La commission, réunie en commission d'évaluation des politiques publiques, procède à la discussion unique sur l'exécution budgétaire de la mission Recherche et enseignement supérieur (M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur spécial Enseignement supérieur et vie étudiante et M. Philippe Brun, suppléant de MM. Mickaël Bouloux et Jean-Marc Tellier, rapporteurs spéciaux Recherche ).
L'examen des politiques publiques relatives à la mission Recherche et enseignement supérieur auquel nous allons procéder se déroulera en deux temps : le premier sera consacré à une discussion centrée sur l'exécution budgétaire de 2023, le second à une discussion sur une thématique d'évaluation retenue par le rapporteur spécial Charles Sitzenstuhl.
Sur les trois programmes relevant de mon ministère, la consommation des crédits en 2023 s'est élevée à 25,943 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 25,769 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse de 1,1 milliard d'euros par rapport à l'exécution 2022 en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement. Cette hausse vient tout d'abord refléter et concrétiser nos priorités.
Une première priorité portait sur la vie étudiante, avec la première étape de la réforme des bourses sur critères sociaux, correspondant au programme 231 Vie étudiante. À la rentrée 2023, le volume des bourses était en hausse de 88 millions par rapport à 2022 et, en tenant compte de l'évolution tendancielle de la dépense, l'impact de la réforme sur le périmètre du programme 231 est estimé à environ 125 millions d'euros de dépenses supplémentaires sur le dernier trimestre 2023. Ces mesures fortes ont permis de mettre un terme à l'hémorragie de boursiers pour aider mieux ceux qui en ont le plus besoin ; elles consistaient en une augmentation à la fois du montant des bourses et du nombre des bénéficiaires. Entre décembre 2022 et décembre 2023, le nombre de boursiers financés par le programme 231 a ainsi augmenté de plus de 13 000, alors que, dans le même temps, les effectifs totaux de l'enseignement supérieur, et particulièrement hors apprentissage, à l'université, ont été en baisse.
Toujours en matière de vie étudiante, l'exécution budgétaire 2023 est aussi marquée par le financement de la pérennisation du repas à 1 euro, soit environ 50 millions d'euros de dépenses sur une année totale, et par la réforme des services de santé étudiante, à laquelle nous avons consacré 8 millions d'euros sur l'année 2023.
En matière de recherche, le déploiement de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur s'est poursuivi en 2023. Conformément à cette programmation, actée en 2020, les crédits ont été d'environ 370 millions d'euros – 400 millions d'euros avec ceux de la recherche spatiale correspondant au programme 193 Recherche spatiale –, dont 226 millions d'euros sur le programme 172 Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires et 143 millions sur le programme 150 Formations supérieures et recherche universitaire. Sans entrer dans le détail des mesures de la loi de programmation de la recherche, je souligne que les chercheurs ont été mieux rémunérés et le métier rendu plus attractif, avec environ 92 millions d'euros de revalorisation indemnitaire en 2023 pour les chercheurs et les enseignants-chercheurs, avec aussi un accroissement du nombre de docteurs et de leur rémunération, tandis que le déploiement du dispositif des chaires de professeur junior connaît un réel succès.
La loi de programmation de la recherche, ce sont aussi des chercheurs mieux soutenus et une recherche mieux financée. En témoigne le taux de succès aux appels à projets sur l'appel à projets générique de l'Agence nationale de la recherche (ANR) : il a atteint 24,3 % en 2023, après 24 % en 2022, 22,7 % en 2021 et 17 % seulement en 2020 – mais il était de 10,6 % en 2014. Ce sont ainsi 1 487 projets qui ont été soutenus l'an dernier. Dans le même temps, le taux de préciput, c'est-à-dire le taux lié aux frais de gestion, est passé de 19 % en 2020 à 25 % en 2021, puis à 28,5 % en 2022, pour atteindre 30 % en 2023. Ce sont davantage de moyens pour les établissements, et donc pour les laboratoires.
L'exécution 2023 reflète également l'attention apportée au pilotage des établissements d'enseignement supérieur et à leur performance. La contractualisation entre l'État et les établissements sous tutelle de mon ministère a été rénovée avec les contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP), qui remplacent le dialogue stratégique et de gestion. Conclus pour une durée de trois ans, ces contrats permettent de porter des projets cohérents avec la stratégie des établissements en contrepartie d'une responsabilisation accrue. Les travaux sur les dix-sept premiers contrats lancés en mars 2023 sont achevés. Au total, plus de 110 millions d'euros sont programmés sur trois ans pour cette première vague.
Mon deuxième point concerne la forte hausse en 2023 des crédits destinés à nos opérateurs, qui est la marque du soutien de mon ministère à ces derniers.
Ce soutien était, tout d'abord, destiné à leur permettre de faire face à la hausse de leurs dépenses salariales en 2023. Les mesures relatives au point d'indice de juin 2022 ont été compensées intégralement à partir de janvier sur l'année 2023, ce qui a représenté 500 millions d'euros de hausse des subventions pour nos établissements. Au titre des mesures dites Guerini de juin 2023, près de 70 millions d'euros en gestion ont été donnés pour les universités et les autres établissements d'enseignement supérieur relevant de mon ministère, et les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) ont été intégralement compensés. En 2024, la compensation sera d'au moins 50 % pour l'ensemble des établissements, à quoi s'ajouteront des soutiens ciblés alloués aux établissements les plus fragilisés ; les Crous seront, quant à eux, intégralement compensés.
Le soutien était également destiné à leur permettre de faire face aux surcoûts énergétiques. Les établissements de mon ministère ont bénéficié à ce titre d'un fonds exceptionnel de 275 millions d'euros en 2023 : 200 millions d'euros pour les universités, avec un surcoût final estimé à environ 220 millions d'euros par rapport à 2022 et à 320 millions d'euros par rapport à 2021 ; 55 millions d'euros pour les organismes nationaux de recherche, en plus des 22 millions d'euros en toute fin de gestion 2022 pour l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et la Flotte océanique française (FOF), l'Institut polaire français - Paul-Émile Victor (IPEV) et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), puis à nouveau 9 millions d'euros en fin de gestion 2023 pour l'Ifremer et l'IPEV, soit au total 90 millions d'euros consacrés aux organismes, pour des surcoûts estimés à 106 millions d'euros en 2023 par rapport à 2021. Pour les Crous, le surplus a été de 20 millions d'euros et j'ai également fait débloquer une enveloppe additionnelle de 30 millions d'euros en fin de gestion 2023 pour les surcoûts liés à l'inflation et aux prix de l'énergie, soit un total de 50 millions d'euros, pour un surcoût d'environ 60 millions d'euros par rapport à 2022 et de 80 millions d'euros par rapport à 2021. Aujourd'hui, les prix de l'énergie sont orientés à la baisse et nous continuons à suivre l'évolution de nos établissements.
Mon troisième point porte sur les soutiens qui ont permis de limiter la dégradation de la situation financière des établissements relevant de mon ministère. L'année 2023 a cependant marqué une inflexion indéniable de ce point de vue. Plus de soixante universités et établissements d'enseignement supérieur ont présenté une perte comptable, contre trente-neuf en 2022 et dix en 2021. La situation s'est également dégradée pour les organismes nationaux de recherche. Pour les Crous, le soutien important de l'État, avec une subvention pour charges de service public en hausse de 90 millions d'euros par rapport à 2022, a permis une amélioration du résultat par rapport à 2022.
Les réserves, quant à elles, demeurent élevées en 2023 et supérieures aux seuils prudentiels. Fin 2023, la trésorerie des établissements du programme 150 Formations supérieures et recherche universitaire s'élevait à 5,7 milliards d'euros et leurs fonds de roulement à 3,8 milliards d'euros, tandis que la trésorerie des organismes représentait 2,8 milliards d'euros et leurs fonds de roulement brut 1,5 milliard d'euros. Une partie seulement de ces réserves est libre d'emploi, une partie importante étant fléchée. Je ne dispose pas encore de chiffres actualisés sur la part libre d'emploi fin 2023 – l'enquête est en cours sur la base des comptes 2023, qui viennent d'être publiés. L'an dernier, j'estimais cette part libre d'emploi ou disponible à environ 1 milliard d'euros pour les établissements d'enseignement supérieur – écoles et universités. L'emploi a été dynamique en 2023 sur le programme 150 comme sur le programme 172, avec une hausse de l'emploi sous plafond conforme à la loi de programmation de la recherche.
Au vu de la situation financière, mon collègue Thomas Cazenave et moi-même avons décidé de lancer une mission d'inspection sur le modèle économique des universités, qui doit notamment explorer des pistes pour poursuivre l'accroissement des recettes propres et pour améliorer la gestion financière des établissements, par exemple en facilitant les recrutements ou en simplifiant l'emploi de ces réserves financières. Cette mission commencera ses travaux dans les prochaines semaines.
Même si cela ne concerne pas l'exécution 2023, je sais que vous aurez des interrogations sur les annulations opérées en 2024, et je vais donc faire le point à ce propos.
Les 900 millions d'euros de crédits annulés pour la recherche et l'enseignement supérieur concernent l'ensemble de la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur. À l'échelle des trois programmes dont mon ministère a la responsabilité, ces annulations s'élèvent à 588 millions d'euros et portent essentiellement sur trois points : les réserves de précaution, pour 434 millions d'euros – annulation pour ainsi dire transparente pour les établissements –, des reports de projets pluriannuels immobiliers, d'investissement ou d'équipements de recherche, pour environ 100 millions d'euros, et des ajustements sur les appels à projets et sur la trésorerie de l'Agence nationale de la recherche, mais sans revenir en arrière par rapport au taux de succès atteint en 2023, pour une annulation d'environ 50 millions d'euros au total.
Le budget de mon ministère reste en hausse pour 2024 et, de manière générale, les moyens de fonctionnement de l'ensemble des établissements du ministère – universités, écoles et organismes – sont préservés.
Concernant la recherche, les moyens soclés des organismes sont préservés, ainsi que les mesures touchant aux ressources humaines issues de la loi de programmation de la recherche pour l'ensemble des établissements, tant universités qu'organismes. Le seul point, c'est l'ANR.
Concernant la vie étudiante, l'ensemble des engagements en la matière, qu'il s'agisse du logement étudiant ou de la restauration, seront bien sûr tenus, de même que le versement des bourses sur critères sociaux à l'ensemble des bénéficiaires éligibles, comme le prévoyait la première étape de la réforme. En particulier, le budget du réseau des œuvres n'est pas affecté. Sur ce programme, les annulations portent uniquement sur la réserve de précaution.
Concernant les établissements d'enseignement supérieur et de recherche, seuls des projets immobiliers seront concernés par les reports, à l'exclusion des projets de logement étudiant.
Je ne veux pas minimiser ces annulations, mais l'impact sur 2024 restera faible.
