France Insoumise (NUPES)
PCF & ultramarins (NUPES) PS et divers gauche (NUPES) EELV (NUPES)
Radicaux, centristes, régionalistes... LREM et proches (Majorité gouv.)
MoDem et indépendants (Majorité gouv.) Horizons (Majorité gouv.) LR et UDI
RN et patriotes
Non-Inscrits (divers gauche à droite sans groupe)
La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Superprofits réalisés par les concessionnaires d'autoroutes : état des lieux et perspectives ».
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
La parole est à Mme Christine Pires Beaune.
Le groupe Socialistes et apparentés a choisi de mettre à l'ordre du jour, dans le cadre de cette semaine de contrôle, la sur-rentabilité des infrastructures autoroutières. Les Français ne comprennent pas l'inaction des gouvernements successifs, qui renoncent à récupérer une partie des rentes qui y sont liées.
Il faut le rappeler, c'est par l'État que les autoroutes ont été réalisées. La loi du 18 avril 1955 crée des sociétés d'économie mixte pour réaliser les premières autoroutes, sous l'autorité de l'État. Progressivement, celui-ci mettra en vente une partie de plus en plus importante de ses parts, mais en veillant toujours à garder la majorité du capital, jusqu'au jour où le gouvernement de Dominique de Villepin décide de céder l'ensemble des parts au secteur privé. M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, était aux premières loges en tant que directeur de cabinet du Premier ministre de l'époque. Sa responsabilité est donc grande dans ce que beaucoup qualifient de fiasco pour l'État.
Sur le moment, cette décision a été contestée y compris à droite et au centre. Le rapporteur général du budget de l'époque, notre ex-collègue Gilles Carrez, indiquait qu'elle était « contraire à ce que devrait être la philosophie économique de l'État, dont le rôle devrait être de préparer le moyen et le long terme ». Quant à notre collègue Charles de Courson, lors d'une conférence de presse avec François Bayrou, il expliquait pourquoi son groupe ne voterait pas le projet de loi de finances pour 2006 : « Le budget 2006 est construit grâce aux recettes de privatisation des trois sociétés d'autoroutes ; en faisant cela, l'État renonce à des dividendes croissants pendant un quart de siècle […]. » Je pense qu'il n'imaginait pas alors le niveau de rentabilité affiché aujourd'hui par les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA). Depuis 2006, 27 milliards d'euros de dividendes ont été versés par les SCA à leurs actionnaires – une belle rente dont l'État aurait mieux fait de conserver la jouissance.
Cette décision de 2006 constitue à nos yeux la faute originelle : la privatisation ou, si vous préférez, la cession intégrale de la concession aura été une mauvaise affaire pour l'État. Mais à cette faute originelle sont venues s'ajouter deux nouvelles fautes : le paquet vert de Jean-Louis Borloo en 2010 et surtout le plan de relance autoroutier (PRA) en 2015.
En 2010, en échange de l'installation de bornes de télépéage, on prolonge d'un an les contrats des SCA, en supprimant d'ailleurs au passage des emplois non délocalisables. Surprofit estimé de l'opération : 3,1 milliards.
En 2015, pour les sociétés d'autoroutes, c'est le jackpot. Un PRA est négocié par Alexis Kohler et Élisabeth Borne, directeurs de cabinet des ministres Emmanuel Macron et Ségolène Royal, qui signent le protocole. On confie alors à Vinci, Eiffage et Abertis des travaux pour 3,2 milliards d'euros, en échange d'une prolongation des contrats d'environ trois ans, soit un taux de rémunération de 8 %. C'est le casse du siècle, organisé par l'État au profit des SCA. Les Français sont une nouvelle fois les dindons de la farce. Surprofits estimés grâce à ce plan : 8 milliards d'euros.
Il aura fallu attendre le 22 mars 2023 pour que Bruno Le Maire lance un début de mea culpa : « Nous avons […] sous-évalué l'avantage financier revenant aux sociétés concessionnaires. » Alors pourquoi cet aveu en 2023 ? Mon avis est que vous ne pouviez faire autrement, le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF), commandé en 2020 et remis au Gouvernement en février 2021, ayant fuité dans Le Canard enchaîné. À partir de là, la sur-rentabilité est documentée, qui plus est par les services de l'État, mais surtout des pistes pour corriger le tir sont proposées et analysées, dont une semble légale – je veux parler bien sûr du raccourcissement des contrats de concession.
La première question que nous nous posons est simple. Vous avez entre les mains ce rapport depuis février 2021. Pourquoi faut-il attendre mars 2023, et cette audition par la commission des finances et la commission du développement durable, pour que vous annonciez une saisine du Conseil d'État ?
Et, d'ailleurs, a-t-il vraiment été saisi ? Quel est le périmètre de la saisine ? Je vous demande officiellement de nous en transmettre une copie.
Ma deuxième question porte sur le PRA 2015. Le moins que l'on puisse dire, c'est que vous n'avez pas été très diserts sur cette question en commission.
Je souhaite vous interroger très précisément sur les conditions et les modalités de négociation de ce plan. Je n'ose croire que l'État ait accepté un plan préparé unilatéralement par les SCA, sans aucune concertation en amont. Ce serait d'ailleurs faire injure à nos services que de soutenir cette thèse. Pourtant, dans un courrier du 16 mars 2022, rédigé au nom de M. Le Maire, les services du ministère de l'économie, des finances et de la relance indiquent n'être en possession d'aucun document préparatoire à l'élaboration du PRA et des décrets d'application. Cet accord portant sur 3,2 milliards d'euros aurait été validé sans que les ministres Emmanuel Macron et Ségolène Royal, ni leurs directeurs de cabinet, n'aient disposé d'avis, d'études, ni d'information d'aucune sorte. Avouez que c'est difficilement crédible ! Alors ma question est simple : allez-vous transmettre à la représentation nationale tous les documents ayant permis d'aboutir au PRA, à commencer par la note interministérielle du 7 janvier 2015, mentionnée dans le rapport de l'IGF ?
Concernant ce PRA toujours, le secrétariat général du Gouvernement, lui, va même plus loin en affirmant que ces documents n'existent pas. Évidemment qu'ils existent et on ne comprend pas l'opacité qui règne en la matière. Après la faute originelle de 2006, le PRA de 2015 constituerait-il une autre faute politique commise, si j'ose dire, en connaissance de cause ? Seule la transparence pourrait mettre fin à ces soupçons, monsieur le ministre !
Un autre élément est de nature à nous inquiéter : il s'agit des moyens de l'Autorité de régulation des transports (ART). Ces dernières années, les missions de l'ART n'ont cessé de croître – utilement ; mais voilà, ses moyens, eux, ont baissé. Ce n'est pas moi qui le dis, mais la Cour des comptes. Dans son rapport du 29 novembre 2022, la Cour invite le Gouvernement à « redéfinir les moyens financiers et humains de l'ART, en adéquation avec ses missions effectivement exercées et ajuster en conséquence la dotation pour charges de service public ». Vous conviendrez que ces propos de la Cour ne sont pas courants. Je comprends que les avis de l'ART – notamment sur les projets d'avenants aux fameux contrats historiques – puissent parfois déplaire, mais l'Autorité est dans son rôle quand elle protège les intérêts de l'État.
M. Arthur Delaporte applaudit.
Dans son rapport de janvier 2023, l'ART rappelle que l'indexation de la taxe d'aménagement payée par les SCA représente une charge de 882 millions d'euros d'ici la fin des contrats ; mais la réduction progressive, de 2018 à 2022, de l'impôt sur les sociétés (IS) a entraîné, pour ces mêmes SCA, un gain de 7,9 milliards d'euros !
Exclamations sur les bancs du groupe SOC.
Un effet d'aubaine supplémentaire qui prive l'État de presque 8 milliards d'euros, alors que les investissements dans la transition énergétique et écologique nécessitent des milliards.
Il a quelques jours, le magazine Marianne, avec l'aide d'un spécialiste, Frédéric Fortin, dont l'expertise a été saluée par l'IGF, a évalué les surprofits de Vinci, Eiffage et consorts. On y apprend par exemple que le PRA, compte tenu du taux de rémunération accordé aux SCA, aurait dû exiger des concessionnaires un investissement supplémentaire de 4 milliards, soit plus du double du montant figurant dans l'accord de 2015 ! Au total, selon les calculs de Marianne, ce sont 31,5 milliards de cadeaux qui ont été faits aux concessionnaires autoroutiers depuis 2006.
Alors oui, monsieur le ministre délégué, les calculs de 2006 n'ont pas été bons, mais les avenants post-2006, en particulier celui de 2015, n'ont pas été meilleurs. Or l'État n'a jamais tenté de rééquilibrer les contrats, au grand dam des Français.
Vous aviez l'occasion de vous rattraper : j'avais défendu, ici même, un amendement pour taxer les superprofits, notamment ceux des concessions autoroutières, mais votre majorité, à quelques voix près, l'a refusé. Dommage, car les superprofits éclatent au grand jour, grâce notamment au rapport de l'IGF.
Aujourd'hui, monsieur le ministre délégué, il est grand temps de prendre le taureau par les cornes, quitte à se fâcher avec les concessionnaires.
Pour tirer les enseignements de cette gabegie, il faut commencer par prendre l'engagement ferme de ne plus prolonger jusqu'à leur terme, ne serait-ce que d'un jour, les contrats en cours qui arrivent à échéance – pour le premier, dès 2031. Si le Conseil d'État devait valider le raccourcissement de la durée des contrats, il faudrait suivre ses préconisations. Prenez-vous cet engagement ?
Si, à l'inverse, le Conseil d'État ne valide pas cette option, c'est dès à présent qu'il faut préparer la fin des sept concessions autoroutières historiques. La première chose à faire est de vérifier que les travaux prévus dans les contrats ont bien été réalisés, et que les SCA remettront au propriétaire, c'est-à-dire à l'État, les réseaux en bon état – ce qui suppose de définir ce que cela signifie.
Pour finir, il faut d'ores et déjà engager la réflexion sur le futur mode de gestion du système autoroutier. Monsieur le ministre délégué, vous avez annoncé vouloir lancer au printemps un travail avec les parlementaires, les économistes, les ONG et les sociétés d'autoroutes elles-mêmes. Jusqu'ici, on n'a rien vu venir. Je penche personnellement pour une gestion mixte, dans laquelle l'État serait majoritaire. Si j'osais, j'irais jusqu'à suggérer au Président de la République de nommer ce futur établissement « France Autoroutes ».
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI – NUPES, Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
Peut-être parce que le sujet est lié à l'automobile, dont nous connaissons tous l'importance dans l'imaginaire français, peut-être parce que les montants en cause sont très importants, mais le sujet des recettes et de la rentabilité des concessions autoroutières a, malheureusement, donné lieu à beaucoup de caricatures et à une simplification extrême de situations complexes.
Les concessions autoroutières reposent sur un modèle où le concessionnaire investit massivement en début de concession, arbitrant le mix entre capitaux propres et endettement. Cet investissement massif a une incidence sur la durée des concessions : il s'agit de contrats publics particulièrement longs, le délai permettant l'amortissement des investissements opérés. De ce fait, au moment de la conclusion des contrats et de l'attribution des concessions, tant l'autorité concédante que les candidats à la concession s'appuient sur des hypothèses économiques, notamment relatives au financement. La durée des contrats rend la stabilité des hypothèses retenues très improbable ; ce fut le cas des concessions autoroutières en cours.
Trois facteurs interviennent dans l'équilibre de ce type de contrats : le temps ; le montant des investissements ou le droit d'entrée exigé ; la redevance payée par l'usager. C'est la combinaison optimale de ces facteurs qui permet au régime concessif de réaliser des investissements importants que les seuls moyens publics peineraient à réaliser dans un délai comparable.
Dans ce cadre, quatre points peuvent être évoqués s'agissant des concessions en cours et, plus encore, des clauses à inclure dans les futurs contrats.
Suivant la jurisprudence « Commune d'Olivet » du Conseil d'État, lorsque la rentabilité appréciée sur une longue période excède notablement les hypothèses initiales, on peut envisager la réduction de la durée des concessions. Le devoir de loyauté qui s'applique à tout contrat, même public, doit alors conduire à fixer les limites d'une telle remise en cause. Cette solution doit être envisagée dans le contrat initial, ce qui n'est malheureusement pas le cas pour les contrats en cours.
La résiliation est un instrument dont les contrats de long terme devraient se doter, en précisant les conditions de sa mise en œuvre.
Les provisions et travaux restant à réaliser dans le cadre des concessions demeurent un sujet d'appréciation complexe. Il importe, là aussi dans le cadre des contrats, de prévoir des modalités contradictoires de contrôle du respect des obligations afin d'assurer que l'intérêt général est garanti par la restitution d'équipements correctement bâtis et entretenus. En cas de non-respect, une sanction financière devrait être appliquée.
Les contrats de longue durée posent la question de l'appréciation des taux d'actualisation et des taux de rentabilité sur des périodes au cours desquelles les hypothèses sous-jacentes – taux de rentabilité interne, rémunération des capitaux investis – peuvent connaître des variations susceptibles d'affecter fortement l'équilibre des contrats. Des clauses de revoyure permettraient d'assurer que la rentabilité interne de ces projets ne crée pas de déséquilibre au détriment de l'intérêt public.
Pour l'intégration de ces clauses de revoyure, contradictoires par construction, nous pouvons compter sur les fruits de l'excellence de la recherche française en finances, notamment sur les travaux des équipes du professeur Noël Amenc au sein de l'Edhec – École des hautes études commerciales du Nord. Grâce à une évaluation de la rentabilité interne des projets fondée sur des comparatifs internationaux, cette méthode aboutirait à objectiver l'activation de la révision des clauses du contrat en vue d'un rééquilibrage du coût payé par l'usager, de la durée d'amortissement financier et de la rémunération du concessionnaire.
Enfin, si les sociétés concessionnaires sont soumises au principe de la commande publique, les sociétés appartenant au même groupe, qui effectuent parfois les travaux, appellent une vigilance particulière, notamment à travers l'expertise des auditeurs légaux.
Les insatisfactions suscitées par les contrats actuels des concessionnaires d'autoroute sont liées à des contrats anciens n'ayant pas intégré de clauses de révision, faute d'une prévoyance suffisante. Sans refaire le match, il est aujourd'hui difficile – et serait probablement très coûteux – de remettre en cause cet édifice contractuel. Toutefois, rédiger à l'avenir des contrats de long terme sans prévoir des dispositifs améliorant les contrôles et prenant en compte les spécificités attachées à leur durée serait fautif.
