La réunion

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La séance est ouverte à dix heures.

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Mes chers collègues, nous commençons aujourd'hui les auditions de la commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre (TNT).

Nous allons entendre ce matin M. Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), accompagné de M. Guillaume Blanchot, directeur général, et de Mme Justine Boniface, directrice de cabinet.

Monsieur le président, monsieur le directeur général, madame la directrice, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Il m'a semblé particulièrement important de vous entendre en ouverture de nos auditions, afin de rappeler le droit applicable à la régulation audiovisuelle et le rôle de l'Arcom. Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire d'environ quinze minutes, qui précédera notre échange sous forme de questions et réponses, à commencer par celles de notre rapporteur. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, madame, messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Roch-Olivier Maistre, M. Guillaume Blanchot et Mme Justice Boniface prêtent successivement serment.)

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Les travaux de votre commission d'enquête portent sur l'une des principales missions de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. Depuis la loi du 29 juillet 1982, qui a abrogé le monopole d'État en matière de radiodiffusion, et celle du 30 septembre 1986, qui a consacré le principe de la liberté de communication audiovisuelle, il revient en effet dans notre pays à une autorité indépendante d'attribuer les fréquences assignées aux services de la télévision numérique terrestre. Cette autorité a également la charge de contrôler les obligations législatives et conventionnelles fixées aux éditeurs en contrepartie de l'utilisation d'une ressource rare appartenant au domaine public de l'État.

La place majeure occupée par les programmes de radio et de télévision dans la vie quotidienne de nos concitoyens et dans le débat public, leur rôle prescripteur dans la formation des opinions, leur importance dans la diffusion de la culture, du savoir et du divertissement, donnent à cette mission une importance de premier plan. Il est donc tout à fait naturel que le régulateur, dont la feuille de route est fixée par le législateur, en rende compte devant la représentation nationale, comme il le fait très régulièrement, et qu'il apporte aujourd'hui sa contribution aux travaux de votre commission.

Je rappellerai dans un premier temps les caractéristiques et les perspectives de la TNT, avant de décrire les étapes de la procédure d'attribution des fréquences et de délivrance des autorisations d'émettre, puis les modalités de contrôle des obligations qui pèsent sur les chaînes.

La TNT est un mode de diffusion numérique de la télévision fondé sur l'emploi d'ondes radioélectriques, dont les fréquences sont planifiées et coordonnées entre les États par une agence de l'Organisation des Nations-Unies (ONU), l'Union internationale des télécommunications (UIT). Pour la France, les bandes de fréquences sont réparties en fonction de leur utilisation et c'est l'Arcom qui gère les fréquences assignées à l'audiovisuel. La France défend depuis de nombreuses années la préservation d'une bande de fréquences dédiée à la TNT, et l'article 21 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit que cette bande de fréquences reste affectée à l'Arcom pour la diffusion de la TNT au moins jusqu'au 31 décembre 2030. Cette position ne fait pas consensus au sein de l'UIT, mais la France, représentée par l'Agence nationale des fréquences (ANFR), l'a à nouveau défendue lors de la dernière conférence mondiale des radiocommunications, qui s'achèvera demain à Dubaï.

Lancée en France métropolitaine le 31 mars 2005, la TNT s'est entièrement substituée à la télévision analogique en 2011 et son paysage s'est alors structuré autour des acteurs historiques, TF1 et M6, et de nouveaux entrants. Aujourd'hui, la plateforme est occupée par dix groupes audiovisuels, qui sont présents sur la TNT nationale et qui éditent, au total, trente et un services : huit services sont portés par des entreprises publiques – les chaînes du groupe France Télévisions, Arte et les deux chaînes parlementaires, qui se partagent un canal ; vingt-trois services sont privés – dix-huit gratuits et cinq payants. À ces trente et un services nationaux s'ajoutent quarante-deux chaînes locales dans l'Hexagone, qui sont présentes sur l'ensemble de notre territoire, et une offre spécifique adaptée à chaque territoire ultramarin. Ainsi, même si la bande de fréquences est physiquement limitée, la TNT française se caractérise par l'abondance et la diversité de son offre pour les téléspectateurs.

Pour avoir une vision complète du paysage audiovisuel, il faut avoir à l'esprit que s'ajoutent à la TNT un peu plus de 200 chaînes disponibles par d'autres réseaux et 360 services de médias audiovisuels à la demande qui sont déclarés ou conventionnés par le régulateur. Tous les services accessibles sur la TNT sont diffusés en haute définition, à l'exception de LCI et de Paris Première. À la demande du Gouvernement, l'Arcom vient juste d'autoriser le groupe France Télévisions à émettre en ultra-haute définition (4K) sur France 2 et France 3 durant les Jeux olympiques de Paris en 2024. Je le précise, parce que la diffusion en haute ou en ultra-haute définition consomme plus de fréquences que la simple définition.

Quelles sont la situation et les perspectives de la plateforme TNT ? De manière globale, nos groupes audiovisuels nationaux sont affectés par des transformations très profondes et très rapides de leur environnement. D'abord, les usages évoluent très vite, sous l'effet de la transition numérique. On compte désormais six écrans par foyer français en moyenne, en incluant les smartphones. La durée d'écoute individuelle de la télévision baisse et l'âge moyen du public de la télévision traditionnelle a augmenté, pour s'établir à 58 ans. Ensuite, les chaînes de télévision subissent la concurrence d'acteurs internationaux très puissants, sur le plan technologique comme sur le plan financier. Ce sont d'abord les plateformes de streaming par abonnement : la moitié des foyers français sont abonnés à au moins l'une d'entre elles. Surtout, les grandes entreprises du numérique – Google, Apple, Facebook, Amazon (Gafa) – captent une part essentielle de la croissance du marché publicitaire consacré aux médias, alors que cette recette publicitaire est la source quasi exclusive de financement des chaînes gratuites privées. Ce sujet sera au centre des États généraux de l'information, parce qu'il pose la question du modèle économique de nos médias – presse écrite, radio et télévision – et que c'est un enjeu de souveraineté majeur. Les groupes audiovisuels, qu'ils soient publics ou privés, sont tous confrontés à la nécessité de s'adapter à ce nouvel environnement et d'aller chercher les publics là où ils sont, notamment les plus jeunes, en renforçant une stratégie digitale éditoriale.

Par ailleurs, la plateforme TNT est de plus en plus concurrencée par d'autres modes de diffusion. Un peu moins de 20 % des foyers français dépendent de la seule TNT pour accéder à la télévision ; ce sont des foyers plutôt modestes, âgés et situés en zone rurale. À la réception hertzienne – et son antenne râteau – s'ajoutent désormais d'autres modes de distribution : le satellite ; l'accès aux programmes via une box Internet, dont le déploiement s'est accéléré avec la fibre ; et, surtout, l'accès par internet, qui va se développer de façon très sensible dans les années qui viennent. Près de 90 % des foyers français sont équipés d'un téléviseur ayant accès à internet et possèdent une télévision connectée. L'écran de télévision est devenu un magasin d'applications, à l'instar de nos smartphones, et 30 % du temps passé à visionner YouTube se fait devant le téléviseur.

Malgré ces évolutions de fond, la TNT reste un mode de diffusion structurant pour le secteur audiovisuel, pour de nombreuses raisons. D'abord, son offre est accessible sur l'ensemble du territoire, gratuite et diversifiée et sa numérotation simple donne une forte notoriété aux chaînes. Ensuite, elle est diffusée sans intermédiation et sans utilisation des données personnelles des téléspectateurs. Enfin, c'est un outil plus sobre au plan énergétique que les autres modes de diffusion. La TNT reste donc un élément majeur d'aménagement et de cohésion de nos territoires, en particulier dans les zones faiblement équipées en infrastructures numériques. Quel que soit leur mode de diffusion, les chaînes de la TNT gardent un puissant pouvoir fédérateur, aussi bien en matière d'information, que de divertissement ou d'accès à la culture.

J'en viens à présent à la procédure d'attribution des autorisations sur la TNT. Elle est très encadrée par la loi et se fait sous le contrôle du juge administratif. L'Arcom la met très souvent en œuvre, tant pour les chaînes nationales, que pour les chaînes de la TNT locale, et surtout pour les très nombreux services de radio – plus de 1 000 – qui composent notre paysage audiovisuel. Nous lançons des appels à candidatures chaque année, parfois même plusieurs fois par an, pour attribuer des fréquences. Ne font exception à cette règle que les chaînes publiques, pour lesquelles le législateur a donné au Gouvernement un droit de préemption sur la ressource radioélectrique.

Quelles sont les étapes de la procédure ? En premier lieu, l'article 31 de la loi du 30 septembre 1986 dispose que l'Arcom doit procéder à une consultation publique quand les décisions d'attribution sont « susceptibles de modifier de façon importante le marché en cause ». Dans les faits, l'autorité y a recours de manière systématique pour la TNT nationale. Elle l'a fait en 2020, à l'échéance de l'autorisation de Canal+, en 2002, à l'échéance des autorisations de TF1 et de M6, et elle vient de le faire pour les échéances de 2025. Une consultation publique a été lancée le 13 juillet ; la synthèse en sera publiée très prochainement – et communiquée à votre commission d'enquête, cela va de soi.

La loi prévoit ensuite que « lorsqu'elle procède aux consultations publiques », l'Arcom « procède également à une étude d'impact, notamment économique, des décisions d'autorisation d'usage de la ressource radioélectrique », qui doit également être rendue publique. Nous sommes en train de finaliser cette étude d'impact, qui sera adoptée dans les prochains jours. C'est un document très riche, offrant un panorama complet de l'audiovisuel français et de la TNT ; nous vous le communiquerons, car je crois qu'il sera très utile à votre commission d'enquête.

Après la consultation publique et l'étude d'impact, vient la troisième étape. L'article 30-1 de la loi de 1986 prévoit que les autorisations sont accordées à l'issue d'un appel à candidatures, dont le texte est rendu public, et fixe très précisément et très limitativement les éléments que l'autorité peut arrêter dans le texte de l'appel – les catégories de services concernés, gratuit ou payant – et les éléments que le dossier de candidature doit contenir : l'identité de la personne morale qui candidate ; le contenu de la programmation proposée ; les éléments financiers à l'appui du projet ; la couverture du service qu'il est proposé de réaliser ; les modalités de commercialisation ; les données techniques associées ; le délai de mise en exploitation du service. A contrario, au regard du principe constitutionnel de liberté de communication, l'autorité n'est pas habilitée à fixer des conditions dans l'appel à candidatures qui reviendraient, d'une façon ou d'une autre, à contraindre la ligne éditoriale proposée par les candidats. S'agissant des échéances de 2025, cet appel à candidatures devrait être lancé au début de l'année 2024.

Au terme du délai de réponse à l'appel, l'Arcom publie la liste des candidatures qui sont déclarées recevables. Les dossiers font l'objet d'une instruction très approfondie de la part des services de l'Arcom, sous l'autorité de son directeur général, qui m'accompagne ce matin. L'Arcom procède ensuite à l'audition publique des candidats, dans le strict respect du principe d'égalité, avant de procéder, enfin, à la sélection du ou des candidats.