Pour la suite, notamment pour le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, le moment n'est pas encore venu de vous en parler, mais je tenais au moins à vous indiquer que sera communiqué d'ici à l'été un bilan quantitatif et qualitatif sur les trois premières années de mise en œuvre de la loi de programmation de la recherche. Il constituera une base de réflexion pour d'éventuelles réorientations, qui devront se lire en lien avec les transformations qui ont déjà été engagées dans le sillage des annonces faites par le Président de la République le 7 décembre sur l'avenir de la recherche.
Le budget alloué à l'enseignement supérieur s'élevait, en loi de finances initiale pour 2023, à 18,34 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 18,04 milliards d'euros en crédits de paiement, soit près de 60 % des crédits alloués à la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur. L'autorisation parlementaire a été correctement exécutée, à hauteur d'environ 18,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement. Aucun mouvement de crédit majeur par voie législative ou réglementaire n'est à signaler.
Je concentrerai mon analyse sur quelques points saillants de l'exécution 2023 pour ce qui concerne les deux programmes composant le budget de l'enseignement supérieur. En premier lieu, le programme 150 Formations supérieures et recherche universitaire finance la formation initiale et continue, de la licence au doctorat. Les crédits de paiement exécutés progressent de 693 millions d'euros par rapport à 2022, pour s'établir à plus de 15 milliards d'euros. Le taux d'exécution dépasse légèrement les 100 %.
L'exécution 2023 est marquée, cette année encore, par le respect de la trajectoire de la loi de programmation de la recherche. Je me félicite en particulier de la montée en puissance du volet ressources humaines de la loi de programmation de la recherche, qui se traduit par un schéma d'emplois positif de 477 équivalents temps plein (ETP) pour les opérateurs de l'enseignement supérieur. Ces moyens supplémentaires ont, par exemple, permis la création, en 2023, de 268 contrats doctoraux et 210 chaires de professeur junior.
En second lieu, le programme 231 Vie étudiante réunit les moyens d'action sociale en faveur des étudiants déployés principalement par les réseaux des Crous. Les crédits de paiement sont exécutés à hauteur de 3,08 milliards d'euros en 2023, en progression de 123 millions d'euros par rapport à 2022. Je salue en particulier la mise en place de la première phase de la réforme des bourses à partir de la rentrée 2023 : plus de 692 000 étudiants bénéficiaient des bourses au 31 décembre 2023, pour une dépense totale de 2,25 milliards d'euros. Près de 15 000 nouveaux étudiants sont entrés dans le système des bourses, notamment sous l'effet de la revalorisation des plafonds de ressources.
Madame la ministre, je souhaiterais vous interroger sur quelques enjeux.
Tout d'abord, quelle appréciation faites-vous de la santé financière des universités françaises ? Vous avez déjà partiellement répondu à cette question dans votre propos introductif consacré à l'exécution 2023. Quels sont, en particulier, les établissements les plus fragiles aujourd'hui ?
En deuxième lieu, pour anticiper le prochain PLF, quelle est votre position sur la nécessité de déverrouillage des ressources propres des Crous ? Pouvez-vous nous en dire plus sur les discussions que vous avez actuellement à ce propos ? Nous savons en effet que les marges sont limitées du fait du gel des loyers des résidences étudiantes et du tarif social des repas servis par les restaurants universitaires. Y aura-t-il des évolutions dans ce domaine ?
Ma dernière question, plus large, concerne l'ensemble des missions de l'enseignement supérieur et de la recherche : la France est toujours très loin d'atteindre les objectifs définis à Lisbonne de consacrer 3 % du PIB à la recherche. Comment y parvenir ?
Pour ce qui est de la santé financière des établissements, j'ai en effet déjà donné quelques chiffres, mais il est bon de les répéter. L'évolution des comptes au fil des trois années 2021 à 2023 fait apparaître une augmentation non négligeable du nombre d'établissements présentant des comptes négatifs, qui sont une soixantaine en 2023, alors qu'ils étaient trente l'année dernière et dix environ l'année précédente.
J'ai également fait un point sur les fonds de roulement et la trésorerie, sachant que l'important est plus particulièrement la trésorerie et les fonds de roulement disponibles, le reste étant plutôt constitué de fonds de roulement fléchés vers des contrats de recherche, des contrats de plan État-région (CPER) immobiliers ou sur d'autres projets, ce qui revient à dire qu'ils sont, en fait, utilisés ou programmés. Une enquête nous a permis, l'année dernière, d'évaluer les fonds de roulement libres à un milliard d'euros pour les universités et les écoles du programme 150, ce qui, dans le contexte économique, devait permettre de disposer de fonds d'urgence dans ce cadre. Les universités les ont utilisés pour compenser les dépenses, en particulier la moitié des mesures Guerini – mais en 2024. L'année 2023 a été marquée par l'inflation et par les mesures consacrées à l'énergie, mais nous en avons compensé une bonne part et on constate peu à peu la consommation du fonds de roulement libre des universités. Nous apportons donc une attention particulière au budget de nos établissements, qui est constitué en grande partie de la masse salariale, et se trouve donc très contraint. Il en va de même pour les organismes de recherche, même si en 2023 leurs comptes n'ont pas été aussi négatifs que ceux du programme 150.
Pour ce qui est du déverrouillage des ressources propres des Crous, à titre exceptionnel compte tenu des difficultés et de la précarité que rencontraient les étudiants dans le contexte du covid et de l'inflation, nous avons gelé pendant quatre ans les loyers et les coûts de restauration des Crous pour les étudiants, ainsi que les frais d'inscription. C'est aussi la raison pour laquelle nous avons fait la réforme des bourses et pérennisé le repas à 1 euro pour les étudiants boursiers et les étudiants précaires.
Grâce à la loi du 13 avril 2023 visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré, dite loi Levi, nous sommes également en train de déployer la restauration au tarif des Crous pour tous les étudiants sur le territoire. De nombreuses mesures ont donc été prises pour répondre aux difficultés dans ce domaine.
Le taux d'inflation se rapprochant désormais à nouveau de la normale, nous retrouvons le modèle économique des Crous et des établissements. Comme je l'ai déjà annoncé, nous allons poursuivre la réforme des bourses. Il importe également de continuer à appliquer, entre autres, la loi Levi et la pérennisation du repas à 1 euro, mais les ressources propres des Crous tirées des loyers et les frais d'inscription retrouveront des niveaux correspondant à des temps où l'inflation est plus classique.
L'objectif de 3 % du PIB consacré aux dépenses de recherche et développement a été rappelé par le Président de la République à l'occasion de la journée du 7 décembre 2023 sur la recherche. Grâce à la loi de programmation de la recherche, ce taux se maintient aujourd'hui autour de 2,2 %, les taux d'inflation très élevés ne lui ayant pas permis d'augmenter autant que nous l'espérions. Pour atteindre l'objectif, qu'il convient de conserver, plusieurs réponses sont possibles.
Il faut tout d'abord rappeler que ce 3 % se décompose en 2 + 1, avec une partie de dépenses privées et une partie de dépenses publiques. Par comparaison avec d'autres pays équivalents à l'échelle européenne ou mondiale, on constate que l'impact de la dépense privée est très faible dans notre pays. Il faut donc travailler aussi sur l'investissement du privé dans la recherche et l'apport de ressources issues de ce secteur.
En second lieu, si l'Allemagne affiche un taux de 3,3 %, d'autres pays, comme le Canada, l'Italie ou l'Espagne présentent plutôt des taux de 1,7 % ou 1,8 %, mais avec une dynamique de publication plutôt positive, ce qui n'était pas le cas de la France. En même temps donc qu'un financement par le public et le privé pour atteindre le chiffre de 3 %, il nous faut revoir l'évolution et l'organisation du paysage de la recherche pour plus d'efficacité. C'est le sens de la transformation que nous avons lancée pour accompagner la poursuite de l'investissement dans la recherche et l'innovation, mais avec plus d'efficacité dans l'organisation, avec les agences de programmes et les universités cheffes de file sur le territoire.
Il existe donc deux voies pour continuer à progresser en matière de performance de la recherche et compter sur un financement public et privé plus abondant.
Je vais lire fidèlement le discours que les rapporteurs spéciaux pour la recherche Mickaël Bouloux et Jean-Marc Tellier, qui ne peuvent être parmi nous ce soir, ont fait l'honneur de me charger de prononcer en leur nom.
Tout d'abord, nos collègues regrettent que le printemps de l'évaluation se tienne alors que madame la ministre n'a pas répondu aux questions écrites qu'ils lui ont été adressées voilà plus de deux mois sur des sujets majeurs relatifs à la recherche. Deux de ces questions portaient sur les importantes annulations de crédits décidées pour 2024 et la troisième déplorait la situation alarmante de la recherche médicale. Permettez-moi de rappeler les dispositions du sixième alinéa de l'article 135 de notre Règlement : « Les réponses des ministres doivent être publiées dans les deux mois suivant la publication des questions ». Le rapporteur spécial Mickaël Bouloux indique qu'il se réserve le droit de faire usage des pouvoirs que lui confère l'article 57 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances pour procéder à des contrôles sur pièces et sur place pour obtenir des réponses.
L'exécution 2023 de l'ensemble des programmes couverts par notre rapport spécial s'est révélée fidèle, les ratios entre les crédits consommés et ceux adoptés dans la loi de finances pour 2023 (LFI) comme entre les crédits disponibles et les crédits finalement consommés sont proches de 100 %, en AE comme en CP. Nous voulons cependant donner l'alerte quant à la compensation par l'État aux opérateurs de l'augmentation de 3,5 % du point d'indice de la fonction publique effectuée en juillet 2022. Cette compensation n'étant intervenue qu'à partir du 1er janvier 2023, elle a été, entre le 1er juillet et le 31 décembre 2022, à la charge des opérateurs. À combien se chiffre, pour les opérateurs, le coût de cette non-compensation temporaire ?
À la suite de celle-ci n'est intervenue qu'une compensation partielle des nouvelles mesures salariales – bienvenues – pour les fonctionnaires entrées en vigueur entre juillet 2023 et janvier 2024. Quel a été le coût de ces mesures pour les opérateurs ? Quel en a été le coût assumé par l'État ? Ces deux compensations différées ou insuffisantes n'ont-elles pas mis en péril la situation financière des opérateurs, notamment celle des organismes de recherche, déjà fragilisés par le contexte inflationniste ? Nous rappelons que la loi de programmation de la recherche doit apporter des financements additionnels, et donc faire office de compensation de l'inflation.
Nous tenons également à rappeler et à dénoncer le choix politique fait par le Gouvernement de soutenir massivement la recherche sur projets au détriment des financements récurrents pour les organismes de recherche. Les conséquences néfastes de ce choix sont pourtant bien connues : précarité des chercheurs, temps perdu à remplir des dossiers de candidature, manque de vision de long terme, entraves à la liberté de la recherche. Ce n'est pas un hasard si, lors de la crise de la covid-19, la France s'est montrée incapable de concevoir et de commercialiser son propre vaccin.
Enfin, le crédit d'impôt en faveur des dépenses de recherche (CIR) se maintient à un niveau très élevé en 2023, atteignant 7,19 milliards d'euros. Nous estimons, à l'instar de notre collègue rapporteur spécial sur la mission Remboursements et dégrèvements, que les sommes considérables consacrées par l'État à ce dispositif pourraient être utilement réorientées vers les organismes de recherche afin d'augmenter les financements récurrents. Une évaluation ou une modification de ce dispositif est-elle prévue au cours des prochains mois ?
