La séance est ouverte à 14 heures.
Présidence de M. Patrick Hetzel, président.
La commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements auditionne Mme Marylise Léon, secrétaire générale de la confédération française démocratique du travail (CFDT), Mme Sophie Binet, secrétaire générale de la confédération générale du travail (CGT), M. Frédéric Souillot, secrétaire général, et Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale, de Force ouvrière (FO), M. Jean-Philippe Tanghe, secrétaire général de la confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE–CGC), et M. Cyril Chabanier, président, et M. Éric Heitz, secrétaire général, de la confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC).
Nous entrons dans la dernière ligne droite de nos investigations, où les dizaines d'heures d'auditions déjà effectuées nous permettrons de structurer un point de vue sur les violences qui ont émaillé les rassemblements du printemps. Nos analyses gagneront à être confrontées à la vision des principaux acteurs politiques et sociaux de notre pays. Si la prochaine audition sera centrée sur les questions environnementales et sur les exactions qui ont eu lieu en milieu rural, cette table ronde sera consacrée aux mouvements sociaux qui ont principalement donné lieu à des manifestations urbaines, avec les problématiques spécifiques attachées à ces espaces.
Je salue les principaux dirigeants des syndicats de notre pays. Nous avions tenté d'organiser cette table ronde avant l'été mais, pour différentes raisons, la convocation avait dû être remise. Nous avons hâte de bénéficier de votre regard et de votre expertise. Un questionnaire vous a préalablement été transmis par notre rapporteur. Toutes les questions qu'il contient ne pourront pas être évoquées de manière exhaustive. Nous vous serons reconnaissants de nous transmettre, dans un second temps, vos réponses écrites.
Le maintien de l'ordre a une vocation fondamentale : permettre l'expression démocratique d'une revendication en toute sécurité pour les personnes qui manifestent comme pour les tiers, dont les familles et les biens se trouvent sur l'itinéraire du défilé. Le droit de manifester, garanti par notre Constitution, est fondamental. Dans vos fonctions syndicales, c'est à vous qu'il appartient, pour partie, d'assurer en liaison avec les autorités publiques le maintien de l'ordre des manifestations que vous organisez. Estimez-vous que l'État a correctement rempli son devoir républicain envers vous au printemps dernier, en organisant au mieux les conditions d'une expression syndicale en toute sécurité ? Les choses sont-elles perfectibles et si oui, comment ? Vos relations avec l'autorité préfectorale, à Paris comme ailleurs, ont-elles été satisfaisantes ?
Il semble que la principale menace, pour le bon déroulement des manifestations, se situe dans le précortège, dont le rôle et l'importance, mais aussi, la capacité de nuisance, ont considérablement augmenté à partir des manifestations de 2016 contre la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi « travail ». Quelles sont vos relations avec ces précortèges ? Parvenez-vous à identifier des interlocuteurs et à entrer en relation avec eux ? Dans l'affirmative, quelle est la nature de ces relations ?
Avant de vous donner la parole, en application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Frédéric Souillot, Mme Patricia Drevon, Mme Marylise Léon, M. Jean-Philippe Tanghe, Mme Sophie Binet, M. Sylvain Bernard, Mme Maryse Breuil, M. Cyril Chabanier, M. Laurent Diedrich et M. Éric Heitz prêtent serment).
Depuis le 19 janvier, nous avons organisé douze manifestations où des millions de personnes – les chiffres sont historiques – sont descendues dans la rue dans un esprit festif pour faire valoir leurs revendications. Nous avons organisé ces manifestations comme nous le faisons toujours : la loi impose de déposer une déclaration de manifestation et c'est précisément ce que nos référents ont fait à la préfecture de police de Paris. À l'intérieur des cortèges syndicaux, ces manifestations se sont bien déroulées.
La liberté de manifester et de faire grève sont en effet des droits constitutionnels fondamentaux mais le maintien de l'ordre public autour des manifestations ne relève pas de notre responsabilité. Ce que vous appelez le service d'ordre est composé de militants volontaires qui tiennent la corde encadrant et délimitant le cortège ainsi que le carré de tête, voilà tout. Comment sont-ils recrutés, formés et équipés, avez-vous demandé dans le questionnaire qui nous a été envoyé ? Ils ont simplement leur carte à Force ouvrière. Nous ne faisons pas appel à un cabinet de conseil ou de recrutement ; ils ne passent pas du club de boxe, le soir, au tir au lanceur de balles de défense, le lendemain matin.
De notre point de vue, ces manifestations se sont bien déroulées. Ce qui s'est passé autour ou auparavant, ces violences que nous avons tous condamnées sans ambiguïté, occupent malheureusement l'essentiel des articles de presse au détriment de nos revendications. Pourtant, nous avions rarement vu autant de monde dans les cortèges sur la période récente, notamment à l'occasion du 1er mai.
Vous avez souhaité entendre mon organisation par la voix de sa secrétaire générale. Nous répondons donc à votre convocation. Vos travaux portent sur les manifestations et rassemblements que nous avons organisés pendant la période définie et des difficultés dues à la multiplication des dégradations en marge des cortèges régulièrement déclarés mais, aussi, qui se sont produites lors de mouvements spontanés, ainsi que sur nos relations avec les autorités publiques. La CFDT fera part de son expérience des seuls rassemblements et manifestations qu'elle a organisés elle-même ou avec l'intersyndicale pendant la mobilisation contre la réforme des retraites. Cette expérience porte sur les manifestations organisées du 19 janvier au 6 juin 2023, y compris dans les petites villes. En effet, outre un nombre de manifestants inégalé, les manifestations et les rassemblements ont été très nombreux partout en France.
Nous respectons toujours la loi : nous déclarons les manifestations en préfecture ou en mairie et nous gérons les services d'ordre en coordination avec les responsables des forces de l'ordre. Notre responsabilité est d'assurer la sécurité des biens et des personnes, du carré de tête à la fin du cortège, périmètre à l'intérieur duquel les violences sur lesquelles vous enquêtez ne se sont pas produites. Les cortèges ont été pacifiques, massifs, d'une très bonne tenue. Très peu d'altercations, qui sont le fait de groupuscules, ont eu lieu et la CFDT a toujours dénoncé les violences en marge des manifestations et des rassemblements. Je rappelle également cette autre évidence : la liberté de manifester est fondamentale et nous y sommes tous attachés.
La procédure de déclaration, modifiée en 2019, permet d'identifier le ou les responsables de la manifestation et le temps légal d'occupation de la voie publique, mais aussi de préciser les moyens utilisés pour son bon déroulement. Elle nous oblige également à rester en étroite relation avec les autorités préfectorales. Pour les manifestations en Île-de-France et dans la capitale, le responsable de notre service d'ordre et de la sécurité est en contact régulier avec la direction de l'ordre public et de la circulation mais, aussi, avec les responsables de la préfecture de police et, s'il le faut, avec le préfet de police lui-même. Les échanges, globalement, ont été satisfaisants de janvier à juin. Chacun a joué son rôle : pour l'autorité préfectorale, autoriser et permettre le bon déroulement de la manifestation ; pour les organisations syndicales, gérer les services d'ordre. Les échanges avec les forces de l'ordre sont assurés par un responsable de liaison dans le cadre d'un dispositif qui nous apparaît suffisant. Lorsque le carré de tête a été confronté aux violences qui ont eu lieu entre les forces de l'ordre et les mouvances contestataires, nous avons constaté combien ce lien direct avec les responsables des forces de l'ordre est nécessaire afin d'éviter tout incident supplémentaire.
Le service d'ordre de la CFDT vise à protéger nos militants dans un cortège constitué et, avec celui des autres organisations syndicales, à assurer la protection du carré de tête, composé des responsables politiques des différentes organisations, ainsi que la bonne marche du cortège, conformément à la déclaration préalable en préfecture, du point de départ au point d'arrivée définis. Il est constitué de militants volontaires, recrutés au sein de chaque organisation. Seuls les responsables du service d'ordre sont à même d'échanger avec ceux des forces de l'ordre, en lien direct avec l'officier de liaison.
La CGT répond à votre convocation, comme elle le fait toujours lorsqu'elle est sollicitée par nos institutions républicaines afin de contribuer au débat et à l'action du législateur. Toutefois, je souhaite faire part de mes interrogations.
Tout d'abord, je suis surprise de l'insistance dont vous avez fait preuve pour entendre nominativement les premiers dirigeants des organisations syndicales. De plus, vos secrétariats nous ont rappelé d'une manière virulente le risque d'une amende de 7 500 euros et de deux ans d'emprisonnement en cas de non-présentation. Cela nous a semblé quelque peu baroque, dès lors que nous vous avions immédiatement assuré être à votre disposition pour répondre à vos questions techniques. Nous avions proposé que l'administrateur de la CGT chargé de ces questions, Laurent Brun, se présente devant vous, outre notre responsable de l'animation des luttes et sécurité (ALS), Sylvain Bernard, ici présent. Nous sommes là mais, comme vous le savez, la rentrée est chargée avec de nombreuses négociations – Association générale des institutions de retraite des cadres, Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Agirc-Arrco), assurance chômage, pénibilité – et de nombreuses luttes en cours autour de la question des salaires, alors qu'un tiers des Français renonce à faire trois repas par jour. Nous aurions volontiers échangé avec les parlementaires sur ces sujets qui relèvent davantage des secrétaires généraux de nos organisations.
Quant aux objectifs de votre commission d'enquête, nous sommes des organisations syndicales qui appelons les salariés et les retraités à manifester en nombre. Nous ne sommes absolument pas concernés par les groupuscules dont la gestion, y compris s'agissant de la sécurisation de la voie publique, incombe d'abord aux pouvoirs publics.
En ce qui concerne les questionnaires qui nous ont été adressés, la CGT a constaté bénéficier de quelques questions en bonus à propos de luttes décidées et organisées par les salariés eux-mêmes dans certains secteurs – celui de l'énergie par exemple. Nous comptez-vous donc parmi les groupuscules, alors que l'ensemble des organisations syndicales a plus d'adhérents que l'ensemble des organisations politiques ?
Enfin, le périmètre temporel de la commission d'enquête s'étend du 16 mars au 3 mai alors que notre mobilisation a commencé le 19 janvier. Le 16 mars, c'est le jour où la Première ministre a engagé la responsabilité du Gouvernement au titre de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Nous avons exhorté le Président de la République à laisser le Parlement voter car, comme nous l'avions dit et répété, l'utilisation de cette disposition constitutionnelle face à une telle mobilisation sociale ne pouvait que susciter la colère. Nous avons condamné cette colère, mais elle ne saurait être dissociée de ce passage en force contre le Parlement, qui s'est d'ailleurs accompagné d'une augmentation de la répression dénoncée par la commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe.
Je me permets de vous interrompre pour répondre à ces interrogations liminaires, de sorte que nous puissions ensuite aborder le fond.
J'ai indiqué dans mes propos introductifs que nos travaux doivent s'achever à la fin du mois de septembre. Peut-être avons-nous fait preuve, en effet, de quelque insistance mais il est nécessaire de respecter un délai raisonnable. Nous n'avons pas pu organiser cette audition au mois de juillet car il était difficile, pour l'une de vos organisations, d'y prendre part. De telles interactions sont assez habituelles. Un rappel du calendrier de nos travaux peut être opportun et les administrateurs de l'Assemblée nationale ont fait leur travail.
L'objectif de cette commission d'enquête, que j'ai là encore mentionné dans ma première prise de parole, est de garantir l'État de droit, qui lui-même protège la liberté de manifestation. Or, nous avons constaté au cours des derniers mois que les manifestations devenaient de plus en plus difficiles. Des expressions très fortes de violence ont pu contrarier l'exercice de ce droit fondamental. Il nous a paru important que vos organisations syndicales, les plus susceptibles de faire usage de la liberté de manifester, puissent exprimer leur point de vue.
Concernant la question qui concerne spécifiquement la CGT, nous nous sommes déplacés à Bordeaux où une situation particulière à laquelle a pris part votre organisation syndicale nous a été signalée. Il a semblé légitime de poser une question spécifique et lien avec des faits spécifiques.
Enfin, aucune organisation syndicale n'est considérée comme un groupuscule violent puisque l'Assemblée nationale, dans l'hémicycle, a elle-même choisi le jour du recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution comme point de départ de ses investigations. Vous l'avez d'ailleurs souligné à l'instant. C'est bien à partir de ce moment que des éléments de violence sont apparus. Les travaux de notre commission d'enquête s'inscrivent dans ce vote de notre assemblée.
Je vous remercie tous de votre présence devant nous. La création d'une commission d'enquête suite à un vote dans l'hémicycle, en l'occurrence par 207 voix pour et 47 voix contre, est en effet relativement rare. Elle ne résulte donc pas uniquement de la volonté d'une ou de quelques formations politiques. Son principe et son périmètre ont été adoptés par l'ensemble des députés.
En tant que rapporteur de la résolution portant création de cette commission d'enquête, j'ai souhaité que la formule « organisation des manifestations » ne figure pas dans son intitulé alors que tel était le cas dans la rédaction initiale. Je ne voulais aucune confusion possible avec les organisateurs traditionnels des manifestations que sont les organisations syndicales.
Le 10 mai, date symbolique que j'apprécie, nous avons choisi de commencer les investigations à la date du 16 mars pour tenir compte, précisément, des phénomènes qui ont suivi l'utilisation de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, le soir même, place de la Concorde. Avant, tout s'était bien passé. Nous en avons bien conscience, y compris les députés de la majorité présidentielle.
Enfin, il nous semble naturel d'interroger les voix les plus fortes de vos organisations. Nous ne sommes pas un comité technique ou administratif. Nous sommes une commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Lorsque nous avons convoqué, ce matin, le ministre de la justice, garde des Sceaux, nous n'avons pas reçu son directeur de cabinet. Lorsque nous convoquons le préfet de police de Paris, nous n'accepterions pas qu'il soit représenté par son directeur de cabinet ou son secrétaire général. Voilà la raison pour laquelle nous nous réjouissons de pouvoir désormais vous écouter.
Le recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution s'est accompagné d'une répression accrue, condamnée par exemple par la commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe qui s'est alarmée d'un « usage excessif de la force en France ». Sept rapporteurs spéciaux des Nations unies ont pointé un « manque de retenue dans l'usage de la force inquiétant pour l'État de droit » et ont appelé la France à « un examen complet de ses stratégies et pratiques en matière de maintien de l'ordre ». Le mouvement syndical international, notamment la Confédération européenne des syndicats et de nombreuses organisations syndicales en France, en Europe et dans le monde, ont dénoncé ces attaques contre l'action syndicale en nous apportant leur soutien.
L'interdiction, par le Gouvernement, de nombreux rassemblements, manifestations et même de diffusions de tracts en utilisant l'arsenal antiterroriste a été condamnée par les tribunaux, qui ont annulé nombre de décisions afin que le droit de manifester soit respecté.
La liberté d'expression a également été menacée suite à la grave répression dont les journalistes ont été victimes. Reporters sans frontières s'est adressé au ministre de l'intérieur en ces termes : « Les reporters couvrant les rassemblements opposés à la réforme des retraites ont fait l'objet de nombreuses interpellations arbitraires, agressions et intimidations de la part des forces de l'ordre. »
La stratégie de prévention des violences a été invalidée par les tribunaux. Pendant les manifestations, de nombreuses personnes dont de simples passants ont été placées en garde à vue avant d'être, dans leur écrasante majorité, relâchées sans poursuite. Certains gardés à vue ont subi un fichage alors qu'aucune charge n'a été retenue contre eux. En mai dernier, le tribunal administratif de Lille a condamné l'État pour avoir créé un fichier des gardés à vue à l'occasion des mobilisations contre la réforme des retraites.
Enfin, certains militants syndicaux, de la CGT notamment, ont été convoqués, placés en garde à vue et mis en examen dans le cadre de leur activité syndicale. C'est le cas de Laurent Indrusiak, secrétaire général de l'union départementale de l'Allier et membre de la direction confédérale. Hier, Sébastien Menesplier, secrétaire confédéral et secrétaire général de la fédération de l'énergie, a été convoqué à la gendarmerie de Montmorency. Traiter de la sorte des militants syndicaux, et tenter d'imputer au premier responsable d'un secteur professionnel un acte décidé et mis en œuvre par les salariés au cours d'un mouvement social, est une attaque contre le syndicalisme qui nous ramène aux heures sombres de notre histoire sociale. Cette politique répressive à l'encontre des militants syndicaux a même fait l'objet d'une note officielle des services du ministère du travail, révélée par le journal L'Humanité dans son édition du 23 mars dernier, adressant aux employeurs des préconisations pour entraver le droit de grève et faciliter les licenciements des élus du personnel.
