Si nous avions été co-organisateurs, nous n'aurions peut-être pas été dans la même situation à la veille de la manifestation. Nous aurions dialogué avec les autorités comme nous le faisons toujours. Il n'y aurait pas eu cette incommunicabilité. Si nous avions eu les mêmes éléments qu'à Bure, nous aurions sans doute pris la même décision. Mais le choix fait à Bure est aussi lié au traumatisme de Sainte-Soline. Je pense que si nous avions été co-organisateurs, nous n'aurions pas été placés en garde à vue comme Julien Le Guet, une semaine avant la manifestation, ce qui a ému tout le monde et n'a pas contribué à ce que les choses se passent bien. Enfin, il n'y aurait peut-être pas eu toutes les annonces qui, dans les jours précédents, ont créé beaucoup de tension. C'est en ce sens que notre participation à l'organisation de cette manifestation aurait, de fait, changé l'histoire.
Sur la question du continuum de violence, nous nous sommes mal compris. Lorsque j'ai utilisé cette expression, je parlais d'un continuum de violence envers les écologistes. À Hénin-Beaumont, je suis élue d'opposition au Front national depuis 2014 : on me traite de khmer verte à longueur de temps. C'est dangereux parce que c'est relayé dans la presse et que les gens s'imaginent que je pose des bombes. Que dire quand c'est le ministre de l'intérieur lui-même qui nous traite d'écoterroristes ! Il nous désigne comme des ennemis. Du reste, cette notion n'existe pas dans le droit, ni français ni international. À la rigueur, il peut désigner des actions terroristes contre la nature. De tels propos créent un continuum de violence parce qu'ils suscitent de la violence envers nos militants et qu'ils légitiment une répression inédite. À Sainte-Soline, on a tiré une grenade par seconde. L'émission Complément d'enquête a suivi le chef de l'opération toute la journée. À un moment, il s'écrie « Ils sont cons ou quoi ! » parce que ses hommes n'ont pas visé le bon cortège. On l'entend dire que « l'adversaire » est à un kilomètre. On est dans le registre de la guerre puisque le ministre nous a désignés comme des terroristes. Parler d'écoterrorisme, c'est légitimer la répression. On peut dire aux Français qu'on les a protégés. Il y a une vraie bataille de communication derrière cela. C'est en ce sens que j'ai parlé de continuum de violence.
Vous me demandez des éléments sur la psychologie des gens qui ont quand même décidé d'aller à la manifestation. Lorsque je vous réponds, vous me dites que je justifie leur action. Je n'ai pas décrit ma propre position : en ce qui me concerne, je continuerai pendant des décennies à combattre pour l'écologie et dans la non-violence. Ce n'est même pas une décision, c'est ma nature profonde. La désobéissance civile repose sur trois fondements : la non-violence, la défense de l'intérêt général et le fait d'agir à visage découvert. Nous assumons ce que nous faisons et nous le revendiquons. Tout à l'heure, je n'ai pas décrit ma position ; j'ai rapporté les propos que j'entends quand je discute avec les gens.