La séance est ouverte à neuf heures cinq.
La commission auditionne M. Bernard Laporte, ancien président de la Fédération française de rugby (FFR).
Mes chers collègues, nous auditionnons M. Bernard Laporte, ancien secrétaire d'État chargé des sports, ancien président de la Fédération française de rugby (FFR). Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité.
La commission d'enquête relative à l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif en tant qu'elles ont délégation de service public (DSP) a entamé ses travaux le 20 juillet dernier. Ils suivent trois axes : les violences physiques, sexuelles et psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales ; les problèmes de gouvernance financière des organismes de gouvernance du mouvement sportif.
Monsieur le ministre, vous avez commencé votre carrière au sein du club de rugby à quinze Union athlétique gaillacoise et l'avez poursuivie au sein du club athlétique Bordeaux Bègles Gironde. En 1991, vous mettez fin à votre carrière de joueur et devenez entraîneur du Stade bordelais rugby, puis du Stade français. De 1999 à 2007, vous êtes sélectionneur du XV de France, puis secrétaire d'État chargé des sports dans le gouvernement Fillon 2 du 22 octobre 2007 au 23 juin 2009. Vous êtes élu président de la FFR le 3 décembre 2016.
Le 13 août 2017, le Journal du dimanche indique que vous seriez intervenu auprès de Jean-Daniel Simonet, qui préside la commission d'appel de la FFR, afin que celle-ci examine « avec bienveillance » plusieurs décisions de la commission de discipline de la Ligue nationale de rugby (LNR) relative au club Montpellier Hérault rugby (MHR). Ce dernier est présidé par Mohed Altrad, homme d'affaires milliardaire, dirigeant du groupe Altrad, entreprise spécialisée dans le bâtiment et travaux publics (BTP). M. Altrad est en relation d'affaires avec vous.
Le 30 août 2017, la ministre des sports annonce l'ouverture d'une enquête, confiée à l'Inspection générale de la jeunesse et des sports (IGJS), sur les pressions présumées exercées par M. Laporte sur la commission d'appel de la FFR. Le 4 décembre 2017, le rapport de l'IGJS est transmis au parquet, en application de l'article 40 du code de procédure pénale, conformément à la recommandation de ses auteurs.
Le 13 décembre 2022, vous-même et Mohed Altrad êtes condamnés par le tribunal correctionnel de Paris. Vous êtes reconnu coupable de corruption et de trafic d'influence, et condamné à deux ans de prison avec sursis et à 75 000 euros d'amende pour avoir rendu plusieurs arbitrages au bénéfice du groupe Altrad, dont l'octroi du sponsoring maillot du XV de France. La présidente du tribunal a justifié la condamnation par la « gravité des faits » et par la « méconnaissance » des « principes de déontologie » que vous aviez la responsabilité d'appliquer. Le tribunal a notamment jugé que « la procédure de mise en concurrence a été conduite afin que seule la société AIA (Altrad) formule une proposition ».
Vous êtes également reconnu coupable d'avoir favorisé à plusieurs reprises le MHR, propriété de Mohed Altrad, notamment en intervenant pour alléger la sanction disciplinaire susmentionnée. M. Altrad est condamné à dix-huit mois de prison avec sursis.
La présidente du tribunal correctionnel de Paris a également prononcé une peine complémentaire d'interdiction d'exercer la fonction de président de FFR pour deux ans, qui ne sera pas exécutée, M. Laporte ayant fait appel. M. Laporte démissionne de sa fonction de vice-président de World Rugby.
Monsieur le ministre, votre condamnation n'ayant pas été confirmée en appel, vous êtes présumé innocent. La ministre des sports, Mme Amélie Oudéa-Castéra, considère que cette condamnation fait obstacle à la poursuite de votre mandat. Le comité d'éthique de la FFR vous a demandé de vous mettre en retrait, ce que vous avez fait en désignant le 6 janvier 2023 un président délégué, M. Patrick Buisson. Le 27 janvier, sur demande du bureau fédéral, vous démissionnez de la fonction de président de la FFR. Le 19 novembre, le président du club Montpellier Hérault rugby, M. Mohed Altrad, vous en nomme directeur.
Notre objet n'est pas de nous substituer à la justice, mais d'identifier d'éventuels dysfonctionnements dans la gouvernance et le contrôle des fédérations. Vous avez été secrétaire d'État aux sports, chargé de la tutelle des fédérations. Dans ces fonctions, avez-vous eu connaissance de faits entrant dans le champ de notre commission d'enquête ? Si oui, lesquels ? Comment y avez-vous réagi ? Qu'avez-vous mis en œuvre en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), de lutte contre les discriminations et le racisme, ainsi que de renforcement de l'éthique et de la probité du mouvement sportif ?
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Bernard Laporte prête serment.)
Lorsque j'étais secrétaire d'État, j'ai eu connaissance d'un fait relevant du racisme, à l'encontre d'un joueur du club de football de Valenciennes. Je me suis rendu à son domicile pour discuter avec lui, et d'abord pour le réconforter, car il en était très affecté. Quant aux mesures prises par moi-même ou mes prédécesseurs pour lutter contre les VSS et le racisme, quinze ans après avoir quitté mes fonctions, je n'en ai pas de souvenir précis.
Je me souviens en revanche de l'agression verbale de Laure Manaudou par un ancien compagnon juste avant le départ d'une compétition, pour la déstabiliser. Le président Sarkozy et moi-même l'avons reçue et sommes intervenus auprès du Comité olympique national italien (Coni) pour lui demander de prendre des mesures afin que semblable fait ne se reproduise point.
À défaut de faits précis, receviez-vous des alertes du mouvement sportif et des fédérations au sujet des VSS ? Celles-ci faisaient-elles partie des axes de travail identifiés ou a-t-il fallu attendre le livre de Sarah Abitbol pour que tel soit le cas ?
Quinze ans après, je n'ai pas de souvenir précis. Ce qui est certain, c'est que le livre de Sarah Abitbol a provoqué une prise de conscience et nettement fait avancer les choses. Mes prédécesseurs travaillaient sur ces questions mais, si nous ne sommes pas partis d'une page blanche, je n'ai pas souvenir que nous ayons introduit des dispositions législatives pour améliorer les choses. Je l'ai fait au sein de la FFR, mais les cas étaient bien moins nombreux qu'ils ne l'étaient au sein de la Fédération française des sports de glace (FFSG). De façon générale, la parole n'était pas libérée.
Le ministère et les fédérations menaient-ils une réflexion conjointe sur la probité, le racisme et les discriminations au sein du mouvement sportif ?
La réflexion sur les bonnes pratiques a toujours existé, mais nous ne sommes pas allés au-delà des dispositions existantes. Je répète que les cas signalés, à l'époque, étaient rares. La libération de la parole a eu lieu – ce qui est une bonne chose – plus tard.
À défaut de cas confirmés, des bruits couraient-ils au sein du mouvement sportif, notamment au sein de la Fédération française de tennis (FFT), qui auraient pu vous inciter à approfondir la réflexion et les investigations à ce sujet ?
Non. Les faits survenus au sein de la FFT et de la FFSG ont été révélés ultérieurement. Lorsque j'étais aux responsabilités, l'omerta régnait et rien ne nous était signalé.
En 2008, vous avez suggéré d'infliger des amendes aux clubs dont les supporters font preuve de racisme. Pouvez-vous préciser votre position ?
Il s'agissait de responsabiliser les clubs, qui sont plus à même de traiter ces problèmes que le ministère ne l'est depuis Paris. À la FFR, nous avons décentralisé le traitement du problème, car il part d'en bas. Il faut notamment former les gens et faire en sorte que les victimes puissent signaler les faits.
En juillet 2009, le président de la FFT a été reconnu coupable de prise illégale d'intérêts après avoir cumulé des emplois salariés à la FFT et à TF1, maison mère d'Eurosport, qui retransmettait les matchs de tennis. Vous avez quitté vos fonctions à ce moment, mais le procès était en cours lorsque vous étiez en poste. Cette affaire vous a-t-elle incité à vous pencher sur la question de la probité au sein des fédérations sportives ?
Nous avons attendu que la condamnation soit définitive.
L'ouverture d'un procès pour prise illégale d'intérêts ne vous a-t-elle pas semblé un motif suffisant d'envisager un renforcement des contrôles des fédérations et de vous pencher sur la probité au sein du mouvement sportif ?
Le mois dernier, nous avons demandé à M. Éric Borghini, membre du comité exécutif (Comex) de la Fédération française de football (FFF), s'il comprenait que la nomination de Noël Le Graët à la tête du bureau parisien de la Fifa ait pu choquer l'opinion publique et être perçue comme un signe d'impunité. Nous lui avons demandé si cette nomination était de nature à donner une bonne image du football français.
Nous vous posons la même question : pensez-vous que la nomination comme directeur d'un club de rugby d'un homme condamné en première instance pour corruption, trafic d'influence et trafic d'intérêt soit de nature à donner une bonne image du rugby ? Vous avez déclaré : « Si je comprends que mon retour agace ? Non. Il agace les cons mais des cons, il y en a partout et ceux-là ne m'intéressent pas. » Maintenez-vous ces propos ?
Qu'ai-je fait de mal ? La loi ne m'interdit pas de diriger un club de rugby, comme je l'ai évidemment vérifié avec mon avocat avant de signer. Des jaloux et des aigris, il y en a toujours. Ils ne m'intéressent pas. Je n'ai qu'une vie ; je n'ai pas envie de la passer à dire à ceux qui critiquent qu'ils ont tort ou raison. Si je ne pouvais pas exercer la fonction de directeur d'un club de rugby, je ne le ferais pas. Dès lors que rien ne m'en empêche, j'ai accepté le défi d'aider, jusqu'au mois de juin prochain, un club qui est en difficulté.
Je ne vois pas en quoi. Dois-je cesser toute activité et rester à la maison ?
J'aurais pu y rester, dès lors que je suis présumé innocent. J'ai démissionné pour des raisons personnelles.
En août 2017, le Journal du dimanche révèle que vous seriez intervenu auprès de Jean-Daniel Simonet, président de la commission d'appel de la FFR, afin que celle-ci examine « avec bienveillance » plusieurs décisions de la commission de discipline de la LNR relatives au club Montpellier Hérault rugby. L'amende infligée au club a été ramenée de 70 000 à 20 000 euros au lendemain de votre intervention.
Or la société BL Communication, que vous dirigez, a signé, le 19 février 2017, un contrat de droit à l'image avec la société AIA, dirigée par Mohed Altrad. En tant que président de la FFR, il vous appartenait de veiller à l'application du règlement disciplinaire, lequel prévoit que les membres des organes disciplinaires se prononcent en toute indépendance et ne peuvent recevoir d'instructions. Concevez-vous qu'un tel appel téléphonique, compte tenu de vos relations d'affaires avec la société AIA, puisse être considéré comme relevant du trafic d'influence ?
Vous me permettrez de ne pas répondre à cette question, l'instruction judiciaire étant en cours. Mon avocat vous a adressé un courriel à ce sujet. Au demeurant, j'ai répondu à cette question au tribunal. Je n'ai rien à cacher.
Comment les règlements disciplinaires étaient-ils appliqués ? Qui les faisait respecter au sein de la FFR ?
Le secrétaire général de la FFR.
J'étais président bénévole. Je donnais les grands axes et lignes politiques. Les élus et les salariés de la FFR se chargeaient de leur application. Mon rôle était surtout de représentation.
Mon principal chantier était de redonner vie à nos équipes de France, notamment à l'équipe masculine, huitième mondiale à l'époque, sans laquelle la FFR n'a pas de budget, qu'elle alimente à hauteur de 85 %. Ma principale préoccupation était d'en refaire un moteur du développement du rugby amateur, ce qui supposait de trouver en nombre des partenaires disposés à l'accompagner.
Elle l'est par le secrétaire général, avec lequel j'en discutais régulièrement.
S'agissant du contrat de partenariat maillot signé entre la FFR et la société AIA, nous souhaitons que vous réagissiez aux propos tenus par M. Laurent Gabbanini, directeur général de la FFR. Il estime que le partenariat a été réputé et jugé conforme et au juste prix. Il n'a absolument pas été remis en question dans le cadre de votre procès. La FFR ne pouvait pas le dénoncer, puisqu'il a été conclu en totale conformité, dans les règles du droit et de la concurrence et au juste prix.
Or, d'après un extrait du jugement ayant largement circulé dans la presse, « la procédure de mise en concurrence a été réduite afin que seule la société AIA formule une proposition ». La procédure de mise en concurrence du contrat de sponsoring maillot et sa conclusion ont-elles été mises en cause au cours du procès ?
Je n'évoquerai pas cette affaire, l'instruction judiciaire étant en cours.
Nous ne vous demandons pas de vous prononcer sur la procédure en cours, mais sur l'extrait du jugement ayant circulé dans la presse et sur ce qu'en dit M. Gabbanini.
Le jugement précise que la valeur du sponsoring maillot était conforme au prix du marché. Lorsque ce partenariat a été signé, nous étions entre la sixième et la huitième place. Aujourd'hui, même éliminée de la Coupe du monde en quart de finale, l'équipe de France est redevenue l'une des quatre meilleures du monde. Le prix n'est sans doute plus le même. À l'époque, croyez-moi, personne ne se précipitait pour sponsoriser le maillot du XV de France.
Vous dites donc que la phrase « La procédure de mise en concurrence a été conduite afin que seule la société AIA formule une proposition » ne figure pas dans le jugement.
Non, je dis que nous contestons cette affirmation.
Je vous répondrai en fin de matinée !
Pouvez-vous préciser les conditions dans lesquelles ce contrat de partenariat a été conclu en 2018 ? Comment, en tant que président de la FFR, avez-vous veillé à la bonne application des règles de concurrence, de transparence et de publicité de la procédure ? Les partenaires majeurs de la FFR ont-ils été tous consultés dans de bonnes conditions et en même temps ?
J'ai déjà indiqué que je ne répondrai pas aux questions relatives à la procédure en cours, dans le cadre de laquelle j'ai déjà fait connaître mes réponses.
De façon générale, comment avez-vous veillé à la bonne application des règles de concurrence et de transparence lors de la conclusion de contrats ?
La FFR n'a pas de pouvoir adjudicateur. Elle n'est pas obligée de lancer des appels d'offres. Nous l'avons fait pour le sponsoring maillot car seul un partenaire était retenu – désormais, ils sont trois, leurs noms figurant sur l'avant et l'arrière du maillot ainsi que sur le short.
Malheureusement, il n'y avait pas pléthore de partenaires se disputant la place. Le dernier auquel j'ai eu affaire était le groupe Casino. Si la cellule commerciale est chargée de développer les relations avec les partenaires, il va de soi que le président rencontre ceux qui se présentent et discute avec eux. Nous sommes toujours ravis qu'un partenaire se manifeste, non seulement pour financer le rugby professionnel, mais aussi et surtout pour accompagner le monde amateur. Sans moyens financiers, il n'y a rien à déployer.
Comme tout un chacun, j'ai un réseau de relations, que j'ai utilisé pour aller à la rencontre des dirigeants d'entreprise et leur demander si nous accompagner les intéressait. Certains m'ont répondu oui, d'autres non.
Par ailleurs, notre cellule commerciale fait du bon travail. Dans le cas de Casino, son responsable m'a dit un jour : « Casino a manifesté son intérêt pour un partenariat avec la FFR, à hauteur de tant, avec tels souhaits. » J'ai donc rencontré la directrice de la communication de Casino qui m'a confirmé la volonté du groupe de nous accompagner, ce dont nous étions ravis. C'est aussi simple que cela. La FFR a six partenaires majeurs ; pour les autres, elle procède sans appel d'offres. Vient qui veut, et plus ils seront, mieux nous nous porterons.
À mon arrivée, il était de 106 millions d'euros ; à mon départ, de 133 millions.
Pour les partenaires majeurs, le socle commun est de 3,2 millions d'euros, augmenté des avantages dont ils bénéficient. Pour les autres, les sommes vont de 200 000 à 1,5 million, en fonction des avantages octroyés.
Notamment. Il y a de tout.
Même si ce sont les deux, je préfère le terme de partenariat, puisque les partenaires en tirent de la visibilité – certains plus que d'autres.
Oui, mais pour moi, c'est partenariat et sponsoring. J'aime beaucoup le terme de partenariat parce qu'il montre une certaine fidélité. Nous avons la chance, à la Fédération, d'avoir des partenaires qui nous accompagnent depuis plus de trente ans : GMF, la Société générale, Orange dans une moindre mesure. Nous en sommes fiers.
Les 3,2 millions du socle incluent les places, je vous rassure.
En septembre 2022, la FFR a recruté un directeur de contrôle de gestion qui a lancé un audit des achats. Pouvez-vous nous exposer les raisons pour lesquelles vous avez souhaité cet audit ? Des dysfonctionnements liés au processus des achats avaient-ils été constatés ?
Nous avons eu un contrôle de l'AFA (Agence française anticorruption) en 2020 ou 2021, qui a donné lieu à certaines préconisations. Notre directeur général, Laurent Gabbanini, a fait en sorte d'aller dans leur sens en nommant ce directeur.
Ils ont dû arriver après mon départ : je suis parti trois mois après. Mais l'audit avait été fait par l'AFA, qui avait formulé des préconisations. Des contrôles, on en a eu en permanence ; que je sache, les retours ont toujours été très bons, notamment après le dernier contrôle, celui de la mission d'inspection générale, en mars, avril et mai derniers, je crois – je n'étais plus là. Il n'y a pas eu de restitution écrite, mais, oralement, la conclusion était sinon un satisfecit – ce serait prétentieux de le dire ainsi –, du moins la reconnaissance d'une bonne gestion. J'ai une confiance totale en Laurent Gabbanini, qui est un directeur général extraordinaire.
En juin 2022, le tribunal administratif de Versailles, saisi par les dirigeants d'un club varois, a jugé illégal le refus de la FFR de communiquer des documents comptables. La FFR ne s'était pas conformée à la décision de la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), ce qui avait contraint les dirigeants de ce club à porter l'affaire devant la justice administrative.
Florian Grill, le président actuel de la FFR, nous a informés lors de son audition avoir demandé qu'une suite positive soit donnée à ce type de requête, dans un souci de transparence financière. Cela constitue un changement de doctrine par rapport à votre présidence. Pourquoi avoir refusé la transparence financière vis-à-vis des clubs de rugby ?
Ce ne sont pas des clubs de rugby, mais des ligues professionnelles.
De plus, c'est faux. Tout est transparent. Les ligues doivent transmettre leur bilan annuel – bilan financier, rapport moral – à la FFR et tout est contrôlé. Ce n'est pas moi qui ai instauré cette façon de faire : elle a toujours existé. Ce qui s'est passé dans le cas de la ligue Paca (Provence-Alpes-Côte d'Azur) – car vous parlez du Var, mais c'est d'elle qu'il s'agit – relevait, si j'ai bien compris, d'affaires internes : des gens, apparemment sous l'influence de M. Grill, n'arrêtaient pas de les harceler.
C'est le tribunal administratif qui a jugé illégal le refus de la FFR de communiquer les documents. Il y avait donc bien un problème.
Est-ce qu'ils les ont transmis après ?
