Les travaux de votre commission d'enquête portent sur l'une des principales missions de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. Depuis la loi du 29 juillet 1982, qui a abrogé le monopole d'État en matière de radiodiffusion, et celle du 30 septembre 1986, qui a consacré le principe de la liberté de communication audiovisuelle, il revient en effet dans notre pays à une autorité indépendante d'attribuer les fréquences assignées aux services de la télévision numérique terrestre. Cette autorité a également la charge de contrôler les obligations législatives et conventionnelles fixées aux éditeurs en contrepartie de l'utilisation d'une ressource rare appartenant au domaine public de l'État.
La place majeure occupée par les programmes de radio et de télévision dans la vie quotidienne de nos concitoyens et dans le débat public, leur rôle prescripteur dans la formation des opinions, leur importance dans la diffusion de la culture, du savoir et du divertissement, donnent à cette mission une importance de premier plan. Il est donc tout à fait naturel que le régulateur, dont la feuille de route est fixée par le législateur, en rende compte devant la représentation nationale, comme il le fait très régulièrement, et qu'il apporte aujourd'hui sa contribution aux travaux de votre commission.
Je rappellerai dans un premier temps les caractéristiques et les perspectives de la TNT, avant de décrire les étapes de la procédure d'attribution des fréquences et de délivrance des autorisations d'émettre, puis les modalités de contrôle des obligations qui pèsent sur les chaînes.
La TNT est un mode de diffusion numérique de la télévision fondé sur l'emploi d'ondes radioélectriques, dont les fréquences sont planifiées et coordonnées entre les États par une agence de l'Organisation des Nations-Unies (ONU), l'Union internationale des télécommunications (UIT). Pour la France, les bandes de fréquences sont réparties en fonction de leur utilisation et c'est l'Arcom qui gère les fréquences assignées à l'audiovisuel. La France défend depuis de nombreuses années la préservation d'une bande de fréquences dédiée à la TNT, et l'article 21 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit que cette bande de fréquences reste affectée à l'Arcom pour la diffusion de la TNT au moins jusqu'au 31 décembre 2030. Cette position ne fait pas consensus au sein de l'UIT, mais la France, représentée par l'Agence nationale des fréquences (ANFR), l'a à nouveau défendue lors de la dernière conférence mondiale des radiocommunications, qui s'achèvera demain à Dubaï.
Lancée en France métropolitaine le 31 mars 2005, la TNT s'est entièrement substituée à la télévision analogique en 2011 et son paysage s'est alors structuré autour des acteurs historiques, TF1 et M6, et de nouveaux entrants. Aujourd'hui, la plateforme est occupée par dix groupes audiovisuels, qui sont présents sur la TNT nationale et qui éditent, au total, trente et un services : huit services sont portés par des entreprises publiques – les chaînes du groupe France Télévisions, Arte et les deux chaînes parlementaires, qui se partagent un canal ; vingt-trois services sont privés – dix-huit gratuits et cinq payants. À ces trente et un services nationaux s'ajoutent quarante-deux chaînes locales dans l'Hexagone, qui sont présentes sur l'ensemble de notre territoire, et une offre spécifique adaptée à chaque territoire ultramarin. Ainsi, même si la bande de fréquences est physiquement limitée, la TNT française se caractérise par l'abondance et la diversité de son offre pour les téléspectateurs.
Pour avoir une vision complète du paysage audiovisuel, il faut avoir à l'esprit que s'ajoutent à la TNT un peu plus de 200 chaînes disponibles par d'autres réseaux et 360 services de médias audiovisuels à la demande qui sont déclarés ou conventionnés par le régulateur. Tous les services accessibles sur la TNT sont diffusés en haute définition, à l'exception de LCI et de Paris Première. À la demande du Gouvernement, l'Arcom vient juste d'autoriser le groupe France Télévisions à émettre en ultra-haute définition (4K) sur France 2 et France 3 durant les Jeux olympiques de Paris en 2024. Je le précise, parce que la diffusion en haute ou en ultra-haute définition consomme plus de fréquences que la simple définition.