Je m'associe à mes homologues pour rappeler le caractère fondamental des droits de grève et de manifestation. Nous comptons sur l'Assemblée nationale pour les faire respecter alors qu'ils se trouvent grandement remis en cause. Je lance une alerte démocratique sur ce point.
Nous sommes une organisation qui manifeste d'ordinaire peu. Mais nous avons pris toute notre part des manifestations en intersyndicale dans le dialogue avec les préfectures. Nous ne disposons pas d'un service d'ordre composé de militants formés et disponibles. C'est pourquoi nous exprimons notre reconnaissance envers les autres organisations syndicales qui ont mis leurs ressources à la disposition de l'ensemble des cortèges. Leur réactivité et leur vigilance permanente ont permis à tous de défiler dans un sentiment de sécurité.
La définition d'un parcours de délestage est une innovation très satisfaisante. Elle évite la création d'îlots fixes et elle permet au cortège d'avancer avec régularité. En revanche, deux éléments me semblent susceptibles de recevoir des améliorations. D'une part, les fins de manifestation ne sont pas toujours sécurisées, notamment pour les derniers arrivants. D'autre part, les organisations étudiantes et lycéennes devraient bénéficier d'un appui en la matière car leur jeunesse a pour contrepartie un défaut d'expérience.
Nous ne sommes pas non plus les plus grands spécialistes des rassemblements et des manifestations, même si nous avons pris part aux quatorze journées d'action. Toutes se sont bien déroulées jusqu'à la date du 16 mars, où le recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution a accru la colère comme les organisations syndicales le redoutaient. Évidemment, nous dénonçons toutes les formes de violence. Je tiens à le réaffirmer très fermement. Mais leur apparition est souvent le marqueur d'un dialogue rompu.
Quant à savoir si l'État a correctement accompli sa mission dans l'accompagnement des manifestations, les échanges avec la préfecture sur la détermination des parcours et la préparation des cortèges se sont toujours bien passés. Les relations étaient plutôt bonnes. Dans une perspective d'amélioration des choses, je tiens à souligner le rôle de l'officier de liaison qui nous est affecté lors de ces manifestations. Ce n'est évidemment pas toujours la même personne. Nous avons noté que, lorsque cet officier de liaison était facilement joignable, voire présent à nos côtés, un grand nombre de difficultés pouvaient être facilement réglées. Il a pu arriver que l'officier de liaison soit difficile à joindre : tout est devenu tout de suite plus compliqué car, dans une manifestation, il se produit toujours des événements imprévisibles. Quand nous l'avons à nos côtés, nous évitons beaucoup de problèmes.
Nous prenons en charge la sécurité de la manifestation, de la tête à la fin du cortège. Ce qui arrive en marge du défilé, dans le précortège ou au point d'arrivée, nous ne le maîtrisons pas. Nous sommes très contrôlés pour accéder au point de rassemblement duquel s'élance la manifestation, même en portant les chasubles et les drapeaux de nos organisations, alors qu'il ne s'y produit aucune violence puisque les affrontements ne commencent jamais avant le début du défilé. Au contraire, il est particulièrement simple de rejoindre le point d'arrivée, parfois même avant le démarrage du cortège. Je fais donc mienne la remarque de mon camarade de la CFE-CGC sur la sécurisation des fins de manifestation.
Notre syndicat, enfin, n'a aucune relation avec le précortège.
Madame Binet a parlé de répression à l'encontre des journalistes. Vous pourrez consulter sur le site de l'Assemblée nationale l'audition des représentants d'un certain nombre de médias et de chaînes d'information en continu. Ils ont fait part de leur expérience de terrain à l'occasion d'un certain nombre de manifestations. Je vous assure que leur préoccupation n'était pas les forces de l'ordre. En revanche, nous avons identifié des problématiques relatives aux journalistes de rue, qui devront recevoir des solutions en termes d'identification, de formation et de lien avec les autorités de police. Vos affirmations ont donc dépassé nos constats, mais peut-être pourrez-vous apporter des éléments supplémentaires.
Il semble que tout le monde partage le constat selon lequel un certain nombre d'individus, dont l'organisation et la coordination demeurent à démontrer, mettent à profit des rassemblements tout à fait légitimes pour se livrer à la violence, en contradiction directe avec les objectifs des manifestants. Comme vous l'avez souligné, cette violence parasite votre message et vos revendications. Nous voulons comprendre comment ces violences s'organisent et comment les prévenir, en lien avec toutes les institutions parmi lesquelles les organisations syndicales que vous représentez.
Lorsque nous sommes à Sainte-Soline, nous voyons que l'affrontement suppose une volonté de contact, ce qui se traduit par des centaines de mètres à parcourir pour atteindre des gendarmes en position statique. C'est un constat objectif. Votre regard sur les situations de violence doit nous aider à parvenir à d'autres éléments de réflexion de cet ordre. Nous n'ignorons rien de l'effet de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Mais il n'explique ni les black blocs ni la violence qui perturbe vos actions. J'entends les griefs à l'encontre de l'État. Notre mission reste cependant de comprendre ce phénomène grave : il déstabilise les forces de l'ordre et il fait émerger de leur part des revendications sur lesquelles je tâcherai de me positionner en tant que rapporteur ; il parasite les organisations politiques et syndicales qui se trouvent dépassées par la violence.
Le phénomène que vous décrivez n'est pas nouveau. Les manifestations de mai 1968 comportaient déjà des violences, comme celles de 1986 et celles de 2016. Ces échauffourées révèlent l'action des groupes dont vous parlez, dont je ne suis pas certain qu'ils soient organisés. Les téléphones portables et les réseaux sociaux suffisent à se fixer des rendez-vous. On les appelle les black blocs ou on utilise d'autres termes assez flous. Le 7 mars, un militant FO-RATP a été agressé par un bloc sans qu'on en sache les raisons. Peut-être la grève du métro a-t-elle provoqué les coups à son encontre au motif que les individus avaient dû se déplacer autrement ?
Nos responsables de service d'ordre s'attachent à préserver le carré de tête et la corde qui délimite le cortège. Certaines situations peuvent nous conduire à reculer, mais c'est de façon organisée. Quand le précortège s'approche trop près de nous, nous ralentissons. Pour nous rendre au point de rassemblement, depuis 2016, nous subissons quasiment une fouille. Nous devons parfois abandonner les supports de nos drapeaux. Contrairement à ce que vous avez décrit des événements de Sainte-Soline, nos manifestations ne sont pas statiques. Nous défilons. Nous déclarons à la préfecture de quel endroit nous partons et à quel endroit nous arrivons, parfois avec des itinéraires de délestage qui absorbent le nombre très important de manifestants et garantissent le bon exercice de la liberté de manifester.
Je suis en phase avec tout ce qui vient d'être dit. Je ne commenterai pas les événements de Sainte-Soline puisque mon organisation n'y a joué aucun rôle.
Les éléments déclencheurs de la violence sont multiples. Il est délicat de déterminer le moment de survenue des violences et ce qui conduit à agir ainsi des personnes dont je ne sais si elles sont organisées ou non. Je ne suis pas convaincue que le 16 mars ait été un moment de bascule. La journée précédente du 7 mars avait vu un record de mobilisation. L'intersyndicale avait émis des propositions et des appels au dialogue. Or, il n'y a eu aucune réponse d'aucune sorte de la part du Gouvernement, stupéfiant jusqu'à nos interlocuteurs de la Confédération européenne des syndicats. Je me garderai donc bien d'une analyse définitive des éléments déclencheurs de la violence.
Je citerai le cas d'une militante lyonnaise à l'issue d'une manifestation dont la fin avait dû être anticipée : elle avait le sentiment que son message avait été confisqué par ces violences. Nous n'avons aucune relation avec leurs auteurs. Ils vont toujours à l'encontre de nos actions car nous revendiquons dans le calme. Lorsque des cortèges festifs arrivent à leur terme, avec un grand nombre de personnes pour lesquelles c'est une première fois car le thème des retraites est particulièrement fédérateur, les images de casse et de dégradation ruinent les effets de la mobilisation.
Vous dites que les organisations sont dépassées. Je dirais plutôt que les forces de l'ordre sont dépassées. Notre périmètre d'action se limite aux cortèges. Notre responsabilité consiste à empêcher les auteurs de violence d'y pénétrer. J'ai pu assister à certaines tentatives en ce sens, au cours des quatorze journées pendant lesquelles je me trouvais dans le carré de tête. Nous avons tous témoigné de la bonne intelligence avec laquelle se passent nos relations avec les autorités publiques, à qui il revient au premier chef de prévenir les agissements des individus violents.
Je m'inscrirai dans le prolongement des propos précédents. Méfions-nous des raccourcis historiques : la violence est très relative si on la met en parallèle avec ce qui s'est produit dans les manifestations de la période de la décolonisation ou de Mai 1968. Nous ne sommes pas les mieux placés pour porter une appréciation, qui serait plus utilement formulée par des historiens ou des sociologues.
En ce qui concerne les causes de la violence, il est sûr que la multiplication des exactions témoigne d'une grande colère. Comme il a déjà été dit, nous n'avons cessé de proposer des issues au conflit social. Toutes ont été rejetées. Le Président de la République n'a pas souhaité nous recevoir, ni convoquer un référendum, ni solliciter à nouveau le Parlement après la censure partielle de la loi par le Conseil constitutionnel. Ces mains tendues et ignorées sont un terreau fertile pour la violence.
Comme nos homologues, nous n'avons aucune relation avec le cortège de tête, qui progresse généralement à plusieurs centaines de mètres de nous. Aucun élément violent n'a pénétré les cortèges syndicaux au cours du printemps. Les seuls incidents que nous avons déplorés étaient le fait des forces de l'ordre : le 7 février à Paris quand la police a chargé le service d'ordre, puis les 11 et 23 mars quand le carré de tête a été gazé.
Pour ce qui est des pistes d'amélioration, il serait bon que l'autorité publique prenne en charge les conséquences des manifestations sur la circulation urbaine. Par ailleurs, un dispositif policier massif peut être ressenti comme une provocation, et il serait donc préférable de limiter sa visibilité. Enfin, nous nous opposons fermement à toute ingérence dans nos cortèges, ce que pratique volontiers la brigade de répression de l'action violente motorisée. Comme la CFDT, nous considérons que nos cortèges ont toujours été pacifiques et que nous n'avons pas été dépassés par les événements.
Nous avons vécu ce contraste entre la bonne ambiance des cortèges et les mouvements que nous percevions devant nous. La police a géré la distance entre le carré de tête et les casseurs, qui laissaient derrière eux des scènes de violence que personne ne peut confondre avec une action syndicale. Je comprends, après quatorze manifestations, que certains prennent goût à ces dégradations puisqu'ils n'encourent que peu de conséquences une fois masqués et méconnaissables au sein de groupes très mobiles.
Nous avons été accompagnés par les forces de l'ordre qui nous ont préservés de cette violence, et nous les en remercions. Effectivement, une fois, les groupes violents étaient trop proches de nous et le vent nous a apporté les gaz lacrymogènes. Mais dans l'ensemble, nos manifestations se sont passées dans la joie et l'engouement, y compris avec des familles et des enfants le samedi.
Nous ne pouvons pointer l'origine des violences. Ce n'est pas notre rôle. Nous ne connaissons pas ces groupes. Nous apercevons seulement leurs mouvements.
Il est difficile pour nous de savoir si les groupuscules dont vous parlez sont organisés car nous ne fréquentons pas leurs membres. Toutefois, aujourd'hui, tous les mouvements sont capables de s'organiser en cinq minutes grâce aux réseaux sociaux.
Nous n'avons participé à aucune manifestation spontanée car les risques de violences y sont accrus puisqu'aucun service d'ordre d'organisation syndicale n'est présent. Dans les rassemblements déclarés, les manifestants sont encadrés du carré de tête à la queue du cortège. Je ne peux pas vous assurer qu'aucun des 150 000 adhérents de mon syndicat n'a participé à une manifestation spontanée, mais l'organisation n'y a jamais été représentée en tant que telle et n'a jamais appelé à y prendre part.
Les forces de l'ordre sont très nombreuses et elles passent des heures à fouiller des militants dont la tenue ne laisse aucun doute sur leur appartenance à un syndicat, alors que ce ne sont pas eux qui cassent des vitrines ou des abribus. Il serait préférable de sécuriser les rues parallèles au cortège. La CFTC n'emploie pas de professionnels de la sécurité, mais nos militants de la branche de la sécurité sont sollicités pour nous aider. Notre service d'ordre est frappé par l'afflux de personnes au point d'arrivée et de dispersion du cortège alors que celui-ci n'est pas encore parti. Ces centaines de personnes ne sont pas fouillées. La situation dégénère lorsque le cortège parvient au point d'arrivée puisqu'il rencontre un flux élevé de gens. C'est là qu'il faudrait agir.
Je ne veux évidemment réduire d'aucune façon la liberté de la presse. Mais il faut avoir conscience que les incendies de véhicules à Strasbourg la nuit de la Saint-Sylvestre ont, comme par hasard, étaient divisés par deux ou trois quand on a cessé de recenser les voitures brûlées. En se focalisant sur les violences, on oublie les revendications. J'ai l'impression que plus on montre de gens violents à la télévision, plus on suscite de vocations.
Monsieur le secrétaire général de Force ouvrière, vous avez rappelé que, depuis le 19 janvier, les manifestations s'étaient très bien déroulées. Les rapports avec les forces de l'ordre ont été bons grâce aux équipes de liaison et d'information. C'est grâce aux forces de l'ordre que l'État de droit est respecté dans notre pays ; sans elles, vous ne pourriez pas manifester comme vous le faites. J'entends des responsables de partis politiques et d'organisations syndicales parler des pratiques des pays étrangers : qu'ils aillent voir comment cela se passe ! En France, nous pouvons nous honorer de bien organiser les manifestations, leur tenue répondant à un droit constitutionnel qui doit être parfaitement respecté.
Madame Binet, vous parlez de répression. Mais laquelle ? Comme l'a dit le rapporteur, nous avons auditionné les représentants des principaux médias, qui nous ont dit ne pas avoir été témoins de violences commises par les forces de l'ordre, contrairement à la petite musique entonnée par la CGT. Connaissez-vous le cadre légal du maintien de l'ordre ? Certains individus n'ont d'autre but que de perturber les manifestations et effacent ainsi le message, légitime, que vous voulez transmettre. Ils s'organisent pour déstructurer les défilés et provoquer le chaos. Face à eux, les forces de l'ordre agissent et parviennent à ce que la plupart des manifestations se déroulent parfaitement. J'aimerais vous entendre sur les violences que commettent ces groupes. Quand vous parlez de la brigade de répression de l'action violente motorisée, votre propos quitte les revendications sociales pour rejoindre celui de La France insoumise. Vous délivrez un message politique. Quel est votre objectif : faire de la politique ou développer un discours social ?
Je suis effaré de vos témoignages, qui révèlent une grande passivité de votre part, voire un aveuglement face aux violences qui émaillent et pourrissent presque toutes vos manifestations depuis au moins 2016. Ces violences sont commises par les mêmes groupuscules, qui agissent sur le même mode opératoire. Pourtant, à vous entendre, nous avons l'impression que ce problème ne vous concerne pas. Je tiens à vous dire que vous êtes concernés, comme nous tous d'ailleurs. Vous avez une responsabilité majeure voire écrasante car ces groupuscules dénaturent des causes légitimes, comme celle de l'opposition à la réforme des retraites.