À partir du moment où il a été président, M. Grill a demandé qu'une suite favorable soit donnée à cette demande. Jusqu'à son arrivée, ce n'était pas le cas, malgré la décision du tribunal.
Si vous le dites. Je me rappelle un peu de ce problème. Nous, nous avions les comptes. Nous savions que tout était légal, transparent. S'ils ont été transmis, tant mieux. Depuis, je n'ai pas entendu parler de quoi que ce soit d'illégal au sein de la ligue Paca.
La question n'est pas de savoir si les comptes étaient illégaux ou problématiques, mais de comprendre pourquoi un club ou une ligue estime qu'il faut aller jusqu'à saisir la justice pour obtenir des documents de comptabilité de la Fédération. Il y avait un refus de communiquer les documents.
Ils ont été transmis : qu'on les analyse et qu'on dise ce qui ne va pas. Je le répète, au sein de la ligue Paca, il y avait beaucoup de problèmes internes avec des licenciés, qui étaient commandités, il faut le dire, pour essayer de déstabiliser cette ligue ; elle a tenu bon et, je le répète, je n'ai pas entendu parler de quoi que ce soit d'illégal.
Peut-être qu'il n'y a rien d'illégal dans les documents comptables, mais le tribunal administratif a jugé illégal le refus de la FFR de communiquer ces documents.
Vous nous avez dit qu'il n'y avait pas d'obligation de lancer des appels d'offres dans le cas précité. Dans quels cas estimez-vous qu'une fédération doive faire un appel d'offres ?
Pour le sponsoring maillots, le plus visible. Quand on figure sur les maillots, on est le sponsor majeur de la Fédération.
Vous avez l'impression qu'il y a pléthore de partenaires, mais, en réalité, il faut aller les chercher avec les dents ! Ils ne se battent pas pour conclure un partenariat ; les appels d'offres n'y changeront rien. Pour le sponsoring maillots, il n'y en a finalement qu'un seul qui a voulu payer. Et je vois qu'ils ont reconduit le même. S'il y avait eu plusieurs prétendants, ils auraient pris le plus offrant, certainement un autre.
Dans l'affaire de la ligue Paca, s'il n'y avait rien à cacher, pourquoi n'avez-vous pas donné les documents ? Était-ce une demande du président de la ligue Paca ? Aviez-vous des craintes ? Il est tout de même étonnant de ne pas avoir suivi l'injonction d'un tribunal.
Je vais vous dire la vérité. Vous avez entièrement raison. Je n'étais pas au courant du fait que nous n'avions pas transmis ces documents. Je me souviens que le tribunal de Versailles nous a dit que c'était illégal. Mais je n'ai pas suivi l'affaire ensuite, je n'ai pas su s'ils avaient été transmis ou non. Maintenant, cela a été fait : il va être possible de les regarder en détail.
Vous étiez encore président de la FFR au moment de la première sélection de Bastien Chalureau, le 12 novembre 2022, qui a fait, vous le savez, beaucoup de bruit avant la Coupe du monde, et un peu pendant. Ce sont d'abord des acteurs du monde du rugby qui se sont émus de cette sélection alors qu'il était visé par une affaire en cours pour des faits de violence à caractère raciste. Le procès en appel vient d'avoir lieu ; le jugement sera bientôt rendu.
Comment se fait-il qu'au moment où M. Chalureau a été sélectionné, on ne se soit pas dit, au sein de la Fédération française de rugby, que son cas allait donner lieu à des discussions ou à des interrogations légitimes dans le monde du rugby ou dans les médias ? Et les victimes potentielles ? Avant-hier, M. Yannick Larguet, l'un des plaignants, a témoigné. Pourquoi la Fédération n'avait-elle pas instauré un dispositif pour expliquer la sélection, discuter avec le joueur en amont pour savoir ce qu'il en était de la procédure et de son état d'esprit, mais aussi pour communiquer à propos de l'importance pour la FFR de lutter contre le racisme ? Lui nie la caractérisation raciste de l'agression ; c'est son droit ; à ce stade, il est présumé innocent. Mais ne pouvait-on montrer que la FFR était volontariste dans ce domaine ?
Plus largement, vous avez dit que c'était aux clubs de prendre leurs responsabilités en matière de racisme. Nous sommes d'accord. Il faut relever que le Stade toulousain, à l'époque, a fait preuve de célérité et d'exemplarité dans la gestion de l'affaire, à en croire les deux victimes des coups. Au niveau de la FFR, quelle a été votre action ? Une revue de presse montre qu'en 2023, il a été fait état presque tous les week-ends de faits de racisme visant des joueurs de rugby, qu'ils viennent de supporters ou se produisent sur le terrain, ou encore touchant des arbitres.
Vous avez soulevé ce problème durant la Coupe du monde ; pourquoi, vous-même, ne pas l'avoir fait dès novembre 2022 ?
Je suis toulousain, mais j'ai un petit penchant pour le foot. Je n'ai pas analysé le CV et le passif de chaque joueur de rugby sélectionné pour un test-match contre l'Afrique du Sud, et je ne suis pas le seul.
La réponse à votre question, c'est la présomption d'innocence. C'est aussi simple que ça.
Quand Fabien Galthié a sélectionné Bastien Chalureau, tout le monde, bien sûr, était au courant de ce qui s'était passé : le rugby est un microcosme. C'était une affaire non pas interne, puisque les victimes ne jouaient pas au Stade toulousain, mais entre gens qui habitent au même endroit, venant de clubs voisins. Vous avez raison au sujet du Stade toulousain : il a bien fait de prendre la décision qu'il a prise à ce moment-là.
Mais imaginez qu'on ne sélectionne pas le joueur et que, finalement, il n'y ait rien. Ou alors il faut supprimer la présomption d'innocence !
J'étais comme vous quand Fabien a sélectionné Bastien Chalureau. À ce moment-là, j'étais en Nouvelle-Zélande, aux phases finales de la Coupe du monde féminine : je n'étais pas en France de tout le mois de novembre et je n'y ai pas vu de matchs. J'avais entendu parler du cas Chalureau, il faut dire les choses comme elles sont, mais pas dans les détails. Et en vertu de la présomption d'innocence, tant qu'il n'est pas condamné, tant qu'il n'est pas interdit de jouer pour l'équipe de France, c'est difficile pour un sélectionneur de décider de ne pas le prendre.
Quant à ce que nous avons mis en place – vous en avez déjà parlé avec Laurent Gabbanini, je crois –, nous sommes une fédération modèle : C3PR (cellule de prévention et de protection des populations du rugby), action de Laëtitia Pachoud, l'élue chargée des violences… Tout le monde nous le dit. Nous sommes la seule fédération à avoir instauré une commission antidiscriminations et égalité de traitement (Cadet).
Je l'ai créée parce que j'ai été confronté à un cas. Une fille transgenre est venue me voir et m'a dit qu'on lui interdisait de jouer au rugby. Et, en effet, World Rugby, dont j'étais membre, disait « interdiction de jouer pour les transgenres ». Ça m'a heurté : je ne comprenais pas pourquoi. Je me suis appuyé sur J.-B. Moles, docteur en sciences des sports à Montpellier ; il est lui-même transgenre, donc il connaît parfaitement le truc ; il m'a dit : « Bernard, c'est pas possible, on ne peut pas interdire. » J'étais démuni, j'ai dit : « Comment on fait ? » Je n'avais pas les compétences pour créer la Cadet. Il m'a dit ce qu'il fallait faire, je lui ai répondu qu'il fallait qu'il le fasse lui-même, car personne n'en était plus capable que lui au sein de la Fédération. Il a donc créé cette entité. Et maintenant, toutes les fédérations nous reprennent l'idée. On a donné l'autorisation de jouer à la personne dont je parlais. Au début, il y avait trois transgenres ; aujourd'hui, il y en a beaucoup plus. J'en suis fier, comme je suis fier du travail de J.-B. Moles. Le tournoi inclusif « Rugby is my Pride » organisé durant la Coupe du monde, réunissant des équipes qui viennent du monde entier, c'est nous qui l'avons lancé !
Bref, nous faisons le maximum pour lutter contre le racisme, l'homophobie, etc.
En ce qui concerne l'affaire Chalureau, mon propos n'est pas de dire que M. Chalureau ne devait pas être sélectionné. Vous avez raison, il était présumé innocent. Vous l'avez dit, le rugby est un microcosme, et j'ai moi-même appris l'affaire par des amateurs de rugby qui m'ont alerté à la veille de la Coupe du monde. À partir du moment où on décide de sélectionner un joueur dont on sait qu'il est partie prenante d'une affaire qui remet en cause sa probité – en l'occurrence, il est question de racisme, mais il y a eu une autre affaire, concernant un autre joueur, où il s'agissait de violences conjugales –, il me semblerait normal que la Fédération fasse une communication à ce sujet. Ne serait-ce que parce que le joueur peut avoir changé, s'être investi, avoir des choses à dire… Or, en novembre 2022, cela n'a pas été le cas.
Quant aux actions que vous avez menées, il y en a certainement eu beaucoup, mais, visiblement, pas assez. En octobre, le match entre l'entente Fleury-Salles-Coursan et le Foyer laïque du Haut-Vernet s'est terminé en bagarre générale et des insultes racistes ont été proférées à l'encontre des joueurs du second club. Récemment, nous avons auditionné M. Bakary Meité qui, comme entraîneur, a été victime d'insultes racistes de la part de son entraîneur adjoint et n'a alors eu aucune écoute de la part de la Fédération française de rugby. Le problème demeure à l'état latent et resurgit de manière récurrente, et cela empêche de jouer au rugby sereinement quelle que soit son origine sociale, raciale, etc. Avez-vous des pistes pour que cela cesse ?
Vous avez raison, mais le risque zéro n'existe pas, malheureusement. Ce n'est pas parce que l'on met des choses en place que les problèmes de racisme disparaissent immédiatement. C'est comme la lutte contre l'antisémitisme : vous croyez que parce qu'on va faire une loi, il n'y aura plus d'actes antisémites ? Ce qu'il faut, c'est en combattre le maximum, créer des outils qui feront qu'il y en aura de moins en moins. Nous avons mis des choses en place sur les terrains ; il faut les appliquer : c'est aussi simple que ça. Mais je ne vous dirai pas « ne vous inquiétez pas, il n'y aura plus d'actes de racisme sur les terrains de rugby » : ce n'est pas possible, hélas. La société est ainsi faite qu'il y a toujours des individus qui se comportent mal. Il faut les exclure, et d'abord les réprimander, les envoyer devant la justice. C'est ce que nous avons fait.
Quant au cas dont vous me parlez, il s'agit d'un joueur professionnel : c'est la Ligue nationale de rugby qui en est chargée, pas la Fédération. Mais je suis surpris que ce joueur ne soit pas au courant de tout ce que la Fédération a fait pour accompagner les victimes de racisme comme lui – en l'occurrence, de la part d'un entraîneur, dans un club, je crois. Je ne dis pas qu'il vous a menti, loin de là, mais je suis étonné.
Fort de votre expérience sur le terrain et comme entraîneur, pensez-vous qu'un stade doit refléter la société et être le lieu d'une expression qui peut parfois être radicale, injurieuse ou diffamatoire, ou qu'il faut au contraire sanctuariser l'enceinte sportive et en exclure toutes les aspérités de notre société au profit d'une démarche commune et positive ? Faut-il aller plus loin dans la recherche, avec les moyens modernes, de ceux qui y causent des troubles pour les poursuivre et les sanctionner ?
La Fédération française de rugby projetait d'avoir son grand stade, à l'image de Twickenham, l'appropriation de l'infrastructure sportive permettant de développer un business model autonome. Cela vous paraît-il pertinent pour améliorer le fonctionnement d'une fédération ?
Sur le premier point, je suis entièrement d'accord avec vous : tolérance zéro ; il faut sanctuariser les stades. On doit y vivre des moments conviviaux, de passion, de respect, pas seulement au rugby, mais dans tous les sports. À partir du moment où quelqu'un se comporte mal, il faut réagir – moi le premier : si je suis au stade et que mon voisin profère des insultes ou tient des propos racistes, je le réprimande : « Mais comment tu te comportes, pourquoi tu parles comme ça ? » C'est aussi ça, le point de départ. Il ne faut pas tout attendre de tout le monde. Il faut sortir ces gens des stades.
Le plus beau des exemples, c'est le football anglais. Je l'adore, mais, il y a vingt ans, c'était insupportable.
J'ai habité pendant dix ans rue Nungesser - et - Coli, près du Parc des princes : j'ai vu des choses… Je me disais : « Mais c'est pas possible, où on est ? » Il fallait des policiers à cheval tellement c'était la guerre, des insultes de partout, bagarre sur bagarre… Je me disais : « C'est pas ça, le sport, quand même. » M. Leproux, qui était président du Paris-Saint-Germain, a fait un travail considérable. Aujourd'hui, quand vous allez au stade, vous allez voir un spectacle, tout est nickel, pas de propos racistes. Quand j'y vais, et je ne suis pas dans la tribune présidentielle, je vois que c'est terminé. J'ai connu l'époque où c'était l'inverse, et où, d'ailleurs, on n'y allait plus. Un jour, en plein Tournoi des six nations, j'ai amené tout le staff de l'équipe de France voir un match ; les mecs m'ont dit : « On ne reviendra plus. »
Le football anglais, c'était pareil. Aujourd'hui, allez à Liverpool, à Chelsea, à Manchester : vous allez dans un lieu de paix, où on va chercher des émotions, du sport ; bien sûr, on est pour une équipe, contre l'autre – c'est ça, le sport –, mais ils ont fait ce qu'il fallait. C'est ce que je défends. Les gens qui se comportent mal, on n'en veut pas.
Quant à votre deuxième question, la première chose que j'ai faite quand j'ai été élu président de la Fédération française de rugby a été d'arrêter cette folie. Sans cela, nous serions sous tutelle. Vous avez lu les bilans de la Fédération française de rugby ? Nous devions rembourser 45 millions par an ! Nous aurions été placés sous tutelle au bout de la première année. S'il y a une chose que j'ai bien faite à la Fédération, c'est cela. C'était impossible, qui plus est à 50 kilomètres de Paris.
Une fédération a besoin de ressources. Où aller en chercher ? C'est exactement pareil pour les clubs, alimentés par des milliardaires : quand ils ne seront plus là, que feront ces clubs ? Il faut construire de la valeur ajoutée pour apporter des revenus additionnels qui puissent remplacer leur apport annuel.
Notre volonté – je suppose que cela reste celle du président actuel – était de stopper le projet de grand stade et de négocier avec le Stade de France une fois que la convention serait terminée, pour devenir partie prenante de la future convention. La location du stade nous coûtait 1 million à 1,1 million par match. L'idée était d'être partie intégrante de la convention, de ne plus payer, d'amener nos matchs et, ensemble, de développer d'autres activités. Mais ce n'est pas notre métier ; il faut donc s'associer à quelqu'un qui sait le faire. Il faudrait que le foot et le rugby reprennent le Stade de France ensemble et dans ces conditions. Cela apporterait les revenus additionnels dont j'ai parlé tout en économisant des frais. Cet argent serait pour le monde amateur, pas pour payer les joueurs ou le monde professionnel.
Nous avons fait beaucoup de réunions à ce sujet – je ne sais pas où les choses en sont maintenant – avec la délégation interministérielle aux grands événements sportifs (Diges), dirigée à l'époque par Jean Castex. Il s'agissait de trouver la meilleure solution pour aider les fédérations à avoir des moyens supplémentaires.
Imaginons que, dans le rugby féminin ou auprès de jeunes enfants, un entraîneur soit accusé de viol sur un joueur ou une joueuse. Vous le laissez en contact avec des jeunes au nom de la présomption d'innocence ou vous le suspendez immédiatement ?
Je le suspends immédiatement. Ça va loin, quand même ! S'il y a viol, ça veut dire qu'il y a un acte, vérifié, … de suite, ce n'est pas possible.
Pourtant, tant qu'on n'est pas condamné, on est présumé innocent. Je fais le lien avec l'affaire Chalureau. Je crois que l'on sous-estime l'importance des propos racistes, d'où les proportions que cela prend. Vous considérez que la présomption d'innocence s'applique dans un cas, mais pas dans l'autre ? C'est juste une question de risque, alors ?
Pour vous dire la vérité, le cas de Bastien Chalureau, je ne le connaissais pas. J'ai appris la situation quand il a été sélectionné, comme vous. Je ne connaissais pas le dossier, je ne l'avais pas étudié. Je ne savais même pas qu'il y avait un procès !
Là, vous me parlez d'un cas avéré – viol, etc. –, qui est sous nos yeux : la sanction est immédiate. Il faut écarter l'éducateur de suite, c'est une évidence.
Lorsqu'on suspend un joueur à titre conservatoire, on ne porte pas atteinte à la présomption d'innocence car on ne se prononce pas sur sa culpabilité. C'est simplement une manière de prendre ses responsabilités et de se prémunir contre le risque que des faits tels que des insultes racistes ou homophobes, ou des VSS, se reproduisent. Lorsqu'on leur a demandé pourquoi elles n'avaient pas pris la pleine mesure des actes commis, certaines fédérations ont mis en avant la présomption d'innocence.
Concernant Bastien Chalureau, c'est le cas. De mémoire, les faits s'étaient déroulés quatre ou cinq ans avant. C'est à ce moment-là qu'il aurait fallu le suspendre.
Diriez-vous qu'aujourd'hui, si un sportif tenait des propos racistes, homophobes, discriminants ou se rendait coupable de VSS, la sanction serait immédiate ?
Il faut distinguer la sphère professionnelle du monde amateur. La fédération ne s'immisce pas dans les compétitions professionnelles. S'il est avéré que des propos racistes ont été tenus, la sanction doit être immédiate : on ne va pas attendre le procès. La présomption d'innocence, en l'occurrence, ne joue pas. C'est l'application du principe de tolérance zéro. Dans le cas dont nous parlons, nous n'étions pas au courant des faits. On m'a dit : il y a eu tel et tel fait, mais je ne savais rien du tout. Avant de porter plainte, il faut quand même avoir des preuves.
De nombreuses personnes ont prôné, au cours de leur audition, la tolérance zéro à l'égard des auteurs de propos et de comportements discriminatoires dans les enceintes sportives. Ça a été le cas, hier, de Vincent Labrune, qui a tenu des propos très proches des vôtres. Toutefois, ces discours n'empêchent pas la persistance des pratiques en question. Nous avons pleinement conscience de la complexité du sujet, mais je m'étonne que, malgré la farouche volonté des dirigeants des fédérations d'éradiquer ces comportements, on n'obtienne pas de résultats. Comment l'expliquez-vous ? D'autres pays, comme l'Angleterre, ont adopté des dispositions pour atteindre les objectifs qu'ils s'étaient fixés. A-t-on un problème particulier, en France ?
Il n'y a jamais le moindre problème de racisme dans les stades de rugby, qu'il s'agisse des matchs de l'équipe de France – masculine, féminine ou des moins de 20 ans – ou entre clubs professionnels. On n'a pas relevé un seul cas au cours des quarante-huit matchs de la Coupe du monde. Il en va, hélas, autrement dans le football. Le risque zéro n'existe pas, à moins de faire comme en Angleterre : mettez toutes les places à 150 euros, vous allez vite éradiquer les problèmes, mais souhaite-t-on priver de matchs tous ceux qui ont peu de moyens et qui se comportent bien ? Les Anglais ont pris leur décision. C'est vous qui votez les lois : faites en sorte que ça ne se passe plus !
