Notre modèle de régulation a vu le jour assez récemment car, comme souvent dans notre pays, beaucoup de choses procèdent ab initio de l'État. Ainsi, jusqu'au début des années 1980 – je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître –, la télévision était entièrement entre les mains de l'État, avec un nombre de chaînes très limité, et il en était de même pour la radio. C'est à cette époque que le paysage s'est ouvert, avec d'un côté, pour la radio, le mouvement de libération des ondes – les fameuses « radios libres » –, et, pour la télévision, l'arrivée progressive de premiers acteurs privés, l'un des temps marquants ayant été la privatisation de TF1 en 1987.
Il a alors fallu mettre en place, comme dans toutes les démocraties, une autorité indépendante pour organiser ce paysage. Il a ainsi fallu organiser la bande FM pour permettre aux radios de diffuser dans des conditions d'écoute satisfaisante, sans se brouiller les unes les autres et, en même temps, fixer le cadre et les obligations applicables au secteur. Ce modèle de régulation, qui date d'une quarantaine d'années, est donc récent par rapport à celui des États-Unis, qui a été le premier du genre dès les années 1930, avec la Federal Communications Commission (FCC), la Commission fédérale des communications.
Le modèle français, très élaboré, avec un corpus juridique très dense – nous sommes en France ! – repose sur la loi du 30 septembre 1986, toujours en vigueur et modifiée environ quatre-vingt-dix fois. Il serait du reste plus juste de dire qu'elle a été complétée, enrichie, avec l'extension des champs de régulation que le législateur a confiés à cette autorité, et articulée sur deux principes.
Le premier est celui de la liberté des médias, que la loi a voulu consacrer. Au sortir du monopole de l'État, la volonté du législateur était en effet de permettre aux médias, comme ce fut le cas avec la loi de 1881, d'avoir un accès libre et d'élargir l'offre dans une approche pluraliste. L'autre principe était celui de la protection des publics. Nous nous trouvons donc constamment dans cette balance entre la protection d'une liberté fondamentale – liberté de communication, liberté éditoriale des chaînes, liberté d'expression – et la protection des publics.
La régulation repose sur une autorité collégiale. Composé de neuf membres – et donc plus nombreux que chez nos voisins –, le collège est désigné, je le rappelle, par cinq autorités différentes : trois membres sont nommés par le président du Sénat, trois par le président de l'Assemblée nationale, un par le vice-président du Conseil d'État, un par le premier président de la Cour de cassation et un par le Président de la République, avec validation par les commissions parlementaires. Ces nominations sont assorties d'un régime d'incompatibilités très sévère : lorsqu'on est membre du collège, on ne peut rien faire d'autre et, lorsqu'on le quitte, on ne peut, en substance, pas faire grand-chose d'autre non plus pendant trois années. Ce cadre est donc très contraignant.
Nous différons de plusieurs points de vue de nos voisins européens. D'abord, certains pays ont adopté des modèles de régulation plus intégrés que le nôtre. Mes homologues britanniques de l' Office of Communications (Ofcom), italiens de l' Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni (Agcom), ou espagnols traitent à la fois des télécoms et de l'audiovisuel, comme si l'Arcom était fusionnée avec l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Il y a sur ce point, dans notre pays, un débat récurrent qui n'a pas encore été tranché. Lorsque j'ai pris mes fonctions, nous avons traité ce problème en signant une convention avec l'Arcep et en créant un service commun pour les sujets d'intérêt commun aux deux autorités.
Par ailleurs les régulateurs européens ont des tailles très diverses. L'Arcom est l'un des plus importants par sa longue histoire et, désormais, par sa taille. De nombreux régulateurs, sur la frontière orientale du continent, sont de petite taille. Ce n'est évidemment pas une appréciation quant à la nature de leur activité, mais il s'agit souvent d'anciens services des ministères de ces pays, autonomisés sous l'effet de la réglementation européenne, avec la directive européenne du 11 décembre 2007 dite « services médias audiovisuels » (SMA), les directives européennes composant paquet « télécom » et, maintenant, le projet de règlement européen sur la liberté des médias (European Media Freedom Act) en cours d'adoption, qui consacre la nécessité de disposer de régulateurs indépendants et autonomes.
La régulation française dispose donc, je l'ai dit, d'un corpus juridique très dense, qui repose sur des services centraux. Avec l'adoption du projet de loi de finances pour 2024, l'Autorité rassemblera l'année prochaine 400 collaborateurs. Elle dispose d'antennes dans chaque région française, soit seize implantations en incluant les outre-mer, qui sont les correspondants naturels des médias de proximité, notamment des radios locales, très nombreuses dans notre pays.
L'une de nos missions historiques est celle qui nous occupe ce matin, à savoir l'attribution des autorisations d'émettre et le contrôle des obligations, c'est-à-dire une mission technico-juridique.
Nous avons également une responsabilité démocratique, avec le contrôle du pluralisme, afin de permettre à toutes les formations politiques qui concourent à notre débat démocratique d'avoir un accès équitable aux médias. Nous exerçons cette mission tout au long de l'année, mais aussi d'une façon renforcée en période électorale. À ce titre, j'écris régulièrement à chaque président de groupe politique et aux présidents des assemblées pour leur communiquer leurs temps de parole et les équilibres respectés.
La régulation a également une très forte dimension culturelle, puisque notre modèle de financement du cinéma et de la production audiovisuelle repose sur les contributions des médias en pourcentage du chiffre d'affaires. C'est nous qui contrôlons ces obligations et, au même titre, la protection du droit des auteurs, avec la lutte contre le piratage.
Une autre composante, que j'appellerai responsabilité sociétale des médias et de la régulation, qui s'est beaucoup développée ces dernières années, se traduit par des interventions dans les domaines de la protection de la jeunesse, de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la santé, de l'environnement et de la juste représentation de la diversité de la société française.
À ce cœur de nos missions traditionnelles s'est ajouté, depuis la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information, première loi française dans ce domaine, et jusqu'à l'adoption du récent règlement européen du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques, un investissement progressif de l'Autorité dans le champ des grands acteurs du numérique. Notre périmètre comprend donc désormais aussi bien TF1, M6, le service public, Canal+, le groupe NRJ et le groupe Altice que Disney, Amazon, Apple, X ou les grands réseaux sociaux, avec lesquels nous sommes amenés à dialoguer presque quotidiennement. Il s'agit donc, comme je l'ai dit tout à l'heure, d'un modèle en transformation très profonde.