Quelles sont la situation et les perspectives de la plateforme TNT ? De manière globale, nos groupes audiovisuels nationaux sont affectés par des transformations très profondes et très rapides de leur environnement. D'abord, les usages évoluent très vite, sous l'effet de la transition numérique. On compte désormais six écrans par foyer français en moyenne, en incluant les smartphones. La durée d'écoute individuelle de la télévision baisse et l'âge moyen du public de la télévision traditionnelle a augmenté, pour s'établir à 58 ans. Ensuite, les chaînes de télévision subissent la concurrence d'acteurs internationaux très puissants, sur le plan technologique comme sur le plan financier. Ce sont d'abord les plateformes de streaming par abonnement : la moitié des foyers français sont abonnés à au moins l'une d'entre elles. Surtout, les grandes entreprises du numérique – Google, Apple, Facebook, Amazon (Gafa) – captent une part essentielle de la croissance du marché publicitaire consacré aux médias, alors que cette recette publicitaire est la source quasi exclusive de financement des chaînes gratuites privées. Ce sujet sera au centre des États généraux de l'information, parce qu'il pose la question du modèle économique de nos médias – presse écrite, radio et télévision – et que c'est un enjeu de souveraineté majeur. Les groupes audiovisuels, qu'ils soient publics ou privés, sont tous confrontés à la nécessité de s'adapter à ce nouvel environnement et d'aller chercher les publics là où ils sont, notamment les plus jeunes, en renforçant une stratégie digitale éditoriale.
Par ailleurs, la plateforme TNT est de plus en plus concurrencée par d'autres modes de diffusion. Un peu moins de 20 % des foyers français dépendent de la seule TNT pour accéder à la télévision ; ce sont des foyers plutôt modestes, âgés et situés en zone rurale. À la réception hertzienne – et son antenne râteau – s'ajoutent désormais d'autres modes de distribution : le satellite ; l'accès aux programmes via une box Internet, dont le déploiement s'est accéléré avec la fibre ; et, surtout, l'accès par internet, qui va se développer de façon très sensible dans les années qui viennent. Près de 90 % des foyers français sont équipés d'un téléviseur ayant accès à internet et possèdent une télévision connectée. L'écran de télévision est devenu un magasin d'applications, à l'instar de nos smartphones, et 30 % du temps passé à visionner YouTube se fait devant le téléviseur.
Malgré ces évolutions de fond, la TNT reste un mode de diffusion structurant pour le secteur audiovisuel, pour de nombreuses raisons. D'abord, son offre est accessible sur l'ensemble du territoire, gratuite et diversifiée et sa numérotation simple donne une forte notoriété aux chaînes. Ensuite, elle est diffusée sans intermédiation et sans utilisation des données personnelles des téléspectateurs. Enfin, c'est un outil plus sobre au plan énergétique que les autres modes de diffusion. La TNT reste donc un élément majeur d'aménagement et de cohésion de nos territoires, en particulier dans les zones faiblement équipées en infrastructures numériques. Quel que soit leur mode de diffusion, les chaînes de la TNT gardent un puissant pouvoir fédérateur, aussi bien en matière d'information, que de divertissement ou d'accès à la culture.
J'en viens à présent à la procédure d'attribution des autorisations sur la TNT. Elle est très encadrée par la loi et se fait sous le contrôle du juge administratif. L'Arcom la met très souvent en œuvre, tant pour les chaînes nationales, que pour les chaînes de la TNT locale, et surtout pour les très nombreux services de radio – plus de 1 000 – qui composent notre paysage audiovisuel. Nous lançons des appels à candidatures chaque année, parfois même plusieurs fois par an, pour attribuer des fréquences. Ne font exception à cette règle que les chaînes publiques, pour lesquelles le législateur a donné au Gouvernement un droit de préemption sur la ressource radioélectrique.
Quelles sont les étapes de la procédure ? En premier lieu, l'article 31 de la loi du 30 septembre 1986 dispose que l'Arcom doit procéder à une consultation publique quand les décisions d'attribution sont « susceptibles de modifier de façon importante le marché en cause ». Dans les faits, l'autorité y a recours de manière systématique pour la TNT nationale. Elle l'a fait en 2020, à l'échéance de l'autorisation de Canal+, en 2002, à l'échéance des autorisations de TF1 et de M6, et elle vient de le faire pour les échéances de 2025. Une consultation publique a été lancée le 13 juillet ; la synthèse en sera publiée très prochainement – et communiquée à votre commission d'enquête, cela va de soi.
