J'adresse mes félicitations au président et au rapporteur de cette commission. Votre propos préliminaire a apporté de l'équilibre par rapport aux formulations initiales de la commission et il a élargi la perspective.
Sainte-Soline est le symptôme d'un mal plus large qui frappe nos pays : ce n'est pas seulement en France que l'on constate un raidissement considérable vis-à-vis de l'expression démocratique. J'appelle votre attention sur le concept de désobéissance civile. Par définition, c'est une proposition d'action militante qui sort du cadre de la loi. Mais, y compris en tant qu'élu et en tant que législateur, il faut entendre que c'est une façon de militer qui ne sort pas de l'arc républicain, dans la mesure où elle rejette la violence contre les personnes. À ma connaissance, le mouvement écologiste est le seul qui, au cours de ses cinquante années d'existence, a toujours exclu, y compris dans ses formes de radicalisation les plus importantes, cette violence contre les personnes. Les mouvements traditionnels ont parfois, à droite comme à gauche, eu recours à des attentats. Le mouvement écologiste, tout au long de son histoire, qui n'est pas uniquement française, l'a toujours refusé. Ce n'est pas parce que nous sommes meilleurs que les autres, mais parce que la non-violence occupe une place centrale dans notre corpus politique. Nous considérons que l'acceptation de nos idées par les gens est déterminante pour leur succès. Nous avons donc, dans notre militantisme de terrain, une expérience de l'intégration de formes de désobéissance. Leur rôle dans l'histoire du progrès humain vient d'être rappelé. Nous connaissons cette tension entre légalité et légitimité et nous l'intégrons à nos réflexions. Nous sommes prêts à débattre de débordements. Mais, je le redis, le mouvement écologiste a toujours refusé toute violence contre les personnes.
Nous n'avons pas abordé de front la question de la doctrine du maintien de l'ordre. Vous cherchez à comprendre l'origine de la violence de certains manifestants. Mais il faut entendre que la manière dont le maintien de l'ordre est exercé a une incidence sur la manière dont s'expriment les manifestants. C'est la moindre des choses, d'ailleurs : le maintien de l'ordre cherche à minimiser la violence. En tant que députés européens, qui regardons ce qui se passe dans d'autres pays, j'ai le regret de dire que la France est une exception et que nous n'obtenons pas les meilleurs résultats. Tout à l'heure, une question légitime était posée : faut-il manifester quand les conditions d'un défilé serein ne sont pas réunies ? C'est un vrai débat mais cela fait longtemps que la sérénité n'est plus là. Que se passe-t-il ? Je le dis solennellement mais vous le savez bien, en tant que députés dont le rôle est aussi de contrôler l'exécutif : c'est une question fondamentale. On peut faire autrement.
Dans le contexte de la crise climatique et des tensions qu'elle entraîne, notamment le refus croissant des modèles actuels de représentation politique, il revient aux élus que nous sommes de comprendre que les modes d'intervention militante évoluent. Les corps intermédiaires traditionnels ne sont plus seuls, même si je ne conteste pas leur utilité puisque je milite dans un parti. Mais les modes d'expression changent. Ils sont plus liquides, plus horizontaux. Soit on refuse d'en entendre parler et on les réprime ; soit on les intègre au débat démocratique. Quand le pouvoir réagit sans opérer la distinction entre ceux qui viennent en découdre et les autres, il crée une usine à fabriquer de la violence. Les gens pensent que c'est leur seule issue. Parce qu'en tant qu'élus, nous voulons faire vivre la démocratie, nous devons condamner la violence contre les personnes dans les expressions politiques, comme nous l'avons fait à de multiples reprises, mais nous devons aussi nous organiser pour éviter toute aggravation de la situation.
Un dernier mot sur le terme « écoterrorisme ». Pour tout dire, je pense que la façon un peu légère dont cela a été traité est liée au fait que ce sont des écologistes qui étaient visés. Mais parler de cette façon, c'est grave ! Regardez quels sont les régimes politiques dans lesquels les gens au pouvoir qualifient leurs opposants de terroristes : vous n'y trouverez aucune démocratie. Le rôle des parlementaires est de contrôler l'action de l'exécutif et cela comprend les mots qu'il emploie. Il y a des termes qu'on ne peut pas utiliser à la légère : non seulement en raison de l'histoire récente, mais au-delà parce que celui-ci disqualifie l'opposant et empêche tout dialogue. Or, quelle est l'espérance de vie d'une démocratie où l'on tue la capacité à dialoguer ?
Vous avez une occasion en or, à partir de ce qui s'est passé à Sainte-Soline, de pointer les responsabilités mais aussi d'élargir la perspective. Les parlementaires, nationaux et européens, ont un travail énorme à mener pour résister à la régression démocratique. Elle est évidemment plus grave dans d'autres pays que le nôtre. La menace est réelle et elle ne s'éloignera pas d'elle-même.
Je vous remercie d'avoir créé le cadre de ce dialogue. Nous venons devant vous pour exprimer notre inquiétude, sur les bassines, sur l'exploitation des ressources naturelles, mais au-delà sur la nécessité de préserver un cadre démocratique de dialogue.