Il y a des messages que l'on ne peut pas entendre. Non, madame Binet, les forces de l'ordre ne sont pas responsables de la violence. En France, ce n'est jamais le cas. Nous souhaiterions que vous consacriez quelques secondes de vos interventions au soutien des forces de l'ordre. De nombreux policiers et gendarmes ont été tabassés, parfois grièvement blessés au cours de ces manifestations, mais vous n'avez jamais le moindre mot pour eux. Demain, vous irez à Niort soutenir les écoterroristes de Sainte-Soline, mais vous pourriez également vous rendre au chevet des policiers blessés et manifester, devant le ministère de l'intérieur et des outre-mer, votre soutien à la police nationale et républicaine, qui vous permet, comme l'a souligné mon collègue Taverne, de défiler dans la paix.
Monsieur Chabanier, occulter la réalité ne rendra pas les black blocs pacifiques. Refuser de voir la montée de la violence dans les manifestations est assez grave. Il faut au contraire en parler pour comprendre les causes de ce phénomène : telle est d'ailleurs la fonction de notre commission d'enquête.
Je prends la parole puisque j'ai été nommé. Je n'ai pas dit que les violences ne nous concernaient pas. L'une des premières phrases de mon intervention était la suivante : « La lutte contre les violences, sous toutes leurs formes, doit tous nous concerner ; la violence ne sert personne. » Vous m'intentez donc un faux procès.
Je n'ai jamais affirmé qu'il fallait se voiler la face. Mais je pense que faire la publicité des casseurs incite certaines personnes à les rejoindre. Cela ne signifie pas qu'il faille refuser de s'intéresser au sujet.
Je ne connais en effet pas les casseurs. Mais j'espère que les Français, le président de cette commission, son rapporteur et vous-mêmes en êtes contents car cela prouve que je ne fais pas partie de leurs groupes. Le président m'a posé une question précise sur nos liens avec ces individus : j'ai répondu tout aussi précisément que je ne connaissais pas du tout les individus qui peuplent les précortèges. Par ailleurs, comment voulez-vous que l'on sache si les groupuscules sont organisés ou non ? Je pense simplement qu'avec les réseaux sociaux, il est facile de s'organiser rapidement ; sûrement faut-il se pencher sur cette réalité et les problèmes qu'elle engendre.
Les dirigeants syndicaux se placent dans le carré de tête, entourés par leurs militants, et lancent la manifestation. Comment voulez-vous que nous puissions voir ce qu'il se passe 800 mètres ou 1 kilomètre plus loin, là où se déroulent la plupart des dégradations ? Quand je suis place de la République, je ne suis pas place de la Nation. En outre, nous ne sommes pas responsables de la sécurité publique. Des militants volontaires, et non des professionnels, font leur maximum pour protéger les cortèges : les manifestations de l'hiver dernier se sont plutôt bien déroulées sur ce plan, mais certains d'entre eux ont reçu des coups. Quand nous apercevons au loin la fumée d'une poubelle qui brûle, nous ne voyons pas qui a commis cet acte. J'aimerais que certains m'écoutent plus attentivement car mon discours ne traduit aucune indifférence aux violences.
Quand j'ai parlé de syndicats dépassés, le terme n'était peut-être pas approprié. Je voulais dire que la croissance des précortèges me semble traduire une forme sinon de contestation, du moins de réserve et de distance à l'égard de toute ce qui s'apparente à une organisation représentative. J'ai le sentiment que certains de nos concitoyens ne se retrouvent pas dans les modes d'action des partis politiques ou des syndicats et décident de quitter la manifestation encadrée. Tel était le sens de ma remarque, peut-être aurez-vous des observations à formuler en retour.
Il apparaît que la dispersion constitue un moment important. Nous tiendrons compte dans le rapport de vos remarques sur le contrôle du lieu d'arrivée et des accès latéraux. L'État s'interroge, j'espère en lien avec vous, sur la fin des manifestations. Comment mieux communiquer sur la dispersion ? Comment faire en sorte que les manifestants soient informés de la situation sur le lieu d'arrivée, afin que chacun puisse réagir comme il le souhaite ? Les forces de l'ordre doivent faire face à des attaques et vous-mêmes tentez de protéger vos militants. Avez-vous des préconisations sur la dispersion que vous souhaiteriez voir figurer dans le rapport ? On nous a parlé, lors des précédentes auditions, de communication, de meilleure visibilité et de messages sonores – technique employée dans certains États de l'Union européenne, qui n'est pas utilisée, ou de manière inefficace, en France.
Je confirme que la dispersion est un moment crucial, qui dure un certain temps. Ce constat est particulièrement approprié aux manifestations, extrêmement denses, des six derniers mois. Il pourrait être utile de s'inspirer de méthodes employées dans d'autres pays européens – messages sonores, panneaux indicateurs. L'important est de délivrer une information claire permettant aux manifestants de s'orienter.
Vous affirmez que les précortèges grossissent. Je ne sais pas si c'est vrai. En tout cas, la CFDT a enregistré l'adhésion de 55 000 personnes depuis six mois. Des citoyens rejoignent les organisations syndicales et cotisent, entre autres parce qu'ils se sont reconnus dans nos modes d'action pacifiques et non violents.
Je ne suis pas non plus certain que les précortèges grossissent. On ne les comptabilise pas, mais il existe de toute façon toujours un écart entre les chiffres de la police et ceux des organisations syndicales. Nous ne pouvons pas savoir s'il y a plus ou moins de monde devant le cortège. L'éloignement des forces de l'ordre du cortège syndical attire des individus loin de celui-ci.
Tous les syndicats passent un message sur le déroulement de la dispersion. Les procédures sonores d'information devraient débuter plus tôt. Les organisations syndicales sont en lien avec les forces de l'ordre puisqu'elles ont déclaré la manifestation, mais tous ceux qui rejoignent le cortège ne savent pas forcément où et quand aura lieu la dispersion, par exemple à dix-huit heures place d'Italie. On n'entend pas toujours les haut-parleurs. Nos camarades policiers membres de Force ouvrière, qui occupent une grande place dans cette partie de la fonction publique d'État, nous ont expliqué que les forces de l'ordre disposaient dans certains pays de moyens sonores plus évolués que le haut-parleur.
Des représentants des forces de l'ordre nous ont en effet expliqué que certaines méthodes utilisées à l'étranger étaient utiles pour éviter des problèmes en fin de manifestation.
Le rapporteur qualifiait le 10 mai 1981 de belle date. Je poursuivrai dans le même registre en saluant la force tranquille des organisations syndicales dans cette mobilisation. Un collègue du Rassemblement national vous invitait quelque peu vivement à imaginer ce que seraient les manifestations sans la présence de fonctionnaires de police. J'aimerais que l'on imagine à quoi ressemblerait une contestation d'une telle ampleur sans les syndicats. Je tiens à saluer l'apport de cette mobilisation à notre démocratie.
Du haut de votre expérience, comment qualifieriez-vous les évolutions des manifestations depuis quelques années ? Quels sont vos rapports avec la préfecture de police ? Que pensez-vous des différentes doctrines de maintien de l'ordre et de leur capacité à permettre ou à empêcher vos services d'ordre d'assurer leurs missions ?
Expliquer n'est jamais excuser. Je tiens à l'affirmer en préalable pour éviter toute manipulation ultérieure de mes propos. Pensez-vous que le rapport aux gouvernants et aux corps intermédiaires s'est dégradé dans notre pays ? Constatez-vous un climat de tension et de violence dans la société ? Nous nous réunissons cet après-midi dans la salle de la commission des affaires sociales, et c'est assez savoureux de vous y retrouver, dans laquelle nos concitoyens ont eu le sentiment que nous n'étions pas capables de débattre sereinement de l'intégralité de la réforme des retraites. Ce contexte, alourdi par l'utilisation de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, peut-il expliquer, sans l'excuser en rien, le développement d'un climat de tension qui menace votre capacité à organiser efficacement le mouvement social ?
Nous avons fait partie des organisations qui ont remis en cause le schéma national du maintien de l'ordre. Le Conseil d'État l'a largement censuré, notamment sur les dispositions touchant aux journalistes et aux nasses. La question des évacuations est essentielle car nasser des manifestants est catastrophique.
Il y a une évolution positive depuis la nomination du nouveau préfet de police de Paris, qui a rétabli des échanges techniques et constructifs avec les organisations syndicales. Les conditions d'évacuation sont négociées au dépôt de la déclaration de manifestation. Les échecs résultent de l'irrespect des conditions négociées au préalable, parfois pour des raisons que l'on peut entendre comme des incidents dans la manifestation. Ce n'est toutefois pas toujours le cas : ainsi, on nous avait dit que nous disposerions d'endroits pour évacuer des véhicules et des militants à la fin de la manifestation du 1er mai 2021, mais les voies d'accès sont restées fermées sans que l'agent de liaison puisse se faire entendre du reste des forces de l'ordre sur lesquelles il n'a pas autorité. Notre interlocuteur doit pouvoir immédiatement nous donner les réponses dont nous avons besoin et prendre les mesures permettant de libérer les militants nassés ou les véhicules bloqués.
Je rejoins les propos de mes collègues sur le cortège de tête. Nous sommes derrière lui, donc nous ne pouvons évaluer la croissance, ou non, des groupes qui le composent. La nécessité de renforcer les syndicats est tout à fait évidente : les salariés l'ont bien compris et ils adhèrent en nombre, grâce à cette mobilisation, à toutes les organisations syndicales. Nous avons interpellé les pouvoirs publics, notamment le Président de la République, sur le fait que la crédibilité des syndicats augmentait quand leurs alertes étaient entendues. Or, nous avons prêché pendant un an dans le désert en disant que cette réforme des retraites était mauvaise, qu'il ne fallait pas l'adopter, laisser le Parlement se prononcer et négocier avec les syndicats. Quand nos actions, manifestations et grèves n'obtiennent pas de résultat, certains en concluent que d'autres modes d'action sont à privilégier. Voilà pourquoi les politiques publiques doivent avoir pour objectif de renforcer les organisations syndicales dans les entreprises, les branches et au niveau national.
Comme je le disais dans mon propos liminaire, la banalisation de la répression syndicale nous inquiète. Plusieurs rapports, notamment celui de la Défenseure des droits, montrent que le premier motif de non-adhésion à un syndicat tient à la discrimination syndicale. Si vous créez une commission d'enquête sur le sujet, nous serons ravis d'y participer car nous rencontrons ce problème dans tout le pays. Je pourrais multiplier les exemples de délégués syndicaux licenciés parce qu'ils occupent cette fonction ou qu'ils font grève.
Nous continuons à alerter le Président de la République et le Gouvernement sur la défiance profonde entre les citoyens d'une part, et les pouvoirs publics et les institutions de l'autre. Nos messages ne sont pas entendus. Le décalage entre les paroles et les actes s'approfondit. Le pouvoir dit qu'il n'y a pas de problème de pouvoir d'achat et de salaire alors que les gens vivent une réalité totalement différente, marquée par des fermetures d'usine et par l'impossibilité d'un nombre croissant d'entre eux de vivre de leur travail. Nous regardons avec inquiétude les quatre prochaines années car le couvercle de la cocotte-minute peut exploser à tout moment. Pour l'éviter, il faut déployer des politiques qui entendent les préoccupations du monde du travail en termes d'emploi, de salaire et d'environnement, et qui ne considèrent pas les salariés de ce pays comme une variable d'ajustement.
Madame Binet, vous n'avez répondu à aucune question des députés du Rassemblement national. Nous considérez-vous comme des sous-députés bien que nous ayons été élus démocratiquement ? Sommes-nous logés à la même enseigne que CNews ?
Je ne vois pas le rapport entre votre question et le champ de la commission d'enquête. Je n'ai pas identifié de question dans vos interventions et la CGT ne répond pas aux provocations.
Je tiens une nouvelle fois à vous remercier, au nom des membres de la commission d'enquête, pour votre présence et pour les analyses de vos organisations, qui enrichiront le travail de cette commission d'enquête.
*
La commission d'enquête auditionne ensuite Mme Marine Tondelier, secrétaire nationale d'Europe Écologie Les Verts (EELV), ainsi que MM. Daniel Salmon, sénateur d'Ille-et-Vilaine, et Benoit Biteau, David Cormand et Claude Gruffat, députés européens.
Je souhaite la bienvenue à Mme Marine Tondelier, secrétaire nationale d'Europe Écologie-Les Verts. Je salue également nos collègues parlementaires qui l'accompagnent : MM. Daniel Salmon, sénateur d'Ille-et-Vilaine, ainsi que Benoit Biteau, David Cormand et Claude Gruffat, députés européens.
Un questionnaire vous a préalablement été transmis par notre rapporteur. Nous n'aurons sans doute pas le loisir d'aborder l'intégralité des questions lors de l'audition. Je vous invite par conséquent à nous communiquer vos réponses par écrit.
Nous enquêtons sur les violences qui ont émaillé les manifestations dans notre pays au cours du printemps dernier, du point de vue des manifestants comme de celui des forces de l'ordre. Ce programme comporte deux théâtres distincts. Il y a, d'une part, les manifestations liées à la réforme des retraites, qui ont donné lieu à des exactions essentiellement urbaines et, d'autre part, les rassemblements convoqués autour de mots d'ordre environnementaux dans des espaces principalement ruraux. Nous pouvons évoquer les deux sujets mais, au vu des fonctions qui sont les vôtres dans le parti qui est le vôtre, c'est principalement le second aspect qui a justifié votre convocation devant la commission d'enquête. Vous avez d'ailleurs écrit hier sur les réseaux sociaux que vous seriez entendue « à votre demande » : je me réjouis de cette convergence spontanée de nos objectifs.
Mes premières questions, qui ont vocation à introduire le débat, seront très simples. En premier lieu, en tant que parti écologiste poursuivant des objectifs de protection de l'environnement, quelles sont les voies de revendication que vous considérez hors du champ démocratique ? Nous nous sommes rendus hier à Sainte-Soline, où nous avons vu les armes blanches, les armes incendiaires et les armes de jet saisies par les gendarmes. Nous avons écouté les récits des destructions de biens d'agriculteurs. Nous avons observé le terrain qui exclut assez évidemment que des manifestants aient pu ignorer la survenue d'affrontements violents avec les forces de l'ordre, ce qui ne veut pas dire que tous les manifestants étaient présents dans un esprit de violence. Il ressort de nos échanges avec les forces de l'ordre que, sur les 8 000 personnes présentes, 2 000 d'entre elles étaient violentes ou ont manifesté de la violence. Nous avons noté, enfin, le dédain ostensible des organisateurs à l'encontre des interdictions préfectorales et des décisions juridictionnelles les confirmant. Vous-même avez, selon la presse, pris part à cette manifestation interdite en sachant qu'il s'agissait d'une infraction contraventionnelle. Bref, quelle est la limite de l'action politique ? Est-ce la loi, la violence, la violence contre les personnes ? Bien avant la manifestation, en effet, des messages publiés sur les réseaux sociaux faisaient état d'un risque de dérive violente, certains affichant même l'objectif, non de manifester, mais d'en découdre avec les forces de l'ordre.
En second lieu, les prises de distance avec la légalité vous sont également préjudiciables puisque vous avez fait l'objet, au cours de vos déplacements, de menaces et de pressions qui ont obéré votre liberté de mouvement et votre liberté d'expression. Comment rétablir la primauté de la règle de droit, solution à laquelle tous les républicains devraient se ranger pour trancher les différences d'appréciation sans risquer un recours à la violence, dont nous sommes finalement tous les perdants ? Quand la violence prend le dessus, c'est l'État de droit qui recule.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Marine Tondelier et MM. Daniel Salmon, Benoit Biteau, David Cormand et Claude Gruffat prêtent successivement serment.)
Je vous remercie de nous accueillir et de nous entendre pour des échanges que je sais républicains et que je souhaite sereins. Nous vous avons écrit au début de l'été pour demander à être auditionnés parce que l'objet de votre commission d'enquête nous tient à cœur. Les écologistes sont, de façon sincère, historique et constante, attachés à la non-violence. Chez Europe Écologie-Les Verts, nous avons toujours défendu l'idée que ce qui vient avec la violence n'aboutit jamais à rien de positif. La non-violence est au cœur de nos valeurs et de nos modes d'action, y compris la non-violence verbale dans nos échanges entre nous et avec les autres – la réciproque n'est pas toujours vraie. Nous regrettons et nous condamnons donc toujours les violences. Nous l'avons fait lors des événements couverts par votre commission d'enquête, mais pas seulement. Nous avons une sur le sujet position ferme et constante – j'insiste : constante. Nous espérons donc que votre travail permettra d'éclairer le Parlement et les Français. Une commission d'enquête nous semble un outil adapté pour établir les faits, les objectiver, avoir l'espace et le temps, loin du tumulte imposé par l'information en continu, de prendre le recul nécessaire à la manifestation de la vérité et au débat indispensable pour comprendre ce qui s'est joué dans ces manifestations.