La loi prévoit ensuite que « lorsqu'elle procède aux consultations publiques », l'Arcom « procède également à une étude d'impact, notamment économique, des décisions d'autorisation d'usage de la ressource radioélectrique », qui doit également être rendue publique. Nous sommes en train de finaliser cette étude d'impact, qui sera adoptée dans les prochains jours. C'est un document très riche, offrant un panorama complet de l'audiovisuel français et de la TNT ; nous vous le communiquerons, car je crois qu'il sera très utile à votre commission d'enquête.
Après la consultation publique et l'étude d'impact, vient la troisième étape. L'article 30-1 de la loi de 1986 prévoit que les autorisations sont accordées à l'issue d'un appel à candidatures, dont le texte est rendu public, et fixe très précisément et très limitativement les éléments que l'autorité peut arrêter dans le texte de l'appel – les catégories de services concernés, gratuit ou payant – et les éléments que le dossier de candidature doit contenir : l'identité de la personne morale qui candidate ; le contenu de la programmation proposée ; les éléments financiers à l'appui du projet ; la couverture du service qu'il est proposé de réaliser ; les modalités de commercialisation ; les données techniques associées ; le délai de mise en exploitation du service. A contrario, au regard du principe constitutionnel de liberté de communication, l'autorité n'est pas habilitée à fixer des conditions dans l'appel à candidatures qui reviendraient, d'une façon ou d'une autre, à contraindre la ligne éditoriale proposée par les candidats. S'agissant des échéances de 2025, cet appel à candidatures devrait être lancé au début de l'année 2024.
Au terme du délai de réponse à l'appel, l'Arcom publie la liste des candidatures qui sont déclarées recevables. Les dossiers font l'objet d'une instruction très approfondie de la part des services de l'Arcom, sous l'autorité de son directeur général, qui m'accompagne ce matin. L'Arcom procède ensuite à l'audition publique des candidats, dans le strict respect du principe d'égalité, avant de procéder, enfin, à la sélection du ou des candidats.
Sur quels critères l'autorité se fonde-t-elle pour attribuer les fréquences ? Là aussi, la loi fixe sa feuille de route, éclairée par le juge administratif. La régulation ayant vu le jour dans les années 1980, on dispose d'un peu plus de quarante ans de jurisprudence du Conseil d'État. La loi précise que l'Arcom apprécie « l'intérêt de chaque projet pour le public au regard des impératifs prioritaires que sont la sauvegarde du pluralisme des courants d'expression socioculturels, la diversité des opérateurs et la nécessité d'éviter les abus de position dominante ainsi que les pratiques entravant le libre exercice de la concurrence ». Selon la jurisprudence administrative, ces critères doivent être prioritaires. D'autres critères peuvent évidemment être pris en compte pour départager des projets présentant un intérêt équivalent : l'expérience des candidats ; les engagements qu'ils peuvent prendre s'agissant du financement de la production ; les principes qui sont mentionnés au début de la loi de 1986, à savoir l'honnêteté, l'indépendance, le pluralisme de l'information, ou encore la représentation de la diversité de la société française dans les programmes. L'autorité peut aussi décider de rejeter un dossier ab initio si le candidat ne fournit pas, à ses yeux, de garanties suffisantes sur la viabilité économique du service.
Les autorisations doivent être attribuées dans un délai de huit mois à compter de la clôture des candidatures, pour une durée maximum de dix ans. La loi conditionne également la délivrance d'une autorisation à la conclusion d'une convention entre l'Arcom et la personne morale candidate qui a été sélectionnée.
La procédure, telle qu'elle est définie par le législateur, est soumise à trois principes fondamentaux : la légalité, l'égalité des candidats et la transparence. Elle repose aussi sur les règles qui fondent l'action du régulateur, à savoir l'indépendance, l'impartialité et la collégialité. Étant moi-même astreint au respect du principe d'impartialité, vous comprendrez que je ne porte pas de jugement sur des éditeurs qui seront très vraisemblablement candidats à la prochaine échéance, pour ne pas vicier la procédure.