Les compensations des mesures Guerini, avec la revalorisation du point d'indice des fonctionnaires pour le programme 172, s'élèvent à 121 millions d'euros pour 2022 et à 76 millions d'euros en année pleine pour 2023. L'effort consenti à ce titre en 2024 tient compte des disponibilités des fonds de roulement libres, que j'évoquais tout à l'heure, et des contraintes économiques.
Pour ce qui est des mesures relatives à l'énergie et à l'inflation, les chiffres exacts que j'ai donnés – que je vous ferai parvenir – montraient que l'enveloppe et le fonds spécial de 275 millions d'euros débloqués à cet effet avaient représenté une très grande partie de la compensation du surcoût énergétique pour les universités et écoles relevant du programme 150 et pour les organismes relevant du programme 172.
Pour ce qui est de la recherche biomédicale, je n'ai pas pris connaissance de la question écrite des rapporteurs spéciaux, mais mes services regarderont très rapidement ce qu'il en est et je reviendrai vers vous dès que possible.
Comme vous le savez, le ministre chargé de la santé et moi-même avons confié une mission à Manuel Tunon de Lara et Anne-Marie Armanteras, dont le rapport nous sera remis très prochainement. Elle porte notamment sur deux axes qui correspondent probablement à la question qui nous a été adressée : le pilotage stratégique, l'attractivité et l'organisation de la recherche biomédicale, d'une part, et son financement, d'autre part, les pistes identifiées en la matière concernant aussi bien mon ministère que celui de la santé, à travers la mobilisation de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM).
Pour en revenir au programme 231 Vie étudiante, le rapporteur spécial Charles Sitzenstuhl suggère, pour remédier aux difficultés budgétaires du réseau des œuvres universitaires, de réfléchir au « déverrouillage des ressources propres des Crous ». Vous-même avez indiqué, madame la ministre, vouloir revenir au fonctionnement qui prévalait avant la période d'inflation que nous avons connue. Cela signifie-t-il que vous accueillez favorablement la proposition du rapporteur spécial ? J'en serais très inquiet car, même si le plus fort de l'inflation est derrière nous, la hausse des prix des produits alimentaires a atteint 20 % en trois ans et a particulièrement affecté la population étudiante, dont 20 % vit sous le seuil de pauvreté. Or un déverrouillage des ressources propres des Crous entraînerait inévitablement un renchérissement du prix des repas servis dans les restaurants universitaires et des loyers des résidences étudiantes. Pouvez-vous revenir sur ce point ?
Sur ce même programme, le rapporteur spécial note qu'en raison d'aléas significatifs liés à l'évolution du nombre d'étudiants boursiers, le taux de mise en réserve des crédits a atteint 9,2 % en 2023. Pour l'année 2024, la réserve de précaution, qui représentait initialement près de 5 % du budget, a déjà fondu de moitié du fait de l'annulation de crédits intervenue en février et s'établit désormais à 2,3 %. Dans ces conditions, comment comptez-vous faire face aux aléas de la rentrée à venir ?
Les rapporteurs spéciaux Mickaël Bouloux et Jean-Marc Tellier ont par ailleurs rappelé que le coût du CIR a plus que doublé entre 2013 et 2023, passant de 3,3 à 7,2 milliards d'euros. Un sentiment majoritaire semble émerger en faveur de la révision de ce dispositif. Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) préconise, par exemple, de supprimer le taux de 5 % appliqué pour calculer la créance de CIR et d'abaisser le plafond de dépenses éligibles de 100 millions à 20 millions d'euros. Cette modeste réforme permettrait de récupérer un milliard d'euros, qui pourraient financer la recherche publique. Quelle est votre opinion sur ce point ?
Enfin, alors que les professeurs de Seine-Saint-Denis perçoivent, dans le cadre du plan engagé après la parution du rapport Cornut-Gentille de 2018, une prime de fidélisation visant à les encourager à rester plus longtemps dans le département, ceux qui enseignent en brevet de technicien supérieur (BTS) et en classe préparatoire n'en bénéficient pas. Le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse m'a indiqué que cette prime relevait du budget du ministère de l'enseignement supérieur. Qu'en est-il ? Ce versement annoncé non suivi d'effets est un vrai problème.
J'ai effectivement indiqué que, l'inflation étant revenue à un niveau plus habituel, le gel des loyers, que nous avions été les seuls à appliquer parmi les acteurs du logement social, doit prendre fin. Une hausse des loyers aura donc bien lieu, comme nous l'avons d'ailleurs annoncé. N'oublions pas, toutefois, que les aides personnalisées au logement (APL) seront revalorisées en parallèle, si bien que l'augmentation nette subie par les étudiants sera comprise entre 2 et 6 euros.
En revanche, je suis d'accord avec vous s'agissant de la restauration : puisque nous avons été capables d'instaurer du jour au lendemain puis de pérenniser le repas à un 1 euro dans les Crous pour les étudiants boursiers ou précaires, il ne serait pas logique de les en priver alors que la situation reste problématique pour certains d'entre eux. Nous travaillons actuellement à définir la marche à suivre et je devrais pouvoir confirmer le maintien du repas à 1 euro dans les prochaines semaines.
Enfin, les étudiants boursiers ne s'acquittent pas des frais d'inscriptions et les étudiants précaires peuvent en être exonérés par leur établissement. Débloquer ces frais d'inscription n'affecterait donc pas ceux qui ont le plus besoin d'être aidés.
J'en viens à l'annulation de crédits décidée en février 2024. Sur les 588 millions d'euros qui concernent mon ministère, environ 430 millions d'euros ont été prélevés sur la réserve de précaution. Au sein du programme 231, c'est même exclusivement la réserve qui a été affectée. Or ces crédits sont fréquemment annulés en fin d'année. L'année dernière a fait figure d'exception, la première étape de la réforme des bourses sur critères sociaux ayant nécessité de mobiliser la réserve pour financer les quatre premiers mois de l'exercice 2023. Si nous sommes contraints, en cours d'année, de financer des dépenses obligatoires, comme le versement des bourses, pour lesquelles nous aurions habituellement sollicité la réserve, nous débloquerons évidemment les crédits nécessaires, même si les dépenses ont été théoriquement gelées. Il n'y a pas d'inquiétude à avoir sur ce point.
La révision du CIR fait bien partie des points à étudier. J'estime toutefois que le caractère pluriannuel du dispositif et la visibilité qu'il offre constituent d'importants facteurs d'attractivité pour les entreprises. Il faudra donc veiller à ne pas remettre en cause cette stabilité, qui a un impact positif.
Enfin, il me semble – mais cela reste à confirmer – que les personnels enseignant en BTS et en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) dépendent bien du ministère de l'éducation nationale. Je consulterai donc ce dernier, car nous vous devons une réponse commune, et je reviendrai vers vous sur ce point.
Je salue l'exécution presque parfaite des budgets en 2023, qui conforte l'accroissement des ressources en matière de recherche universitaire ainsi que le respect de la trajectoire définie dans la loi de programmation de la recherche, comme la Cour des comptes le souligne dans sa note d'analyse.
Cette loi prévoyait la création de chaires de professeur junior. Après un démarrage difficile, qu'en a-t-il été en 2023 ?
La France accuse un retard significatif en matière de ressources propres des universités, en particulier par rapport aux États-Unis. Pouvez-vous fournir des chiffres sur la part de ces financements propres dans le budget des établissements – je sais qu'une réflexion est lancée en vue de l'augmenter ?
La Cour des comptes relève également que les dépenses gelées du programme 191 Recherche duale (civile et militaire) sont fréquemment débloquées dès le début de l'année, ce qui n'est pas une pratique souhaitable. Cette situation perdure-t-elle en 2024 ou les choses sont-elles sous contrôle ?
Je suis, pour ma part, persuadé que le CIR est un dispositif très important pour la compétitivité des entreprises et qu'il contribue à encourager l'innovation, mais je m'interroge sur son lien avec la recherche universitaire. Quel éclairage pouvez-vous apporter sur ce point ?
Enfin, le Président de la République a annoncé le déploiement d'un plan pour l'intelligence artificielle (IA), en vue de conforter la place de la France sur ce marché éminemment stratégique. Quel en est l'impact sur les universités et le budget du ministère – s'il n'est pas trop tôt pour l'évaluer ?
Les chaires de professeur junior ont rencontré un réel succès, puisque 277 candidats ont été nommés au cours des trois premières années d'existence du dispositif. Si le recrutement s'était initialement avéré infructueux pour soixante chaires, elles ne sont désormais plus que quatre à ne pas être pourvues. Ces chaires sont, en outre, très attractives pour les talents de nationalité étrangère, qui représentent 46 % des lauréats, contre 10 % à 15 % pour les postes de professeur d'université classiques. De la même façon, environ 30 % des candidats français recrutés dans ce cadre exerçaient à l'étranger et sont revenus pour enseigner sous ce statut.
Avec Thomas Cazenave, nous avons effectivement lancé une mission en vue d'augmenter les ressources propres des établissements d'enseignement supérieur, dont on sait que les budgets sont contraints par la masse salariale. Depuis 2017, la part globale des ressources propres est passée de 21 % à 27 % de 2018 à 2023, soit un gain de 6 points ; selon les établissements, elle représente 20 % à 30 % de leur budget. Nous continuerons à suivre cet indicateur, l'objectif étant de permettre aux établissements de dépenser et d'attribuer plus facilement ces ressources en fonction de leurs besoins.
Le programme 191 relève de la mission, mais pas de mon ministère. Pour les trois programmes qui le concernent, nous ne débloquons pas les réserves en début d'année, mais plutôt en fin d'exercice.
Le CIR est effectivement un élément d'attractivité important, dont le ministère suit l'utilisation dans les entreprises, en lien avec la recherche et développement privée ou avec la recherche dans les établissements publics. Il a de réels impacts positifs, que nous œuvrons à accroître, en partenariat avec les sociétés.
Pour ce qui est de l'intelligence artificielle (IA), les mesures annoncées par le Président de la République s'inscrivent dans la stratégie nationale pour l'IA, à laquelle nous comptons consacrer 1,5 milliard d'euros. Déjà, l'appel à manifestation d'intérêt (AMI) C ompétences et métiers d'avenir (CMA) lancé dans le cadre du plan France 2030 a permis, à la rentrée dernière, de financer de nouvelles formations de tous niveaux – technicien, ingénieur ou supérieur – dans le domaine de l'intelligence artificielle. Des projets de recherche et des chaires ont attiré des chercheurs et des doctorants en nombre. Cette démarche, en grande partie coordonnée par l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA), a eu un impact positif sur les projets menés dans ce domaine au sein des laboratoires. D'autres mesures, comme le dispositif IA-Cluster, ont été annoncées pour alimenter cette stratégie nationale.