Sur quels critères l'autorité se fonde-t-elle pour attribuer les fréquences ? Là aussi, la loi fixe sa feuille de route, éclairée par le juge administratif. La régulation ayant vu le jour dans les années 1980, on dispose d'un peu plus de quarante ans de jurisprudence du Conseil d'État. La loi précise que l'Arcom apprécie « l'intérêt de chaque projet pour le public au regard des impératifs prioritaires que sont la sauvegarde du pluralisme des courants d'expression socioculturels, la diversité des opérateurs et la nécessité d'éviter les abus de position dominante ainsi que les pratiques entravant le libre exercice de la concurrence ». Selon la jurisprudence administrative, ces critères doivent être prioritaires. D'autres critères peuvent évidemment être pris en compte pour départager des projets présentant un intérêt équivalent : l'expérience des candidats ; les engagements qu'ils peuvent prendre s'agissant du financement de la production ; les principes qui sont mentionnés au début de la loi de 1986, à savoir l'honnêteté, l'indépendance, le pluralisme de l'information, ou encore la représentation de la diversité de la société française dans les programmes. L'autorité peut aussi décider de rejeter un dossier ab initio si le candidat ne fournit pas, à ses yeux, de garanties suffisantes sur la viabilité économique du service.

Les autorisations doivent être attribuées dans un délai de huit mois à compter de la clôture des candidatures, pour une durée maximum de dix ans. La loi conditionne également la délivrance d'une autorisation à la conclusion d'une convention entre l'Arcom et la personne morale candidate qui a été sélectionnée.

La procédure, telle qu'elle est définie par le législateur, est soumise à trois principes fondamentaux : la légalité, l'égalité des candidats et la transparence. Elle repose aussi sur les règles qui fondent l'action du régulateur, à savoir l'indépendance, l'impartialité et la collégialité. Étant moi-même astreint au respect du principe d'impartialité, vous comprendrez que je ne porte pas de jugement sur des éditeurs qui seront très vraisemblablement candidats à la prochaine échéance, pour ne pas vicier la procédure.

J'exposerai, pour finir, les modalités du contrôle que l'Arcom exerce sur les obligations légales ou conventionnelles qui pèsent sur les chaînes. Il convient au préalable de rappeler que l'Arcom intervient au cœur d'une liberté publique fondamentale, qui est consubstantielle à notre vie démocratique : la liberté de communication. C'est un principe de nature constitutionnelle, qui est protégé par la loi, mais aussi par les juridictions nationales et européennes. Comme son titre l'indique, la loi du 30 septembre 1986, au même titre que la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, est d'abord une loi de liberté. L'Arcom est garante de cette liberté ; elle n'intervient donc jamais a priori sur les programmes qui sont diffusés sur les antennes. Elle n'est en aucune façon une autorité de censure, ni une police de la pensée, et il ne lui revient pas de déterminer la ligne éditoriale des chaînes de radio ou de télévision.

Néanmoins, le législateur a fixé des limites à l'exercice de cette liberté et a confié au régulateur le soin d'en assurer le respect, sous le contrôle du juge. L'impact des médias audiovisuels sur notre société justifie la définition d'obligations relatives au contenu des programmes qu'ils diffusent : respect du pluralisme, sauvegarde de l'ordre public, honnêteté, indépendance, rigueur de la présentation de l'information, préservation des droits de la personne, protection de la jeunesse. Tout ne peut pas être dit ou montré à l'antenne.

Sur ces différents fondements, législatifs et conventionnels, mais aussi en vertu des délibérations que l'autorité peut prendre elle-même, du fait de son pouvoir réglementaire, l'Arcom peut être amenée à intervenir et, le cas échéant, à prononcer des sanctions à l'égard des chaînes qui ne respecteraient pas leurs obligations. Toutes les décisions d'intervention, sans exception, sont prises de manière collégiale, en toute indépendance, et après une instruction approfondie de la part des services. L'Arcom intervient dans le respect du principe de proportionnalité et du contradictoire.

Nous bénéficions, je le redis, de quarante ans de jurisprudence pour éclairer les motifs qui peuvent justifier ou non une intervention du régulateur auprès d'un éditeur. Il importe d'ailleurs de rappeler que la mission de l'Autorité ne porte que sur la responsabilité de l'éditeur au regard de ses obligations, et vient donc en complément du celle de celle du juge judiciaire, qui seul peut se prononcer lorsqu'un propos tenu à l'antenne constitue une atteinte réprimée par la loi du 29 juillet 1881. Nous ne sanctionnons donc que l'éditeur, et non pas la personne qui est à l'origine du manquement de ce dernier.

Je conclurai en soulignant l'importance des mutations à l'œuvre dans le paysage audiovisuel et numérique. À votre initiative, et pour accompagner ce mouvement, le régulateur s'est considérablement transformé depuis cinq ans. Arrivant au terme de mon mandat, j'aurai connu – expérience administrative rare dans la vie d'un serviteur de l'État – treize textes législatifs qui ont eu un impact sur l'Autorité, ce qui est considérable et, mon mandat n'étant pas encore terminé, il n'est pas exclu que j'en voie encore quelques-uns.

L'Autorité que je préside aujourd'hui n'est donc plus celle que j'ai connue au moment de sa création, au début des années 1980. Elle est aujourd'hui en partie engagée dans la communication numérique, qui est l'enjeu essentiel des années qui viennent. Nous sommes dès à présent mobilisés, avec la Commission européenne et nos homologues européens, pour la mise en œuvre du règlement européen du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques, le Digital Services Act (DSA), mieux lutter contre les contenus illicites, la manipulation de l'information et la haine en ligne, qui prospèrent et doivent mobiliser largement nos énergies.

Soyez en tout cas assurés de l'engagement du collège de l'Autorité, que je préside, et de l'ensemble des services de celle-ci pour exercer ses missions avec rigueur, indépendance et impartialité, conformément à la haute responsabilité que vous lui avez confiée.

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Quelles sont les principales évolutions de la régulation des chaînes de télévision dont vous venez de parler, tant réglementaires que législatives, depuis 1986 ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous donner quelques éléments de comparaison avec quelques-uns des modèles de régulation les plus parlants au niveau européen, par exemple ceux de l'Allemagne ou du Royaume-Uni ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Notre modèle de régulation a vu le jour assez récemment car, comme souvent dans notre pays, beaucoup de choses procèdent ab initio de l'État. Ainsi, jusqu'au début des années 1980 – je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître –, la télévision était entièrement entre les mains de l'État, avec un nombre de chaînes très limité, et il en était de même pour la radio. C'est à cette époque que le paysage s'est ouvert, avec d'un côté, pour la radio, le mouvement de libération des ondes – les fameuses « radios libres » –, et, pour la télévision, l'arrivée progressive de premiers acteurs privés, l'un des temps marquants ayant été la privatisation de TF1 en 1987.

Il a alors fallu mettre en place, comme dans toutes les démocraties, une autorité indépendante pour organiser ce paysage. Il a ainsi fallu organiser la bande FM pour permettre aux radios de diffuser dans des conditions d'écoute satisfaisante, sans se brouiller les unes les autres et, en même temps, fixer le cadre et les obligations applicables au secteur. Ce modèle de régulation, qui date d'une quarantaine d'années, est donc récent par rapport à celui des États-Unis, qui a été le premier du genre dès les années 1930, avec la Federal Communications Commission (FCC), la Commission fédérale des communications.

Le modèle français, très élaboré, avec un corpus juridique très dense – nous sommes en France ! – repose sur la loi du 30 septembre 1986, toujours en vigueur et modifiée environ quatre-vingt-dix fois. Il serait du reste plus juste de dire qu'elle a été complétée, enrichie, avec l'extension des champs de régulation que le législateur a confiés à cette autorité, et articulée sur deux principes.

Le premier est celui de la liberté des médias, que la loi a voulu consacrer. Au sortir du monopole de l'État, la volonté du législateur était en effet de permettre aux médias, comme ce fut le cas avec la loi de 1881, d'avoir un accès libre et d'élargir l'offre dans une approche pluraliste. L'autre principe était celui de la protection des publics. Nous nous trouvons donc constamment dans cette balance entre la protection d'une liberté fondamentale – liberté de communication, liberté éditoriale des chaînes, liberté d'expression – et la protection des publics.

La régulation repose sur une autorité collégiale. Composé de neuf membres – et donc plus nombreux que chez nos voisins –, le collège est désigné, je le rappelle, par cinq autorités différentes : trois membres sont nommés par le président du Sénat, trois par le président de l'Assemblée nationale, un par le vice-président du Conseil d'État, un par le premier président de la Cour de cassation et un par le Président de la République, avec validation par les commissions parlementaires. Ces nominations sont assorties d'un régime d'incompatibilités très sévère : lorsqu'on est membre du collège, on ne peut rien faire d'autre et, lorsqu'on le quitte, on ne peut, en substance, pas faire grand-chose d'autre non plus pendant trois années. Ce cadre est donc très contraignant.

Nous différons de plusieurs points de vue de nos voisins européens. D'abord, certains pays ont adopté des modèles de régulation plus intégrés que le nôtre. Mes homologues britanniques de l' Office of Communications (Ofcom), italiens de l' Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni (Agcom), ou espagnols traitent à la fois des télécoms et de l'audiovisuel, comme si l'Arcom était fusionnée avec l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Il y a sur ce point, dans notre pays, un débat récurrent qui n'a pas encore été tranché. Lorsque j'ai pris mes fonctions, nous avons traité ce problème en signant une convention avec l'Arcep et en créant un service commun pour les sujets d'intérêt commun aux deux autorités.

Par ailleurs les régulateurs européens ont des tailles très diverses. L'Arcom est l'un des plus importants par sa longue histoire et, désormais, par sa taille. De nombreux régulateurs, sur la frontière orientale du continent, sont de petite taille. Ce n'est évidemment pas une appréciation quant à la nature de leur activité, mais il s'agit souvent d'anciens services des ministères de ces pays, autonomisés sous l'effet de la réglementation européenne, avec la directive européenne du 11 décembre 2007 dite « services médias audiovisuels » (SMA), les directives européennes composant paquet « télécom » et, maintenant, le projet de règlement européen sur la liberté des médias (European Media Freedom Act) en cours d'adoption, qui consacre la nécessité de disposer de régulateurs indépendants et autonomes.

La régulation française dispose donc, je l'ai dit, d'un corpus juridique très dense, qui repose sur des services centraux. Avec l'adoption du projet de loi de finances pour 2024, l'Autorité rassemblera l'année prochaine 400 collaborateurs. Elle dispose d'antennes dans chaque région française, soit seize implantations en incluant les outre-mer, qui sont les correspondants naturels des médias de proximité, notamment des radios locales, très nombreuses dans notre pays.

L'une de nos missions historiques est celle qui nous occupe ce matin, à savoir l'attribution des autorisations d'émettre et le contrôle des obligations, c'est-à-dire une mission technico-juridique.

Nous avons également une responsabilité démocratique, avec le contrôle du pluralisme, afin de permettre à toutes les formations politiques qui concourent à notre débat démocratique d'avoir un accès équitable aux médias. Nous exerçons cette mission tout au long de l'année, mais aussi d'une façon renforcée en période électorale. À ce titre, j'écris régulièrement à chaque président de groupe politique et aux présidents des assemblées pour leur communiquer leurs temps de parole et les équilibres respectés.

La régulation a également une très forte dimension culturelle, puisque notre modèle de financement du cinéma et de la production audiovisuelle repose sur les contributions des médias en pourcentage du chiffre d'affaires. C'est nous qui contrôlons ces obligations et, au même titre, la protection du droit des auteurs, avec la lutte contre le piratage.

Une autre composante, que j'appellerai responsabilité sociétale des médias et de la régulation, qui s'est beaucoup développée ces dernières années, se traduit par des interventions dans les domaines de la protection de la jeunesse, de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la santé, de l'environnement et de la juste représentation de la diversité de la société française.