Grâce à la pugnacité de journalistes de la presse indépendante, nous avons découvert, deux ans après sa date de remise, en février 2021, un rapport de l'Inspection générale des finances et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) portant sur le modèle économique des concessions autoroutières. Il a mis en évidence une rentabilité très supérieure à celle qui était attendue pour l'exploitation des Autoroutes du Sud de la France (ASF) et Esterel-Côte d'Azur-Provence-Alpes (Escota) ainsi que des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR), allant à l'encontre du principe de rémunération raisonnable
Quand ces autoroutes ont été privatisées, en 2006, la rentabilité des concessions était estimée à 7,6 %. Ces prévisions ont été largement dépassées, notamment pour les concessions de Vinci, avec un taux de 11,77 %, et celles d'Eiffage, avec 12,49 %. La concession de ASF-Escota à Vinci aurait dû rapporter à l'État 11 milliards d'euros au lieu de 7,6 milliards et celle de APRR-Area à Eiffage 7,3 milliards au lieu de 4,8 milliards. Le rapport de l'IGF relève un important manque à gagner pour l'État, estimé à 6 milliards – une paille. Doit-on y voir une insuffisante préparation du gouvernement dans le déploiement du modèle des concessions privées d'autoroutes ? On peut aussi imaginer d'autres considérations…
Je tiens à rappeler que nous nous sommes toujours opposés à une approche de l'aménagement du territoire fondée sur le tout-camion-voiture et le développement des autoroutes au détriment du soutien aux infrastructures de transport ferroviaire, en particulier pour les grandes distances, qu'il s'agisse des trains de nuit ou du fret. Nous avons à plusieurs reprises alerté sur l'absence de transparence dans l'attribution des concessions et les conditions dans lesquelles elle s'est déroulée ; le rapport de l'IGF est venu confirmer nos analyses.
En dehors du modèle de la concession, plusieurs solutions de gestion sont possibles. Il convient donc d'expertiser leur cadre juridique et les modalités de financement du réseau autoroutier qui y sont associées. Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale fait état d'une absence totale de réflexion de la part des services de l'État sur les perspectives à prendre en compte alors même que les enjeux sont considérables et que la première concession historique expirera dans quelques années.
Plusieurs solutions sont envisageables : le recours à de nouvelles concessions, mieux encadrées et de moindre durée, la conclusion de contrats de prestation de services, la mise en place de régies intéressées, la gestion directe par l'État. En cas de recours à de nouvelles concessions de tout ou partie du réseau autoroutier à des sociétés privées, l'État devra cette fois-ci s'attacher à définir précisément l'équilibre économique sur lequel reposeront les contrats qu'il conclura, de manière que le taux de rentabilité interne reste dans des limites raisonnables et ne conduise pas à la réapparition de phénomènes de superprofits.
Il conviendrait de s'engager sur des durées de concession moins longues, compte tenu notamment de la maturité du réseau, à travers des contrats comprenant des clauses de revoyure, des clauses de partage des gains d'exploitation, des clauses de partage des gains de refinancement et des clauses de modération tarifaire permettant de s'assurer de l'équilibre économique sur lequel ils reposent et de leur acceptation sociale, toutes choses auxquelles le gouvernement n'a pas prêté attention en 2006.
Par ailleurs, il est essentiel que ces négociations, si elles ont lieu, contribuent à un juste retour des profits passés vers le financement du ferroviaire – nous attendons toujours, d'ailleurs, la grande loi de programmation qui viendrait confirmer les engagements pris.
Une autre option consisterait en la conclusion de contrats de partenariat, au titre desquels l'État percevrait les péages, tout en supportant le risque trafic, et confierait, après mise en concurrence, l'exploitation et la maintenance des autoroutes à des sociétés privées en contrepartie d'un loyer. C'est l'un des modèles retenus par le Portugal.
Cette solution a pour avantage principal de prévenir la réalisation de superprofits, dont bénéficient actuellement les SCA françaises, car les entreprises qui se voient confier la gestion et l'entretien des autoroutes sont rémunérées par des loyers fixes, indépendants de l'évolution du trafic. Toutefois, elle comporte un risque budgétaire pour l'État : en cas de baisse du trafic, celui-ci subirait les diminutions de recettes des péages alors même qu'il devrait continuer à assurer le paiement des loyers.
Enfin, dernière option, la régie : elle présente l'avantage bien réel pour l'État de récupérer pour son propre compte les recettes des péages autoroutiers mais l'inconvénient de devoir investir dans de lourdes tâches d'entretien.
En cas de maintien des recettes de péages et compte tenu de l'état des autoroutes à l'échéance des contrats de concession en cours, il pourrait être envisagé d'affecter les éventuels excédents au financement d'autres modes de transport comme le ferroviaire, j'insiste sur ce point. Cela nécessiterait de faire évoluer notre législation, en particulier l'article L. 122-4 du code de la voirie routière qui prévoit dans sa rédaction actuelle que le péage ne peut être utilisé que pour couvrir des coûts limitativement énumérés.
Chaque modèle présente, on le voit, des avantages et des inconvénients, notamment d'ordre financier. Ce n'est donc qu'au prix d'une réelle expertise, à même de garantir les intérêts de l'État et donc des contribuables, qu'un choix politique éclairé pourra être fait, à l'inverse de ce qui s'est produit en 2006. Le groupe Écologiste – NUPES vous invite donc à ne pas reproduire les mêmes erreurs.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES, LFI – NUPES, SOC et GDR – NUPES.
N'insiste pas sur le pont de Normandie, je vais m'en occuper. M. le ministre est d'ailleurs au courant !
Depuis plusieurs années, de nombreuses voix s'élèvent pour partager ce constat : en 2005, en concédant nos sociétés autoroutières à des sociétés privées pour une bouchée de pain, notre pays a commis une erreur politique, stratégique et économique de taille.
Ce choix, déjà très contesté à l'époque, est sujet à une forte remise en cause aujourd'hui, à tel point que même le Gouvernement s'interroge sur l'avenir de ces contrats et sur le modèle de gestion choisi.
Le rapport commandé en 2020 par le ministère de l'économie à l'inspection générale des finances en fournit une démonstration frappante. Lorsque l'État a cédé pour à peine 15 milliards d'euros près de 9 000 kilomètres d'autoroutes au privé, les autorités avaient estimé la rentabilité de cette opération pour les concessionnaires à 7,6 %. Or, selon l'IGF, elle avoisinerait pour certains d'entre eux les 12 %. Ces profits ont été réalisés sur le dos des seuls usagers qui ont vu les coûts des péages flamber alors que pour la majorité d'entre eux, la voiture est le seul mode de déplacement possible. Finalement, les grands gagnants, ce sont toujours les actionnaires.
M. le ministre de l'économie, lors de son audition le mois dernier, a précisé que ce rapport avait été demandé pour remettre à plat un système particulièrement défavorable à l'État et aux usagers. Qui ne partagerait pas cette évidence ? La défiance des usagers envers la gestion des autoroutes par les sociétés autoroutières privées est telle qu'il n'est pas possible de se satisfaire de simples constats. Bien au contraire, il est urgent de rectifier le tir et de revenir sur les erreurs qui ont été commises, quitte à bousculer les calendriers prévus, si cela est envisageable.
De récents événements ont révélé une forme d'opacité dans la relation qui lie l'État et les sociétés autoroutières privées. Après qu'elles ont demandé une augmentation de 2 milliards d'euros des péages, l'ART a fait valoir que sur ce total, 800 millions d'euros n'étaient absolument pas justifiés. Comment a réagi l'État ? Il a décidé, sans faire preuve de la moindre transparence, de ne retrancher que 300 millions d'euros des 800 millions mis en cause par l'ART. Il est donc légitime de se demander comment et pourquoi il a procédé à un tel arbitrage. Comment justifier le fait que les autorités publiques aient choisi de faire ce cadeau de 500 millions à des sociétés privées florissantes plutôt que de se tourner du côté des usagers ?
Face à cette situation ubuesque pour l'État comme pour nos concitoyens, nous devons nous saisir de toutes les possibilités qui s'offriront à nous. Si la renationalisation n'apparaît pas comme la meilleure alternative à court terme car elle est trop coûteuse, ce qu'a conclu un précédent rapport sénatorial, le passage en régie publique semble être une option plus qu'intéressante. Dans ce cadre, plutôt que d'enrichir le capital et les actionnaires, les usagers paieraient uniquement pour l'entretien et les investissements réalisés sur les autoroutes qu'ils empruntent.
Par ailleurs, alors que des superprofits sont aujourd'hui reversés à des actionnaires, nous proposons que, grâce à la régie publique, l'État perçoive les péages et affecte les bénéfices réalisés, une fois l'entretien et les investissements effectués, à la transition écologique et aux modes de transport alternatifs comme le rail, dont le bilan carbone est infiniment meilleur.
Anticiper la fin des contrats de concession est un enjeu stratégique majeur pour redessiner un nouveau modèle de gestion de nos autoroutes. Ces concessions arriveront à échéance entre 2031 et 2036, soit dans un avenir proche. Selon le président de l'ART, il s'agit là d'une « opportunité historique pour repenser le modèle actuel ». Peut-être pouvons-nous même mettre un terme à ces contrats avant la date prévue car leur rentabilité exceptionnelle, dépassant les estimations initiales, a été atteinte plus rapidement qu'attendu et pose la question légitime d'une fin anticipée des concessions.
Lors d'une audition devant notre assemblée en mars dernier, M. le ministre de l'économie s'est montré plutôt ouvert à cette possibilité, à condition que le Conseil d'État juge cela possible en droit. M. Le Maire a-t-il déjà saisi cette haute juridiction ? Envisagez-vous, monsieur le ministre délégué, de mettre un terme au système des concessions pour passer à une régie publique, modèle plus vertueux pour l'État et les finances des usagers ?
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES, LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
Je remercie le groupe Socialistes et apparentés d'avoir mis à l'ordre du jour ce débat important. Alors que nous vivons l'une des crises sociales les plus graves de ces dernières décennies, l'aspiration des Français à davantage de justice sociale est forte. Et le sujet renvoie bien à la justice sociale. Au moment où nos concitoyens subissent une crise inflationniste d'une rare intensité, les sociétés de concession autoroutières réalisent des bénéfices spectaculaires : 3,9 milliards d'euros en 2021 avec un taux de rentabilité de près de 12 %, bien supérieur aux 7,7 % prévus lors de la signature des contrats de concession, en 2006.
Non contentes d'engranger cette manne financière qui frise l'indécence dans le contexte économique et social explosif que nous traversons, les SCA ont encore augmenté leurs tarifs, de 4,75 % en février 2023. Et cette rentabilité exceptionnelle, bien loin de décroître, devrait doubler pour atteindre les 40 milliards sur la période 2020-2036.
À l'heure où le Gouvernement demande aux Français de rogner deux ans de leur temps de vie, prétendument au nom de l'assainissement des finances publiques, comment pourraient-ils accepter les profits stratosphériques réalisés par ces sociétés ?
MM. Inaki Echaniz, Benjamin Lucas et Hubert Wulfranc applaudissent.
Je ne reviendrai pas sur les responsabilités et les causes qui ont mené à une telle situation. La commission d'enquête sénatoriale de septembre 2020 ainsi que le rapport de l'Inspection générale des finances remis au ministère de l'économie en 2021 sont limpides à cet égard.
Les contrats de concession signés en 2006 sont le fruit de négociations expédiées, réalisées dans des conditions qui ont largement désavantagé la puissance publique. Ils sont profondément déséquilibrés, en faveur des sociétés concessionnaires. La durée inhabituellement longue des concessions, la fixation de tarifs de péage mal adaptés, l'absence de dispositions rétributives en cas de surprofit ont fait de l'État le perdant de ces négociations. La situation ne serait pas aussi regrettable si la victime n'en était pas, une fois encore, l'usager, c'est-à-dire l'ensemble de nos concitoyens déjà durement frappés par l'augmentation du coût de la vie.
Si la qualité du réseau autoroutier français n'est pas en cause, on peut s'interroger sur la pertinence de confier à des sociétés privées l'exploitation de quelque 9 000 kilomètres d'autoroutes, dont la construction a été largement financée par la puissance publique, donc par les Français. Rappelons que la France est le pays dont les tarifs autoroutiers sont les plus élevés d'Europe, tarifs qui n'ont cessé de croître ces dix dernières années tandis que la marge bénéficiaire des SCA explosait.
Au-delà de la pertinence de ces concessions qui bradent les intérêts des Français au profit de quelques grandes entreprises, la gestion de ce dossier illustre plus globalement l'échec de la doctrine libérale, dont le Gouvernement est le dépositaire. Je réfute l'idée encore récemment proférée en commission du développement durable et de l'aménagement du territoire par Bruno Le Maire selon laquelle l'État est, par essence, mauvais gestionnaire. De la même manière, je récuse le principe selon lequel il reviendrait à l'État de financer à grands frais la construction d'infrastructures coûteuses structurellement déficitaires et d'en confier la gestion au privé dès lors que des profits commencent à être générés. À cet égard, le projet du Gouvernement de privatiser le groupe ADP – Aéroports de Paris – se situe dans la parfaite continuité de cette politique libérale qui organise de manière méthodique l'appauvrissement de l'État.
Pour les membres du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, il est évident que la renationalisation, à l'approche de l'échéance des contrats, serait une solution bien trop coûteuse et inopérante. L'argent qui y serait consacré serait en effet bien plus intelligemment dépensé s'il était investi dans la décarbonation des modes de transport ou s'il permettait de financer notamment un programme ambitieux de primes à la conversion des véhicules polluants ou la rénovation du réseau de routes secondaires.
Le constat est donc sans appel : les Français ont été les grands perdants d'une politique libérale délétère. Il est désormais temps de prendre acte de ces erreurs et de définir collectivement la suite à donner à cette expérience. À l'instar de la souveraineté énergétique, je considère que l'État doit reprendre sa place d'autorité de gestion et de planification du réseau routier du pays. Mais l'urgence est à la redistribution. Des pistes existent, telles qu'une diminution substantielle des tarifs des péages. Il serait irresponsable que le Gouvernement fasse, une nouvelle fois, l'économie du débat sur la justice sociale.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR – NUPES.
Reconnaissons-le d'emblée : le sujet des concessions autoroutières et de leur économie s'invite avec régularité dans le débat public depuis 2006. Je n'ai pas vérifié, en préparant cette intervention, s'il avait été abordé lors de semaines de contrôle ces dernières années, mais il est probable que cela a été le cas. Je suis désolé de décevoir, peut-être, les prétentions d'originalité de mes amis et collègues du groupe Socialistes et apparentés.
Sortie de route ! Il est vrai que le Gouvernement stationne sur la bande d'arrêt d'urgence…
Quels sont, en ce 3 mai 2023, les faits et le contexte nouveaux sur ce sujet qui touche le quotidien de millions de Français ? Deux rapports, sur l'économie des concessions autoroutières, ont été rendus publics récemment, l'un de l'ART, l'autre de l'IGF et du CGEDD. Quoiqu'avec des chiffres différents, tous deux concluent à des niveaux de rentabilité qui se situent dans la moyenne haute des concessions comparables en Europe.
Face à ce constat, le ministre de l'économie et des finances et le ministre délégué chargé des transports ne se sont pas dérobés lors de leur audition devant deux commissions de notre assemblée.
Le contexte nouveau de ce débat, c'est que nous sommes en 2023,…
…et que tout bonnement le temps a passé. Dans huit ans, le cycle de fin de concessions historiques débutera. Huit ans, c'est peu en matière d'infrastructures de transport et pour des concessions qui remontent souvent à plusieurs décennies. Cela revient à dire que l'avenir des concessions, après 2031, doit se préparer dès maintenant, quand bien même elles n'iraient pas jusqu'à leur terme.
Quant aux engagements en matière d'investissements, ils seront évalués en fin de concession. Mais on peut d'ores et déjà constater sans idéologie que nos autoroutes sont en meilleur état aujourd'hui qu'elles ne l'étaient il y a dix-sept ans ;…
…c'est un fait que tous les Français peuvent constater.