Certes, mais vous n'empêcherez pas quelqu'un d'entrer dans un stade pour insulter les gens.
Pour éradiquer le hooliganisme, l'Angleterre a fortement augmenté le prix des places. En ce qui me concerne, je suis opposé à cette mesure, qui est contraire aux valeurs sportives. Je suppose qu'aujourd'hui, puisqu'il n'y a plus de hooligans, ils ont fait redescendre les prix. Par ailleurs, les Anglais ont fait jouer des matchs à midi, ce qui évite les violences consécutives à l'alcoolisation de l'après-midi. En France, des lois existent mais, malheureusement, on peine à juguler ces problèmes, qui sont le fait de minorités.
En Angleterre, ils ont tapé au portefeuille, ce qui a eu ses effets, mais ce n'est vraisemblablement pas un modèle que l'on veut importer en France. Cette commission a vocation à faire un certain nombre de propositions. Or, nous avons des difficultés à passer du constat, bien établi, aux mesures concrètes.
Je crois beaucoup à la communication dans les stades, à la diffusion de messages, à l'image des slogans « Respect » et « No to racism » affichés lors de la Ligue des champions. On pourrait, de la même façon, dire au public : ne tolérez pas que les spectateurs, autour de vous, se comportent mal. Peut-être les gens oseraient-ils, ainsi, interpeller un voisin au comportement inapproprié. La réaction doit d'abord venir de chacun de nous. La diffusion de ces messages de manière continue pendant les matchs – je parle évidemment du monde professionnel – devrait, à mon sens, amener à la retenue. Il n'y a toutefois pas de baguette magique.
On nous dit, depuis trente ou quarante ans, qu'il faut sensibiliser les gens à la question du racisme, mais on voit bien que cela ne fonctionne pas. M. Thuram suggérait, au cours de son audition, que l'on aille beaucoup plus loin, en déconstruisant les mécanismes conduisant au racisme, à l'homophobie et aux discriminations. À cet égard, l'idée consistant à augmenter le prix des billets pourrait laisser penser que seuls les plus précaires et les plus pauvres tiendraient des propos homophobes ou racistes dans les stades. En tout état de cause, je ne pense pas que cette mesure serait susceptible de résoudre notre problème. On assiste à une explosion des phénomènes de violence, de racisme et d'homophobie dans les stades de football, notamment depuis le covid. Il faut manifestement aller bien au-delà des actions de sensibilisation. Cela doit-il, selon vous, passer par l'application de sanctions plus fortes ou, par exemple, par la création d'ateliers de déconstruction ?
Même si l'on n'est pas confronté au phénomène du hooliganisme, je suis entièrement d'accord avec vous sur le fait qu'il faut frapper plus fort. Il convient de prévenir les gens qui se comportent mal qu'ils peuvent être interdits de match et voir leur licence retirée, d'abord pendant un an, puis à vie. Il est évident qu'il faut écarter ces personnes, faute de quoi, on n'arrivera à rien. J'ignorais qu'il y avait une recrudescence de ces violences depuis le covid. Il est vrai que, dans le monde du rugby, nous sommes privilégiés. Il n'y a pas de racisme dans le rugby professionnel, et je n'ai jamais été confronté à un seul cas depuis que j'assiste à des matchs amateurs.
Oui, bien sûr. Cela emmerde tout le monde, d'arrêter un match, mais, au bout d'un moment, il faut bien faire quelque chose. Cela sensibiliserait peut-être les spectateurs qui n'ont pas réagi lorsque leur voisin a tenu des propos racistes. Nous avions dit aux arbitres qu'ils n'hésitent pas à arrêter un match si des propos racistes étaient tenus dans les tribunes. Si cela émane d'un joueur, cela vaut un carton jaune ou un carton rouge.
En tapant « actes racistes matchs de rugby », je vois que la presse relate onze ou douze cas pour la seule année 2023 aux niveaux fédérale 3 à fédérale 1, sans oublier un cas, me semble-t-il, en Pro D2. Je vous rejoins sur le fait que ce sont des cas isolés et qu'on ne peut pas contrôler tout le monde. Cela étant, je voudrais vous faire part d'une initiative locale, qui montre qu'il est possible de faire quelque chose : à Toulouse, un groupe de supporters du TFC (Toulouse football club) a indiqué très clairement qu'il ne tolérerait pas d'insultes racistes en son sein. À mon sens, les fédérations et la puissance publique doivent faire preuve d'exemplarité et engager des actions pour lutter contre ces violences.
Les clubs de supporters sont les premiers concernés. Ils doivent dire clairement que le racisme et toutes les formes de violence feront l'objet d'une tolérance zéro. Je ne dis pas qu'ils ne font rien mais force est de constater que la grande majorité de ces faits concerne les clubs professionnels de football – Vincent Labrune est le premier à le déplorer.
Il a été porté à la connaissance de la commission d'enquête qu'entre 2016 et 2022, la masse salariale de la FFR a considérablement augmenté. Entre les saisons 2016-2017 et 2022-2023, la masse salariale sportive s'est accrue de 72 % et la masse salariale administrative de 30 %, soit une augmentation globale de 52 %. Les effectifs, quant à eux, ont crû de 71 %. Du fait de cette évolution, la FFR présente un résultat d'exploitation déficitaire depuis 2017. M. Grill nous a informés qu'un déficit d'exploitation de l'ordre de 16 millions d'euros était attendu pour la saison 2022-2023. Pouvez-vous revenir sur votre gestion financière de la FFR entre 2017 et 2022 ?
Par ailleurs, un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) s'est interrogé sur le niveau de certaines rémunérations au vu de l'équilibre économique fédéral et du statut d'association à but non lucratif de la FFR. Selon la mission d'inspection, la rémunération de certaines fonctions administratives serait de 30 à 45 % plus élevée que la moyenne constatée dans des entreprises du secteur privé. En 2022, trois entraîneurs percevaient une rémunération avoisinant ou excédant 500 000 euros et quatorze personnes percevaient un salaire de plus de 100 000 euros. Pourquoi avoir maintenu des rémunérations aussi élevées compte tenu des difficultés financières de la FFR ?
Il faut distinguer la partie sportive de la partie administrative. La masse salariale administrative est stable depuis 2017-2018. Lorsque je suis arrivé, le directeur général percevait une rémunération deux fois plus élevée que celle que touche aujourd'hui Laurent Gabbanini – ce n'est pas une critique envers cette personne, qui a effectué un travail considérable pour le rugby français. J'ajoute que certains directeurs généraux, notamment dans le tennis, gagnaient cinq fois plus que M. Gabbanini aujourd'hui. Ce dernier est loin de percevoir 35 000 euros nets mensuels puisque, de mémoire, son salaire est de l'ordre de 100 000 euros, avec 20 000 euros de primes – il s'agit de montants bruts. La FFR est pourtant l'une des grandes fédérations françaises.
S'agissant de la masse salariale sportive, c'est exact, mais cela concerne les activités d'encadrement des équipes de France. Lorsque je suis arrivé, nous avons souhaité renforcer les performances des féminines. À l'époque, leurs entraîneurs étaient rémunérés au temps de présence tandis que, chez les garçons, un certain nombre d'entraîneurs étaient rémunérés à l'année. J'ai souhaité aligner les régimes dans l'objectif de professionnaliser le rugby féminin. Nous avons salarié l'encadrement des féminines et étoffé le staff de nos équipes de France. Nous avons beaucoup investi dans le staff, à partir de 2019, pour renouer avec la victoire et faire revenir les partenaires. Si l'on est passé de 106 à 133 millions, c'est bien pour cette raison, et non pas parce que le président s'appelait Bernard Laporte. Vous évoquez une hausse de 72 % de la masse salariale sportive, mais je pense que le chiffre est encore supérieur. On en est fiers, car cela nous a permis de récupérer des sponsors. Cela a été un pari gagnant.
Nous avons un désaccord avec M. Grill, lorsqu'il dit que l'exceptionnel ne doit pas entrer en compte. Si l'on n'avait pas comptabilisé les produits exceptionnels, on aurait moins redistribué aux clubs. Ces ressources nous ont permis d'équilibrer les comptes. Vous dites que nous sommes en déficit, mais c'est inexact, à moins d'enlever ces produits exceptionnels. Cela étant, je ne m'occupais pas de cela : nous avions évidemment un trésorier, en la personne de M. Martinez, que vous pourriez auditionner. Nous pensions, à terme, renforcer le partenariat des équipes de France pour remplacer ces recettes exceptionnelles, qui émanent du fonds d'investissement CVC, lequel investit dans le Comité des six nations et apporte près de 13 millions par an pendant cinq ans à la FFR.
Confirmez-vous l'existence d'un déficit d'exploitation de l'ordre de 16 millions d'euros, dont M. Grill nous a fait part ? Si l'on comptait les ressources exceptionnelles, cela le ramènerait-il à 3 millions ?
Cela va faire un an que je suis parti : je n'en sais rien. Je ne vais pas vous parler de choses que je ne connais pas. Cela étant, ça me surprend.
L'assemblée générale a eu lieu en juin, elle n'a pas voté un déficit de 16 millions.
M. Grill nous a indiqué qu'un déficit d'exploitation de l'ordre de 16 millions d'euros était attendu pour la saison 2022-2023.
La fédération a tenu son assemblée financière le week-end dernier, je crois. Je n'ai pas entendu ce montant-là. Cela me surprend, mais voilà dix mois que j'ai quitté mes fonctions : je ne vais pas parler de choses que je ne connais pas. Le mieux serait que vous convoquiez le trésorier de l'époque.
Le contrat de délégation conclu le 30 mars 2022 entre le ministère des sports et la FFR ne contient aucune clause sur la transparence financière, les pratiques de bonne gestion ni la modération salariale, alors que la situation financière de la fédération était déjà très dégradée. Cette situation a-t-elle fait l'objet d'échanges avec le ministère des sports lors de la négociation du contrat ?
Des échanges ont certainement eu lieu avec le directeur général et le trésorier, mais pas avec moi.
En votre qualité de président, avez-vous participé à des réunions de travail sur la rédaction de ce contrat de délégation ?
Je n'en ai pas le souvenir.
Ce contrat était reconduit, même s'il comportait des modifications.
Je parle du premier contrat de délégation signé avec le ministère des sports, en mars 2022. Il n'en existait pas auparavant. Y avez-vous contribué ?
Nous en avons parlé, avec notre directeur général, notre trésorier et notre secrétaire général, mais je n'ai pas participé à ces travaux. Ils avaient les coudées franches et me tenaient au courant des choses.
Pouvez-vous revenir sur le déploiement du contrôle d'honorabilité au sein de la FFR ? À votre connaissance, combien de personnes ont-elles été contrôlées en 2021 et en 2022 ?
J'ignore leur nombre exact. Il faudrait croiser les fichiers des ministères de la justice, de l'intérieur et des sports, qui ont contrôlé un grand nombre d'éducateurs et de clubs. Je suis fier que la FFR ait joué un rôle précurseur en la matière. Toutefois, d'après les retours qui m'ont été faits, les institutions publiques répondent parfois avec un peu de retard, ce qui peut entraîner des difficultés.
Dans le cadre de vos fonctions de président, avez-vous été amené à effectuer des signalements au procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale ?
Je n'en ai pas le souvenir.
Sous votre présidence, la FFR s'est-elle portée partie civile à des actions pénales, afin de soutenir des licenciés ayant porté plainte pour des faits de racisme ou de violence ?
On a fait voter en 2020, au sein du comité directeur, une disposition autorisant la fédération à se porter partie civile au titre des faits que vous évoquez.
Je ne sais pas. C'est fort possible, mais c'est Laëtitia Pachoud qui était chargée de ces questions.
Fort de votre expérience, auriez-vous des recommandations à nous adresser sur des sujets qui intéressent notre commission d'enquête ? Vous pouvez, si vous le souhaitez, nous apporter une contribution écrite.
Avec plaisir. Je vous enverrai par écrit le fruit de ma réflexion. Je suis partisan de sanctions beaucoup plus fermes contre les auteurs de propos racistes et homophobes. Il faut également faire appel à la responsabilité des clubs, qui doivent informer le public sans relâche. Il convient d'impliquer tout le monde, de décentraliser les actions. Il faut former l'ensemble des éducateurs, qui sont souvent démunis. Ce sont eux qui ont les jeunes en main et qui donnent l'élan. Si nos gamins sont bien éduqués, il n'y aura plus de problèmes dans les stades. Il faut appliquer dès le départ un principe de tolérance zéro et infliger de très fortes sanctions dans le haut niveau. Le monde professionnel doit être exemplaire.
Avez-vous à apporter à cette commission d'enquête des informations complémentaires qui n'auraient pas été abordées au cours de l'audition ?
La commission auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le garde des sceaux, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.
Nous avons entamé les travaux de cette commission d'enquête sur l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet 2023.
Nos travaux portent sur trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales ; les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.
Lors de la quatrième convention nationale de prévention des violences dans le sport, vous aviez déclaré : « Si, de prime abord, on peut penser que la justice et le sport sont deux thèmes qui n'ont pas grand-chose en commun, il n'en est rien. La lutte contre toutes les violences dans le domaine du sport est une préoccupation majeure du ministère de la justice. »
Quelles actions déployez-vous dans ce domaine ? Comment les spécificités du monde sportif sont-elles appréhendées par le ministère de la justice ?
Quelle appréciation portez-vous sur le cadre et l'organisation existants pour prévenir, détecter, signaler et sanctionner les violences sexuelles et sexistes, les actes de discrimination et de racisme ou les atteintes à la probité dans le milieu sportif ?
Nos travaux ont soulevé de nombreuses interrogations en lien avec le champ de compétence de votre ministère, en particulier d'importantes difficultés d'articulation entre les procédures judiciaires, administratives et disciplinaires, des failles dans le contrôle de l'honorabilité, des condamnations qui seraient insuffisamment accompagnées d'une interdiction d'exercer, un défaut de signalement par les personnes qui y sont tenues, ou encore une méconnaissance du cadre et des obligations découlant de l'article 40 du code de procédure pénale par ceux qui sont censés les appliquer.
Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Avant de vous donner la parole pour une intervention liminaire, je vous rappelle qu'en application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par une commission d'enquête doivent prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, prête serment.)
Il y a un peu plus de trois ans, la patineuse artistique française Sarah Abitbol a publié son livre, Un si long silence, qui a provoqué une véritable déflagration dans notre société. Sarah Abitbol y décrit les viols et les agressions sexuelles que son entraîneur lui a fait subir, alors qu'elle n'était qu'une toute jeune femme. Le courage de cette sportive nous a permis d'ouvrir les yeux sur des crimes étouffés dans l'intimité d'un vestiaire, d'une chambre d'enfant, d'une chambre d'hôtel. Les cris de cette jeune femme, et de celles et de ceux qui ont suivi, ont permis de lever le voile sur le secret le mieux gardé du milieu sportif.
Le sport est synonyme d'épanouissement et d'équilibre. Il permet de lutter contre l'exclusion, il est le vecteur précieux de valeurs comme la fraternité, le respect d'autrui, le dépassement de soi. Nous avons tous été sidérés par ces révélations. Face au caractère protéiforme des violences qui sont commises dans le milieu sportif, il était évidemment nécessaire de réagir et de définir un vaste plan d'action.
Permettez-moi tout d'abord de saluer le travail de l'ancienne ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques de France, Roxana Maracineanu, qui a mobilisé tous les ministères concernés – enfance, justice, éducation nationale, égalité – autour de trois conventions nationales, en février 2020, en avril 2021 et en mars 2022, afin de prévenir toutes les formes de violence dans le sport et de protéger tous les sportifs. L'actuelle ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra, a poursuivi cette action avec beaucoup de force, de détermination et un engagement total : la quatrième convention nationale, qui s'est tenue le 3 juillet dernier, a notamment permis de dresser un état des lieux sans concessions des signalements reçus par la cellule du ministère des sports.
Ainsi, le dispositif national Signal-sports, créé en 2020, a permis de recueillir plus de 1 000 signalements – 1 095 précisément – de violences sexuelles ou sexistes. Conformément aux dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale, ces signalements, lorsqu'ils révèlent la commission d'infractions pénales, sont transmis au procureur de la République.
Cependant j'évoquerai avant tout le périmètre qui est le mien, celui du ministère de la justice. Sans me payer de mots, mon engagement sur le sujet est total, comme celui de tous les acteurs du ministère. Je souhaite ici rendre un hommage appuyé à ceux qui, dans les juridictions et dans les prisons, luttent et répriment les violences commises contre les femmes et les enfants.
Avant d'être le plus exhaustif et le plus précis possible, je souhaite vous présenter mon plan d'action, articulé selon trois axes essentiels. Premièrement, des actions concrètes ont été déployées pour sensibiliser les professionnels. Si la formation des magistrats en matière de lutte contre les infractions sexuelles est complète, il est en revanche important de renforcer l'articulation entre les procédures judiciaires et les procédures administratives. J'ai souhaité diffuser, en décembre 2020, des outils pratiques à destination des magistrats, leur permettant de mettre en œuvre cette articulation.
Un focus dédié à la lutte contre les violences sexuelles dans le sport rappelle ainsi le cadre légal des obligations de signalement et d'information respectives entre les services administratifs et les procureurs. De manière extrêmement pratique, un listing des coordonnées des directions déconcentrées du sport a été diffusé : il est désormais à la disposition de tous les procureurs, dans le cadre de leurs permanences. Les relations entre les parquets et les services déconcentrés des sports ont été renforcées : les procureurs peuvent transmettre, de manière sécurisée, toutes les informations judiciaires aux autorités administratives lorsqu'un éducateur sportif ou un directeur de fédération est mis en cause pour des faits de violences commises à l'encontre de mineurs. Il était absolument nécessaire de fluidifier et de systématiser les échanges d'informations entre les fédérations et les procureurs, dans le cadre d'un secret partagé et protecteur des mineurs.
L'objectif est de s'assurer que les fédérations sportives puissent réagir vite lorsqu'elles sont informées qu'une enquête judiciaire est ouverte, afin de faire cesser tout contact avec des mineurs, au-delà des mesures de sûreté judiciaire. Sur ce point, il est souvent complexe de concilier le temps de l'enquête et celui de l'enquête judiciaire avec des mesures disciplinaires. Il n'en demeure pas moins que les fédérations réagissent mieux en prononçant des mesures de suspension.
Les procureurs ont également été incités à se rapprocher des services déconcentrés des sports, en associant les comités sportifs dans le cadre des instances partenariales existantes, pilotées par les procureurs et les préfets. Les violences commises dans le sport à l'encontre des plus jeunes sportifs ont évidemment vocation à être appréhendées judiciairement aussi vote que possible, selon les instructions – plus récentes – issues de la circulaire que j'ai signée le 28 mars dernier. Cette circulaire, relative à la lutte contre les violences faites aux mineurs, rappelle la nécessité de resserrer les liens entre les parquets et les services départementaux ou régionaux à la jeunesse. Elle invite à la signature de conventions, pour encadrer les signalements, et rappelle l'intérêt d'associer les représentants départementaux des comités sportifs aux réunions du conseil départemental de prévention de la délinquance et de la radicalisation et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes (CDPD) ou du comité local d'aide aux victimes (Clav).