Je salue la bonne exécution budgétaire des programmes, en particulier les actions menées pour accroître l'attractivité des métiers de la recherche, la revalorisation des bourses et la pérennisation du repas à 1 euro.
S'agissant des nouveaux contrats d'objectifs, de moyens et de performance, quelles seront les actions financées par ce biais, par exemple à l'Université de technologie Tarbes Occitanie Pyrénées, que vous visiterez prochainement ?
Je vous sais particulièrement attentive aux questions relevant de la vie étudiante. Avez-vous identifié des mesures qui pourraient être utilement déployées, tant en termes de prévention que de diagnostic précoce, pour préserver la santé mentale des étudiants, qui sont particulièrement fragiles et exposés à certaines difficultés ?
Les dix-sept premiers contrats signés ont donné lieu au déploiement de 110 millions d'euros sur trois ans. Un des axes mis en avant, qui représente environ 14 % du budget, concerne la transformation écologique et le développement soutenable, lesquels devront faire l'objet de formations de sensibilisation dispensées à tous les étudiants de premier cycle d'ici à 2025. Le volet relatif à l'évolution de l'offre de formation aux métiers d'avenir ou aux métiers en tension représente quant à lui 15 % du financement, ces montants s'ajoutant à ceux alloués dans le cadre de l'AMI Compétences et métiers d'avenir. Environ 20 % du budget sont consacrés à l'amélioration des systèmes d'information et au renforcement des cellules Europe ; 15 % au bien-être étudiant, notamment leur santé et leur santé mentale ; 28 % à la recherche et à l'innovation et 10 % à la signature de l'établissement, c'est-à-dire aux choix stratégiques qu'il opère pour développer des actions de recherche, d'innovation ou de formation, en lien avec son ancrage territorial.
La santé mentale des étudiants est un enjeu que nous devons prendre à bras-le-corps pour répondre à la situation actuelle. Nous avons ainsi consacré, en 2023, 8 millions d'euros au renforcement des services de santé étudiants (SSE), qui remplacent les services de santé universitaires (SSU) : tous les étudiants, même s'ils sont inscrits dans une petite école ne comportant pas de service de santé propre, peuvent ainsi accéder à celui de l'université voisine. Nous avons également revalorisé les salaires et créé des postes, pérennisant notamment soixante-dix postes de psychologues.
Pour répondre aux problèmes de santé mentale ou aider les victimes de violences sexuelles et sexistes, la convention avec Nightline – un service d'écoute nocturne par lequel les étudiants peuvent s'adresser à des pairs qui les réorienteront vers une personne susceptible de répondre à leurs difficultés – a également été reconduite. Nous avons aussi financé, en décembre 2023, la coordination nationale d'accompagnement des étudiantes et étudiants, dite plateforme Cnaé, sur laquelle les étudiants peuvent s'adresser à des psychologues qui pourront les diriger vers d'autres professionnels en cas de besoin.
Enfin, le dispositif Santé psy étudiant, créé pendant la crise de la covid-19 et pérennisé depuis, offre aux étudiants la possibilité de bénéficier de huit séances avec un psychologue, sans avance de frais.
En octobre 2022, la Cour des comptes s'était penchée sur les dépenses immobilières des universités, qui constituent leur deuxième poste budgétaire, après la masse salariale. Elle soulignait la nécessité de remettre à niveau ce patrimoine, « dont un tiers est dans un état peu ou pas satisfaisant et qui ne répond que rarement aux besoins de sobriété énergétique ». Quel est l'effort global, tous financeurs confondus – État, collectivités locales, universités – consenti en 2023 pour assurer la rénovation des bâtiments universitaires ?
Je tiens par ailleurs à saluer l'action de Laurent Marcangeli, qui a utilisé le droit de tirage du groupe Horizons pour créer une commission d'enquête relative au respect des valeurs de la République et du pluralisme dans l'enseignement supérieur. De très graves dérives sont en effet constatées au sein des universités françaises – je pense à l'organisation du « Hijab Day » à Sciences Po Paris ou aux rencontres dites non mixtes, en réalité interdites aux Blancs ou aux hommes. Le fait que de tels événements soient tolérés par de nombreuses universités interroge sur l'utilisation de l'argent public : un étudiant de l'enseignement supérieur coûtant en moyenne 12 000 euros par an au contribuable, l'enseignement doit rester un lieu de transmission des savoirs. Quelles solutions comptez-vous apporter pour faire face à ces dérives au sein des universités françaises ?
Plusieurs dispositifs sont déployés pour financer l'entretien du patrimoine immobilier des universités. Le CPER, doté de 835 millions d'euros sur la période 2015-2020, permettra, avec plus de 1 milliard d'euros sur la période 2021-2027, de procéder à quelque 500 opérations, en particulier de rénovation énergétique. Dans le cadre du plan Campus, les opérations de rénovation font l'objet d'un versement annuel de 200 millions d'euros issus des intérêts générés par des dotations non consomptibles. Participent aussi à cette politique 967 millions d'euros au titre du Plan de relance, 44 millions d'euros engagés à l'occasion des appels à projet dits Résilience 1 et 2, sans compter les sommes allouées à la rénovation et à la construction des Crous. L'investissement consenti depuis des années est donc important. Nous devons maintenir ces efforts, mais, très clairement, les campus bénéficient depuis une dizaine d'années d'une dynamique que nous n'avions pas connue depuis très longtemps.
Pour ce qui est plus précisément de la rénovation énergétique, nous testons actuellement, avec l'Université d'Aix-Marseille, une solution de tiers-financement et nous réfléchissons avec le ministère chargé des comptes publics sur la manière d'en faire un modèle de financement qui favorisera l'engagement de travaux de plus grande ampleur par les établissements.
Nous aurons, par ailleurs, amplement l'occasion de traiter du deuxième point que vous avez évoqué dans le cadre des travaux de la commission d'enquête.
Vous avez précisé que le soutien aux opérateurs relevant du programme 172 avait nécessité une enveloppe de 500 millions d'euros supplémentaires en 2023. Combien d'équivalents temps plein ce programme couvre-t-il ?
Les rapporteurs spéciaux dudit programme s'alarment du choix politique du Gouvernement de soutenir la recherche sur projets, considérant qu'il constitue une « entrave à la liberté de la recherche ». Je m'en étonne, car j'ai toujours considéré que le payeur doit être le décideur. Or, dès lors que l'État paye, il revient à la sphère publique, donc au Gouvernement, de monter des programmes de recherche obéissant à une orientation précise.
Vous avez aussi abordé le lien entre industrie et recherche. Des passerelles existent-elles vraiment ? J'avais été étonnée de constater, en interrogeant des chercheurs après la période de la covid-19, à quel point les résultats des recherches étaient peu appliqués.
Enfin, la Cour des comptes note que le programme 191 se caractérise par une utilisation assez particulière de la mise en réserve, cette dernière étant systématiquement dégelée en début d'année. Qu'en pensez-vous ?
Le programme 191 ne relève pas du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, quoiqu'il soit rattaché à la mission. Le mode de gestion que vous évoquez n'a pas cours dans les trois programmes qui relèvent de mon périmètre.
Le nombre total d'ETP relevant du programme 172 s'élevait à 58 732 en 2023. Ce chiffre inclut les postes au sein des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) – Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), INRIA –, mais aussi des établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) tels que le CEA ou l'Ifremer, ou encore de l'ANR, du Genopole, de l'IPEV et des académies.
S'agissant de la recherche sur projets et du lien entre industrie et recherche, il importe de donner suffisamment de visibilité aux chercheurs. Si je ne saurais donner une définition précise de ce qui constitue, dans le modèle actuel, un financement récurrent, je sais que ce qui compte c'est de donner de la visibilité aux acteurs sur au moins cinq ans. C'est pour cette raison que nous conclurons des contrats d'objectifs, de moyens et de performance quinquennaux et que les appels à projets lancés dans le cadre du plan France 2030 ou des programmes d'investissements d'avenir (PIA) portaient sur une durée de huit à dix ans. Le lien entre industrie et recherche a également été grandement amélioré, en particulier dans les pôles universitaires d'innovation, que nous suivons de près.
L'exécution de l'ensemble des crédits alloués à l'enseignement supérieur et à la recherche en 2023, qui sont porteurs d'autant d'investissements d'avenir, traduit la bonne qualité des prévisions budgétaires, en cohérence avec la loi de programmation de la recherche.
Nous relevons néanmoins deux difficultés préoccupantes dans l'exécution du programme 231 : l'accès aux bourses et le financement des Crous, deux aspects essentiels de la lutte contre la précarité étudiante, dont le Gouvernement a fait sa priorité mais qui le contraignent à mobiliser précocement la réserve de précaution.
S'agissant du premier point, je salue la réforme d'envergure du régime des bourses sur critères sociaux lancée sous votre impulsion et qui a produit ses premiers effets, même si l'effort doit être maintenu pour garantir d'égales conditions de réussite à tous les étudiants. À cet égard, comment mieux anticiper chaque année le nombre de boursiers ?
Pour ce qui est des œuvres universitaires, vous nous avez rassurés quant à la prise en compte des surcoûts exceptionnels liés à l'inflation. Quelle réorganisation du système envisagez-vous pour faire suite aux propositions de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) ?
Enfin, le Président de la République a appelé de ses vœux un choc de simplification dans le domaine de la recherche publique fondamentale, afin de redonner du temps utile aux chercheurs et de leur permettre de se concentrer pleinement sur leurs missions. Quelle traduction concrète comptez-vous donner à cet engagement attendu par le monde de la recherche, notamment à travers les dix-sept contrats d'objectifs, de moyens et de performance conclus récemment – y compris avec l'Université Jean-Monnet-Saint-Étienne, dans mon département de la Loire ?
Les bourses sont des dépenses obligatoires. Nous en établissons le budget en juin-juillet, tandis que le nombre de boursiers n'est connu qu'en septembre ; il est d'autant plus difficile à prévoir qu'il dépend du nombre d'étudiants, plutôt en baisse, et du volume d'apprentis, en forte augmentation. Si nécessaire, nous rouvrirons des crédits sur la réserve pour financer les bourses.
La réorganisation des Crous fait partie de la feuille de route de la nouvelle directrice du Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous). Nous tenons particulièrement à maintenir l'ancrage territorial des Crous, le Cnous étant garant d'une vision globale.
Quant au paysage de la recherche, la deuxième vague des contrats d'objectifs, de moyens et de performance est pratiquement terminée, et la troisième débute. Conformément aux annonces du Président de la République, les agences de programme pour la recherche ont vu le jour le 1er janvier 2024. Un travail de simplification est mené au plan national et dans dix-sept sites expérimentaux. Neuf sites expérimentent l'acte II de l'autonomie, et nous travaillons sur le rôle des universités en tant que cheffes de file de la recherche dans les territoires.
Les contrats d'apprentissage et d'alternance favorisent indéniablement l'insertion professionnelle des jeunes diplômés. La France en comptait un million au 31 décembre 2023. Combien sont-ils dans l'enseignement supérieur, et combien en accueillent votre ministère et ses opérateurs ?