Compte tenu de profits supérieurs à ce qui avait été évalué en 2006, devons-nous frapper les concessions autoroutières d'un prélèvement exceptionnel sur ces profits ?
Cette solution ne serait que ponctuelle et ne modifierait pas l'équilibre contractuel des concessions. Devons-nous envisager de limiter l'augmentation du prix des péages en cas de bénéfices élevés ?
Les interventions de l'Autorité de régulation des transports, dont il faut saluer le travail, sont allées ces derniers temps dans le sens de la modération tarifaire. Vous avez vous-même, monsieur le ministre délégué, obtenu une limitation à 2 % des augmentations en 2022, loin des chiffres que souhaitaient les sociétés concessionnaires.
Cependant, une baisse ou une modération trop durable des tarifs face à l'évolution du coût de la vie pourrait sembler contre-intuitive à l'heure où l'État engage un effort massif de verdissement des mobilités. Faut-il rappeler que les transports routiers sont à l'origine de 30 % des émissions de gaz à effet de serre en France ?
Le groupe Renaissance défend plutôt une position médiane, qui repose sur une renégociation des accords de concessions, notamment quant à leur durée. C'est le sens de la saisine du Conseil d'État, qui porte aussi sur les questions fiscales.
À plus long terme, la fin des concessions autoroutières doit être préparée pour sécuriser le niveau des recettes des péages. Une application littérale de la directive « Eurovignette » pourrait conduire, en effet, à leur attrition après 2031, comme l'a fait remarquer récemment le Conseil d'orientation des infrastructures (COI).
Le groupe Renaissance souscrit, en outre, à la proposition de l'ART de limiter la durée des futures concessions à quinze ou vingt ans et d'y inclure des clauses de revoyure systématiques en cas de bénéfices exceptionnels enregistrés sur des infrastructures qui restent, rappelons-le, publiques.
Le débat que nous ouvrons doit être l'occasion d'aborder les mobilités dans leur ensemble. Comment la route peut-elle contribuer davantage au financement des transports publics et des modes doux ? Comment accélérer sa transition ? Comment exiger des concessionnaires qu'ils achèvent le déploiement de bornes de recharge électrique et qu'ils en augmentent très fortement le nombre ? Reconnaissons d'ailleurs, là encore sans idéologie, que les aires de service des autoroutes sont mieux équipées que celles des routes nationales non concédées.
Nous savons pouvoir compter sur le Gouvernement pour chercher à améliorer les équilibres contractuels des concessions dans les mois à venir…
…et les placer dans une perspective plus large d'évolution et de décarbonation des mobilités.
La maîtrise des concessions autoroutières est un point essentiel de nos réflexions sur les mobilités de demain. Ce sujet doit être abordé de façon pragmatique, résolue, sans idéologie.
C'est la défense des intérêts des Français qui doit nous guider. J'espère que ce sera le cas ce soir.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
La privatisation des concessions d'autoroutes françaises est un véritable scandale d'État. Ce scandale résume à lui seul plus de vingt années d'appropriation des biens publics par une minorité d'oligarques, servie par des gouvernements ayant complètement oublié de défendre l'intérêt général et, bien plus encore, l'intérêt du peuple.
Ce scandale est désormais bien connu des Français. Pourtant, en dehors du Rassemblement national, de Marine Le Pen
« Ah ! » sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES
Pire encore, aucun gouvernement – ni les Républicains, ni les socialistes, ni les macronistes – n'a eu le courage d'y mettre un terme. Au contraire, ils n'ont eu de cesse de l'aggraver.
Quelle ironie que le groupe Socialistes et apparentés propose de débattre de ce scandale alors que c'est précisément dans les cabinets ministériels et sociaux-traîtres du gouvernement Jospin que ces privatisations ont commencé en 2001, avec 8 milliards d'euros ! En 2006, toute honte bue, Dominique de Villepin promettait aux Français que la privatisation des concessions d'autoroutes serait une bonne affaire. Belle affaire promise par les partis du système, qui s'est révélée être une véritable arnaque pour les contribuables, dépouillés des équipements qu'ils avaient eux-mêmes financés, et un cauchemar pour les automobilistes, devenus de véritables vaches à lait !
Ainsi, entre 2006 et 2017, le prix des péages a augmenté de près d'un tiers, à un rythme bien supérieur à l'inflation. En 2023, cette hausse est encore de 4,75 %, le Gouvernement préférant, évidemment, faire payer l'inflation aux automobilistes plutôt qu'aux oligarques du régime.
En quinze ans, les sociétés d'autoroutes ont systématiquement choisi de verser la quasi-totalité de leurs bénéfices en dividendes aux actionnaires plutôt que de baisser les tarifs ou même de rembourser leurs propres dettes. Elles ont ainsi démontré leur avidité révoltante qui alerte, depuis le début, toutes nos autorités de contrôle démocratique.
En 2009, la Cour des comptes affirmait que le prix de vente était sous-évalué de 10 milliards d'euros. En 2014, l'Autorité de la concurrence observait dans son avis que la rentabilité exceptionnelle des autoroutes était « assimilable à une rente » et affirmait, déjà, que les tarifs pratiqués n'étaient pas justifiés par rapport aux risques pris et aux travaux réalisés par les concessionnaires.
Face à de tels constats, tout gouvernement démocratique aurait réagi. C'est mal connaître la capacité du système à préserver les intérêts de quelques oligarques contre l'intérêt du peuple. Au lieu de mettre fin à ce scandale, Élisabeth Borne, directrice de cabinet de Ségolène Royal et Alexis Kohler, directeur de cabinet d'Emmanuel Macron, travaillèrent à un nouveau contrat, plus intolérable encore !
Les Français doivent savoir que, comme par hasard, Élisabeth Borne a été directrice des concessions chez Eiffage entre 2007 et 2008. Qu'elle ait préservé les intérêts de son ancien employeur n'étonnera personne !
Entre 2015 et 2019, cet accord scandaleux fut gardé secret, malgré plusieurs demandes de publication. Il ne sera révélé que le 19 janvier 2019. Le 18 avril 2019, la Cour des comptes critiquera sévèrement son contenu, expliquant que, pour un euro investi par les sociétés d'autoroutes dans les travaux, les sociétés privées en ont gagné cinq sur le dos des Français ! Belle affaire lorsqu'on sait que, de surcroît, ces travaux sont réalisés par des filiales des sociétés autoroutières.
Malgré ce constat sans appel de la Cour des comptes, le gouvernement macroniste ne fera rien. Ou plutôt, il commandera un rapport, qu'il gardera secret pendant la campagne présidentielle. Pourquoi ? Parce qu'il savait que Marine Le Pen avait décidé de faire de ce sujet un axe central de sa campagne. Il s'agit, en effet, de rendre aux Français l'argent qui leur a été volé !
Car que dit le rapport ? Que 8 milliards d'euros ont été soustraits aux Français. Qu'en toute justice, il faudrait prélever plus de 60 % des bénéfices pour compenser les surprofits réalisés par les sociétés concessionnaires d'autoroutes.
Face à un tel scandale, que proposez-vous ? Rien ! Toujours rien ! Pire, comme l'a dit courageusement Mme Pires Beaune, en baissant l'impôt sur les sociétés, un cadeau pour toute l'oligarchie française, vous avez offert 6 milliards d'euros aux sociétés d'autoroutes. Vous ne proposez rien et vous ne faites rien !
Seule Marine Le Pen ,…
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI – NUPES
…comme toujours, a le courage de proposer la seule mesure qui s'impose pour mettre fin à ce scandale : rendre aux Français ce qui leur appartient et leur redonner le contrôle sur les sociétés d'autoroutes.
Comme vous n'avez pas d'arguments, monsieur le ministre délégué, à opposer à ce que les Français veulent, vous préférez leur faire peur en invoquant des montants farfelus et faramineux de 30 à 50 milliards d'euros pour racheter ces autoroutes, estimations qui ne sont fondées sur rien d'autre que les contrats abusifs que vous tolérez et entretenez.
Nous, nous ne les respectons pas. Ces contrats sont léonins. Au nom de l'État de droit, qui doit préserver l'intérêt général et non les intérêts particuliers, ils peuvent être dénoncés.
Nous pouvons récupérer ces contrats pour zéro euro. Nous reprendrons seulement la dette mais, comme vous le savez, le taux d'intérêt auquel emprunte l'État est bien inférieur au taux de rentabilité de ces autoroutes. Cette opération non seulement ne coûterait rien, mais permettrait aussi de baisser les tarifs autoroutiers tout en remboursant la dette.
Il faut, en République, rendre à César ce qui appartient à César. En France, nous rendons au peuple ce qui appartient au peuple.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – M. Nicolas Dupont-Aignan applaudit également.
Bruno Le Maire a ses pudeurs. Eh oui, il n'y a pas que le sexe dans la vie, il y a aussi ce rapport de l'Inspection générale des finances que le ministre, timide, a tout fait pour maintenir secret !
Rires et applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – Sourires sur les bancs du groupe RN.
Il a donc fallu que mon collègue, Éric Coquerel, président de la commission des finances, aille le dénicher à Bercy.
Au fond, les pudeurs du ministre, je les comprends, je les partage. En effet, ces pages me paraissent dix, cent, mille fois plus choquantes et révoltantes que les passages érotico-littéraires de Bruno Le Maire.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.
Ce rapport évalue le taux de rentabilité interne des actionnaires, qui s'avère colossal – plus de 12 % par an, soit dix fois plus, sur la période, que le livret A –,…
…alors qu'ils ne prennent aucun risque, ne subissent aucune concurrence, ne proposent aucune innovation. C'est une pluie de milliards pour les actionnaires.
Mieux encore, nous découvrons à la lecture de ce rapport que nous vivons dans un pays formidable. Alors que les salaires ne sont pas indexés sur l'inflation – nous le réclamons, mais vous le refusez –, pas plus que les minima sociaux ou le budget des hôpitaux, le prix des péages, lui, est indexé – d'où la hausse de 4,75 % cette année !
Derrière cette donnée, il y a des Français, des travailleurs, qui se lèvent tôt, qui prennent leur auto, qui vont au boulot. Prenons l'exemple des automobilistes du Loiret : les 140 kilomètres de l'autoroute A9 qui leur coûtaient déjà 12 euros en 2010 s'élèvent aujourd'hui à 25 euros ; le tarif a été multiplié par deux ! Toutes les deux minutes, ils lâchent un euro à Vinci. Pourtant, j'ai vérifié : sur les aires d'autoroute, les toilettes ne sentent pas le Chanel numéro 5 et je n'ai pas vu de caviar dans les sandwiches triangle…
Sourires. – Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et SOC.
Les auteurs du rapport indiquent que les « décideurs » – vous, les ministres – adoptent « des postures de négociation […] trop favorables aux concessionnaires ». Texto. Qu'en termes galants ces choses-là sont dites ! En clair, cela signifie que vous défendez davantage les intérêts d'Eiffage, de Vinci et d'Abertis que ceux des Français.
Pour en sortir, les inspecteurs recommandent « un raccourcissement de la durée des concessions » de dix ans. Au 30 avril 2026, les sociétés rendraient tout à l'État. Selon les inspecteurs, ce serait faisable, ce serait « légalement envisageable au titre de la jurisprudence Olivet du Conseil d'État. » Mais, dubitatifs, ils ajoutent : « Cependant, l'activation de cette jurisprudence suppose une volonté politique forte. »
Ils ont raison de douter de votre volonté. En effet, comment avez-vous réagi lors de la remise du rapport ? On l'a dit, Bruno Le Maire l'a enterré. Par la suite, il s'est exclamé : « un superprofit, je ne sais pas ce que c'est ». Certes, depuis que le rapport a été rendu public, le ton a changé : « Nous nous sommes trompés », concède Bruno Le Maire. Non, vous ne vous êtes pas trompés : vous avez trompé les Français !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Tous les jours, les Français sont volés. Alors, dès cet été, agissez pour eux. Rendez les autoroutes gratuites ! Levez les barrières ! Levez les barrières de péage pour les vacances !
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
Et qui se retrouvera derrière les barreaux ? Qui paiera, qui affrontera un procès ? Ce sont Bruno Le Maire, Thierry Breton, Dominique de Villepin, Élisabeth Borne, Alexis Kohler, Emmanuel Macron qui ont organisé, ensemble, par leur incompétence ou leur malveillance – cela reste à déterminer –,…
…le pillage des autoroutes de France. Ce sont eux qui ont transformé les automobilistes en vaches à lait de la Sanef, d'Eiffage et de Vinci. D'après les inspecteurs des finances, ce sont eux qui ont fait perdre 33 milliards d'euros à l'État français.
Un salarié, un cadre, une caissière qui aurait fait perdre à sa boîte 10 euros ou 100 euros, ou même un seul bon d'achat, serait convoqué devant sa direction, aurait droit à un conseil de discipline et risquerait le licenciement pour faute. Mais ces gens-là, Breton, Le Maire, Villepin, Borne, Kohler et Macron, quand ont-ils été sanctionnés pour ce gaspillage géant ? Jamais ! Quand ont-ils été sommés de s'expliquer et de se justifier devant une commission d'enquête ou un tribunal ? Jamais ! Quand a-t-on prélevé des millions sur leurs comptes en banque pour réparer leurs fautes ? Jamais !
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur quelques bancs du groupe Écolo – NUPES.
« Il n'est point de repos sans égalité » disait Léonard de Vinci – le seul et vrai Vinci.
Sourires.
Vous cultivez l'inégalité, l'injustice, vous en êtes les visages. Vous n'offrez ni la paix ni le repos que la France réclame. Au contraire, tous les jours – ces autoroutes en sont un symbole –, vous apportez l'orage.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, SOC, Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
L'honneur de la politique, c'est de reconnaître les erreurs du passé, plus encore celles de ses pères, et de s'imposer de tirer les leçons de l'histoire pour ne surtout plus les reproduire.
Dans notre passé récent, l'attribution des concessions autoroutières en 2006 fut incontestablement l'une de ces funestes erreurs. Je reconnais pleinement que le péché originel incombe à ma famille.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC et sur les bancs du groupe RN.
Oui, nous le reconnaissons, monsieur Tanguy. La privatisation des autoroutes françaises fut une faute, que seuls quelques parlementaires de la majorité de l'époque, comme l'a rappelé Mme Pires Beaune, ont eu la lucidité de combattre. Je pense en particulier à Gilles Carrez, avec lequel je me suis entretenue hier, et qui fut, cette fois encore, très avisé.
Oui, quand on fait partie de la majorité, on peut dire qu'on n'est pas d'accord.
Lors de la privatisation, l'État estimait que la rentabilité des sociétés autoroutières avoisinerait les 7 % ; elle dépasse aujourd'hui les 12 %. La privatisation n'a pas du tout eu les effets positifs escomptés car les conditions se sont révélées défavorables aux intérêts de l'État et des automobilistes,…
…et ont abouti à placer les sociétés autoroutières dans une situation de monopole.
Plus encore que la privatisation de 2006, nous regrettons les conditions d'attribution, particulièrement défavorables à l'État, de ces concessions autoroutières ainsi que le suivi que la puissance publique en a assuré. Celui-ci s'est révélé au mieux léger, au pire défaillant.
