Je vous remercie de nous accueillir et de nous entendre pour des échanges que je sais républicains et que je souhaite sereins. Nous vous avons écrit au début de l'été pour demander à être auditionnés parce que l'objet de votre commission d'enquête nous tient à cœur. Les écologistes sont, de façon sincère, historique et constante, attachés à la non-violence. Chez Europe Écologie-Les Verts, nous avons toujours défendu l'idée que ce qui vient avec la violence n'aboutit jamais à rien de positif. La non-violence est au cœur de nos valeurs et de nos modes d'action, y compris la non-violence verbale dans nos échanges entre nous et avec les autres – la réciproque n'est pas toujours vraie. Nous regrettons et nous condamnons donc toujours les violences. Nous l'avons fait lors des événements couverts par votre commission d'enquête, mais pas seulement. Nous avons une sur le sujet position ferme et constante – j'insiste : constante. Nous espérons donc que votre travail permettra d'éclairer le Parlement et les Français. Une commission d'enquête nous semble un outil adapté pour établir les faits, les objectiver, avoir l'espace et le temps, loin du tumulte imposé par l'information en continu, de prendre le recul nécessaire à la manifestation de la vérité et au débat indispensable pour comprendre ce qui s'est joué dans ces manifestations.
Je me permettrai une remarque préalable. J'espère que vous n'en prendrez pas ombrage. Nous avons lu avec attention, au moment de son dépôt, le 4 avril dernier, le texte de la demande de commission d'enquête sur « la structuration, le financement, l'organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes entre le 16 mars 2023 et le 4 avril 2023 ». Nous avons également pris connaissance du rapport rédigé par la commission des lois. Deux inquiétudes nous sont venues à l'esprit et nous tenions à vous en faire part.
À la lecture du titre de la commission d'enquête et considérant tant l'aspect non transpartisan des signataires que les objectifs affichés par la résolution, on sent que la volonté n'est pas nécessairement de comprendre les dynamiques qui ont conduit à ces tristes événements. J'espère sincèrement que votre travail permettra de dépasser l'impression que peut laisser cette résolution d'une commission d'enquête très politique, qui chercherait à utiliser ce bel outil de notre vie parlementaire pour faire avancer un agenda partisan au détriment de la manifestation de la vérité.
Notre seconde inquiétude concerne le champ des violences traitées par votre commission. Durant la période du 16 mars au 3 mai 2023, de nombreuses violences ont été commises contre des militants écologistes. Vous l'avez évoqué en introduction, en liant d'ailleurs les faits. Ainsi, le 27 mars, une manifestation non autorisée, elle non plus, a abouti à l'effraction par des dizaines de personnes du domicile de la présidente de Sea Shepherd France. Deux jours auparavant, deux militants de la même association avaient été passés à tabac. La presse n'en a que peu parlé, voire pas du tout. Ce ne sont pas les seuls exemples. J'en tiens une série à votre disposition. Les violences envers les écologistes, attisées au plus haut sommet de l'État – nous y reviendrons si vous le souhaitez – sont réelles et en recrudescence, à tel point que nous travaillons avec de nombreuses associations à créer un observatoire des violences faites aux écologistes pour mieux les objectiver et accompagner leurs victimes.
Il y a trois semaines, le maire d'une commune de Corrèze a défilé sur un char arborant une banderole « Mort aux écolos ». Un maire, élu de la République, appelant à la haine envers les écologistes : qui s'en est ému dans la majorité, au Gouvernement ? Personne. C'est aussi cela, le continuum de violence en France. En tant que secrétaire nationale d'Europe Écologie-Les Verts, qui condamne toutes les violences, je tiens à saisir cette occasion pour alerter les parlementaires. Vous êtes membres de cette commission d'enquête. Vous êtes a priori sensibles à la question des violences. Le sujet des violences à l'encontre des militants écologistes mérite aussi votre attention.
Trois députés européens, David Cormand, Benoît Bitau et Claude Gruffard, et un sénateur, Daniel Salmon, m'accompagnent. Nous avons vécu ensemble cette terrible journée du 25 mars à Sainte-Soline et nous sommes venus solidairement répondre à vos questions. Europe Écologie-Les Verts fonctionne ainsi. Nous répondrons à vos questions sur ce que nous avons vu ce jour-là, sur ce que nous avons dit avant, fait pendant, analysé depuis, en toute sincérité, en toute transparence et même avec soulagement. Il est en effet important pour nous de concourir à l'établissement de la vérité sur cette séquence. Par ailleurs, nous étions présents dans toutes les manifestations contre la réforme des retraites : nous pourrons donc aussi vous répondre sur ce sujet.