L'accueil d'apprentis et d'alternants a fortement progressé ces dernières années dans les laboratoires et les établissements de recherche. Nous en comptions environ 330 000 en 2021. Je vous communiquerai le chiffre actualisé.
En novembre dernier, lors de l'examen des crédits de votre ministère, vous avez présenté un budget en légère augmentation qui semblait aller dans le bon sens, tant les investissements au profit de la recherche étaient attendus. Le décret du 21 février 2024 portant annulation de crédits a enrayé cette dynamique : l'enseignement supérieur et la recherche sont parmi les budgets les plus affectés, avec une amputation de 900 millions d'euros. Le programme 172 en particulier, qui finance les établissements de recherche tels que le CNRS, se voit retrancher 5 % de son budget – signal inquiétant, alors que nous avons plus que jamais besoin d'une recherche financée et accompagnée. Comment interprétez-vous cette baisse ?
Les syndicats d'étudiants et d'enseignants, les organisations de présidents d'universités et les collectifs de chercheurs dénoncent ce recul. On demande aux universités d'en faire toujours plus, avec moins de moyens ! Les vacataires d'enseignement dans les universités en offrent une illustration frappante. Eux qui représentent 60 % du personnel enseignant ont un statut précaire, particulièrement les agents temporaires vacataires, qui sont des doctorants. Comment comptez-vous lutter contre la précarité des vacataires ? Répondrez-vous à leurs demandes de revalorisation et de mensualisation de leur rémunération ?
Le paiement des vacataires doit être mensualisé dans les établissements ; nous y travaillons. Quarante et un établissements, dont vingt-sept universités, ont instauré une mensualisation complète, neuf établissements ont réduit leurs délais de paiement, et trente-huit mettent en place la mensualisation.
Une partie des vacataires sont des doctorants sans contrat ni emploi, particulièrement dans les sciences humaines et sociales. Or nous voulons que tous les doctorants aient un contrat. C'est pourquoi la loi de programmation de la recherche prévoit d'augmenter de 30 % la rémunération des contractuels doctorants financés par le ministère, et de 20 % le nombre de ces contractuels, spécialement dans le domaine des sciences humaines et sociales.
Je rappelle enfin que les vacataires sont des intervenants extérieurs qui exercent par ailleurs un travail, et qui doivent enrichir les formations par leur point de vue professionnel.
La rémunération des vacataires est indigente : elle représente 1 % des dépenses des établissements d'enseignement supérieur, alors qu'ils assurent près d'un quart des heures de cours. Comptez-vous leur proposer un taux horaire décent, qui leur permette d'être respectés et, pour un quart d'entre eux, de sortir de l'extrême précarité ?
Le nombre de doctorants en cotutelle internationale diminue de façon inquiétante : il est passé de 1 223 en 2021 à 637 en 2023, pour une cible de 1 300. En parallèle, le nombre d'inscrits en première année de thèse a chuté de 4 % entre 2021 et 2022. Comment retrouver une attractivité ?
Enfin, le taux de projets jugés recevables par l'ANR est au plus bas depuis 2020, à 20 %. Le choix, confirmé dans la loi de programmation de la recherche, de soutenir la recherche sur projets au détriment des financements récurrents a des conséquences néfastes sur l'attractivité du secteur : précarité des chercheurs, difficulté à constituer des dossiers de candidature, vision à court terme, entrave à la liberté de recherche… Il est de plus en plus difficile de présenter des projets à l'ANR : comment comptez-vous y remédier ?
La loi de programmation de la recherche a certes débuté en 2020, mais c'est maintenant qu'elle produit ses premiers effets, une fois la crise du covid passée. La cible, à savoir + 20 % de doctorants et + 50 % de conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre), n'est pas encore atteinte, mais nous sommes en bonne voie. En outre, la rémunération de l'ensemble des doctorants est passée de 1 780 euros à plus de 2 100 euros par mois, se rapprochant du standard européen qui se situe à 2 300 euros.
Je le répète, il est important que les doctorants vacataires aient un contrat ; c'est pourquoi les crédits sont fléchés tout particulièrement vers les sciences humaines et sociales, plutôt démunies en la matière. Le taux horaire n'est pas la question ; c'est le contrat qui compte avant tout. On ne luttera pas contre la précarité en payant des doctorants à dispenser des cours, alors qu'on ne les paie pas à faire de la recherche. Ne nous trompons pas de bataille.
Pour le reste, la grande majorité des vacataires sont des salariés d'entreprise qui ne sont pas touchés par la précarité.
Nous œuvrons à simplifier les cotutelles internationales de thèses. Et désormais, quand un organisme national conclut un accord avec une université étrangère, il s'associe obligatoirement avec une université française ; l'accord couvre ainsi la formation, la mobilité et la recherche.
Je me joins à mes collègues pour déplorer la rétribution insuffisante des vacataires et leur statut précaire.
Ma question porte sur un secteur de pointe, la recherche spatiale, dont le financement est difficilement lisible puisqu'il relève de plusieurs missions, du plan de relance et d'apports internationaux. Nous avons appris que 192 millions d'euros de crédits destinés au Centre national d'études spatiales (CNES) seraient annulés. Le confirmez-vous ? Cela affectera-t-il le financement de l'Agence spatiale européenne (ESA) ?
Le programme 193 dépend du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je vous confirme que le CNES fait l'objet d'une annulation de crédits de près de 193 millions d'euros. En revanche, les décisions qui concernent l'ESA se prennent à l'échelle européenne. Lors du sommet de Séville, la France s'est engagée à maintenir sa contribution au budget de l'ESA.
Il n'est pas contradictoire d'encourager la recherche publique et de soutenir la recherche privée, puisque celle-ci bénéficie du soutien colossal du CIR, dont le montant a doublé en dix ans pour atteindre 7,19 milliards d'euros en 2023. Ce dispositif est devenu la première niche fiscale en France. Dresserez-vous enfin le bilan de cette dépense fiscale, afin d'en tirer toutes les conclusions au regard des finances publiques ?
Par ailleurs, je regrette que l'objectif de « mettre en place un débat citoyen périodique sur les orientations prioritaires de la politique de recherche nationale », qui figure dans le rapport annexé à la loi de programmation de la recherche, n'ait pas été suivi d'effet. Quand organiserez-vous ce débat ? Comment expliquer que la stratégie nationale de recherche publiée sur le site du ministère date de 2013 ?
S'agissant du doctorat, nous n'avons manifestement pas les mêmes chiffres : nous observons un recul des inscriptions, notamment dans les filières techniques : – 10 % en mathématiques et – 14,7 % en chimie et sciences des matériaux. Cela fait courir un risque de décrochage à la recherche publique française. Quelles mesures comptez-vous prendre pour remédier à cette baisse d'attractivité des métiers scientifiques ? Quel est le bilan du financement des thèses par l'intermédiaire des conventions de formation par la recherche en administration (Cofra) ? Plus généralement, nous regrettons que le doctorat, plus haut diplôme universitaire, soit insuffisamment valorisé dans le monde socio-économique. Comment comptez-vous y remédier ?
Avec Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie, nous avons lancé une mission sur la reconnaissance du doctorat dans les entreprises et la société. Elle a été confiée à Sylvie Pommier et Xavier Lazarus et devrait produire un rapport dans les prochains mois.
Le nombre de contrats doctoraux signés dans les établissements d'enseignement supérieur ou de recherche a augmenté de 16 % en 2020 et 2023 ; la progression est particulièrement marquée dans les établissements publics à caractère scientifique et technologique, à 26 %. Cela tient à l'augmentation des contrats doctoraux prévue par la loi de programmation de la recherche, aux Cifre, aux contrats liés aux appels à projets de l'ANR et au programme d'investissements d'avenir, notamment les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR).
La stratégie nationale de recherche est désormais liée au plan France 2030. C'est pourquoi j'ai créé des agences de programme, consacrées à des thématiques prioritaires. Elles doivent, d'une part, réfléchir à la stratégie nationale en s'appuyant sur l'ensemble des opérateurs et des acteurs, et d'autre part, anticiper le prochain programme-cadre européen pour la recherche et l'innovation.
Sachez que le ministère fait régulièrement le bilan du CIR.
Quant à l'évolution du paysage de la recherche, il me semble urgent de définir clairement le rôle des agences, des organismes nationaux de recherche (ONR) et des universités cheffes de file.
Si je vous ai bien entendue, des crédits supprimés pourraient être rouverts comme par magie ; c'est inquiétant, et cela suscite plusieurs interrogations de ma part. Le CIR se veut incitatif à l'égard des entreprises étrangères qui s'installent en France ; il est d'ailleurs en hausse. Avec quels crédits le garantir ? À l'heure où le Gouvernement semble le remettre en cause, ce dispositif intégrera-t-il de nouveaux critères ?
De plus en plus de bacheliers accèdent à l'enseignement supérieur. Or nous avons eu vent d'un projet d'individualisation des critères d'attribution des bourses au regard du temps de trajet, de la situation sociale, etc. S'il s'ensuit un effet d'aubaine, nous aurons besoin de moyens supplémentaires pour financer les bourses – sans compter que nous nous éloignerons des critères de réussite, de mérite et d'assiduité.
Le dispositif stable qu'est le CIR a montré ses effets bénéfiques sur l'attractivité de notre pays pour les entreprises. Je n'ai absolument pas connaissance d'une quelconque volonté du Gouvernement de le remettre en cause.
Les bourses sont accordées en fonction de points de charge qui tiennent compte de l'éloignement, entre autres critères. Nous souhaitons faire évoluer ce modèle pour qu'il soit plus juste, qu'il aide davantage les étudiants qui en ont le plus besoin et qu'il soit cohérent avec les aides que les étudiants reçoivent par ailleurs.
À l'occasion des débats de notre commission sur le rapport d'information de M. Mickaël Bouloux sur la recherche polaire, publié dans le cadre du printemps de l'évaluation de l'an dernier, un large consensus s'est dégagé en faveur de l'acquisition d'un nouveau brise-glace. Où en sont les réflexions de votre ministère, des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et de l'Institut polaire français Paul-Émile-Victor ?
La région polaire regorge de ressources minières et d'hydrocarbures, très convoités et protégés jusqu'en 2048 par un statut juridique international unique, le traité sur l'Antarctique, qui permet de geler les revendications territoriales des grandes nations. L'institut de recherche polaire chinois et la Russie mènent des explorations poussées sur les ressources en hydrocarbures de la zone. Selon les Britanniques, la Russie aurait découvert l'équivalent de 500 milliards de barils de pétrole dans la mer de Weddell. Le traité sur l'Antarctique interdit l'exploitation d'hydrocarbures, mais pas la prospection. Le ministère a-t-il une stratégie, au nom de la France, concernant la prospection d'hydrocarbures en Antarctique ?
Après réflexion avec nos partenaires internationaux, nous avons jugé qu'il n'était pas pertinent d'acquérir un brise-glace. En revanche, un financement de près d'un milliard d'euros a été attribué à la recherche polaire, ce qui permettra de financer la construction d'un navire océanographique, le Michel-Rocard, capable de résister à la glace. L'IPEV et d'autres organismes l'emploieront pour leurs missions en Arctique et en Antarctique.
