Ce n'est pas le constat que nous faisons. L'Association de protection, d'information et d'études de l'eau et de son environnement s'est fait retirer une subvention destinée à financer des animations nature pour avoir co-organisé la manifestation d'octobre 2022.
Les choses peuvent pourtant bien se passer : lors du rassemblement contre le projet de contournement Est de Rouen, le maire de Val-de-Reuil, qui est aussi le numéro trois du groupe LVMH, a prêté des tentes, des tables et des chaises, comme le font de nombreuses communes pour l'organisation de manifestations avec lesquelles elles ne sont pas forcément d'accord. À Poitiers, le débat sur la désobéissance civile organisé par Alternatiba s'inscrivait au milieu d'un festival de deux jours. Or, la ville, qui subventionnait ce festival comme tant d'autres, s'est vue notifier par la préfète une interdiction de verser cette dotation. Un contentieux est d'ailleurs toujours en cours.
En 2023, à part le Président de la République, tout le monde a compris qu'il fallait prendre un peu moins l'avion. Or, il existe un projet d'extension de l'aéroport de Lille-Lesquin. Comme Lille est une ville importante en Europe, des militants de plusieurs pays, opposés au projet, se sont rassemblés à la Maison régionale de l'environnement et des solidarités. Les militants de cette association vieille de quarante ans, qui n'ont pas des têtes d'écoterroristes, n'ont fait que prêter leur salle. Je ne sais pas ce qu'il s'y passait, sans doute des réunions de coordination, mais voilà qu'un journaliste de BFM Lille présent devant les locaux a affirmé que les militants suivaient une formation à la désobéissance civile. Ce n'était pas vrai mais il n'en a pas fallu davantage pour que le président de région, Xavier Bertrand, signale au préfet une suspicion d'infraction au contrat d'engagement républicain et lui demande de couper les subventions de l'association. Elle ne participait même pas à la réunion !
Nous assistons donc à une répression disproportionnée. Je ne veux pas que la loi ne s'applique pas. Quand on désobéit, on sait ce qui nous attend. Ceux d'entre nous qui ont fauché des OGM ont assumé leurs actes. Je déplore simplement que le droit ne soit pas appliqué partout de la même façon.
Il est de la responsabilité de l'État de garantir la liberté de manifester. On ne peut interdire toutes les manifestations. L'exemple de Sainte-Soline montre que l'interdiction n'est un gage de sécurité ni pour les manifestants, ni pour les forces de l'ordre. C'est un échec sur tous les plans puisque cette décision a mis en danger les individus qui ont manifesté quand même et les forces de l'ordre. Si l'on interdisait une seule manifestation tous les dix ans, pour un motif d'une particulière gravité, les militants se résoudraient peut-être à ne pas y participer. Or, il est devenu monnaie courante d'interdire des rassemblements et de dissoudre des associations. Avant l'élection d'Emmanuel Macron, il y avait en moyenne 1,5 dissolution par an ; depuis le début de son premier mandat, il y en a 5,5 par an. L'annonce d'une dissolution ne suscite plus vraiment d'émoi car on s'y est accoutumé. C'est un vrai risque pour nos libertés publiques. Si un groupement se situe en dehors des clous et agit de manière dangereuse, il existe des motifs permettant de déroger à la liberté d'association. Mais la décision rendue en référé par le Conseil d'État montre, comme le confirmera sûrement le jugement au fond, que la dissolution des Soulèvements de la Terre était insuffisamment fondée et ne respectait pas l'État de droit. Peut-être y avait-il des raisons de sanctionner cette association ou de la surveiller, ce qui est déjà fait, de manière très lourde, depuis des mois. Mais la dissoudre était injustifié.