Je ne reviendrai pas sur les responsabilités et les causes qui ont mené à une telle situation. La commission d'enquête sénatoriale de septembre 2020 ainsi que le rapport de l'Inspection générale des finances remis au ministère de l'économie en 2021 sont limpides à cet égard.
Les contrats de concession signés en 2006 sont le fruit de négociations expédiées, réalisées dans des conditions qui ont largement désavantagé la puissance publique. Ils sont profondément déséquilibrés, en faveur des sociétés concessionnaires. La durée inhabituellement longue des concessions, la fixation de tarifs de péage mal adaptés, l'absence de dispositions rétributives en cas de surprofit ont fait de l'État le perdant de ces négociations. La situation ne serait pas aussi regrettable si la victime n'en était pas, une fois encore, l'usager, c'est-à-dire l'ensemble de nos concitoyens déjà durement frappés par l'augmentation du coût de la vie.
Si la qualité du réseau autoroutier français n'est pas en cause, on peut s'interroger sur la pertinence de confier à des sociétés privées l'exploitation de quelque 9 000 kilomètres d'autoroutes, dont la construction a été largement financée par la puissance publique, donc par les Français. Rappelons que la France est le pays dont les tarifs autoroutiers sont les plus élevés d'Europe, tarifs qui n'ont cessé de croître ces dix dernières années tandis que la marge bénéficiaire des SCA explosait.
Au-delà de la pertinence de ces concessions qui bradent les intérêts des Français au profit de quelques grandes entreprises, la gestion de ce dossier illustre plus globalement l'échec de la doctrine libérale, dont le Gouvernement est le dépositaire. Je réfute l'idée encore récemment proférée en commission du développement durable et de l'aménagement du territoire par Bruno Le Maire selon laquelle l'État est, par essence, mauvais gestionnaire. De la même manière, je récuse le principe selon lequel il reviendrait à l'État de financer à grands frais la construction d'infrastructures coûteuses structurellement déficitaires et d'en confier la gestion au privé dès lors que des profits commencent à être générés. À cet égard, le projet du Gouvernement de privatiser le groupe ADP – Aéroports de Paris – se situe dans la parfaite continuité de cette politique libérale qui organise de manière méthodique l'appauvrissement de l'État.
Pour les membres du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, il est évident que la renationalisation, à l'approche de l'échéance des contrats, serait une solution bien trop coûteuse et inopérante. L'argent qui y serait consacré serait en effet bien plus intelligemment dépensé s'il était investi dans la décarbonation des modes de transport ou s'il permettait de financer notamment un programme ambitieux de primes à la conversion des véhicules polluants ou la rénovation du réseau de routes secondaires.
Le constat est donc sans appel : les Français ont été les grands perdants d'une politique libérale délétère. Il est désormais temps de prendre acte de ces erreurs et de définir collectivement la suite à donner à cette expérience. À l'instar de la souveraineté énergétique, je considère que l'État doit reprendre sa place d'autorité de gestion et de planification du réseau routier du pays. Mais l'urgence est à la redistribution. Des pistes existent, telles qu'une diminution substantielle des tarifs des péages. Il serait irresponsable que le Gouvernement fasse, une nouvelle fois, l'économie du débat sur la justice sociale.