À ce titre, puisque j'ai reconnu les fautes qui furent celles de la droite, j'attends que l'ensemble des responsables politiques qui ont trempé dans ce fiasco collectif fassent leur autocritique.
…qui, sous le quinquennat de François Hollande, a prolongé de deux ans la durée des concessions, et qui, en l'absence totale de mise en concurrence, a permis aux sociétés autoroutières d'accentuer encore davantage leur rente monopolistique – vous l'avez rappelé, madame Pires Beaune.
J'attends un mea culpa d'Emmanuel Macron…
…qui, en tant que ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, a signé cet avenant en tous points contraire aux intérêts de l'État. En effet, selon les calculs de la Cour des comptes, les sociétés concessionnaires ont pu engranger près de 15 milliards d'euros grâce à la prolongation de leur concession.
Ce bénéfice considérable doit être comparé aux 3,2 milliards de travaux, seulement, exigés lors de la signature du contrat de prolongation.
Par ailleurs, une clause du contrat obligeait l'État à accorder automatiquement une compensation aux sociétés d'autoroutes si une taxe ou un impôt nouveau devait les frapper. Dès lors, l'État était pieds et poings liés ; les sociétés autoroutières pouvaient prospérer en toute quiétude et augmenter leurs tarifs de plus de 20 % en dix ans, près du double de l'inflation constatée sur la période.
Enfin, j'attends un mea culpa du Gouvernement…
…et de la majorité, qui se sont distingués par leur inaction chronique depuis six ans et, surtout, ont enterré le rapport de l'IGF qui préconisait d'anticiper la fin des concessions autoroutières. Il aura fallu attendre deux ans et un article du Canard enchaîné pour que le Gouvernement se sente obligé de communiquer ce rapport de février 2021 et se décide enfin à réagir.
Dans ce rapport, l'IGF s'étonne de la légèreté avec laquelle le Gouvernement a supervisé les agissements de ces sociétés autoroutières, au détriment manifeste du pouvoir d'achat des automobilistes français, alors que « les concessions autoroutières touchent environ 11 milliards d'euros par an de péages » – j'insiste.
En dépit des recommandations de ce rapport, personne, ni à Bercy, ni à Matignon, ni à l'Élysée, n'a bougé.
Maintenant que le diagnostic est connu, il importe de réagir, enfin, pour ne pas s'entêter dans l'erreur et éviter d'aggraver une situation déjà peu glorieuse. Monsieur le ministre délégué, cette situation vous impose d'examiner tous les moyens légaux pour rompre les concessions avant leur terme ou ponctionner les profits réalisés par les sociétés autoroutières.
À ce stade, il convient de s'interroger sur les moyens et la capacité que vous vous donnerez de vérifier que les SCA rendront bien, comme elles y sont tenues, les infrastructures en bon état au terme du contrat. Comment l'État s'y prendra-t-il ? Quelles procédures seront engagées ?
Il convient ensuite de se demander si, à l'issue des traités de concessions, un renouvellement de ces dernières est ou non envisagé. Si oui, quelle en sera la durée ? Le Gouvernement envisage-t-il d'introduire des clauses de retour à meilleure fortune ? Des clauses de revoyure seront-elles intégrées ? Surtout, toute clause d'isofiscalité devra être proscrite.
Pour éviter la signature de contrats totalement déséquilibrés, le contrôle du Parlement sera indispensable ; l'organisation d'un débat s'imposera. Alors que des investissements importants en matière routière et ferroviaire sont attendus et nécessaires, les erreurs du passé ne doivent pas vous exonérer de vos propres responsabilités, monsieur le ministre délégué. Elles ne doivent pas non plus vous servir d'excuse pour refuser le rapport de force avec les sociétés autoroutières, alors que votre seule boussole doit être la défense les intérêts des contribuables français.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
C'est un ancien socialiste, il devrait donc être d'accord avec le groupe Socialistes !
Je tiens tout d'abord à remercier Mme Pires Beaune et le groupe Socialistes et apparentés pour l'organisation de ce débat sur un sujet important. C'est assurément ce dont témoignent les interventions successives, dont je ne partage pas toute la teneur.
Lors des interventions, j'ai entendu de nombreuses approximations, délibérées ou involontaires, sur ce que sont les concessions autoroutières et les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Il peut être utile de revenir sur ce qu'est une concession pour nos compatriotes qui suivraient nos débats. Une concession n'est pas nécessairement un outil privé, mais un contrat de long terme que, depuis plus de deux cents ans, la puissance publique signe avec des opérateurs publics ou privés pour assurer la construction et l'exploitation d'une infrastructure ou d'un équipement. Ce mode de financement a ses vertus : il garantit à long terme, l'investissement et l'exploitation.
Comme l'a dit le député David Valence, lorsque l'on compare l'état des autoroutes, objectivement bien entretenues, à celui du réseau routier national non concédé, on comprend quels peuvent être les effets du yoyo budgétaire, un problème récurrent.
Une concession est également un mode de financement, qui implique de faire payer l'usager. Rien n'est gratuit, j'en suis désolé, et l'entretien d'une route coûte de l'argent : il revient soit au contribuable soit à l'usager de payer. Or, madame Arrighi, si l'on souhaite précisément financer la transition écologique, le système qui consiste à faire payer l'usager d'une infrastructure pour son entretien plutôt que l'ensemble des contribuables a quelques vertus.
En l'occurrence, ce n'est pas flagrant ! Les milliards ne vont pas dans la transition écologique !
Nous disposons depuis plus de soixante-dix ans d'un réseau soumis au régime des concessions, qui n'a été remis en cause, au gré des alternances politiques, par aucune majorité et qui représente un patrimoine de 150 milliards d'euros. N'en déplaise à M. Tanguy, il n'appartient à aucune société privée mais à toutes les Françaises et à tous les Français ; il n'y a aucun doute sur ce point.
Comme vous l'avez souligné, madame Louwagie, à l'échéance de chaque contrat de concession, mon ministère mènera l'évaluation du réseau. La loi, que vous avez votée, prévoit que le réseau revient intégralement à l'État, que l'exploitant soit public ou privé, qu'il doit avoir été entretenu et être rendu dans un état conforme à ce qui était prévu.
M. François Ruffin s'exclame.
À l'échéance des prochaines concessions, à partir de 2031, la gestion de ce patrimoine sera – si j'ose dire – remise en jeu. Le Parlement décidera alors du mode de gestion de ce patrimoine qui reste entre les mains de toutes les Françaises et de tous les Français.
La concession, qui peut conduire à confier cette gestion à une personne publique ou à une personne privée, présente donc des avantages.
Si l'on revenait sur chaque étape de la longue histoire des concessions autoroutières depuis 1955, il faut reconnaître – comme certains d'entre vous l'ont fait car c'est une œuvre collective – que nous ne ferions sans doute pas les mêmes choix.
En effet, c'est en 1955 que des contrats d'une durée de soixante-dix ans ont été signés et que cette durée a été fixée, non en 2000, en 2005 ou en 2015. Sans doute négocierions-nous différemment aujourd'hui – aucun d'entre nous n'était aux responsabilités en 1955 – et signerions-nous des contrats d'une durée moins longue.
Vous avez été trop modeste, madame Louwagie, car, en réalité, le processus de privatisation a commencé précisément en 2001. Donc, soyons honnêtes, la responsabilité doit être partagée par différentes majorités et sensibilités politiques.
Certes, mais je n'ai jamais lu, dans le programme de Marine Le Pen, la remise en cause des concessions.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Elle s'est pourtant présentée à plusieurs reprises à l'élection présidentielle.
Nous, on n'était pas au pouvoir, et c'était bien dans notre programme !
Monsieur Tanguy, vous confondez nationalisation et concession ; or, ce n'est pas du tout la même chose. Marine Le Pen, que vous avez dû citer dix-huit fois, sera sans doute très fière de vous, mais vous devriez relire son programme : cette lecture sera certainement meilleure que celle de votre discours.
Ces constats étant faits, nous devons, pour avoir un débat lucide sur l'avenir, éviter de dire des balivernes aux Français. D'abord, il n'existe pas de système dans lequel la construction et l'entretien d'une route ou d'une autoroute seraient gratuits – j'en ai cherché dans de nombreux pays étrangers et je n'en ai pas trouvé. Au bout du compte, c'est soit le contribuable, soit l'usager qui paye.
On peut s'interroger sur le niveau de cette contribution, mais il n'existe aucun système dans lequel la barrière se lève gratuitement, ou alors, monsieur Ruffin, on ne paye plus les patrouilleurs et on n'entretient plus les autoroutes. Ne faites donc pas croire aux Français que celles-ci peuvent être gratuites : c'est un mensonge !
Vous connaissez le mot : « actionnaires » ? Il faut peut-être vous l'épeler : A.C.T.I.O.N.N.A.I.R.E.S !
Mais il n'y a pas que l'actionnaire qui est rémunéré, monsieur Ruffin !
S'il vous plaît, monsieur Ruffin ! On vous a écouté dans le silence, laissez le ministre s'exprimer : lui seul a la parole.
Monsieur Ruffin, tolérez-vous que l'on réponde parfois à vos interpellations ?
Vous n'avez pas à répondre, monsieur Ruffin : il ne s'agit pas d'un dialogue avec le ministre.
Poursuivez, je vous prie, monsieur le ministre.
Le ministre n'arrête pas de couper les interruptions de notre collègue, c'est une honte !
Sourires.
Monsieur Ruffin, je me permets de vous répondre comme j'ai répondu à d'autres députés, qui n'ont pas réagi de la même façon que vous. Encore une fois, il n'existe pas de système entièrement gratuit ; ce n'est pas vrai.
Mais il n'y a pas que les actionnaires qui sont payés grâce au péage : il y a aussi les patrouilleurs, l'entretien des routes…
Quand même, 3 % des bénéfices, cela fait quelques milliards pour les actionnaires !
Vous pouvez le répéter sur tous les tons, mais il n'y a aucun système gratuit. Cela n'existe pas ; sinon, on n'entretiendrait plus nos routes.
Sur le système d'évaluation des profits, soyons précis, là encore. Vous avez abondamment cité – et même brandi, pour certains – un rapport sur le sujet. Il existe deux types de taux de rentabilité, comme Bruno Le Maire et moi l'avons dit devant les commissions qui nous ont auditionnés.
S'agissant, d'abord, du taux de rentabilité intrinsèque au projet, vous pouvez relire l'ensemble des rapports, celui de l'Autorité de régulation des transports comme celui de l'Inspection générale des finances et du CGEDD : aucun n'établit un surprofit ou une sur-rentabilité au regard des estimations qui avaient été faites. En ce qui concerne, ensuite, le taux de rentabilité qui bénéficie aux sociétés privées concessionnaires d'autoroutes et à leurs actionnaires, il y a en effet un sujet.
En Macronie, « il y a un sujet », cela veut dire : « On ne va rien faire » !
Pourquoi ? Parce que les conditions de financement – les taux d'intérêt, pour être très concret – ont été bien meilleures que prévu, si bien que la rentabilité a été très supérieure à celle qui avait été estimée en 2005, comme vous l'avez rappelé, madame Louwagie. Toutefois, la rentabilité d'un projet est évaluée à la fin du contrat, car la concession fonctionne de telle manière que le concessionnaire subit d'abord des pertes avant d'enregistrer des profits.
Or, les profits d'aujourd'hui ne seront peut-être pas les mêmes dans les prochaines années car, du fait de la remontée des taux d'intérêt, les conditions de financement évolueront. Personne ne peut donc dire aujourd'hui quelle sera l'évaluation définitive des profits : peut-être seront-ils très supérieurs à ceux qui ont été prévus, peut-être ne le seront-ils pas.
Puisqu'on peut parler de tout, je veux maintenant évoquer la question de la renationalisation. Autant les conditions dans lesquelles la privatisation est intervenue il y a quelques années – dès 2001 – peuvent être discutées, contestées, autant une renationalisation coûterait, à quelques milliards près – il faut, là aussi, dire la vérité –, de 40 milliards à 60 milliards d'euros.
Vous ne trouverez aucune estimation plus basse, et pour cause : ce serait brader le patrimoine autoroutier, considérer qu'il ne vaut pas un clou, monsieur Dupont-Aignan.
Là encore, fournissez des estimations plus précises : personne n'a proposé d'estimations inférieures à 40 milliards.
Il faut dire la vérité aux Français : la renationalisation, ce sont les contribuables qui la paieraient et ce serait autant d'argent qui ne serait pas investi dans les autres services publics.
Enfin, on peut discuter de tout, mais n'ayons pas le complotisme systématique. Avec M. Ruffin, M. Tanguy, on y est habitué ; pas avec vous, madame Pires Beaune. Les rapports de l'administration – je défends les fonctionnaires de mon ministère et ceux du ministère des finances – sont établis par des services indépendants.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Les rapports d'inspection, et cela n'a pas changé sous ce gouvernement, ne sont pas publics. Mais la liste des rapports annuels peut être fournie à tout parlementaire qui en fait la demande et – vous avez mentionné le travail des journalistes – celui-ci peut, bien entendu, avoir accès à ces rapports.
Je n'étais pas aux responsabilités, mais je l'assume parfaitement : le rapport en question a été commandé par Bruno Le Maire et mon prédécesseur pour élaborer une stratégie contentieuse face aux sociétés concessionnaires d'autoroutes qui contestaient l'augmentation d'impôt que nous leur avions imposée. Vous n'avez pas voté pour cette mesure ; ayez donc un peu d'honnêteté et de décence !
M. David Valence applaudit.
Par ailleurs, l'Autorité de régulation des transports a publié seize rapports – je suppose que vous les avez lus – passionnants, détaillés, que chacun peut se procurer en ligne. Or c'est la loi dite Macron de 2015 qui a étendu le champ de compétences de l'autorité aux autoroutes. Cette loi, qui a été en son temps soutenue par beaucoup sur ces bancs – souvenons-nous-en –, a donc grandement amélioré le contrôle des sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui peuvent désormais être régulièrement contrôlées par l'ART, de même que leurs profits et chacun des avenants.
Qu'avons-nous fait d'ores et déjà pour améliorer le fonctionnement des contrats ?
Tout d'abord, je l'ai dit, le contrôle par l'Autorité de régulation des transports a marqué une transformation très profonde et très importante. Ensuite – vous l'avez rappelé à juste titre, madame Pires Beaune –, selon la tradition, toutes majorités confondues, lorsqu'on avait besoin d'un peu d'investissement, on étendait la durée des concessions d'autoroutes. Or, aucune extension de ce type n'a été accordée depuis 2017, même à titre de contrepartie aux investissements demandés.
Enfin, s'agissant du niveau de rentabilité et de la pression exercée sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes, non seulement – cela a été rappelé notamment par M. Valence, et je l'en remercie – nous demandons à ces sociétés de faire des efforts commerciaux – que vous pouvez juger insuffisants –, mais, dans la loi de finances pour 2020, la majorité a adopté une augmentation de la TAT, augmentation qui a été contestée par les sociétés d'autoroutes.