J'illustrerai mon propos par deux exemples. À Rennes et à Saint-Malo, les procureurs ont intégré la problématique des violences en milieu sportif dans le schéma directeur départemental de lutte contre les violences faites aux femmes, réunissant tous les acteurs concernés – préfet, agence régionale de santé (ARS), éducation nationale, conseil départemental, ville, forces de sécurité intérieure (FSI), services sociaux, soignants, associations. Cette action partenariale est, dans la droite ligne des instructions que j'ai pu diffuser depuis mon arrivée au ministère, la garantie d'une lutte efficace contre les violences perpétrées dans le milieu sportif.
Une fois les faits signalés au procureur de la République par les instances sportives, la parole de la victime mineure doit pouvoir être recueillie de manière sereine, le temps de l'enquête, laquelle exige que les victimes reviennent sur les faits subis et les racontent une nouvelle fois, ce qui peut parfois être la source d'un traumatisme supplémentaire. On évoque d'ailleurs souvent un parcours du combattant, en particulier pour les victimes les plus vulnérables – les enfants. Il convient, dès lors qu'ils ont trouvé la force de parler, de les accueillir dans des lieux adaptés uniques, offrant une prise en charge complète.
Je fais ici référence au déploiement des unités d'accueil pédiatrique des enfants en danger (Uaped) : nous en comptons 145 sur l'ensemble du territoire national. Le premier projet que nous avions était de doter chaque département d'un Uaped. Nous sommes allés plus loin et nous souhaitons désormais qu'une telle structure existe dans chacun des 164 tribunaux judiciaires. D'ici à 2025, chacun d'entre eux bénéficiera d'une telle unité.
Par ailleurs, nous savons que les victimes ont souvent besoin de temps avant de saisir la justice. Le 26 février 2021, j'ai adressé une dépêche aux procureurs généraux et aux procureurs de la République, tendant à l'ouverture d'enquêtes pénales systématiques lorsque les faits révélés sont anciens, voire susceptibles d'être prescrits, au premier regard. Ces enquêtes permettent notamment de réaliser des investigations dans l'environnement du mis en cause, d'identifier, le cas échéant, d'autres victimes pour lesquelles les faits ne sont pas prescrits et d'entamer des poursuites contre l'auteur de ces faits, chaque fois que cela est possible.
J'évoquerai brièvement la mise en place du chien d'assistance judiciaire, dont la présence permet de libérer la parole des enfants en bas âge, qui n'ont pas toujours la force de dire les choses, sont prostrés ou dans le silence. Ces chiens ont fait leurs preuves, comme j'ai pu le constater en me rendant dans différentes juridictions : les enquêteurs et les juges d'instruction m'ont indiqué ne plus pouvoir se passer du chien d'assistance judiciaire, après avoir expérimenté sa présence.
Lorsqu'il est indispensable que les enfants témoignent, ils sont accompagnés par une association d'aide aux victimes, dans le lieu même où le procès doit se dérouler, pour qu'ils puissent l'appréhender et ne pas en avoir peur : ils peuvent circuler partout, voire monter sur les différents fauteuils qui seront réservés aux magistrats lors du procès, ou encore observer une robe de magistrat. Ce système a été expérimenté à l'étranger et nous en avons été convaincus ; nous l'avons donc mis en place et développé.
Le deuxième axe concerne les mesures visant à prévenir le renouvellement des infractions, tout d'abord en informant les autorités sportives des enquêtes ouvertes contre leur employé ou bénévole. La loi prévoit que, dès la mise en examen ou l'engagement des poursuites, la structure employant l'intéressé doit être informée des faits qui lui sont reprochés, dans les conditions prévues par les articles 706-47-4 et 11-2 du code de procédure pénale. Cette information permet à l'administration d'engager, à l'encontre du suspect, une procédure de suspension de ses activités à titre conservatoire.
Je rappelle par ailleurs que l'autorité judiciaire peut, à travers les mesures de sûreté, mettre un terme aux activités de la personne suspectée de violences sexuelles : soit elle est placée en détention provisoire, soit elle est astreinte à un contrôle judiciaire, avec interdiction d'exercer toute activité impliquant un contact habituel avec les mineurs et de paraître dans les lieux accueillant des enfants ou aux abords de ces lieux.
Enfin, les condamnations des dirigeants ou encadrants sportifs sont systématiquement transmises au casier judiciaire national pour favoriser l'alimentation du fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv). Ma circulaire du mois de mars 2023 sur la lutte contre les violences faites aux mineurs rappelle aux procureurs, de façon très claire, que cette transmission des condamnations est indispensable, et dans les plus brefs délais, car elle permet de garantir l'effectivité des contrôles d'honorabilité réalisée par le ministère des sports et des Jeux olympiques et paralympiques. À cet égard, le contrôle d'honorabilité des éducateurs et des bénévoles au sein des clubs et des fédérations est désormais automatique. Le ministère des sports s'est doté d'un système informatique de vérification des antécédents judiciaires et de consultation du Fijaisv.
Plus de 1 million de contrôles ont ainsi été réalisés par le ministère des sports depuis 2021. Je veux ici souligner la grande réactivité de ce ministère, qui est en capacité de fournir des listes automatisées de tous les éducateurs sportifs, même bénévoles : à terme, près de 2 millions d'identités seront soumises et comparées aux identités enregistrées par les juridictions dans le Fijaisv.
Dès lors que le contrôle d'honorabilité relève une inscription au Fijaisv et que la condamnation est définitive, le préfet notifie l'incapacité professionnelle ou sociale à l'intéressé. La personne ne peut plus exercer une profession ou une activité la plaçant au contact de mineurs. Ainsi, les filières de l'urgence mises en place dans les juridictions, en lien avec les services des sports, permettent de couvrir toute la chaîne pénale, de la phase présentencielle – réception des signalements, plainte, procédure – à la phase postsentencielle.
Le dernier axe est celui de l'amélioration de notre arsenal répressif. Je reviens un instant sur la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, initiée par la sénatrice Billon et adoptée à l'unanimité. Ce texte est historique. Le principe que pose cette loi trouve pleinement à s'appliquer dans le monde du sport : aucun adulte ne peut se prévaloir du consentement d'un mineur de moins de 15 ans à une relation sexuelle. Les choses sont claires, encore fallait-il que nous précisions ces éléments. Ce texte prolonge ainsi la prescription des faits sexuels répétés, commis par un même auteur à l'encontre de plusieurs mineurs, afin que toutes les infractions commises par cette personne puissent être jugées ensemble.
Ce nouveau mécanisme de prescription prolongée au bénéfice des mineurs agressés par un même auteur témoigne de la prise en compte, par le législateur, de la situation de particulière vulnérabilité des mineurs victimes – il leur faut parfois plusieurs années pour révéler les faits. Vous le voyez, la libération de la parole dans le monde du sport a permis une prise de conscience au sein de notre société : il nous était indispensable de la transformer en actions concrètes, pour mieux protéger nos concitoyens.
C'est ce que j'essaie de faire, sans désemparer, depuis ma prise de fonction au ministère de la justice. Les choses bougent : cette prise de conscience s'est traduite par des mesures législatives et réglementaires, indispensables pour sanctionner les auteurs de ces crimes odieux, mais également pour prévenir la commission de telles infractions. La protection des sportifs, notamment les plus jeunes d'entre eux, est un combat que nous devons mener à bras-le-corps. Nous devons en effet faire en sorte que le sport reste ce qu'il doit toujours être : un moment de passion, de dépassement de soi, de convivialité et de partage de valeurs qui nous rendent meilleurs. Je suis à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous voudrez bien me poser.
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre propos liminaire et votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous arrivons à la fin des auditions de cette commission d'enquête – nous en aurons fait quatre-vingt-dix au total. Nous avons entendu énormément d'acteurs du mouvement sportif. Ils nous ont fait part de leurs interrogations, et nous avons relevé un certain nombre de dysfonctionnements, qu'ils soient internes aux fédérations ou liés aux relations avec le ministère de tutelle ou avec le ministère de la justice.
Ma première question concerne la communication des enquêtes ou des affaires en cours aux fédérations. Les présidents de fédération nous signalent au contraire très régulièrement qu'ils ne sont pas informés. Lorsqu'ils le sont, la justice leur demande de ne pas prendre de mesures disciplinaires, ni de sanctions vis-à-vis des personnes signalées, afin de ne pas nuire à l'enquête en cours. Cela pose plusieurs difficultés au club, à la ligue ou à la fédération puisque la personne en cause reste au contact de mineurs, notamment lorsqu'il s'agit d'entraîneurs. Le temps de l'enquête est parfois très long – dans certaines affaires, il a fallu deux ou trois ans pour que la fédération décide de prendre une sanction vis-à-vis de l'auteur présumé. Comment avancer sur cette question ?
Le sujet sous-jacent est celui de la présomption d'innocence. Il est difficile, pour les présidents de fédérations, de prononcer des sanctions – y compris celles à titre conservatoire – en l'absence de condamnation. Des actions en justice sont en effet susceptibles d'être intentées contre eux pour ce motif. Il s'agit de l'angle mort identifié par notre commission, qui souhaiterait vous entendre sur ce point.
Ce problème, fréquent, ne concerne pas seulement le domaine que vous évoquez : il survient chaque fois qu'il existe une possible dualité entre l'instance disciplinaire, quelle qu'elle soit – elle peut aussi concerner des magistrats, des avocats, des policiers –, et l'instance judiciaire. Or la justice a parfois besoin de temps pour recueillir différents témoignages et pour effectuer un travail probatoire. Néanmoins, lorsqu'une condamnation est prononcée, le parquet a l'obligation d'informer. De même, dès lors qu'une instance disciplinaire a tranché, elle doit informer le parquet de la décision prise.
Je souhaite vraiment que nous puissions avancer sur ces sujets. Mon objectif est d'être le plus efficace possible, et transpartisan. L'idée que nos enfants fassent partie d'un club sportif et soient victimes d'agissements insupportables nous émeut et nous oblige. Je serai très attentif aux préconisations de votre commission. Loin de les rejeter d'un revers de manche ministériel, je veux au contraire m'en emparer pour essayer d'améliorer la situation. J'entends ce que vous dites eu égard à une forme de zone grise, particulièrement complexe.
Je ne peux pas demander au parquet de ne pas communiquer. Après condamnation, c'est une obligation, et avant, cela peut poser certains problèmes. La justice a parfois besoin d'investigations secrètes et le secret de l'instruction est une chose importante. Toutes ces questions se retrouvent dans tout le disciplinaire et je suis confronté en permanence à des difficultés de cette nature. Parfois, le disciplinaire souhaite attendre le résultat du pénal, et parfois non. Lorsque c'est le cas, le disciplinaire n'empêche pas la procédure pénale de prospérer, à la condition cependant que le disciplinaire n'entrave pas l'action judiciaire.
Je n'ai donc pas de réponse précise, binaire, à votre question. C'est pour nous une véritable difficulté, parce que tout, en la matière, est question de nuances et il n'y a, pour ainsi dire, que des cas d'espèce.
La circulaire fixe très clairement au procureur l'obligation de transmettre, à chaque étape de la procédure, les informations aux instances disciplinaires, dans le respect de la présomption d'innocence. Le juge d'instruction ordonne par exemple, dans le cas d'un contrôle judiciaire, l'interdiction d'être au contact des enfants, et il est alors tout à fait normal que l'autorité judiciaire indique aux autorités sportives qu'elle a pris certaines mesures interdisant à telle personne d'être au contact des enfants. Dans certaines situations, cependant, et légitimement, l'autorité judiciaire ne peut pas communiquer. Tout est question, je le répète, de cas d'espèce.
En revanche, je tiens à insister sur le fait que les procureurs généraux et les procureurs sont désormais sensibilisés à cette question et doivent interagir avec les clubs et fédérations.
La solution à certains de nos maux consiste à ne plus fonctionner en silos. Il en va exactement de même pour les violences intrafamiliales : il faut que les différents magistrats, quels que soient leur compétence et leur périmètre, puissent communiquer entre eux, ce qui n'a pas toujours été le cas et a provoqué des drames comme celui de Mérignac, où l'inspection générale de la justice dira qu'il n'y a pas eu de faute individuelle, mais un défaut de communication. Il faut que tout le monde – préfet, ARS, clubs et procureur de la République – se parle et se mette autour de la table, notamment dans le cadre de l'exécution des peines, ce qui suppose peut-être de changer certaines habitudes. C'est ce qui permet de mieux appréhender la délinquance et d'être plus efficaces.
Pardon pour cette réponse un peu longue, qui n'est peut-être pas aussi précise que vous l'auriez espéré, mais toute la difficulté réside dans la dualité entre disciplinaire et judiciaire.
J'entends les difficultés liées à la transmission. Cependant, au cours des auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons constaté que certains présidents de clubs avaient appris par la presse les affaires qui concernaient leur club, sans en avoir été informés en amont, et donc sans avoir pu prendre de mesures disciplinaires ni faire remonter les faits. Peut-être faut-il donc revenir sur la procédure exacte. Quand une affaire se déclenche et qu'une plainte est déposée, avec notamment la plate-forme Signal-sports qui permet de signaler les faits, l'affaire remonte-t-elle au ministère des sports, puis aux fédérations, ou directement aux fédérations et aux clubs ?
À ce propos, ne faudrait-il pas prévoir dans la loi que les fédérations sportives ont l'obligation de suspendre, à titre conservatoire, la licence d'une personne sur laquelle pèsent des indices graves et concordants ? En effet, plusieurs présidents de fédérations que nous avons entendus ne savaient pas qu'ils pouvaient suspendre un responsable de club et ne connaissaient pas les mesures disciplinaires dont ils disposaient. Très souvent, ils ont invoqué la présomption d'innocence pour expliquer qu'ils ne prenaient pas de mesures conservatoires par crainte de faire ensuite l'objet d'une plainte. Inscrire cette automaticité dans la loi ne clarifierait-il pas la procédure pour les présidents de fédération ?
Comme je le disais tout à l'heure, il ne peut pas y avoir de réponse binaire et les questions doivent être traitées au cas par cas. Toutefois, je souscris pleinement à vos propos, car il n'est pas normal qu'un club apprenne en lisant la presse qu'un de ses moniteurs ou éducateurs fait l'objet d'une procédure. C'est là quelque chose d'assez singulier.
Ma circulaire, que je vous transmettrai, est très claire. Certains éléments y sont indiqués d'une manière assez comminatoire afin de créer davantage de liens entre les clubs et l'autorité judiciaire. L'exemple que vous donnez est l'exemple type de situations qui nous laissent pantois.
La suspension à titre conservatoire est une mesure disciplinaire qui existe déjà. Faut-il la rendre obligatoire ? Si un juge d'instruction décide, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, d'interdire à une personne mise en examen d'exercer son activité professionnelle, de contacter des enfants ou de s'approcher d'un lieu où se trouvent des enfants ou des abords d'un tel lieu, cette mesure est obligatoire, car le non-respect du contrôle judiciaire peut être sanctionné par la révocation dudit contrôle judiciaire et par des mesures coercitives bien plus fortes.
Madame la rapporteure, vous me prenez un peu de court en m'interrogeant sur l'opportunité de l'automaticité de la suspension conservatoire. Nous pouvons y réfléchir – pourquoi pas ?
Pour ne rien vous cacher, la systématisation me dérange toujours un peu, car elle enlève de la liberté aux magistrats. Dans le même ordre d'idées, la peine plancher a suscité de longs débats car, s'il s'agit d'une vraie peine plancher, elle n'est pas très constitutionnelle puisqu'elle enlève à l'autorité judiciaire certaines de ses prérogatives et impose des mesures au juge alors que, dans notre pays, la justice est indépendante.
Sur le terrain disciplinaire, il faut voir comment les choses s'articulent. M'exprimant devant vous sous serment, je puis dire que ces questions me préoccupent infiniment. C'est un terrain sur lequel nous nous retrouvons tous, car nous pensons tous que nous aurions pu avoir un enfant victime. Je lirai donc avec beaucoup d'attention vos préconisations. Quant à systématiser la suspension à titre conservatoire, cela mérite une analyse, qui pourrait être confiée à la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), pour nous dire comment avancer sur ces questions.
Comme vous le savez, le ministre ne peut pas donner de directives individuelles au procureur ni lui demander de communiquer : l'initiative en appartient au procureur lui-même, qui a la possibilité de communiquer, et qui pèse au trébuchet l'importance que pourrait avoir cette communication dans le déroulement de la procédure qu'il a ouverte. Il ne s'agit pas qu'une communication puisse contaminer l'efficacité d'une intervention judiciaire. Il faut donc laisser beaucoup d'élasticité. De fait, même si certains défauts de communication ont nécessairement été portés à votre connaissance, il y a aussi des choses qui fonctionnent parfaitement bien.
Comme nous, les parquets et les procureurs ont pleinement conscience des violences commises dans le sport, qui suscitent leur réprobation et les motive à agir – c'est une évidence que de le dire. Il faut donc prendre garde que la systématisation n'entrave pas l'action. J'ai conscience que ma réponse à votre question est assez générale, mais je ne sais pas comment la formuler autrement.
Nos travaux et le dernier reportage diffusé par M6 à propos des violences sexuelles dans le football révèlent des failles importantes du contrôle d'honorabilité que vous avez évoqué dans votre propos introductif. Avez-vous été alerté à propos de ces failles et des mesures sont-elles actuellement envisagées pour y remédier ?
Au stade postsentenciel, les choses sont très claires : il faut informer. Je n'ai pas été personnellement averti de certaines failles. Pour dire les choses clairement, le fait que les instances sportives ne soient pas informées d'une condamnation est à l'évidence un dysfonctionnement.
Plusieurs alertes nous ont été signifiées.
Tout d'abord nous avons constaté, notamment à la Fédération française d'athlétisme, les difficultés rencontrées dans l'utilisation du fichier employé pour procéder aux contrôles d'honorabilité. En effet de très nombreux mails – plus de 500 – signalent l'impossibilité de croiser les données relatives aux personnes devant être contrôlées, en raison d'imprécisions dans la saisie de ces données – une différence d'une lettre ou d'un chiffre peut en effet rendre la consultation impossible. Cette procédure demande en outre énormément de travail aux bénévoles des clubs et fédérations.
La deuxième alerte porte sur le périmètre du contrôle d'honorabilité, comme on le voit du reste dans le documentaire de M6, où un entraîneur a pu sévir pendant plusieurs années alors qu'il avait bien fait l'objet d'un contrôle d'honorabilité et d'un signalement. Un courrier avait en effet été envoyé à la fédération et au club pour indiquer que cette personne ne pouvait plus exercer de fonctions d'encadrement, mais étant donné qu'il n'était pas considéré comme administrateur, la fédération lui a malgré tout accordé une licence, ce qui lui a permis de reprendre une activité auprès de mineurs après avoir été condamné deux fois par la justice pour des agressions sexuelles sur mineur.
Voilà le type de dysfonctionnements qui ont été portés à la connaissance de cette commission.
