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Intervention de Benoît Biteau

Réunion du jeudi 7 septembre 2023 à 14h00
Commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements

Benoît Biteau, député européen :

J'aimerais retracer la chronologie de cette escalade pour que chacun comprenne pourquoi 30 000 citoyens, un jour, se rassemblent à Sainte-Soline pour dire que les bassines ne leur conviennent pas. J'ai été vice-président du conseil régional de Poitou-Charentes et conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine. Je suis un paysan. Scientifique de formation, j'ai été recruté par l'État, à la fin des années 1990, pour travailler à la sortie d'un contentieux européen sur le dossier du Marais poitevin, dans lequel la France avait été condamnée par la Cour de justice des Communautés européennes pour sa gestion de l'eau. Plusieurs études avaient démontré qu'elle n'était pas bonne, même désastreuse. La gestion de la biodiversité n'était pas conforme aux directives Habitats et Oiseaux. On m'a demandé de trouver des solutions. Je rappelle que le Marais poitevin est le seul parc naturel régional ayant perdu son label en raison d'un contentieux européen. Rapidement, les travaux techniques et scientifiques que je conduis amènent l'État à prendre plusieurs mesures, transmises à la Commission européenne, pour mettre un terme au contentieux. Ce genre d'études est accompagné d'un travail de médiation, de consultation et de concertation avec les acteurs du territoire.

Au cours des discussions, mes approches scientifiques ne sont pas contestées. Mais les discussions avec le monde agricole font émerger la constitution des fameuses bassines comme une solution possible du problème. Il est admis qu'elles constituent une solution une fois que toutes les autres options ont été mises en œuvre – reméandrage des cours d'eau, mesures naturelles de rétention d'eau sur les bassins-versants, création de zones humides, reforestation. Elles sont une solution une fois que l'on a tout fait pour recharger les nappes phréatiques au maximum de leur potentiel, ce qui est l'idéal. S'il s'avère que des déficits en eau subsistent dans certaines zones, des projets de bassines peuvent être engagés.

Nous sommes dans cette situation parce que, en dépit des promesses faites à l'Europe, qui ont permis de clore définitivement le contentieux en 2005 et de récupérer le fameux label de parc naturel régional, les mesures proposées dans mon rapport n'ont malheureusement pas été mises en œuvre. Si les tensions sont si fortes, c'est parce que l'on appuie sur le bouton « bassines » pour construire des retenues de substitution avant d'avoir mis en œuvre toutes les autres options. Les bassines, que les scientifiques considèrent comme une solution potentielle une fois le territoire correctement aménagé, sont devenues une complication supplémentaire entravant la gestion de l'eau sur le territoire. Voilà pourquoi 30 000 citoyens se sont rassemblés à Sainte-Soline le 25 mars dernier.

Dans le premier projet, dix-neuf bassines étaient prévues. Leur nombre est tombé à seize parce que les promoteurs du projet ont pris conscience qu'il était surdimensionné, et parce que les premiers recours en justice des opposants leur donnent raison. Ils ne sont pas opposés aux projets d'irrigation et de stockage de l'eau, mais ils réclament que l'on crée au préalable les conditions de leur réussite. Ainsi s'explique la résistance à ces projets, d'autant plus forte qu'il y a beaucoup d'argent public sur la table. Ce dernier point est souvent un angle mort des débats. Si l'investissement public n'est pas conforme aux attentes des citoyens, certains entrent en résistance.

Les premiers recours sont donc une victoire et le projet est revu à la baisse, passant de dix-neuf à seize bassines. Nous attaquons en justice ce nouveau projet. Le 25 mars, jour du rassemblement de Sainte-Soline, tous les recours déposés par les associations de protection de la nature et de l'environnement ont été gagnés. Un seul recours a été perdu, après le 25 mars ; il fait actuellement l'objet d'une procédure devant la cour administrative d'appel de Bordeaux et nous sommes très confiants.

Des dysfonctionnements sont constatés sur le territoire et des solutions techniques existent, mais rien n'est fait malgré les promesses de l'État. La communauté scientifique est à peu près unanime pour dire que les bassines ne peuvent être une solution que si les conditions d'une bonne gestion de l'eau sont garanties. Tous les recours en justice contre lesdites bassines ont abouti. Comment fait-on, en tant que citoyen et, plus encore, en tant qu'élu, pour s'opposer à un projet qui, manifestement, va à l'encontre de l'État de droit ? Comment fait-on, lorsqu'on est attaché à la démocratie, à la justice et aux valeurs de la République, pour s'opposer à un projet rejeté par la société ? Je vous le demande en tant qu'élu : comment fait-on, quand on est attaché à l'État de droit, pour réclamer que celui-ci soit respecté si, en plus, on n'a pas le droit de manifester ?

Marine Tondelier a évoqué le recours déposé contre le projet de barrage de Sivens, qui a été gagné plus tard. À l'époque, j'étais administrateur de l'Agence de l'eau Adour-Garonne qui était le principal financeur du projet de Sivens. Je m'y suis donc rendu. Le projet s'est arrêté pour les raisons que vous connaissez et sur lesquelles je ne reviens pas. Mais je ne vous cache pas que c'est traumatisant, quand on a vécu Sivens et la mort de Rémi Fraisse, de vivre Sainte-Soline. Le projet s'est donc arrêté et, au terme de la procédure en justice, il est apparu qu'il n'était pas conforme à la loi. S'agissant du projet de bassines dans le marais poitevin, on a déjà un certain recul puisque le Conseil d'État a estimé que les cinq bassines de La Laigne et Cram-Chaban, financées par de l'argent public, ne sont pas conformes aux règles en vigueur en France et en Europe.

La stratégie qui consiste à avancer avec un rouleau compresseur, à utiliser l'argent public pour financer des projets dont les citoyens ne veulent pas et qui, une fois terminés, sont jugés illégaux, suscite de la résistance et des réactions parmi les citoyens et les militants écologistes. Face à une telle situation, que faire, sinon nous réunir et manifester notre désapprobation ?

Lorsque j'ai été auditionné au Conseil d'État, au moment où il devait statuer sur la dissolution des Soulèvements de la terre, le débat a tourné autour de la définition de la violence. C'est une atteinte aux personnes ou aux êtres vivants. La désobéissance civile, c'est autre chose : des gestes et des actions symboliques, qui n'ont d'impact majeur ni sur l'économie ni sur le fonctionnement de l'État. Quand quelqu'un se lance dans la désobéissance civile, il accepte la judiciarisation, mais il le fait pour alerter ses concitoyens. C'est grâce à la désobéissance civile que l'on n'a pas un grand parc militaire au Larzac, que l'on n'a pas le barrage de Sivens, que l'on n'a pas de gaz de schiste en France, que l'on n'a pas d'organismes génétiquement modifiés. La liste est longue. Elle rappelle que cette forme de lutte peut servir l'intérêt commun et garantir l'avenir des générations futures.

Marine Tondelier a évoqué les violences faites aux écologistes. Je rappelle que le 27 ou le 28 mars, par un hasard du calendrier, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la protection des défenseurs de l'environnement, Michel Forst, a publié un rapport dans lequel il manifeste sa vive inquiétude face à la violence que subissent les défenseurs de l'environnement, notamment en France. En tant que député européen, je vous invite à prêter attention au regard que porte la presse étrangère sur la France.

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