Je me permettrai une remarque préalable. J'espère que vous n'en prendrez pas ombrage. Nous avons lu avec attention, au moment de son dépôt, le 4 avril dernier, le texte de la demande de commission d'enquête sur « la structuration, le financement, l'organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes entre le 16 mars 2023 et le 4 avril 2023 ». Nous avons également pris connaissance du rapport rédigé par la commission des lois. Deux inquiétudes nous sont venues à l'esprit et nous tenions à vous en faire part.
À la lecture du titre de la commission d'enquête et considérant tant l'aspect non transpartisan des signataires que les objectifs affichés par la résolution, on sent que la volonté n'est pas nécessairement de comprendre les dynamiques qui ont conduit à ces tristes événements. J'espère sincèrement que votre travail permettra de dépasser l'impression que peut laisser cette résolution d'une commission d'enquête très politique, qui chercherait à utiliser ce bel outil de notre vie parlementaire pour faire avancer un agenda partisan au détriment de la manifestation de la vérité.
Notre seconde inquiétude concerne le champ des violences traitées par votre commission. Durant la période du 16 mars au 3 mai 2023, de nombreuses violences ont été commises contre des militants écologistes. Vous l'avez évoqué en introduction, en liant d'ailleurs les faits. Ainsi, le 27 mars, une manifestation non autorisée, elle non plus, a abouti à l'effraction par des dizaines de personnes du domicile de la présidente de Sea Shepherd France. Deux jours auparavant, deux militants de la même association avaient été passés à tabac. La presse n'en a que peu parlé, voire pas du tout. Ce ne sont pas les seuls exemples. J'en tiens une série à votre disposition. Les violences envers les écologistes, attisées au plus haut sommet de l'État – nous y reviendrons si vous le souhaitez – sont réelles et en recrudescence, à tel point que nous travaillons avec de nombreuses associations à créer un observatoire des violences faites aux écologistes pour mieux les objectiver et accompagner leurs victimes.
Il y a trois semaines, le maire d'une commune de Corrèze a défilé sur un char arborant une banderole « Mort aux écolos ». Un maire, élu de la République, appelant à la haine envers les écologistes : qui s'en est ému dans la majorité, au Gouvernement ? Personne. C'est aussi cela, le continuum de violence en France. En tant que secrétaire nationale d'Europe Écologie-Les Verts, qui condamne toutes les violences, je tiens à saisir cette occasion pour alerter les parlementaires. Vous êtes membres de cette commission d'enquête. Vous êtes a priori sensibles à la question des violences. Le sujet des violences à l'encontre des militants écologistes mérite aussi votre attention.
Trois députés européens, David Cormand, Benoît Bitau et Claude Gruffard, et un sénateur, Daniel Salmon, m'accompagnent. Nous avons vécu ensemble cette terrible journée du 25 mars à Sainte-Soline et nous sommes venus solidairement répondre à vos questions. Europe Écologie-Les Verts fonctionne ainsi. Nous répondrons à vos questions sur ce que nous avons vu ce jour-là, sur ce que nous avons dit avant, fait pendant, analysé depuis, en toute sincérité, en toute transparence et même avec soulagement. Il est en effet important pour nous de concourir à l'établissement de la vérité sur cette séquence. Par ailleurs, nous étions présents dans toutes les manifestations contre la réforme des retraites : nous pourrons donc aussi vous répondre sur ce sujet.
Je vous ai écrit, monsieur le rapporteur, pour vous demander de nous auditionner, parce que c'est le rôle d'un parti politique de témoigner. Ce qui s'est joué à Sainte-Soline, la nature des violences, leur traitement médiatique, la bataille de communication qui s'est politiquement jouée ensuite, la posture du ministre de l'intérieur et les diverses récupérations politiques qui s'en sont suivies sont un fait politique qui mérite l'attention de l'Assemblée nationale et des Français. Comme vous pourrez le constater en entendant nos témoignages, il reste encore beaucoup d'émotion. Ces quelques heures d'une intense violence ont laissé des traces chez tous les participants et beaucoup ont vécu un sérieux traumatisme, nécessitant l'organisation par notre mouvement, à destination de nos adhérents présents, de séances de suivi psychologique assez édifiantes.
Parmi les 30 000 manifestants présents, dont l'immense majorité sont des pacifistes convaincus et pratiquants, quelques-uns garderont des séquelles à vie. Nous cinq, ainsi que les autres parlementaires sur les lieux alors, avons essuyé dans les semaines suivantes un flot de critiques, non parce que nous aurions commis des violences, puisque chacun sait que ce n'est pas le cas, mais pour le simple fait d'avoir été sur place. C'est le moment pour nous d'expliquer pourquoi nous l'avons fait.
Évidemment, la première raison de notre présence à Sainte-Soline, ce sont les bassines et leur absurdité économique comme écologique. Pomper de l'eau dans des nappes phréatiques désormais rarement pleines – 72 % des nappes phréatiques sont actuellement en dessous de leur niveau normal – pour la stocker à l'air libre, où elle s'évapore, est une idée qui en dit long sur notre capacité à développer des solutions insensées pour faire perdurer un modèle agricole à bout de souffle. Tous les scientifiques le disent, le meilleur réservoir d'eau a été conçu par la nature : c'est la nappe phréatique.
Benoît Biteau, qui est aussi exploitant agricole en Charente, est devenu un expert de ce sujet. Nous pourrions en parler des heures mais tel n'est pas l'objet de vos travaux. Il n'a pas raté une seule des manifestations à Sainte-Soline. Nous étions d'ailleurs présents tous les deux à la manifestation précédente, en octobre 2022. Nous souhaitions venir ce 28 mars mettre en lumière cette lutte contre l'absurde, contre l'accaparement d'une ressource commune par quelques-uns. Lorsque la manifestation a été interdite, nous avons pris le temps d'échanger avec nos collègues. Les choses ont été simples et rapides. Quelque 200 militants d'Europe Écologie-Les Verts avaient annoncé s'être organisés pour venir et ils nous confirmaient maintenir leur participation. Compte tenu des risques anticipés, ma place était à leurs côtés. C'est aussi cela, être cheffe de parti. Les parlementaires qui m'accompagnent aujourd'hui ont tenu le même raisonnement car ils nourrissaient les mêmes inquiétudes concernant les risques encourus par les manifestants. Nous nous sommes dit que nous serions plus utiles à Sainte-Soline que devant notre télé. Évidemment, cela s'est confirmé : nous nous sommes trouvés à assister des blessés graves, en urgence vitale pour l'une d'entre elles. Une jeune fille âgée de 19 ans a pleuré pendant des heures, victime d'un tir tendu de grenade en pleine tête, puis atteinte par d'autres grenades une fois au sol. Regroupée avec d'autres blessés que nous avons tenté de protéger en formant une chaîne humaine, elle a été asphyxiée par des lacrymogènes et blessée à nouveau aux membres inférieurs.
Cela restera une expérience qui marque à vie, douloureuse, intimement et politiquement. Nous avons remué ciel et terre pendant des heures, appelé les services de la Première ministre, échangé avec la préfète et les services de secours, qui nous ont répondu. Nous pouvions voir à quelques dizaines de mètres des ambulances mais, pour des raisons que vous éclaircirez peut-être, il a fallu des heures pour que les blessés les plus graves soient pris en charge. Nous n'oublierons jamais la peur, la souffrance, les pleurs, l'impuissance. Nous demandons que la lumière soit faite. Compte tenu du nombre de forces de l'ordre, il est incompréhensible que les secours n'aient pas été organisés en conséquence. C'est une faute lourde. Ce n'est pas la seule.
En tant que cheffe d'un parti politique, ce que je souhaite avant tout, c'est que nous puissions faire l'effort de l'objectivité et sortir des querelles partisanes face à des événements aussi graves que ceux qui se sont déroulés. Plusieurs dizaines de gendarmes ont été blessés, certains gravement, et également plusieurs centaines de manifestants dont certains restés plusieurs semaines entre la vie et la mort. J'aimerais qu'un message soit retenu : en tant que parti politique, nous sommes une force de médiation entre un mouvement social qui porte une colère légitime, que nous comprenons peut-être mieux puisque nous en sommes proches, et les institutions, qui sont malheureusement encore trop inactives face aux immenses défis environnementaux qui se révèlent à nous. Je rappelle que la justice européenne et la justice française condamnent certaines de ces institutions pour inaction climatique, pour manquement à la qualité de l'air, pour non-respect des règles européennes sur la chasse, pour absence d'une politique visant à protéger la biodiversité. Ce n'est donc pas une vue de l'esprit.
C'est dans cet état d'esprit que j'ai rencontré la Première ministre peu après Sainte-Soline. J'ai bénéficié, je dois le dire, d'une grande écoute. J'ai remis le sujet sur la table le 30 août dernier, lors des fameuses douze heures de réunion entre Emmanuel Macron et les chefs de partis à Saint-Denis. Je continuerai de le faire.
Nous pensons que le Gouvernement fait une erreur de jugement significative en refusant de s'appuyer sur les corps intermédiaires pour comprendre les attentes de la société et mener une action davantage partagée par nos concitoyens. Tous les partis politiques, les syndicats, les militants du climat, les associations ne sont pas des forces de blocage mais des relais puissants. Les criminaliser, comme on l'a vu hier avec le placement en garde à vue du patron d'une des plus grandes fédérations de la CGT, est inquiétant. Cela revient à nier l'importance des syndicats pour mener le dialogue indispensable à une transformation de notre société. Nous leur devons beaucoup des droits dont nous bénéficions aujourd'hui.
D'une manière globale, nous sommes inquiets de voir céder à la tentation de criminaliser les opposants plutôt que de dialoguer avec eux. Qualifier les militants écologistes d'écoterroristes, comme l'a fait le ministre de l'intérieur, pourtant garant de nos libertés publiques et de la cohésion des institutions, et ce, sans fondement juridique, ne fera pas disparaître le défi écologique. Par ailleurs, cela nous met en danger. Tenter de dissoudre Les Soulèvements de la Terre sans fondement juridique sérieux ne fera pas disparaître le problème sur lequel ils alertent. La décision du Conseil d'État rendue cet été suite à notre référé montre, avant même le jugement au fond, que les atteintes aux libertés associatives prennent aussi une tournure inquiétante dans notre pays. Le communiqué de presse du Conseil d'État sur ce sujet est édifiant. Le Mouvement associatif, fédération qui représente des associations, l'expliquerait mieux que moi. Mais nous pouvons échanger sur le sujet parce que nous sommes plusieurs ici à beaucoup le travailler.
Les partis politiques, les syndicats, les associations ont la responsabilité de capter les mouvements de la société pour les inscrire dans le champ démocratique. Il faut reconnaître cette fonction et la protéger au risque d'un affaissement démocratique que nous redoutons tous. En démocratie, on dialogue, on convainc, on construit des accords, on acte des désaccords. On ne criminalise pas ses opposants. Nous devons aux Français de ne pas récupérer les violences pour faire avancer un agenda politicien, mais bien de prendre le recul nécessaire à l'établissement de la vérité afin d'éclairer les mécanismes qui ont abouti à ces événements. Avec nos collègues, nous ferons notre part en vous livrant notre témoignage. Cette audition ne suffira pas, mais nous espérons qu'elle contribuera à ce débat que nous sommes déterminés à mener jusqu'au bout.
Je vous remercie de votre volonté de venir devant la commission d'enquête, qui rejoint la nôtre de vous associer à nos travaux. Je souhaite saluer particulièrement l'eurodéputé Benoît Biteau parce que nous avons siégé sur les mêmes bancs de l'hémicycle régional de Nouvelle-Aquitaine. À l'époque, nous faisions partie de la même majorité régionale. Les choses ont évolué depuis...
Je salue la dénonciation constante de la violence par votre formation politique. L'intitulé de la commission d'enquête a évolué à ma demande. Le mot « organisation » a disparu car j'estimais qu'il recelait des ambiguïtés. Les organisations syndicales et politiques n'étant pas visées, j'ai proposé par amendement que ce terme soit supprimé. Quant au champ des violences, c'est un vrai sujet. Qu'appelle-t-on la non-violence ? Où s'arrête-t-elle ? La désobéissance civile est-elle une violence ? Est-elle tolérable ? Est-elle acceptée ? Jusqu'où peut-elle aller ?
J'en viens à des questions précises. Premièrement, la commission d'enquête explore en profondeur un certain nombre d'événements qui se sont produits du 16 mars au 3 mai. Lorsque nous nous sommes déplacés hier à Sainte-Soline, nous avons fait un premier constat d'ordre physique, géographique. Nous pouvons établir, de façon objective, qu'il n'y avait pas d'affrontement possible avec les forces de l'ordre s'il n'était pas souhaité par les 800 à 2 000 individus violents présents ce jour-là, selon les estimations. Je ne fais pas l'amalgame entre ces personnes et les manifestants. À Sainte-Soline, il n'y a pas d'affrontement possible sans préméditation ni organisation. En effet, les forces de l'ordre sont disposées autour d'une infrastructure, et nulle part ailleurs. Elles sont statiques, à l'inverse de ce qui se pratique lors des manifestations urbaines. Par conséquent, dans un champ de visibilité très fort, dans un champ tout court d'ailleurs, il n'y a aucune autre façon d'affronter les forces de l'ordre que de le vouloir et de parcourir plusieurs centaines de mètres dans l'intention d'aller au contact. Du reste, les images et les vidéos, indépendantes ou officielles, de même que la cartographie présentée hier par les forces de l'ordre, mais surtout nos propres constats nous laissent penser ce que je viens de formuler. Partagez-vous cette interprétation ? Cela correspond-il à ce que vous avez vu sur place ?
Deuxièmement, nous avons rencontré hier des élus locaux, notamment les maires de Vanzay et de Sainte-Soline. Je tiens à les remercier de la sincérité de leurs propos et du temps qu'ils ont consacré à nous apporter des éléments d'information. Le vendredi matin, à sept heures et demie, le maire de Vanzay a constaté l'installation dans sa commune de plusieurs individus, dans une ambiance bon enfant nous a-t-il dit. Au fil de la journée, le profil des arrivants change du tout au tout. Des personnes cagoulées se sont agrégées aux premiers arrivants. Certaines d'entre elles courent dans le village, manifestement vers une destination précise. D'après la préfète des Deux-Sèvres, il s'agissait notamment de bloquer la ligne à grande vitesse reliant Paris à Bordeaux via Poitiers. Ainsi, dès le vendredi après-midi, des signes avant-coureurs sont perceptibles. Quant à la géographie des lieux, elle rend difficile à croire qu'il soit possible d'ignorer la stratégie statique des forces de l'ordre, qui ne sont pas dispersées dans le champ, par exemple pour mettre en œuvre une nasse.
Troisièmement, s'agissant de la possibilité de prévoir les risques, les élus locaux, qui sont maires de communes modestes, l'avaient dès le vendredi après-midi. Ils ont vu dans leurs communes des individus qui ne sont pas les 200 militants écologistes que vous évoquez, mais dont le profit indique qu'ils sont là pour autre chose. Eux voient un risque. Vous qui êtes à la tête d'un parti important, inscrit dans notre histoire politique, comment avez-vous considéré, en dépit de ces risques connus de vous, que vous pouviez y aller avec vos militants ? C'est une interrogation, pas une mise en cause.
Nous avons aussi appris des autorités, notamment de la préfète des Deux-Sèvres et du général commandant la région de gendarmerie de Nouvelle-Aquitaine, qu'une stratégie de communication d'alerte sur les risques éventuels a été mise en œuvre en amont. Quelles que soient les réserves que l'on peut nourrir sur cette façon de communiquer, il n'en reste pas moins que les risques encourus étaient réels et avérés, en raison notamment de la présence d'individus qui ne sont pas les militants écologistes que vous avez encadrés. Malgré tout cela, votre démarche consiste à vous rendre à la manifestation.