Le contrôle d'honorabilité des éducateurs sportifs, qui est effectif depuis 2013 et a beaucoup évolué, s'opère de deux façons : par consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et par consultation du Fijaisv.
Sur l'année écoulée, 70 000 bulletins n° 2 et 82 000 consultations du Fijaisv ont été demandés pour les éducateurs sportifs professionnels. Au cours de l'année 2020, des travaux juridiques et techniques ont été menés par mon ministère et par le ministère chargé des sports afin de mettre en place un contrôle de l'honorabilité des éducateurs sportifs bénévoles. Ce contrôle est devenu effectif en juin 2021 avec la mise en place de la consultation du dossier Fijaisv. Sur l'année écoulée, 720 000 consultations du Fijaisv ont été effectuées pour ces bénévoles.
La mise en œuvre des circuits relève de la compétence du ministère des sports. Parmi les modifications intervenues, il faut signaler que les casiers judiciaires étrangers peuvent être consultés, étant donné que certains clubs frontaliers peuvent accueillir des bénévoles ou des professionnels étrangers. En la matière, la directive de l'Union européenne de décembre 2011 prévoit expressément l'utilisation du système européen d'information des casiers judiciaires. Sont en outre inscrites au Fijaisv les condamnations prononcées par les juridictions étrangères en vertu de conventions conclues entre la France et d'autres pays.
Nous sommes évidemment preneurs de toute amélioration technique ou juridique, même si, je le répète, la mise en œuvre des circuits relève du ministère des sports. Je tiens toutefois à dire que, malgré quelques ratés, on note aussi dans ce domaine une évolution considérable par rapport aux années antérieures. En effet, la vigilance qui nous oblige induit des actions pragmatiques pour que les clubs soient informés.
Nous projetons d'étendre les consultations administratives du Fijaisv. Ainsi, en 2024, une modification des textes réglementaires doit permettre aux ministères de l'agriculture et de la culture d'accéder à ce fichier. Doivent également être mises en place prochainement, sous l'égide de la direction générale de la cohésion sociale, des consultations automatisées dans le secteur de la petite enfance, concernant les assistants maternels et familiaux et les personnels des structures accueillant des mineurs relevant du code de l'action sociale et des familles, afin d'améliorer les vérifications dans ces secteurs sensibles.
Au cours des quatre-vingt-dix auditions menées par la commission d'enquête, nous avons beaucoup évoqué à la fois la présomption d'innocence et la nécessité de protéger les jeunes susceptibles d'être en contact avec des délinquants.
En cas de mise en examen dans la phase présentencielle, la procédure peut être très encadrée, cette mise en examen pouvant s'appliquer sous contrôle judiciaire et être assortie d'interdictions d'entrer en contact avec des mineurs et de suspensions ou interdictions d'exercice. Laissons donc aux magistrats le soin de gérer, à partir de la mise en examen, la situation personnelle et professionnelle de la personne mise en examen ou son engagement en tant que bénévole. De fait, la personne chargée d'une procédure administrative ne disposera jamais dans son dossier d'autant d'éléments que le juge d'instruction pour analyser la situation et la suivre au fil de l'eau. La gestion de cette période qui suit la mise en examen me semble donc claire, même s'il y a des choses à améliorer.
La période qui précède, en revanche, qui est celle de l'enquête préliminaire, est une zone grise. On peut certes s'émouvoir du fait qu'un président de club ne soit pas avisé d'une procédure avant de la découvrir la presse, mais certaines situations nécessitent précisément qu'il ne le soit pas, par exemple s'il y a suspicion qu'il ait couvert l'éducateur sportif incriminé, puisque l'enquête préliminaire doit recueillir des éléments non seulement contre la personne mise en cause, mais aussi contre d'éventuels complices. Il est donc très difficile d'articuler les procédures disciplinaires avec la mise à l'abri d'une victime supposée, le respect de la présomption d'innocence et les nécessités de l'enquête.
On voit bien qu'il faut aller améliorer notre arsenal et nos procédures. Le système accusatoire en vigueur dans d'autres pays permet-il mieux de protéger les divers intérêts que le système inquisitoire qui prévaut dans le nôtre ?
M'exprimant sous serment, je suis obligé de répondre que je ne sais pas, mais peut-être la commission d'enquête pourrait-elle interroger des intervenants étrangers pour savoir comment se déroulent les procédures dans d'autres pays.
Monsieur Mazars, on peut imaginer beaucoup de choses. Quand je disais que la communication de l'information ne devait pas être systématique, j'ignorais que vous prendriez cet exemple particulièrement pertinent. De fait, on est toujours dans le cas par cas et, dans le cas que vous envisagez, le problème tient au fait que les informations soient publiées dans la presse, car si on n'avertit pas le président de club parce qu'on soupçonne la complicité ou la culpabilité d'autres personnes, il est très choquant que l'information soit diffusée dans la presse. Il faut toutefois laisser au parquet l'entière liberté en matière de communication, sans que le garde des sceaux puisse intervenir. Faisons confiance aux procureurs de la République, qui savent s'il est utile de communiquer ou de ne pas le faire.
J'ignore ce qui se passe au niveau européen, mais je suppose que les autres pays sont, comme nous, face à une dualité assez difficile à régler entre le disciplinaire et le pénal. Dans ma longue carrière d'avocat, j'ai vu des situations dans lesquelles un juge d'instruction mettait en examen un avocat et lui interdisait l'exercice de la profession alors que l'ordre des avocats ne l'avait pas fait. Cela a d'ailleurs donné lieu à une polémique et à des modifications textuelles. Là encore, une approche au cas par cas s'impose, et c'est très compliqué. À cela s'ajoute – mais nous l'avons tous dit, et vous me pardonnerez d'enfiler des perles – la question de la présomption d'innocence, qui est au cœur de notre réflexion.
Quant à ce qui se passe à l'étranger, je le répète, je ne le sais pas, mais je peux interroger quelques magistrats de liaison pour me renseigner et vous faire parvenir une note rapide si vous le souhaitez.
Pour en revenir à l'automatisation de la communication, nous avons constaté que les procédures disciplinaires sont très lourdes pour les fédérations, qui n'ont pas toutes la même capacité à traiter ces cas lorsqu'ils se présentent. Certaines sont en effet très grosses, comptant un grand nombre de bénévoles et de licenciés, tandis que d'autres sont plus petites. Au vu de la lourdeur de la procédure, le fait qu'elle ne soit pas obligatoire incite certaines fédérations à ne pas l'engager. Ainsi, pour de très nombreuses raisons, les affaires ne sont pas traitées à ce niveau.
Il a parfois été difficile de comprendre pourquoi, face à des indices graves et concordants, dans des affaires impliquant plusieurs victimes ou lorsque des témoignages permettaient d'avancer assez vite, certaines fédérations ont parfois mis plusieurs années à prendre des sanctions disciplinaires, même lorsqu'elles étaient informées que certains entraîneurs licenciés avaient été recrutés à nouveau dans d'autres clubs alors qu'on connaissait leur passé. Le fait de formaliser les choses et de rendre la communication automatique permettrait peut-être de faciliter la tâche aux présidents de fédération.
Le Conseil de l'Europe a créé un Réseau des magistrats/procureurs responsables du sport, ou réseau Mars, devant lequel, du reste, je suis intervenu en septembre, lors de sa dernière réunion. Ce réseau permet une coordination des actions judiciaires en matière de lutte contre le dopage et, chose qui nous intéresse davantage ici, de prévention et de répression des violences physiques et sexuelles dans le sport. Si vous le souhaitez, je solliciterai les magistrats de liaison et vous ferai parvenir un point complet sur la pratique de nos partenaires européens et de certains autres pays qui nous entourent en matière de poursuites disciplinaires et judiciaires dans ce domaine.
Pour ce qui est des délais, je ne puis que répéter mon mantra et peut-être trouverez-vous que j'exagère : pour aller plus vite, il faut renforcer les moyens. Cela paraît une évidence, mais il est parfois utile de le rappeler.
Enfin, un poste de magistrat référent sport a été créé par une dépêche signée en octobre 2021. À ce jour, madame la présidente, la quasi-totalité des 164 parquets de notre pays ont procédé à la désignation d'un magistrat référent sport, qui est évidemment l'interlocuteur privilégié des instances sportives locales et assure le suivi des procédures judiciaires dans le domaine qui nous intéresse. Cette mesure témoigne d'une meilleure prise en compte des victimes « spécifiques » – pardon d'employer ce mot inadéquat – à tous les niveaux, qu'il s'agisse de la spécialisation des enquêteurs ou des Uaped, ainsi que d'une assimilation par les différentes juridictions de la nécessité de mieux articuler et fluidifier la relation entre les fédérations, les clubs et la justice.
Face à la lourdeur à laquelle peuvent être confrontées les fédérations, certaines des personnes que nous avons auditionnées ont suggéré la création d'une autorité administrative indépendante chargée de veiller à l'éthique du sport et de lutter contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) et contre les discriminations. Qu'en pensez-vous ?
Que cela mérite réflexion… Pardon de ne pas réagir dans l'immédiateté. Il n'y a aucune raison de s'opposer a priori à cette idée d'une autorité administrative indépendante. Il faut y réfléchir et l'analyser avec le plus grand sérieux.
Je précise que l'instance qui a été évoquée a été présentée comme pouvant être de même nature que celle qui est dédiée à la lutte contre le dopage.
Rouge direct, collectif de lutte contre l'homophobie que Mme la présidente et Mme la rapporteure ont auditionné, a évoqué des incidents très graves qui ont eu lieu lors d'un match de football Marseille-Lyon, indiquant que le procureur avait retenu des faits d'agression pour caractériser le caillassage dont un bus avait été l'objet, ainsi que des cris racistes poussés dans le stade, mais pas des chants homophobes repris par tout un chœur et que nous avons tous clairement entendus, ce qui ne manque pas de nous interroger.
Dans un autre cas, saisi par le juriste de l'association de relations sexuelles intervenues lors d'un stage entre un juge arbitre et une jeune fille de 16 ans, avec une différence d'âge de plus de cinq ans, le procureur a annoncé qu'il classerait l'affaire sans suite faute de plainte de la famille. Ce dossier est entre les mains de Mme la présidente et de Mme la rapporteure.
Nous avons en outre constaté quasiment à chaque audition que l'accumulation de classements sans suite et de non-lieux finit par décourager les fédérations, voire les clubs, les dissuadant d'aller plus loin, car les procédures disciplinaires peuvent donner lieu à des actions prud'homales qui se soldent parfois par la nécessité de rétablir les salaires, pénalisant ainsi une association ou fédération qui pensait bien faire. Il y a là un problème.
Enfin, une personne que j'ai auditionnée m'a indiqué que son dossier avait été classé sans suite sans qu'elle en ait jamais été informée, et qu'elle était ainsi restée longtemps dans l'attente. Il y a un problème du côté de la justice. Une amélioration est-elle possible ?
Je crois savoir que, parmi les exemples que vous avez cités, certaines affaires sont en cours.
Je pense notamment à celle de Marseille : je ne sais pas si elle est terminée, ce qui m'interdit d'en dire davantage, mais ne vous inquiétez pas, je ne vais pas me retrancher derrière cet argument.
La justice est indépendante dans notre pays. Cette indépendance signifie que l'exécutif ne décroche pas son téléphone pour dire aux procureurs ce qu'ils doivent faire – cela nous ferait basculer dans une situation qui n'aurait plus grand-chose à voir avec l'État de droit et la démocratie. C'est ce qu'on pratique dans certains pays, mais pas chez nous, fort heureusement. L'indépendance de la justice a parfois pour corollaire des décisions qui nous semblent, pour employer un mot doucement euphémique, saugrenues – c'est-à-dire des décisions qu'on a du mal à comprendre. Il faut néanmoins préciser que nous n'avons pas tous les éléments du dossier. Un commentaire d'une décision de justice fait à la hâte n'est pas toujours le plus objectif qui soit.
Pourquoi y a-t-il des classements sans suite ? Ce que l'on espère, et c'est ce qui se passe dans la très grande majorité des situations, c'est que le procureur a pour seule boussole les faits et le droit. Un classement sans suite n'est pas une décision prise au doigt mouillé. Qu'il y ait eu dans l'histoire de notre justice des classements sans suite injustifiés, voire injustifiables, pris en toute indépendance – cela s'appelle la liberté juridictionnelle –, peut-être et même sans doute. Néanmoins, je ne connais pas les affaires que vous évoquez et je ne peux pas les commenter.
J'ajoute cependant qu'un classement sans suite se notifie. Plutôt que de s'engager dans une critique acerbe d'une décision que notre bon sens ne permettrait pas de comprendre, on peut se tourner vers les voies de recours. Un classement sans suite peut faire l'objet d'un réexamen par le procureur général. Si vous me dites, en revanche, qu'un classement sans suite n'a pas été notifié, alors il y a quelque chose qui ne va pas. Pour qu'une décision puisse être contestée par les voies de droit classiques, encore faut-il qu'elle ait été portée à la connaissance du justiciable.
S'agissant de l'expression de l'homophobie, des dispositions ont été prises depuis plusieurs années. Je me souviens d'une réunion à Beauvau avec Gérald Darmanin, Mme Maracineanu et des présidents de grands clubs : nous avons alors prévu un certain nombre de mesures, notamment des interdictions de stade pour une durée maximale de cinq ans. J'en ai ras-le-bol, je vous le dis, de ces comportements, de ces vociférations, de ces cris homophobes ou racistes qui n'ont rien à faire dans le sport. Le témoignage de Basile Boli, qui nous a permis de devenir champions d'Europe, m'a beaucoup touché : il expliquait comment il vivait les cris de singe qui lui étaient adressés.
Je suis tout à fait prêt – j'en ai parlé ce matin avec mes équipes – à ce qu'on fasse en sorte que les gens qui se comportent ainsi soient définitivement interdits de stade. Il n'y a pas, pour moi, de ligne infranchissable en la matière. Certains ne comprennent rien à rien, et je ne sais même pas s'ils aiment le sport. Ce n'est pas possible quand on a de telles attitudes discriminatoires : le sport, au contraire, unit les gens.
Je vais très prochainement envoyer des représentants du ministère au Royaume-Uni. Ce pays a connu un hooliganisme incroyable, qui faisait régner la terreur, mais il a réussi à régler le problème en prenant des mesures drastiques. S'il faut copier ces mesures, nous le ferons.
Je souhaite aussi qu'on rappelle sur les billets les dispositions du code pénal qui s'appliquent lorsqu'on jette une fusée ou un projectile dans un stade, qu'on balance des cris de singe à un joueur de couleur ou qu'on crie d'autres choses. Il faut dire stop. Nous devons informer davantage ceux qui ne seraient pas informés. Je pense aussi à tous ces gamins qui viennent au stade avec leur famille et qui entendent des trucs pareils : c'est l'antisport par excellence.
Je ne vois en la matière, je le redis, aucune ligne rouge infranchissable. S'il faut être plus sévère, nous proposerons en ce sens un certain nombre de choses.
Je reviens sur la question de l'interdiction de stade pour les personnes identifiées comme problématiques. Lors du match entre l'Olympique de Marseille (OM) et l'Olympique lyonnais (OL), des supporters qui étaient interdits de stade à Lyon ont pu se rendre à celui de Marseille. Comment faire pour que les interdictions soient globales ?
On nous a dit que les chants homophobes ont longtemps été considérés comme faisant partie du folklore lié au football – je pense, d'ailleurs, que c'est encore vrai dans certains cas – et l'Association nationale des supporters nous a expliqué qu'il faudrait, pour qu'un acte homophobe soit condamnable comme tel, une intentionnalité dans les propos tenus. Comment pourrait-on renforcer le dispositif pour que ces actes ne soient plus considérés comme relevant du folklore et que la question de l'intentionnalité ne se pose plus ? Des propos homophobes sont homophobes.
Je suis d'accord à 100 % avec ce que vous venez de dire. À ce compte-là, le folklore justifierait tout… Et si c'est cette question qui se pose, alors il faut changer de folklore. Certains mots ont clairement un sens.
Quand on crie certaines choses, que je ne répéterai pas – mais vous voyez de quoi il s'agit, le champ lexical est assez restreint –, ce n'est pas du folklore. Sinon je pourrais vous injurier en disant que cela relève du folklore et que donc tout va bien. Soyons sérieux. Par ailleurs, le folklore est fait pour réunir les gens. Si vous allez à Perpignan et que vous voyez des gens danser la sardane, vous voyez que cela les réjouit. Ce dont nous parlons blesse, au contraire, des gens, qui sont homosexuels ou de couleur, et cela blesse les enfants qui entendent de tels propos. Il faut arrêter !
S'agissant des violences sexuelles, au sujet desquelles je suis allé un peu vite, je rappelle que j'ai pris en février 2021 une circulaire demandant aux procureurs d'informer systématiquement les victimes d'un classement. Si vous avez connaissance d'un cas particulier dans lequel cette information n'aurait pas eu lieu, il s'agit, je le dis, d'un dysfonctionnement. J'ai demandé, par ailleurs, lorsque les faits apparaissent prescrits – un professionnel de la justice le voit assez vite – qu'il y ait quand même une enquête. En effet, derrière des faits prescrits peuvent se cacher d'autres faits qui ne le sont pas. Enfin, vous connaissez tous les mécanismes de prescription allongée qui ont été mis en place pour appréhender des faits, fussent-ils prescrits, lorsqu'ils ont un auteur unique. Sur cinq personnes qui avaient subi la même chose, il arrivait qu'une seule victime, la dernière, soit considérée comme telle, au sens judiciaire, les quatre autres n'étant que témoins lors du procès. On a travaillé sur ces questions pour que tout le monde puisse être appréhendé en qualité de victime.
Même si vous avez déjà explicité un certain nombre d'éléments, je reviens sur la question des sanctions judiciaires et administratives. C'est un peu le nœud gordien, nos auditions le montrent, qu'on ne parvient pas à trancher. Même si l'arsenal juridique est assez développé, on ne parvient pas à trouver le bon outil. La présomption d'innocence, que je ne remets absolument pas en cause, bien sûr, est une forme de voile derrière lequel se cachent, pardon de le dire ainsi, un grand nombre de responsables que nous avons auditionnés. Une sorte d'épée de Damoclès est dès lors suspendue au-dessus de leur tête, compte tenu du risque de recours. Je ne le dis pas pour vous inciter à être répétitif, …
(Sourires.)
… mais pour souligner qu'il en résulte une forme de frustration, au niveau collectif et au niveau individuel : on se dit qu'on n'arrivera à rien. J'ai pourtant un naturel plutôt optimiste.
Des mesures conservatoires peuvent être prises en cas d'indices graves et concordants. Comment faut-il articuler les actions menées par le ministère de la justice, le ministère des sports, particulier la direction des sports, et les fédérations sportives pour assurer au moins une information en la matière ? Il y a peut-être de la peur du côté des présidents de fédération, mais une profonde méconnaissance règne aussi.
En ce qui concerne les comportements discriminatoires dans les enceintes sportives, j'entends votre volonté de fermeté. Nous avons entendu hier le président de la Ligue de football professionnel et ce matin l'ancien président de la Fédération française de rugby : ils sont sur la même ligne, tout le monde veut prendre le même chemin, mais on est encore loin du but.
