Je n'ai pour ma part subi aucune intervention, y compris au moment de la nomination des responsables de l'audiovisuel public. Cette nomination, qui se fait à bulletins secrets, est en effet l'une de nos compétences. Bien sûr, nous recevons des lettres de l'ensemble des familles politiques, au titre du pluralisme : il est pour le coup fréquent qu'un parlementaire ou un président de parti, par exemple, fasse connaître à l'Autorité son sentiment de ne pas avoir accès de manière équitable à tel ou tel média. Cela concerne d'ordinaire des formations politiques dont la représentation parlementaire est plutôt limitée. Nous examinons ces demandes et vérifions si le traitement de cette personne ou de cette formation a été équitable. Le cas échéant, nous intervenons auprès des médias.
Il y a tout un courant de pensée qui estime que ces règles de pluralisme sont obsolètes, que dans le monde actuel des médias la prolifération de l'offre, et le fait que l'offre numérique ne soit pas soumise à ces obligations, doivent nous amener à les abandonner hors des périodes électorales. C'est d'ailleurs ce qui se passe d'habitude dans les démocraties : le système français de contrôle du pluralisme tout au long de l'année est vraiment singulier. Mon expérience m'amène néanmoins à considérer que ce mécanisme contribue à un débat démocratique équilibré. On voit quels seraient les risques de pics de surreprésentation à un moment donné, pour une raison ou une autre. Le pluralisme est une corde de rappel, un moyen de s'assurer que toutes les formations politiques ont un accès équilibré aux antennes. Les médias, les rédactions sont très critiques vis-à-vis de cette organisation ; ils considèrent notre contrôle comme tatillon. Mais c'est la mission que nous confie la loi.
Quant aux milliardaires, c'est une histoire aussi longue que celle des médias : on le voit bien dans les Illusions perdues. Je n'évoquerai pas le modèle américain, où le rôle de l'argent est central.
Faire de la télévision coûte très cher. Disposer d'une très grande rédaction professionnelle comme celle de TF1 est très onéreux ; vous votez les crédits de l'audiovisuel public et vous voyez bien les masses financières qui sont en jeu. Il faut un grand savoir-faire, beaucoup de technique. Les coûts de diffusion sont également très importants. Les médias ont donc besoin de financements.
Le modèle économique des médias est la question centrale des états généraux de l'information : comment veille-t-on à ce que le modèle économique de notre presse écrite, de nos radios, de nos médias audiovisuels résiste notamment à la concurrence des acteurs du numérique ? Trois acteurs extra-européens – Amazon, Meta, Google – captent plus de la moitié de la recette publicitaire qui va aux médias. Sans rééquilibrage, le pluralisme des médias sera menacé. Je le disais, c'est un phénomène auquel la presse écrite est confrontée depuis longtemps et que commencent à subir les radios et les télévisions.
Les patrons de médias se sont exprimés lors de la commission d'enquête du Sénat sur la concentration des médias : beaucoup de patrons de presse ou de médias audiovisuels ont souligné qu'ils étaient bien contents de trouver des financeurs… L'essentiel, c'est que le modèle de financement assure le pluralisme, qu'il protège de la concentration, et qu'il garantisse l'indépendance des médias. C'est sur ces points qu'il faut être vigilant.
En ce qui regarde les capitaux extra-européens, le capital de l'éditeur d'une chaîne de la TNT ne peut pas en compter plus de 20 %. C'est une règle destinée à protéger la souveraineté de nos éditeurs. On peut la considérer comme trop contraignante dans le cadre de l'économie de marché. Il me semble que l'enjeu de la souveraineté est bien réel, et que cette contrainte garde tout son sens.