Le secrétaire général de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), que nous avons auditionné juste avant vous, nous a dit : « Si une manifestation est spontanée ou interdite, mon organisation ne s'y rend pas, parce qu'elle considère que le risque de violences est trop élevé pour qu'elle puisse y être associée, même indirectement ».
D'après les témoignages recueillis hier, il semble que les maires comme les représentants de l'État aient rencontré de grandes difficultés à établir une relation avec des organisateurs. Cette observation a été formulée continuellement au cours de la journée. Habituellement, l'organisation d'une manifestation inclut la mise en œuvre d'un dispositif destiné à garantir la sécurité des manifestants, dès lors que la liberté de manifestation est un droit de nature constitutionnelle.
En l'espèce, les conditions d'une manifestation sereine ne semblaient pas réunies. Ce qui intéresse notre commission d'enquête, qui n'a pas vocation à porter un jugement de valeur et qui adopte un point de vue transpartisan, c'est de connaître les éléments d'après lesquels vous avez estimé qu'une présence sur place, incluant des élus en écharpe, était possible.
Vos questions m'intéressent car elles permettent d'expliquer le contexte et la psychologie de personnes non violentes, pacifiques, décidant de se rendre à une manifestation malgré son interdiction. Il importe de comprendre pourquoi elles le font d'autant que, pas davantage que la CFTC, nous n'appelons à participer à des manifestations interdites. Nous attaquons parfois en justice la décision de les interdire, conformément à notre rôle de parti.
Le cas des bassines est spécifique, comme la plupart des sujets environnementaux tels que l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes et le barrage de Sivens. Nous sommes à un moment de notre histoire où nous réalisons que les procédures juridiques ne servent à rien. Sur les bassines, le tableau des recours déposés occupe trois pages. Nous avons l'expérience du référé spécial environnemental sur lequel les députées Naïma Moutchou et Cécile Untermaier, membres respectivement des groupes Horizons et Socialistes et apparentés, ont mené une mission d'information en 2021. Leur conclusion est identique à la nôtre : le référé spécial environnemental ne marche pas. Le plus souvent, il n'est pas suspensif ; la suspension a lieu des années après, lorsqu'est rendu un jugement au fond. Le plus souvent, c'est trop tard : le projet a commencé, il est même parfois achevé. Ainsi, des atteintes irrémédiables à l'environnement, jugées illégales trop tard, sont commises. Beaucoup y voient un déni de justice.
À Sivens, il y aurait un barrage s'il n'y avait pas eu la zone à défendre et, même si c'est dur à dire, Rémi Fraisse n'était pas mort. Vingt fois plus de grenades ont été tirées à Sainte-Soline qu'à Sivens le soir de son décès. Ce barrage a été jugé illégal. Sans coup d'arrêt aux travaux, il aurait été construit et déclaré illégal trop tard. Il s'agit d'un exemple parmi de nombreux autres.
Je répète souvent que nous ne sommes pas en mesure de garantir aux enfants qui naissent en 2023 une planète habitable quand ils auront trente ans. Ce n'est pas moi qui le dis, mais un consensus scientifique inédit dans l'histoire de l'humanité : le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Si vous êtes éco-anxieux, si chaque jour vous avez cela à l'esprit et ne détournez pas le regard, si vous voyez la nature attaquée et le vivant broyé dans l'indifférence générale, et si vous faites appel à la justice sans résultat, vous optez pour la manifestation. Nous avons beaucoup manifesté contre la réforme des retraites et nous avons eu bien du mal à convaincre. Ce qui est sûr, c'est que nous aurons du mal, dans les années à venir, à convaincre que les manifestations, elles aussi, sont utiles.
Quant au contexte, c'est celui de la criminalisation des mouvements écologistes. Les quatre manifestations organisées à Sainte-Soline ont été interdites. Cela alimente le sentiment, certes forcément subjectif, et pas uniquement parmi les militants, qu'il s'agit d'éviter que l'on parle du sujet. Ce sentiment est de plus en plus fort. Une manifestation bon enfant qui se passe bien permet de parler des enjeux. Le samedi et le dimanche, la télévision parle du rassemblement, ce qui suscite un certain intérêt. Pour éviter cela, on interdit la manifestation, non pas la quatrième dont les risques étaient annoncés, mais même les trois premières. On en déduit chez certains une volonté de taire le sujet et d'empêcher un rassemblement calme.
L'interdiction d'une manifestation a deux effets : elle dissuade de s'y rendre, ce qui est le but recherché ; elle laisse présager que le rassemblement ne se passera pas très bien et fait naître l'angoisse qu'il se termine par des images desservant notre récit politique. Les gens présents aux quatre manifestations, et pour ma part j'étais aux deux dernières, ont fait un choix. Ils se sont sentis attaqués dans leur liberté de manifester.
J'ai participé à de nombreuses manifestations des Soulèvements de la Terre. À Sainte-Soline, nous n'étions pas organisateurs. Europe Écologie-Les Verts soutenait la manifestation et a appelé à s'y rendre tant qu'elle n'était pas interdite. Nous avons ensuite fait de la gestion de nos militants déterminés à s'y rendre. En mai dernier, David Cormand et moi-même avons participé à une manifestation des Soulèvements de la Terre à Rouen. J'y ai emmené mon fils de quatre ans. Les enfants ont fabriqué des jumelles avec des rouleaux de papier toilette pour voir, dans les arbres, les oiseaux que nous allions sauver en empêchant le contournement Est de Rouen, qui défraie la chronique depuis cinquante ans. Les Soulèvements de la Terre n'ont rien à voir avec les images de Sainte-Soline retransmise par les chaînes d'information en continu. Ils mènent des dizaines d'actions, qui se passent bien, et ils rassemblent 150 000 personnes. Telle n'est pas l'image qu'en ont les gens car le système politico-médiatique en impose une autre.
La criminalisation des mouvements écologistes est manifeste si l'on rassemble quelques premières pages parues dans la presse depuis que Gérald Darmanin les a qualifiés d'écoterroristes. Les gens, dont la plupart sont éloignés de toute activité militante, lisent par exemple : « Les écolos radicaux », « Quand l'écologie se saborde », « Écolos ultras », « Jusqu'où ira la violence ? ». Les militants sont prisonniers de cette image et se disent que, s'il faut en conclure qu'ils ne doivent plus jamais manifester, les autres auront gagné.
La veille de la manifestation, l'ambiance était bon enfant, comme dans les autres manifestations des Soulèvements de la Terre auxquelles j'ai participé. Il est faux de dire que les inquiétudes datent d'alors. Elles montaient depuis plusieurs semaines en raison des annonces à la testostérone du ministre de l'intérieur. Ses craintes étaient sans doute fondées. Mais il en a rajouté. Lorsque vous prévoyez 3 200 membres des forces de l'ordre, des drones, six hélicoptères et de nombreuses grenades, vous promettez en réalité des images horribles. Dès lors, que font les gens ? Ils attendent devant la télévision. On ne peut pas se défaire de l'impression que ces images étaient voulues. Nous, nous ne les souhaitions pas. Il y a dans cette mise en tension de l'attente médiatique une forme de d'obscénité de l'émeute (riot porn). Nous avons tous vécu cela : les violences à la télévision, même si la même poubelle qui brûle passe en boucle des heures, nous fixent. Il s'agit d'un phénomène médiatique connu.
La montée de la tension, au cours des semaines qui précèdent la manifestation, nous inquiète. Nous en discutons et nous concluons qu'elle aura lieu. Elle rassemble 30 000 manifestants, non d'après la police ou les syndicats, mais selon les ornithologues qui y participent et décomptent les gens au compteur manuel. Il s'agit du plus gros rassemblement écologiste depuis le Larzac. Les gens iront. Ils ont prévu tente et covoiturage. Dès lors, pouvons-nous rester chez nous et laisser 200 de nos militants, dont les parents risquent de nous appeler inquiets, s'y rendre ? Non, bien sûr. Nous y sommes donc allés en espérant que le rassemblement se passerait au mieux et en pensant pouvoir agir sur place.
Il est évident, et c'était annoncé, que des gens sont venus à cette manifestation non pour lutter contre les bassines, mais pour la confrontation. Ils ne sont membres ni des Soulèvements de la Terre, ni d'EELV, à moins que des gens ne disposent d'informations que je n'ai pas. Aucun mémoire du ministère de l'intérieur n'en a jamais fourni une preuve tangible. Nous les voyons et nous savons pourquoi ils sont venus. Dans les manifestations du 1er mai, nous les voyons aussi et pourtant aucune n'a jamais été interdite pour ce motif ! Je ne sache pas que les organisations de Sophie Binet et de Marylise Léon ont été menacées de dissolution au motif que des black blocs étaient dans les manifestation du 1er mai !
Monsieur le rapporteur, vous concluez de votre visite du terrain que la confrontation ne peut qu'être volontaire. Je ne suis pas d'accord. J'ai lu le rapport de la Ligue des droits de l'homme. C'est à distance que les choses dérapent vers une confrontation physique directe : un feu d'artifice a été tiré, comme souvent dans les manifs, à distance des forces de l'ordre, qui se sont senties menacées et qui ont répliqué. À ce moment, nous ne sommes pas sur place ; nous sommes en fin de cortège, avec Julien Le Guet.
Monsieur le président, vous avez indiqué que les autorités ont eu du mal à discuter au préalable avec les organisateurs des règles de sécurité. Julien Le Guet, qui en faisait partie, a été placé en garde à vue pendant quarante-huit heures une semaine avant la manifestation. Il est visé par une interdiction de paraître dans la commune de Sainte-Soline. Un mouchard a été placé sur sa voiture et son neveu a été violemment agressé quelques semaines auparavant. Entre organisateurs et autorités, localement, la confiance est absente. Ce n'est pas uniquement en raison du fait que la préfecture autorise les bassines et interdit de manifester contre elles. Ce défaut de confiance dépasse la manifestation d'alors. Quoi qu'il en soit, elle n'a pas été bien préparée, notamment en matière de secours.
Lorsque nous arrivons sur place, après avoir salué Julien Le Guet qui nous attend à hauteur du panneau d'entrée dans la commune de Sainte-Soline, les camions de gendarmerie étaient déjà en flammes. Je ne veux pas entendre dire que les gens blessés l'ont bien cherché car ils n'avaient pas à se trouver là, ni qu'ils l'ont été parce qu'ils étaient en première ligne. Nous étions au fond du champ, près d'une fanfare, non parce que nous souffrons du syndrome du Titanic mais pour indiquer aux forces de l'ordre qu'autour de nous tout se passait bien. On nous dit alors que les quads arrivent. Je ne comprends pas : j'ignorais que des militaires en quad étaient présents. Je sens que les gens paniquent ; certains disent « Ils reviennent ! ». Nous avons appris plus tard qu'ils étaient déjà passés auparavant. Les gendarmes en quad sont l'équivalent dans la ruralité de la brigade de répression de l'action violente motorisée. Gendarmerie, Ligue des droits de l'homme et observateurs divergent, dans leurs rapports, sur ce qu'ils ont ou non le droit de faire. Les uns disent qu'ils n'ont pas le droit de tirer au lanceur de balles de défense, les autres affirment qu'ils l'ont fait sans autorisation, les troisièmes ont oublié ce qui leur avait été dit en début de rassemblement. Au final, nous n'avons jamais compris dans quel cadre légal ils opéraient. Ce qui est sûr, c'est qu'ils sont arrivés sur nous par-derrière, et non par-devant où se produisaient les heurts. Clairement, ils s'en sont pris aux personnes non violentes qui en étaient les plus éloignées.
Quand on nous dit qu'ils arrivent, on nous dit aussi que de nombreux blessés se trouvent plus loin en arrière, victimes de la première charge, et qu'il faut les protéger. Benoît Biteau, qui est habitué à ces manifestations, a pris les choses en mains en demandant aux élus de porter leur écharpe tricolore de façon visible et de se placer devant, d'autant que les quads circulent à toute allure. Deux d'entre eux se sont approchés et nous ont tiré dessus. La préfète des Deux-Sèvres et le ministère de l'intérieur l'ont nié plusieurs jours. Nous tenons à votre disposition les preuves en image de ce que nous avançons. Non violents, situés nettement à l'écart des heurts, surtout quand nous protégions les blessés, nous avons été pris pour cible et asphyxiés. J'ai souffert pendant plusieurs semaines de troubles auditifs causés par une grenade lacrymogène qui a explosé près de mon pied. Un journaliste présent à mes côtés a aussi senti la déflagration. Nous avons dû porter nous-mêmes les blessés.
Nul n'est allé volontairement à la confrontation, sauf ceux qui n'étaient pas là pour manifester contre les bassines, pas plus qu'ils ne manifestent pour la CGT le 1er mai. Cette escalade d'angoisse m'inquiète d'autant plus que, pour des non-violents convaincus, vivre cela ne donne pas confiance dans les forces de l'ordre. Dès lors qu'il s'agit d'assurer l'ordre et la paix civile, nous soutenons leur action. Elle est nécessaire. Ce métier est dur pour ceux qui l'exercent et pour leurs familles. En revanche, la doctrine de maintien de l'ordre adoptée ce jour-là pose problème. Monsieur le rapporteur, vous dites que les forces de l'ordre étaient immobiles autour de la bassine et ne présentaient un danger pour personne. Il faut croire que si. Lors de la manifestation d'octobre, nous avions avancé de plusieurs kilomètres en franchissant un par un des barrages de gendarmerie et tout s'est bien passé, comme d'ailleurs dans de nombreuses autres manifestations.
Concentrer 3 000 des 3 200 membres des forces de l'ordre pour protéger un trou suscite forcément la confrontation. Les gens sont attirés par la bassine et veulent voir de quoi il s'agit. D'ailleurs, si nous y étions entrés, en quoi cela aurait-il posé problème ? C'est un trou dans lequel il n'y a rien à détruire. Les gens y seraient restés vingt minutes et seraient rentrés chez eux. Nous ne comprenons pas les choix faits ce jour-là.
J'aimerais retracer la chronologie de cette escalade pour que chacun comprenne pourquoi 30 000 citoyens, un jour, se rassemblent à Sainte-Soline pour dire que les bassines ne leur conviennent pas. J'ai été vice-président du conseil régional de Poitou-Charentes et conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine. Je suis un paysan. Scientifique de formation, j'ai été recruté par l'État, à la fin des années 1990, pour travailler à la sortie d'un contentieux européen sur le dossier du Marais poitevin, dans lequel la France avait été condamnée par la Cour de justice des Communautés européennes pour sa gestion de l'eau. Plusieurs études avaient démontré qu'elle n'était pas bonne, même désastreuse. La gestion de la biodiversité n'était pas conforme aux directives Habitats et Oiseaux. On m'a demandé de trouver des solutions. Je rappelle que le Marais poitevin est le seul parc naturel régional ayant perdu son label en raison d'un contentieux européen. Rapidement, les travaux techniques et scientifiques que je conduis amènent l'État à prendre plusieurs mesures, transmises à la Commission européenne, pour mettre un terme au contentieux. Ce genre d'études est accompagné d'un travail de médiation, de consultation et de concertation avec les acteurs du territoire.
Au cours des discussions, mes approches scientifiques ne sont pas contestées. Mais les discussions avec le monde agricole font émerger la constitution des fameuses bassines comme une solution possible du problème. Il est admis qu'elles constituent une solution une fois que toutes les autres options ont été mises en œuvre – reméandrage des cours d'eau, mesures naturelles de rétention d'eau sur les bassins-versants, création de zones humides, reforestation. Elles sont une solution une fois que l'on a tout fait pour recharger les nappes phréatiques au maximum de leur potentiel, ce qui est l'idéal. S'il s'avère que des déficits en eau subsistent dans certaines zones, des projets de bassines peuvent être engagés.
Nous sommes dans cette situation parce que, en dépit des promesses faites à l'Europe, qui ont permis de clore définitivement le contentieux en 2005 et de récupérer le fameux label de parc naturel régional, les mesures proposées dans mon rapport n'ont malheureusement pas été mises en œuvre. Si les tensions sont si fortes, c'est parce que l'on appuie sur le bouton « bassines » pour construire des retenues de substitution avant d'avoir mis en œuvre toutes les autres options. Les bassines, que les scientifiques considèrent comme une solution potentielle une fois le territoire correctement aménagé, sont devenues une complication supplémentaire entravant la gestion de l'eau sur le territoire. Voilà pourquoi 30 000 citoyens se sont rassemblés à Sainte-Soline le 25 mars dernier.
