Le groupe Socialistes et apparentés a choisi de mettre à l'ordre du jour, dans le cadre de cette semaine de contrôle, la sur-rentabilité des infrastructures autoroutières. Les Français ne comprennent pas l'inaction des gouvernements successifs, qui renoncent à récupérer une partie des rentes qui y sont liées.
Il faut le rappeler, c'est par l'État que les autoroutes ont été réalisées. La loi du 18 avril 1955 crée des sociétés d'économie mixte pour réaliser les premières autoroutes, sous l'autorité de l'État. Progressivement, celui-ci mettra en vente une partie de plus en plus importante de ses parts, mais en veillant toujours à garder la majorité du capital, jusqu'au jour où le gouvernement de Dominique de Villepin décide de céder l'ensemble des parts au secteur privé. M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, était aux premières loges en tant que directeur de cabinet du Premier ministre de l'époque. Sa responsabilité est donc grande dans ce que beaucoup qualifient de fiasco pour l'État.
Sur le moment, cette décision a été contestée y compris à droite et au centre. Le rapporteur général du budget de l'époque, notre ex-collègue Gilles Carrez, indiquait qu'elle était « contraire à ce que devrait être la philosophie économique de l'État, dont le rôle devrait être de préparer le moyen et le long terme ». Quant à notre collègue Charles de Courson, lors d'une conférence de presse avec François Bayrou, il expliquait pourquoi son groupe ne voterait pas le projet de loi de finances pour 2006 : « Le budget 2006 est construit grâce aux recettes de privatisation des trois sociétés d'autoroutes ; en faisant cela, l'État renonce à des dividendes croissants pendant un quart de siècle […]. » Je pense qu'il n'imaginait pas alors le niveau de rentabilité affiché aujourd'hui par les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA). Depuis 2006, 27 milliards d'euros de dividendes ont été versés par les SCA à leurs actionnaires – une belle rente dont l'État aurait mieux fait de conserver la jouissance.
Cette décision de 2006 constitue à nos yeux la faute originelle : la privatisation ou, si vous préférez, la cession intégrale de la concession aura été une mauvaise affaire pour l'État. Mais à cette faute originelle sont venues s'ajouter deux nouvelles fautes : le paquet vert de Jean-Louis Borloo en 2010 et surtout le plan de relance autoroutier (PRA) en 2015.
En 2010, en échange de l'installation de bornes de télépéage, on prolonge d'un an les contrats des SCA, en supprimant d'ailleurs au passage des emplois non délocalisables. Surprofit estimé de l'opération : 3,1 milliards.
En 2015, pour les sociétés d'autoroutes, c'est le jackpot. Un PRA est négocié par Alexis Kohler et Élisabeth Borne, directeurs de cabinet des ministres Emmanuel Macron et Ségolène Royal, qui signent le protocole. On confie alors à Vinci, Eiffage et Abertis des travaux pour 3,2 milliards d'euros, en échange d'une prolongation des contrats d'environ trois ans, soit un taux de rémunération de 8 %. C'est le casse du siècle, organisé par l'État au profit des SCA. Les Français sont une nouvelle fois les dindons de la farce. Surprofits estimés grâce à ce plan : 8 milliards d'euros.
Il aura fallu attendre le 22 mars 2023 pour que Bruno Le Maire lance un début de mea culpa : « Nous avons […] sous-évalué l'avantage financier revenant aux sociétés concessionnaires. » Alors pourquoi cet aveu en 2023 ? Mon avis est que vous ne pouviez faire autrement, le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF), commandé en 2020 et remis au Gouvernement en février 2021, ayant fuité dans Le Canard enchaîné. À partir de là, la sur-rentabilité est documentée, qui plus est par les services de l'État, mais surtout des pistes pour corriger le tir sont proposées et analysées, dont une semble légale – je veux parler bien sûr du raccourcissement des contrats de concession.
La première question que nous nous posons est simple. Vous avez entre les mains ce rapport depuis février 2021. Pourquoi faut-il attendre mars 2023, et cette audition par la commission des finances et la commission du développement durable, pour que vous annonciez une saisine du Conseil d'État ?