Si celles-ci étaient nos amies, elles ne nous auraient pas traînés devant les tribunaux pour que cette augmentation ne soit pas appliquée. Du reste, et je m'en félicite, l'État a gagné ce contentieux en première instance – c'était l'objet du rapport qui a été cité.
Il faut cependant, et c'est là le véritable débat, faire mieux, aller plus vite et plus loin. Convenons-en tous, on peut refaire le film depuis 1955, mais cela prendrait un certain temps. Quelles sont donc les pistes qu'il nous faut explorer ?
La taxation, tout d'abord. Elle n'est pas un tabou. La majorité a, je le redis, augmenté la taxe d'aménagement du territoire et le 7 avril dernier, nous avons, avec Bruno Le Maire, saisi le Conseil d'État, comme nous nous y étions engagés devant les commissions compétentes, pour qu'il évalue, au vu de l'évolution fiscale récente et de la situation financière des sociétés concessionnaires d'autoroutes, la possibilité d'augmenter la taxation de ces sociétés. Si cela est juridiquement possible, je souhaite que nous proposions au Parlement une telle augmentation, qui permettrait de financer la transition écologique et l'investissement, notamment dans le report modal et le transport ferroviaire.
La saisine du 7 avril porte également sur la question de savoir dans quelles conditions – car nous sommes dans un État de droit – la durée des concessions pourrait être réduite. Nous vous transmettrons, en toute transparence, l'ensemble des conclusions de ces consultations juridiques.
Nous devons, par ailleurs, renforcer d'ores et déjà la dimension écologique du financement de l'autoroute et de la route en réclamant aux sociétés d'autoroutes le déploiement d'un certain nombre d'infrastructures complémentaires. Je n'en dresserai pas la liste exhaustive, mais tous les avenants récemment signés avec ces sociétés prévoient des engagements écologiques importants. Je pense notamment à des milliers de places de covoiturage et à l'équipement, dès ce trimestre, de l'ensemble des aires d'autoroute en bornes de recharge électrique. Ces mesures sont prises en charge, et c'est bien normal, par les sociétés concessionnaires d'autoroutes, sur injonction de l'État.
J'en viens à la question des péages. Vous avez dit, monsieur Ruffin, que leurs tarifs sont la seule chose, en France, qui est indexée sur l'inflation. Si c'était entièrement le cas, ils n'auraient pas augmenté de 4,75 % le 1er février dernier, mais de plus de 6 % !
Et, en 2022, ils n'auraient pas augmenté de 2 %, mais de 6 % ou de 7 %.
Je ne dis pas que ces augmentations sont négligeables mais, dès lors que nous avons l'inflation la plus basse d'Europe
Murmures
– c'est un fait –, puisqu'elle est comprise entre 6 % et 7 %,…
…il serait difficilement explicable que, dans un contexte de transition écologique, la route soit le seul mode de transport dont les tarifs n'augmentent pas. Nous avons cependant fait en sorte que cette augmentation soit maîtrisée et que, pour les Français qui utilisent leur véhicule plus de dix fois par mois – c'est-à-dire, en gros, pour aller au travail –, elle soit très significativement réduite – moins 40 % pour tous les abonnés –, ce qui représente plusieurs centaines d'euros d'économies sur une année.
Faut-il aller plus loin ?
C'est la question qui se pose pour l'avenir.
Non, monsieur Tanguy. Mais des règles de droit s'appliquent ; il y a un contrat…
Proposez-vous de rayer les contrats d'un trait de plume ? Est-ce là votre vision de l'État de droit ? Cela me paraît un peu étrange.
M. Valence et Mme Pires Beaune l'ont dit, les concessions, qui ont été signées, pour la plupart d'entre elles, sous le général de Gaulle,…
…arrivent à échéance à partir de 2031. J'ai donc proposé – et je maintiens cet engagement, madame Pires Beaune – que nous lancions, cet été, des assises sur l'avenir des concessions d'autoroutes…
…auxquelles participeraient des parlementaires de tous bords, les organisations non gouvernementales et les sociétés concernées.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Pour la première fois dans notre pays, nous pourrons ainsi débattre, pendant plusieurs mois, du modèle que nous voulons pour l'après-2030 – la décision reviendra au Parlement. Ainsi, nous déciderons – vous déciderez – s'il faut ou non maintenir un système de concession et, si tel est le cas, si ces concessions doivent être privées ou publiques, quelle doit être leur durée et comment doivent être financés la route et les autres modes de transport.
En tout cas, je ne laisserai pas dire qu'il existe un modèle dans lequel il n'est pas besoin de les financer, car ce n'est pas vrai : ils le sont forcément, soit par le contribuable, soit par l'usager. Vous pouvez choisir d'éliminer la rémunération des actionnaires – cela s'appelle une concession publique –, mais il y aura tout de même un prix.
Ce débat, je vous le propose pour que nous puissions préparer sereinement, en toute transparence et collectivement l'avenir de la gestion des autoroutes, sans totem ni tabou,…
…mais sans mensonges non plus.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Nous en venons aux questions.
Je vous rappelle que la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes et qu'il n'y a pas de droit de réplique.
La parole est à M. Stéphane Delautrette.
Monsieur le ministre délégué, j'ai bien entendu votre plaidoyer en faveur du modèle concessif, mais il paraît désormais évident que les contrats sur lesquels reposent les concessions ne prévoient pas suffisamment de garanties en faveur du concédant ; ils ne comportent pas non plus de clause de revoyure concernant les taux de rentabilité. Or, en l'absence d'une telle clause, le concédant est privé de tout levier de pression dans sa relation avec le concessionnaire. Il devient ainsi impossible pour l'État de contrôler le versement des dividendes par les sociétés et de maîtriser totalement la trajectoire tarifaire, comme l'ont dit plusieurs de mes collègues.
Face à cette situation, les parlementaires, la Cour des comptes, les experts et les commissions d'enquête s'accordent sur l'existence d'un risque sérieux de sur-rémunération des concessionnaires. Les révélations récentes du Canard enchaîné attestent un taux de rentabilité de près de 12 %, loin des 7,7 % prévus contractuellement.
Fort de ce constat, le groupe Socialistes et apparentés a proposé la taxation de ces superprofits sous la forme, tout d'abord, d'amendements au projet de loi de finances, puis d'un référendum d'initiative partagée, enfin, en inscrivant dans notre niche parlementaire une proposition de loi sur le sujet. Mais vous avez balayé ces propositions d'un revers de main.
Dans une période marquée par une poussée inflationniste d'une rare intensité et au moment même où le Gouvernement impose à nos concitoyens de travailler deux ans de plus, comment envisagez-vous de rétablir un juste partage de la valeur ? C'est une question de justice sociale.
Enfin, vous avez indiqué à Mme Pires Beaune que tout parlementaire peut disposer du rapport dont nous avons parlé à plusieurs reprises. Mais qu'en est-il de tous les documents préparatoires à l'avenant de 2015 ?
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Je commencerai par répondre à votre dernière question, car vous soulevez un point très important, qui ne doit susciter aucun fantasme : la communication des documents administratifs ne dépend ni de moi ni d'aucun ministre. Elle obéit à des règles, et la Commission d'accès aux documents administratifs, la Cada, créée il y a quarante ans, fixe la jurisprudence en la matière. Les documents préparatoires sont qualifiés par cette autorité, et il est vrai que tous les e-mails, toutes les discussions internes à l'administration ne sont pas communiqués au grand jour – je pense que vous le comprendrez aisément.
Là encore, je défends les fonctionnaires, dont je fais d'ailleurs partie, qui méritent de bénéficier, dans leur tâche, d'un peu de sérieux, de confidentialité, de responsabilité, et de considération.
J'ai reçu une demande il y a encore quelques jours sur ce sujet, précisément ; eh bien, j'ai sollicité un avis puis communiqué plusieurs documents préparatoires à la négociation de 2015, dans les règles fixées par la jurisprudence de la Cada. Si vous faites une demande écrite à mon cabinet, tous les documents dont nous disposons, dans le respect de ces règles, vous seront communiqués – d'autant que vous jouissez de prérogatives particulières en tant que parlementaires. N'alimentez donc pas l'idée selon laquelle nous cacherions des documents ou qu'ils n'existeraient pas. Je le répète : tous ceux qui existent sont évidemment communicables.
En ce qui concerne les relations avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes, je ne vais pas répéter ce que je viens de dire à la tribune, mais faut-il procéder à un rééquilibrage en donnant à l'avenir plus de pouvoir à l'autorité publique en matière contractuelle ? Oui, certainement, en intervenant par exemple sur la durée des concessions afin d'accroître la pression et, je l'ai dit, nous avons saisi le Conseil d'État pour savoir si une telle mesure pouvait s'appliquer aux contrats en cours, ce qui ne va pas de soi – tout cela étant déjà très strictement encadré, et c'est bien normal, par le juge administratif.
Peut-on exercer un autre type de pression, en imposant des taxes supplémentaires ? On le peut, et c'est d'ailleurs la présente majorité qui a augmenté la taxe d'aménagement du territoire. Nous avons sollicité le Conseil d'État pour savoir si nous pouvons aller plus loin.
Pouvons-nous demander aux sociétés concessionnaires de réaliser davantage d'investissements afin de financer la transition écologique ?
Oui, nous l'avons fait – j'ai cité plusieurs exemples – et nous continuerons.
Les différents rapports et analyses rendus sur le fonctionnement actuel des concessions autoroutières établissent que leur fonctionnement n'est pas totalement satisfaisant et que les principes d'une relation équilibrée entre l'intérêt public et les intérêts privés peinent parfois à être respectés. Ces rapports font un constat sur des contrats ou des modèles juridiques anciens qui doivent être améliorés et qui surtout ne doivent pas être reproduits.
Sans remettre en cause le modèle concessif qui nous semble adapté à des investissements importants, notamment en lien avec la transition des dispositifs de mobilité donnant lieu à la perception de recettes auprès des usagers, pouvez-vous nous indiquer quels types de clauses vous pourriez envisager d'intégrer aux futurs contrats afin, en particulier, de créer les conditions d'un équilibre régulièrement révisé tout au long de leur durée ? Comment suivre la rentabilité du projet afin qu'elle reste proche des hypothèses retenues lors de la mise en place de la concession ? Comment faire en sorte que le montant des redevances perçues des usagers ne crée pas une éventuelle rente au profit des concessionnaires ? Comment établir le montant des investissements et leur correcte maintenance pour que l'autorité concédante, qui incarne l'intérêt général, soit assurée du respect des obligations initialement souscrites ?
Il serait regrettable que l'efficacité et la pertinence du modèle concessif soient remises en cause du fait d'une absence de volontarisme sur les nécessaires contrôles et clauses de sauvegarde à prévoir.
Plusieurs des outils, des pistes évoqués pour améliorer le suivi des contrats figurent dans la loi – j'ai évoqué la compétence autoroutière de l'Autorité de régulation des transports qui, depuis la loi de 2015, valide chaque avenant à un contrat avec une société concessionnaire d'autoroutes. Les contrats doivent ainsi désormais impérativement contenir des clauses de modération tarifaire applicables en cas de hausse imprévue du chiffre d'affaires.
Pouvons-nous, devons-nous aller plus loin ? Je reviens sur certaines des pistes évoquées : le renforcement des pouvoirs de l'autorité publique concédante concernant la durée des contrats ; le renforcement des moyens de l'Autorité de régulation des transports sur les nouveaux contrats ; l'inclusion – même si, convenons-en, elle n'est pas facile à définir – de clauses de meilleure fortune ou de vérification de l'évolution de la profitabilité ou de la rentabilité au cas où nous maintiendrions le modèle des sociétés concessionnaires – privées, le cas échéant – qui gèrent les autoroutes. Nous examinons certaines de ces pistes dès à présent, comme le niveau de taxation, la durée des concessions ; d'autres concerneront les nouveaux contrats, au moment où les concessions viendront à échéance – travail auquel, bien sûr, le Parlement sera associé dès l'été prochain.
Monsieur le ministre délégué, comme, pour l'instant, on a plutôt l'impression que votre devise, c'est « Veni, Vidi, Vinci »,…
…je vais essayer de vous aider à réactiver votre clignotant gauche, puisque vous vous revendiquez régulièrement de la fameuse et introuvable aile gauche de la majorité-minorité présidentielle.
Vous conviendrez avec nous que ce sont les Françaises et les Français qui, en tant que contribuables – vous opposiez tout à l'heure contribuables et usagers –, ont payé et financé ces autoroutes. Il serait donc juste que les gains, que les superprofits – qu'on est capable, en fin de compte, de définir – soient, d'une certaine manière, rendus aux Françaises et aux Français en leur permettant, exemple mentionné par notre collègue Ruffin, de partir en vacances cet été. Vous connaissez comme nous le nombre de familles françaises qui se privent de départ en vacances ; vous connaissez la réalité de cette grande injustice qui touche en particulier les plus jeunes. Or l'augmentation du taux d'inflation et des tarifs des péages autoroutiers a considérablement aggravé cette inégalité. D'où l'idée d'une taxe sur les superprofits engrangés grâce aux concessions autoroutières.
Vous semblez considérer comme impossible le fait de lever une barrière de péage pour permettre à des familles d'emprunter gratuitement l'autoroute, de bénéficier de congés payés dûment acquis, de voir la mer ou la montagne et d'en profiter. D'ailleurs, puisque vous vous revendiquez souvent de l'histoire de la gauche, que vous avez abandonnée depuis, une telle mesure est consubstantielle aux congés payés : Léon Blum et Léo Lagrange ont fait profiter de billets de train gratuits plus de 500 000 familles en même temps qu'ils instauraient les congés payés. Permettez donc aux Françaises et aux Français de prendre effectivement, dès cet été, des congés payés.
Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo – NUPES et sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
Vous serez déçu, le jour où l'entreprise que vous citez depuis le début de la séance aura changé de nom, car vous ne pourrez plus faire autant de blagues.
Exclamations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Je ne vais pas me lancer dans un débat sur la gauche, car cela nous emmènerait sans doute trop loin.
Je revendique en tout cas pour ma part, et peut-être est-ce ce qui nous différencie, ce qu'a fait Lionel Jospin,…
…y compris sur ces sujets.
Je revendique la loi de 2015 votée par Mme Pires Beaune et par votre groupe à l'époque majoritaire. Je suis désolé que vous reniiez des décisions renforçant la régulation, la justice fiscale,…
…des décisions relevant parfois du pragmatisme. Oui, monsieur Ruffin, le parti socialiste a parfois défendu la justice fiscale dans son histoire, peut-être pas suffisamment à votre goût, mais peu importe.
Par ailleurs y a-t-il peut-être un débat entre vous, entre les écologistes et la France insoumise.
Je n'ai pas compris ce que vous vouliez exactement faire des surprofits.
On peut le rendre, en effet, c'est la formule classique que vous employez à chaque fois. Soit on taxe tout et on en affecte le produit à la transition écologique, soit on supprime les péages, mais alors il n'y aura plus d'argent pour la transition écologique qui finance le train.
Il n'y a pas d'argent magique, je suis désolé. Soit, je le répète, vous taxez et vous en utilisez le produit pour autre chose, et c'est d'ailleurs ce que nous proposons en partie ; soit vous considérez qu'il ne faut plus payer l'autoroute, qu'elle ne coûte rien, et vous ne pourrez pas financer le train et le report modal.