Dans le premier projet, dix-neuf bassines étaient prévues. Leur nombre est tombé à seize parce que les promoteurs du projet ont pris conscience qu'il était surdimensionné, et parce que les premiers recours en justice des opposants leur donnent raison. Ils ne sont pas opposés aux projets d'irrigation et de stockage de l'eau, mais ils réclament que l'on crée au préalable les conditions de leur réussite. Ainsi s'explique la résistance à ces projets, d'autant plus forte qu'il y a beaucoup d'argent public sur la table. Ce dernier point est souvent un angle mort des débats. Si l'investissement public n'est pas conforme aux attentes des citoyens, certains entrent en résistance.
Les premiers recours sont donc une victoire et le projet est revu à la baisse, passant de dix-neuf à seize bassines. Nous attaquons en justice ce nouveau projet. Le 25 mars, jour du rassemblement de Sainte-Soline, tous les recours déposés par les associations de protection de la nature et de l'environnement ont été gagnés. Un seul recours a été perdu, après le 25 mars ; il fait actuellement l'objet d'une procédure devant la cour administrative d'appel de Bordeaux et nous sommes très confiants.
Des dysfonctionnements sont constatés sur le territoire et des solutions techniques existent, mais rien n'est fait malgré les promesses de l'État. La communauté scientifique est à peu près unanime pour dire que les bassines ne peuvent être une solution que si les conditions d'une bonne gestion de l'eau sont garanties. Tous les recours en justice contre lesdites bassines ont abouti. Comment fait-on, en tant que citoyen et, plus encore, en tant qu'élu, pour s'opposer à un projet qui, manifestement, va à l'encontre de l'État de droit ? Comment fait-on, lorsqu'on est attaché à la démocratie, à la justice et aux valeurs de la République, pour s'opposer à un projet rejeté par la société ? Je vous le demande en tant qu'élu : comment fait-on, quand on est attaché à l'État de droit, pour réclamer que celui-ci soit respecté si, en plus, on n'a pas le droit de manifester ?
Marine Tondelier a évoqué le recours déposé contre le projet de barrage de Sivens, qui a été gagné plus tard. À l'époque, j'étais administrateur de l'Agence de l'eau Adour-Garonne qui était le principal financeur du projet de Sivens. Je m'y suis donc rendu. Le projet s'est arrêté pour les raisons que vous connaissez et sur lesquelles je ne reviens pas. Mais je ne vous cache pas que c'est traumatisant, quand on a vécu Sivens et la mort de Rémi Fraisse, de vivre Sainte-Soline. Le projet s'est donc arrêté et, au terme de la procédure en justice, il est apparu qu'il n'était pas conforme à la loi. S'agissant du projet de bassines dans le marais poitevin, on a déjà un certain recul puisque le Conseil d'État a estimé que les cinq bassines de La Laigne et Cram-Chaban, financées par de l'argent public, ne sont pas conformes aux règles en vigueur en France et en Europe.
La stratégie qui consiste à avancer avec un rouleau compresseur, à utiliser l'argent public pour financer des projets dont les citoyens ne veulent pas et qui, une fois terminés, sont jugés illégaux, suscite de la résistance et des réactions parmi les citoyens et les militants écologistes. Face à une telle situation, que faire, sinon nous réunir et manifester notre désapprobation ?
Lorsque j'ai été auditionné au Conseil d'État, au moment où il devait statuer sur la dissolution des Soulèvements de la terre, le débat a tourné autour de la définition de la violence. C'est une atteinte aux personnes ou aux êtres vivants. La désobéissance civile, c'est autre chose : des gestes et des actions symboliques, qui n'ont d'impact majeur ni sur l'économie ni sur le fonctionnement de l'État. Quand quelqu'un se lance dans la désobéissance civile, il accepte la judiciarisation, mais il le fait pour alerter ses concitoyens. C'est grâce à la désobéissance civile que l'on n'a pas un grand parc militaire au Larzac, que l'on n'a pas le barrage de Sivens, que l'on n'a pas de gaz de schiste en France, que l'on n'a pas d'organismes génétiquement modifiés. La liste est longue. Elle rappelle que cette forme de lutte peut servir l'intérêt commun et garantir l'avenir des générations futures.
Marine Tondelier a évoqué les violences faites aux écologistes. Je rappelle que le 27 ou le 28 mars, par un hasard du calendrier, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la protection des défenseurs de l'environnement, Michel Forst, a publié un rapport dans lequel il manifeste sa vive inquiétude face à la violence que subissent les défenseurs de l'environnement, notamment en France. En tant que député européen, je vous invite à prêter attention au regard que porte la presse étrangère sur la France.
Je tiens à disposition un tableau qui récapitule tous les recours déposés contre ces bassines et pour lesquels nous avons eu gain de cause. La mission d'information de 2021 avait fait beaucoup de propositions transpartisanes. Aucune n'a été suivie d'effet.
J'aimerais revenir sur l'épisode au cours duquel j'ai été prise pour cible dans le Lot-et-Garonne, quelques jours après Sainte-Soline. Si Serge Bousquet-Cassagne, le président de la Coordination rurale de ce département, était énervé, c'est qu'il pensait que je venais dénoncer le lac de Caussade alors que je me rendais dans une maternité menacée de fermeture à Villeneuve-sur-Lot. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le lac de Caussade est une retenue d'eau illégale qu'il a construite et achevée à la faveur de la crise sanitaire. Quand on demande aux autorités, qui ont interdit ce projet à plusieurs reprises, pourquoi il a pu voir le jour et pourquoi personne ne le conteste, on répond que cet homme sait mobiliser des agriculteurs et des chasseurs, qu'il a fait reculer des bataillons entiers de gendarmerie. On m'a signifié que, pour des raisons de tranquillité publique, il valait mieux le laisser faire. On m'a même conseillé de ne pas me rendre dans le Lot-et-Garonne en me disant qu'il était dangereux et armé. J'ai dit que je ne craignais pas d'être fusillée mais on m'a répondu qu'il pourrait tirer en l'air, que je ne connaissais pas le personnage. C'est ce qui m'a poussée à aller voir, ne serait-ce que pour soutenir mes collègues locaux. Si la cheffe du parti ne vient pas dans un département parce que c'est dangereux, qu'est-ce que cela signifie pour les habitants au quotidien ?
Ce monsieur m'a menacée à plusieurs reprises, sur du papier à en-tête de la chambre d'agriculture qu'il préside. Il y a bien deux poids et deux mesures. On s'en prend aux partisans de la désobéissance civile tandis que certaines personnes qui désobéissent d'une manière non pas civile, mais agressive, obtiennent gain de cause. Il faudrait faire la liste des actions de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). Certaines relèvent de la désobéissance civile, par exemple le dépôt de ballots de paille devant une préfecture. Mais que dire de l'incendie du centre des impôts de Morlaix en 2014 ou de l'épisode où on a écrasé des ragondins avec un tracteur devant une préfecture ? Quelques jours après Sainte-Soline, l'Office français de la biodiversité a été pris pour cible par des fusées et il a brûlé en partie – en l'occurrence, ce n'était pas le fait de la FNSEA. Le lendemain, le ministre de l'agriculture était au congrès de la FNSEA et il n'a jamais été question de la dissoudre. Du reste, si j'étais ministre, je ne dissoudrais pas la FNSEA : il existe d'autres moyens pour régler les conflits. Il est essentiel de se parler et d'apaiser le débat.
J'aimerais que l'on revienne à ce qui constitue le cœur de notre commission d'enquête, à savoir les manifestations et précisément celle de Sainte-Soline. La préfète a pris un arrêté d'interdiction. Nous sommes dans un État de droit : un tel arrêté doit être justifié. S'il ne l'est pas, un recours peut être déposé. Avez-vous saisi le tribunal administratif ? Si tel est le cas, l'arrêté a-t-il été annulé ?
Nous n'avons pas déposé de recours parce que nous n'étions pas organisateurs. En revanche, nous l'avons fait pour la manifestation contre le projet de ligne ferroviaire entre Lyon et Turin, qui a eu lieu plus tard. Lorsque la Première ministre m'a reçue, quelques jours après Sainte-Soline, elle nous a suggéré de co-organiser les manifestations suivantes pour qu'elles se passent bien.
J'ajoute que le droit s'est rigidifié et qu'il est plus facile désormais d'interdire des manifestations. S'agissant des Soulèvements de la Terre, il s'est passé deux mois entre la publication du décret de dissolution et l'ordonnance du juge des référés du Conseil d'État. Au bout de ces deux mois, on s'est aperçu que le dossier était à peu près vide. Peut-être que l'on savait que des black blocs seraient présents. Mais si l'État interdit des manifestations à chaque fois qu'ils se montrent, on ne va plus pouvoir beaucoup manifester ! S'ils sont venus, c'est parce que c'était la troisième manifestation et que le ton monte d'édition en édition.
Une manifestation antinucléaire était prévue à Bure début juin. Les militants locaux nous ont dit qu'ils avaient peur, après Sainte-Soline, d'être dépassés, surtout dans une forêt, et ils nous ont demandé d'être co-organisateurs. Nous avons accepté et nous avons finalement décidé, en accord avec eux, d'annuler la manifestation par crainte de heurts. Il en était question sur des tas de boucles de réseaux sociaux en Europe. Pour des antinucléaires, c'était dur de renoncer. À la place, nous avons organisé une réunion à Paris, dont personne n'a parlé puisqu'il n'y a eu ni manifestation ni affrontements. Telle est la dure réalité que vivent les écologistes et les militants de ce pays. C'est un peu triste.
Je souhaite faire deux remarques et poser deux questions.
S'agissant, premièrement, de la dissolution des Soulèvements de la Terre, je ne peux pas vous laisser dire qu'il n'y avait aucun élément dans le dossier que le Conseil d'État a eu à examiner. La difficulté qu'il a rencontrée est précise : il a indiqué manquer d'éléments pour démontrer que des agissements individuels attestés pouvaient être rattachés à une organisation aux contours flous. Du reste, personne ne dit que tous les gens qui ont milité ou continuent de militer autour des Soulèvements de la Terre appartiennent à des groupuscules violents.
Deuxièmement, d'après nos informations, les 3 000 membres des forces de l'ordre n'étaient pas concentrés autour de la bassine. Ils étaient répartis sur une zone bien plus vaste où ils avaient vocation à sécuriser d'autres retenues d'eau. La moitié des effectifs seulement se serait trouvée autour de l'infrastructure principale ayant fait l'objet d'affrontements.
J'en viens à mes questions. Vous avez parlé de la psychologie militante et rappelé que certains individus considèrent la question environnementale un risque vital pour leur existence même. Je trouve que votre argumentation donne du crédit, et je le regrette, à ceux, représentés à l'Assemblée nationale, qui considèrent qu'il y a un continuum entre vous et les violences. Cette argumentation me paraît dangereuse. Quand vous dites que certains militants sont animés d'une immense colère qui peut entraîner des actions violentes, je trouve que vous justifiez l'idée d'un continuum, qui nuit à la crédibilité de nos partis politiques.
Enfin, si vous aviez été co-organisateurs de la manifestation du mois de mars, l'auriez-vous annulée ?
Il est difficile de réécrire l'histoire et la vraie me suffit. Je n'ai pas vraiment envie de faire de la politique-fiction.
Si je pose cette question, c'est parce que vous nous avez dit avoir annulé une manifestation dont vous étiez co-organisateurs du fait des risques dont on vous avait averti. S'agissant de Sainte-Soline, vous dites que l'on connaissait les risques plusieurs semaines à l'avance. La veille, on savait que des individus violents étaient présents. Si vous aviez été co-organisateurs, auriez-vous choisi, compte tenu des éléments dont vous aviez connaissance, d'annuler cette manifestation ?
Si nous avions été co-organisateurs, nous n'aurions peut-être pas été dans la même situation à la veille de la manifestation. Nous aurions dialogué avec les autorités comme nous le faisons toujours. Il n'y aurait pas eu cette incommunicabilité. Si nous avions eu les mêmes éléments qu'à Bure, nous aurions sans doute pris la même décision. Mais le choix fait à Bure est aussi lié au traumatisme de Sainte-Soline. Je pense que si nous avions été co-organisateurs, nous n'aurions pas été placés en garde à vue comme Julien Le Guet, une semaine avant la manifestation, ce qui a ému tout le monde et n'a pas contribué à ce que les choses se passent bien. Enfin, il n'y aurait peut-être pas eu toutes les annonces qui, dans les jours précédents, ont créé beaucoup de tension. C'est en ce sens que notre participation à l'organisation de cette manifestation aurait, de fait, changé l'histoire.
Sur la question du continuum de violence, nous nous sommes mal compris. Lorsque j'ai utilisé cette expression, je parlais d'un continuum de violence envers les écologistes. À Hénin-Beaumont, je suis élue d'opposition au Front national depuis 2014 : on me traite de khmer verte à longueur de temps. C'est dangereux parce que c'est relayé dans la presse et que les gens s'imaginent que je pose des bombes. Que dire quand c'est le ministre de l'intérieur lui-même qui nous traite d'écoterroristes ! Il nous désigne comme des ennemis. Du reste, cette notion n'existe pas dans le droit, ni français ni international. À la rigueur, il peut désigner des actions terroristes contre la nature. De tels propos créent un continuum de violence parce qu'ils suscitent de la violence envers nos militants et qu'ils légitiment une répression inédite. À Sainte-Soline, on a tiré une grenade par seconde. L'émission Complément d'enquête a suivi le chef de l'opération toute la journée. À un moment, il s'écrie « Ils sont cons ou quoi ! » parce que ses hommes n'ont pas visé le bon cortège. On l'entend dire que « l'adversaire » est à un kilomètre. On est dans le registre de la guerre puisque le ministre nous a désignés comme des terroristes. Parler d'écoterrorisme, c'est légitimer la répression. On peut dire aux Français qu'on les a protégés. Il y a une vraie bataille de communication derrière cela. C'est en ce sens que j'ai parlé de continuum de violence.
Vous me demandez des éléments sur la psychologie des gens qui ont quand même décidé d'aller à la manifestation. Lorsque je vous réponds, vous me dites que je justifie leur action. Je n'ai pas décrit ma propre position : en ce qui me concerne, je continuerai pendant des décennies à combattre pour l'écologie et dans la non-violence. Ce n'est même pas une décision, c'est ma nature profonde. La désobéissance civile repose sur trois fondements : la non-violence, la défense de l'intérêt général et le fait d'agir à visage découvert. Nous assumons ce que nous faisons et nous le revendiquons. Tout à l'heure, je n'ai pas décrit ma position ; j'ai rapporté les propos que j'entends quand je discute avec les gens.
Nous avons prévu d'auditionner le ministre de l'intérieur et je suis certain que nos collègues profiteront de cette occasion pour l'interroger au sujet de la notion d'écoterrorisme. Je ne dis pas que vous justifiez l'attitude des militants dont vous essayez d'expliquer la psychologie. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'expliquer, c'est justifier. Ce que j'ai voulu dire, c'est que les propos par lesquels vous avez justifié votre présence sur place, malgré les risques encourus, me semblent donner du crédit à ceux qui veulent voir un fil conducteur entre votre action politique et les violences commises.
On a fait la même remarque à la Ligue des droits de l'homme. Dans tous les pays et toutes les zones de guerre, ses membres ont le statut d'observateur reconnu par le droit international. On le leur a dénié à Sainte-Soline. Heureusement pour les victimes en urgence absolue que la Ligue et des élus étaient là ! Si nous n'avions pas été présents pour appeler la Terre entière et faire venir des secours, combien de temps supplémentaire aurait-il fallu attendre ? Aurait-on su la vérité ? La réponse est non. Quand j'ai dit que les élus avaient été pris pour cible alors qu'ils étaient auprès des blessés, la préfète a répondu que ce n'était pas vrai et qu'elle avait la preuve qu'aucun tir ne les avait visés.