Nous nous intéressons par ailleurs aux ressources disponibles en Antarctique, dans le cadre bien circonscrit de notre politique relative à la prospection et à l'exploitation des fonds marins et des ressources naturelles – cadre que ne partagent pas nécessairement la Chine et la Russie.
Espérons que la France œuvrera au renouvellement du traité sur l'Antarctique, afin d'éviter toute prospection d'hydrocarbures dans la région.
Le Président de la République entend faire de la France « une place incontournable de l'intelligence artificielle ». La technopole de Sophia Antipolis accueille l'un des quatre instituts interdisciplinaires d'intelligence artificielle (3IA) et la Maison de l'intelligence artificielle, aux côtés de l'INRIA, de l'université Côte d'Azur, de Polytech Nice Sophia, de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), du CNRS ou encore d'Eurecom. Nombre d'entre eux sont des partenaires du 3IA Côte d'Azur. Ils nourrissent des inquiétudes. Outre les 16 millions d'euros que l'État accorde à ces établissements, les acteurs du 3IA Côte d'Azur souhaitent que le budget global de 43 millions d'euros sur cinq ans soit maintenu, et qu'il finance tous les programmes ayant trait à l'intelligence artificielle, qu'elle soit générative ou qu'elle s'applique aux domaines régaliens. Il semblerait en effet que ce budget doive être réduit à 20 millions d'euros. Alors que la dynamique de recherche et d'enseignement de la Côte d'Azur est parmi les plus actives du pays, pouvez-vous rassurer ces acteurs et préciser les budgets qui leur seront alloués ?
Les 3IA ont été évalués ; je pourrai vous en communiquer les résultats. Le 3IA Côte d'Azur vient d'ailleurs de recevoir le label IA Cluster. Les financements destinés à ces instituts seront communiqués prochainement.
La note d'exécution budgétaire réalisée par la Cour des comptes estime que « les données disponibles […] ne permettent cependant pas de savoir si la trajectoire de la loi de programmation de la recherche dans son volet relatif aux créations d'emploi a été respectée en 2023 ». Pouvez-vous nous en livrer une analyse actualisée ?
Le déficit structurel de l'activité résidentielle du Cnous entraîne une croissance de la compensation de l'État et un retard des travaux de gros entretien et de rénovation. La Cour des comptes relève que le ministère n'a pas renégocié le contrat d'objectifs et de performance (COP) du Cnous depuis 2013. À quelle échéance comptez-vous établir un nouveau contrat ? Permettra-t-il aux Crous d'effectuer les investissements nécessaires, tout en repensant leur modèle économique ?
Que pensez-vous du cumul entre la demi-part fiscale et l'aide au logement destinée aux étudiants ? Estimez-vous que l'aide au logement doit être accordée en tenant compte des revenus des parents ?
Les schémas d'emplois de la loi de programmation de la recherche ont été parfaitement respectés en 2023, après le léger retard constaté les deux années précédentes. Là encore, je pourrai vous en fournir le détail. La programmation pour 2024 se conforme également à la trajectoire de la loi de programmation de la recherche.
La nouvelle directrice du Cnous est chargée de négocier un nouveau COP et de réfléchir à une organisation plus robuste, qui respecte l'ancrage territorial des Crous. En parallèle, il conviendra de réfléchir à l'évolution du modèle économique des Crous et du Cnous.
La question de l'articulation avec la demi-part fiscale ne se pose pas uniquement dans le cas des APL mais pour l'ensemble des aides familialisées, dont les bourses. Nous n'avons pas prévu de la modifier, car cela impliquerait de remettre à plat l'ensemble des aides familialisées.
S'agissant du programme 150 Formations supérieures et recherche universitaire, la Cour des comptes a relevé un accroissement important des fonds de roulement des établissements de l'enseignement supérieur : ils se montent désormais à 2,5 milliards d'euros, soit une progression de 22 % entre 2020 et 2023. Un fonds de roulement de cette importance est-il indispensable ?
La Cour des comptes, encore, déplore, à propos du programme 191, une pratique de dégel systématique anticipé dès le début de gestion. Que pouvez-vous nous en dire ?
Comme je l'ai dit, le programme 191 ne dépend pas du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Concernant les fonds de roulement, il faut distinguer, d'une part les fonds fléchés sur des projets relevant, par exemple, des CPER ou de l'ANR, auxquels il ne faut pas toucher car il s'agit d'une avance de l'État, et, d'autre part, la part libre. Celle-ci se montait, l'année dernière, à 1 milliard d'euros pour le programme 150, raison pour laquelle nous avons demandé aux universités et aux organismes nationaux de recherche de participer pour moitié à la compensation des mesures Guerini sur l'année 2024. Néanmoins, cette part libre est très faible – l'importance du fonds de roulement du CNRS est une légende –, et, avec les efforts de participation que nous avons demandés aux établissements, les budgets et les fonds de roulement sont de plus en plus contraints.
Puis la commission procède à la discussion sur la thématique d'évaluation L'évaluation de la réussite des étudiants en licence (M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur spécial).
La réussite en licence témoigne de l'attention accordée par les pouvoirs publics à la formation et à l'épanouissement des jeunes générations. L'automne dernier, lors de l'examen du projet de loi de finances, j'avais alerté sur le ressentiment que créait notre système d'enseignement supérieur en orientant les lycéens vers des formations parfois sans débouchés ni perspectives. La réussite des étudiants en licence est également, en partie au moins, une affaire d'argent public. Le chiffrage des moyens alloués par l'État au cycle de licence est toutefois difficile à réaliser.
Deux indicateurs principaux permettent de mesurer où en est la France en termes de réussite des étudiants en licence : le taux d'obtention du diplôme en trois ou quatre ans, et le taux de passage en deuxième année de licence. Des réserves, que je partage, ont été exprimées, en particulier par les syndicats étudiants, sur cette approche que l'on pourrait dire normative, car elle valorise les trajectoires linéaires. Ce sont néanmoins les seules données statistiques objectives et comparables disponibles aujourd'hui.
À cette aune, peut-on dire que les étudiants réussissent en licence en France ? Insuffisamment, sans aucun doute. Réussissent-il mieux en licence qu'auparavant ? Oui ; la situation s'améliore depuis quelques années. Le taux de réussite en licence en trois ou quatre ans atteint près de 47 % pour les bacheliers entrés à l'université en 2018, dernière année pour laquelle les données de cohorte sont disponibles. C'est moins d'un étudiant sur deux, mais nettement mieux que les 41 % enregistrés pour les bacheliers de la session 2012. Le taux de passage en deuxième année de licence progresse également, passant de moins de 40 % pour les bacheliers de 2012 à 45,4 % pour ceux de 2018.
Cette amélioration est, pour partie, à mettre au crédit des réformes adoptées depuis 2017 sous l'impulsion de la majorité : la moitié des 4 points de hausse du taux de passage en deuxième année de licence enregistrés entre 2017 et 2018 est liée aux mesures de la loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants, dite loi ORE.
Je relève cependant une dégradation de cet indicateur depuis la crise sanitaire et, surtout, des disparités persistantes selon l'origine académique ou sociale des étudiants. Près de 15 points séparent le taux de réussite d'un étudiant dont l'origine sociale, évaluée à partir du profil de ses parents, est très favorisée, de celui d'un étudiant défavorisé. C'est énorme. Je me réjouis, en revanche, que le taux de réussite en trois ou quatre ans soit quasiment équivalent pour les étudiants boursiers et non boursiers, atteignant respectivement 46,8 % et 47,4 %. Notre système de bourses pour soutenir les étudiants les plus fragiles financièrement s'avère donc efficace. Les études statistiques menées en France révèlent un lien positif entre l'attribution d'une bourse et le taux de poursuite d'études dans le supérieur et d'obtention du diplôme.
Sur le plan de la comparaison internationale, ce taux de réussite en licence est légèrement inférieur à la moyenne de l'OCDE ; il est donc à améliorer. Il serait toutefois absurde de comparer nos résultats avec les près de 70 % obtenus par le Royaume-Uni, où la sélection très rigoureuse se fait autant à l'entrée de l'enseignement supérieur que sur l'argent. En France, il n'y a pas de sélection à l'entrée de l'université, à l'exception des filières dites en tension, comme les licences STAPS ou de psychologie ; pour ces formations, dans le cas précis où la demande excède les capacités d'accueil, l'établissement peut classer le dossier des candidats.
Il n'existe pas, à ce jour, de données sur le coût moyen annuel d'un étudiant inscrit en licence à l'université. La subvention pour charge de service public attribuée par l'État aux universités s'élève à 9 348 euros par étudiant et par an, mais tous grades universitaires confondus. Ce chiffre ne distingue pas les étudiants inscrits en licence de leurs camarades inscrits en master ou au-delà. Plus regrettable encore, il n'intègre pas les dépenses de vie étudiante du réseau des Crous, qui représentent pourtant des montants importants – les seules bourses sur critères sociaux s'élèvent à 2, 48 milliards d'euros en 2024. Il faut donc prendre le chiffre de 9 348 euros avec une certaine réserve méthodologique. Le ministère nous a indiqué ne pas disposer d'informations sur la ventilation des dépenses de bourses selon le niveau d'études des bénéficiaires, mais uniquement selon leur échelon. Je regrette cette absence d'information et m'étonne d'autant plus de l'absence de remontée d'informations sur le sujet de la part des Crous.
Le caractère incomplet des données sur l'effort budgétaire de l'État ne permet pas de piloter au mieux la dépense publique et de soutenir efficacement les principaux concernés. Nous ne sommes pas en mesure d'évaluer l'incidence qu'aurait 1 euro d'argent public en plus ou en moins sur la réussite d'un étudiant en licence. Le ministère de l'enseignement supérieur et la recherche devrait s'engager dans la voie d'une meilleure évaluation.
Avec les moyens dont nous disposons à la commission des finances, nous avons essayé d'évaluer, avec prudence, le coût budgétaire de l'échec en licence. En se fondant sur les 33 000 sorties précoces en première année de licence, ce coût représenterait annuellement pour l'État 308 millions d'euros – plus, en réalité, car les décrochages postérieurs à la première année de licence et d'autres dépenses relatives à la vie étudiante ne sont pas pris en compte. Augmenté du coût de la bourse versée aux 14 400 boursiers faisant partie de ces sorties précoces, soit 42 millions d'euros annuels, le coût de l'échec en licence pourrait être estimé à 350 millions d'euros annuels, et il y a fort à parier que ce chiffre est minoré. Une mission plus longue et des outils budgétaires plus performants permettraient d'aboutir à une estimation plus juste.
Il est ressorti de plusieurs auditions que la massification de l'enseignement supérieur appelait une réflexion sur la valeur et le sens à donner au baccalauréat. Constatant que le taux de réussite des étudiants inscrits dans les IUT, qui sont des formations universitaires sélectives, avoisine les 80 %, offrir une place à l'université à tous les bacheliers qui le souhaitent, alors qu'ils sont souvent mal préparés et mal orientés, paraît une stratégie inefficace et, à mon sens, hypocrite compte tenu du fonctionnement implicite de notre société. À quoi bon atteindre 80 % de bacheliers dans une génération, si plus d'un étudiant sur deux échoue en première année de licence ? Il est indispensable de rehausser le niveau d'exigence des enseignements au lycée et de l'examen du baccalauréat.
Je pense aussi qu'il y aurait matière à réfléchir sur la question de la réussite en licence dans le cadre de l'acte II de l'autonomie des universités annoncé par le Président de la République. Quelques établissements pilotes ont déjà commencé à y travailler. Le ministère aurait-il des informations à nous communiquer sur le sujet ?
Enfin, plusieurs auditionnés ont évoqué l'intérêt de passer à une logique de semestrialisation des parcours, alors que nous sommes encore dans une logique très annuelle. Qu'en pense le ministère ?
La définition actuelle de la réussite en licence correspond à la réussite au diplôme dans lequel l'étudiant est inscrit, dans le temps prévu plus une année. En 2022, on calcule ainsi un taux de réussite en trois ou quatre ans de 49 %, chiffre qui fait généralement voir la licence comme un diplôme au fort taux d'échec. Toutefois, cette image mérite d'être nuancée, car le suivi d'un parcours de licence en trois ou quatre années ne permet pas, à lui seul, de résumer la notion de réussite ou d'échec.
La définition de la réussite étudiante doit être réinterrogée. Le parcours de formation des étudiants dans le supérieur est aujourd'hui ponctué de réorientations et l'acquisition de compétences se fait par des approches plus diverses qu'auparavant. Les étudiants peuvent bénéficier d'équivalences et de passerelles entre formations, commencer à étudier une année dans un diplôme puis rebondir l'année suivante pour préparer un autre diplôme, comme dans tous les pays du monde. Peut-on parler d'échec lorsqu'un étudiant est réorienté dans un autre diplôme et qu'il l'obtient ?
On peut estimer que c'est la sortie du système éducatif sans aucun diplôme in fine qui est réellement synonyme d'échec. Or le taux de sortie sans diplôme des inscrits en licence ou en équivalent dit bachelor, c'est-à-dire trois ans supplémentaires après la licence, est de 22 %. D'après les données de l'OCDE de 2022, le système d'enseignement supérieur français fait donc réussir 78 % des étudiants, alors que la moyenne de l'OCDE se situe un peu en dessous, à 76,5 %.
Plusieurs autres indicateurs peuvent aider à recontextualiser le taux de réussite des étudiants en licence à l'université. La moyenne de l'OCDE pour le taux d'étudiants qui obtiennent leur diplôme de premier cycle dans le délai prévu est de 39 %. Avec 37 %, la France atteint quasiment cette moyenne. Pour comparer avec les pays qui nous ressemblent, cette moyenne est de 21 % en Belgique et en Italie, 37 % en Espagne, 34 % en Suède et 47 % au Canada.
Je rappelle que la structure du premier cycle est très spécifique en France, car le diplôme national de licence n'y est majoritairement pas sélectif. L'université accueille tous les jeunes qui, ayant obtenu un baccalauréat général, technologique ou professionnel, souhaitent s'y inscrire. Le public accueilli en licence à l'université est donc composé de jeunes aux parcours et aux niveaux très différents. Les meilleurs étudiants partent généralement dans les filières sélectives, comme les CPGE, les bachelors universitaires de technologie (BUT), même professionnalisants, ou les doubles licences à l'université. En Angleterre, pour reprendre cet exemple, les formations post-bac équivalentes à la licence sélectionnent leurs étudiants. Le taux de réussite du système sélectif anglais est de 68 %, contre 80 % pour une filière universitaire sélective française comme les DUT. En outre, on constate que les meilleurs bacheliers français – ceux qui ont obtenu une mention très bien et qui seraient potentiellement sélectionnés si l'université française était sélective – ont un taux de réussite en licence de 79 %, ce qui est bien supérieur au taux britannique. À formation égale et à profil étudiant similaire, nous faisons donc au moins aussi bien, sinon mieux, réussir nos étudiants.
Les taux de réussite en licence ne sont donc pas le reflet d'une mauvaise qualité de la formation, mais le résultat de la dévalorisation de la licence face aux filières sélectives, qui aboutit à une concentration dans cette filière d'un public refusé dans les filières sélectives. L'université, par de multiples dispositifs – année rebond, passeport pour réussir et s'orienter (Paréo), passerelles –, aide l'étudiant qu'elle accueille et lui permet de réussir dans une filière mieux adaptée à son profil et à son projet.
Le taux de réussite en licence en trois ou quatre ans est un indicateur indispensable qui gagnerait à être complété par d'autres éléments pour affiner l'analyse. D'abord, le contexte d'accès à la formation : l'entrée en première année s'est-elle effectuée avec un « oui si », ou après une formation Paréo, une passerelle ou une réorientation ? Autre critère essentiel, la corrélation entre la présence aux examens et la réussite : le taux de passage de la L1 à la L2 des étudiants présents aux examens est supérieur de 16 points à celui du total des étudiants inscrits – l'université fait réussir les étudiants lorsqu'ils sont assidus.
Pour améliorer la réussite et éviter que des jeunes ne s'inscrivent en licence faute de mieux, nous menons un travail d'accueil et d'orientation afin que chaque jeune qui arrive dans le supérieur trouve une place dans la formation qui convient le mieux à son profil. Priorité a donc été donnée aux bacheliers technologiques et professionnels pour l'accès, respectivement, aux BUT et aux BTS. Entre 2013 et 2021, la part des bacheliers technologiques en IUT a augmenté de 11,4 points et celle des bacheliers professionnels en BTS a augmenté de 7 points. Le nombre de jeunes issus de la voie technologique ou professionnelle inscrits en licence par défaut a ainsi diminué.
L'adéquation de l'orientation au profil passe aussi par la mise en place de politiques d'accompagnement et de soutien personnalisé dans les établissements. La loi ORE a permis de mettre l'accent sur l'accueil et l'individualisation des parcours en fonction du profil des étudiants : en 2023, 26 000 étudiants ont accepté une proposition d'admission avec un aménagement de licence pour les accompagner vers la réussite. Depuis cette loi, le taux de passage en deuxième année de licence progresse de façon continue.
La réussite est toujours fortement liée aux caractéristiques sociales et scolaires des étudiants. Le taux de passage des étudiants en L2 varie de presque 20 points en fonction du milieu social, de plus de 35 points en fonction du baccalauréat obtenu – général, technologique ou professionnel – et de plus de 26 points en fonction de la mention obtenue au bac.
La réussite en licence est en hausse malgré une augmentation démographique importante entre 2010 et 2022 : le nombre d'étudiants inscrits est passé de 572 000 à 714 000 sur cette période, soit plus de 142 000 étudiants supplémentaires, et le taux de passage en deuxième année a augmenté de 10 points entre 2017 et 2021. Cette augmentation est en partie due à un meilleur travail sur l'orientation des étudiants titulaires d'un baccalauréat technologique ou professionnel dans les formations mieux adaptées à leur cursus, où ces étudiants réussissent beaucoup plus qu'en licence générale : en 2018, 57,8 % des bacheliers technologiques réussissaient leur première année de DUT et 76,4 % leur première année de BTS, tandis que le taux de passage en L2 n'était que de 15 %.
Ces différents taux de réussite ou de passage dans l'année supérieure recouvrent une grande variété de parcours de formation, avec des trajectoires particulières et des situations diverses, qui soulignent le rôle de la licence générale dans le processus d'orientation et de réorientation pour un grand nombre d'étudiants. Nous devons continuer à améliorer l'orientation des élèves en amont du supérieur, prendre en compte les parcours non linéaires et développer la formation tout au long de la vie pour permettre durablement la réussite des étudiants.
Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour les chiffres que vous avez présentés et pour les précautions méthodologiques dont vous les entourez ; ils sont une base de travail, même si nous n'en tirons pas les mêmes conclusions.
Les chiffres indiquent une augmentation mesurée et sensible du taux d'obtention du diplôme et de passage en deuxième année, mais celui-ci varie de manière très importante selon le niveau social. Plus qu'un progrès, que vous attribuez à Parcoursup, je vois là une augmentation manifeste de la sélection et du tri social. Seuls 10,9 % des étudiants du supérieur sont issus des classes ouvrières, et l'Institut des politiques publiques (IPP) a montré que les enfants issus de familles défavorisées avaient cinq fois moins de chances d'obtenir un diplôme du supérieur que ceux des familles très favorisées. De fait, la France figure parmi les pays développés où la mobilité intergénérationnelle est la plus faible.
Vous appelez à se garder des mirages et à instaurer davantage de sélection ; je n'emprunterai pas cette voie. Je reconnais toutefois la nécessité de revaloriser l'enseignement professionnel dès le lycée et de développer les études post-bac de courte durée, du type BTS. Je crois surtout qu'il faut mettre les moyens pour que les bacheliers puissent aller à l'université. Je regarde donc les chiffres avec inquiétude : par rapport à ceux dont je dispose – 10 270 euros par étudiant en 2021 et 12 050 euros en 2013 –, les 9 348 euros annuels par étudiant, tous niveaux confondus, indiquent une dégradation continue. Or la baisse des moyens a toujours des conséquences plus fortes pour les enfants des classes défavorisées, qui travaillent souvent en parallèle de leurs études. Selon moi, l'attention doit se porter sur cette question plutôt que sur une sélection accrue.
La répartition des boursiers par niveau de formation, et en particulier la part des boursiers inscrits en licence, est disponible sur le site du Systèmes d'information et d'études statistiques (SIES).
Le taux de réussite des bacheliers professionnels et technologiques ne s'est pas dégradé ; il est moins bon que celui des bacheliers généraux, mais on constate une amélioration globale du taux de passage de L1 en L2 et du taux de réussite au diplôme. Néanmoins, les bacheliers technologiques et professionnels, lorsqu'ils sont orientés en BTS ou en DUT, réussissent bien mieux qu'en licence classique où leur taux de réussite est extrêmement faible, au point que l'on peut dire que ce n'est pas une question de moyens. Ces étudiants ont, à l'instant T, un profil différent, et leur taux de réussite est bien meilleur lorsqu'ils suivent une formation plus adaptée à leurs prérequis. C'est la raison pour laquelle je suis favorable aux passerelles : quand on a 18 ou 19 ans, perdre un an pour suivre un parcours plus adapté permet de mieux réussir par la suite.
L'article L. 123-2 du code de l'éducation dispose que la mission du service public de l'enseignement supérieur est « la réussite de toutes les étudiantes et de tous les étudiants ». Pourtant, le taux de réussite en trois ans des étudiants en licence s'élève à seulement 36 %. Si l'on y ajoute les étudiants qui réussissent en quatre ans, ils sont moins de la moitié à obtenir leur diplôme. Nous sommes bien loin de l'objectif affiché d'une réussite générale des étudiants. Plus encore, le taux de réussite en France est inférieur à la moyenne de l'OCDE. Ces résultats ne sont pas à la hauteur d'un pays comme le nôtre. Visiblement, le problème tient à l'orientation des élèves et des étudiants du fait de politiques dont l'inefficacité aboutit au gaspillage de l'argent public.