Même quand la concession était publique, il y avait des péages.
Le péage, les formules d'indexation n'ont pas été inventés en 2005.
Que voulez-vous que nous fassions ?
Voulez-vous qu'on n'entretienne plus les autoroutes,…
…qu'on ne finance plus le train ?
M. François Ruffin s'exclame vivement.
Vous êtes libres de voter une taxation sur les profits, comme nous l'avons fait concernant les produits énergétiques, avec la taxe d'aménagement du territoire.
M. François Ruffin continue de s'exclamer.
C'est pourquoi nous avons saisi le Conseil d'État, monsieur Ruffin, parce qu'il y a des règles, un cadre juridique et constitutionnel. Décréter des solutions sans en tenir compte permet de se faire plaisir, mais n'arrangera rien.
Monsieur Ruffin, sincèrement, arrêtez de hurler. Nous vous avons écouté dans le silence comme vous devez le faire pendant les réponses du ministre délégué aux différents intervenants.
La parole est à M. Hubert Wulfranc.
Je n'ai pas grand-chose à ajouter à tout ce débat si ce n'est, monsieur le ministre délégué, que, oui, 31,5 milliards d'euros de surprofits, c'est un chiffre clair et net.
Je tiens, au nom de notre groupe, à vous dire que nous ne partageons pas l'idée, désormais assumée, de la faute originelle – réitérée en 2010, 2015 et 2017. Ce n'est pas la caractéristique des libéraux. De même que les majorités précédentes, vous avez fait un choix politique assumé jusqu'à aujourd'hui. Et ce choix politique, il est celui, ni plus ni moins, de réunir les conditions pour que les sociétés concessionnaires puissent dégager un profit maximum. Or, vous l'admettez désormais, le dépassement du seuil de tolérance est tel que la situation devient impossible à défendre, ce que vous constatez vous-mêmes.
À votre invitation, nous attendons l'avis du Conseil d'État sur des procédures permettant à l'État et aux Français de reprendre leurs droits sur cet argent public. Nous attendons également le lancement des assises que vous nous promettez pour l'été. Reste que pour les députés communistes, de même que lors de la libéralisation du fret, seul un infléchissement de votre ligne politique pourra faire la différence, mais nous n'attendons pas grand-chose en la matière.
Je ne sais pas si l'intervention de M. Wulfranc comportait une invitation à lui répondre, mais je le ferai tout de même. Dans votre esprit, monsieur le député, notre ligne politique consisterait à tout libéraliser. Or, quand on examine les services publics et le taux de prélèvements obligatoires, on voit bien qu'on n'est pas dans un univers d'ultralibéralisme échevelé, soyons au moins d'accord sur ce point.
Et à supposer que ce soit le cas, il serait intéressant de rappeler qui était ministre des transports en 2000 et 2001, quand le processus de privatisation a été lancé…
Ce ministre, que j'ai rencontré récemment et pour lequel vous avez, je crois, le plus grand respect, n'a pas quitté le Gouvernement alors qu'il avait le droit de le faire… En tout cas, vous en conviendrez, il n'a pas été choqué au point de considérer que c'était une remise en cause du modèle social français. Et pour ce qui est du système des concessions en matière autoroutière, il date de 1955. Ne mélangeons donc pas tout. Nous pouvons débattre des profits, de la durée des concessions, de la nécessité ou non de les maintenir, de leur caractère public ou privé ; j'ai eu l'humilité d'admettre que je ne savais pas quelle était la bonne réponse pour l'éternité. On ne peut en tout cas pas avancer, parce que ce ne serait pas vrai, ni pour l'administration ni pour le Parlement ni pour les gouvernements des majorités successives, que nous serions soumis à un système sans contrôles, où les sociétés décideraient ce qu'elles voudraient en matière autoroutière – il n'y aurait alors pas d'investissements et pas de taxations.
On l'entend sur tous les bancs : force est de constater que les concessions d'autoroutes font l'objet de critiques à répétition qui, à ce jour, ne sont pas levées ; rien n'avance et, malgré les rapports parlementaires et ceux de l'IGF, malgré les travaux de l'Autorité de régulation des transports, très peu de recommandations – pour ainsi dire aucune – sont à ce jour mises en œuvre. La situation est telle que vous avez même annoncé la tenue d'assises des autoroutes d'ici à l'été.
Nous sommes ici nombreux à faire les mêmes constats, nos collègues venant de les rappeler avec force arguments : les contrats des concessions ont été mal anticipés, mal préparés, mal ficelés. Les engagements contractuels sont abîmés par une trop grande opacité des concessionnaires. En témoignent la difficulté à déterminer ce qui est financé dans le cadre des plans autoroutiers, les augmentations des tarifs péagers insuffisamment justifiés, la différence entre les investissements et les chiffres d'affaires sur laquelle s'interroge la Cour des comptes elle-même. Enfin, l'État ne semble tout simplement pas capable de se faire respecter.
À l'issue de ce débat lancé par le groupe Socialistes et apparentés, que je salue ,
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC
vous ne devez pas vous contenter une énième fois de vous interroger sur les difficultés à venir, mais apporter une réponse rapide. Monsieur le ministre délégué, le seul outil immédiat pour corriger les déséquilibres entre les concessionnaires, l'État et les usagers, c'est l'outil fiscal, celui dont vous disposez pour récupérer ces superprofits d'une indécence sans nom, excédant les 30 milliards d'euros. Cette possibilité vous avait d'ailleurs été proposée en février dernier par notre collègue Christine Pires Beaune. Dès lors, êtes-vous prêt à réexaminer cette solution avec bienveillance, dans l'attente d'une gestion publique des autoroutes que nous appelons de nos vœux ?
M. Gérard Leseul applaudit.
Je l'ai dit : je n'ai pas de problème avec l'outil fiscal, qui n'est pas un tabou pour moi. Je rappelle que le secteur autoroutier acquitte 5 milliards d'euros de taxes – ce n'est pas rien –, dont le produit est utilisé pour financer le budget de l'État, notamment la politique des transports. On peut estimer qu'il faut aller plus loin, c'est un vrai débat. Je n'en note pas moins, sans fausse pudeur et sans timidité, que c'est la présente majorité qui a précisément, dans la loi de finances pour 2020, augmenté la taxe d'aménagement du territoire pour taxer davantage les sociétés concessionnaires d'autoroutes.
Convenez que cet effort n'est pas si ancien qu'on ne puisse le souligner.
C'est Bruno Le Maire et moi-même qui saisissons le Conseil d'État pour savoir dans quelles conditions on peut prévoir – sans compensation, cela va sans dire – une taxation supplémentaire pour financer la transition écologique. Cet outil est celui du Parlement, et le Gouvernement fera dans les semaines à venir des propositions éclairées par les avis juridiques qu'il a sollicités. Nous devons examiner cette question avec sérénité et transparence.
9,40 euros, voilà le tarif que déboursent actuellement de nombreux Mosellans pour faire un aller-retour entre Metz et Saint-Avold, deux communes distantes de 47 kilomètres – il ne s'agit que d'un exemple parmi tous ceux que chacun de nous ici peut citer.
Après une hausse de 2 % en 2022, la nouvelle progression du prix des péages autoroutiers – 4,75 % en moyenne –, entrée en vigueur au 1er février, soit en pleine période d'inflation, est une augmentation de trop, même si, vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le ministre délégué, c'est à votre initiative qu'elle a été limitée.
Les Français qui nous regardent et que nous rencontrons n'acceptent plus que ces efforts ne pèsent que sur quelques-uns quand d'autres, notamment les quinze sociétés d'autoroutes privées, se partagent 3,3 milliards d'euros de dividendes. Le problème n'est pas qu'une entreprise soit rentable, bien au contraire, ni bien sûr que ces sociétés investissent massivement dans des infrastructures concédées alors que l'État mettrait beaucoup plus de temps à assumer l'ensemble des travaux de modernisation et de sécurisation des axes. Non, le problème est que malgré des bénéfices records, les concessionnaires continuent chaque année d'augmenter les tarifs des péages en expliquant qu'ils n'ont pas le choix pour être en mesure de maintenir leur niveau d'investissement.
Le présent débat ne peut que heurter l'opinion publique et nous conduire à nous réinterroger sur la refonte des contrats de concession. Je salue à cet égard l'initiative que vous avez annoncée tout à l'heure s'agissant de l'organisation d'un grand débat sur cette question. Et vous avez également raison de préciser que rien n'est gratuit.
Nous devons tirer les leçons des privatisations d'autoroutes et rompre avec les prolongations de concessions sans règles de modération des tarifs fixées par l'État et sans participation à la transition écologique. J'espère que ce principe prévaudra à l'avenir, notamment pour ce qui concerne la future autoroute A31 bis dans le nord de la Moselle.
Quelles mesures comptez-vous prendre sur ce dossier et plus généralement s'agissant des nouvelles concessions ?
Je commencerai par la fin de votre question. Vous savez l'importance que j'attache aux infrastructures dans votre département, confronté à des difficultés particulières en matière de transport : les frontaliers notamment ont besoin de nouvelles infrastructures ferroviaires et routières – les deux sont nécessaires. Comme vous le savez, nous avons lancé une concertation et des décisions de tracé de plusieurs sections de l'A31 bis doivent être prises prochainement.
Ce débat a également lieu dans le cadre de la revue que nous faisons des projets autoroutiers, car nous devons avoir un débat complet.
Voulons-nous davantage de routes, et singulièrement plus d'autoroutes, et, si oui, comment les financer ? Vous le savez très bien, car j'en discute avec de nombreux élus, si on ne finance pas les concessions par les péages, on le fait par l'argent des collectivités et de l'État : il n'y a pas non plus de miracle en ce domaine.
Enfin, il y a la question, que vous avez posée à votre tour, des superprofits, des surprofits ou de la rentabilité excessive, suivant l'expression que l'on retient, des concessionnaires. Le problème est simple : qu'en fait-on ?
En premier lieu, il faut évaluer ces profits, ce qui n'est pas si simple. Je ne reviens pas sur ce point : il y a des réalités et des fantasmes. Si nous les taxons, nous affecterons le produit à des politiques publiques, notamment la transition écologique. Cela étant, et vous me pardonnerez de le dire si brutalement, il ne peut y avoir à la fois une taxe et une absence de péages : c'est l'un ou l'autre.
Il faut dire avec honnêteté aux Français que quand ils payent un péage, le montant finance certes un actionnaire, à qui il faut peut-être demander un effort par la taxe ou une baisse de péage – l'un ou l'autre –, mais il finance aussi l'investissement, l'entretien, voire la construction de nouvelles routes que certains, tel que vous venez de le faire au sujet de l'A31 bis, appellent de leurs vœux. Il faut avoir le courage de dire cette vérité. L'argent que l'on paye pour emprunter une autoroute sert en partie à rémunérer une société et en large, voire très large partie, et c'est heureux, à financer l'infrastructure que l'on utilise.
En définitive, si ce n'est pas l'usager qui paye par le péage, ce sera le contribuable.
J'ajoute que le tarif des péages augmente de manière encadrée, que j'ai limité les hausses – je vous remercie de l'avoir souligné – pour les personnes qui utilisent leur voiture au quotidien et qui n'auraient pu les absorber dans leur totalité, et que l'augmentation du prix des péages est moins importante que celle de l'inflation. Je le répète, nous pouvons demander des efforts aux sociétés concessionnaires d'autoroutes pour les années qui viennent, je suis d'accord avec vous sur ce point, mais ne disons pas que nous pouvons faire tout et son contraire.
C'est pour cela qu'il faut rénover les routes au lieu de construire de nouvelles autoroutes !
Vinci et Eiffage, les deux concessionnaires à la tête des deux tiers du réseau autoroutier, enregistrent une rentabilité très supérieure à ce qui était attendu, ce qui va à l'encontre du principe de rémunération raisonnable. Les deux groupes présenteraient en effet une rentabilité proche de 12 %, soit un niveau très supérieur à celui ciblé par l'État lors de la privatisation du réseau en 2006. Ce n'est pas moi qui le dis, mais un rapport dont il a été beaucoup question ce soir – je n'y reviens pas.
De plus, les concessions autoroutières touchent environ 11 milliards d'euros par an en péages et continuent d'en augmenter les tarifs. Au 1er février 2023, le tarif des autoroutes a ainsi une nouvelle fois progressé de 4,75 % en moyenne. Être profitable oui, mais être superprofitable sur le dos des automobilistes et des transporteurs captifs, ce n'est ni normal ni moral. Les auteurs du rapport auquel je fais référence recommandent donc un réalignement de la rentabilité.
Monsieur le ministre délégué, vous avez tracé un chemin pour les futures concessions : très bien ! À court terme, je suggère que ces sociétés s'engagent plus fortement dans la transition écologique.
Dans ma circonscription drômoise qui borde le Rhône, l'autoroute coupe la ville du fleuve. L'Europe du Sud et l'Europe du Nord se croisent sur ce segment, générant des superprofits, mais aussi des supernuisances. La solution, à terme, sera d'enfouir ou de recouvrir cet horrible ruban d'asphalte et de rendre le fleuve accessible aux riverains.
En attendant, le programme d'aménagement de la traversée de l'autoroute A7 à Valence est financé à hauteur de 50 %, pour un coût total de 25 à 30 millions d'euros. Il prévoit l'installation de murs ou d'écrans antibruit et antipollution le long de l'autoroute A7 à Valence et à Bourg-lès-Valence. Sont également prévues l'amélioration des traversées de l'A7 et la sécurisation des modes de transport doux. C'est une très bonne chose, mais il semblerait que le retard pris dans la signature du contrat de plan entre l'État et Vinci retarde les travaux nécessaires.
Quels sont les blocages à lever sur ce dossier, et combien de temps les riverains vont-ils attendre alors que les augmentations de tarifs, elles, n'ont pas attendu ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – Mme Clémence Guetté et M. François Ruffin applaudissent également.
Je suis heureux que M. Ruffin applaudisse la perspective de la signature d'un contrat avec l'entreprise Vinci pour la réalisation de travaux, soit précisément ce que vous venez de demander, madame Clapot, et ce que de nombreux autres élus de la Drôme appellent de leurs vœux.
Mme Clapot veut une taxe sur les superprofits ! C'est ça que j'applaudis !
Il faut être très clair sur ce qui est possible. Une discussion est en cours et il est parfois nécessaire de prévoir des avenants, car c'est par ce biais, et avec exigence, que négocient l'État et mon ministère avec les sociétés concernées – avenants qui, je le répète, font l'objet d'une vérification publique par l'Autorité de régulation des transports. C'est dès à présent, à court terme, et non en 2031 dans le cadre des nouveaux contrats potentiels, que nous pouvons obtenir des investissements dans la transition écologique ou, pour ce qui concerne l'A7 à Valence, dans la réduction des nuisances sonores très importantes ou des traversées urbaines, qui ne sont plus tolérées.
À cet égard, je serai très clair au sujet du projet que vous évoquez : je ne crois pas beaucoup à l'option de l'enfouissement, car cela représenterait des centaines de millions d'euros et aurait un coût écologique très élevé. En revanche, certains travaux pourront figurer dans le potentiel avenant en cours de discussion, et nous serons exigeants en la matière, en lien avec vous.