Je peux montrer des photos, à commencer par celle de la chaîne humaine que nous formions à treize heures cinquante-trois. Même des gens inexpérimentés en politique, montés sur un quad, sont capables de voir nos écharpes tricolores et de comprendre que nous sommes des élus. Les blessés allongés sont derrière. Sur une deuxième photo, vous pouvez voir les mêmes personnes trois minutes plus tard, après l'attaque de quads, sous les lacrymos. Jusqu'à ce que je pose sur le bureau de la Première ministre cette troisième photo montrant une grenade au-dessus de la tête de David Cormand, dont on voit bien qu'il est député européen, le ministre de l'intérieur n'a cessé de raconter qu'aucune grenade n'avait été tirée sur les élus ni sur les blessés. Si nous n'avions pas été présents, si nous n'avions pas témoigné avec notre force d'élus ou de chefs de partis, l'histoire n'aurait retenu que la version du ministre de l'intérieur selon laquelle aucune arme de guerre n'avait été utilisée. Pour les 30 000 personnes présentes, dont le traumatisme est réel, sérieux et persistant, c'était une double peine d'entendre continuellement les mensonges du ministre, en train d'écrire sa propre histoire.
Évidemment que certains membres des forces de l'ordre ont été attaqués ! Nous avons toujours condamné ces actions, pas seulement à Sainte-Soline. Tous les jours, dans toutes les émissions auxquelles je participais, on m'a demandé de m'excuser, en tant que cheffe de parti. On m'a aussi demandé si je condamnais les violences contre des policiers. À chaque fois, j'ai répondu par l'affirmative. On s'en est étonné et on a répliqué que c'était bien que je le dise. Je n'arrête pas de le dire ! Là n'est pas le problème : je m'excuserai, je m'expliquerai et je répondrai aux questions tant qu'il le faudra. Mais à quel moment a-t-on demandé au ministre de l'intérieur s'il condamnait les violences subies par les manifestants et s'il regrettait les scènes que nous avons vécues, avec des milliers d'autres, où des gens entre la vie et la mort étaient laissés sans soins pendant des heures ?
Quand vous rentrez chez vous, traumatisé après avoir vu passer toute la journée des corps dans un état que vous ne pouvez pas imaginer, que vous allumez la télévision et que vous voyez Gérald Darmanin expliquer qu'aucune arme de guerre n'a été utilisée, alors que vous en avez fait les frais et qu'il suffisait de regarder le ciel pour les voir, que seuls sept manifestants ont été blessés mais que les forces de l'ordre ont dû faire face aux assauts de milliers d'individus d'extrême gauche, alors que ces éléments n'étaient qu'une minorité parmi les 30 000 manifestants, ce n'est pas facile ! Le ministre de l'intérieur n'est pas le seul responsable de ce qui s'est passé, mais il ne peut s'exonérer de sa responsabilité. Or, je n'entends pas grand monde lui poser cette question et je ne l'ai jamais entendu y répondre.
Nous avons entendu hier que l'organisateur de la manifestation n'avait pas échangé avec les autorités pour permettre, par exemple, l'intervention des services d'urgence. S'il l'avait fait, comme vous en avez vous-même l'habitude, vous admettez qu'un certain nombre de choses se seraient sans doute passées différemment. Votre récit comporte donc un vrai paradoxe. Le rôle de notre commission d'enquête, par-delà les différences entre les députés qui la composent, n'est pas de juxtaposer différents récits mais d'objectiver les événements et de rechercher la vérité. Certains points devront être éclaircis. Nous n'avons pas à nous substituer à la justice alors qu'un procès s'ouvrira demain à Niort, mais à nous pencher sur les phénomènes violents qui tentent d'empêcher la démocratie et l'État de droit de fonctionner normalement.
Vous insinuez que les organisateurs seraient responsables de l'absence de soins apportés aux blessés. Heureusement qu'ils étaient là au moment où la manifestation a dégénéré ! La seule ambulance venue chercher les blessés était la leur. S'y ajoutaient des véhicules de participants, des particuliers ayant entrepris de rabattre leurs sièges pour évacuer les blessés légers. En revanche, la jeune femme de 19 ans dont nous nous occupions n'était pas transportable.
On nous a dit qu'avant le début de la manifestation, consigne avait été donnée aux participants de ne pas faire appel aux secours officiels mais de demander à être transportés par les secours des organisateurs le plus loin possible de Sainte-Soline. Avez-vous entendu cela ?
Ce n'est pas moi qui ai rédigé le tract auquel vous faites allusion, mais j'en ai compris la raison sur place. Plusieurs blessés m'ont expliqué qu'ils ne voulaient pas être hospitalisés dans la région parce qu'en octobre 2022, certains manifestants, dont l'un avait reçu un tir de lanceur de balles de défense à la tête, avaient été placés en garde à vue à l'hôpital. La police était venue y faire des perquisitions. Elle avait obtenu la liste des blessés et, dans une violation totale du secret médical qui a choqué le personnel soignant, elle avait demandé à ce dernier quelles blessures étaient susceptibles de provenir de Sainte-Soline. Ce pouvait être le cas, par exemple, d'éclats aux membres inférieurs causés par des grenades.
Les effets personnels des blessés hospitalisés avaient été passés au détecteur de marqueurs chimiques, des substances projetées sur les manifestants qui, sous une lampe torche, produisent une couleur. Les policiers estimaient qu'il était légitime de recourir à cette technique, utilisée pour la première fois à l'occasion de cette manifestation qui, vous l'avez souligné, était interdite. Compte tenu de la panique générale, on ne saura évidemment jamais quel membre des forces de l'ordre a blessé quelle personne, d'autant que les agents ne portaient pas leur numéro de référentiel des identités et de l'organisation (RIO) et que, dans le cas contraire, il n'était pas visible à distance. Mais la seule présence de produit marquant sur les affaires d'un individu suffit à prouver sa participation à la manifestation interdite et à le faire condamner pour ce motif.
C'est pour cette raison qu'il y a, chez les manifestants, une grande défiance. Je ne justifie rien : je vous explique pourquoi les organisateurs ont conseillé aux blessés de ne pas se rendre dans les hôpitaux du coin. La préfète affirme que tout est de la faute des organisateurs. Mais elle ne bénéficie d'aucune exonération. Quel que soit le comportement de Julien Le Guet, l'assistance aux blessés est un principe du droit international, y compris en cas de conflit armé. L'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme énonce, pour les États, une obligation positive qui s'applique même aux personnes arrêtées ou détenues. Quant à l'article 8 du deuxième protocole aux conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, il stipule : « Chaque fois que les circonstances le permettront, et notamment après un engagement, toutes les mesures possibles seront prises sans retard pour rechercher et recueillir les blessés, les malades et les naufragés, les protéger contre le pillage et les mauvais traitements et leur assurer les soins appropriés, ainsi que pour rechercher les morts, empêcher qu'ils soient dépouillés et leur rendre les derniers devoirs. »
Pour ma part, je n'ai été en contact qu'avec la préfète et la gendarmerie. La nuit suivante, alors que je rentrais en train en compagnie de David Cormand, j'ai rédigé un compte rendu de nos échanges pour être sûre de ne rien oublier. J'ai repris mon journal d'appels et relevé tous les horaires, parce que je savais qu'il y aurait des enquêtes et que je voulais dire la vérité. Dès le lendemain, j'ai envoyé ce document aux services de la Première ministre, au directeur de cabinet de Gérald Darmanin, à la presse et aux organisateurs de la manifestation en précisant qu'il s'agissait de ma vision, laquelle ne pouvait pas être généralisée à l'ensemble du site.
Ainsi, nous avons discuté avec les autorités pour faire venir les secours officiels et emmener à l'hôpital les personnes que nous assistions. La Ligue des droits de l'homme a appelé le Samu, qui a répondu qu'il ne pouvait pas venir et qu'il attendait un ordre qui tardait à arriver. Or, après l'intervention des quads à treize heures cinquante-trois, il y a eu une trêve entre quatorze heures huit et quinze heures huit. Notre déroulé et celui de la Ligue concordent sur ce point. Pendant une heure, aucun incident ne s'est produit et Serge, le blessé grave, a attendu, entre la vie et la mort, qu'on laisse passer les pompiers bloqués par les forces de l'ordre. Ces dernières ne faisaient qu'appliquer une consigne. La situation était évidemment difficile pour la préfète, qui ne m'a pas semblée complètement insensible aux événements. Mais elle craignait que les affrontements reprennent et elle a donc attendu longtemps avant de donner l'ordre que nous attendions. Toujours est-il que c'est d'elle qu'est venu la consigne et que c'est sa responsabilité qui est en cause, non celle des organisateurs.
À la suite de notre intervention auprès du cabinet de la Première ministre, les secours sont arrivés du département voisin. Ce sont des ambulances de la structure mobile d'urgence et de réanimation de la Charente, non des Deux-Sèvres, et de l'hôpital de Ruffec qui sont venues porter secours aux blessés les plus graves. Les camions de pompiers étaient pourtant à portée de vue, à moins d'un kilomètre !
Monsieur le rapporteur, vous avez posé la question de la violence. Je le répète : il y avait 30 000 manifestants parmi lesquels de nombreuses familles avec des enfants et des poussettes. Des fanfares étaient présentes. Ce n'était pas une manifestation de gens hostiles, haineux, venus en découdre. Effectivement, on ne peut contester que d'autres personnes, violentes, se sont greffées au cortège. Mais comment les juguler ?
Si nous avions été les organisateurs, aurions-nous annulé la manifestation ? Je ne peux pas me prononcer pour le parti. Je m'exprimerai donc à titre individuel. Vous avez dit que, le vendredi, l'ambiance commençait à devenir anxiogène. Pour ma part, je me rappelle l'arrivée, le vendredi soir vers dix-neuf ou vingt heures, des tracteurs de la Confédération paysanne. Ce n'était pas du tout anxiogène, mais très bon enfant. C'était une joie, une grande émotion de voir des paysans qui s'inquiètent de leur avenir rejoindre le mouvement. Évidemment, cela tranchait avec les cortèges de la FNSEA ! Quand vous manifestez avec des drapeaux de la FNSEA, au volant de tracteurs tirant des épandeurs de lisier et de fumier qui finiront sur des établissements publics, les forces de l'ordre vous escortent. Au contraire, quand arborez des drapeaux de la Confédération paysanne, elles vous empêchent de circuler. Quoi qu'il en soit, à ce moment-là, il n'y avait aucune raison d'annuler, et le samedi non plus, d'ailleurs.
Lors d'une conférence de presse qui s'est tenue à Melle le matin du dimanche 26 mars, tous les organisateurs, notamment Bassines non merci et certains syndicats dont la Confédération paysanne, ont dénoncé sans ambiguïté toute forme de violence. J'étais le seul élu présent mais une captation vidéo a été faite, que je vous invite à consulter. Je démens qu'il y ait eu des appels à la violence. Il ne fallait probablement pas annuler la manifestation. Peut-être aurions-nous dû modifier son déroulement et changer le parcours du cortège pour éviter le désastre que nous avons connu. Il faut dire que nous étions traumatisés, le dimanche matin, par ce qui s'était passé. Aussi les organisateurs se sont-ils engagés, lors de cette conférence de presse, à changer de mode opératoire en cas de nouveau rassemblement contre les bassines, considérant qu'ils ne pouvaient prendre le risque que se reproduisent des violences telles que celles auxquelles nous avions assisté. Ils ont tenu parole. Regardez comme le convoi de l'eau organisé à la fin du mois d'août s'est bien passé, dans un bon esprit : on n'y a pas vu de militants écologistes cherchant la confrontation avec les forces de l'ordre.
Ma réponse ne correspond peut-être pas à ce que vous vouliez entendre. Elle reflète ce que j'ai vécu à Melle. J'ajoute que les nombreuses conférences sur l'eau organisées la veille et le lendemain des événements de Sainte-Soline, c'est-à-dire les vendredi 24 et dimanche 26 mars, se sont parfaitement déroulées en lien avec les services de l'État et sans heurt avec les forces de l'ordre. C'est la preuve que les organisateurs sont aussi capables de préparer des événements de bonne qualité.
Un grand nombre de ces associations sont menacées et perdent leurs subventions du fait du contrat d'engagement républicain. Ainsi, la préfète de la Charente a demandé à la mairie de Poitiers d'annuler une subvention versée à Alternatiba au motif que l'association a organisé, dans le cadre d'un événement, un débat contradictoire sur la légitimité de la désobéissance civile. Voyez l'ambiance en Charente ! Il est normal que les associations s'y sentent quelque peu menacées.
L'État ne sanctionne pas l'activité d'une structure associative. Personne n'interdit à des associations de prôner la désobéissance civile. Certaines viennent d'ailleurs nous expliquer pourquoi cette dernière leur paraît nécessaire. Mais une personne publique, quelle qu'elle soit, n'a pas à soutenir financièrement des actions, fussent-elles ponctuelles, visant à valoriser de tels comportements. Voilà pourquoi l'Assemblée nationale a adopté le principe du contrat d'engagement républicain dans la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dont j'étais le rapporteur général. Les structures associatives désireuses de développer des stratégies de désobéissance civile ne sont ni interdites ni dissoutes. Elles ne le seront jamais tant qu'elles ne causent pas de trouble particulier à l'ordre public. Mais l'argent du contribuable n'a pas à financer des opérations de ce type.
Ce n'est pas le constat que nous faisons. L'Association de protection, d'information et d'études de l'eau et de son environnement s'est fait retirer une subvention destinée à financer des animations nature pour avoir co-organisé la manifestation d'octobre 2022.
Les choses peuvent pourtant bien se passer : lors du rassemblement contre le projet de contournement Est de Rouen, le maire de Val-de-Reuil, qui est aussi le numéro trois du groupe LVMH, a prêté des tentes, des tables et des chaises, comme le font de nombreuses communes pour l'organisation de manifestations avec lesquelles elles ne sont pas forcément d'accord. À Poitiers, le débat sur la désobéissance civile organisé par Alternatiba s'inscrivait au milieu d'un festival de deux jours. Or, la ville, qui subventionnait ce festival comme tant d'autres, s'est vue notifier par la préfète une interdiction de verser cette dotation. Un contentieux est d'ailleurs toujours en cours.
En 2023, à part le Président de la République, tout le monde a compris qu'il fallait prendre un peu moins l'avion. Or, il existe un projet d'extension de l'aéroport de Lille-Lesquin. Comme Lille est une ville importante en Europe, des militants de plusieurs pays, opposés au projet, se sont rassemblés à la Maison régionale de l'environnement et des solidarités. Les militants de cette association vieille de quarante ans, qui n'ont pas des têtes d'écoterroristes, n'ont fait que prêter leur salle. Je ne sais pas ce qu'il s'y passait, sans doute des réunions de coordination, mais voilà qu'un journaliste de BFM Lille présent devant les locaux a affirmé que les militants suivaient une formation à la désobéissance civile. Ce n'était pas vrai mais il n'en a pas fallu davantage pour que le président de région, Xavier Bertrand, signale au préfet une suspicion d'infraction au contrat d'engagement républicain et lui demande de couper les subventions de l'association. Elle ne participait même pas à la réunion !
Nous assistons donc à une répression disproportionnée. Je ne veux pas que la loi ne s'applique pas. Quand on désobéit, on sait ce qui nous attend. Ceux d'entre nous qui ont fauché des OGM ont assumé leurs actes. Je déplore simplement que le droit ne soit pas appliqué partout de la même façon.
Il est de la responsabilité de l'État de garantir la liberté de manifester. On ne peut interdire toutes les manifestations. L'exemple de Sainte-Soline montre que l'interdiction n'est un gage de sécurité ni pour les manifestants, ni pour les forces de l'ordre. C'est un échec sur tous les plans puisque cette décision a mis en danger les individus qui ont manifesté quand même et les forces de l'ordre. Si l'on interdisait une seule manifestation tous les dix ans, pour un motif d'une particulière gravité, les militants se résoudraient peut-être à ne pas y participer. Or, il est devenu monnaie courante d'interdire des rassemblements et de dissoudre des associations. Avant l'élection d'Emmanuel Macron, il y avait en moyenne 1,5 dissolution par an ; depuis le début de son premier mandat, il y en a 5,5 par an. L'annonce d'une dissolution ne suscite plus vraiment d'émoi car on s'y est accoutumé. C'est un vrai risque pour nos libertés publiques. Si un groupement se situe en dehors des clous et agit de manière dangereuse, il existe des motifs permettant de déroger à la liberté d'association. Mais la décision rendue en référé par le Conseil d'État montre, comme le confirmera sûrement le jugement au fond, que la dissolution des Soulèvements de la Terre était insuffisamment fondée et ne respectait pas l'État de droit. Peut-être y avait-il des raisons de sanctionner cette association ou de la surveiller, ce qui est déjà fait, de manière très lourde, depuis des mois. Mais la dissoudre était injustifié.
