Grâce à la pugnacité de journalistes de la presse indépendante, nous avons découvert, deux ans après sa date de remise, en février 2021, un rapport de l'Inspection générale des finances et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) portant sur le modèle économique des concessions autoroutières. Il a mis en évidence une rentabilité très supérieure à celle qui était attendue pour l'exploitation des Autoroutes du Sud de la France (ASF) et Esterel-Côte d'Azur-Provence-Alpes (Escota) ainsi que des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR), allant à l'encontre du principe de rémunération raisonnable
Quand ces autoroutes ont été privatisées, en 2006, la rentabilité des concessions était estimée à 7,6 %. Ces prévisions ont été largement dépassées, notamment pour les concessions de Vinci, avec un taux de 11,77 %, et celles d'Eiffage, avec 12,49 %. La concession de ASF-Escota à Vinci aurait dû rapporter à l'État 11 milliards d'euros au lieu de 7,6 milliards et celle de APRR-Area à Eiffage 7,3 milliards au lieu de 4,8 milliards. Le rapport de l'IGF relève un important manque à gagner pour l'État, estimé à 6 milliards – une paille. Doit-on y voir une insuffisante préparation du gouvernement dans le déploiement du modèle des concessions privées d'autoroutes ? On peut aussi imaginer d'autres considérations…
Je tiens à rappeler que nous nous sommes toujours opposés à une approche de l'aménagement du territoire fondée sur le tout-camion-voiture et le développement des autoroutes au détriment du soutien aux infrastructures de transport ferroviaire, en particulier pour les grandes distances, qu'il s'agisse des trains de nuit ou du fret. Nous avons à plusieurs reprises alerté sur l'absence de transparence dans l'attribution des concessions et les conditions dans lesquelles elle s'est déroulée ; le rapport de l'IGF est venu confirmer nos analyses.
En dehors du modèle de la concession, plusieurs solutions de gestion sont possibles. Il convient donc d'expertiser leur cadre juridique et les modalités de financement du réseau autoroutier qui y sont associées. Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale fait état d'une absence totale de réflexion de la part des services de l'État sur les perspectives à prendre en compte alors même que les enjeux sont considérables et que la première concession historique expirera dans quelques années.
Plusieurs solutions sont envisageables : le recours à de nouvelles concessions, mieux encadrées et de moindre durée, la conclusion de contrats de prestation de services, la mise en place de régies intéressées, la gestion directe par l'État. En cas de recours à de nouvelles concessions de tout ou partie du réseau autoroutier à des sociétés privées, l'État devra cette fois-ci s'attacher à définir précisément l'équilibre économique sur lequel reposeront les contrats qu'il conclura, de manière que le taux de rentabilité interne reste dans des limites raisonnables et ne conduise pas à la réapparition de phénomènes de superprofits.
Il conviendrait de s'engager sur des durées de concession moins longues, compte tenu notamment de la maturité du réseau, à travers des contrats comprenant des clauses de revoyure, des clauses de partage des gains d'exploitation, des clauses de partage des gains de refinancement et des clauses de modération tarifaire permettant de s'assurer de l'équilibre économique sur lequel ils reposent et de leur acceptation sociale, toutes choses auxquelles le gouvernement n'a pas prêté attention en 2006.
Par ailleurs, il est essentiel que ces négociations, si elles ont lieu, contribuent à un juste retour des profits passés vers le financement du ferroviaire – nous attendons toujours, d'ailleurs, la grande loi de programmation qui viendrait confirmer les engagements pris.
Une autre option consisterait en la conclusion de contrats de partenariat, au titre desquels l'État percevrait les péages, tout en supportant le risque trafic, et confierait, après mise en concurrence, l'exploitation et la maintenance des autoroutes à des sociétés privées en contrepartie d'un loyer. C'est l'un des modèles retenus par le Portugal.
Cette solution a pour avantage principal de prévenir la réalisation de superprofits, dont bénéficient actuellement les SCA françaises, car les entreprises qui se voient confier la gestion et l'entretien des autoroutes sont rémunérées par des loyers fixes, indépendants de l'évolution du trafic. Toutefois, elle comporte un risque budgétaire pour l'État : en cas de baisse du trafic, celui-ci subirait les diminutions de recettes des péages alors même qu'il devrait continuer à assurer le paiement des loyers.
Enfin, dernière option, la régie : elle présente l'avantage bien réel pour l'État de récupérer pour son propre compte les recettes des péages autoroutiers mais l'inconvénient de devoir investir dans de lourdes tâches d'entretien.
En cas de maintien des recettes de péages et compte tenu de l'état des autoroutes à l'échéance des contrats de concession en cours, il pourrait être envisagé d'affecter les éventuels excédents au financement d'autres modes de transport comme le ferroviaire, j'insiste sur ce point. Cela nécessiterait de faire évoluer notre législation, en particulier l'article L. 122-4 du code de la voirie routière qui prévoit dans sa rédaction actuelle que le péage ne peut être utilisé que pour couvrir des coûts limitativement énumérés.
Chaque modèle présente, on le voit, des avantages et des inconvénients, notamment d'ordre financier. Ce n'est donc qu'au prix d'une réelle expertise, à même de garantir les intérêts de l'État et donc des contribuables, qu'un choix politique éclairé pourra être fait, à l'inverse de ce qui s'est produit en 2006. Le groupe Écologiste – NUPES vous invite donc à ne pas reproduire les mêmes erreurs.