Je vous ai écrit, monsieur le rapporteur, pour vous demander de nous auditionner, parce que c'est le rôle d'un parti politique de témoigner. Ce qui s'est joué à Sainte-Soline, la nature des violences, leur traitement médiatique, la bataille de communication qui s'est politiquement jouée ensuite, la posture du ministre de l'intérieur et les diverses récupérations politiques qui s'en sont suivies sont un fait politique qui mérite l'attention de l'Assemblée nationale et des Français. Comme vous pourrez le constater en entendant nos témoignages, il reste encore beaucoup d'émotion. Ces quelques heures d'une intense violence ont laissé des traces chez tous les participants et beaucoup ont vécu un sérieux traumatisme, nécessitant l'organisation par notre mouvement, à destination de nos adhérents présents, de séances de suivi psychologique assez édifiantes.
Parmi les 30 000 manifestants présents, dont l'immense majorité sont des pacifistes convaincus et pratiquants, quelques-uns garderont des séquelles à vie. Nous cinq, ainsi que les autres parlementaires sur les lieux alors, avons essuyé dans les semaines suivantes un flot de critiques, non parce que nous aurions commis des violences, puisque chacun sait que ce n'est pas le cas, mais pour le simple fait d'avoir été sur place. C'est le moment pour nous d'expliquer pourquoi nous l'avons fait.
Évidemment, la première raison de notre présence à Sainte-Soline, ce sont les bassines et leur absurdité économique comme écologique. Pomper de l'eau dans des nappes phréatiques désormais rarement pleines – 72 % des nappes phréatiques sont actuellement en dessous de leur niveau normal – pour la stocker à l'air libre, où elle s'évapore, est une idée qui en dit long sur notre capacité à développer des solutions insensées pour faire perdurer un modèle agricole à bout de souffle. Tous les scientifiques le disent, le meilleur réservoir d'eau a été conçu par la nature : c'est la nappe phréatique.
Benoît Biteau, qui est aussi exploitant agricole en Charente, est devenu un expert de ce sujet. Nous pourrions en parler des heures mais tel n'est pas l'objet de vos travaux. Il n'a pas raté une seule des manifestations à Sainte-Soline. Nous étions d'ailleurs présents tous les deux à la manifestation précédente, en octobre 2022. Nous souhaitions venir ce 28 mars mettre en lumière cette lutte contre l'absurde, contre l'accaparement d'une ressource commune par quelques-uns. Lorsque la manifestation a été interdite, nous avons pris le temps d'échanger avec nos collègues. Les choses ont été simples et rapides. Quelque 200 militants d'Europe Écologie-Les Verts avaient annoncé s'être organisés pour venir et ils nous confirmaient maintenir leur participation. Compte tenu des risques anticipés, ma place était à leurs côtés. C'est aussi cela, être cheffe de parti. Les parlementaires qui m'accompagnent aujourd'hui ont tenu le même raisonnement car ils nourrissaient les mêmes inquiétudes concernant les risques encourus par les manifestants. Nous nous sommes dit que nous serions plus utiles à Sainte-Soline que devant notre télé. Évidemment, cela s'est confirmé : nous nous sommes trouvés à assister des blessés graves, en urgence vitale pour l'une d'entre elles. Une jeune fille âgée de 19 ans a pleuré pendant des heures, victime d'un tir tendu de grenade en pleine tête, puis atteinte par d'autres grenades une fois au sol. Regroupée avec d'autres blessés que nous avons tenté de protéger en formant une chaîne humaine, elle a été asphyxiée par des lacrymogènes et blessée à nouveau aux membres inférieurs.