Il faut évidemment que les choses soient équilibrées. Je le redis, par souci de cohérence, nous ne souhaitons pas que les engagements des sociétés concessionnaires d'autoroutes soient un leurre et soient en quelque sorte payés ou compensés, comme nous l'avons trop souvent fait par le passé, par des extensions de contrat. Nous défendons cette exigence dans la négociation, raison pour laquelle elles demandent un peu de temps. Je n'oublie pas les préoccupations drômoises que vous me rappelez à juste titre régulièrement : je pourrais en témoigner auprès de vos administrés.
La problématique que le débat de ce soir me permet de soulever, ce qui a déjà été fait de nombreuses fois par le passé, dans cette assemblée comme au Sénat, sous cette législature comme sous les précédentes, concerne un enjeu considérable pour le pouvoir d'achat de nombreux Franciliens : je parle du coût que représente la circulation sur l'autoroute A10 au quotidien pour les Français qui travaillent. Très concrètement, le péage de Dourdan, dans ma circonscription, coûte 1,70 euro par passage, soit 3,40 euros pour un aller-retour. Je vous épargne le calcul sur une année : ce sont plusieurs centaines d'euros qui sont dépensés par certains Franciliens, en plus du prix du carburant, uniquement pour se rendre sur leur lieu de travail.
Ainsi, certainement comme de nombreux collègues élus locaux et nationaux avant moi, je me demande si le présent débat ne serait pas le bon moment pour réfléchir à des solutions intelligentes pour le pouvoir d'achat des usagers, mais aussi pour l'emploi.
Enfin, je profite des quelques secondes qu'il me reste pour vous interroger également sur le statut des patrouilleurs d'autoroutes. Ces agents surveillent, entretiennent et sécurisent les tronçons d'autoroute, avec des missions pouvant présenter des risques importants, même lorsque les règles de sécurité sont strictement respectées. Pourtant, cette profession n'est pas considérée à risque et certains agents s'interrogent à l'approche des négociations à venir relatives à la pénibilité.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE.
Pour bien connaître votre département, où je vous ai rendu visite à plusieurs reprises, je sais l'impatience qu'il peut y avoir lorsqu'à des péages jugés élevés s'ajoute une ligne ferroviaire défaillante. À cet égard, disons-le clairement, je préfère que nous investissions en priorité sur ce dernier élément.
J'ai demandé et obtenu des sociétés concessionnaires d'autoroutes, y compris pour ce qui concerne la section que vous avez évoquée autour de Dourdan, que les abonnés, c'est-à-dire les personnes contraintes d'emprunter une section autoroutière pour aller travailler et qui font plus de dix allers-retours par mois, bénéficient d'une réduction de 40 %, ramenant le prix du passage à 1 euro. J'ai conscience que ce n'est pas rien, mais cette réduction permet néanmoins de diviser le coût du péage presque par deux. J'ajoute qu'avec votre concours, nous continuerons, comme je m'y suis engagé en venant à Saint-Chéron, à travailler à l'amélioration de la desserte ferroviaire.
Par ailleurs, la question des patrouilleurs me tient beaucoup à cœur, car il s'agit d'un métier négligé.
Il est exercé par des agents des routes de mon ministère, c'est-à-dire par des agents publics, mais aussi par des employés d'entreprises privées. J'étais avec eux il y a encore quelques jours, et je vous conseille d'également aller à leur rencontre. C'est un métier qui, indépendamment des considérations d'âge, est pénible et à risque.
Plusieurs décès ont été à déplorer au sein de cette profession au cours des derniers mois en raison des nombreuses incivilités, de l'insécurité et du manque de respect sur les routes.
Ces personnes nous protègent et, pour qu'elles soient elles aussi protégées, nous mènerons des campagnes d'information et de sensibilisation – c'est important –, mais aussi de sanctions. Ceux qui ne respectent pas ce qu'on appelle le corridor de sécurité alors qu'un patrouilleur est en mission sur la route pour dégager un animal, pour répondre à un accident, voire pour sauver quelqu'un, sont désormais sanctionnés – depuis cinq ans – d'une très forte amende. Cette sanction est trop peu connue et, en collaboration avec le ministère de l'intérieur, nous renforcerons les contrôles.
Nous demanderons également que dans le cadre des négociations de branche – car, comme je l'ai dit, une partie des patrouilleurs sont des agents privés –, soient discutées la possibilité d'offrir une meilleure protection à ces salariés, ainsi que la reconnaissance des difficultés et des risques inhérents à ce métier. J'ai moi-même engagé ce travail avec les organisations syndicales au sein de mon ministère s'agissant des agents des directions des routes.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
110 kilomètres à l'heure sur les autoroutes ! Il suffit de voter l'amendement !
En préambule, je tiens à revenir sur ce que vous avez dit dans votre propos liminaire, monsieur le ministre délégué. Réagissant au discours de mon collègue Tanguy, vous avez affirmé que Marine Le Pen ne souhaitait pas revenir sur les concessions, qu'elle ne l'avait écrit nulle part. Or ce n'est pas parce qu'on ne mentionne pas le mot « concessions » que la nationalisation que nous souhaitons ne le prévoit pas et que l'État ne récupérerait pas à sa main la gestion des autoroutes si elle était menée à bien. Cet élément, vous le retrouverez dans nos programmes de 2012, 2017 et 2022.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Quand ce n'est pas écrit, c'est sûr que c'est plus difficile !
Pour revenir sur l'historique, en 2015, c'est bien le gouvernement socialiste, donc par extension et actualisation la NUPES, avec M. Macron, Mme Borne, M. Kohler et Mme Royal en dignes et honnêtes dirigeants français,…
…qui a signé l'accord autoroutier visant à l'origine à relancer le BTP – bâtiment et travaux publics –, pour un montant de 3,2 milliards d'euros. Ce plan a prolongé les concessions autoroutières en échange de dépenses de la part des sociétés concessionnaires.
Selon un rapport de la Cour des comptes, cette prolongation aurait surtout permis aux actionnaires d'obtenir 15 milliards d'euros de dividendes supplémentaires. Quelle ironie de constater que ce sont les prétendus défenseurs du peuple, la NUPES et la Macronie – Macronie qui, j'insiste, est en quelque sorte issue de la NUPES –,…
…qui ont fait en sorte que le peuple soit racketté en 2015.
Plusieurs mesures sont proposées par ce rapport de la Cour des comptes : raccourcir la durée des concessions, alors que Marine Le Pen et le RN, je l'ai dit en introduction, souhaitent la nationalisation des autoroutes depuis bien longtemps ; diminuer les tarifs des péages, ce qui, dans un contexte de superinflation et de diminution du pouvoir d'achat, tomberait sous le sens ; ou encore prélever l'excédent brut d'exploitation des sociétés concernées, c'est-à-dire taxer leurs superprofits, comme cela a été maintes fois proposé, notamment par le Rassemblement national. Le parti socialiste a retiré de sa dernière niche parlementaire un texte qui le proposait : pour ce qui nous concerne, nous sommes cohérents et continuons de vouloir taxer les superprofits.
Ma question sera donc simple : quelles mesures concrètes envisagez-vous pour mettre un terme au gavage excessif des actionnaires sur le dos des Français et pour assurer une gestion plus équitable et transparente des concessions d'autoroutes à l'avenir ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
C'est un raisonnement intéressant de considérer que ce qui n'est pas écrit est tout de même proposé par Marine Le Pen : cela pourrait nous mener assez loin.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.
Vous avez cité le rapport de la Cour des comptes, mais en occultant une partie des exigences…
Il est écrit « nationalisation », mais la suppression des concessions, ce n'est pas la même chose. Nous pourrions avoir un long débat sur ce sujet : vous conviendrez que ce n'est pas la même chose.
Le rapport mentionne le raccourcissement de la durée des concessions. Vous pouvez vérifier page après page : il s'agit bien d'une option, pouvant être considérée pour les contrats en cours ou à venir, et non d'une préconisation. L'Autorité de régulation des transports l'a proposé et nous avons saisi, avec Bruno Le Maire, le Conseil d'État pour avis. Vous m'avez interrogé sur les pistes, en voilà une que nous examinons. Dans notre pays, nous signons des contrats tous les jours – vous avez d'ailleurs vous-même peut-être signé un contrat immobilier ou un contrat de crédit – et nous avons besoin de la certitude que les contrats seront respectés. Nous vous communiquerons, en toute transparence, la teneur de l'avis du Conseil d'État.
Le rapport ne mentionne pas la baisse du prix des péages : il souligne simplement que, si les conditions actuelles de financement des sociétés concessionnaires d'autoroutes avaient été retenues, ce prix pourrait être aujourd'hui moins élevé. Il ne préconise pas la baisse du prix des péages dans le cadre des contrats actuels, mais je m'emploie à la favoriser. J'ai ainsi mentionné dans ma réponse au député Izard une réduction de 40 % du prix du péage pour ses abonnés, ce qui représente une économie de plusieurs centaines d'euros par an. Ce n'est pas rien !
J'essaye de trouver des solutions pragmatiques. Vous pouvez toujours dire aux gens que tout sera gratuit et que, bientôt, ils ne paieront plus d'impôt, mais ce n'est pas la vérité.
Il faut savoir comment les propositions sont financées.
Vous avez parlé d'un prélèvement sur l'excédent brut d'exploitation en le qualifiant de taxation. Nous l'avons déjà fait et nous sommes prêts à le refaire, face à des situations favorisant des profits paraissant excessifs. C'est la prérogative du Parlement et le projet de loi de finances pour 2023 le prévoyait d'ailleurs dans certains cas, mais vous ne l'avez pas voté.
Attendons donc l'avis du Conseil d'État qui devrait être rendu dans les prochaines semaines. Nous vous en communiquerons la teneur.
Les concessionnaires d'autoroutes réalisent des superprofits insupportables sur le dos des Français et plus particulièrement sur ceux qui doivent s'acquitter chaque jour d'une véritable dîme pour utiliser des infrastructures qu'ils avaient déjà payées par leurs impôts.
En Moselle, qui est décidément à l'honneur ce soir, les habitants de l'est du département, que je représente ici – des ouvriers, des employés, des étudiants ou des personnes souhaitant faire une démarche administrative – subissent, parfois quotidiennement, les 9,40 euros du trajet aller-retour du péage de Saint-Avold pour se rendre à Metz, préfecture de leur département. Cette somme peut représenter jusqu'à 200 euros par mois, soit l'équivalent de 15 % du Smic ! Une telle situation se répète dans des dizaines de départements métropolitains.
Comment pouvez-vous continuer à cautionner ce racket, alors que les sociétés d'un secteur où règnent Vinci, Eiffage et Sanef, filiale du groupe Abertis, ont réalisé plus de 3,9 milliards de bénéfice en 2021 – soit, en moyenne, 430 000 euros par kilomètre exploité – et qu'elles ont, cette même année, versé 3,3 milliards à leurs actionnaires.
En plus de ces mégaprofits, les usagers se voient imposer des hausses de prix chaque année au 1er février, avec votre bénédiction. Certains péages, comme ceux de Saint-Avold ou de Farébersviller dans mon département, ainsi que des dizaines d'autres en France, sont injustes : ils enclavent certaines parties de notre territoire, dissuadent des investisseurs, ralentissent le développement économique et pénalisent les travailleurs. Ils participent à ce racket que les Français ne supportent plus.
Vivement la fin de ces concessions, vivement l'arrivée de Marine Le Pen à la présidence de la République…
…pour renationaliser ces biens volés aux Français.
Dans cette attente, le Gouvernement pourrait-il enfin étudier la cartographie des péages sur nos autoroutes et analyser les prix au kilomètre parfois abusifs de certains tronçons afin d'imposer l'abandon de ces péages injustes qui pénalisent quotidiennement et fortement nos territoires, dont ma circonscription de Moselle fait partie ?
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Vous évoquez le niveau des péages sur certains axes en Moselle, que je connais bien. Soyons cohérents. J'ai consulté de nombreux élus de la Moselle et du Grand Est – notamment à propos de l'A31 bis que nous venons d'évoquer – sur le financement de nouvelles infrastructures. Je leur ai alors demandé s'ils préféraient faire contribuer l'État et les collectivités locales ou passer par une concession, avec péage. Leur réponse a été unanime en faveur de la concession et du péage.
Nous pouvons discuter du niveau des péages. Je viens de parler de certaines solutions telles que la taxation ou la réduction pour les abonnés. Nous devons la vérité aux Français. Dans le monde de Marine Le Pen, les choses paraissent plus faciles, mais je ne sais pas comment financer une infrastructure sans aucun financement, ni par l'impôt ni par le péage.
Depuis le début de ce débat, vous parlez d'oligarchie et de rente – il est vrai que vous vous y connaissez –, mais il faut dire la vérité aux gens, et la vérité est qu'il n'existe pas de recette miracle.
Je rappelle que les élus du Rassemblement national ont défendu l'idée du péage pour financer l'A31 bis .
Vous m'interrogez sur la cartographie. Je suis prêt à l'étudier, segment par segment et secteur par secteur, avec chaque élu qui me le demande, pour voir si certains péages au kilomètre seraient particulièrement élevés. Au-delà de la question générale, dont nous avons déjà abondamment débattu, je me tiens à votre disposition pour cet examen particulier.
La privatisation des autoroutes est une gabegie financière. Mes collègues l'ont démontré tout au long de la soirée. Les concessionnaires ont réalisé 3,9 milliards de profits en 2021, dont 85 % ont été versés directement dans les poches des actionnaires. Le montage financier des concessions est aberrant : vous taxez les sociétés d'une main pour leur rendre l'argent de l'autre.
Pire que la gabegie financière est la catastrophe écologique que ce modèle entretient. Alors qu'en Allemagne, tout le monde peut désormais utiliser les transports en commun pour 49 euros par mois, vous avez, depuis 2017, fermé plus de 100 gares, vous avez permis l'augmentation de 5 % du prix des péages – de quoi ruiner des automobilistes déjà étranglés par le prix de l'essence à 2 euros le litre – et vous mettez en place les fameuses ZFE, zones à faibles émissions, sans donner aux automobilistes la moindre solution alternative.
Notre assemblée avait pourtant voté, dans le cadre du dernier projet de loi de finances, des crédits pour le ferroviaire à hauteur de 3 milliards, mais vous les avez annulés par le 49.3.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – Mme Christine Pires Beaune applaudit également.
Vous aviez alors dénoncé ce vote en disant que les milliards volaient en escadrille. Aujourd'hui, pour les autoroutes, cela ne semble plus vous déranger.
Les péages représentent 11 milliards par an. Avec une telle somme, on pourrait faire beaucoup. Je vous suggère quelques exemples : 5 milliards par an pour moderniser l'ensemble du réseau ferré à la hauteur des besoins ; 1 milliard par an pour augmenter le nombre de trains afin de rendre ce mode de transport vraiment attractif pour les gens ; 250 millions par an pour garantir la gratuité du TER (transport express régional) pour les plus jeunes.
Entendez les alertes et prenez en compte les mobilisations, comme celle qui a eu lieu il y a deux semaines contre l'autoroute inutile entre Castres et Toulouse. Ce week-end, nous serons à nouveau des milliers pour dire non au faussement nommé contournement est de Rouen et nous opposer au sacrifice de 516 hectares de forêts, d'espaces naturels et de terres agricoles.