À ce cœur de nos missions traditionnelles s'est ajouté, depuis la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information, première loi française dans ce domaine, et jusqu'à l'adoption du récent règlement européen du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques, un investissement progressif de l'Autorité dans le champ des grands acteurs du numérique. Notre périmètre comprend donc désormais aussi bien TF1, M6, le service public, Canal+, le groupe NRJ et le groupe Altice que Disney, Amazon, Apple, X ou les grands réseaux sociaux, avec lesquels nous sommes amenés à dialoguer presque quotidiennement. Il s'agit donc, comme je l'ai dit tout à l'heure, d'un modèle en transformation très profonde.

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Quel est, très concrètement, le fonctionnement de l'Arcom ? Notre commission d'enquête, qui ne s'attache qu'à une partie des très nombreuses missions de cette dernière, vous demandera un organigramme précis, indiquant notamment les noms des chefs de bureau, afin de pouvoir évaluer la manière dont chaque mission mobilise le personnel. J'aimerais également savoir quels sont les outils techniques avec lesquels vous opérez une forme de surveillance ou monitoring des chaînes de télévision.

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Les effectifs de l'Arcom sont de l'ordre de 400 personnes pour 2024, avec les implantations locales. L'organigramme vous en sera communiqué, comme vous venez d'en exprimer le souhait.

Dès qu'un signalement ne nous est signifié, nous instruisons l'examen d'un programme et avons accès aux images ou au son pour visionner la séquence dont nous sommes saisis et sur laquelle nous devrons statuer, grâce à un outil issu d'un accord avec l'Institut national de l'audiovisuel (INA). Lorsque le signalement porte sur des chaînes étrangères qui diffusent sur notre territoire par voie satellitaire, nous pouvons avoir accès à ces contenus et les « monitorer », selon votre expression, pour apprécier s'ils posent problème au regard de la loi que nous appliquons.

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L'Arcom est donc, pour ainsi dire, tributaire des signalements, et vous n'êtes pas une sorte de Big Brother qui suivrait la totalité des programmes vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Non. Je n'ai pas dans mon bureau 31 écrans correspondant aux 31 chaînes de la TNT et, même si je regarde beaucoup les programmes de télévision, mon métier n'est pas de les regarder matin, midi et soir pour juger ce qu'il en est. Nous n'intervenons jamais a priori : les programmes ne nous sont pas soumis en amont et l'Arcom n'a pas à les autoriser. Il peut toutefois nous arriver de nous autosaisir mais, en règle générale, a fortiori à l'ère des réseaux sociaux, c'est à partir des alertes reçues que l'Autorité fonctionne.

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Sans un signalement continu sur un problème précis, certains éléments d'ambiance pourraient donc vous échapper, comme l'ambiance idéologique d'une chaîne ou son goût immodéré pour la violence ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

L'ambiance ne nous échappe pas. D'abord, les neuf membres du collège et les services de l'Arcom regardent les programmes de télévision. Ensuite, selon mon expérience des cinq dernières années, y compris dans la période récente, je n'ai pas connaissance de cas où une ambiance ou un programme soulevant une difficulté ne nous auraient pas été signalés, le cas échéant de façon répétée – la tendance est plutôt à l'inverse. À titre d'ordre de grandeur, nous avons dû recevoir, pour l'année écoulée, environ 50 000 signalements, ce qui n'est pas négligeable. Nous connaissons parfois des pics – l'année où j'ai pris mes fonctions, le nombre de signalements atteignait ainsi, me semble-t-il, le chiffre de 70 000. Cela ne signifie pas pour autant que 50 000 programmes ont posé problème, car les saisines peuvent se cumuler et un même incident ou dérapage sur une chaîne peut susciter de nombreux signalements. À l'inverse, un signalement individuel peut porter sur plusieurs programmes.

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Comment évitez-vous concrètement l'engorgement et comment traitez-vous les pics de signalements ? Ceux-ci vous parviennent-ils, par exemple, par courrier ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

La saisine se fait traditionnellement par Internet et on trouve sur le site de l'Arcom, comme vous le constaterez, un bouton dont nous avons revu le mode de fonctionnement pour le rendre plus convivial : en moins de deux minutes, vous pouvez signaler le programme, l'horaire, la chaîne et la nature de ce qui vous a choqué. Les signalements sont ensuite dispatchés dans les services et donnent toujours lieu à un revisionnage ou à une réécoute du programme par les services – j'y insiste car, avec le développement des réseaux sociaux, de nombreux signalements peuvent être tronqués, de telle sorte qu'une remise en perspective permet d'avoir une appréciation différente de la séquence.

Celle-ci fait également l'objet d'une analyse juridique pour voir si elle pose problème au regard des dispositions de la loi ou des obligations conventionnelles de l'éditeur. Elle est ensuite examinée par un groupe de travail dans lequel siègent un ou deux membres du collège et qui examine le travail fourni par les services en demandant, le cas échéant, une investigation complémentaire sur certains points. La position qui se dégage du groupe de travail permet de savoir s'il y a lieu ou non d'intervenir et, si oui, sous quelle forme. L'affaire est ensuite présentée au collège, qui se réunit tous les mercredis – parfois plus souvent – et se prononce sur les séquences qui lui ont été signalées.

Leur nombre est important et, lorsque je suis entré en fonction, l'Autorité statuait avec une certaine lenteur. Nous nous sommes efforcés de réduire ce délai et la procédure est aujourd'hui plus rapide pour les affaires d'une certaine gravité. Ce n'est pas la même chose que d'être saisis, comme cela nous arrive régulièrement, pour un mot de franglais employé par un animateur ou un journaliste, et pour une incitation à la haine ou des propos racistes ou de nature antisémite. Comme on dit dans ma maison mère, nous ajustons nos diligences aux enjeux. On nous fait parfois grief de statuer trop lentement mais nombre d'exemples récents ont montré que nous avions bien progressé à cet égard. Il va sans dire que toutes nos interventions, y compris lorsque nous sommes amenés à prononcer des sanctions, sont infiniment plus rapides que les procédures judiciaires.

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Quel est l'éventail des rappels à l'ordre, des sanctions ou des observations que vous avez l'occasion de prononcer ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Au fil de ses quarante ans d'histoire, l'Autorité a élaboré une pratique de non-intervention. Il arrive régulièrement que nous soyons saisis de questions pour lesquelles le collège peut estimer que le principe de liberté prime sur le principe d'intervention. S'il souhaite intervenir, le premier degré est une lettre adressée à l'éditeur, dont la tonalité peut changer selon la nature des observations de l'Autorité. Je qualifierais cette étape de mise en garde : nous signalons à l'éditeur des contenus qui ne caractérisent pas un manquement au sens juridique du terme, mais à propos desquels nous estimons qu'il faut lui signaler qu'il se rapproche d'une ligne jaune.

Les procédures prévues par les textes sont d'abord la mise en demeure, prononcée en cas de manquement constaté chez un éditeur au regard d'une disposition législative ou conventionnelle. C'est un préalable absolu fixé par la loi : nous ne pouvons pas sanctionner directement un média sans avoir au préalable prononcé une mise en demeure sur une motivation très précise. Ce n'est qu'en cas de réitération d'un manquement de même nature qu'on peut entrer en voie de procédure de sanction. Nous pouvons donc avoir à prononcer plusieurs mises en demeure à l'encontre d'un même éditeur, car elles peuvent porter sur des motifs différents. Chaque mise en demeure doit être ciblée et solidement motivée juridiquement, car elle est susceptible de recours devant le Conseil d'État.

Si un nouveau manquement de même nature est constaté de la part de l'éditeur, le directeur général de l'Autorité, proprio motu – donc en vertu d'une compétence qui n'appartient pas au collège –, envoie le dossier à un rapporteur indépendant, membre du Conseil d'État, en application du principe de séparation des poursuites et du jugement. Ce rapporteur indépendant examine le dossier, dont on lui fournit tous les éléments, parmi lesquels la mise en demeure préalablement prononcée : au vu de ces éléments, il décide d'engager ou non des poursuites. Les poursuites éventuelles doivent suivre une procédure contradictoire : après notification des griefs, la chaîne mise en cause dispose au minimum d'un mois pour répondre. Le rapporteur indépendant analyse ensuite le dossier et fait rapport à l'Autorité. Le dossier revient alors entre les mains du collège, qui convoque une séance équivalente à celle d'un tribunal où il entend les conseils juridiques de l'éditeur, puis le rapporteur indépendant, après quoi l'Autorité statue.

Quant aux sanctions, la loi en prévoit toute une panoplie, dont le premier degré est la publication d'un communiqué que l'Autorité rédige et dont elle impose la diffusion à l'éditeur, en en fixant les modalités. À l'autre bout de l'échelle, la sanction la plus grave est le retrait de l'autorisation. Dans l'histoire de l'Autorité, cette sanction n'est intervenue qu'une fois, pour la chaîne Numéro 23 – et, comme vous le savez, le Conseil d'État a annulé cette décision.

Entre ces deux extrêmes, l'Autorité peut – et c'est l'outil qu'elle utilise le plus – prononcer des sanctions financières, dans la limite de 4 % du chiffre d'affaires de l'éditeur, plafond qui peut être porté à 5 % en cas de récidive. La sanction la plus importante que nous ayons prononcée l'a été cette année et s'élevait à 3,5 millions d'euros à l'encontre d'un éditeur que nous estimions en situation de récidive après des sanctions précédentes.

La loi nous donne d'autres facultés, comme celle d'interrompre ou de suspendre un programme, ou de raccourcir l'autorisation. Nous pouvons également suspendre les écrans publicitaires, faculté que nous avons parfois utilisée mais qui est à double tranchant, comme je l'ai expérimenté le jour où j'ai pris mes fonctions, car une sanction pour laquelle le précédent collège avait retenu cette formule a été annulée par le Conseil d'État, à la suite de quoi l'éditeur nous a demandé de lui rembourser le manque à gagner. C'était une entrée en matière particulièrement désagréable pour un magistrat de la Cour des comptes !

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Les sanctions sont-elles différentes pour les éditeurs privés et publics ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Ce sont les mêmes sanctions.

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Un documentaire diffusé voilà quelques jours nous a appris qu'un programme a pu être mis en demeure vingt-sept fois en treize ans. Vous avez précisé que la mise en demeure doit porter sur des faits de même nature, mais à partir de quel point considère-t-on que s'éteint cette espèce de sursis ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Dans la loi actuelle, la durée de vie de la mise en demeure n'est que de cinq ans : si dans les cinq ans qui suivent la mise en demeure il ne s'est rien passé d'autre, elle tombe et le régulateur est tenu d'en prononcer une nouvelle et de repartir, en quelque sorte, à zéro.

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Les conventions contiennent des notions assez générales et, en même temps, très prescriptives, comme le respect de la dignité des personnes, alors que l'appréciation de cette notion peut se révéler difficile. Pour en donner un exemple récent, alors que certains pensent que la liberté d'information justifie la diffusion de propos réputés ignobles tenus par une personnalité publique à l'égard d'une petite fille, je considère, pour ma part, qu'elle porte atteint à la dignité. Comment faites-vous pour apprécier ces situations ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

C'est la partie à la fois la plus passionnante et la plus difficile des missions qui nous sont confiées. L'expression d'un point de vue, d'une opinion ou d'une pensée relève d'une liberté très vaste et un arrêt topique de la Cour européenne des droits de l'homme rappelle que la liberté d'expression s'applique aussi, parce que c'est son essence même, à des propos qui heurtent et qui choquent, mais la loi pose aussi des limites et des incriminations très claires en matière d'atteinte à la dignité de la personne, avec des jurisprudences de la Cour de cassation et du Conseil d'État qui éclairent assez nettement les cas de figure dans lesquels cette incrimination peut s'appliquer. C'est à la lumière de l'examen et de l'analyse de la séquence que le collège statue et se prononce.

Les cas de diffamation auxquels vous faites allusion ne relèvent en revanche que du juge judiciaire. Malgré ce que l'on entend parfois dire, l'Arcom ne sanctionne jamais sur un animateur, mais l'éditeur. Il est du reste possible que les deux chefs d'action coexistent. Ainsi, l'année où j'ai pris mes fonctions, il est arrivé que le collège décide à la fois de sanctionner l'éditeur et de saisir le procureur de la République en considérant qu'au-delà de la responsabilité de l'éditeur, la personne qui avait prononcé les mots incriminés avait engagé sa responsabilité sur le terrain judiciaire.

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Ce n'est pas un cas de diffamation que j'avais à l'esprit, mais la démonstration vaut quand même.

Pouvez-vous nous exposer la procédure de révision et les échanges qui s'établissent entre les chaînes de télévision et l'Arcom pour modifier les conventions ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

La procédure d'attribution se fait, je l'ai dit, sur la base d'un appel à candidatures. Ce n'est pas le régulateur qui fixe le cahier des charges, contrairement à ce qui se passe pour un appel d'offres pour un marché public ; ce sont les candidats, sous réserve des conditions définies par la loi évidemment, qui proposent leur projet.

Celui-ci sera ensuite décliné dans une convention. L'un des intérêts de la procédure que nous lançons, c'est que nous repartons d'une feuille blanche : les quinze autorisations d'émission prennent fin en 2025, les quinze fréquences deviennent donc disponibles ; les candidats se présenteront et nous choisirons. Les procédures de renouvellement sont donc l'occasion de revoir intégralement les conventions. C'est ce qui s'est passé pour TF1 et M6. J'imagine que vous entendrez les éditeurs, et ils sauront, j'en suis sûr, vous exposer leurs griefs au sujet des ajouts de l'Arcom aux conventions lorsqu'elles ont été réécrites. Nous venons d'agréer le changement de contrôle de la station Europe 1, placée dans une société en commandite : la convention a été revue à cette occasion.

Ces conventions reprennent des clauses de portée générale, notamment les obligations fixées par la loi et par le règlement, mais aussi les engagements pris par les éditeurs devant l'Autorité, à la fois dans le dossier de candidature et lors de l'audition publique par le collège. Tout cela, retranscrit dans la convention, constitue l'une des bases des interventions du régulateur.

Au cours de la vie de l'autorisation, il est possible de modifier la convention, mais seulement à la marge. La jurisprudence du Conseil d'État est très claire sur ce point : les modifications substantielles ne sont pas possibles, car c'est à l'issue d'une procédure d'appel à candidatures que la fréquence a été attribuée. Si l'on changeait le format de la chaîne, par exemple, les candidats qui n'ont pas été retenus pourraient s'estimer lésés.

L'écriture de la convention est donc un moment essentiel. C'est une des raisons pour lesquelles nous lançons la procédure dès 2024 : la rédaction prend du temps. C'est aussi le moment où l'on tire les leçons de ce qu'a appris le régulateur ; les administrations ont de la mémoire.

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L'Arcom s'est opposée à deux reprises seulement à des projets de vente. Pour quelles raisons ? Quelles garanties ont été données par les autres acheteurs ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

C'était avant mon mandat. Dans le cas de la chaîne Numéro 23, le porteur a voulu céder sa société ; un dialogue s'est établi, conformément à la loi qui prévoit que tout changement de contrôle est soumis à l'agrément du régulateur, et les informations confiées au régulateur n'ont pas convaincu : l'autorisation a été retirée. Une commission d'enquête de votre assemblée s'est penchée sur le sujet et son rapport expose l'ensemble du dossier. Cette décision a été contestée, et le Conseil d'État l'a annulée : la cession a pu être faite. C'est maintenant le groupe Altice Média qui dispose de cette autorisation.

Je ne saurais trop insister sur le contrôle du juge. L'annulation de cette décision a exposé l'Autorité à un contentieux en responsabilité. Le titulaire de l'autorisation ne demande pas moins de 20 millions d'euros. L'affaire est devant le Conseil d'État.

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Un téléspectateur peut avoir l'impression d'une homogénéisation progressive des programmes. Partagez-vous ce sentiment ? Quelle est la raison de ce phénomène ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Pour m'être intéressé à ces sujets tout au long de ma carrière, je serais tenté de partager votre constat.

Le modèle de la TNT payante est en attrition : il n'existe plus qu'à travers Canal+, et Paris Première d'une certaine façon. Toutes les autres expériences ont pris fin. Quand nous avons renouvelé l'autorisation de Canal+ en 2020, aucun autre candidat n'a proposé un modèle de TNT payante. Nous verrons ce qu'il en sera avec l'appel à venir. Le développement des plateformes de streaming et des services de médias audiovisuels à la demande explique cette disparition.

Par ailleurs, la TNT offrait d'un côté des chaînes généralistes et de l'autre des chaînes thématiques ; on observe en effet chez les secondes cette tendance à l'homogénéisation des programmes. Beaucoup sont liées à des chaînes premium, notamment celles qui sont rattachées à TF1 et M6 ; elles servent souvent à faire circuler les œuvres : ce que l'on a vu chez l'une se retrouve chez l'autre. Il existe encore des dominantes : ainsi, W9 conserve, conformément à sa convention, une dominante musicale.

Ce constat s'explique à mon sens par l'évolution du modèle économique des chaînes, qui, pour les chaînes privées, repose sur la publicité. La presse écrite a connu une forte baisse du marché publicitaire, et une tendance similaire s'amorce pour la radio ; il y a une concurrence des plateformes de streaming, notamment pour les radios musicales. Pour la télévision, les ressources publicitaires sont étales – quelque 3 milliards par an – mais les acteurs sont contraints d'investir, à la fois dans la technologie – en s'engageant dans le streaming pour aller chercher les publics là où ils sont, notamment les jeunes – et dans les contenus – pour rivaliser avec la compétition. Les plateformes de streaming fonctionnent toutes selon un principe d'exclusivité : elles « signent » les artistes, comme on dit. L'inflation du coût des programmes est incontestable. Tout cela coûte très cher.

Toutes les chaînes sont donc engagées dans un double mouvement d'investissement et de rationalisation de leurs coûts : le groupe TF1 vient ainsi d'annoncer un plan d'économies substantiel, mais aussi des investissements sur la diffusion à la demande ou streaming.

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Dans le cas particulier des chaînes d'information, l'Arcom distingue-t-elle, dans ses décomptes, le temps consacré à l'information de celui consacré à l'opinion ? Si oui, qu'observez-vous ?

Les conventions ne devraient-elles pas distinguer de façon plus rigoureuse information et opinion ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

La France présente la singularité de disposer de quatre chaînes d'information permanente – auxquelles on pourrait ajouter France 24 et les chaînes parlementaires. Parmi ces quatre chaînes, une est publique, trois sont privées et deux sont déficitaires. Trois chaînes privées sont donc en concurrence frontale sur un même marché publicitaire : cette situation n'est sans doute pas sans influence sur les choix éditoriaux comme sur la structuration des programmes.

Pour ce qui est des coûts, envoyer des équipes de reportage sur le terrain est une chose, organiser un débat entre quelques éditorialistes sur un plateau en est une autre. Bien sûr, l'information prend des formes diverses et le débat en fait partie. Mais le régulateur sera certainement attentif – et c'est peut-être un sujet aussi pour le législateur – à la place que l'information – au sens où nous entendons tous ce terme, distinct du débat – tient sur une chaîne d'information.

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L'Arcom a-t-elle demandé aux chaînes de décompter le temps de parole de certains éditorialistes ? Le métier d'éditorialiste est-il désormais assimilable à une fonction politique ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

La loi de 1986 est claire, et l'est rendue plus encore par la jurisprudence : elle traite du pluralisme politique dans une acception que j'appellerai classique. Elle impose aux médias de communiquer au régulateur la liste des personnalités politiques invitées et leur temps de parole ; à charge pour le régulateur de les vérifier. Hors période électorale, on parle de « pluralisme ordinaire » : le bilan est dressé de façon trimestrielle parce que certains médias diffusant très peu d'informations, il faut qu'ils aient suffisamment de temps pour équilibrer les temps de parole. En période électorale, le rythme est beaucoup plus rapide. Nous allons prendre, au début de l'année 2024, une délibération particulière sur le sujet des élections européennes : notre contrôle sera naturellement plus étroit. Vous savez aussi que nous organisons des campagnes officielles au moment des élections présidentielle et législatives.

La loi ne prévoit en aucune façon la comptabilisation du temps de parole des éditorialistes, qui sont pour la plupart des journalistes. Je ne connais pas une seule démocratie qui demande aux médias de communiquer à un régulateur la liste des éditorialistes qui interviennent sur leurs plateaux, avec leur temps de parole. Cela ne relève pas du contrôle de l'Arcom – sous la réserve, évidemment, que les propos se conforment à la loi.

Pour le dire autrement, la liberté éditoriale des chaînes prévaut, que les médias soient publics ou privés. Le contrôle de l'Arcom porte sur le pluralisme politique et sur les obligations auxquelles l'éditeur est tenu. Chaque mise en demeure, chaque procédure de sanction s'appuie sur la conviction qu'il existe un manquement caractérisé.

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Le pluralisme est analysé, dites-vous, sur une base trimestrielle. Prenez-vous également en considération les créneaux horaires de diffusion ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Nous avons été amenés à intervenir sur ce sujet : nous avons prononcé des mises en demeure contre des médias qui s'acquittaient de leurs obligations à des horaires peu compatibles avec le pluralisme tel que le législateur l'a entendu ; en cas de réitération, ce serait un motif de sanction. On ne peut pas diffuser telle ou telle famille politique ou tel ou tel programme seulement au milieu de la nuit.

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Vous êtes depuis bientôt cinq ans à la tête de l'Arcom : avez-vous eu connaissance d'interventions, ou de tentatives d'intervention ? Comment y avez-vous répondu ?

Certains critiquent le fait que différentes chaînes privées soient la propriété de milliardaires. Ne s'agit-il pas d'une logique liée à l'économie des médias privés ? Pour qu'une chaîne trouve son public, il faut des moyens très importants. Avez-vous pu observer un profil type des besoins financiers et quantifier ces montants ?

Enfin, pensez-vous nécessaire de revoir les règles de propriété des chaînes, en abaissant par exemple les seuils d'audience ? Faut-il appliquer aux chaînes diffusées par câble et par satellite les mêmes interdictions visant les personnes extra-européennes que celles qui s'appliquent pour les chaînes de la TNT pour limiter les ingérences étrangères ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Je n'ai pour ma part subi aucune intervention, y compris au moment de la nomination des responsables de l'audiovisuel public. Cette nomination, qui se fait à bulletins secrets, est en effet l'une de nos compétences. Bien sûr, nous recevons des lettres de l'ensemble des familles politiques, au titre du pluralisme : il est pour le coup fréquent qu'un parlementaire ou un président de parti, par exemple, fasse connaître à l'Autorité son sentiment de ne pas avoir accès de manière équitable à tel ou tel média. Cela concerne d'ordinaire des formations politiques dont la représentation parlementaire est plutôt limitée. Nous examinons ces demandes et vérifions si le traitement de cette personne ou de cette formation a été équitable. Le cas échéant, nous intervenons auprès des médias.