Même si vous n'avez pas de baguette magique, merci pour les éléments de réponse que vous pourrez nous donner.
Outre les qualités que nous vous reconnaissons tous, vous venez de faire preuve d'une forme de prescience ou de médiumnité : vous avez bien compris que j'allais me répéter, et je vais donc le faire. Vous avez dit, par ailleurs, que vous étiez optimiste. Heureusement que vous n'êtes pas pessimiste…
L'exemple donné tout à l'heure par Stéphane Mazars est éclairant. Il faut laisser au parquet le soin de décider de l'opportunité de communiquer ou non, en tenant compte des risques que cela peut comporter, car une procédure peut en polluer une autre. Néanmoins, il faut communiquer davantage chaque fois que c'est possible – voilà comment on peut formuler les choses, me semble-t-il.
La solution se trouve du côté des moyens. Mon ambition, je l'ai dit, est de diviser par deux tous les délais de justice. Nous avons mis en place de nouvelles procédures au niveau réglementaire et donné davantage de moyens. Nos compatriotes, pardon de le souligner, seront exigeants quant à l'usage de ces crédits historiques pour la justice. Tout le monde devra faire des efforts, et les magistrats le disent aussi. Ces moyens doivent permettre d'aller plus vite, qu'il s'agisse de passer du présentenciel au postsentenciel, de communiquer, de prendre des mesures disciplinaires, pour éviter des réitérations, d'informer les fédérations et les clubs des condamnations intervenues ou de compléter le Fijaisv.
Je reviens sur la question du folklore. La République a reconnu hier au Sénat – votre assemblée sera ensuite saisie de ce texte – ses errements en matière de condamnation des homosexuels, de l'après-guerre à 1982. Des milliers de gens ont été condamnés, leur honneur a été livré aux chiens, pour reprendre une expression bien connue, et les familles ont été bousculées. L'idée, transpartisane, était que la République est grande aussi quand elle reconnaît ses erreurs, voire ses fautes. On ne peut pas aller en ce sens tout en se contentant d'explications confortables telles que l'invocation du folklore. Il faut que tout cela s'arrête, et nous prendrons les mesures qui s'imposent.
Assez curieusement, on n'entend jamais ce genre de propos dans certains sports collectifs. D'autres, en revanche, se distinguent par des manifestations insupportables. Pousser des cris de singe dans une tribune ne relève pas du folklore : c'est discriminatoire, insultant, raciste, il faut appeler les choses par leur nom. Une vessie est une vessie et une lanterne est une lanterne.
Nous avons constaté un important défaut de signalement de la part des acteurs sportifs. Comment remédier à ce phénomène qui contribue au sentiment d'impunité qui a très longtemps régné ? Plusieurs victimes nous ont dit qu'elles avaient signalé les faits qu'elles avaient subis, parfois depuis des années, mais que, ensuite, rien ne s'était passé au sein du club. De même, certains dirigeants qui nous ont indiqué avoir entendu dire que des bruits circulaient n'ont pas ouvert d'enquête interne ni cherché à comprendre ce qui se passait réellement avant que les affaires atterrissent dans la presse et que des dépôts de plainte aient lieu.
Nous nous interrogeons beaucoup sur la méconnaissance de l'article 40 du code de procédure pénale par les fédérations. Quelles mesures peuvent être prises à l'encontre d'une personne, par exemple un cadre, mais pas seulement, qui ne signalerait pas des faits dont elle est informée ? Vous allez me dire qu'il existe déjà des dispositions en la matière, mais elles ne sont pas mises en application. On sait que des personnes n'ont pas fait de signalement dans certains cas mais qu'ensuite rien ne s'est passé en ce qui les concerne. Au-delà des cadres, toute personne témoin d'une agression sexuelle ou informée de l'existence de certains faits et qui ne fait pas de signalement devrait avoir à rendre des comptes. Quand on ne fait pas de signalement, on est complice par son silence. Que pouvons-nous faire pour avancer dans ce domaine ?
Je vais commencer par vous communiquer quelques chiffres. En 2022, 91 personnes ont été condamnées pour une infraction principale de non-dénonciation de crimes ou de privations, mauvais traitements, agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur, dont 83 à une peine d'emprisonnement, ferme ou en partie ferme dans 14 cas, le quantum moyen s'élevant à dix-sept mois, ce qui dénote une certaine sévérité.
L'article 40 du code de procédure pénale ne s'applique pas à tout le monde, mais le même code comporte un article 434-3 qui oblige quiconque ayant eu connaissance de crimes, de délits, d'agressions sexuelles ou d'atteintes sexuelles infligés à des mineurs à les dénoncer. Celui qui n'en informe pas les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
Comment faire en sorte que ces dispositifs fonctionnent mieux ? Il faut rappeler les textes, ce que nous faisons – c'est notamment le rôle du magistrat référent sport. Je ne peux pas, pour ma part, aller au-delà. En revanche, il existe une véritable prise en compte sociétale de ces phénomènes et de l'impérieuse nécessité de les réprimer. La parole se libérera de plus en plus, c'est vrai dans ce domaine et dans celui, crucial, des violences intrafamiliales. Des gens savent que, dans certains couples, la femme est régulièrement battue, qu'elle fait l'objet de violences. Si la parole se libère, c'est parce que toute la société prend conscience du fait qu'il est nécessaire d'éradiquer ces crimes indignes d'un grand pays tel que le nôtre.
Nous avons, grâce à l'article 40 du code de procédure pénale, qui est un vieux texte, et à l'article 434-3 un arsenal complet pour faire obligation de dénoncer. Je souhaite, je le redis, une relation fluide entre le monde de la justice, notamment les parquets, et le monde du sport. Une des missions des magistrats référents est d'informer les dirigeants sportifs de l'existence de ces textes et des obligations qui sont celles de toute personne ayant connaissance de faits de telle nature.
Merci, monsieur le ministre, pour les précisions que vous avez apportées, notamment en ce qui concerne la difficulté liée à la dualité des procédures, disciplinaires et judiciaires.
Vous avez parlé du hooliganisme. Il est vrai que des groupes de supporters sont coutumiers des insultes racistes et homophobes, mais il y en a d'autres qui luttent contre de telles insultes. Par ailleurs, ce phénomène peut concerner des individus isolés et il n'existe pas que dans le football – beaucoup d'autres sports, comme le rugby, sont touchés.
Un travail de fond doit être mené dans toutes les fédérations et des sanctions doivent tomber, puisqu'il s'agit de délits, mais la question de la symbolique du sport, des sportifs et des sportives dans notre société se pose aussi. Vous sentez-vous à l'aise quand M. Darmanin dit qu'un joueur de football, Karim Benzema, est affilié aux Frères musulmans et attise, en instrumentalisant ce sportif, quelque chose qui, à mon avis, n'est pas sain ? On pourrait prendre d'autres exemples : on disait aussi, à l'époque de Michel Platini, que tels joueurs ne chantaient pas La Marseillaise. Les politiques, dont je fais partie, ne doivent-ils pas prendre des précautions et éviter d'instrumentaliser ces questions ?
Je vous répondrai simplement, pardonnez-moi, que c'est un peu hors sujet – mais il ne s'agit sans doute pas d'un hasard. En tout cas, je ne viens pas ici pour me livrer à un exercice de sémantique.
Diverses propositions ont été formulées dans le cadre de nos travaux. L'une d'elles serait de rendre imprescriptibles les crimes sexuels commis à l'encontre des mineurs. Jean-Marc Sauvé nous a dit que ce n'était pas souhaitable en raison de la difficulté de l'établissement, des dizaines d'années plus tard, de la matérialité des faits. Qu'en dites-vous ? Je souhaiterais également vous entendre au sujet de la reconnaissance de l'amnésie traumatique.
En ce qui concerne l'amnésie traumatique, il existe des travaux, dont j'ai pris connaissance, mais ils font l'objet de discussions au sein de la communauté scientifique. Il m'est donc difficile d'avoir un avis tranché en la matière.
Je connais bien, en revanche, la question de la prescription, d'abord parce que j'ai longtemps été avocat. Lorsque la sénatrice Annick Billon a présenté sa proposition de loi, qui a très largement été adoptée, j'ai aussi beaucoup consulté : j'ai reçu de nombreuses associations et victimes. La question est infiniment complexe.
La première difficulté est celle que le président Sauvé a évoquée : que reste-t-il d'une preuve quarante ans plus tard ? Et quel procès peut-on alors envisager entre une victime et un accusé qui seraient, tous les deux, le temps passant d'une façon équipollente pour tout le monde, de très vieilles personnes ? L'espérance que suscite le dépôt d'une plainte ne risque-t-elle pas d'être déçue par une décision qui, s'il ne reste rien, ne pourrait pas être de culpabilité ? Un procès n'est pas conçu pour faire du mal aux victimes. Il faut donc, à ce sujet, rester très nuancé.
Certaines des personnes que j'ai rencontrées m'ont dit, par ailleurs, que des victimes souhaitaient s'exprimer après l'acquisition de la prescription, parce qu'elles souhaitaient parler mais ne voulaient pas d'un procès. Cela peut s'entendre, et cela doit être respecté. Quel est le pourcentage de victimes qui se trouvent dans cet état d'esprit ? Je n'en sais strictement rien, mais c'est un aspect qui doit être pris en compte.
Enfin, mais vous le savez déjà puisque vous êtes parlementaires, les délais de prescription ont d'ores et déjà été allongés par un certain nombre de textes.
Des fédérations sportives se constituent parties civiles lors de procès qui se tiennent au pénal à l'initiative de victimes de violences. Certaines fédérations, mais pas toutes, ont d'ailleurs inscrit cette possibilité dans leurs statuts. Devant l'ampleur des violences dans le sport et le grand nombre de victimes, comment pourrait-on améliorer l'accompagnement assuré par les fédérations ? J'ajoute que certaines d'entre elles ont tenté de se constituer parties civiles, mais ce droit leur a été refusé et il a donc fallu qu'elles insistent pour l'obtenir.
Je n'oublie pas que c'est moi qui suis auditionné, mais j'aimerais savoir, pour que nous puissions regarder très précisément la question, où on a considéré que l'intervention d'une fédération était irrecevable. Les conditions de recevabilité de l'action civile sont définies par le code de procédure pénale. Sans inverser les rôles, pourriez-vous me communiquer des éléments ? À quelles fédérations a-t-on dit non et pour quelles raisons ? Ce sujet mérite évidemment d'être creusé.
Nous vous communiquerons ces éléments. J'ai en tête la fédération concernée, qui a dû faire appel, mais je ne voudrais pas dire de bêtises.
Est-ce une question textuelle ? La procédure a-t-elle été mal introduite ? Je ne vois pas trop comment on pourrait refuser à une fédération le droit d'intervenir. On les incite au contraire à se constituer parties civiles. L'impératif m'est interdit, mais dites-moi, si vous le voulez bien, de quoi il s'agit.
Au cours de son audition, M. Jean-Marc Sauvé a déclaré qu'au-delà de la reconnaissance des victimes se posait la question de la réparation. La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase) a effectué un travail remarquable qui a notamment conduit à la création d'une grille d'évaluation transversale, pour l'ensemble des victimes, qui tient compte des conséquences dommageables des actes commis. Ce travail pourrait-il faire l'objet d'une transposition dans le champ du sport, longtemps marqué par une rude omerta ?
La plupart des victimes que nous avons entendues ont, en effet, mis énormément de temps avant de pouvoir témoigner de ce qu'elles avaient vécu lorsqu'elles étaient plus jeunes, voire très jeunes – c'est pourquoi j'ai évoqué la question de l'amnésie traumatique. Certaines personnes nous ont également dit qu'elles n'avaient pas eu le sentiment d'avoir été reconnues comme victimes. Comment peut-on avancer ?
Je ne sais pas si la grille proposée par le président Sauvé est transposable au monde sportif. À la suite de son rapport, un mécanisme d'indemnisation des victimes a été confié à un organe indépendant, selon un mode de calcul spécifique. La difficulté est que les auteurs d'infractions sexuelles dans le milieu sportif n'agissent pas pour le compte d'une personne juridique unique, ce qui constitue une différence majeure.
Par ailleurs, la question de l'indemnisation des préjudices subis par les enfants victimes va bien au-delà du domaine du sport. Mon ministère participe actuellement à un groupe de travail sur l'indemnisation des victimes d'infractions sexuelles. Voilà ce que je peux vous dire à ce stade. Les conclusions de ce travail seront remises en 2024.
Afin de faciliter leur travail de prévention, des représentants d'associations luttant contre les violences sur mineurs ont réclamé la possibilité de consulter le Fijaisv ou, à défaut, d'instituer un référent Fijaisv par département, qu'il serait possible de consulter. Que pensez-vous d'une telle proposition ?
La question de la consultation des fichiers n'est pas simple, compte tenu de nos règles en matière de libertés individuelles. Les données enregistrées sont, par essence et par définition, sensibles. De plus, certaines personnes ne sont pas inscrites au fichier lorsqu'elles sont simplement mises en examen mais pas encore définitivement condamnées, en vertu de la présomption d'innocence. Les collectivités locales ne disposent pas d'un accès direct au Fijaisv. Il ne me paraît pas opportun de modifier les équilibres actuels, même si la désignation, au sein des préfectures, d'un référent Fijaisv est une piste qui mérite d'être explorée. La réflexion aura lieu.
M. Philippe Astruc, procureur de la République de Rennes, a préconisé la réintroduction du consentement dans le code pénal, en proposant de préciser que tout acte de nature sexuelle suppose un consentement donné librement. Qu'en pensez-vous ?
Ce sujet relève aussi de l'Union européenne, où les réflexions se poursuivent. Le droit français réprime le viol et la répression de ce crime a fait l'objet d'un certain nombre de renforcements, légitimes et opportuns. Il m'est difficile de vous en dire plus à ce stade.
Les personnes qui fréquentent les stades sont régulièrement les témoins de délits commis devant elles, en flagrance, lesquels ne sont pas poursuivis malgré la volonté affichée de tous les acteurs du sport – mon collègue Stéphane Buchou l'a évoqué. Lors de leurs auditions, MM. Labrune et Laporte ont ainsi tous deux fait part de leur volonté de ne rien laisser passer et d'entamer des poursuites. La difficulté réside-t-elle dans la caractérisation de la responsabilité individuelle du fauteur de troubles ? Les moyens de surveillance dans les stades permettent pourtant de les identifier facilement. Faut-il préférer la stratégie consistant à responsabiliser ceux qui sont en charge d'organiser un spectacle sportif, en instaurant une responsabilité pénale de la personne morale organisatrice – le club ?
Sur ce sujet, la volonté des acteurs de la politique et du sport est indéniable. Pourtant, tous les week-ends, des délits sont commis devant nos enfants et nous-mêmes. Les représentants du parquet sont souvent présents dans les enceintes sportives, pour s'assurer du dispositif de sécurité mis en place. Des délits sont ainsi commis en flagrance sous les yeux du procureur de la République lui-même, sans être poursuivis. S'agit-il de la culture du folklore ? Si tel est le cas, il faut en sortir, vite. Certes, il ne faudrait pas risquer d'engorger les tribunaux, si de tels délits pouvaient faire l'objet d'amendes forfaitaires, plutôt que de poursuites individuelles. Il est urgent de trouver les moyens d'agir efficacement.
Merci, monsieur le député Mazars, de rappeler que les référents sport sont présents derrière les écrans, au poste de commandement, pour vérifier ce qui se passe dans le stade. Il s'agit d'une amélioration considérable. Vous évoquez la responsabilisation des présidents de clubs. Si certains d'entre eux – faciles à responsabiliser – refusent, sans aucune ambiguïté, de continuer à tolérer ce type de comportements, d'autres considèrent qu'ils relèvent du folklore. Ces derniers n'ont sans doute pas entendu un certain nombre de choses qui le mériteraient.
Je reviens sur le sujet de la répression des viols dans notre pays. La législation française est l'une des plus répressives d'Europe, si ce n'est la plus répressive. Les crimes de viol sont passibles de quinze ans de prison à la réclusion criminelle à perpétuité, selon qu'il existe ou non des circonstances aggravantes. Le nombre d'affaires de viols ou d'agressions sexuelles signalées au parquet a doublé entre 2017 et 2021. En 2017, 20 000 affaires ont ainsi été signalées au parquet, pour près de 40 000 en 2021. Le nombre de condamnations pour viols a augmenté de 40 % sur la même période : 98 % des peines prononcées étaient en moyenne de onze ans de prison, ce qui représente une aggravation. Je l'ai déjà dit à de nombreuses reprises, les peines sont de plus en plus lourdes, qu'elles soient correctionnelles ou criminelles – certaines d'entre elles sont prononcées par le jury populaire.
La commission auditionne Mme Marie-George Buffet, co-présidente du Comité national pour renforcer l'éthique et la vie démocratique dans le sport, ancienne ministre chargée de la jeunesse et des sports, et M. Stéphane Diagana, co-président du Comité national pour renforcer l'éthique et la vie démocratique dans le sport.
Mes chers collègues, nous accueillons pour cette ultime audition de notre commission d'enquête les deux coprésidents du Comité national pour renforcer l'éthique et la vie démocratique dans le sport. Je vous souhaite à tous les deux la bienvenue et vous remercie d'être venus répondre à nos questions.
Madame la ministre Marie-George Buffet, vous avez en 1997 été élue députée puis nommée ministre de la jeunesse et des sports, fonction que vous avez occupée jusqu'en 2002.
Monsieur Stéphane Diagana, vous avez été athlète, spécialiste du 400 mètres haies, champion du monde d'athlétisme masculin lors des championnats de 1997 à Athènes. Vous avez mis fin à votre carrière sportive en 2004. Vous avez présidé la Ligue nationale d'athlétisme de 2007 à 2009.
Le Comité national pour renforcer l'éthique et la vie démocratique dans le sport a été installé en mars 2023 par la ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques. Cette décision est directement liée aux affaires Laporte et Le Graët.
Le Comité est composé de douze personnalités qualifiées. D'ici à la fin de l'automne 2023, il doit formuler des propositions à même de renforcer l'éthique de la gouvernance dans le domaine du sport, d'améliorer la vitalité démocratique au sein des instances et d'affermir la protection des pratiquantes et des pratiquants, notamment contre toutes les formes de violences et de discriminations.
Avant d'en venir aux travaux de ce comité, permettez-nous de revenir avec l'ancienne ministre chargée des sports que vous êtes, madame Buffet, sur l'affaire qui a constitué un tournant historique dans la lutte contre les violences sexuelles. Nous nous devons collectivement de comprendre pourquoi il a fallu attendre aussi longtemps, jusqu'à la médiatisation de témoignages aussi accablants que celui de Sarah Abitbol en 2020, pour que les pouvoirs publics se décident à avancer sur ces sujets.
