Au fil de ses quarante ans d'histoire, l'Autorité a élaboré une pratique de non-intervention. Il arrive régulièrement que nous soyons saisis de questions pour lesquelles le collège peut estimer que le principe de liberté prime sur le principe d'intervention. S'il souhaite intervenir, le premier degré est une lettre adressée à l'éditeur, dont la tonalité peut changer selon la nature des observations de l'Autorité. Je qualifierais cette étape de mise en garde : nous signalons à l'éditeur des contenus qui ne caractérisent pas un manquement au sens juridique du terme, mais à propos desquels nous estimons qu'il faut lui signaler qu'il se rapproche d'une ligne jaune.
Les procédures prévues par les textes sont d'abord la mise en demeure, prononcée en cas de manquement constaté chez un éditeur au regard d'une disposition législative ou conventionnelle. C'est un préalable absolu fixé par la loi : nous ne pouvons pas sanctionner directement un média sans avoir au préalable prononcé une mise en demeure sur une motivation très précise. Ce n'est qu'en cas de réitération d'un manquement de même nature qu'on peut entrer en voie de procédure de sanction. Nous pouvons donc avoir à prononcer plusieurs mises en demeure à l'encontre d'un même éditeur, car elles peuvent porter sur des motifs différents. Chaque mise en demeure doit être ciblée et solidement motivée juridiquement, car elle est susceptible de recours devant le Conseil d'État.
Si un nouveau manquement de même nature est constaté de la part de l'éditeur, le directeur général de l'Autorité, proprio motu – donc en vertu d'une compétence qui n'appartient pas au collège –, envoie le dossier à un rapporteur indépendant, membre du Conseil d'État, en application du principe de séparation des poursuites et du jugement. Ce rapporteur indépendant examine le dossier, dont on lui fournit tous les éléments, parmi lesquels la mise en demeure préalablement prononcée : au vu de ces éléments, il décide d'engager ou non des poursuites. Les poursuites éventuelles doivent suivre une procédure contradictoire : après notification des griefs, la chaîne mise en cause dispose au minimum d'un mois pour répondre. Le rapporteur indépendant analyse ensuite le dossier et fait rapport à l'Autorité. Le dossier revient alors entre les mains du collège, qui convoque une séance équivalente à celle d'un tribunal où il entend les conseils juridiques de l'éditeur, puis le rapporteur indépendant, après quoi l'Autorité statue.
Quant aux sanctions, la loi en prévoit toute une panoplie, dont le premier degré est la publication d'un communiqué que l'Autorité rédige et dont elle impose la diffusion à l'éditeur, en en fixant les modalités. À l'autre bout de l'échelle, la sanction la plus grave est le retrait de l'autorisation. Dans l'histoire de l'Autorité, cette sanction n'est intervenue qu'une fois, pour la chaîne Numéro 23 – et, comme vous le savez, le Conseil d'État a annulé cette décision.
Entre ces deux extrêmes, l'Autorité peut – et c'est l'outil qu'elle utilise le plus – prononcer des sanctions financières, dans la limite de 4 % du chiffre d'affaires de l'éditeur, plafond qui peut être porté à 5 % en cas de récidive. La sanction la plus importante que nous ayons prononcée l'a été cette année et s'élevait à 3,5 millions d'euros à l'encontre d'un éditeur que nous estimions en situation de récidive après des sanctions précédentes.
La loi nous donne d'autres facultés, comme celle d'interrompre ou de suspendre un programme, ou de raccourcir l'autorisation. Nous pouvons également suspendre les écrans publicitaires, faculté que nous avons parfois utilisée mais qui est à double tranchant, comme je l'ai expérimenté le jour où j'ai pris mes fonctions, car une sanction pour laquelle le précédent collège avait retenu cette formule a été annulée par le Conseil d'État, à la suite de quoi l'éditeur nous a demandé de lui rembourser le manque à gagner. C'était une entrée en matière particulièrement désagréable pour un magistrat de la Cour des comptes !