Il y a tout un courant de pensée qui estime que ces règles de pluralisme sont obsolètes, que dans le monde actuel des médias la prolifération de l'offre, et le fait que l'offre numérique ne soit pas soumise à ces obligations, doivent nous amener à les abandonner hors des périodes électorales. C'est d'ailleurs ce qui se passe d'habitude dans les démocraties : le système français de contrôle du pluralisme tout au long de l'année est vraiment singulier. Mon expérience m'amène néanmoins à considérer que ce mécanisme contribue à un débat démocratique équilibré. On voit quels seraient les risques de pics de surreprésentation à un moment donné, pour une raison ou une autre. Le pluralisme est une corde de rappel, un moyen de s'assurer que toutes les formations politiques ont un accès équilibré aux antennes. Les médias, les rédactions sont très critiques vis-à-vis de cette organisation ; ils considèrent notre contrôle comme tatillon. Mais c'est la mission que nous confie la loi.

Quant aux milliardaires, c'est une histoire aussi longue que celle des médias : on le voit bien dans les Illusions perdues. Je n'évoquerai pas le modèle américain, où le rôle de l'argent est central.

Faire de la télévision coûte très cher. Disposer d'une très grande rédaction professionnelle comme celle de TF1 est très onéreux ; vous votez les crédits de l'audiovisuel public et vous voyez bien les masses financières qui sont en jeu. Il faut un grand savoir-faire, beaucoup de technique. Les coûts de diffusion sont également très importants. Les médias ont donc besoin de financements.

Le modèle économique des médias est la question centrale des états généraux de l'information : comment veille-t-on à ce que le modèle économique de notre presse écrite, de nos radios, de nos médias audiovisuels résiste notamment à la concurrence des acteurs du numérique ? Trois acteurs extra-européens – Amazon, Meta, Google – captent plus de la moitié de la recette publicitaire qui va aux médias. Sans rééquilibrage, le pluralisme des médias sera menacé. Je le disais, c'est un phénomène auquel la presse écrite est confrontée depuis longtemps et que commencent à subir les radios et les télévisions.

Les patrons de médias se sont exprimés lors de la commission d'enquête du Sénat sur la concentration des médias : beaucoup de patrons de presse ou de médias audiovisuels ont souligné qu'ils étaient bien contents de trouver des financeurs… L'essentiel, c'est que le modèle de financement assure le pluralisme, qu'il protège de la concentration, et qu'il garantisse l'indépendance des médias. C'est sur ces points qu'il faut être vigilant.

En ce qui regarde les capitaux extra-européens, le capital de l'éditeur d'une chaîne de la TNT ne peut pas en compter plus de 20 %. C'est une règle destinée à protéger la souveraineté de nos éditeurs. On peut la considérer comme trop contraignante dans le cadre de l'économie de marché. Il me semble que l'enjeu de la souveraineté est bien réel, et que cette contrainte garde tout son sens.

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Parmi les chaînes en lice pour un renouvellement en 2025, plusieurs, notamment C8, CNews et Canal+, appartiennent au groupe Bolloré. Cela ne met-il pas ce groupe en position de force ? On connaît le rôle de Canal+ dans le financement du cinéma français : dès lors, l'Arcom pourrait-elle vraiment refuser de renouveler l'autorisation de cette chaîne ? Le groupe Bolloré ne peut-il pas se servir de cette place de choix pour menacer de se retirer si, par exemple, C8 ou CNews perdaient leur agrément ? On peut aussi s'interroger sur le choix de ne pas donner une année supplémentaire à Canal+. On aurait pu éviter que ces renouvellements aient lieu en même temps.

Vous avez évoqué le processus de négociation avec les éditeurs, entamé en septembre dernier. De l'extérieur, on peut s'étonner de ce fonctionnement où le cahier des charges est négocié avec les futurs candidats, où l'Arcom négocie et juge tout à la fois, et où les candidats sont en quelque sorte en position d'écrire les règles du jeu. Dans les annonces publiques que vous ferez au sujet du résultat de ces échanges, comment apporterez-vous au public la garantie de votre impartialité et d'absence de rupture d'égalité entre les candidats ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Sur votre première question, je serai très prudent : je ne veux en aucune façon préjuger de la procédure qui va se dérouler, et je ne voudrais pas me départir de l'impartialité à laquelle je suis tenu – si j'y dérogeais, cela pourrait d'ailleurs constituer un motif d'annulation de cette procédure. Je ne porterai donc aucun jugement, et je n'appliquerai aucun qualificatif à quelque média que ce soit.

S'agissant de la durée des autorisations, la loi fixe des durées maximales – dix ans à la suite de la procédure d'appel à candidatures, cinq ans en cas de renouvellement sans appel à candidatures. Cette année, les autorisations arrivent à leur terme et nous repartons donc de zéro. Les autorisations que nous délivrerons en 2025 vaudront donc pour une durée maximale de dix ans. L'éditeur peut souhaiter une durée moindre.

Je suppose que vous entendrez l'entreprise que vous avez évoquée. Elle vous l'expliquera mieux que moi : elle a entièrement changé de modèle. Le Canal+ d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celui d'hier. C'est aujourd'hui pour l'essentiel une plateforme numérique, MyCanal ; elle ne prend plus, depuis déjà quelque temps, d'abonnés sur la TNT payante, même si elle y est toujours présente. Le nombre d'abonnés TNT a logiquement beaucoup diminué. La question de son maintien est récurrente au sein du groupe : la TNT a beaucoup d'avantages, mais aussi un coût significatif, puisqu'elle oblige l'éditeur à couvrir au minimum 95 % du territoire, ce qui suppose de rémunérer le diffuseur, TDF, pour l'ensemble du territoire, y compris, pour les chaînes payantes, dans les zones où elles n'ont pas d'abonnés. Le coût de diffusion est donc élevé. Une chaîne peut donc se poser légitimement la question de la pertinence de son maintien sur la TNT. Cela explique qu'ils aient souhaité des durées plus courtes. Encore une fois, il leur reviendra de vous expliquer leur démarche.

Le groupe Canal+ est le premier financeur du cinéma français, auquel il consacre 200 millions d'euros par an aux termes d'un accord conclu avec les professionnels du secteur. Cet accord arrive à échéance en 2024 et les premières discussions en vue de sa reconduction viennent de débuter.

Les décrets relatifs à la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles, révisés le 30 décembre 2021, fixent des obligations de même nature quel que soit le mode de diffusion. Autrement dit, les obligations qui pèsent sur les éditeurs de la TNT sont les mêmes que celles qui s'appliquent à la diffusion d'œuvres par câble, par satellite ou par des services de médias audiovisuels à la demande (Smad). Même s'ils abandonnent la TNT pour se concentrer sur une diffusion par câble ou par satellite, les éditeurs resteront donc soumis à des obligations de même nature représentant, grosso modo, les mêmes montants.

J'en viens à votre question sur les négociations. Je précise à nouveau que nous ne définissons pas de cahier des charges : nous lançons un appel à candidatures, dont le contenu est fixé par la loi – je l'ai précisé tout à l'heure.

Vous avez évoqué des négociations que nous aurions engagées depuis septembre. Nous n'en avons engagé aucune : nous n'avons fait qu'organiser une consultation publique, pendant laquelle nous avons informé les acteurs du secteur que quinze autorisations arrivaient à échéance et posé une série de questions pour recueillir les impressions des uns et des autres. Nous avons ensuite réalisé une étude d'impact, à finalité économique, qui vous sera communiquée très prochainement – vous verrez que c'est un document très riche. Nous lancerons alors un appel à candidatures ; des opérateurs y répondront en proposant des projets, qu'ils pourront défendre dans le cadre d'auditions publiques si nous les retenons. Ce n'est qu'après ces étapes que nous entrerons dans la phase d'établissement des conventions. Il ne s'agira pas d'une négociation, puisqu'il revient au régulateur de fixer la convention, laquelle prend en compte les engagements pris par l'éditeur. Tout ce que ce dernier écrira dans son dossier de candidature et dira lors des auditions sera consigné, noir sur blanc, dans la convention, dont la bonne application sera garantie par l'Arcom.

Une fois que l'appel à candidatures aura été lancé, les membres du collège se tiendront à distance des éditeurs. Aucune rencontre ne sera organisée ; seuls les services pourront continuer à dialoguer avec les entreprises s'il faut régler une question d'ordre technique ou administratif. Une règle d'impartialité s'imposera à tous les membres du collège, qui ne sont pas juges et parties : ils choisissent le candidat puis veillent à la bonne application de la convention.

J'insiste sur la très grande attention que l'Autorité porte au respect de ces règles. Je vois les interpellations qui nous sont adressées chaque jour – je tweete de façon modérée, pour ce qui me concerne, mais il m'arrive de consulter la plateforme X précédemment appelée Twitter, ne serait-ce qu'au titre de mes fonctions de président de l'Arcom. Cependant, s'agissant d'une liberté publique fondamentale, le droit est particulièrement strict. C'est l'honneur et la responsabilité de l'Autorité que de l'utiliser, dans un cadre très balisé. Certains considèrent que nous n'intervenons pas assez, d'autres trouvent que nous intervenons trop : cette double critique signifie sans doute que nous nous situons sur une ligne de crête raisonnable.

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Les critères de choix que la loi vous impose ont beau être précis, ils peuvent se prêter à une forme d'interprétation ou à un travail de définition. Vous avez évoqué d'abord l'intérêt pour le public, puis l'impératif de pluralisme. Vous avez également expliqué que le principe de pluralisme, au sens de la loi, s'appliquait aux interventions des responsables politiques identifiés comme tels. Mais ne pourriez-vous pas adopter une vision plus large du pluralisme, dans l'intérêt du public ?

Vous aurez bientôt à réattribuer les fréquences de quinze chaînes de la TNT. Il vous sera difficile d'examiner les lignes éditoriales des candidats – du reste vous vous y refusez, ce qui est bien normal compte tenu de la liberté de la presse. Cependant, ne pensez-vous pas qu'il serait nécessaire de garantir, au sein de ce bouquet de quinze chaînes, une pluralité des lignes éditoriales ? C'est ce que la loi impose aux kiosques, qui doivent présenter et rendre visibles aux yeux de tous des titres issus de l'ensemble des sensibilités politiques et des familles de pensée. Il s'agirait d'éviter que certaines chaînes d'information suivent une ligne éditoriale très clairement marquée à l'extrême droite sans avoir, en face, de chaînes faisant le pendant. Une telle situation ne poserait-elle pas problème au regard de l'intérêt du public ?

Vous l'avez dit vous-même, il est difficile de trouver des acteurs capables de répondre aux obligations financières et de réaliser les investissements nécessaires à la construction d'une chaîne de télévision. Il serait donc d'autant plus difficile d'imposer le pluralisme au sein d'un bouquet : cela nécessiterait que plusieurs milliardaires défendent des lignes éditoriales ou des lignes politiques très différentes – je n'emploie pas l'adjectif « politique » au sens partisan du terme, mais pour me référer à une vision globale de la société. Ne faudrait-il pas déduire de la notion d'intérêt pour le public un impératif de pluralisme au sens large, à savoir la nécessité d'une pluralité obligatoire des familles de pensée représentées au sein des chaînes de télévision ? Nous éviterions ainsi qu'une chaîne de la TNT – qui est donc une chaîne de nature publique – soit captée par une orientation politique très partisane, puisque celle à laquelle je pense a promu un individu qui s'est ensuite porté candidat à l'élection présidentielle.

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Je ne porterai aucun jugement sur aucune chaîne de télévision, pour les raisons que j'ai déjà expliquées.

Effectivement, la notion d'intérêt du public est large. J'ai moi-même, comme tout un chacun, un intérêt en tant que téléspectateur. La loi définit cependant des critères assez précis.

Elle impose d'abord un pluralisme externe, à savoir une pluralité d'opérateurs – c'est vraiment le fil rouge de la loi de 1986 et du modèle français de régulation sur lequel M. le président m'interrogeait tout à l'heure. L'un de nos premiers critères d'appréciation sera donc de faire en sorte qu'il y ait, autant que possible, une pluralité d'opérateurs. Je dis bien « autant que possible » car il faut avoir des candidats – la télévision coûte cher et je ne peux préjuger de qui se portera candidat l'année prochaine, même si j'ai quelques petites idées. C'est bien la pluralité des acteurs qui garantit un modèle de médias diversifié.

Dans l'intérêt du public, il est aussi nécessaire d'assurer une pluralité des programmes offerts aux téléspectateurs : il ne faut pas qu'il y ait uniquement des chaînes d'information, des chaînes musicales ou des chaînes de cinéma. Nous devons faire en sorte que l'horizon soit le plus large possible.

Porter une appréciation sur une ligne éditoriale, c'est autre chose. Nous nous heurtons là à la liberté de communication, qui a valeur constitutionnelle. L'Arcom n'a pas vocation à déterminer la ligne éditoriale d'un média. J'ai entendu votre point de vue et je connais vos convictions, puisque nous avons eu l'occasion d'échanger à plusieurs reprises sur ces questions, mais en l'état actuel de la législation, l'Arcom ne peut être juge que des manquements commis par un éditeur dans le cadre de l'expression de sa ligne éditoriale. Cela ne nous empêche pas d'entendre ce qui se dit dans les médias auxquels vous avez fait allusion : l'Autorité a d'ailleurs été amenée à prononcer à leur encontre, à plusieurs reprises, non seulement des mises en demeure, mais également des sanctions.

Quoi qu'il en soit, sans préjuger des décisions qui seront prises, les critères d'appréciation du régulateur se fonderont notamment sur la diversité des opérateurs, nécessaire pour éviter un phénomène de concentration – la loi elle-même empêche une même personne physique ou morale de détenir un trop grand nombre d'autorisations –, ainsi que sur la diversité des programmes, dans l'intérêt du public, et sur le « mieux-disant culturel », pour reprendre une expression que l'on utilisait dans ma jeunesse, qui s'est un peu usée au fil du temps mais qui garde tout son sens et sa portée. Bien évidemment, le régulateur tiendra également compte du respect, par un éditeur sortant, de ses obligations. Au-delà des critères prioritaires que je viens de rappeler, cet élément fera aussi partie de nos critères d'appréciation. Il me semblait important de le préciser au regard de la mission de votre commission d'enquête.

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Ma question s'inscrit dans le prolongement de votre dernière réponse puisqu'elle porte spécifiquement sur CNews et sur la convention qui lie cette chaîne au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), donc aujourd'hui à l'Arcom. Cette convention comporte des tas d'éléments intéressants : on y lit en particulier les obligations de la chaîne, s'agissant notamment des contenus qu'elle doit diffuser et de la manière dont elle doit maîtriser son antenne.

L'article 2-3-1 prévoit que « L'éditeur assure le pluralisme de l'expression des courants de pensée et d'opinion […]. » De fait, le pluralisme n'est pas respecté sur CNews ; la chaîne est d'ailleurs régulièrement rappelée à l'ordre et même sanctionnée par votre autorité pour ses manquements en la matière. Le sémiologue François Jost a montré que les invités de droite et d'extrême droite représentaient, en 2022, 78 % des intervenants sur CNews. Nous sommes obligés de reconnaître qu'il ne s'agit plus d'une chaîne d'information mais bien désormais d'une chaîne militante, qui promeut un projet idéologique d'extrême droite, avec une préférence pour le spectre zemmourien – CNews a d'ailleurs assuré la promotion d'Éric Zemmour lors du lancement de sa campagne présidentielle. Personne ici ne peut contester le fait que la chaîne ressasse toujours les mêmes thèmes, les mêmes obsessions, souvent dirigées contre les musulmans et les immigrés. On est très loin du « pluralisme de l'expression des courants de pensée et d'opinion ».

Article 2-3-2 : « L'éditeur veille dans son programme […] à respecter les différentes sensibilités politiques, culturelles et religieuses du public ; à ne pas encourager des comportements discriminatoires en raison de la race ou de l'origine, du sexe, de l'orientation sexuelle, de la religion ou de la nationalité ; […] à lutter contre les discriminations ; à prendre en considération, dans la représentation à l'antenne, la diversité des origines et des cultures […]. » Là encore, CNews a été rappelée à l'ordre et condamnée à de nombreuses reprises, par exemple lorsqu'Éric Zemmour – encore lui – a affirmé, à l'antenne, à propos des mineurs isolés étrangers : « Ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs. » Je le répète, les musulmans sont la cible quotidienne de CNews.

Article 3-1-1 : « Le service est consacré à l'information. Il offre un programme réactualisé en temps réel couvrant tous les domaines de l'actualité. […] » Cette obligation n'est pas non plus respectée puisque CNews est devenue une chaîne de commentaire et non plus de présentation des faits – même si le commentaire a aussi sa place sur une chaîne d'information, et je suis bien placé pour le savoir puisque j'ai travaillé pour l'ancêtre de CNews, une chaîne qui, à l'époque, faisait vraiment de l'information. D'après l'étude menée par François Jost, l'information stricto sensu, c'est-à-dire l'énonciation des faits, occupe seulement 13 % du temps d'antenne.

J'ajoute que l'on trouve sur CNews des choses très curieuses, qui n'ont rien à voir avec l'information ou la présentation de faits. Je pense à l'émission « En quête d'esprit », empreinte de militantisme catholique radical. Le programme du 2 octobre 2022 était intitulé « Anges et démons, le vrai combat ». Le présentateur a dit le plus sérieusement du monde, comme s'il s'agissait d'une information réelle comparable à celles venues du Proche-Orient : « C'est une réalité plus sournoise que tous les virus, plus dangereuse que toutes les épidémies et plus contagieuse que toutes les infections. Cette réalité, ce sont les forces du mal. Elles étendent leur pouvoir dans toutes les sphères de la société. Mais nous avons un allié, l'archange Saint Michel. Comment lutter contre le mal avec les armes de la foi ? C'est le thème de cette émission aujourd'hui. » Il faudra qu'on m'explique le rapport avec de l'information…

Je pense que vous m'avez bien compris et que vous avez été vous-même alerté à de nombreuses reprises sur cette situation. Je comprends que vous ne puissiez porter aujourd'hui un jugement définitif sur l'avenir de CNews, mais les éléments que je viens de rappeler à votre mémoire ne posent-ils pas problème au regard des obligations conventionnelles de la chaîne ? La question d'un retrait de l'autorisation de fréquence accordée au groupe Bolloré est-elle pertinente ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Effectivement, monsieur Caron, je vous ai bien compris.

J'ai lu l'étude que vous avez évoquée et l'ai trouvée très intéressante – de manière générale, je m'intéresse aux points de vue des universitaires, avec lesquels nous avons d'ailleurs des liens réguliers –, mais elle mesure le pluralisme avec une autre méthodologie que la nôtre. La lecture que nous faisons de la loi de 1986 nous amène à demander aux médias audiovisuels de comptabiliser les temps de parole des personnalités politiques intervenant sur leurs plateaux : cela concerne tous les élus, bien évidemment, ainsi que toutes les personnalités explicitement engagées dans le combat politique, dans un parti politique. Nous n'allons pas au-delà. Peut-être avons-nous tort mais nous nous en tenons à la lettre de la loi.

Je ne vois pas comment on pourrait écrire la loi pour comptabiliser, par exemple, les temps de parole des éditorialistes. Le rapporteur posait cette question tout à l'heure et je répète qu'une telle mesure me semblerait poser problème au regard de la protection des libertés. Je vous le dis très simplement, ma conviction est qu'il ne faut pas aller au-delà de la législation actuelle. Chateaubriand l'a écrit beaucoup mieux que moi : « Sans la liberté il n'y a rien dans le monde. » Au vu des mouvements généraux d'opinion de par le monde, nous sommes entrés dans une période où la défense de la liberté mérite beaucoup d'attention ; or, quand on commence à brider la liberté, on ne sait pas bien où l'on s'arrêtera… Soyons donc très vigilants. C'est déjà une singularité française que de mesurer le respect du pluralisme politique dans les médias tout au long de l'année. Je suis prêt à étudier toute proposition législative sur ce point si vous estimez qu'il est nécessaire de modifier la loi, mais je pense qu'une telle tentative serait très compliquée du point de vue constitutionnel.

Pour le reste, je serai très clair avec vous : CNews a commis des manquements caractérisés à la loi, qui ont conduit le régulateur à intervenir dans les conditions que j'ai eu l'occasion d'évoquer tout à l'heure. L'Arcom a prononcé des mises en demeure. Certaines procédures sont encore en cours d'instruction ; je ne peux préjuger de rien, mais il n'est pas exclu que le régulateur soit de nouveau amené à intervenir. Vous avez évoqué les propos d'une personne qui était éditorialiste sur CNews : je rappelle que l'Autorité a alors sanctionné la chaîne à une hauteur sans précédent pour une chaîne d'information.

L'autorisation de fréquence arrive à échéance. Que se passera-t-il ensuite ? Je vous renvoie à mes propos précédents : je ne peux pas préjuger de la suite du film.

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Je comprends votre devoir de réserve, mais tout de même… Permettez-moi d'insister un petit peu ! Je ne peux pas croire que vous n'ayez pas d'avis sur ce sujet. Comment trouver les mots qui permettraient de bien comprendre le fond de votre pensée ? De toutes les chaînes de la TNT, CNews est la seule qui présente les particularités que je viens de décrire. Les faits que j'ai rappelés justifient-ils, oui ou non, que l'on s'interroge très sérieusement sur le renouvellement de l'autorisation de fréquence ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Je pense avoir répondu à votre question.

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Non, nous sommes aussi ici pour tenir des discours de vérité.

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Je précise que M. François Jost, l'auteur de l'étude que vous avez évoquée, sera entendu à quinze heures trente par notre commission d'enquête.

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J'aimerais revenir sur les difficultés rencontrées pour modifier des conventions avant le renouvellement de l'attribution des fréquences. Vous avez évoqué le cadre des procédures d'appel d'offres, qui ne nous permet de modifier qu'à la marge ces conventions, dont la durée maximale est de dix ans. Or, en dix ans, le paysage audiovisuel peut changer considérablement, qu'il s'agisse des usages ou des technologies. Il y a dix ans, on n'écoutait pas de la musique de la même façon qu'aujourd'hui, certains acteurs n'existaient pas et le marché publicitaire était différent. Cette rigidité ne constitue-t-elle pas un frein pour certains opérateurs, notamment pour les chaînes privées, lesquelles doivent s'adapter et faire preuve de réactivité afin d'augmenter leur audience et d'assurer la pérennité de leur modèle économique qui est, vous l'avez dit vous-même, la condition du pluralisme ?