Mme Sarah Abitbol a déclaré devant nous : « J'avais signalé la situation au président de la section artistique de mon club, me rendant chez lui avec mon oncle afin de ne pas être seule pour parler de ces choses horribles. Malheureusement, je n'ai pas été entendue : c'était comme si j'évoquais une simple douleur au genou. Il m'a dit d'aller déposer plainte, et que nous en reparlerions ensuite. En un mot, il me remerciait gentiment, alors que je venais de dire ce qui m'était arrivé à l'âge de 15 ans et de demander qu'on éloigne du club cet entraîneur dangereux. J'ai également signalé les faits au ministère, où l'on m'a dit qu'il existait un dossier, mais qu'il valait mieux fermer les yeux. »
Puis : « Pour ce qui est du dossier, je n'ai su que plusieurs années plus tard ce qu'il en était. Marie-George Buffet avait éloigné Gilles Beyer de la fédération et l'avait suspendu pendant six mois. Il a ensuite été réintégré grâce à la Fédération française des sports de glace, s'occupant notamment des compétitions internationales junior. Je n'ai jamais pu avoir ce dossier dans les mains, mais je sais aujourd'hui, grâce à l'enquête menée par Emmanuelle Anizon, que tout y figure et que, désormais il peut au moins être lu. »
Nous avons demandé la transmission de ce dossier au ministère.
Pourquoi a-t-il fallu attendre la sortie du livre de Sarah Abitbol, Un si long silence, pour que Gilles Beyer soit suspendu du club des Français volants, puis exclu, en février 2020 ? Il nous semble important de revenir avec vous sur la chronologie des faits.
Début 2020, alors que vous êtes ministre de la jeunesse et des sports, votre cabinet est saisi par les parents d'une jeune patineuse du club d'Angers, qui dénoncent le comportement de Gilles Beyer à l'égard de leur fille lors d'un stage de l'été 1999 à La Roche-sur-Yon. Votre directeur de cabinet demande un premier rapport au directeur régional de la jeunesse et des sports d'Île-de-France. Ce dernier recommande de saisir l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, ce qui est fait : M. Beyer sera suspendu. En mai 2001, il est recruté comme chargé de mission auprès du président du club des Français volants, pour être entraîneur. Ni le club ni la Fédération française des sports de glace ne tiennent donc compte du rapport de l'Inspection. Vous exerciez alors la tutelle de la Fédération. Avez-vous été au courant, en mai 2001, de ce recrutement ? Comment avez-vous réagi ?
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Marie-George Buffet et M. Stéphane Diagana prêtent successivement serment.)
Depuis l'entrée en activité du Comité national pour renforcer l'éthique et la vie démocratique dans le sport, le 29 mars, nous avons mené soixante-dix auditions et entendu cent-sept personnes – des acteurs du mouvement sportif, des lanceurs d'alerte, des représentants d'institutions de contrôle et des services de l'État. Ses travaux n'étant pas achevés, je parlerai ici en mon nom propre.
Il ne faut jamais oublier que les associations et les bénévoles assurent l'effectivité du droit à la pratique sportive, en partenariat avec l'État. Le mouvement sportif joue donc un rôle considérable, mais il est fragilisé, à cause du manque de politiques publiques ambitieuses, depuis des années, et parce que règnent une culture et un entre-soi qui l'empêchent de s'adapter pleinement aux exigences sociales, sociétales et éthiques de notre époque. Il aurait besoin d'un profond renouvellement. Selon moi, garantir sa vitalité démocratique est primordial : cela permettrait de renouveler les instances et de susciter un débat interne, étapes nécessaires pour aborder le combat éthique d'une façon nouvelle.
Pour y parvenir, il faudra certainement modifier les règles électorales des fédérations sportives, en allant vers une représentation proportionnelle, afin de favoriser le débat interne et d'avancer vers davantage de parité : plus il y aura de femmes dans les instances dirigeantes, plus nous serons armés pour mener le combat.
Parallèlement au renouveau démocratique, il faudra des outils pour mener le combat éthique. Il nous faut à la fois des outils internes au mouvement sportif, efficaces et aptes à le responsabiliser, et certainement aussi des interventions extérieures. Nous travaillons à de nombreuses propositions pour une architecture nouvelle des comités d'éthique, de leur pouvoir et de leur composition, qui garantissent la transparence de leur action.
Pour mener à bien cette mission, j'ai été particulièrement motivée par la remarque d'un des jeunes athlètes de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep) que nous avons auditionnés, qui demandait à n'être parfois pas considéré comme un sportif, mais simplement comme un individu. Pour protéger les pratiquantes et les pratiquants, il faut modifier radicalement la formation des éducateurs et des entraîneurs, ainsi que les moyens de contrôle ; mais il faut aussi que les athlètes soient considérés comme des personnes à part entière, comme les jeunes gens et les jeunes filles qu'ils sont : ils ont droit au respect et ils ont le droit de s'exprimer, notamment sur leurs conditions de préparation et d'encadrement.
Vous m'interrogez sur une affaire qui remonte à vingt ans, mais où la culture et l'entre-soi que j'évoquais existaient déjà. Le mouvement #MeToo n'avait pas eu lieu. C'était une chape de plomb qui recouvrait les violences sexistes et sexuelles, dans la société tout entière. Dans le mouvement sportif, le non-dit était encore renforcé par le rapport au corps, l'exposition du corps dans l'espace public, la place du sport dans la construction physique et psychique des jeunes.
Le ministère a-t-il réagi comme il aurait dû ? Il serait scandaleux que je vous réponde que oui, bien sûr. Non. À l'époque, cette affaire n'a pas éveillé le soupçon qu'il ne s'agissait peut-être pas d'un cas singulier, mais un exemple de faits qui devaient se produire ailleurs, dans cette fédération et dans d'autres. Le ministère de l'époque a été capable d'organiser les assises nationales « Femmes et sport », d'élargir l'accès des femmes à la pratique sportive, d'améliorer la place des femmes dans les fédérations. En revanche, nous n'avons pas posé la question des conditions d'encadrement ou du respect des individus à l'intérieur du mouvement sportif. Nous avons soulevé le problème du dopage : je ne l'aurais sans doute pas dit ainsi à l'époque, mais aujourd'hui cela paraît plus facile, parce que nous avons des moyens de contrôle qui permettent d'affirmer qu'une personne est responsable, donc de prononcer des sanctions. Nous avons réussi à mener une campagne internationale dans ce domaine. Mais sur la question du respect de l'intégrité physique et psychique des sportifs, nous n'y sommes pas parvenus.
C'est vrai : à l'époque, nous ne nous sommes pas suffisamment emparés du drame qu'ont vécu Mme Abitbol, mais aussi d'autres, en commençant par Catherine Moyon de Baecque. Nous n'avons pas été au niveau pour nous saisir du dossier. Cela me paraît clair.
Je partage l'exposé de Mme Buffet. J'ajoute que la fragilité du mouvement sportif vient aussi de la place du bénévolat : au regard de l'étendue de la mission et de l'importance des responsabilités à assumer, on arrive en limite de compétence. Cela ne dédouane pas le mouvement sportif de sa responsabilité, mais il est nécessaire de réfléchir à sa structuration, à l'accompagnement et la formation des bénévoles, au renforcement de l'encadrement, pour satisfaire aux exigences légitimes de la société au niveau des clubs, des comités, des ligues ou des fédérations.
Nous nous sommes fixé l'objectif de les lui remettre pendant la première quinzaine de décembre. Le souhait du Comité, c'est qu'elles soient véritablement soumises au débat – et j'espère que vos recommandations le seront également.
En effet, malgré les lois qui ont été votées, en 2017 puis en 2022, les comités d'éthique qui ont été institués, les autres mesures encore qui ont été adoptées, si l'on y regarde de près, on s'aperçoit qu'il existe encore des fédérations olympiques qui n'ont pas de comité d'éthique, ou alors où seul le président peut saisir ce dernier ! On voit bien que les lois votées sans étude d'impact, sans évaluation, et surtout sans que le monde sportif en partage les principes, sont inefficaces.
Notre comité souhaite donc que nos propositions soient débattues au sein du mouvement sportif bien sûr, et avec les élus des collectivités territoriales. Plus largement, il est temps d'avoir, pendant quelques mois, un débat public sur les enjeux du développement de la pratique sportive, sur l'éthique dans le sport et sur la vie démocratique du mouvement sportif. Personnellement, je souhaite que nous nous apercevions que nous n'avons pas repensé l'ensemble des enjeux du monde sportif depuis trop longtemps et que cela aboutisse à l'élaboration d'une loi-cadre, grâce à un vrai débat structuré. Si le mouvement sportif se saisit de nos propositions, peut-être réussirons-nous à engager de profonds changements sur la manière de répondre aux questions contemporaines.
Vous avez dit que certaines fédérations olympiques n'avaient pas de comité d'éthique ? Lesquelles ?
Je n'ai pas la liste avec moi, mais je pourrai vous la fournir. Au dernier pointage, il y a un mois environ, je crois qu'il y en avait seize.
Il ne faut pas oublier que, s'il existe de grandes fédérations olympiques, d'autres ont des moyens très réduits, qu'il s'agisse des crédits ou des compétences nécessaires pour déployer ces instruments de combat pour l'éthique.
Pour bien appréhender la diversité du monde sportif, il faut avoir en tête que certaines fédérations disposent d'un budget inférieur à celui d'un club amateur d'autres disciplines. Les budgets fédéraux vont de 200 000 euros à 270 millions. Toutes les fédérations n'ont donc pas les mêmes capacités de formation par exemple. En matière d'éthique, nous nous posons la question de l'opportunité de créer un organisme transversal afin de suppléer aux carences et de pallier les difficultés de petites fédérations à prendre en charge ces problèmes comme il se doit.
Chaque fois que j'ai pu me libérer, j'ai écouté les réunions. Conformément à sa mission, votre commission s'intéresse à des cas précis, analyse des situations, réfléchit à des problématiques spécifiques. À partir d'un constat plus général de l'état du mouvement sportif et des problèmes en matière d'éthique et de pratique sportive, le Comité s'est plutôt consacré à élaborer des propositions applicables à tout le mouvement sportif, quelle que soit la taille des fédérations.
Si des fédérations ont des difficultés à faire vivre un comité d'éthique, peut-être faut-il se demander quel rôle le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) peut jouer pour stimuler et soutenir leur combat en ce sens. Peut-être devons-nous définir un nouveau rôle du CNOSF. Le Comité penche pour cette solution.
Les comités d'éthique sont devenus un outil indispensable pour les fédérations. Nous sommes preneurs de la liste de celles qui n'en ont toujours pas. Nous avons auditionné la directrice des sports et la ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques, qui nous ont indiqué qu'il ne restait que deux fédérations dans ce cas. Vous dites qu'il y en a seize, nous voulons savoir lesquelles.
De nombreux acteurs, notamment des représentants des fédérations, ont appelé à la création d'une autorité indépendante chargée des sujets qui nous intéressent. La ministre semblait avoir déjà tranché, puisqu'elle nous a dit : « Faisons en sorte que chacun prenne ses responsabilités […] avant d'imaginer la création de machins qui auraient pour effet de retarder un certain nombre d'actions et de reporter, de diluer les responsabilités. […] je pense que nous avons aujourd'hui tout ce qu'il faut pour que le sursaut nécessaire puisse se produire dans la vie fédérale. » Le comité que vous présidez est-il parvenu à la même conclusion ?
Nous réfléchissons à proposer d'élargir le principe du comité d'éthique à toutes les fédérations agréées et à faire évoluer le comité de déontologie du CNOSF en comité d'éthique suprafédéral, afin qu'il puisse offrir ses compétences en soutien aux comités d'éthique des fédérations et intervenir en cas de défaillance de leur part.
Selon nous, il faut également doter les comités d'éthique d'un pouvoir d'auto-saisine, pour que leur saisine ne dépende pas de la direction de la fédération. Tous leurs avis doivent être rendus publics, pour garantir la transparence.
Si nous arrivons à construire cette nouvelle architecture au niveau national, en confiant au CNOSF un rôle nouveau de soutien aux comités d'éthique, dont la composition sera modifiée, le monde sportif sera à la fois responsabilisé et doté des outils nécessaires pour mener le combat éthique.
Le débat reste ouvert au sein du Comité sur la nécessité de créer une institution extérieure au mouvement sportif, par exemple une agence, pour examiner les cas de violences sexistes et sexuelles. Le mouvement sportif est demandeur d'une solution de cette nature : lors des auditions, beaucoup d'acteurs nous ont dit qu'ils ne savaient pas faire ce genre de choses. D'abord, une telle agence devrait avoir un champ de compétences clairement défini : serait-elle limitée aux violences sexuelles et sexistes, ou faut-il lui confier également les autres faits de violence et de discrimination ? Personnellement, je préférerais restreindre son champ aux violences sexistes et sexuelles. Ensuite, il faut décider si nous la dotons d'un pouvoir de sanction, sur le modèle de l'Agence française de lutte contre le dopage, qui dispose à la fois d'un pouvoir de contrôle et d'un pouvoir de sanction. Une autre solution consisterait à lui faire déléguer la sanction à la nouvelle organisation des comités d'éthique. Nous trancherons dans les prochains jours ; pour le moment, nous n'écartons pas cette piste.
Nous ne voudrions pas que la mise en place d'une autorité externe soit considérée par les fédérations comme une façon de sous-traiter un problème qui ne les concerne pas, et qu'elle contribue ainsi à leur désengagement. Un équilibre doit être trouvé pour qu'elles restent investies et que, dans le même temps, le dispositif soit efficace. Mme Buffet connaît très bien la lutte antidopage, et j'ai été quant à moi membre de l'Agence mondiale antidopage : nous savons, bien sûr, ce que l'existence d'agences indépendantes dotées d'un pouvoir de contrôle et de sanction a apporté à la lutte antidopage à l'échelle mondiale. Néanmoins, nous tenons vraiment à ce que les fédérations restent impliquées. Les recommandations que nous ferons à l'issue de notre réflexion, qui se poursuit, tiendront compte de la nécessité de trouver un équilibre.
Vous proposez de faire évoluer les missions du CNOSF. Que pensez-vous du rôle qu'il joue aujourd'hui ? Lorsque nous avons auditionné son président David Lappartient, il a évoqué la question de l'indépendance des comités d'éthique en soulignant que « les liens avec l'exécutif n'en garantissent pas l'impartialité et pourraient être revisité s ». Quant à l'ancien président Denis Masseglia, il nous a indiqué n'avoir jamais été informé de quoi que ce soit, s'agissant de violences sexistes et sexuelles, durant toute la durée de sa longue présidence. Bref nous nous sommes posé de nombreuses questions sur le rôle du CNOSF par rapport aux fédérations. Quel regard portez-vous sur ce point ?
Lors de nos auditions, nous avons demandé à des dirigeants de clubs locaux, à des responsables de districts, à des dirigeants fédéraux ce qu'ils attendaient du CNOSF sur ces questions. Très souvent, la réponse était : « rien ». Je ne dis pas cela en souriant. Aujourd'hui, le comité de déontologie du CNOSF existe. Nous avons auditionné sa nouvelle présidente, qui est très engagée. Je pense pour ma part qu'il est de la responsabilité du CNOSF d'être la tête de pont de ce combat éthique : il ne peut pas se décharger de ces questions sur les fédérations. C'est la raison pour laquelle, lorsque nous en débattons au sein du Comité, je soutiens l'idée d'un comité d'éthique suprafédéral au sein du CNOSF, qui serait responsable du combat éthique dans l'ensemble du mouvement sportif français. Il agirait en lien avec les comités éthiques existants – soutenant les plus faibles d'entre eux, dans les petites fédérations sans moyens – mais serait responsable de ce combat.
J'ajoute que cette action ne peut pas, selon moi, rester à l'intérieur de nos frontières. Il serait de l'intérêt du mouvement sportif, et de ses pratiquants et pratiquantes, que la France prenne l'initiative de travailler avec d'autres États sur les sujets d'éthique au sein du mouvement sportif international. Nous devons bien sûr nous occuper de ce qui se passe dans notre pays, mais nous devons aussi défendre des exigences au niveau international.
Je le dis clairement, car je le crois profondément : il faut responsabiliser le CNOSF dans ce combat pour l'éthique ; il faut qu'il soit comptable de ce qui se passe dans le mouvement sportif français.
On voit émerger des agences en charge de ces questions au niveau des fédérations internationales ou de certains États, comme aux États-Unis avec U.S. Center for SafeSport, ou comme en Suisse. Certaines d'entre elles ont une approche beaucoup plus large de la notion d'intégrité et disposent de prérogatives plus étendues, s'agissant de la protection des pratiquants comme de celle des institutions. Nous nous sommes également intéressés à ces modèles.
Nous pensons en tout état de cause que les comités d'éthique – au sein des fédérations ou bien, comme nous l'envisageons, au sein du CNOSF – doivent bénéficier d'une forte indépendance. La nomination de leurs membres revêt à cet égard une grande importance : ces instances ne peuvent fonctionner qu'à condition d'être enrichies de l'apport de personnes extérieures au mouvement sportif, et d'être constituées en toute indépendance. Sans doute faut-il d'ailleurs réfléchir à des connexions possibles avec les mandats politiques.
Il faut aussi travailler sur les pouvoirs des comités d'éthique. Une question en particulier nous a beaucoup occupés : si une plainte est déposée contre un dirigeant, le comité d'éthique doit-il pouvoir décider de la mise en retrait de celui-ci pendant la durée du procès ? C'est une question importante, à laquelle il faut répondre. Elle soulève bien sûr de nombreux problèmes, touchant notamment à la présomption d'innocence. Je souligne néanmoins qu'il ne s'agit pas de pouvoir démissionner la personne mise en cause mais de la mettre en retrait, afin d'éviter qu'elle fasse courir des risques à sa fédération ou à certaines personnes.
Les comités d'éthique ne sont pas dotés de pouvoirs disciplinaires : ils peuvent saisir l'organe disciplinaire des faits dont ils ont eu connaissance. Selon David Lappartient, il s'agit d'une double procédure longue et douloureuse. De ce fait, il propose de doter les comités d'éthique de pouvoirs disciplinaires, au moins sur les questions de violences sexuelles. Que pensez-vous de cette proposition ?
Ce sujet a fait débat au sein de notre comité – y compris entre le président du comité d'éthique de la Fédération française de tennis, Franck Latty, et son homologue du rugby, Bernard Foucher. Nous sommes encore en phase de réflexion. Il est certain toutefois que l'étape préalable d'émission d'un avis avant la décision de la commission de discipline allonge les procédures. Je pense qu'il serait bénéfique pour tout le monde qu'elles soient raccourcies.
C'est souvent l'opacité de leurs décisions qui fragilise les comités d'éthique. Les Anglo-saxons parlent de name and shame : si les comités pouvaient rendre public leur avis et renvoyer la responsabilité de la décision à la commission de discipline, leur pouvoir en serait renforcé et ils pourraient peser davantage sur cette décision.
Nous sommes encore en discussion sur ce point et prendrons une décision prochainement.
Que pensez-vous de l'ambition, sur ces enjeux, des contrats de délégation signés en 2022 ?
L'idée d'un engagement réciproque du mouvement sportif et de l'État sur une série d'objectifs est bonne. Encore faut-il ensuite que l'État dispose des moyens de suivre la réalisation de ces contrats. Je rappelle que le ministère a perdu ses directions départementales et qu'au niveau régional, il est représenté au sein des délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (Drajes) – mais placé plutôt en bout de table. On peut toujours signer des contrats, bien sûr, mais sans moyens de contrôle, et sans moyens d'accompagnement lorsque les fédérations sont en difficulté, leur effectivité restera sujette à caution.