Ne faudrait-il pas adopter un système plus sélectif, comme celui qui existe en Grande-Bretagne ? Cela rendrait service aux étudiants qui, mieux orientés, éviteraient de perdre du temps, et permettrait également d'utiliser plus efficacement les deniers publics, voire de revaloriser les bourses pour les étudiants des classes populaires.
À propos des classes populaires, n'oublions pas les lycéens qui en sont issus et qui ne font pas du tout d'études supérieures, faute de moyens. Avec plus de bourses, ils pourraient y accéder et contribuer à un meilleur taux de réussite de cette catégorie sociale.
Il est contradictoire d'appeler à rapprocher notre système du système anglais tout en souhaitant que plus d'étudiants des classes sociales défavorisées accèdent à l'enseignement supérieur. En Grande-Bretagne, la sélection se fait aussi par l'argent ; nous ne souhaitons pas adopter ce modèle.
La priorité donnée à la réussite en premier cycle s'est traduite dans la loi ORE, qui visait à adapter les parcours au profil des étudiants. La création des BUT en remplacement des DUT est ainsi née du constat que plus de 85 % des étudiants de DUT poursuivaient leurs études. La nouveauté des BUT, qui sont des diplômes obtenus en trois ans, c'est qu'ils ouvrent aussi bien une voie d'insertion dans le milieu professionnel, pour répondre aux besoins en techniciens supérieurs, qu'une voie de poursuite d'études. En conséquence, les chiffres augmentent de façon non négligeable : le taux de réussite en trois ans a augmenté de 7 points.
Au total, nous avons revu les objectifs des formations et travaillé, en partenariat avec le ministère de l'éducation nationale, à améliorer l'orientation et à proposer des passerelles adaptées aux parcours non linéaires des étudiants. Je crois beaucoup à la formation tout au long de la vie : au lieu de viser l'obtention d'un master ou d'un diplôme d'ingénieur en cinq ans, nous devons inciter les étudiants à sortir des études au niveau bac ou bac+3 en leur permettant de revenir, après trois à cinq ans d'expérience professionnelle, pour obtenir un diplôme supérieur par la validation des acquis de l'expérience ou par des compléments de diplôme.
Vous avez tempéré l'échec en creux que le taux de 49 % de réussite en licence représente en précisant que seulement 22 % des étudiants sortaient sans diplôme. C'est encore beaucoup – près d'un étudiant sur quatre –, même si les autres pays de l'OCDE font moins bien. Derrière les décrochages, il y a la question de l'orientation, on l'a vu, mais n'y a-t-il pas aussi un problème d'impréparation à l'environnement universitaire, complètement différent de celui du lycée ?
Si je partage votre point de vue concernant la formation continue, il me semble difficile de faire passer les jeunes dans le monde de l'entreprise immédiatement après le baccalauréat. Cette formation très générale ne correspond pas aux attentes des entreprises.
Je pensais moins aux bacheliers généraux qu'aux bacheliers professionnels, pour lesquels nous avons créé des diplômes bac+1 au sein des lycées et des universités, pour faciliter le passage vers les entreprises grâce à un accompagnement et à l'acquisition de compétences supplémentaires. Plusieurs formations de ce type ont été créées.
Je suis d'accord pour dire que l'orientation va de pair avec la préparation. Le diplôme universitaire (DU) Paréo est ainsi une année transitoire qui sert à formaliser le projet professionnel de l'étudiant, car un étudiant qui sait ce qu'il veut faire a déjà effectué 70 % du chemin vers la réussite. À 18 ans, beaucoup d'étudiants ne savent pas pourquoi ils sont là, soit parce qu'ils n'ont pas eu le choix, soit parce qu'ils n'ont pas la maturité nécessaire ; nous devons les aider à construire leur projet. L'année Paréo leur enseigne une méthodologie de travail qui leur permet d'atteindre l'autonomie, mais aussi d'affiner leur futur projet, que ce soit à l'université, en DUT, en BTS ou ailleurs – j'ai rencontré des étudiants qui s'étaient orientés vers des professions comme celle de verrier et qui en étaient très heureux.
Depuis 2018, la loi pose le principe que l'évaluation des étudiants en fin de licence doit porter non plus sur les connaissances, mais sur les compétences acquises. Certaines universités ont défini des programmes qui permettent une approche par les compétences – je pense au modèle de formation expérimentale Prélude proposé conjointement par l'Université polytechnique de Valenciennes et par l'Université catholique de Lille. Que comptez-vous faire pour encourager ce mouvement ?
Dans quelle mesure peut-on apprécier le lien entre la qualité de la formation en licence et l'insertion dans la formation en master ? Est-il possible d'établir un lien, dès l'étape de la licence, entre la qualité de la formation sanctionnée par ce diplôme et la formation professionnelle ? L'évaluation finale ne doit-elle pas s'accompagner d'une évaluation en cours d'études de la qualité de la maîtrise de l'expression écrite et orale, qui pose parfois problème ?
Certaines universités qui ont répondu à l'appel à projets sur les nouveaux cursus universitaires (NCU) ont développé une approche par compétences. Celle-ci se fait à plusieurs niveaux : d'une part, en définissant la formation en blocs de compétences ; d'autre part, en fixant le mode d'évaluation de ces compétences. Cette deuxième étape est encore peu développée, même dans les formations définies par blocs de compétences. Nous devons y travailler à l'échelle des formations plutôt que des établissements.
L'évaluation des compétences et celle des connaissances ne sont pas antinomiques. Nous devons continuer de travailler à tous les niveaux, en premier cycle comme en master, pour les développer.
Monsieur le rapporteur, la troisième partie de votre rapport d'information présente le renforcement des conditions de la réussite étudiante comme reposant en priorité sur des leviers académiques. Je partage l'idée que la réussite se prépare en amont. Elle est, selon nous, le fruit d'un continuum de bac–3 à bac+3. Il est donc nécessaire de l'appréhender dès le lycée pour favoriser l'orientation et la réussite de tous les étudiants.
Je partage également la nécessité d'encourager l'orientation des lycéens vers des formations courtes et professionnalisantes. À cet égard, les modèles scandinaves pourraient être utiles à notre trajectoire d'enseignement supérieur professionnel. L'ouverture de crédits dédiés à la professionnalisation doit être un premier pas vers la valorisation de celle-ci. La vocation initiale des formations professionnelles est actuellement détournée par les étudiants en mal d'orientation, qui se dirigent vers celles-ci par défaut pour ensuite poursuivre en master.
Pourriez-vous indiquer à quels dispositifs concrets vous pensez lorsque vous parlez de redonner sa valeur au baccalauréat ? Quelle place voyez-vous pour les formations professionnalisantes dans le système actuel de l'enseignement supérieur ?
Je suis évidemment d'accord avec l'idée que toutes les formations, en particulier les formations professionnalisantes, ont trop longtemps été choisies par défaut, à tous les niveaux. En master, ou plutôt en licence pro, ou anciennement en DUT, on a observé un certain détournement, cette dernière filière en particulier, puisqu'elle est sélective, étant davantage utilisée comme poursuite d'études que comme formation des techniciens dont nous avions besoin.
Une revalorisation s'impose donc à tous les niveaux. Bac pro ou licences pro doivent offrir, non seulement une insertion professionnelle, mais aussi une possibilité de se projeter dans des évolutions de carrière en revenant acquérir des compétences, par exemple par validation des acquis de l'expérience. Il faut développer de telles possibilités en complément de l'orientation. Mais il faut aussi des passerelles permettant des remises à niveau et des années de transition permettant d'ajuster les prérequis à la poursuite d'études.
Nous vivons à une époque où nous devons gérer, voire valoriser, les parcours non linéaires, valoriser l'insertion et permettre le retour aux études et l'acquisition de connaissances et de compétences.
Je remercie ma collègue socialiste d'avoir abordé ce thème, qui était le message principal que je souhaitais exprimer dans le cadre de ce travail d'évaluation. Après avoir procédé à une dizaine d'auditions sur ce sujet, j'ai la conviction que les problèmes d'orientation et d'échec que nous avons à traiter au moment de la licence tiennent à tous ceux qui n'ont pas été traités ou qui l'ont mal été auparavant, en particulier au lycée.
C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que nous parlions aussi du baccalauréat. À titre personnel, je pense que le modèle que la France a adopté depuis une trentaine d'années, avec pour objectif « 80 % d'une classe d'âge au bac », selon la fameuse formule de Lionel Jospin en son temps, a aussi de nombreux effets néfastes. La société française s'est en quelque sorte acheté une bonne conscience en donnant à quasiment tout le monde le bac et la possibilité d'entrer à l'université, mais c'est au prix d'importants dégâts, car un très grand nombre de jeunes vont à l'université en n'ayant pas le niveau pour y être – je l'ai entendu dire par des présidents d'université – ou en n'étant pas au bon endroit. Tout cela a des incidences budgétaires mais, à la limite, si ce n'était que cela, ce ne serait pas très grave. Or cela a aussi des incidences psychologiques et sociales déplorables pour la société française.
J'ai observé des progrès depuis quelques années, avec des dispositifs inventés notamment par les présidents d'université depuis la loi ORE. On sait un peu mieux appliquer des traitements individualisés en licence et offrir des parcours adaptés à des étudiants en difficulté. Reste cependant une donnée structurelle : des étudiants qui ont le baccalauréat peuvent facialement entrer à l'université, sans que l'on sache pour autant où ils vont aller. Il y a quelque chose d'hypocrite dans ce système.
Si nous voulons vraiment nous efforcer de résoudre le problème pour qu'un plus grand nombre de jeunes soient mieux orientés et se sentent mieux, sans perdre leur temps dans des formations qui les découragent et les rendent malheureux, nous allons devoir nous interroger sur la manière dont fonctionnent le lycée et le baccalauréat depuis trente ans.
Peut-être va-t-il falloir rendre le baccalauréat un peu plus difficile, et c'est du reste le sens de certaines des annonces faites par le ministère de l'éducation, qui envisage de ne plus apporter de correctifs aux notes, c'est-à-dire de ne plus donner le bac à des gens qui ne l'ont pas obtenu à l'examen. Nous pourrons avoir à ce sujet un beau débat dans la suite de la législature, mais je n'exprime ici qu'un avis personnel.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 21 mai 2024 à 21 heures
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Philippe Brun, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Fabien Di Filippo, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, M. Emmanuel Mandon, M. Benoit Mournet, M. Alexandre Sabatou, M. Emeric Salmon, M. Nicolas Sansu, M. Charles Sitzenstuhl
Excusés. - M. Manuel Bompard, M. Joël Giraud, M. Tematai Le Gayic, Mme Constance Le Grip, M. Jean-Paul Mattei, Mme Christine Pires Beaune
Assistaient également à la réunion. - M. Idir Boumertit, Mme Fatiha Keloua Hachi, M. Éric Pauget, M. Léo Walter, M. Jean-Luc Warsmann