CNC des pays membres du Conseil de l'Europe. Sur les quarante-sept pays du Conseil de l'Europe, trente-six disposent d'un CNC. Nous avons eu un tour de table extrêmement intéressant sur ce sujet et avons constaté que ce que nous avons réalisé en France n'a aucun équivalent, tant par l'étendue des mesures que par leur caractère contraignant, dans aucun autre pays du Conseil de l'Europe, et a fortiori dans des pays moins réglementés que le nôtre.