J'entends ce que vous dites au sujet des contrôles : nous avons identifié cette même difficulté au cours de nos auditions. Que pensez-vous cependant de l'ambition affichée dans ces contrats, notamment sur le volet éthique et s'agissant des violences sexistes et sexuelles ?
Il ressort de façon unanime des discussions que nous avons eues à ce sujet au sein du Comité que cette ambition fait clairement défaut. Historiquement, la relation entre le ministère – désormais, l'Agence nationale du sport – et les fédérations était largement axée sur le développement de la pratique, qui est effectivement important, et sur les résultats sportifs, dont on connaît les enjeux. Mais il est vrai que sur les questions de violences sexistes et sexuelles, il y a sans doute une lacune dans le pilotage de la relation. Sans doute est-ce parce qu'elles étaient moins présentes autrefois dans la société d'une façon générale. Elles le sont aujourd'hui en tout cas, et doivent donc selon moi – et selon l'ensemble des membres du Comité je crois – y être intégrées.
La question du sport de haut niveau soulève celle de la pression de la performance. On sait très bien que tout système de performance peut avoir des effets pervers sur le respect de l'intégrité de la personne ou sur son développement. Au-delà du dopage et des violences sexistes et sexuelles, il faut se préoccuper de la performance sociale du haut niveau : comment produit-on de la performance, et à quel coût ? Quels sont les risques, et comment les neutraliser ?
Les dispositifs actuels en matière de suivi socioprofessionnel relèvent plutôt de l'obligation de moyens. Ils ont certes été renforcés par des obligations de formation : une qualification est désormais requise pour occuper ces fonctions au sein des fédérations. Mais il reste un travail à mener pour suivre, après leur carrière, l'itinéraire social des sportifs qui ont figuré sur les listes ministérielles. Peut-être faut-il allonger la période de suivi, renforcer les dispositifs d'accompagnement, dépasser la simple obligation de moyens pour fixer des objectifs. Il ne s'agit pas de sanctionner mais d'accompagner et de faire évoluer les pratiques en la matière, dans un souci de protection des pratiquants et pratiquantes : le fait de servir les couleurs nationales ne doit pas conduire à une grande fragilité sociale par la suite.
La question des contrats de délégation n'est pas seulement administrative. Leurs ambitions témoignent d'orientations politiques, et sont validées à l'échelle correspondante. Nous nous sommes beaucoup interrogés, au sein de la commission d'enquête, sur ces ambitions au regard des questions d'éthique, de probité, de violences sexuelles et sexistes ou encore de racisme. Notre sentiment, qui a en quelque sorte été confirmé par la direction des sports, est que ces contrats avaient été écrits très rapidement pour être signés dans des délais courts, et qu'ils n'étaient qu'un premier jet.
Il manque effectivement des objectifs clairs et précis, ainsi que des indicateurs de mesure. Peut-être faudrait-il également envisager des évaluations externes des fédérations sur ces questions : sans doute certaines sont-elles plus performantes que d'autres, mais nous n'en savons rien aujourd'hui. Des outils de mesure permettant aux fédérations de s'évaluer sur différents critères les feraient progresser. Ce qui ne se mesure pas est difficile à piloter ; des orientations et des indications doivent figurer dans les contrats de délégation.
Je voudrais d'abord, madame Buffet, monsieur Diagana, saluer le travail que vous réalisez sur un sujet qui nous préoccupe fortement.
Vous disiez tout à l'heure, madame la ministre, qu'il faut responsabiliser. Compte tenu de ce que nous avons entendu lors des plus de quatre-vingt-dix auditions que nous avons menées et de la gravité des faits qui nous ont été révélés, en est-on vraiment là ? Ne faut-il pas aller plus loin ? Comme l'a montré l'audition du garde des sceaux tout à l'heure, il y a parfois des zones d'ombre, pour lesquelles on n'a pas de réponses. À ce stade, vous n'avez pas encore décidé – je ne vous en fais pas le reproche – s'il fallait instaurer une autorité indépendante ou plutôt impliquer celles et ceux qui sont déjà aux responsabilités. Les auditions que nous avons menées ont démontré que c'est un petit monde, dans lequel on se connaît, et qui est marqué – cela a été dit très régulièrement – par une forme d'entre-soi. Si vous choisissiez de ré-impliquer ces personnes, la question se poserait de l'efficacité de leur action.
Pour résumer, nous observons à l'issue de toutes ces auditions qu'un certain nombre d'acteurs – les présidents de fédérations notamment – souhaitent ardemment une grande fermeté et veulent aller très loin. Mais avez-vous pris en compte les blocages qui existent ? L'identification des victimes a commencé et va se poursuivre car, je le dis très modestement, notre commission d'enquête a fait œuvre utile en libérant la parole. Mais la question qui suit est complexe : une fois que l'on a franchi ce cap, comment fait-on collectivement pour que celles et ceux qui n'ont pas agi au moment où ils auraient dû le faire ne puissent pas récidiver ? Bref, comment fait-on pour repartir du bon pied ?
Il est certain qu'en l'état actuel des procédures de nomination et d'appel à candidature, et compte tenu de la composition aujourd'hui très homogène des comités d'éthique, cela ne pourra pas fonctionner. Si en revanche l'indépendance des nominations est garantie, et si l'on va chercher des personnes compétentes à l'extérieur pour travailler et prendre des décisions au sein de ces comités, on se donnera plus de chances. Cela sera-t-il efficace ? Ou bien faut-il absolument dès à présent instaurer une autorité indépendante sur cette question, comme cela a été fait pour la lutte contre le dopage ? Nous sommes encore en phase de réflexion. Nous espérons que les comités d'éthique peuvent fonctionner, mais il faudra que leur composition fasse l'objet d'une refonte complète. Nous avons constaté un problème de dépendance, que les auditions que vous avez menées ont dû révéler aussi. Nous sommes convaincus que si l'on y retrouve les anciens présidents de ligues, les comités d'éthique ne seront pas à la hauteur de l'enjeu et de la tâche.
J'abonde dans ce sens. Il faut que la composition des comités d'éthique leur permette de sortir de l'entre-soi. Au sein du comité d'éthique suprafédéral que j'appelle de mes vœux, il faudrait nommer des personnes issues de grandes institutions républicaines, peut-être du Parlement. Il faut des personnes qui, compte tenu des responsabilités qu'elles exercent dans notre pays, soient en mesure de faire preuve de compétence et d'autorité. Surtout, il faut qu'elles ne soient pas « dans la famille », si vous me permettez l'expression. Il ne faut pas que la nomination d'un comité d'éthique se fasse dans la foulée de l'élection de la direction fédérale, et encore moins que l'on nomme à la présidence l'ancien dirigeant qui vient d'être remplacé… Cela semble être le b-a.ba, mais il faut le redire.
Il y a d'autres facteurs sur lesquels nous devons agir. Je suis convaincue que nous avons un problème de formation et qu'il faut une réforme systémique de la formation initiale et continue des éducateurs et des entraîneurs : ceux-ci doivent suivre des modules obligatoires sur tous les sujets se rapportant à l'éthique. Un institut de formation a existé au sein du CNOSF, qui a disparu en 2016. Je pense pour ma part qu'il faut en créer un nouveau, qui soit contrôlé, pour dispenser ces modules de formation. C'est une deuxième chose.
La troisième chose sur laquelle nous devons agir, je le répète, ce sont les moyens de contrôle de l'État. Il faut que le ministère regagne des capacités humaines et financières.
Enfin, je pense, au risque de choquer, que nous n'irons au bout de ce combat pour l'éthique qu'à la condition qu'il y ait un renouvellement dans les postes de responsabilité du mouvement sportif. En disant cela, je ne fais pas injure aux dirigeants actuels, qui ont consacré une partie de leur vie au développement du sport. Mais le constat est là : ils sont souvent en décalage avec les exigences sociétales, sociales et éthiques de notre société.
Ce renouvellement passera par une vie démocratique ravivée, je l'ai déjà dit. Mais il implique aussi que l'on donne envie de s'engager bénévolement. Je ne reviendrai pas sur le statut du bénévole : cela fait cinquante ans que tout le monde en parle et qu'il ne se passe pas grand-chose. Ne prononçons donc plus cette formule, mais essayons de déterminer ce qui pourrait donner envie à de nouvelles générations de dépasser le niveau local pour prendre des responsabilités au sein de leur fédération et se présenter aux élections. Je pense pour ma part qu'il faut établir une grille d'indemnisation – je ne parle pas de rémunération – des futurs dirigeants et dirigeantes du mouvement sportif. Il faut que cette grille soit transparente, car on sait que certaines fédérations sont capables de rémunérer quand d'autres ne le peuvent pas, que certaines ont beaucoup de salariés quand d'autres n'en ont pas. Cette grille doit également s'accompagner de contreparties, par exemple en termes de formation. Sans doute faut-il aussi revenir sur les questions de trimestres de retraite et de décharges horaires, pour donner envie à des jeunes d'aller chercher des responsabilités dans les fédérations.
Si nous ne faisons pas tout cela, le combat éthique sera beaucoup plus long à mener. Je le crois profondément, après les auditions que nous avons menées, même si je respecte ces hommes et ces femmes qui se sont investis. Oui, il faut un renouvellement dans le mouvement sportif, mais je n'ai pas de leçons à lui donner : c'est vrai aussi dans d'autres secteurs de la société – et nous devrions peut-être regarder ce qui se passe dans la vie politique !
J'ai été frappée par la réflexion du jeune sportif de l'Insep que vous avez cité, madame la ministre, qui aimerait de temps en temps n'être pas considéré comme un sportif, mais tout simplement comme un individu – comme un être humain en quelque sorte. Je connais plus ou moins le monde sportif, mais je m'intéresse beaucoup à la présente commission d'enquête parce qu'il est le reflet de la société. Cette réflexion m'a rappelé plusieurs témoignages selon lesquels c'est un monde, surtout dans le sport de haut niveau, où l'on semble regarder les êtres humains comme des espèces de machines à gagner, laissant un peu de côté leur humanité. Au tout début de nos travaux, nous avons d'ailleurs entendu deux athlètes employer cette expression de « machine à gagner » qui me choque, expliquant que c'était ce qu'on attendait qu'ils deviennent dans la perspective des Jeux olympiques.
Il ressort aussi de nos auditions que la France, contrairement à d'autres pays, accuserait un gros déficit en termes d'accompagnement psychologique des sportifs. Un tel accompagnement me paraît indispensable, mais j'imagine qu'il varie énormément d'une fédération à l'autre, en fonction des moyens dont elles disposent. Quel regard portez-vous sur cette question ? Avez-vous constaté les mêmes manques et, si c'est le cas, que préconisez-vous pour y remédier ?
Il me semble que, selon l'une des personnes auditionnées, il n'y aura qu'un psychologue pour accompagner toute la délégation française durant les Jeux olympiques de 2024. Or le suivi psychologique est un élément important de l'accompagnement des sportifs, y compris quand on parle de bien-être.
Il est vrai qu'il faut se soucier de la santé des athlètes au sens global qu'en donne l'Organisation mondiale de la santé depuis 1946, qui recouvre trois dimensions : psychique, physique et sociale.
Il existe un déficit d'accompagnement et de prévention, en particulier en ce qui concerne la santé sociale : l'itinéraire des athlètes qui ont porté le maillot national est émaillé de difficultés, ce qui pousse à s'interroger sur le système. On entend des témoignages qui traduisent la pression que représente la quête d'une médaille olympique. Que ce soit en entreprise ou dans le sport, tous les systèmes de performance sont soumis aux mêmes questionnements : comment veut-on produire de la performance ? À quel coût ? Quels en sont les risques ? Comment les identifier et les prévenir ? Qu'accepte-t-on, ou pas ? Le mouvement sportif doit répondre à ces questions, à un moment où le sujet de la santé mentale émerge sur la place publique – pas du fait de la France, mais sous l'initiative bénéfique de sportifs étrangers. Aux Pays-Bas, par exemple, les athlètes sont accompagnés par des coachs de vie. Nous avons en effet du travail à faire dans ce domaine où nous sommes plutôt en retard.
Dans le domaine de la santé physique, le suivi est plus développé. Cela étant, il ne faudrait pas regarder le sport comme une source de dégradation de la santé. Dans la plupart des cas, c'est au contraire un formidable facteur de santé physique, mentale et sociale pour ceux qui le pratiquent au quotidien dans un club. Nous nous focalisons sur les dysfonctionnements, mais ils ne doivent pas faire oublier ces bénéfices pour la société, dont une bonne partie est due au mouvement sportif.
Pour traiter les dysfonctionnements, il faut chercher à construire avec le mouvement sportif et non pas contre lui. Le bénévolat est en difficulté, je le répète, pour de nombreuses raisons. Gardons cela en tête pour ne pas décourager les vocations à un moment où les bénévoles, se sentant écrasés de responsabilités et désignés par des doigts accusateurs, pourraient être tentés de rendre les clefs de leur club pour être tranquille. C'est un raccourci, mais il ne faut pas oublier cette dimension du problème pour pouvoir le résoudre en construisant avec le mouvement sportif. C'est pourquoi je suis en accord total avec le propos liminaire de Mme la ministre : il faut faire une consultation pour pouvoir élaborer des solutions adaptées avec le mouvement sportif, sur la base d'un état des lieux clair et d'une prise de conscience des enjeux et des attentes. Il sera alors possible d'obtenir une vraie adhésion à la feuille de route.
Une de nos propositions sera sans doute de modifier l'article L. 231-5 du code du sport, où il est question des examens médicaux, afin d'élargir le rôle et les missions des fédérations en matière de protection des sportifs. Il faudra y mentionner clairement la santé psychologique.
Le sport étant le reflet de la société, on y trouve les mêmes dérives. La pratique sportive obéit aussi à certains codes établis par la société : si le débat sur le sport se réduit au spectacle, au résultat et à la performance, le mouvement sportif en sera affecté. Lors d'une audition, on nous a ainsi expliqué que certains parents ne voient pas la nécessité que leurs enfants reviennent à la maison pendant le week-end, jugeant avec les entraîneurs qu'il est préférable qu'ils restent s'entraîner au centre de formation. La pression peut donc venir aussi des proches, alimentée par cette obsession du résultat. Il faut desserrer cette conception du sport basée sur la performance et le résultat.
Madame Buffet, vous plaidez pour que la part du budget de l'État consacrée au sport passe de 0,3 % à 1 %. Pensez-vous, l'un et l'autre, que cet appel a été entendu par le Gouvernement ? Quelles sont les dépenses à engager en priorité si l'on veut agir sur les dysfonctionnements qui nous occupent : celles qui permettent de lutter contre les discriminations et les violences sexistes et sexuelles, d'améliorer le bien-être des sportifs et des structures sportives ?
On entend sans cesse parler de l'héritage des Jeux olympiques et paralympiques (JOP). C'est une formule que je récuse. Quel héritage ? Le bassin olympique devant lequel je passe à chaque fois que je pars de chez moi, la nouvelle piscine de Marville et quelques bâtiments construits en Seine-Saint-Denis ?
Souvenons-nous plutôt qu'après les JOP de Londres, le nombre des licenciés a progressé pendant deux ans avant de retomber. J'aimerais que nous saisissions l'opportunité magnifique d'avoir les Jeux en 2024 pour lancer un grand débat, en affirmant notre ambition de développer la pratique sportive en France. Voilà pourquoi j'ai lancé ce défi de faire passer la part du budget consacrée au sport de 0,3 % à 1 % entre 2024 et 2028, durée de la prochaine olympiade, en écho à ce beau combat mené à une époque pour que la culture obtienne 1 % du budget de l'État.
Compte tenu du rôle qu'il joue dans le développement des êtres humains et des liens sociaux, le sport vaut 1 % du budget de l'État. Pour quoi faire ?
Il faut d'abord investir dans des compétences nouvelles, à un moment où le sport est confronté à la marchandisation. Peut-être avez-vous lu le quotidien sportif qui titre sur la « Monopoly Ligue », à propos du contrat signé par la Ligue de football professionnel ? Le sport fait aussi l'objet d'une instrumentalisation au niveau géopolitique : des États plus ou moins démocratiques l'utilisent pour asseoir un rayonnement international. Dans un tel contexte, il faut donner au mouvement sportif, dirigé par des bénévoles, les moyens d'engager des salariés formés pour répondre aux enjeux de notre époque.
Il faut aussi investir dans des équipements sportifs, dont le manque freine le développement de la pratique. C'est vrai pour la natation, par exemple : on sait combien les coûts de construction et de fonctionnement d'une piscine sont élevés pour les villes, mais dans certains départements, un enfant sur deux ne sait pas nager en entrant au collège ! Il faut donc aider les collectivités territoriales à s'équiper.
Enfin, il faut consacrer une partie de ces moyens à l'indemnisation des bénévoles.
Au cours de son audition, M. Ludovic Royé, président de l'Association des directeurs et directrices techniques nationaux, a jugé qu'il serait intéressant de décorréler le temps politique du temps technique. Actuellement, les directeurs techniques nationaux (DTN) sont souvent nommés de manière synchronisée avec le mandat politique d'un président ou d'une association. Que pensez-vous de cette proposition, qui relève du même esprit que celle que vous avez faite pour les comités d'éthique ?
Le DTN est chargé d'appliquer la politique fédérale décidée par le président élu. Je n'avais pas réfléchi à cette question, mais il me paraît logique que le DTN soit choisi aussi en fonction de sa sensibilité. Compte tenu de l'importance de la coopération entre le président et le DTN, les deux personnes doivent entretenir une bonne relation, gage de succès. Il faut surtout que le DTN se sente à même de mener une politique donnée, alors que les orientations peuvent varier d'un président à l'autre. Mais je n'ai peut-être pas saisi tout ce qui motive votre question.
Lors de nos auditions, nous avons constaté que certains DTN étaient en même temps le directeur général de la fédération. Cela nous semble être un cas de conflit d'intérêts. Le DTN assume des missions auprès de la fédération, mais c'est un agent de l'État. Nous allons donc vraisemblablement proposer d'interdire le cumul de postes à responsabilités dans les fédérations avec les missions de DTN. Cela nous semble incompatible.
En cas de faits graves, un DTN qui serait aussi à la tête d'une fédération serait contrôlé ou entendu par le ministère alors qu'il est un agent de l'État. C'est ce qui nous a conduits à cette réflexion sur l'interdiction du cumul.
Nous nous sommes posé la même question. Le cumul semble clairement interdit, mais il se pratique parfois avec l'autorisation du ministère des sports. Nous partageons votre avis : le cumul des fonctions de DTN et de directeur général pose problème.
Merci à vous.
Merci, madame la présidente. Je souhaite que les conclusions de votre commission d'enquête et de notre comité permettent de faire bouger les choses afin que les bénévoles du mouvement sportif soient accompagnés dans le travail remarquable que nombre d'entre eux accomplissent, il faut toujours le garder en tête.
La séance s'achève à treize heure quarante-cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Béatrice Bellamy, M. Stéphane Buchou, Mme Pascale Martin, M. Stéphane Mazars, M. François Piquemal, Mme Claudia Rouaux, Mme Sabrina Sebaihi
Excusé. – M. Pierre-Henri Dumont