Cela restera une expérience qui marque à vie, douloureuse, intimement et politiquement. Nous avons remué ciel et terre pendant des heures, appelé les services de la Première ministre, échangé avec la préfète et les services de secours, qui nous ont répondu. Nous pouvions voir à quelques dizaines de mètres des ambulances mais, pour des raisons que vous éclaircirez peut-être, il a fallu des heures pour que les blessés les plus graves soient pris en charge. Nous n'oublierons jamais la peur, la souffrance, les pleurs, l'impuissance. Nous demandons que la lumière soit faite. Compte tenu du nombre de forces de l'ordre, il est incompréhensible que les secours n'aient pas été organisés en conséquence. C'est une faute lourde. Ce n'est pas la seule.
En tant que cheffe d'un parti politique, ce que je souhaite avant tout, c'est que nous puissions faire l'effort de l'objectivité et sortir des querelles partisanes face à des événements aussi graves que ceux qui se sont déroulés. Plusieurs dizaines de gendarmes ont été blessés, certains gravement, et également plusieurs centaines de manifestants dont certains restés plusieurs semaines entre la vie et la mort. J'aimerais qu'un message soit retenu : en tant que parti politique, nous sommes une force de médiation entre un mouvement social qui porte une colère légitime, que nous comprenons peut-être mieux puisque nous en sommes proches, et les institutions, qui sont malheureusement encore trop inactives face aux immenses défis environnementaux qui se révèlent à nous. Je rappelle que la justice européenne et la justice française condamnent certaines de ces institutions pour inaction climatique, pour manquement à la qualité de l'air, pour non-respect des règles européennes sur la chasse, pour absence d'une politique visant à protéger la biodiversité. Ce n'est donc pas une vue de l'esprit.
C'est dans cet état d'esprit que j'ai rencontré la Première ministre peu après Sainte-Soline. J'ai bénéficié, je dois le dire, d'une grande écoute. J'ai remis le sujet sur la table le 30 août dernier, lors des fameuses douze heures de réunion entre Emmanuel Macron et les chefs de partis à Saint-Denis. Je continuerai de le faire.
Nous pensons que le Gouvernement fait une erreur de jugement significative en refusant de s'appuyer sur les corps intermédiaires pour comprendre les attentes de la société et mener une action davantage partagée par nos concitoyens. Tous les partis politiques, les syndicats, les militants du climat, les associations ne sont pas des forces de blocage mais des relais puissants. Les criminaliser, comme on l'a vu hier avec le placement en garde à vue du patron d'une des plus grandes fédérations de la CGT, est inquiétant. Cela revient à nier l'importance des syndicats pour mener le dialogue indispensable à une transformation de notre société. Nous leur devons beaucoup des droits dont nous bénéficions aujourd'hui.
D'une manière globale, nous sommes inquiets de voir céder à la tentation de criminaliser les opposants plutôt que de dialoguer avec eux. Qualifier les militants écologistes d'écoterroristes, comme l'a fait le ministre de l'intérieur, pourtant garant de nos libertés publiques et de la cohésion des institutions, et ce, sans fondement juridique, ne fera pas disparaître le défi écologique. Par ailleurs, cela nous met en danger. Tenter de dissoudre Les Soulèvements de la Terre sans fondement juridique sérieux ne fera pas disparaître le problème sur lequel ils alertent. La décision du Conseil d'État rendue cet été suite à notre référé montre, avant même le jugement au fond, que les atteintes aux libertés associatives prennent aussi une tournure inquiétante dans notre pays. Le communiqué de presse du Conseil d'État sur ce sujet est édifiant. Le Mouvement associatif, fédération qui représente des associations, l'expliquerait mieux que moi. Mais nous pouvons échanger sur le sujet parce que nous sommes plusieurs ici à beaucoup le travailler.
Les partis politiques, les syndicats, les associations ont la responsabilité de capter les mouvements de la société pour les inscrire dans le champ démocratique. Il faut reconnaître cette fonction et la protéger au risque d'un affaissement démocratique que nous redoutons tous. En démocratie, on dialogue, on convainc, on construit des accords, on acte des désaccords. On ne criminalise pas ses opposants. Nous devons aux Français de ne pas récupérer les violences pour faire avancer un agenda politicien, mais bien de prendre le recul nécessaire à l'établissement de la vérité afin d'éclairer les mécanismes qui ont abouti à ces événements. Avec nos collègues, nous ferons notre part en vous livrant notre témoignage. Cette audition ne suffira pas, mais nous espérons qu'elle contribuera à ce débat que nous sommes déterminés à mener jusqu'au bout.