Votre commission d'enquête vise à comprendre la genèse du phénomène afin d'éviter qu'il ne se reproduise. Je vous donnerai donc un exemple de situation pouvant mener à un niveau de conflictualité extrême.
J'ai reçu hier un message du maire de Corcoué-sur-Logne, une commune du sud de la Loire-Atlantique où pourrait être implanté un méthaniseur XXL très décrié. Il se trouve que j'ai été rapporteur d'une mission d'information sur la méthanisation, qui a montré que ce projet illustrait ce qu'il ne fallait pas faire. De nombreux riverains, associations et élus se sont mobilisés pour mettre un terme aux études. Un travail a également été effectué par le conseil départemental de Loire-Atlantique. Or, une enquête publique a été menée et le projet a reçu un avis favorable. Il s'agit clairement d'un déni de démocratie. Les collectifs et associations qui ont fait confiance aux élus pour porter leur voix se sentent complètement trahis. On ne sait pas ce qui va se passer maintenant mais, ce qui est certain, c'est que l'on ne va pas en rester là et que d'autres mobilisations suivront. Corcoué-sur-Logne se situe dans le même département que Notre-Dame-des-Landes. J'espère que l'État et le Gouvernement vont prendre conscience qu'on ne peut plus appliquer les mêmes stratégies qui conduisent toujours à la violence.
Benoît Biteau évoquait tout à l'heure l'évolution de la politique des associations depuis les événements de Sainte-Soline. La stratégie des forces de l'ordre doit elle aussi évoluer. Deux mots pour vous dire ce que j'ai constaté : une stratégie du fortin assiégé. Tout était là pour qu'il y ait conflit. Il y avait effectivement des gens qui voulaient monter sur les digues planter des drapeaux. On peut trouver ça puéril, mais c'était ainsi. En face, toutes les forces de l'ordre étaient installées autour de la bassine, comme le cercle des chariots dans les bons vieux westerns, avec les Indiens qui attaquaient. Nous étions là, je pense, pour faire de belles images. Ces véhicules, à quoi d'autre auraient-ils pu servir ? C'était une stratégie de l'affrontement. Les forces de l'ordre doivent tirer des conclusions de ce qui s'est passé. Cela ne peut pas se reproduire.
Je suis sorti de là profondément touché, amer, car nous n'allions pas à Sainte-Soline pour cette violence, pour voir des blessés très graves, mais pour manifester dans un esprit festif, pour défendre nos valeurs. Notre société vit un moment d'extrême tension, de plus en plus palpable. Il y a neuf limites planétaires, six ont été dépassées et la dernière concerne le cycle de l'eau douce. Avoir 20 ans en 2023, ce n'est pas simple quand on considère les défis devant nous. Si personne ne répond aux aspirations de la jeunesse à une planète habitable, des gens emprunteront des voies qui ne seront pas celles de la démocratie représentative.
À vous entendre, vous détenez la vérité universelle. Vous êtes les grands défenseurs de l'intérêt général et cela justifie tout, y compris des actions illégales et la désobéissance civile. Vous vous étonnez, madame Tondelier, de l'image déplorable des écologistes aujourd'hui. Ce sont les comportements de vos amis qui l'alimentent. Certains bloquent le périphérique et cassent les pieds des usagers qui vont travailler. D'autres dégradent des toiles dans des musées. D'autres encore saccagent des cultures au mépris du travail des agriculteurs. Votre parti accueille en grande pompe le rappeur antisémite et homophobe Médine. Comment pouvez-vous, sans vous remettre en cause, vous étonner de l'image que renvoient votre mouvement et plus généralement l'écologie politique ?
Monsieur Biteau, nous sommes tous républicains et attachés à l'État de droit. En démocratie, il y a quelque chose qui s'appelle l'élection, la participation, la confrontation d'idées. Dans ma circonscription, j'ai moi aussi un méthaniseur industriel, à Fouchères. Il y a une formidable association qui s'oppose à son installation, qui le fait pacifiquement, avec tous les moyens légaux, et que je soutiens. Il n'y a pas de violence, pas de désobéissance civile, et tout se passe bien. Vous dites que votre mouvement est pacifique : ce n'est pas tout à fait vrai puisque vous soutenez et cautionnez des actions violentes. Vous parlez de violences policières, ce qui alimente la haine à l'égard de nos forces de l'ordre.
J'aimerais vous interroger sur une phrase prononcée le 6 juin dernier par une députée écologiste, Mme Sandrine Rousseau : « La seule issue à une colère populaire devient la violence. » Cela ne revient-il pas à inciter à la violence ? Vous qui vous dites pacifiques, qu'en pensez-vous ?
On n'est jamais déçu avec vous : vous êtes aussi sympa en vrai que sur les réseaux sociaux. Depuis presque deux heures, nous échangions sereinement, en élevant le débat, la discussion était intéressante… J'en profite pour remercier le président et le rapporteur qui cherchaient à décrire la vérité, sans objectif partisan. Nous ne serons pas d'accord sur tout mais nous en discutons et nous cherchons des compromis ensemble.
Monsieur Odoul, vous projetez sur les autres vos propres turpitudes. Vous faites, malgré nos explications, l'amalgame entre Europe Écologie-Les Verts et les Soulèvements de la Terre, et vous mélangez tout. Mais je ne veux pas insulter votre intelligence : je sais que vous le faites exprès, donc je ne vous répondrai pas. En revanche, je rebondirai sur un point. S'il suffisait d'être élu pour agir, cela se saurait. Et j'avais oublié de dire quelque chose au sujet du ministre de l'intérieur ! Il a déclaré, dans une matinale peu après Sainte-Soline, qu'il y a même des gens qui font de l'entrisme dans les conseils municipaux. De l'entrisme dans un parti, je vois ; dans une association, je vois ; dans un conseil municipal, ça s'appelle une élection et le ministre de l'intérieur devrait le savoir.
Je veux bien que vous nous interpelliez en tant qu'élus, monsieur Odoul. Mais justement, nous sommes élus et nous avons utilisé tous les moyens que la République nous offre : les recours en justice, la consultation de la communauté scientifique et la consultation des citoyens. Les enquêtes publiques ont donné des avis négatifs sur les bassines. Il faut que vous le sachiez.
La justice, la communauté scientifique, les enquêtes publiques nous donnent raison. Pourtant, des travaux sont engagés en vertu d'une décision préfectorale, comme cela a été le cas à Sivens ou pour les bassines finalement interdites de La Laigne et Cram-Chaban. On mobilise énormément d'argent public pour ces équipements ; c'est l'angle mort de notre réflexion. Comment, quand on est élu et attaché au respect de l'expertise scientifique et des décisions de justice, demander le respect de l'État de droit, sinon en manifestant aux côtés des citoyens ? Les élus doivent être en tête de ces cortèges. Je me demande même si ce ne sont pas les élus qui n'étaient pas aux côtés de ces 30 000 citoyens, à Sainte-Soline, qui sont dans l'erreur.
Regardons l'histoire des droits de l'homme. Les luttes pour l'abolition de l'esclavage aux États-Unis, contre l'apartheid en Afrique du Sud, pour le droit à l'avortement en France ont commencé par des manifestations interdites. Qui contesterait aujourd'hui que ces mouvements populaires ont fait avancer le droit ?
Les bassines participent d'une agriculture industrielle prédatrice de nos biens communs. Elles ouvrent une nouvelle brèche, celle de la dérégulation du cycle de l'eau. C'est catastrophique et nous allons tous en pâtir. Que des gens s'élèvent contre cette évolution permet d'ouvrir un débat dans la société. Nous sommes élus pour défendre un autre modèle agricole et nous sommes à notre place dans ces manifestations. L'erreur, c'est d'avoir interdit le rassemblement : s'il ne l'avait pas été, il n'y aurait pas eu de rupture avec les organisateurs et la suite aurait été différente. Cette rupture, à mon sens volontaire, a servi à scénariser tout ce que l'on a vu. Elle n'était pas recherchée par les manifestants.
Ayant été sur place hier, je ne suis pas sûr que cette rupture ait été volontaire. Ce n'est pas ce que j'ai entendu des représentants de l'État et des forces de l'ordre. Un faisceau d'indices laisse penser que des actions ont été engagées pour créer le lien. Nous sommes d'accord sur un fait : il n'a pas été établi. Je vous laisse évidemment juge de votre interprétation sur l'origine de cet échec. Cette rupture est en elle-même un problème. Le dialogue est important dans un État de droit. Si l'on va vers un affrontement, tout le monde est perdant. Personne n'a voulu la violence, sauf peut-être quelques-uns.
Je ne pense pas que ce soient les forces de l'ordre qui aient cherché à scénariser cette journée. Cette rupture n'a été voulue ni par elles, ni par nous. Cela s'est passé bien au-dessus !
J'adresse mes félicitations au président et au rapporteur de cette commission. Votre propos préliminaire a apporté de l'équilibre par rapport aux formulations initiales de la commission et il a élargi la perspective.
Sainte-Soline est le symptôme d'un mal plus large qui frappe nos pays : ce n'est pas seulement en France que l'on constate un raidissement considérable vis-à-vis de l'expression démocratique. J'appelle votre attention sur le concept de désobéissance civile. Par définition, c'est une proposition d'action militante qui sort du cadre de la loi. Mais, y compris en tant qu'élu et en tant que législateur, il faut entendre que c'est une façon de militer qui ne sort pas de l'arc républicain, dans la mesure où elle rejette la violence contre les personnes. À ma connaissance, le mouvement écologiste est le seul qui, au cours de ses cinquante années d'existence, a toujours exclu, y compris dans ses formes de radicalisation les plus importantes, cette violence contre les personnes. Les mouvements traditionnels ont parfois, à droite comme à gauche, eu recours à des attentats. Le mouvement écologiste, tout au long de son histoire, qui n'est pas uniquement française, l'a toujours refusé. Ce n'est pas parce que nous sommes meilleurs que les autres, mais parce que la non-violence occupe une place centrale dans notre corpus politique. Nous considérons que l'acceptation de nos idées par les gens est déterminante pour leur succès. Nous avons donc, dans notre militantisme de terrain, une expérience de l'intégration de formes de désobéissance. Leur rôle dans l'histoire du progrès humain vient d'être rappelé. Nous connaissons cette tension entre légalité et légitimité et nous l'intégrons à nos réflexions. Nous sommes prêts à débattre de débordements. Mais, je le redis, le mouvement écologiste a toujours refusé toute violence contre les personnes.
Nous n'avons pas abordé de front la question de la doctrine du maintien de l'ordre. Vous cherchez à comprendre l'origine de la violence de certains manifestants. Mais il faut entendre que la manière dont le maintien de l'ordre est exercé a une incidence sur la manière dont s'expriment les manifestants. C'est la moindre des choses, d'ailleurs : le maintien de l'ordre cherche à minimiser la violence. En tant que députés européens, qui regardons ce qui se passe dans d'autres pays, j'ai le regret de dire que la France est une exception et que nous n'obtenons pas les meilleurs résultats. Tout à l'heure, une question légitime était posée : faut-il manifester quand les conditions d'un défilé serein ne sont pas réunies ? C'est un vrai débat mais cela fait longtemps que la sérénité n'est plus là. Que se passe-t-il ? Je le dis solennellement mais vous le savez bien, en tant que députés dont le rôle est aussi de contrôler l'exécutif : c'est une question fondamentale. On peut faire autrement.
Dans le contexte de la crise climatique et des tensions qu'elle entraîne, notamment le refus croissant des modèles actuels de représentation politique, il revient aux élus que nous sommes de comprendre que les modes d'intervention militante évoluent. Les corps intermédiaires traditionnels ne sont plus seuls, même si je ne conteste pas leur utilité puisque je milite dans un parti. Mais les modes d'expression changent. Ils sont plus liquides, plus horizontaux. Soit on refuse d'en entendre parler et on les réprime ; soit on les intègre au débat démocratique. Quand le pouvoir réagit sans opérer la distinction entre ceux qui viennent en découdre et les autres, il crée une usine à fabriquer de la violence. Les gens pensent que c'est leur seule issue. Parce qu'en tant qu'élus, nous voulons faire vivre la démocratie, nous devons condamner la violence contre les personnes dans les expressions politiques, comme nous l'avons fait à de multiples reprises, mais nous devons aussi nous organiser pour éviter toute aggravation de la situation.
Un dernier mot sur le terme « écoterrorisme ». Pour tout dire, je pense que la façon un peu légère dont cela a été traité est liée au fait que ce sont des écologistes qui étaient visés. Mais parler de cette façon, c'est grave ! Regardez quels sont les régimes politiques dans lesquels les gens au pouvoir qualifient leurs opposants de terroristes : vous n'y trouverez aucune démocratie. Le rôle des parlementaires est de contrôler l'action de l'exécutif et cela comprend les mots qu'il emploie. Il y a des termes qu'on ne peut pas utiliser à la légère : non seulement en raison de l'histoire récente, mais au-delà parce que celui-ci disqualifie l'opposant et empêche tout dialogue. Or, quelle est l'espérance de vie d'une démocratie où l'on tue la capacité à dialoguer ?
Vous avez une occasion en or, à partir de ce qui s'est passé à Sainte-Soline, de pointer les responsabilités mais aussi d'élargir la perspective. Les parlementaires, nationaux et européens, ont un travail énorme à mener pour résister à la régression démocratique. Elle est évidemment plus grave dans d'autres pays que le nôtre. La menace est réelle et elle ne s'éloignera pas d'elle-même.
Je vous remercie d'avoir créé le cadre de ce dialogue. Nous venons devant vous pour exprimer notre inquiétude, sur les bassines, sur l'exploitation des ressources naturelles, mais au-delà sur la nécessité de préserver un cadre démocratique de dialogue.
La commission se penche, depuis le début de ses travaux, sur les modalités de ce schéma national du maintien de l'ordre. Notre réflexion porte notamment sur la meilleure manière de contenir des personnes qui arrivent dans des manifestations avec des intentions violentes, et qui peuvent par là même délégitimer la cause au nom de laquelle la manifestation a lieu. Si Mme Tondelier a sollicité la commission, c'est aussi parce que la cause environnementale a souffert de ce détournement.
Je vous propose de nous en tenir là.
Puis-je ajouter un mot, monsieur le président ?
(Sourires.)
Il est vrai que nous avons été très longs. Je constate d'ailleurs qu'il ne reste que des députés écologistes dans la salle à part vous, monsieur le président. (Sourires.) Les écologistes sont non violents, mais ils ne lâchent rien !
Je voudrais dire en conclusion que, non seulement on peut faire autrement, mais que l'on doit faire autrement. Nous en sommes convaincus, comme l'ensemble de notre famille politique. Nous allons faire autrement. La non-violence nous est chère, comme la désescalade et l'apaisement. Quand je suis allée voir la Première ministre quelques jours après Sainte-Soline, nous avions titré notre communiqué : « Apaiser ». Nous avions notamment demandé un moratoire sur les bassines. Je constate que les travaux d'une nouvelle bassine ont commencé la semaine dernière : c'est le contraire de l'apaisement. Nous serons toujours aux côtés de ceux qui recherchent la désescalade. Nous mettrons tout en œuvre pour y contribuer avec tous ceux qui le demanderont. Et si l'on ne nous demande rien, nous le ferons tout seuls !
Je vous remercie de votre venue devant la commission d'enquête. Les élus sont nombreux à souhaiter la désescalade et que la violence ne devienne pas une façon habituelle de revendiquer dans notre démocratie.
La réunion se termine à dix-sept heures quarante-cinq.
Présences en réunion
Présents. – M. Florent Boudié, M. Aymeric Caron, M. Philippe Guillemard, M. Patrick Hetzel, M. Benjamin Lucas, Mme Michèle Martinez, M. Julien Odoul, M. Michaël Taverne
Excusée. – Mme Emeline K/Bidi
Assistait également à la réunion. – Mme Marie Pochon