J'exposerai, pour finir, les modalités du contrôle que l'Arcom exerce sur les obligations légales ou conventionnelles qui pèsent sur les chaînes. Il convient au préalable de rappeler que l'Arcom intervient au cœur d'une liberté publique fondamentale, qui est consubstantielle à notre vie démocratique : la liberté de communication. C'est un principe de nature constitutionnelle, qui est protégé par la loi, mais aussi par les juridictions nationales et européennes. Comme son titre l'indique, la loi du 30 septembre 1986, au même titre que la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, est d'abord une loi de liberté. L'Arcom est garante de cette liberté ; elle n'intervient donc jamais a priori sur les programmes qui sont diffusés sur les antennes. Elle n'est en aucune façon une autorité de censure, ni une police de la pensée, et il ne lui revient pas de déterminer la ligne éditoriale des chaînes de radio ou de télévision.
Néanmoins, le législateur a fixé des limites à l'exercice de cette liberté et a confié au régulateur le soin d'en assurer le respect, sous le contrôle du juge. L'impact des médias audiovisuels sur notre société justifie la définition d'obligations relatives au contenu des programmes qu'ils diffusent : respect du pluralisme, sauvegarde de l'ordre public, honnêteté, indépendance, rigueur de la présentation de l'information, préservation des droits de la personne, protection de la jeunesse. Tout ne peut pas être dit ou montré à l'antenne.
Sur ces différents fondements, législatifs et conventionnels, mais aussi en vertu des délibérations que l'autorité peut prendre elle-même, du fait de son pouvoir réglementaire, l'Arcom peut être amenée à intervenir et, le cas échéant, à prononcer des sanctions à l'égard des chaînes qui ne respecteraient pas leurs obligations. Toutes les décisions d'intervention, sans exception, sont prises de manière collégiale, en toute indépendance, et après une instruction approfondie de la part des services. L'Arcom intervient dans le respect du principe de proportionnalité et du contradictoire.
Nous bénéficions, je le redis, de quarante ans de jurisprudence pour éclairer les motifs qui peuvent justifier ou non une intervention du régulateur auprès d'un éditeur. Il importe d'ailleurs de rappeler que la mission de l'Autorité ne porte que sur la responsabilité de l'éditeur au regard de ses obligations, et vient donc en complément du celle de celle du juge judiciaire, qui seul peut se prononcer lorsqu'un propos tenu à l'antenne constitue une atteinte réprimée par la loi du 29 juillet 1881. Nous ne sanctionnons donc que l'éditeur, et non pas la personne qui est à l'origine du manquement de ce dernier.
Je conclurai en soulignant l'importance des mutations à l'œuvre dans le paysage audiovisuel et numérique. À votre initiative, et pour accompagner ce mouvement, le régulateur s'est considérablement transformé depuis cinq ans. Arrivant au terme de mon mandat, j'aurai connu – expérience administrative rare dans la vie d'un serviteur de l'État – treize textes législatifs qui ont eu un impact sur l'Autorité, ce qui est considérable et, mon mandat n'étant pas encore terminé, il n'est pas exclu que j'en voie encore quelques-uns.
L'Autorité que je préside aujourd'hui n'est donc plus celle que j'ai connue au moment de sa création, au début des années 1980. Elle est aujourd'hui en partie engagée dans la communication numérique, qui est l'enjeu essentiel des années qui viennent. Nous sommes dès à présent mobilisés, avec la Commission européenne et nos homologues européens, pour la mise en œuvre du règlement européen du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques, le Digital Services Act (DSA), mieux lutter contre les contenus illicites, la manipulation de l'information et la haine en ligne, qui prospèrent et doivent mobiliser largement nos énergies.
Soyez en tout cas assurés de l'engagement du collège de l'Autorité, que je préside, et de l'ensemble des services de celle-ci pour exercer ses missions avec rigueur, indépendance et impartialité, conformément à la haute responsabilité que vous lui avez confiée.