N'y a-t-il pas aussi un risque d'asymétrie entre les acteurs de l'audiovisuel public et les chaînes privées ? Les contrats d'objectifs et de moyens (COM) conclus avec les opérateurs publics sont assez légers – ils ne comportent qu'une dizaine de pages – comparés aux conventions comptant parfois plusieurs centaines de pages signées avec les chaînes privées à l'issue de la procédure très lourde et rigide que vous avez rappelée ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

J'ai souvent l'occasion de m'exprimer publiquement devant la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale. J'étais encore hier devant la commission de la culture du Sénat. Vous connaissez donc mes convictions et vous ne serez pas surpris par ma réponse.

Pour suivre ce paysage de très près depuis une quarantaine d'années, je considère que nous sommes entrés dans une phase de mutations. Ce terme est sans doute un peu galvaudé – j'ai moi-même employé le mot « révolution ». Nous sommes en tout cas dans une phase de transformation très rapide du secteur, qui exige une grande attention de la part des pouvoirs publics et de l'autorité que je préside. Je salue d'ailleurs les initiatives prises par le Parlement, notamment les travaux que vous avez conduits, monsieur le président Bataillon, monsieur le député Gaultier, dans le cadre de la mission d'information sur l'avenir de l'audiovisuel public. Je pense aussi à d'autres travaux menés par le Sénat. Dans la période que nous traversons, nous devons être très attentifs au devenir des acteurs, publics ou privés, confrontés à de profondes transformations et à une sérieuse remise en cause de leur modèle économique. Si l'on n'assure pas la pérennité de ce dernier, il ne sert à rien de disserter à l'infini sur les vertus du pluralisme.

Je le redis avec force, l'asymétrie ou l'inégalité de situation est très claire entre les acteurs du numérique et les acteurs traditionnels, régulés, encadrés et contrôlés très étroitement – le corpus juridique qui leur est applicable est en effet extrêmement dense. La différence est particulièrement perceptible en matière de réglementation sur la publicité : on voit bien la façon dont les acteurs du numérique captent de façon croissante cette ressource. Nous devons donc accompagner les médias traditionnels et engager des réflexions qui nous paraissaient peut-être jusqu'à présent inopportunes. Si nous voulons bénéficier de grands médias dotés de rédactions professionnelles, à même de nous apporter une information rigoureuse, pluraliste et honnête, nous devons être très vigilants s'agissant du modèle économique de ces acteurs.

Il va sans dire que le service public ne peut être étranger à ces mouvements. Je rappelle qu'il représente 30 % des audiences, 15 000 salariés, et qu'il joue un rôle central dans le paysage audiovisuel français, pour le financement de la production, pour l'information et pour le rayonnement de la France à l'étranger.

Un service public fort doit être bien financé : il a besoin d'une ressource affectée – vous connaissez mes positions, monsieur le président. J'espère qu'après la suppression de la contribution à l'audiovisuel public, le dispositif de financement qui prévaut actuellement, à savoir l'affectation d'une fraction du produit de la TVA, pourra perdurer. Je le répète, il est essentiel de prévoir un financement qui garantisse l'indépendance de notre audiovisuel public, à la hauteur des missions confiées à ce dernier.

Au-delà des questions de financement, il importe que le service public rassemble ses forces. Il a engagé ce mouvement important : ainsi, France 3 est en train de se rapprocher du réseau de France Bleu. Par ailleurs, je suis convaincu qu'une chaîne d'information du service public peut occuper une vraie place, en termes d'audiences, dans le paysage audiovisuel. Je ne mets pas du tout en cause les équipes de France Info, qui font très bien leur métier, mais on ne peut se satisfaire du taux d'audience de la chaîne, proche de 0,8 % ou 0,9 %, soit beaucoup moins que les chaînes privées. Je suis sûr que le service public a une carte à jouer, mais la dynamisation de France Info et la consolidation du projet de rapprochement entre France 3 et France Bleu nécessiteront très probablement une réflexion sur la gouvernance et le pilotage de ces opérateurs.

Je ne suis pas surpris que certains éditeurs privés se plaignent des conventions très denses que nous leur imposons à l'occasion des renouvellements d'autorisation, mais nous ne faisons que notre métier. Je connais le discours que l'Association des chaînes privées, qui se manifeste souvent auprès de moi – nous avons encore auditionné des représentants de TF1 récemment –, tient à l'égard du service public. Ce dernier a cependant des obligations nombreuses et plurielles, que l'on ne peut sous-estimer ; pour s'en convaincre, il suffit de lire son cahier des charges, ce que nous faisons régulièrement puisque l'Arcom donne chaque année un avis sur l'exécution des COM et le respect des cahiers des charges des opérateurs publics.

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Sous couvert de M. le président et de M. le rapporteur, il serait utile que vous nous transmettiez un bilan des sanctions prononcées par l'Arcom à l'encontre de chacune des chaînes qui solliciteront le renouvellement de leur autorisation. Pouvez-vous nous confirmer que cet élément sera pris en compte dans votre décision ? Vous avez dit que vous regarderiez le bilan, l'expérience et le respect des conventions par les opérateurs. Comment les choses seront-elles objectivées ? Établirez-vous une grille de notation ? J'ai lu dans votre rapport d'activité que l'Arcom avait prononcé, en 2022, dix-neuf mises en demeure et neuf sanctions.

Le montant des sanctions pécuniaires ne peut excéder 3 % du chiffre d'affaires hors taxes de l'opérateur concerné, un taux qui peut être porté à 5 % en cas de réitération de l'infraction. Considérez-vous que ces règles ont un effet dissuasif, alors que certaines chaînes sanctionnées ont réitéré leurs manquements ? Invitez-vous le législateur à réfléchir à un éventuel durcissement des sanctions ?

Parmi les critères que vous prenez en compte, vous avez cité la notion de diversité. On a évoqué le pluralisme politique, mais l'Arcom est aussi chargée de veiller à la bonne représentation, dans les médias audiovisuels, de la diversité des origines et des cultures. Elle publie et transmet chaque année au Parlement un baromètre sur cette question. En dépit de progrès timorés, certaines difficultés semblent récurrentes. Je pense notamment à la faible représentation, dans les programmes et notamment sur les chaînes d'information continue, des « personnes perçues comme non blanches », pour reprendre l'expression que vous utilisez, lesquelles sont toutefois surreprésentées dans les rôles à connotation négative. La part de femmes présentes à l'écran stagne autour de 39 % ou 40 % et a du mal à progresser. Il en est de même pour les personnes en situation de handicap ainsi que pour les personnes âgées – un public qui me tient particulièrement à cœur et qui subit un décalage chronique, très fort, puisque ces personnes sont représentées à hauteur de 6 % dans les médias audiovisuels alors qu'elles constituent 20 % de la population française. L'Arcom invite les chaînes à mieux prendre en compte la diversité, mais allez-vous objectiver ce critère pour relever des écarts qui poseraient problème sur certaines chaînes ? Alors que vous publiez des données globales, êtes-vous capables non de distinguer les bons et les mauvais élèves, mais d'analyser la représentation de la diversité sur chacune des chaînes ? Si vous constatez des écarts à la moyenne trop importants attestant un manque de volonté délibéré, dans quelle mesure en tiendrez-vous compte dans vos décisions prochaines ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Il va sans dire que l'Arcom se tient à votre disposition pour vous fournir tous les éléments qui seront utiles à la conduite de vos travaux. Nous dresserons évidemment un bilan de toutes les sanctions et mises en demeure prononcées à l'encontre des quinze chaînes dont l'autorisation arrive à échéance, sur la durée de leur convention, comme vous l'avez souhaité.

Effectivement, le montant des sanctions pécuniaires peut atteindre 4 % du chiffre d'affaires de l'opérateur, et même 5 % en cas de récidive. Ce n'est pas si mal ! Dans le fameux DSA, le règlement européen sur les services numériques qui vient d'être adopté, l'Union européenne a retenu un plafond de 6 %. Peut-être pourrions-nous monter un petit peu pour nous aligner sur le taux européen.

Nous avons prononcé cette année, à l'encontre d'une chaîne de la TNT, une amende de 3,5 millions d'euros qui se cumule avec d'autres sanctions reçues en 2023. Cette chaîne est actuellement déficitaire et les sanctions n'ont évidemment pas amélioré sa situation économique.

Faut-il relever le plafond ? Dans notre paysage audiovisuel, beaucoup d'opérateurs sont de grandes entreprises, dont les dirigeants sont responsables et connaissent leurs obligations. À chaque fois que notre intervention se justifie juridiquement, nous agissons de façon proportionnée, en fonction de la nature du manquement. Le nombre de sanctions prononcées est loin d'être ridicule, mais il n'est pas non plus considérable, parce que le secteur est régulé depuis quarante ans et que chacun connaît la règle du jeu. Quand un éditeur est sanctionné, tous les autres comprennent ce que cela veut dire : ils savent que dans un cas de figure comparable, le régulateur procédera de la même façon. A contrario, la sphère numérique, c'est le Far West !

Le conflit au Proche-Orient a évidemment donné lieu à des dérapages dans les médias audiovisuels traditionnels. Nous avons parfois été amenés à intervenir et certaines procédures sont en cours. Le motif de préoccupation majeur concerne toutefois les plateformes numériques. Sur la base du DSA, la Commission européenne, représentée par Thierry Breton, vient ainsi d'engager des procédures à l'encontre de plusieurs opérateurs, notamment de X ; nous lui apportons d'ores et déjà notre concours.

La loi française impose aux médias audiovisuels une juste représentation de la diversité de la société. Il s'agit là d'un vrai sujet. Nous avons mis en place des outils de nature incitative, tels que notre baromètre dont la publication donne lieu à un rendez-vous annuel, public, devant les médias. Cela fait dix ans que ce baromètre existe : il permet donc de nommer les choses et de mesurer les tendances.

Nous percevons des progrès dans certains domaines. Mme Calvez évoquera peut-être la place des femmes dans les médias : la parité n'est pas tout à fait atteinte, mais on s'en rapproche. Des efforts doivent encore être faits, notamment dans la politique et le sport, mais nous avançons. Dans d'autres domaines, nous sommes effectivement très en retard : je pense par exemple à la représentation des personnes en situation de handicap, des personnes âgées, que vous avez évoquées, et des habitants de certains territoires.

Il est vrai que les Français se détournent des médias qui ne leur ressemblent pas. La faible confiance accordée aux médias, mesurée chaque année par le baromètre Kantar et diverses enquêtes, est aussi liée au fait que nos concitoyens ne s'y retrouvent pas. Comment croire un média sur lequel on ne se voit jamais ? Les engagements que les candidats peuvent prendre sur ce terrain-là seront évidemment un critère d'appréciation pour le régulateur.

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Le respect par l'éditeur des engagements pris devant le régulateur est l'un des critères d'appréciation. D'éventuels manquements seront donc pris en compte.

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Vous l'avez rappelé, l'Arcom a pour mission de favoriser la juste représentation des femmes et des hommes sur les antennes et de contribuer à la lutte contre les discriminations en raison du sexe. Elle a une double mission, de contrôle et d'incitation. Quel usage faites-vous des nouvelles technologies pour renforcer vos moyens de contrôle et monitorer plus, plus souvent et mieux ? Comment pouvez-vous, tout en maintenant votre cahier des charges, renforcer vos moyens de contrôle en période de crise ? Peut-on s'inspirer de ces méthodes pour contrôler la juste représentation de la diversité de la société ?

Vous avez rappelé que la TNT a toujours un caractère fédérateur. Mais, alors que d'autres modes de diffusion sont en plein essor, ne craignez-vous pas une désaffection pour la TNT et un manque de candidats au moment des attributions ? Que se passera-t-il s'il n'y a aucun candidat ? Qualifier ces chaînes de service d'intérêt général (SIG) pourrait-il contribuer à rendre les canaux de la TNT plus attractifs et à éviter ce scénario ?

Par ailleurs, puisque vous avez rappelé l'importance du droit à l'information, pourriez-vous nous rappeler la place qu'occupe l'information sur les chaînes de la TNT ? Ne devrait-elle pas être plus présente, pour garantir notre droit à l'information ? Dans la mesure où ces canaux sont des biens publics, pourquoi ne pas favoriser, sur ceux-ci, le droit à l'information indépendante et pluraliste ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Le recours à de nouvelles technologies pour monitorer est effectivement une piste que nous sommes en train d'examiner. Des outils d'intelligence artificielle pourraient certainement nous aider à accomplir les contrôles qui consistent en un brassage de données.

S'agissant de la place des femmes dans les médias, nous avons un partenariat avec l'Institut national de l'audiovisuel (INA), qui nous permet de mesurer la présence et le temps d'expression des femmes dans les médias. Cet outil nous a permis de voir que, même si les femmes y sont plus présentes, elles s'expriment moins qu'elles ne sont vues, parce que leur parole est plus rare ou qu'elles sont plus interrompues par les hommes.

Dans l'appréciation des candidatures, nous prenons en compte tous les critères évoqués à l'article 3-1 de la loi de 1986, notamment le fait que la programmation doit refléter la diversité de la société française, ce qui rejoint la question de la représentation des femmes. À chaque fois que nous renégocions une convention avec une chaîne dont nous renouvelons l'autorisation, nous essayons d'aller un peu plus loin et de densifier les obligations des opérateurs : c'est ce que nous avons fait avec TF1 et M6.

Qui sera candidat ? Aurons-nous beaucoup de candidats ? Je l'ai dit, la synthèse de la consultation publique sera publiée dans quelques jours et, ce que j'en retiens, c'est l'intérêt et l'appétence des opérateurs en place pour la TNT. Y aura-t-il des outsiders ? C'est la grande inconnue de l'audiovisuel et du monde des affaires et je ne peux pas préjuger de ce qui se produira.

Lors du dernier appel à candidatures que nous avons lancé pour les fréquences rendues disponibles par TF1 et M6, nous avons eu trois candidats pour deux fréquences. Je répète qu'il se peut très bien que nous ne retenions aucune candidature, si elles ne remplissent pas les critères prévus par la loi. S'il n'y a pas de candidat sur une fréquence, il faudra relancer une procédure.

Sur les chaînes de la TNT, plus de 20 % des programmes sont consacrés à l'information : elle y tient une place prépondérante. Le fait qu'il y ait quatre chaînes d'information en continu joue évidemment mais, d'une manière générale, l'information est, en pourcentage, le type de programme le plus présent sur les chaînes de la TNT, avant la création.

Quant à la qualification de service d'intérêt général, c'est une question sur laquelle nous allons statuer très prochainement. Cette disposition, introduite par une directive européenne transposée dans notre droit, permet d'imposer aux interfaces qui donnent accès aux contenus audiovisuels, notamment les constructeurs de chaînes de télévision, une bonne exposition de nos acteurs nationaux. Le régulateur veillera à ce que nos opérateurs nationaux soient exposés aussi avantageusement que des acteurs privés payants, comme les plateformes de streaming, par exemple. Nous veillerons à ce que ne s'instaure pas, dans l'accès à nos écrans, une situation asymétrique entre nos acteurs nationaux et de très puissants acteurs, notamment nord-américains, Ce sera effectivement un élément de valorisation de la TNT, au même titre que l'ultra-haute définition.

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Hier, devant la commission des affaires culturelles du Sénat, vous avez indiqué que l'un des défis du secteur audiovisuel au cours des prochaines années serait la lutte contre la désinformation et les ingérences étrangères. Quels moyens d'action envisagez-vous pour lutter contre ces deux phénomènes ?

Comment comptez-vous, par ailleurs, assurer la protection de la liberté d'expression et le pluralisme des médias ? Je ne savais pas que nous ferions aujourd'hui le procès de CNews. La ministre de la Culture, Mme Rima Abdul-Malak, est allée jusqu'à évoquer un possible retrait de sa fréquence à cette chaîne. Ces propos ont pu choquer, car ils remettent en cause l'indépendance de l'Arcom. Pouvez-vous revenir sur cette affaire ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Le premier sujet, qui sera très important dans la perspective du scrutin européen de juin 2024, nous mobilise déjà car, pour chaque scrutin, l'Arcom doit prendre une délibération pour fixer le cadre du contrôle du pluralisme qu'elle exercera. Nous le ferons au début de l'année prochaine et participerons bien évidemment à l'organisation de la campagne officielle, en particulier sur les médias de service public.

Deuxièmement, la compétence que nous a donnée la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information nous amène, dans ces périodes électorales, à dialoguer de façon plus étroite avec les plateformes numériques, comme nous l'avons fait pour les scrutins présidentiel et législatif de l'année dernière où, dès le mois de janvier, nous avons réuni toutes les plateformes tous les quinze jours dans le cadre d'un dispositif de dialogue et de signalement de tout ce qui pouvait relever de la manipulation de l'information – ce qui ne concerne bien évidemment pas les éléments relevant du combat politique, car chacun a le droit d'avancer ses arguments.

Compte tenu des mouvements électoraux déjà opérés dans plusieurs pays de l'Union européenne et des mouvements géopolitiques qui se déroulent sur le continent européen, il est clair que l'élection au Parlement européen sera exposée à un important risque d'ingérence.

La France s'est dotée d'un service à compétence nationale, placé auprès du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, ou Viginum, à la gouvernance duquel l'Arcom est associée. Nous entretenons donc un dialogue étroit et régulier avec ce service, du fait de la proximité que nous avons désormais avec les grands acteurs du numérique. J'ai ainsi rencontré récemment le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale pour échanger avec lui à ce propos et voir comment nous organiser pour le scrutin à venir. Nous aurons ces préoccupations présentes à l'esprit et réunirons en amont les grandes plateformes dans cette perspective.

Le pluralisme, à propos duquel j'ai d'ailleurs déjà largement répondu, est pour nous le critère central d'appréciation des candidatures, qu'il s'agisse des acteurs, de l'offre ou des intérêts du téléspectateur. Vous avez employé le mot de « procès », mais il me semble m'être tenu à distance de tout commentaire à l'égard de toute chaîne de télévision, notamment de celles qui sont susceptibles d'être candidates au processus. Vous n'entendrez donc pas ce mot dans la bouche.

Nous apprécierons les candidatures pour ce qu'elles valent au regard des critères posés par la loi, et nous le ferons en toute indépendance, en toute impartialité et de manière collégiale. Je n'ai pas assez insisté ce matin sur le fait que rien ne sort de l'Autorité sans avoir été délibéré par le collège. Toutes ses décisions sont en effet prises par neuf membres que je n'ai pas choisis. Du reste, le collège que je préside aujourd'hui n'a rien à voir avec celui que j'ai présidé le jour j'ai pris mes fonctions, car il se renouvelle par tiers tous les deux ans. Ce n'est pas moi qui en choisis les membres ni moi qui les nomme. Toutes les sensibilités sont représentées au sein de ce collège paritaire qui compte des juristes très chevronnés, un membre du Conseil d'État, une magistrate à la Cour de cassation et une ancienne directrice juridique de l'Autorité de la concurrence. L'impartialité et la collégialité sont pour nous deux éléments structurants de notre vie quotidienne.

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Pour terminer, quel est votre champ d'action sur les chaînes hors TNT ? Je pense en particulier aux programmes de Paramount+ et MTV France, à propos desquels vous avez déjà répondu : comment le travail est-il coordonné avec les autres régulateurs européens lorsque les diffuseurs ne sont pas sur le sol national ?

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Roch-Olivier Maistre, président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

L'espace médiatique européen est protégé et nous régulons, comme chacun de nos homologues européens, les acteurs présents sur notre territoire, mais sommes également amenés à réguler, soit directement soit avec nos homologues, des acteurs qui ne s'y trouvent pas et qui nous prennent pour cible. Plusieurs cas de figure peuvent se présenter et il est intéressant de les évoquer, en particulier dans le contexte du conflit entre la Fédération de Russie et l'Ukraine ou de celui qui oppose Israël et le Hamas.

Des chaînes extra-européennes diffusées par voie satellitaire et qui peuvent toucher notre territoire n'échappent pas à la protection de l'espace européen tel qu'il est défini dans la directive européenne du 10 mars 2010 « services de médias audiovisuels » et par la loi de 1986. Il nous est donc arrivé, dans la séquence du conflit entre la Fédération de Russie et l'Ukraine, de mettre en demeure Eutelsat de bloquer la diffusion de chaînes diffusant des contenus qui n'étaient pas conformes à la réglementation. La question s'est également posée dans le cadre du conflit au Proche-Orient.

Dans le cas des médias que vous avez évoqué, le programme « Frenchie Shore », programme payant diffusé par Paramount+ et par MTV, ne part pas de la France, mais relève de la responsabilité du régulateur tchèque dans un cas et allemand dans l'autre. Nous avons saisi nos collègues tchèque et allemand pour qu'ils s'assurent que ces programmes payants soient bien conformes à la réglementation, notamment en termes de protection des mineurs. L'enquête est en cours de leur côté et nous verrons bien ce qu'il en ressort. Nous sommes également intervenus auprès de Meta, de TikTok et de X, l'une des difficultés principales étant en effet que ces contenus ont été viralisés sur les réseaux sociaux. À notre demande, ces plateformes ont accéléré la modération de ces contenus par intelligence artificielle.

L'une des priorités de mon mandat était de faire entrer cette régulation dans notre monde d'aujourd'hui et c'est tout l'enjeu de la régulation pour les années qui viennent. On peut penser que nous pourrions faire plus, mais nos médias audiovisuels sont globalement bien régulés. Pour ce qui concerne la sphère numérique, nous sommes au début de l'histoire et le règlement européen sur les services numériques sera une priorité. Dans le cadre du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (SREN), qui viendra en commission mixte paritaire au début de l'année prochaine, l'Arcom devrait être désignée comme autorité nationale pour la mise en œuvre de ce règlement, et c'est un gros chantier pour lequel nous sommes très mobilisés et en vue duquel notre organisation s'est beaucoup adaptée depuis deux ans.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour votre participation et l'ensemble des réponses que vous nous avez faites. Nous resterons en flux tendu avec l'instance que vous représentez tout au long de nos travaux et nous aurons beaucoup de choses à vous demander. Je vous invite à compléter nos échanges en envoyant au secrétariat de notre commission d'enquête les documents que vous jugerez utiles – nous avons déjà cité l'organigramme et le bilan des sanctions prononcées. Vous pouvez également nous adresser une réponse écrite au questionnaire qui vous avait été préalablement adressé.

La séance s'achève à douze heures trente.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Quentin Bataillon, Mme Céline Calvez, M. Aymeric Caron, M. Sébastien Chenu, Mme Fabienne Colboc, M. Jocelyn Dessigny, M. Laurent Esquenet-Goxes, M. Philippe Frei, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Jérôme Guedj, Mme Constance Le Grip, Mme Sarah Legrain, M. Aurélien Saintoul, Mme Sophie Taillé-Polian

Excusé. – M. Emmanuel Pellerin