Malgré tous vos efforts, le vieux monde et son modèle se meurent. Vous nous avez parlé ce soir d'une taxe sur les superprofits que vous semblez découvrir. Donnez-nous donc des chiffres : quel sera le montant de cette taxe qui nous sera proposée à l'automne prochain ? Combien consacrerez-vous au ferroviaire et à la transition écologique ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – Mme Christine Pires Beaune applaudit également.
Je ne vous poserai pas de question, car ce n'est pas mon rôle, mais je souhaite souligner les incohérences entre vos différents groupes.
Vous avez critiqué les zones à faibles émissions alors qu'elles sont une revendication des écologistes, y compris de maires de métropole. Ces revendications me semblent justes, et je défends moi-même ce dispositif. Votre collègue Alma Dufour a protesté contre la ZFE de Rouen, qui est pourtant défendue par vos collègues socialistes et écologistes.
Vous préconisez la sortie du tout-voiture pour passer au ferroviaire et vous dénoncez le prix insupportable du carburant. Si les énergies fossiles et les carburants ne sont pas taxés, je ne vois pas comment réaliser la transition écologique.
C'est une écologie populaire, qui ne frappe pas toujours les mêmes, qu'il faut mettre en œuvre !
L'écologie populaire, ce n'est pas de la magie. Il faut la financer !
Examinons l'hypothèse où la taxation des profits des concessionnaires d'autoroutes serait intégrale. Il faut choisir : vous ne pouvez pas à la fois assurer la gratuité des autoroutes et financer la transition écologique. On ne peut pas dépenser le même euro deux fois ! Ce ne sont pas des choix politiques, c'est de l'arithmétique.
Vous, vous allez prendre combien ? Vous ne répondez pas à ma question !
Je constate que l'honnêteté intellectuelle fait défaut à votre expression politique. Il n'est pas possible d'assurer la gratuité des autoroutes tout en finançant la transition écologique et le report modal. Expliquez-moi comment cela peut marcher, car je n'ai pas trouvé de modèle où on peut tout faire à la fois.
Soit vous défendez les ZFE ou les concessions d'autoroute, soit vous vous y opposez, mais vous ne pouvez pas faire les deux à la fois.
Les chiffres sont très précis, mais vous ne les avez peut-être pas entendus lorsque Mme la Première ministre les a présentés dans l'hémicycle, car M. Ruffin crie parfois un peu fort. Je les rappelle donc : 100 milliards d'investissement dans le ferroviaire sur les quinze prochaines années.
Je réponds à chacune de vos questions : les crédits affectés au réseau ferroviaire chaque année augmenteront de 50 % à partir de 2027. Cet investissement est très important et nous en avons d'ailleurs débattu avec Mme Christine Arrighi. C'est l'une de vos revendications.
Vous aurez l'occasion de voter une taxe après que le Conseil d'État ait rendu son avis sur ce qui peut être considéré comme une rentabilité excessive dans les contrats actuels de concession. Sans cette évaluation, je ne peux vous communiquer de montant, mais il pourra être très important. Je rappelle que le montant versé au titre de la TAT approchait le milliard d'euros. Nous parlons donc de plusieurs centaines de millions, voire des milliards, pour l'année qui vient.
Alors que les sociétés concessionnaires d'autoroutes font des superprofits sur le dos des citoyens et des citoyennes avec l'argent public, nous vous demandons d'être transparent et honnête sur les conditions des nouveaux contrats passés entre l'État et ces sociétés privées.
Mes demandes, formulées par courrier et lors d'une séance de questions orales sans débat, pour obtenir la communication de l'intégralité du contrat passé avec le concessionnaire Atosca, filiale du groupe NGE, étant restées sans réponse, je me permets de la réitérer. Ce contrat, concernant l'autoroute A69 reliant Toulouse et Castres, a été signé pour une durée de cinquante ans, soit un demi-siècle ! Ce concessionnaire est déjà le grand gagnant de l'affaire, car l'État lui cède des équipements publics évalués à 75 millions et déjà payés par les Français.
Au vu du faible trafic de cet axe, cette autoroute sera déficitaire. Qui comblera le déficit ? Vous devez à la représentation nationale de lever l'opacité qui entoure ce dossier.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – Mme Christine Arrighi applaudit également.
Nous devrions pouvoir débattre sereinement, sans que vous vous sentiez obligés de crier au complotisme et à l'opacité. On peut être pour ou contre un projet d'autoroute, qu'il s'agisse de l'A69 ou d'un autre projet…
En sous-entendant que le contrat était caché, vous avez dit quelque chose de grave. En tant que parlementaire, vous savez bien que tous les contrats de concession sont publics : ils sont publiés au Journal officiel de la République française après un décret en Conseil d'État. Vous pouvez donc y consulter le contrat passé avec Atosca, comme ceux passés avec d'autres concessionnaires.
Pour des raisons de volumétrie, les annexes peuvent ne pas être toutes publiées au Journal officiel…
…mais elles sont consultables dans leur intégralité sur demande adressée au ministère des transports, a fortiori si celle-ci émane d'un parlementaire. Je vous y invite, mais vous pouvez d'ores et déjà commencer la lecture du contrat lui-même, qui se trouve en ligne sur le site du Journal officiel de la République française.
Je tiens à remercier les députés socialistes d'avoir inscrit à l'ordre du jour ce débat sur les superprofits réalisés par les concessionnaires d'autoroutes.
Il me permet d'aborder le sujet du bien vivre à la campagne, où la voiture reste souvent l'unique moyen de transport quotidien des habitants. Je suis intervenue sur ce sujet il y a deux mois, à l'occasion d'une question au Gouvernement.
Le Canard enchaîné a révélé le montant des immenses profits des concessionnaires. Certains se sont employés à jouer sur les mots, mais ce qui est sûr, c'est que des fonds bien plus importants que prévu ont été perçus grâce aux tarifs autoroutiers. Un concessionnaire assume d'ailleurs la suite : l'augmentation se poursuivra.
Or la revalorisation annuelle des tarifs se fait au détriment de zones déjà défavorisées par l'éloignement et par une moindre densité des réseaux de transport. C'est le cas en Sud Gironde, dont je vous ai déjà parlé : Langon est la seule sous-préfecture de Gironde à partir de laquelle il faut payer pour rejoindre Bordeaux et sa métropole par autoroute. Il faut activer le levier de la taxation des superprofits si cela permet de remédier à cette situation.
Les députés du groupe Démocrate sont très à l'aise avec l'idée d'une participation accrue à l'intérêt collectif de la part de ceux qui ont réalisé des profits très élevés du fait de la pandémie ou de la guerre en Ukraine.
Lors de la préparation des futurs contrats avec les concessionnaires d'autoroute, l'État devra tirer les leçons de cette situation si déséquilibrée. N'est-il pas raisonnable de penser que la hausse des superprofits des concessionnaires est incompatible avec le prix que payent les Français pour circuler en vertu d'un droit inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? Le Gouvernement a déjà négocié longuement avec les sociétés d'autoroutes des gestes à l'égard des abonnés et il faut vous en rendre grâce. La communication des entreprises concernant ces coups de pouce reste en revanche très timide. Pourquoi ne pas les inciter à plus de visibilité ?
Je suivrai avec vous la question de Langon.
Nous avons effectivement négocié et obtenu des remises importantes, notamment pour les véhicules électriques, dont le tarif n'augmentera pas cette année, c'est important pour la transition écologique, ainsi que pour les abonnés utilisant la voiture quotidiennement, qui bénéficieront d'une remise de 40 %. Je profite de l'occasion qui m'est donnée ce soir pour assurer la publicité de ces mesures. Nous demanderons également aux sociétés concessionnaires de mieux les faire connaître, même si celles concernant les abonnés s'appliquent automatiquement.
Enfin, vous avez évoqué à juste titre des pistes, face au constat, partagé, des importants profits des sociétés d'autoroutes et de leur bonne situation financière.
Une telle situation, qui n'était pas prévue au début des années 2000, ne s'explique pas par l'évolution des tarifs qui, eux, ont été fixés par contrat. D'ailleurs, la formule est restée la même, que la gestion soit publique ou privée : il y a toujours eu des droits de péage, dont le montant a évolué avec l'inflation – moins rapidement qu'elle, d'ailleurs.
En réalité, le débat récent sur le taux de rentabilité des sociétés privées concessionnaires d'autoroute et son évaluation s'explique par les conditions financières dans lesquelles ces sociétés ont pu financer leurs investissements par la dette au cours des quinze à vingt dernières années : celles-ci sont incontestablement meilleures que celles envisagées en 2005 – Bruno Le Maire l'a également reconnu lors de l'audition à laquelle nous avons participé conjointement.
Là est l'origine du présent débat sur la fiscalité, le niveau des péages et la contribution des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Je ne vous infligerai pas la redite de toutes les pistes que j'ai évoquées précédemment.
Monsieur le ministre délégué, reconnaissez que depuis 2006 au moins, je me bats contre cette escroquerie d'État qui ne peut pas être simplement liée à l'incompétence. Tous les rapports – ceux de la Cour des comptes, de l'Autorité de la concurrence, du Sénat et maintenant celui de l'IGF et du CGEDD – dénoncent un cadeau hallucinant à des sociétés privées qui rackettent les Français sur la voie publique qu'ils ont financée, sur des tronçons d'autoroute amortis depuis longtemps.
Vous avez caché ce rapport pendant deux ans, mais n'avez pu le faire plus longtemps. De fait, il montre qu'avec 3,2 milliards d'investissements et 15 milliards de dividendes, les sociétés concernées ont dégagé une sacrée marge. Qui était à la manœuvre ? Comme par hasard, c'étaient MM. Macron et Kohler – ce dernier a été mis en examen –, ainsi que Mme Borne, qui avait pantouflé chez Eiffage ! Bravo ! Voilà la république exemplaire de la Macronie. Ces pratiques semblent relever davantage de la Haute Cour de justice que de l'incompétence – il faudra un jour en tirer les conséquences.
Ce soir, nous avons tous compris que vous ne voulez rien changer. Vous trouvez toujours des excuses et restez absolument insensible aux difficultés rencontrées par les Français qui versent 10 ou 20 % du Smic pour aller travailler. Les actionnaires ont empoché 4 milliards d'euros de profit alors que nos concitoyens souffrent, mais vous n'en avez rien à faire.
En vérité, vous éludez le débat. Vous savez très bien que l'IGF a recommandé de mettre fin à ces concessions en vertu de la jurisprudence « commune d'Olivet » du Conseil d'État, au nom de l'intérêt général et en raison du surprofit dégagé par ces sociétés. Vous pourrez le faire en 2026 et le prévoir dès maintenant.
Il vous serait également possible de vous inspirer de ma proposition de loi visant à la réappropriation des sociétés concessionnaires d'autoroutes, déposée le 3 novembre 2021. Je vous la transmets, afin que les Français se réapproprient un bien qui leur a été volé, à cause des instrumentalisations, des manipulations d'une oligarchie qui se protège et que vous protégez.
Voilà le fond du problème, qui est extrêmement grave : vous nous baladez depuis tout à l'heure.
En réalité, il serait tout à fait possible de mettre fin aux concessions et de rendre les autoroutes publiques. Il reviendrait ensuite à la représentation nationale de décider de l'allocation des produits du péage. Le Parlement pourrait également choisir d'abaisser ou de supprimer ces droits sur les seuls tronçons déjà amortis, en finançant les nouvelles autoroutes par de nouveaux péages. Il pourrait enfin les supprimer intégralement, comme c'est le cas, je le rappelle, en Allemagne, en Bretagne ou en Île-de-France,…
…et taxer les camions, notamment étrangers, qui traversent la France, pour financer l'entretien des autoroutes – celui-ci ne coûtant que 1 milliard par an, alors que nous en payons 11.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Même à cette heure tardive, si l'expression de désaccords est légitime, je n'accepte pas les insinuations.
Monsieur Ruffin, nous avons bien compris que vos positions étaient désormais plus proches de celles de M. Dupont-Aignan que de celles de n'importe qui d'autre dans cet hémicycle, par une étrange bascule de l'histoire.
Je suis d'accord avec lui pour pointer la protection que vous apportez aux puissances financières de ce pays !
Chers collègues, terminons ce débat dans le calme. Seul M. le ministre délégué a la parole.
Il serait précieux, à cette heure, que M. Ruffin nous permette de nous exprimer de temps en temps.
Monsieur Dupont-Aignan, vous mentionnez la Haute Cour de justice et vous nous accusez de copinage avec l'oligarchie – renseignez-vous auprès de vos amis du Rassemblement national sur ce type de pratiques, qu'ils connaissent bien. Mais si vous disposez d'informations judiciaires, saisissez donc la justice !
Très bien, allez-y, monsieur Tanguy. Pour ma part, je ne plaisante pas avec ces choses-là.
Il est très grave d'insinuer, comme vous le faites depuis le début de la soirée.
Si vous souhaitez exprimer des désaccords, débattons calmement – sachant que ce ne sera pas moi, mais vous, parlementaires, qui déciderez à la fin de la taxation des sociétés d'autoroutes.
Monsieur Dupont-Aignan, qui m'accusez-vous de protéger, en réalité ? Depuis deux heures, je vous réponds, question après question, calmement, avec précision – reconnaissez-le. De même, M. Le Maire et moi-même avons répondu avec précision aux questions des commissaires aux finances et à celles des commissaires au développement durable et à l'aménagement du territoire. Si vous souhaitez un entretien de deux heures et demie sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes, je suis prêt à un tel échange,…
…mais n'insinuez pas, ne mentez pas. Ne prétendez pas au monopole du cœur,…
…comme si vous seul protégiez le pouvoir d'achat des Français et comme si nous-mêmes n'en avions rien à faire. C'est insupportable et ce n'est pas vrai.
Restons calmes, précis et respectueux. N'opposez pas ici défenseurs du peuple et protecteurs de l'oligarchie ; ce n'est pas la réalité.
J'ai été élu comme vous député de la République et siégerai peut-être ici demain, comme vous. Monsieur Tanguy, aucun électeur français ne vaut moins qu'un autre, vous me l'accorderez, de même qu'aucune opinion politique ne vaut moins qu'une autre.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.
Pour ma part, je réponds précisément, sans invoquer la Haute Cour de justice ni vous accuser de défendre l'oligarchie.
Ces thèmes n'ont pas leur place dans un débat parlementaire serein.
Si, cela s'appelle la lutte des classes et ces discours ont leur place dans l'hémicycle !
Prochaine séance, demain, à neuf heures :
Discussion de la proposition de résolution réaffirmant la nécessité d'une solution à deux États et condamnant l'institutionnalisation par l'État d'Israël d'un régime d'apartheid consécutif à sa politique coloniale ;
Discussion de la proposition de loi portant abrogation de l'obligation vaccinale contre la covid-19 dans les secteurs médicaux, paramédicaux et d'aide à la personne et visant à la réintégration des professionnels et étudiants suspendus ;
Discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement ;
Discussion de la proposition de loi visant à promouvoir l'emploi et le retour des fonctionnaires d'État ultramarins dans les territoires d'outre-mer ;
Discussion de la proposition de loi organique visant à indexer la dotation globale de fonctionnement sur l'inflation.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures trente-cinq.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra