La séance est ouverte à quinze heures.
La commission auditionne Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français et M. Elie Patrigeon, directeur général.
Nous accueillons à présent Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français et M. Elie Patrigeon, directeur général de ce même comité. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d'enquête sur l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L'Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : l'identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, l'identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport, et l'identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d'une délégation de service public.
Le Comité paralympique et sportif français (CPSF) est l'instance du monde sportif qui représente, anime et coordonne l'ensemble des acteurs qui composent, en loisirs comme en compétition, une offre sportive à destination des personnes en situation de handicap. À ce jour, il compte quarante-cinq fédérations membres. Le CPSF est également chargé de la constitution et de la direction de l'équipe de France aux Jeux paralympiques.
Nous aimerions vous entendre sur l'action du CPSF dans le champ qui intéresse notre commission et sur les dysfonctionnements dont vous avez pu avoir connaissance. Nous souhaiterions aussi recueillir votre appréciation sur les dispositifs existants, l'action des différents acteurs et les évolutions récentes destinées à mieux répondre aux violences sexuelles et sexistes, aux discriminations et plus généralement, à renforcer l'éthique sportive. Nous aimerions plus généralement connaître votre appréciation sur les évolutions qui vous paraîtraient souhaitables. Existe-t-il des caractéristiques inhérentes au parasport dont nous devrions avoir connaissance sur les sujets qui nous intéressent, afin de mieux les prendre en compte ?
Paris 2024 approche et ces Jeux olympiques et paralympiques se veulent inclusifs, accessibles avec des conditions d'accès améliorées au parasport. Je rappelle que la France ne compte que 1,4 % de clubs proposant une offre sportive à destination des personnes en situation de handicap, et qu'il faut en moyenne à ces personnes, effectuer cinquante kilomètres pour trouver une structure accessible.
Votre audition sera aussi l'occasion de faire le point sur les moyens mis en œuvre et l'action conduite par le CPSF en lien avec les autres acteurs pour que les Jeux olympiques et plus particulièrement paralympiques contribuent à une plus grande visibilité et une plus grande accessibilité des personnes handicapées aux activités physiques et sportives en France.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d'entamer nos échanges pendant environ une heure, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
Les personnes auditionnées prêtent serment.
Merci de nous recevoir et de donner la parole au mouvement paralympique dans le cadre de cette enquête parlementaire. Je ne reviendrai pas sur les missions du CPSF, qui ont été décrites par la présidente. Je préciserai simplement que nous nous inscrivons dans un écosystème en grande évolution. Il y a quelques années, nous ne comptions qu'une dizaine de membres et ils sont aujourd'hui au nombre de quarante-cinq. Nous les animons donc en complémentarité avec le CNOSF (comité national olympique et sportif français) en prenant en compte la spécificité de l'accueil des personnes en situation de handicap.
Pour en revenir au sujet de l'enquête, nous considérons tout d'abord que le mouvement sportif se doit de lutter contre la discrimination envers les personnes en situation de handicap. Le sport est pour elles une pratique marginale et difficile, et le but premier du CNSF est de faire en sorte que les dispositifs de droit commun soient accessibles et mieux adaptés aux besoins des personnes en situation de handicap, et que les dispositifs spécifiques permettent d'accéder à une diversité de pratiques pour toutes les formes de handicap. Pour autant, depuis quelques années, nous élargissons nos actions à d'autres thématiques, et en premier lieu la féminisation des pratiques parasportives. Nous conduisons des actions particulières envers les femmes, dont la pratique parasportive est encore plus marginale que celle des hommes. J'en veux pour exemple la composition de l'équipe de France lors des derniers Jeux paralympiques d'été : les femmes ne représentaient que 25 % de notre délégation.
En termes de gouvernance, nous avons par ailleurs mis en application les nouvelles dispositions législatives en matière de diversité et de mixité au sein de notre organe exécutif, le conseil d'administration : sa composition est désormais paritaire et reflète la diversité des champs de handicap et des typologies de personnes.
Nous avons pleinement pris nos responsabilités en matière de violences sexuelles, dont le mouvement paralympique n'est malheureusement pas exempt. Nous avons centré notre action sur la libération de la parole des personnes en situation de handicap avec des ressources dédiées. Une personne est dédiée à ce champ de compétences au sein du CPSF. Sa mission consiste à rechercher, analyser et caractériser ces situations. Nous avons par ailleurs déployé un outil, le Réglo'Sport, qui vise à faciliter l'expression des personnes en situation de handicap. Certains comportements acceptés de tout le monde il y a dix ans ne sont plus acceptables désormais. Nous essayons d'accompagner l'ensemble des acteurs du mouvement parasportif dans cette direction : les entraîneurs, les éducateurs, les bénévoles et les sportifs. Notre but est d'améliorer la compréhension de ces comportements inacceptables.
Merci pour cette introduction. Vous êtes l'une des rares femmes à la tête d'un mouvement sportif. Vous étiez athlète de haut niveau – j'ignore si vous l'êtes encore – au moment de votre prise de fonctions. Quelle organisation particulière votre mission de présidente a-t-elle exigé, éventuellement en parallèle de votre carrière d'athlète ? Avez-vous dû surmonter des obstacles particuliers et si oui pouvez-vous nous les décrire ?
J'ai fait le choix de m'engager en tant que présidente du CPSF tout en poursuivant ma carrière sportive. Ma prédécesseuse m'avait suggéré de prendre sa succession. La Fédération française de handisport est également présidée par une femme. J'ai dû gérer deux obstacles principaux. Le premier était d'organiser mes temps de vie afin de concilier mon activité bénévole dans le mouvement et ma préparation aux compétitions – ce que j'ai pleinement assumé. Le second sur lequel nous devons collectivement agir était une forme d'autocensure que je me suis imposée. Lorsqu'on m'a proposé de présenter ma candidature à ce poste, j'ai eu tendance à ne pas me sentir à la hauteur en connaissance du système. J'ai eu la chance d'être soutenue par des personnalités du mouvement paralympique et du CPSF. Les instances devraient, je pense, s'efforcer de jouer davantage ce rôle d'accompagnement. Notre objectif est de faire naître un engagement durable de nos sportives de haut niveau au sein des instances. Nous pourrions mener des programmes dédiés. La création des commissions des athlètes en cours au sein des fédérations me semble aller dans ce sens. Le CPSF s'est lui aussi doté d'une commission des athlètes. Tout cela permet d'engager cette mutation et de tendre vers une meilleure représentation des femmes et de l'expression des usagers en situation de handicap.
Qu'en est-il du nombre et de la nature des signalements dont le CPSF a eu connaissance ces dernières années en matière de violences sexistes et sexuelles, de discrimination, etc. ? Quelles suites ont été données à ces signalements ? Quelles procédures appliquez-vous ?
J'aimerais tout d'abord souligner que nous avons très tôt pris nos responsabilités, par sensibilité, par connaissance des phénomènes. Nous ne sommes pas des opérateurs sportifs au quotidien, mais une tête de réseau. Nous sommes des opérateurs sportifs seulement lorsque nous conduisons les équipes de France aux Jeux paralympiques, une fois tous les deux ans. Nos capacités de leadership et d'action sont donc variables dans le temps.
Nous avons constaté que notre milieu était fortement touché par les violences à caractère sexuel et sexiste. Toutes les études épidémiologiques montrent en effet que les personnes en situation de handicap sont plus souvent victimes que le reste de la population, et ce quel que soit le degré de gravité de l'acte. Les femmes en situation de handicap sont encore plus vulnérables et a fortiori celles en situation de handicap mental. Connaissant la littérature disponible depuis une vingtaine d'années, nous avions conscience que nous avions besoin de nous positionner très tôt sur ce sujet au sein du CPSF. Dès 2019, nous avons souhaité mettre en place une stratégie – à l'époque parcellaire – qui a débouché sur la création d'une ligne d'écoute dédiée pendant les Jeux de Tokyo, afin de pouvoir accompagner les victimes et surtout de libérer leur parole. Il faut en effet souligner que les signalements dans le champ du parasport sont ultra-minoritaires, voire pratiquement marginaux : sur l'ensemble des cas signalés dans le cadre de Signal-sports, moins d'une dizaine concernait le parasport dont quatre ont été signalés par le CPSF. Pour de nombreuses raisons, la libération de la parole est difficile, mais sur les cas dont nous avons été saisis, nous nous sommes pleinement investis. Nous avons contribué à la formalisation de ces témoignages, le plus souvent par écrit et le cas échéant avec dépôt de plainte. Tous ces cas étaient difficiles. Quelle que soit la situation, vous vous heurtez toujours à des difficultés ou à une forme de résistance. Nous souhaiterions agir davantage mais il nous faut poursuivre notre travail de libération de la parole. Nous avons créé des outils spécifiques, dont le Réglo'Sport, à cet effet.
Les personnes en situation de handicap ont souvent besoin d'aide pour le transfert de leur fauteuil de vie à leur fauteuil de sport. Le contact physique que cela implique doit faire l'objet d'un consentement permanent, ce que nous essayons de rappeler au quotidien afin de combattre certaines « habitudes » qui n'étaient pas conformes à la liberté des individus.
Cette situation est assez contre-intuitive : les personnes en situation de handicap sont les plus exposées aux violences sexistes et sexuelles mais les signalements et les plaintes de leur part sont très rares. Sentez-vous que vos actions ont permis de davantage libérer la parole des victimes ? Des actions complémentaires vous paraissent-elles nécessaires ? L'un des objectifs de cette commission est d'élaborer des propositions concrètes qui puissent être mises en œuvre pour faciliter l'expression de la parole des victimes mais aussi et surtout pour prévenir de tels actes. Il semble que les efforts soient davantage portés sur l'aide aux victimes que sur la prévention. Des actions ont malgré tout été mises en place comme par exemple le contrôle d'honorabilité.
Un changement complet de paradigme doit être opéré. Cela prend nécessairement du temps. Vu le faible nombre de cas signalés, nous pensons qu'il existe un problème de libération de la parole et que ce sujet concerne l'environnement du pratiquant. Ce dernier doit trouver autour de lui des personnes qui soient a minima sensibilisées ou des outils pour régler une situation présente ou vécue dans le passé. Le déploiement de Réglo'Sport, soutenu par le ministère des Sports, dans l'ensemble des clubs fédérés du pays vise à permettre aux pratiquants concernés de prendre conscience d'une part que leur expérience personnelle porte atteinte à leur intégrité et d'autre part qu'ils peuvent se faire accompagner. Faire connaître les outils existants est donc fondamental et force est de constater que cette connaissance est insuffisante, aussi bien chez les pratiquants que chez leurs encadrants. De nombreux dispositifs ont été lancés ces dernières années et il faut les faire connaître le plus possible. Signal'Sport est bien maîtrisé à notre niveau désormais mais doit encore infuser dans l'ensemble des structures concernées. Tout cela requiert un énorme effort d'acculturation du milieu parasportif.
Il y a aussi un enjeu majeur de formation des acteurs. Certaines pratiques qui étaient acceptées – non pas qu'elles fussent acceptables – il y a une quinzaine d'années sont totalement prohibées aujourd'hui. Les acteurs doivent être formés de manière à pouvoir offrir un environnement bienveillant aux pratiquants.
Sans aller jusqu'à parler de présomption de culpabilité, la victime doit aussi avoir l'absolue certitude qu'elle sera toujours soutenue pour franchir les obstacles qui ne manqueront pas de se dresser devant elle. Certaines personnes accusées produiront des attestations pour nier les faits, des contre-témoignages d'autres femmes entraînées par le même homme, etc. Nous ne sommes pas des juges mais des accompagnateurs et nous voulons que la présumée victime ait la certitude qu'elle sera accompagnée jusqu'au bout. Malgré les déclarations de principe et les communications auprès des délégations, cela n'est pas suffisamment ancré dans l'état d'esprit des pratiquants.
Tous ces changements seront donc longs. Nous sommes malgré tout assez optimistes car nous avons observé une certaine mobilisation de la part des acteurs et notamment au cours des deux ou trois dernières années.
Le principe est très simple. Les personnes atteintes par un handicap, et qui ont besoin d'un accompagnement d'ordre médical, ont besoin de comprendre que certains gestes ne sont pas acceptables. Cet outil a été développé par le CPSF en collaboration avec Marie Rabatel, qui a joué un rôle primordial. Le Réglo'Sport se présente sous la forme d'une réglette, qui indique, pour une quinzaine de situations différentes, quels gestes sont considérés comme acceptables, lesquels sont susceptibles de donner lieu à une alerte et lesquels imposent le déclenchement d'un signalement. Ce système permet donc à la personne en situation de handicap de caractériser une situation dans laquelle elle n'est pas censée se trouver, sachant que la personne n'a pas forcément la capacité de le comprendre par elle-même. Le Réglo'Sport est donc un outil d'aide à la décision. D'ailleurs, s'il a été conçu à destination des personnes en situation de handicap, il a intéressé le CNOSF car il peut aussi être utile pour d'autres publics. Il peut notamment aider des enfants à comprendre quels gestes sont anormaux. Il peut les aider à confirmer leurs doutes quant à une situation donnée.
Dans le cadre des Jeux de Tokyo, nous avons souhaité que tous les cadres et les athlètes de notre délégation suivent une formation d'une heure sur les violences sexuelles.
Nous allons lancer des actes de recherche afin de comprendre en quoi ces violences peuvent constituer un frein à la pratique parasportive féminine.
La question des violences pourrait être traitée à l'instar du dopage, avec la constitution d'une entité indépendante qui serait chargée d'accompagner le mouvement sportif sans le déresponsabiliser pour autant. La création de l'Agence française de lutte contre le dopage n'a pas déresponsabilisé les fédérations auprès de leurs athlètes et leurs encadrants.
Notre écosystème prend la mesure de la difficulté mais se heurte aussi à des obstacles, et ce dispositif d'accompagnement, de conseil et d'appui voire de contrôle pourrait vraiment être un levier utile à notre mouvement.
Parfois, les enquêtes administratives ou pénales déclenchées par des signalements n'aboutissent pas voire disculpent la personne mise en cause. Nous ne sommes pas des juges et nous avons besoin d'un accompagnement à notre niveau. Nous avons besoin de ressources juridiques et de conseil pour pouvoir prendre les décisions idoines. Les dirigeants des structures ne sont pas nécessairement au fait de ces sujets et ils sont soumis à des contraintes très fortes à tout niveau. Ils doivent avoir un moyen de trouver les réponses aux nombreuses questions qui se posent lorsqu'un témoignage leur est soumis.
De nombreuses autres personnes auditionnées par notre commission ont appelé à la création d'une entité extérieure. Le CNOSF, que nous avons auditionné ce matin, était pour sa part défavorable à une telle mesure. Vu de l'extérieur, votre milieu s'apparente à un empilement de structures (clubs, fédérations, CNOSF, ministère des Sports, ANS etc.) et il n'est pas toujours simple de distinguer le champ de responsabilités de chacune.
Votre propos sur le besoin de formation des dirigeants est intéressant. Vous avez évoqué la situation de dirigeants qui sont en difficulté pour gérer ces affaires mais nous avons également entendu parler de dirigeants qui ont tendance à vouloir les éteindre, notamment au moment des Jeux olympiques. Pourriez-vous nous en dire plus ? Avez-vous déjà eu affaire à ce genre de cas et cela peut-il encore se produire aujourd'hui ?
On ne va pas se cacher qu'une forme d'omerta peut exister. Il faut se dire clairement les choses. Cependant, à notre niveau, tous les faits dont nous avons été saisis ont donné lieu à un signalement, ou tout du moins lorsque la situation était suffisamment caractérisée pour que nous puissions donner suite. Lorsque ce n'était pas le cas, nous avons cherché à accompagner la victime auprès de sa fédération pour que sa situation se débloque. Une entité indépendante devrait être dans une posture d'accompagnement mais aussi de contrôle quand les choses ne bougent pas suffisamment.
Nous avons procédé à nos premières sélections paralympiques. Nous appliquons systématiquement une clause de réserve à l'ensemble des sélections : si un athlète que nous avons sélectionné enfreint notre charte éthique et paralympique, il est susceptible de voir sa sélection annulée. Cela peut se produire en cas de dopage mais aussi à la suite de comportements répréhensibles. L'intégrité de chaque individu du mouvement paralympique passera toujours à nos yeux avant la performance sportive.
Nous sommes relativement surpris car vous avez relevé quatre signalements alors que le CNOSF déclarait pour sa part ce matin qu'il n'en avait relevé aucun. Avez-vous une explication ?
Je ne saurais répondre complètement à votre question sauf à vous dire que nos modes de fonctionnement sont différents. Le milieu parasportif est de plus petite taille, tant et si bien que nos rapports avec les fédérations sont plus étroits. Le CNOSF dialogue aussi bien entendu avec ses fédérations mais ces dernières jouissent d'une très forte autonomie en son sein. Une seule de nos fédérations, la Fédération française handisport, regroupe 75 % des athlètes paralympiques.
Par ailleurs, le CPSF est très lié à la place du handicap dans notre société. Nous sommes donc naturellement sensibilisés à toutes les dynamiques telles que celles découlant de la loi de 2005. Nous sommes donc attentifs aux sujets liés à la sexualité des personnes en situation de handicap et des violences institutionnelles, physiques et psychiques qu'elles sont susceptibles de vivre dans l'espace public. Il s'agit là aussi d'une différence culturelle par rapport au CNOSF.
Un joueur de tennis handisport relève-t-il de la Fédération française handisport ou de la FFT ?
Tout dépend s'il participe à des compétitions mais globalement, la FFT a obtenu délégation en 2017 pour gérer le paratennis.
Nous sommes en situation de signaler seulement en bout de chaîne, sauf si la situation survient pendant les Jeux paralympiques. Le signalement est donc en premier lieu du ressort de l'entourage du pratiquant. Si la responsabilité pesait seulement sur la direction des comités et des fédérations, nous risquerions de manquer de nombreux cas.
Nous avons évoqué ce matin la question de la relation entre les comités (CPSF ou CNOSF) et leurs fédérations. Qu'advient-il lorsque ces dernières ne signalent pas une situation ? Reprenez-vous alors la main ? Si un cas est signalé mais qu'aucune enquête administrative n'est engagée, avez-vous le pouvoir d'en déclencher une ou cette décision est-elle du seul ressort de la fédération ? Je rappelle qu'un signalement auprès de Signal-sports peut donner lieu à deux types d'enquêtes différents (enquêtes administratives ou judiciaires) mais encore faut-il que la fédération décide de l'enquête administrative.
Nous n'avons pas de pouvoir d'enquête et nous n'en voulons pas car nous ne sommes pas des juges et n'avons pas les compétences requises. Par ailleurs, notre rôle est d'accompagner la victime potentielle, y compris d'ailleurs si les autorités administratives ou judiciaires ne la reconnaissent pas comme telle. C'est la meilleure façon de libérer la parole que d'assurer à la victime que nous serons à ses côtés. Nous intervenons in fine si aucun signalement n'est effectué à un niveau inférieur. Signal-sports déclenche alors une enquête administrative ou pénale. Si les faits sont suffisamment graves et caractérisés ou revêtent un caractère d'urgence, rien ne nous empêche de saisir le parquet directement. Nous ne l'avons encore jamais fait mais la question s'est posée une fois et la situation pourrait se reproduire et nous ne nous empêcherions pas de le faire.
Tout à l'heure, vous disiez que les femmes étaient peu nombreuses dans le parasport ou dans les délégations paralympiques…
Quels besoins les pratiquantes ont-elles exprimé sur les sujets qui nous intéressent et sur lesquels nous pourrions agir ?
Cette question est très intéressante mais complexe. Une femme en situation de handicap se heurte à trois types d'obstacles lorsqu'elle souhaite pratiquer un sport. La première catégorie correspond à la place des femmes dans le monde du sport de manière générale. Nous essayons de lever ces obstacles à travers la question du rôle modèle, le développement de pratiques plus adaptées aux besoins des femmes – qui sont singulièrement différents de ceux des hommes, ce que le mouvement sportif doit comprendre et intégrer. Dans le même ordre d'idée, les femmes sont sous-représentées parmi les encadrants et les éducateurs. C'est aussi un frein à la pratique féminine.
La deuxième catégorie d'obstacles est liée à la situation de handicap. Nous en avons largement parlé. Les freins à la pratique du sport sont nombreux pour les personnes en situation de handicap, et variables selon la nature du handicap : manque de formation au sein des clubs, accessibilité du matériel, autocensure, etc.
Une troisième catégorie concerne spécifiquement les femmes en situation de handicap. Les sports d'hiver sont typiquement très peu répandus chez les personnes en situation de handicap dans la mesure où les infrastructures sont inadaptées.
Pour mieux agir, nous nous efforçons de mieux comprendre la situation. Or il existe très peu de données sur le parasport en France. Nous nous sommes alors tournés vers la littérature scientifique afin d'élaborer des plans d'action appropriés. Des objectifs ambitieux nous ont d'ailleurs été fixés en concertation avec le ministère des Sports en ce qui concerne les délégations des prochains Jeux paralympiques.
Pensez-vous que les travaux sur l'inclusivité des Jeux olympiques et paralympiques en cours au sein du CNOSF sont suffisants et quelles seraient les améliorations possibles selon vous ?
Pourriez-vous préciser la nature des travaux auxquels vous faites référence ?
Il s'agit des démarches pour l'accompagnement du handisport et l'accessibilité des structures.
Nous poursuivons trois objectifs dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques. Tout d'abord, nous souhaitons que l'équipe de France ait les meilleurs résultats possibles. Nous accueillons les Jeux olympiques en France et il est primordial que notre équipe nationale paralympique montre un visage conquérant et remonte au classement des nations. Nous avions besoin, pour atteindre cet objectif, d'un effort d'investissement dans la préparation paralympique, qui a fait figure de « parent pauvre » du haut niveau pendant de nombreuses années. Les fédérations sont aujourd'hui bien mieux dotées pour accompagner leurs sportifs de haut niveau. Le monde économique a pris la mesure de la situation et fait en sorte de mieux accompagner et sécuriser la préparation des athlètes. Enfin, des recherches scientifiques portent sur l'amélioration des performances des sportifs de haut niveau. Je ne prétendrai pas que la situation soit idéale aujourd'hui mais elle a considérablement évolué grâce aux Jeux. Pour nous, une équipe de France paralympique qui rayonne à l'occasion des Jeux est une équipe qui devient visible et contribue à faire évoluer la perception du handicap dans notre société. Les Jeux paralympiques sont un très beau levier pour éduquer toute une société et une génération en lui ancrant des souvenirs très positifs, ce qui contribuera à faciliter l'inclusion des personnes en situation de handicap dans la société.
Notre deuxième levier vise à renforcer la pratique sportive des personnes en situation de handicap afin qu'elle ne soit plus marginale. Nous accompagnons et responsabilisons les fédérations à travers des programmes à leur niveau comme au nôtre (dans le cadre des Jeux paralympiques). Nous avons pour objectif de former trois mille nouveaux clubs à l'accueil des personnes en situation de handicap d'ici la fin de la saison 2024-2025. Nous cherchons aussi à faciliter la mise en relation des clubs et des établissements et services médico-sociaux. Divers autres outils visent à accompagner aussi bien les pratiquants dans le choix de sa pratique sportive que les collectivités qui restent les premières financeuses du sport en France. Les collectivités ont la volonté d'agir mais elles ont besoin d'être conseillées et accompagnées, ce que nous essayons de faire grâce aux ressources du Comité paralympique, au niveau national comme à travers notre réseau de référents territoriaux.
Enfin, le troisième levier est à mes yeux le moins abouti : nous souhaitons que les Jeux contribuent à faire changer durablement la place des personnes en situation de handicap dans la société. Je pense tout particulièrement à l'accessibilité. Les Jeux ont permis à énormément de Français de réaliser que les conditions d'accessibilité représentaient une restriction à la liberté des personnes en situation de handicap. Force est de constater que les opérateurs de l'accessibilité sont en mouvement, mais pas suffisamment. Il s'agit donc d'accélérer la démarche et ne pas la laisser s'essouffler après les Jeux. Nous avons laissé passer six ans et même si nous avons constaté une accélération au cours des derniers mois, nous avons un agenda de long terme ambitieux. L'objectif est d'aménager l'espace public (les transports en commun notamment) de telle sorte que les personnes en situation de handicap retrouvent de l'autonomie. Les Jeux paralympiques peuvent nous permettre, comme cela a été le cas pour d'autres pays hôtes, de changer durablement le quotidien des personnes en situation de handicap.
La question de l'accessibilité est ressortie comme un fort enjeu pour les Jeux de 2024. Nous avons des informations assez divergentes à ce sujet. L'accessibilité est-elle garantie pour nos athlètes et pour le public ?
Merci de me donner l'occasion de clarifier mon propos. Nous étions inquiets il y a quelques mois à propos de l'accessibilité des sites olympiques pour les personnes en situation de handicap, et notamment pendant les Jeux olympiques puisque c'est là que l'affluence devrait être la plus importante. Cette inquiétude s'est quelque peu dissipée ces derniers mois dans la mesure où de nombreux dispositifs ont été imaginés pour permettre l'accessibilité aux personnes en situation de handicap pendant la durée des Jeux : billetteries dédiées, navettes, parkings, etc. Cependant, ce sont des dispositifs éphémères, et nous ne sommes donc pas complètement satisfaits. Nous regrettons que des décisions avec des effets plus pérennes et notables n'aient pas été prises. Nous nous efforçons malgré tout de garder un regard positif, et nous considérons que même si nous avons perdu quelques années, nous avons encore de nombreuses années devant nous pour obtenir des améliorations durables. Cela nécessitera une prise de conscience collective et des engagements forts. Des victoires rapides sont possibles, à condition de mobiliser les opérateurs avant les Jeux de 2024. Nous n'obtiendrons donc pas l'accessibilité du réseau de métro historique d'ici 2024 mais une quinzaine d'actions coup de poing sont possibles, ce qui permettrait d'assurer une certaine fluidité avant les Jeux. Des engagements à dix ou quinze ans pourraient ensuite être pris afin d'améliorer durablement la situation.
Pensez-vous que les engagements sur l'accessibilité seront tenus une fois les Jeux passés ?
J'attendrai de voir ce qu'il en est. Je n'ai pas d'indicateurs chiffrés. Il y a déjà un héritage qui est certain, c'est la place prise par le mouvement paralympique au sein de l'écosystème sportif français. Nous participons à sa gouvernance, ce qui n'était pas nécessairement le cas il y a quelques années. Nous sommes membres fondateurs de l'Agence nationale du sport. Nous pouvons nous exprimer au sein des conférences régionales du sport. La place du mouvement paralympique n'a jamais été aussi forte, ce qui démontre que notre singularité a vocation à être de mieux en mieux prise en compte. Nous avons réussi à mobiliser des acteurs dans le cadre d'actions ou de projets parce qu'ils ont compris le sens de leur action. L'idée n'est pas de forcer un acteur à s'engager contre sa volonté mais de lui montrer les implications positives pour le droit commun et pour le vivre ensemble. Nous avons mobilisé des acteurs du monde sportif, des collectivités, de l'Éducation nationale, de la santé, etc. Dès lors qu'ils auront été embarqués avec nous sur des projets concrets, je pense que notre relation perdurera car nos relations ne seront plus basées sur des hommes mais sur des enjeux concrets et partagés. Je suis donc optimiste mais il faudra aller encore plus loin si nous voulons obtenir une amélioration durable.
Oui, de nombreuses mentalités doivent encore évoluer.
La formation des clubs. Notre programme de formation Club Inclusif implique trois mille nouveaux clubs mais notre pays en compte environ cent quatre-vingts mille ! Nous devons donc envisager un changement d'échelle. Il faudra également faire en sorte de lever les freins individuels à la pratique parasportive en termes de compensation ou de remboursement du parcours de vie de la personne en situation de handicap. De nombreuses actions sont également possibles pour améliorer la situation du sport à l'école pour les personnes en situation de handicap. En six ans, de nombreuses améliorations ont été constatées. Je salue d'ailleurs la feuille de route ambitieuse établie par la ministre des Sports. Cela va dans le bon sens mais ces actions devront perdurer au-delà de 2025 car d'ici-là, nous n'aurons pas levé tous les freins sur l'ensemble du territoire et pour tous les types de handicap.
Il nous a été rapporté que les psychologues accompagnant les précédentes délégations olympiques étaient peu nombreux. Qu'en est-il pour les délégations paralympiques ? Quels seraient les leviers d'amélioration ?
Au sein même du CPSF, nous avons besoin de recruter dans cette spécialité médicale. L'inclusion de psychologues au sein de la délégation paralympique est toujours discutée. Cela étant, nous avons mis en place un partenariat avec l'association Colosse aux pieds d'argile qui a permis de créer une cellule d'écoute psychologique pour la période des Jeux. Cela permettait à une personne confrontée à une situation déstabilisante de trouver une écoute et un accompagnement. Ce n'est pas une prise en charge d'ordre médical mais un recueil de la parole effectif sur la durée des jeux.
Nous disposons de moins d'accréditations pour la délégation paralympique que la délégation olympique, et nous devons donc procéder à des choix encore plus drastiques en termes d'accompagnement. Nous n'avons droit qu'à un accompagnant pour trois athlètes contre un pour deux pour les Jeux olympiques. L'explication tient sommairement à des rapports de force financiers au niveau international. Nous nous retrouvons donc avec des contraintes accrues alors que les besoins d'accompagnement des athlètes sont plus importants.
N'hésitez pas à nous transmettre tout document que vous jugerez utile à la suite de votre audition. Merci de vous être déplacés.
La commission auditionne Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français (CNOSF).
Nous accueillons à présent Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Je vous remercie de votre disponibilité.
Nous avons entamé les travaux de cette commission d'enquête sur l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L'Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : l'identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, l'identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport, et l'identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d'une délégation de service public.
Après avoir été joueuse professionnelle de football puis professeure agrégée d'EPS, vous avez été secrétaire générale puis vice-présidente de la Fédération française de football où vous avez notamment travaillé sur la féminisation de la discipline. En juin 2021, vous avez été élue présidente du CNOSF après en avoir assuré la vice-présidence. Vous avez démissionné de vos fonctions le 25 mai 2023 à l'issue d'une grave crise interne et de fortes tensions avec votre prédécesseur, Denis Masseglia, que nous avons d'ailleurs entendu la semaine dernière. Votre audition sera l'occasion de revenir sur votre action à la tête du CNOSF mais aussi sur les dysfonctionnements qui ont agité la plus haute instance du sport français pendant un an, en donnant à la commission d'enquête votre version des faits.
Dans un courrier qu'il m'a adressé, M. David Lappartient insiste sur les dispositions essentielles apportées par la loi du 2 mars 2022, notamment en matière de parité ou de limitation des mandats. Pouvez-vous revenir sur les positions du CNOSF sur ces différentes mesures ?
Dans son courrier, M. Lappartient insiste sur les nombreux contrôles qui s'exercent sur les fédérations de la part du ministère, de la Cour des comptes ou de l'Agence française anti-corruption. De nombreux intervenants ont, au contraire, pointé la faiblesse de la tutelle en l'absence de regards extérieurs indépendants sur les questions d'éthique. Qu'en pensez-vous ?
En tout état de cause, votre prédécesseur, M. Denis Masseglia, dans un courrier qu'il nous a adressé à suite de son audition, insiste sur le fait que si le code du sport confie au CNOSF le soin d'être le garant de l'éthique et de la déontologie dans le sport, le texte n'est nullement accompagné par les moyens, notamment juridiques et disciplinaires, qui pourraient permettre au CNOSF d'agir. Partagez-vous ce constat ?
Comment avez-vous appréhendé cette mission ? Pouvez-vous notamment revenir sur les travaux de rénovation de la charte de déontologie qui datait de 2012 et qui n'a été modifiée qu'en 2022 ?
Pouvez-vous également revenir sur le contexte et les objectifs de la mise en place, au sein du CNOSF, en janvier 2022, d'une commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans les sports ? Comment s'articule son action avec celle du ministère des Sports dans ce domaine ? Quel bilan tirez-vous de son action ? Comment ces sujets étaient-ils traités au sein du CNOSF avant la création de cette commission ?
Nous aimerions plus généralement connaître votre appréciation sur les dysfonctionnements que vous avez été amenée à connaître dans les différentes fonctions que vous avez exercées et les évolutions qui vous paraîtraient souhaitables.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d'entamer nos échanges pendant environ une heure, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
La personne auditionnée prête serment.
Je vous remercie de m'avoir conviée à cette audition. Je suis ravie de pouvoir y participer. J'aimerais tout d'abord revenir sur mon action au sein du CNOSF. Dans le projet politique qui était le mien qui avait été co-construit avec l'ensemble des présidents lors de la campagne, nous avons considéré que la priorité pour le mandat 2021-2025 serait de renforcer le rôle du CNOSF et la représentation des dix-sept millions de licenciés, des trois millions de bénévoles et du million d'éducateurs qui le composent ainsi que de ses cent neuf fédérations. Il s'agissait aussi de mettre le CNOSF au service de ses membres et des territoires. La particularité de ma vision politique était que les comités départementaux olympiques et sportifs (CDOS) et leurs équivalents régionaux (CROS) devaient bien évidemment mettre en place leurs propres projets locaux, riches de leur connaissance du terrain, mais aussi décliner les priorités de ce projet politique national. Cela représentait une évolution par rapport au mandat précédent compte tenu de l'absence de rapport hiérarchique avec ces instances territoriales, qui pourtant sont les plus proches des clubs et des licenciés.
À partir de ce projet politique sur la base duquel j'ai été élue avec 58 % des voix, j'ai souhaité en premier lieu mettre en place, au sein du CNOSF, les structures nécessaires au déploiement opérationnel du projet. Mon programme politique comportait six axes : la sortie de la crise du Covid ; mettre le CNOSF au service de ses membres et des fédérations ; les grandes causes nationales (incluant les thématiques de l'éthique et de la lutte contre les discriminations, la santé et l'éducation) et la lutte contre le dopage (avec la création d'un département dédié) ; la transformation économique des fédérations – afin qu'elles ne soient plus dépendantes des subventions étatiques et des licences ; les relations internationales ; la réussite des Jeux (performance, mobilisation du mouvement sportif et héritage des Jeux).
Autre changement en ce début de mandat, je souhaitais mettre en place une gouvernance partagée et donc faire en sorte que les vice-présidents soient investis d'une délégation – ce qui était une évolution – et travaillent en binôme avec les directeurs afin d'être parties prenantes du projet et surtout de challenger les propositions des différents services.
Ma première grande décision, en lien avec la loi du 2 mars 2022, a été de rendre la composition du bureau exécutif paritaire (six hommes et six femmes), avec une présidente, une secrétaire générale adjointe et d'autres femmes vice-présidentes, et bien sûr six hommes tous présidents de fédérations. J'ai également fait en sorte qu'il y ait autant de directrices que de directeurs et surtout – car certains postes étaient vacants – que les écarts de salaires entre les hommes et les femmes puissent être réduits à ces postes. J'ai aussi demandé que les recrutements des membres de commissions soient organisés de manière à atteindre la parité. Cet objectif n'étant pas simple à atteindre, j'ai consenti à ce qu'un seuil de 40 % de femmes soit mis en place pour la première année de mon mandat. Enfin, j'ai fait en sorte que toutes les commissions institutionnelles soient dirigées par un homme et une femme aux postes de président et de vice-président. J'ai donc souhaité que nous montrions l'exemple en matière de gouvernance.
Pour rappel, en 2017, j'étais à la fois vice-présidente du CNOSF et vice-présidente de la FFF. À cette époque, j'ai animé des débats au sein du CNOSF à la demande de M. Masseglia sur des sujets tels que la parité, le nombre de mandats et les droits de vote des clubs. En 2019, j'ai été fortement sollicitée pour l'organisation de la Coupe du monde 2019 féminine en France. Durant cette période, j'étais donc moins impliquée au sein du CNOSF mais en tant que présidente, j'ai pu reprendre mes positions.
Je suis donc bien évidemment engagée depuis très longtemps en faveur de la parité. C'est mon combat de vie. Pour rappel, à l'époque où j'ai voulu jouer au football, les clubs n'acceptaient pas les femmes. Quand je faisais partie de l'équipe de France de football, nous n'avions pas accès au stade et nous nous préparions dans des conditions minimales. Mon engagement vise donc à permettre aux femmes de faire du sport mais également de pouvoir devenir entraîneures, arbitres, dirigeantes, etc.
Ma position à propos de la loi du 2 mars 2022 n'était pas nécessairement partagée par l'ensemble du mouvement sportif, mais j'ai finalement réussi à convaincre mes interlocuteurs. Je considérais en premier lieu qu'il était primordial de savoir combien de femmes occupaient des postes de responsabilité dans les organes de gouvernance, car cette information n'était pas connue pour les cent neuf fédérations. Nous avons alors constaté qu'il manquait environ trois cents femmes sur ces postes. D'où la création du Club des 300 dont je vous dirai quelques mots ensuite. Nous avons effectué un autre décompte au niveau régional et nous avons constaté qu'il y manquait trois mille femmes. Durant mes trente-cinq années d'engagement, j'ai toujours entendu que les femmes, on ne les trouvait pas… Mais ce n'est pas vrai, nous avons simplement besoin de constituer un réservoir dans lequel on identifie ces femmes. Il faut aussi les accompagner et les valoriser. La parité, ça ne se décrète pas, ça se construit. J'ai toujours parlé de mixité avant que de parler de parité, parce que je pense qu'une fois qu'au fil du temps, il a été possible de construire ce réservoir, une première case peut être cochée. La deuxième case à cocher est de trouver des hommes qui s'engagent et qui soient convaincus que la parité est une plus-value pour n'importe quelle organisation. Cela a été prouvé dans le monde de l'entreprise mais ce n'était pas le cas pour le mouvement sportif. La parité n'est pas qu'une affaire de femmes, c'est une affaire d'hommes et de femmes. L'idée était donc que la constitution de binômes mixtes offrirait de nombreuses possibilités : un travail d'équipe différent, une productivité accrue, le partage de convictions complètement différentes, etc. Il était donc important d'avoir des hommes portant ces idées. C'est aussi pour cela qu'il était important d'avoir des hommes co-présidents, et un bureau exécutif paritaire. J'avais avec moi des présidents qui étaient engagés en faveur de la mixité. Nous avons enfin créé le club de la mixité au sein du CNOSF.
Il est important de préciser que ce sont les présidents de fédération qui devaient proposer des candidates au CNOSF pour rejoindre le Club des 300. J'avais mené une expérience similaire au niveau de la FFF. Une fois encore, si ce ne sont pas les présidents de fédération eux-mêmes qui proposent des candidates, ce n'est plus une affaire d'hommes et de femmes, et le projet n'est plus porté par l'institution toute entière. La volonté politique est indispensable à l'atteinte de la parité.
J'avais donc souhaité que l'objectif de parité soit reporté à 2028 pour les territoires car comme vous le savez certainement mieux que moi, et comme les auditions précédentes l'ont montré, des contournements sont toujours mis en place. Il était insupportable pour moi d'entendre qu'une fois que la loi serait mise en place au niveau national ou régional, des modes de contournement allaient apparaître : des sièges destinés à des femmes resteraient vides car les fédérations ne « réussiraient » pas à les trouver. J'étais pour la parité effective et j'ai donc formulé une demande de fixer l'échéance à 2028 pour les territoires. Les deux raisons à cela étaient que la parité nécessite un certain temps pour se construire, et que les bénévoles sont difficiles à trouver à tous les échelons dans certaines fédérations étant donné que ces derniers sont déjà fortement impliqués au niveau des clubs et au niveau national. Il est donc parfois difficile de les mobiliser au niveau régional ou départemental. Pour autant, je suis certaine qu'avec des démarches proactives et volontaristes – et des moyens bien entendu – nous y parviendrons.
Je parle ici de la parité en nombre. Mais le mouvement sportif est-il prêt à révolutionner sa gouvernance pour permettre aux femmes d'accéder aux postes à responsabilités ? Je suis la preuve réelle que ce n'est pas le cas. On accepte aujourd'hui de voir des femmes au sein des instances de gouvernance mais sont-elles acceptées à leur tête ? Il y avait trois femmes présidentes de fédération : une n'a pas été réélue, une autre n'a pas été réélue alors qu'elle faisait office d'intermédiaire… S'il s'agit simplement de faire participer les femmes à la gouvernance et de se donner bonne conscience, sans que les femmes puissent jamais briser le plafond de verre et accéder aux responsabilités suprêmes sans risquer de se faire « tuer » ensuite pour porter des idées jugées trop révolutionnaires… Force est de constater que celles qui deviennent numéro un ne le restent pas longtemps.
En ce qui concerne le nombre de mandats, un débat a eu lieu au sein du CNOSF. Il s'est même prolongé après la promulgation de la loi. Je suis très partagée. Il peut être difficile de « décrocher » d'une fonction de président de fédération. Pour autant, en ayant une vision pragmatique, le premier mandat sert à mettre en place les fondations d'une réforme, le deuxième à faire en sorte qu'elle fonctionne et le troisième à en récolter les fruits. Cela représente donc douze ans. Cependant, si cela ne fonctionne pas, le renouvellement avant le troisième mandat est parfois nécessaire. Cela étant, j'ai aussi beaucoup travaillé à l'international, à travers la FFF ou le CNOSF, et il est vrai que pour devenir président ou secrétaire général d'une fédération internationale, avoir accompli trois mandats apparaît comme une nécessité. Il ne s'agit donc pas seulement d'être membre mais d'être numéro un ou numéro deux. Lorsque la France n'est pas présente à ces postes de numéro un ou de numéro deux au niveau international, son influence sur des décisions parfois très importantes est insuffisante. C'est la raison pour laquelle, avec Mme Roxana Maracineanu, à l'époque où j'étais vice-présidente, nous avons fait en sorte de ne pas « tirer une balle dans le pied » aux présidents et présidentes qui souhaitaient pouvoir représenter le sport français à l'international.
J'aimerais revenir sur votre utilisation du verbe « tuer » à propos des femmes qui réussissent à être élues à la tête d'une fédération. Pouvez-vous préciser votre propos ?
Il s'agit bien sûr d'un meurtre symbolique lié à la fonction, même si les avis sont unanimes à propos de la violence dont j'ai été victime. Un système est en place. Une stratégie médiatique a été mise en place contre moi car, en apportant des idées nouvelles, je ne respectais pas certains codes, et il a été compliqué de me faire accepter. Je connaissais bien évidemment le mouvement sportif avant de me porter candidate. La fédération à laquelle j'appartenais m'avait déjà apporté une expérience politique conséquente par le nombre de clubs et de licenciés qu'elle comporte. C'était suffisant à mes yeux pour que je considère connaître suffisamment le mouvement sportif mais finalement, j'ai découvert un univers que je ne connaissais pas. Être numéro deux n'est pas la même chose qu'être numéro un, et mon poste était envié à trois ans des Jeux olympiques. On m'a très vite expliqué que je ne pourrais pas changer le système mais ce n'était pas mon intention. Je souhaitais faire bouger les lignes du sport et je considère très humblement que j'ai réussi à en faire bouger certaines et à mettre des pierres en place. Le verbe « tuer » me semble juste.
Pensez-vous que vous avez été éjectée de ce poste parce que vous êtes une femme ou parce que vous avez voulu changer les choses au sein du CNOSF et du mouvement sportif ?
Ma particularité est que j'ai attaché énormément d'importance à la réussite de mon projet. On m'a rapidement reproché de vouloir aller trop vite, d'être une sportive de haut niveau et de ne pas forcément embarquer les autres avec moi. Comme vous le savez, lors de la mise en place d'un projet politique, on peut avoir affaire à trois types de comportement : ceux qui adhéreront immédiatement au projet et y apporteront de la dynamique, ceux qui suivront et ceux qui voudraient prendre votre place pour appliquer leurs propres idées. Je pense que le changement était tel, à travers le déploiement de ce projet opérationnel dans lequel une de mes caractéristiques a été de ne pas partager toutes les décisions que je prenais, que cela en a dérangé certains. Par exemple, il m'avait été demandé de ne pas choisir, au sein du bureau exécutif, des présidents de fédération qui n'avaient qu'un mandat à leur actif. Or mon seul critère n'était pas l'ancienneté mais la compétence, et j'ai donc choisi beaucoup de présidents et de présidentes qui n'avaient qu'un seul mandat. Voilà qui est constitutif de ce que j'appelle un système. Dès lors que je n'appliquais pas les codes auxquels certains étaient accoutumés, j'ai commencé à en déranger certains. Dans la mesure où la réussite du projet m'importait, j'ai peut-être attaché moins d'importance à ce que l'ensemble de l'écosystème soit satisfait. Certains se sont retrouvés avec une seule représentation au CNOSF au lieu de cinquante auparavant. D'autres ont perdu un avantage en nature, soumis à un vote en assemblée générale. J'ai bien senti que je ne me faisais pas que des amis.
À la suite de votre démission de la présidence du CNOSF, la ministre des Sports a appelé ce dernier à un « sursaut éthique et démocratique ». Selon vous, ce sursaut a-t-il eu lieu ?
J'aimerais que vous reveniez en toute transparence sur les dysfonctionnements qui ont agité la plus haute instance du sport pendant un an, et que vous livriez votre version des faits à la commission d'enquête. Et sans langue de bois…
Bien entendu, sinon je ne serais pas venue ! Concernant l'expression de la ministre, le CNOSF exclut de son conseil d'administration les fédérations de handball, de tennis et de judo, qui sont des fédérations importantes. Les statuts prévoient que le président soit élu, puis les quarante-huit membres du conseil d'administration. On peut s'interroger sur le fonctionnement de la démocratie au sein d'une instance censée représenter le mouvement sportif qui n'a aucun représentant de ces fédérations à son conseil d'administration à quelques années de l'organisation des Jeux olympiques. J'aurais aimé que ces fédérations puissent intégrer le conseil d'administration en formant une opposition d'idée. Mais les statuts ne le permettent pas. On m'a demandé pourquoi je n'avais pas donné de consignes pour que ces présidents de fédération ne soient pas élus par leurs pairs. Mais vous pensez bien que lorsque des présidents de fédérations vous soutiennent pendant quatre mois et participent à tous les débats puis jouent leur place au conseil d'administration, ils ne vont pas la laisser à ceux qui ne vous soutenaient pas… Si j'étais restée un peu plus longtemps, j'aurais aimé pouvoir commencer à modifier les statuts du CNOSF pour permettre, comme dans un conseil municipal, que les fédérations « d'opposition » puissent être représentées.
S'agissant de l'éthique, le comité d'éthique du CNOSF, qui était présidé à mon arrivée par Bernard Stirn, a accompagné les fédérations dans le cadre de la mise en place de la nouvelle charte éthique. Un important travail de concertation avec les fédérations a été nécessaire.
Comme c'était le cas à la FFF, ce comité d'éthique n'a pas de pouvoir disciplinaire. Les informations importantes qui étaient communiquées lors des réunions du conseil d'administration étaient déjà reprises dans la presse avant même que les réunions ne se terminent ! Et pourtant, au début du mandat, chaque administrateur, en signant une charte, s'était engagé à la confidentialité. D'évidence, certains ne respectaient pas cette charte mais le comité d'éthique ne pouvait pas leur infliger de sanction.
Le « sursaut éthique » évoqué par la Ministre faisait écho, à mon sens, aux procédures administratives et judiciaires en cours. La priorité, dans les affaires de violences sexuelles, est de protéger les victimes et de les prendre en charge. Mais entre le tribunal médiatique et le tribunal judiciaire, c'est très compliqué tant que l'affaire n'a pas abouti. Ma conviction est que nous devons protéger les victimes. Nous avons besoin de mesures conservatoires pour protéger les victimes le temps de l'instruction. Il reste beaucoup à faire, non seulement en termes de formation des dirigeants, mais aussi pour faire en sorte de préserver les victimes à la suite d'un signalement ou d'une suspicion. Beaucoup de choses ont néanmoins déjà été faites. Nous avons travaillé main dans la main avec la ministre Roxana Maracineanu. Lorsque la parole des victimes a été libérée, un déclic considérable s'est produit au sein du mouvement sportif.
Le terme « système » a été souvent utilisé au sein de cette commission d'enquête, l'idée étant que le système mis en place n'a pas permis de libérer la parole des victimes, les a empêchées d'être entendues correctement et n'a pas permis aux enquêtes de se dérouler correctement. L'idée que le monde sportif fonctionne en vase clos et que tous les intervenants se connaissent est fréquemment revenue. On a bien vu les difficultés à faire évoluer ce système.
J'aimerais revenir sur les mesures conservatoires que vous préconisez pour protéger les victimes. On nous expose toujours une difficulté liée à la présomption d'innocence. Comment se fait-il que nous ne parvenions pas, à l'occasion d'un signalement, à protéger la victime et les autres victimes potentielles ?
Considérez par exemple mon cas personnel. Je considère avoir été victime de comportements inappropriés au bout de quatre mois de mon mandat. Je n'osais pas en parler. Je venais d'arriver et c'était donc très compliqué. J'étais déjà atteinte par les autres événements en cours. J'ai commencé à en parler en février. En septembre, j'ai réuni le bureau exécutif pour lui demander son avis sur ma décision de révoquer mon secrétaire général.
Une enquête préliminaire étant en cours, vous me permettrez de ne pas entrer dans les détails. Mon avocat est naturellement à votre disposition. En tout état de cause, j'ai organisé un vote démocratique au sein du conseil d'administration en vue de révoquer le secrétaire général. Après sa révocation, la crise que vous avez connue s'est déclenchée. Cela me permet donc de répondre à votre autre question. Il s'agissait d'une crise politique car d'aucuns ont dénoncé un conflit d'intérêts sur la base de relations personnelles, alors que ma décision était liée à un comportement inapproprié et destinée à me protéger personnellement ainsi que les salariés et l'institution. Je considérais que cette décision devait être prise, j'ai été suivie, et aujourd'hui je ne suis plus là.
J'ai dû être accompagnée avant mon élection, et avant même de déposer ma candidature, pour me sentir légitime à prétendre à cette fonction. Je viens du monde du football, un sport auquel les femmes n'étaient pas autorisées à jouer, et mon histoire a été un combat permanent. Je considère a posteriori que j'avais les compétences pour devenir – et pour redevenir un jour si j'en ai la possibilité – numéro un du CNOSF. Ce coup de pouce de quelques présidents et de mon prédécesseur m'a permis d'y croire. Le fait de me soutenir avant même que je ne sois candidate, et de m'entendre dire que je ferais une bonne présidente, a fait que j'étais redevable. En politique, cela fonctionne aussi ainsi : si quelqu'un vous soutient, vous pouvez vous inscrire dans la continuité d'un projet politique.
Oui bien sûr. Le président Denis Masseglia m'a fait savoir que Michel Vion, le président de la Fédération française de ski, ne souhaitait pas devenir président, pas plus que Jean-Pierre Siutat. Denis Seminet, le président de la Fédération française de base-ball, a été le premier à m'appeler puis M. Masseglia m'a appelée à son tour. J'ai ensuite demandé à M. Siutat de me rejoindre et de me soutenir.
Cela ne me posait aucun problème d'être redevable dans le cadre d'une continuité d'idées et de projet. En revanche, à un moment donné, je n'ai pas souhaité m'associer à certaines idées. Le fait d'avoir eu le courage de dire « non » à certaines choses m'a coûté mon poste. C'est mon explication.
Pourriez-vous nous donner plus de détails ? Apparemment, les personnes qui vous avaient soutenue attendaient peut-être des contreparties de votre part dans la mesure où vous leur étiez redevable. Quelles demandes de leur part avez-vous refusées ?
Je pense par exemple à la constitution du bureau exécutif paritaire avec des personnes que j'ai choisies. Certains ont forcément été déçus et frustrés que l'équipe en place ne corresponde pas à leurs attentes.
Ensuite, pour ce qui est du traitement des personnes, le fait de ne donner qu'une représentation à quelqu'un qui en avait cinquante auparavant n'en a pas fait un ami.
Six ou sept fédérations ont été aidées avec un contrat de relocalisation. Le contrat étant déjà engagé, nous étions forcés de le poursuivre mais je n'en avais pas nécessairement envie car je pensais que d'autres fédérations pouvaient légitimement prétendre à une aide similaire, ce que les ressources financières du CNOSF ne permettaient pas.
Certaines fédérations qui vous ont soutenue ont-elles demandé à être soutenues financièrement par la suite ? Est-ce ce que vous sous-entendez ?
Non. Le bureau exécutif a pris connaissance de cela a posteriori. Un débat a eu lieu et la conclusion était que dès lors que le contrat avait été conclu pour trois ans, nous ne pouvions pas revenir en arrière. Nous avons débattu quant au fait que ce mode de fonctionnement ne pouvait pas perdurer indéfiniment et qu'il convenait donc de demander aux fédérations de payer un loyer – ce qui n'était pas le cas auparavant – et de ne pas reconduire les contrats au terme des trois ans. Ce genre de décision n'était pas de nature à me garantir le soutien de toutes les fédérations puisqu'elle changeait la donne.
M. Denis Masseglia a jugé, comme je vous le disais tout à l'heure, que le CNOSF n'avait pas les moyens juridiques ou disciplinaires qui lui permettaient d'agir dans le domaine de l'éthique du sport. Le CNOSF n'est doté d'aucun pouvoir de sanction vis-à-vis des fédérations. Le regrettez-vous et si oui pour quelles raisons ?
La conférence des conciliateurs fonctionne très bien au sein du CNOSF. Cette structure indépendante permet de traiter des contentieux avant qu'ils ne soient portés en justice. Lorsque par exemple un club a un contentieux avec un autre club, les deux parties sont reçues et une médiation est tentée. Si elle échoue, le dossier est transmis au comité exécutif de la fédération concernée. Cela permet d'éviter qu'un grand nombre de contentieux soient portés en justice.
L'activité du comité d'éthique est très conséquente. Nous avons dix-sept millions de licenciés et si le CNOSF devait traiter toutes ces affaires, il aurait besoin de moyens supplémentaires.
Le CNOSF étant le représentant de l'ensemble des fédérations, il risquerait de se retrouver en situation de juge et partie. Je serais donc plutôt favorable à la création d'une commission indépendante, de la même manière que je soutiendrais la création d'une commission indépendante pour la lutte contre les violences sexuelles, sur le même modèle que l'AFLD pour la lutte contre le dopage.
Nous avons demandé à M. Masseglia, lors de son audition, si pendant ses vingt-cinq ans de mandat en tant que président de fédération ou président du CNOSF, de telles affaires lui avaient été signalées et il nous a répondu que non, y compris d'ailleurs vous concernant. Il a déclaré qu'il n'avait été informé de rien. Il a ensuite indiqué qu'il avait reçu un dossier complet, qu'il était allé voir des victimes… Voudriez-vous revenir sur cette partie de cette audition ?
Les choses ont réellement commencé à se mettre en place à la suite de l'événement organisé par Roxana Maracineanu au CNOSF avec le gouvernement et l'ensemble des ministres parties prenantes. Cela a permis de déclencher une étincelle pour la lutte contre les violences sexuelles dans le mouvement sportif. Des référents ont été ensuite désignés au niveau des fédérations. C'était avant le début de mon mandat. L'animation de ces référents a été confiée au CNOSF. Il est vrai qu'il n'y avait pas de commission de lutte contre les violences sexuelles. J'ai nommé tout de suite Catherine Moyon de Baecque présidente de cette commission. C'est la première qui ait gagné son procès contre ses agresseurs, ce qui lui a valu d'être bannie du mouvement sportif.
J'ai été particulièrement touchée par cette prise de conscience très importante ce 21 janvier. Toute la salle était debout. Nous avons tous compris que nous ne pouvions plus rester inactifs et que nous devions tous prendre nos responsabilités. Dès lors qu'elle a été nommée au sein de cette commission, Catherine Moyen de Baecque m'a accompagnée sur l'ensemble des territoires lors de mes déplacements. Elle a parlé et fait lever des salles entières. Avec la commission, elle a dressé une feuille de route très précise – ce qui n'était pas le cas sous les mandatures précédentes. Avec elle, j'ai aussi reçu Isabelle Demongeot, qui est investie au sein de la FFT, ainsi que Sarah Abitbol, que nous avons accompagnée avec son association après que le gouvernement l'a fait. Je pense très sincèrement que Catherine Moyon de Baecque, tout comme Sarah Abitbol ou Isabelle Demongeot, faisaient partie des victimes qui auraient eu besoin de davantage de soutien. Isabelle Demongeot évoque des séquelles invisibles.
Je pense qu'il y a encore beaucoup à faire pour la prise en charge des victimes, par exemple avec le ministère de la Santé afin de faire en sorte qu'elles soient suivies sur le long terme, notamment par des psychologues. Sarah Abitbol a déclaré qu'elle devait payer encore aujourd'hui pour ces frais alors que cela remonte à des années. Nous avons travaillé en concertation avec le gouvernement, avec Fabienne Bourdais et Amélie Oudéa-Castéra, pour que les choses avancent.
Pour répondre précisément à votre question, je pense que le CNOSF et le mouvement sportif en général ont le devoir de réhabiliter Catherine Moyon de Baecque car elle a été privée d'une carrière de sportive de haut niveau. Elle a été privée d'une participation aux Jeux olympiques alors qu'elle avait gagné son procès ! C'était finalement elle la « pestiférée ». Ce n'est pas concevable. Nous avons encore le temps. Ce serait un acte très fort que de la réhabiliter, avec un mea culpa du mouvement sportif et de l'ensemble de ses acteurs. Je pense que nous le lui devons.
Avant de venir, je relisais le rapport Sauvé. N'avons-nous pas le devoir de recenser le nombre de victimes au sein du mouvement sportif et de voir comment nous pouvons contribuer à une réparation. Dans le cas de l'Église, si je ne m'abuse, 35 millions d'euros ont été prévus à cet effet. Nous devons y réfléchir si nous voulons enrayer ce fléau. Bien sûr, les actions menées précédemment n'étaient pas suffisantes, ni les mesures que j'ai mises en place. Ce fléau est tel que nous devons aller encore plus loin, même si je dois dire que les fédérations font un énorme effort pour dégager des moyens humains et financiers.
On parle des fédérations, mais savez-vous que sur les cent neuf fédérations, certaines n'ont pas de salariés ? Je pense par exemple à la Fédération de la balle au tambourin, qui représente tout de même quelque deux mille licenciés en Occitanie. On compte deux cents mille licenciés pour la pétanque mais cette fédération a-t-elle les ressources financières pour employer à temps plein une personne dédiée à la lutte contre les violences sexuelles parce que nous en aurions besoin ? Naturellement, nous en avons déjà discuté avec Mme la ministre. Ne doit-on pas aussi mettre en place des cadres d'État qui seraient chargés de cela, mais pas au détriment du développement ou de la performance ? Dès lors que les fédérations héritent de cette responsabilité, elles doivent disposer des moyens pour l'exercer. Je prendrai un dernier exemple : celui de la Fédération de roller, qui a été fortement concernée par la lutte contre les violences sexuelles il y a trois ou quatre ans. Des bénévoles ont dû instruire les dossiers pour la commission de discipline alors qu'ils n'avaient reçu aucune formation. Certains bénévoles ont démissionné parce que gérer ces dossiers est difficile psychologiquement et parce qu'ils n'ont pas les compétences. Le CNOSF a pris en charge la formation des référents.
Le contexte d'impunité qui a prévalu pendant longtemps a peut-être dissuadé certaines victimes de témoigner. Certains ont été témoins mais n'ont jamais parlé, ce qui pose aussi la question de leur responsabilité. Des avancées ont eu lieu mais nous recevons encore des témoignages qui montrent que le processus est toujours en cours, et qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Le but de cette commission d'enquête est d'élaborer des propositions concrètes pour faire en sorte que ces phénomènes ne se reproduisent plus. Vous avez occupé des fonctions de haut niveau, à la FFF notamment. Vous étiez l'une des plus hautes responsables du football français. De nombreux scandales ont été révélés au sein de la FFF (racisme, harcèlement de salariés, soupçons de pédophilie à Clairefontaine, comportements problématiques de M. Le Graët envers les femmes, etc.) Avez-vous été alertée de ces dysfonctionnements au sein de la FFF ?
Il a été particulièrement difficile pour moi d'avoir été accusée publiquement, deux jours après mon élection, d'avoir couvert des abus sexuels sur mineurs et d'avoir valorisé M. Fortépaule. J'ai porté plainte pour cyberharcèlement contre M. Molina, tout simplement parce que c'était insupportable – et ça l'est toujours – d'avoir été mise en cause et en doute par rapport à cela. J'ai juré au début de l'audition et je le répète : je n'ai en aucun cas contribué à couvrir des abus sexuels sur mineurs et à valoriser une personne qui a été condamnée par la suite. L'attestation de moralité que j'ai rédigée, en aucun cas je ne l'aurais écrite si j'avais été en connaissance de cause.
Je vous livre ma vision des événements au sein de la FFF mais l'affaire est très complexe. Concernant l'affaire d'Angélique Roujas, les faits remontent à 2003 ou 2004. À l'époque, je n'étais pas à la FFF, je venais d'accoucher de ma deuxième fille. Les faits ont été révélés en 2013 lors d'un rassemblement de l'équipe de France. À l'époque, j'étais cheffe de délégation de l'équipe de France féminine. Je n'ai absolument pas été informée alors que j'étais cheffe de délégation. C'est un autre salarié qui a été informé ; il a fait son devoir en prévenant la direction générale et la direction des ressources humaines. Quelques jours plus tard, la directrice des ressources humaines me trouve dans mon bureau et me dit qu'étant donné que je connaissais les joueuses concernées – je connais Angélique Roujas, avec qui j'ai joué et avec qui j'ai passé mes diplômes – je devais rester complètement à l'écart de l'affaire. J'ai une attestation prouvant mes dires ; je l'ai utilisée dans le cadre des plaintes que j'ai déposées.
Concernant les victimes, il est bien évident qu'elles auraient dû être mieux prises en charge. Le signalement a été effectué. Je sais, par l'intermédiaire de l'avocat de la FFF, que dans certains cas cette dernière se porte aussi partie civile. La complexité de cette fédération, est que l'on retrouve en son sein la LFP – la LFP est autonome financièrement mais juridiquement, elle dépend de la FFF – et la LFA (Ligue du football amateur) qui traite de l'ensemble des quinze mille clubs. Cette dernière n'est pas indépendante financièrement, elle est donc hébergée par la FFF, mais elle est politiquement autonome. Lorsque les faits concernent le football amateur – et c'était le cas pour l'affaire Fortépaule, dans la mesure où il s'agissait d'une ligue régionale – ils sont du ressort de la LFA. Cette dernière pilote l'ensemble des démarches à mettre en place. Le comité exécutif, dont le rôle est de prendre les décisions finales, est informé lorsque tout est terminé.
Dans l'exemple de l'affaire Roujas, nous avons été simplement informés qu'un signalement avait eu lieu et qu'une enquête était en cours. Dans le cas de l'affaire Fortépaule, pour laquelle j'ai également été mise en cause, j'ai appris par la presse que ce monsieur avait été condamné.
Vous nous dites que vous avez été écartée au moment de l'affaire Roujas mais aviez-vous connaissance des faits qui étaient reprochés ? Nous avons appris par la suite que M. Le Graët lui avait adressé un courrier pour lui signifier son licenciement. Elle a pu aller dans un autre club et peut-être reproduire les mêmes actes. Cela pose une difficulté. Lorsqu'un responsable d'une fédération a connaissance de faits graves – en l'occurrence des abus sexuels sur mineurs – il se doit d'effectuer un signalement voire de déclencher une procédure article 40. Et surtout, il doit empêcher l'auteur de pouvoir continuer à agresser des victimes. Ce n'était visiblement pas le cas.
Vous avez raison. C'est ce qui m'a choquée dans le traitement de cette affaire. Angélique Roujas, salariée de la FFF, a été licenciée sur le tard. Nous n'avons pas eu connaissance – ou tout du moins pas moi – de la nature des accusations dont elle faisait l'objet. En revanche, pour ce qui est du retrait de la licence, ce n'était juridiquement pas possible d'après les informations que j'ai reçues. On en revient à la question : quelles mesures conservatoires peuvent être envisagées dans un cas où la présomption d'innocence prévaut et où les éléments ne sont pas suffisants pour permettre de retirer la licence ?
Dans une affaire impliquant des mineurs, la priorité n'est-elle pas de protéger les victimes et donc de mettre la personne en cause à l'écart et de signaler automatiquement les faits ?
C'est ce que je vous disais tout à l'heure. Nous avons eu plusieurs fois le débat : si la personne mise en cause se retournait contre la fédération, nous aurions accusé quelqu'un à tort. J'ai toujours défendu la position selon laquelle nous devions mettre en place des mesures conservatoires pour protéger les victimes. Quand j'étais à la FFF, je n'avais pas suffisamment d'éléments. La complexité de notre organisation et le fait que nous recevions les informations en dernier recours m'ont probablement conduite à ne pas prendre les décisions que j'aurais dû prendre, en tant que femme et que secrétaire générale. Nous aurions dû prêter davantage attention aux victimes. Dès que je suis arrivée au CNOSF, et à partir du 21, j'ai compris que nous en étions au début des actions que nous pouvions envisager pour protéger l'ensemble de nos licenciés.
La complexité du mouvement sportif, des fédérations et des procédures fait que nous ne connaissons pas exactement les procédures que nous sommes censés appliquer. Il est urgent de formaliser des préconisations afin que les présidents de fédération sachent comment réagir dans une situation donnée. De même pour les membres du comité exécutif. Je vous donne un exemple. Je n'ai pas eu la chance d'être joueuse de football professionnelle et j'ai donc dû travailler en tant que professeure d'EPS tout en étant joueuse internationale. J'ai été confrontée à des révélations de la part d'une élève. Nous savions exactement que nous devions nous adresser directement au chef d'établissement, lequel effectuait le signalement et les gendarmes arrivaient quelques heures ou quelques jours plus tard. Nous n'avons pas de procédures aussi claires au sein des fédérations sportives.
J'aimerais tout d'abord vous remercier, tout d'abord pour avoir eu le courage et l'honnêteté de dire que vous auriez pu mieux réagir. Au cours des différentes auditions, nous avons l'impression que la responsabilité est en quelque sorte diluée, eu égard notamment à la complexité d'organisation du mouvement sportif et des différents organismes qui le gouvernent.
J'ai deux questions. Tout d'abord, avez-vous été personnellement témoin des agissements qui ont été reprochés à M. Le Graët, notamment envers les femmes ?
Permettez-moi d'abord de vous dire que j'ai été la première femme secrétaire générale et la première femme vice-présidente parce que M. Le Graët m'a permis d'accéder à des postes aussi importants. La FFF a été créée en 1919 et avant moi, on peut seulement citer l'exemple de Marilou Duringer, qui a siégé pendant des années au conseil fédéral. C'était la seule femme sur vingt-huit membres. J'ai aussi pu permettre, avec bien sûr le concours de tous les acteurs du football français, que nous passions de cinquante mille à deux cent trente mille pratiquantes, et que nous ayons une directrice générale et une directrice générale adjointe. Ce président a permis à des femmes d'avoir du crédit au sein d'un milieu qui était peu propice à permettre à des femmes d'occuper des postes à responsabilités, ou plus simplement à leur permettre de jouer et avoir les mêmes droits que les garçons. Je n'ai jamais eu peur d'être seule dans un bureau avec Noël Le Graët. J'ai aussi dîné chez lui une ou deux fois pour discuter de la campagne et je n'ai eu peur à aucun moment non plus.
Je n'ai jamais vu M. Le Graët mettre la main sur une femme. Cela a éventuellement pu avoir lieu en dehors de ma présence mais je n'en ai jamais été témoin.
Je n'ai jamais caché par ailleurs que M. Le Graët a toujours fait des blagues graveleuses, comme c'était le cas d'autres personnes au sein de la FFF, au cours des réunions. J'ai toujours eu la même posture, consistant à dire sur le ton de l'humour : « C'est le moment de prendre tes cachets » car je n'acceptais pas qu'une personne, puis deux, puis trois, tiennent ce genre de propos lors de réunions. Nous n'étions déjà pas nombreuses et cela n'avait absolument pas sa place. Et cela passait. Effectivement, les blagues de M. Le Graët pouvaient parfois mettre mal à l'aise des femmes – ou toute personne qui ne le connaissait pas bien. J'ai parfois été conduite à lui dire qu'il allait un peu loin. Ce sont des blagues d'un autre temps qui n'ont plus leur place. Très gentiment, j'ai eu l'occasion de lui demander d'arrêter.
Dans un entretien au journal Le Monde daté de 2020, M. Denis Masseglia, ancien président du CNOSF, déclarait, en réaction aux propos de Noël Le Graët – alors président de la FFF – selon lesquels le phénomène raciste dans le sport et dans le football en particulier n'existait pas ou peu. Il renchérissait en disant qu'il existait très peu.
Vous avez exercé différentes responsabilités au sein de la FFF pendant de nombreuses années. Nous avons eu l'occasion d'auditionner Laurent Blanc à ce sujet – mais pas seulement. Quel est votre regard sur le racisme et les formes de discrimination au sein de cette discipline ?
Le racisme est présent dans le football. Il est présent dans la société et le football étant le sport le plus populaire, on peut voir dans les stades que nous n'avons pas affaire à un « microclimat ». Le racisme est bien présent dans le football. Qu'a fait la FFF sur ce sujet ? Une commission des actions citoyennes a été créée au sein de la LFA. De nombreuses actions sont conduites concernant les discriminations et je pense que pour le racisme, c'est beaucoup une affaire de communication. Nous aurions besoin d'aller encore plus loin et plus fort. Je suis heurtée lorsque je vois des joueurs professionnels comme amateurs être insultés. Nous devons inclure une sensibilisation à cette question dans la formation des éducateurs et des dirigeants et sensibiliser aussi les pratiquants dès leur plus jeune âge. Cela fait partie du programme éducatif fédéral que la FFF met en place pour environ huit cents mille enfants. Nous pouvons aller encore plus loin, comme nous le faisons pour l'environnement durable et la lutte contre les violences sexuelles. Nous inculquons ces notions aux joueurs dès le plus jeune âge et tout le long du parcours sportif.
Pensez-vous justement qu'il soit possible de former et d'éduquer sur cette question lorsque le numéro un de la FFF nie l'existence du phénomène ?
Une nouvelle fois, je ne cherche nullement à défendre Noël Le Graët pour des propos inacceptables. Au cours des douze années que j'ai passées avec lui, je n'ai pas été témoin de comportements racistes de sa part. J'ai été heurtée par ses propos car une telle expression n'est pas entendable mais je n'irai pas jusqu'à en tirer des conclusions sur la considération qu'il peut avoir à l'égard des personnes de couleur ou d'autres ethnies. Cela étant, vous avez raison, une personne ayant des convictions racistes ne peut pas être à la tête d'une fédération.
Des propositions ont été formulées. Des sportifs ont rapporté que loin de diminuer, le phénomène du racisme s'était amplifié au sein du mouvement sportif, et notamment dans le football. Je fais référence aux cris dans les stades. J'ajouterai à cela les manifestations d'homophobie que nous avons pu observer ces dernières semaines lors de différents matches. Seriez-vous favorables à l'arrêt systématique des matches de football lorsque des propos racistes ou homophobes sont tenus ?
Je ne suis pas favorable aux sanctions collectives. Ma conviction est que nous devons apprendre à nous comporter en tant que supporters dès le plus jeune âge. C'est la même chose que lorsque l'on doit apprendre aux enfants comment se comporter dans un théâtre : on ne parle pas et on n'utilise pas son téléphone. C'est exactement la même chose dans les stades : les supporters ont des droits et des devoirs. Il y a des choses qu'ils ne peuvent pas faire. En inculquant ces notions dès le plus jeune âge, les jeunes supporters sont capables de se comporter de manière civile et respectable. Avec les technologies actuelles, il est possible d'identifier – et nous devrions l'être – les personnes responsables de ces cris homophobes ou racistes et de les interdire de stade, tout simplement. Je ne suis pas favorable à l'arrêt des matches. C'est très compliqué et je ne suis pas convaincue que cela permettrait d'enrayer le racisme. Par contre, que l'on puisse identifier les personnes et les exclure du stade et que le club soit en charge de mettre en place des actions pour éduquer les supporters – comme le font déjà certains clubs – me semblerait plus pertinent.
Vous avez vu combien de temps cela prend pour les fumigènes… Cela nécessite des moyens considérables. Les clubs professionnels de football et la LFP mènent des actions pour essayer d'enrayer ce phénomène. Des actions éducatives sont mises en place par la LFP. Malheureusement, nous avons aussi affaire à des maux de notre société que nous avons du mal à enrayer et nous avons aussi du mal à les combattre dans ce cadre. Lorsque quatre-vingts mille personnes sont amassées dans un stade, il est difficile d'en former autant pendant des années pour qu'elles aient un comportement citoyen. En revanche, je vous rejoins sur le fait que les personnes qui tiennent des propos racistes doivent être exclues. Elles n'ont plus leur place. De même pour l'homophobie. Je fais référence aux actions mises en place au sein du CNOSF, avec le label FIER dont j'espère le déploiement avant la fin du mandat actuel et avec la conférence sur la lutte contre l'homophobie que nous avons organisée l'année dernière.
La commission auditionne Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et ambassadrice des valeurs de l'olympisme pour la France.
Nous entamons l'audition de Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Je vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d'enquête sur l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L'Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : l'identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, l'identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport, et l'identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d'une délégation de service public.
Madame, votre témoignage est un moment important pour notre commission. Votre audition sera l'occasion de revenir sur votre parcours, les défaillances auxquelles vous avez été confrontée et les évolutions intervenues depuis. Vous avez été championne de France de lancer de marteau, victime de viol en 1991 pendant un stage de préparation de l'équipe de France d'athlétisme. Vous livrez votre témoignage dans un livre publié en 1997 : La Médaille et son Revers. Vous avez porté plainte contre quatre sportifs. L'un sera relaxé, les trois autres condamnés à des peines d'emprisonnement avec sursis. La Fédération française d'athlétisme, qui ne vous a apporté aucun soutien, vous a par la suite évincée de l'équipe de France d'athlétisme.
Vous avez ensuite exercé différentes fonctions, notamment au sein du ministère des Sports, et participé à la première convention nationale de prévention des violences sexuelles en 2020. La force de votre témoignage conduira Brigitte Henriques à vous nommer co-présidente de la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport installée en janvier 2022 par le CNOSF.
Votre nom est revenu de manière récurrente au fil de nos auditions et votre témoignage est considéré comme fondateur dans l'histoire de la libération de la parole des sportives. Il faudra vingt-trois ans supplémentaires pour que l' omerta explose réellement, en 2020, lors de la parution du libre de Sarah Abitbol.
Votre audition nous permettra également de faire le point sur l'action de la commission que vous présidez et plus généralement sur ce qui a changé, de votre point de vue, depuis votre témoignage fondateur, et les améliorations qui restent à apporter.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d'entamer nos échanges pendant environ une heure, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
La personne auditionnée prête serment.
Merci pour votre invitation à m'exprimer devant votre commission d'enquête parlementaire. Je suis effectivement la première athlète de haut niveau à avoir brisé la loi du silence et à avoir mené un combat historique qui a ouvert la voie à d'autres. Mon affaire a fait jurisprudence.
En 1991, j'ai été effectivement victime d'agressions sexuelles aggravées de la part de membres de l'équipe de France qui avaient été encouragés par l'entraîneur national. Ma vie a soudain volé en éclat. Ma carrière sportive en pleine ascension a été pulvérisée. Mes études supérieures – je préparais l'agrégation – ont été stoppées net. J'ai vécu des problèmes familiaux au regard de cette situation, et également dans ma vie personnelle, parce que j'avais été élevée, dans mon enfance et mon adolescence, dans le respect des valeurs de la vie. À ce moment-là, tout était le néant, la mort, la brutalité, le silence, la désespérance. Si j'avais su le parcours du combattant qui m'attendait, je crois qu'à ce moment-là, j'aurais voulu mourir pour de vrai…
Pourtant, après avoir entendu : « Ma petite fille, vous êtes jeune et jolie, vous oublierez ! », j'ai compris que les faits étaient trop graves et que je devais parler. J'ai donc porté plainte. Mon affaire aurait dû passer devant les Assises, elle a été déqualifiée avec de très fortes pressions au plus haut niveau de l'État. Mais l'important est que mes agresseurs ont été condamnés, même si les peines sont dérisoires au regard du mal qui a été fait.
Les ministres qui se sont succédé ont privilégié la raison d'État au détriment de la justice et du droit individuel. Pour avoir dit la vérité et résisté, j'ai été bannie du sport français. J'ai connu des maltraitances et du harcèlement institutionnalisé. J'ai été victime de menaces, y compris de mort, de pressions, d'une mise à l'écart systématique et d'un discrédit qui perdure encore aujourd'hui.
Bien sûr, il y a eu une évolution et je ne suis plus la même car je me suis reconstruite grâce à quelques personnalités, en particulier des hommes, dont M. Maurice Herzog et son Altesse sérénissime Albert II de Monaco, qui m'ont consolée d'une désespérance que je croyais irrémédiable, qui m'ont permis de croire à nouveau dans les valeurs de l'olympisme, les principes éthiques, éducatifs, humanistes, environnementaux, qui sont le fondement même du sport et de la vie. Ils m'ont aussi permis de croire, avec d'autres amis, en la beauté de la vie, et de me rappeler combien la vie, au-delà du pire, peut s'avérer épanouissante, enrichissante et surprenante.
Et mon rôle, au-delà d'être la présidente de la commission de lutte contre les violences sexuelles dans le sport du CNOSF, est également d'être une ambassadrice. Je dois donner l'exemple, donner confiance, transmettre la bienveillance, l'espérance et cette exigence de vigilance, car quand il s'agit de la protection de l'intégrité physique et psychologique des enfants, des adolescents et des jeunes adultes, des hommes et des femmes également, il n'y a pas de questionnement : c'est une priorité qui est à la fois légale et vitale.
Je reviendrai aussi sur ma nomination, qui a été possible grâce à une femme, Mme Brigitte Henriques, élue présidente du CNOSF le 29 juin 2021. Lors d'une assemblée générale extraordinaire du CNOSF, j'ai été nommée présidente de la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport avec un co-président car il fallait une parité. Brigitte Henriques m'a aidée à prendre ma place, à prendre confiance, à m'affirmer, et j'ai souhaité une commission restreinte, qui soit un peu une commission « commando », parce que je ne suis pas là pour faire de la figuration ou simplement pour le plaisir de dire que je fais partie du CNOSF. Le CNOSF est une institution olympique, sous l'autorité du comité international olympique (CIO), et je rappelle que dès 2008, le CIO a rédigé un document concernant le harcèlement et les abus sur les athlètes, en donnant des directives aux fédérations internationales et à tous les comités nationaux olympiques. Qu'a-t-on fait de ce document en France et surtout, quelles actions ont été mises en place ?
Puisque mon propos se doit d'être constructif, j'aimerais aussi dire que cette commission m'honore, m'oblige et simultanément, qu'elle n'est pas suffisante en l'état actuel pour répondre à l'ampleur des violences dans le sport. Soyons sérieux. Des initiatives sont prises à tous les niveaux (ministériel, olympique) et dans les autres structures. Elles ont le mérite d'exister, je les soutiens et je les encourage, mais pour réfléchir sur ce qui se passe et avoir une vision de ce qu'il faudrait faire, je suis désolée d'avoir à le dire car mon propos se veut constructif et objectif, mais nous ne sommes en France pas à la hauteur des enjeux, en particulier dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Mais nous avons de bonnes raisons d'espérer.
J'aimerais dire aussi, pour terminer sur ce sujet, que j'ai vécu un système qui, lorsqu'il est confronté à une difficulté, s'organise pour broyer. Il nie, il rejette, il met hors d'état de nuire et il continue à discréditer si le problème ne disparaît pas de lui-même. Ce qui a été mon cas.
Je ne crois pas qu'en profondeur, le système ait évolué. Je crois que le milieu du sport français est incapable de se remettre en cause. Je crois que ce système, le milieu du sport français, n'a pas tiré les leçons pendant ces trois décennies, et pourtant Dieu sait si les affaires ont été nombreuses. Merci à #MeToo d'être passé par là et d'être arrivé en France – pas simplement dans le sport, mais dans l'ensemble de la société. Avec ses excès, il faut aussi le dire. Le but n'est pas de travailler en opposition les uns avec les autres mais de nous réunir, de nous rassembler, et dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, nous avons un devoir de résultat. Nous avons une chance historique. Nous avons une opportunité exceptionnelle de nous réunir, de montrer que le sport est en train de changer, qu'il est un levier pour la société, et qu'ensemble, nous pouvons à réenchanter le sport et la société. Avec beaucoup d'humilité, car en voyant ce qui se passe à l'international, je constate que la France est très en retard. La société a plus évolué que le sport français. En même temps, on voit des avancées dans le sport français. Tout n'est pas négatif. Mais sur la question de la lutte contre les violences sexuelles et les discriminations, la manière dont les victimes sont traitées… Notre priorité est aussi que les milliers d'athlètes, hommes et femmes, garçons et filles, ne soient jamais victimes de ces violences. D'ailleurs, en vous parlant, je pense à Alexandre, Emma, Angélique, Claire, Chloé, Eléa, Sarah, Sébastien, Camille, Hélène, Cécile, Florence, Adèle, Andréa et à ces milliers de victimes encore emprisonnées dans le silence, la violence et l'indifférence.
Nous avons une obligation de résultat mais ce n'est pas chacun et chacune dans notre coin, mais chacun et chacune à notre niveau de responsabilité et d'action, à notre juste place, que nous devons communiquer ensemble, ouvrir en transversalité, et agir en ayant pleinement conscience que ce problème est légal et vital et que nous n'avons plus le temps. Il s'agit de sauver, de préserver et de consoler des vies.
L'une des leçons que je tire de mon histoire, c'est que le système est incapable, s'il n'est pas aidé par l'extérieur, et notamment par la société, de se remettre en cause. C'est un système clanique, qui vit en vase clos, qui s'auto-congratule et élimine ceux qui ne sont pas d'accord avec les décisions prises. Ce qui me donne beaucoup d'espoir, c'est qu'il y a beaucoup de femmes et d'hommes, dans les fédérations et sur l'ensemble du territoire national, qui sont prêts et dans l'attente d'un signal fort. Ce signal ne peut venir que du plus haut niveau de l'État : le Président de la République française. Et je ne doute pas un seul instant que M. Emmanuel Macron, Mme Brigitte Macron – qui m'a reçue – et les membres du gouvernement – qui sont mobilisés sur tous les fronts – aient la volonté de s'engager. Simplement, ce n'est pas suffisant au regard de l'ampleur des violences qui doivent s'arrêter. C'est un problème de société qui ne touche naturellement pas que le sport mais il faut qu'au plus haut niveau de l'État, des mesures beaucoup plus ambitieuses soient prises.
Il faut que le monde sportif, qui fait partie de la société, se rende compte qu'il ne relève plus d'un système d'exception. C'est terminé. Le sport français doit respecter la loi ordinaire. Il doit se conformer à la loi, aux règles, comme n'importe quel citoyen.
Je ne voudrais pas être trop longue pour laisser le temps aux questions mais je pourrais décrire mon travail au sein de la commission.
J'ai été accusée d'avoir terni l'image du sport pour avoir dit la vérité et résisté. J'ai été considérée comme la mauvaise conscience du sport français mais aujourd'hui, je vois, partout sur le territoire et à la tête de certaines fédérations, que je suis capable de transmettre à travers le symbole que je suis, mon exemple et la confiance que j'essaie de renouer… Cette confiance est indispensable mais empêchée par le système. Au contraire, il faut que nous nous fassions confiance. J'ai donc pris la décision de prendre de la hauteur, de tendre la main, de ne pas trop me retourner sur le passé mais de m'engager au présent pour l'avenir. C'est le combat de toute une vie. Je n'ai pas traversé l'Enfer pendant toutes ces années pour abdiquer aujourd'hui. Mon engagement est à la hauteur des épreuves que j'ai traversées mais aussi de ce que vivent les victimes et de ce que ne doivent pas vivre les milliers d'athlètes. Quand je vois qu'ils m'entourent, sachant à quel point ils peuvent compter sur moi, j'ai de l'espoir.
Il y a beaucoup de défaillances et de problèmes et les affaires vont continuer à ressurgir mais je remarque que dans certaines fédérations, des présidents et présidentes ont pris conscience de l'importance et de l'urgence de la situation.
Je suis aujourd'hui encore discréditée. Mes actions et mes paroles sont systématiquement minimisées et occultées au nom d'autres personnes ou d'autres intérêts. Tout le monde a sa place mais je m'interroge : comment se fait-il que la première athlète de haut niveau qui s'est battue seule contre tous pendant vingt ans, qui a dit et fait tout avant tout le monde, voie sa parole occultée ? Pourquoi, encore aujourd'hui, des pressions sont-elles exercées et des freins sont actionnés pour faire en sorte que je ne puisse pas m'exprimer et rayonner comme je devrais le faire ? Bien sûr que je le fais, parce que de plus en plus de personnalités savent qui je suis et m'invitent. Vendredi dernier par exemple, j'ai été invitée par les États-majors et les équipes du ministère des Armées. J'ai été présentée comme la Marianne du sport. Vous ne pouvez pas imaginer que cela signifiait pour moi. La société commence à faire attention à moi et à me reconnaître. J'aimerais bien avoir une place qui soit la mienne, mais pas pour moi, parce que je suis au service des autres. Je rappelle que je suis bénévole, et je travaille vingt-six heures sur vingt-quatre car je veux trouver des solutions. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation car il y a des vies en jeu et car le sport se doit d'être exemplaire. Il doit être un levier pour la société et dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, nous devons être à la hauteur. Nous serons à la hauteur et nous avons un prix à gagner. Il me faut que cette médaille d'or olympique incrustée de diamants multicolores, nous la partagions tous ensemble pour aller toujours plus haut, plus fort, plus loin, pour la dignité humaine, pour cette humanité sans qui le sport ne pourrait pas avoir de sens !
Merci à vous pour ces paroles magnifiques et puissantes dont nous sentons qu'elles viennent du fond du cœur. Nous allons avoir quelques questions à vous poser et nous allons devoir limiter la durée des questions et des réponses. Tout à l'heure, vous avez fait part d'une prise de conscience au sein de certaines fédérations. J'aimerais savoir lesquelles.
Je pense en premier lieu à la FFF, qui reconnaît les défaillances et ne veut plus fermer les yeux. Elle est en train de mettre en place un plan national qui sera annoncé par le Président Philippe Diallo à l'automne. Je l'ai rencontré et j'ai vu un homme dont la volonté et l'engagement forcent l'admiration.
Je pense aussi à la Fédération française de gymnastique. Elle comprend et essaie d'avancer. Depuis 2013, presque tous les ans, elle essaie d'élargir le champ de mise en place d'un process pour lutter contre violences sous toutes leurs formes. Elle œuvre surtout pour que l'environnement soit bienveillant et protecteur pour les gymnastes.
Je citerai également la Fédération française de patinage. J'ai rencontré la nouvelle présidente, qui m'a fait part de son engagement et des difficultés auxquelles elle faisait face au sein de sa fédération. Ce qui importe, c'est que ces dirigeants aient pris conscience de la nécessité de réagir. Ces personnes me demandent mon avis et une relation de confiance s'est créée. J'espère que cette impulsion fera boule de neige auprès d'autres fédérations.
Vous avez dit tout à l'heure que certaines personnes de votre entourage ou le système vous empêchaient de parler. Qui exactement ?
Prenons un exemple récent. Le 6 avril 2023, ma commission et le CNOSF ont organisé les premières assises internationales de lutte contre les violences sexuelles. J'ai dû me battre pour que cet événement soit international. Il me semblait important que le CIO, le Conseil de l'Europe, des ONG, la Principauté de Monaco et d'autres comités nationaux olympiques puissent apporter leurs idées. Certains pays sont d'ailleurs très en avance par rapport à la France. Je suis également allée voir des ministres, j'ai travaillé avec leurs cabinets, j'ai essayé de créer une dynamique pour que les équipes travaillent entre elles au niveau interministériel plutôt qu'en silos.
D'ailleurs, à cet égard, j'ai découvert l'existence de dispositifs interministériels qui sont certes insuffisants mais qui sont très inspirants. Ils pourraient aussi donner de l'élan à notre volonté de faire évoluer le sport français.
Je devais commencer par vous expliquer le contexte. J'ai constaté – et je suis loin d'être la seule – que beaucoup ont tenté de faire comme si ces assises internationales n'avaient pas eu lieu alors qu'on m'en parle encore aujourd'hui. Il s'est passé quelque chose. Une dynamique a été enclenchée. Et surtout, nous avons montré au CNOSF qu'il y avait une ligne olympique éthique et politique et que nous sommes mobilisés et engagés. Mais pour cela, nous avons besoin de moyens et de leviers. Je donne une certaine impulsion au sein de ma commission mais je fais partie d'une institution olympique. Avec le respect que je lui dois, comment se fait-il qu'en dehors de certains médias qui se sont intéressés à l'événement, tout ait été fait pour essayer d'en minimiser l'importance ? Cet événement était bel et bien important. Il fait partie de l'héritage olympique. Une deuxième édition aura lieu.
Il est difficile pour moi de vous décrire ces freins en quelques minutes mais je les ai constatés et je ne suis pas la seule. Cela renvoie au discrédit me concernant : ce que j'incarne semble encore déranger. Mais peu importe ! Je suis au service des autres. Je suis là pour aider à transformer en profondeur le monde sportif, et nous en sortirons tous gagnants.
Êtes-vous libre de vous exprimer même si vous incarnez quelque chose qu'on ne voudrait pas forcément voir aujourd'hui ?
Oui, je suis bien libre et indépendante, mais simplement, tout ce que je peux faire et dire n'est pas relayé. Cela peut s'avérer problématique car les effets ne seront pas les mêmes. Je me suis souvent rendue dans les territoires et la plupart du temps, mes interventions se terminent en standing ovation. Cela montre donc bien que les assemblées auxquelles je m'adresse sont touchées par mes paroles. Cela me donne aussi beaucoup d'espoir. Beaucoup d'hommes et de femmes, au plus haut des fédérations, n'attendent qu'un signal fort, qui ne peut venir que du sommet de l'État. Ce qui est prévu n'est pas suffisant et nous devons absolument montrer, avant les Jeux olympiques et paralympiques, que certes la France a pris du retard, mais qu'elle suit le mouvement de l'histoire. Nous devons être à la hauteur avant tout pour les athlètes et pour les victimes.
L'objectif de cette commission est de dresser un constat et de formuler des propositions. Nous travaillons beaucoup sur le traitement des affaires mais notre objectif primordial est que les agressions prennent fin, de même que les discriminations ou le racisme.
Vous avez évoqué la façon dont les victimes sont traitées encore aujourd'hui ; pourriez-vous développer ? Quelles seraient par ailleurs les propositions qui pourraient émaner du sommet de l'État pour faire évoluer le mouvement sportif ? Enfin, comment pensez-vous que nous pourrions mettre fin à ce système clanique qui est évoqué systématiquement lors de nos auditions ?
Pour ce qui est des messages venant du plus haut de l'État, je pense à la réaffirmation que les crimes et délits, dans le sport comme dans la société, n'ont pas leur place. Le fait d'exprimer cette idée et d'annoncer des mesures innovantes serait déjà un signal fort. L'incarnation de l'exemplarité deviendra impérative, et à tous les échelons de la hiérarchie, les acteurs comprendront que le principe du « pas vu pas pris », comme il a pu s'imposer dans le dopage, n'a plus lieu d'être. Il s'agit de respecter les règles, de respecter les autres, de respecter la loi et de se respecter soi-même. Ceux qui viendraient à enfreindre les règles devraient connaître à l'avance les sanctions auxquelles ils s'exposent.
Dans le cadre de la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations, j'ai demandé un état des lieux, d'une part pour identifier les bonnes pratiques sur les territoires – et si nous avions trouvé des solutions, cela se saurait - et d'autre part et surtout pour identifier les freins pour pouvoir les transformer en force constructive pour l'avenir. Les freins, je les ai tous surmontés, et je sais donc parfaitement où ils se situent. Il faut s'abstenir de porter des jugements hâtifs, comprendre la situation et essayer d'avancer ensemble bien conscients des freins qui nous sont imposés par le cadre législatif. Le cadre législatif ne suffit pas. Chacun doit être engagé au quotidien. C'est le plus important.
Oui.
Tout d'abord, les moyens dédiés à la lutte contre les violences ne sont pas du tout à la hauteur de cette violence. Si le président d'une fédération affirme qu'il veut que certains comportements cessent, ils évolueront. On ne peut se contenter de nommer une femme comme référente pour les questions de violences sexuelles. D'abord un référent ou une référente doit être formé. Écouter la parole d'une victime n'est pas simple tandis que pour cette dernière, se confier est la première étape de la reconstruction. Une personne qui n'est pas interrogée correctement peut se bloquer. Tant que les présidents de fédération n'érigeront pas cette question au rang de priorité, et ne se montreront pas impliqués, nous n'y parviendrons pas. À chaque échelon de la hiérarchie fédérale, beaucoup d'acteurs sont conscients du problème et aimeraient que la situation évolue mais sans volonté incarnée à la tête de la structure, cette évolution est impossible. Cela me donne l'impression d'une mer agitée : si je regarde en dessous de la surface, elle semble sombre et immobile. Nous devons chercher des solutions en profondeur. Elles ne sont pas faciles à trouver mais nous nous pouvons exploiter les liens que nous avons établis à l'international. Si le CNOSF appliquait le texte élaboré par le CIO, nous n'en serions pas là. En lien avec le CIO, le mouvement Safe Sport International se développe partout dans le monde. Son objectif est d'offrir aux athlètes un environnement qui préserve leur intégrité physique et psychologique et favorise leur épanouissement et leur développement. Qu'avons-nous fait pendant trente ans en France dans ce domaine ?
Je l'ignore et même moi, j'ai du mal à obtenir les documents, mais je ne désespère pas ! Je vous les transmettrai, naturellement. Les bonnes initiatives sont nombreuses mais chacun a tendance à travailler dans son coin. Il faut donc communiquer avec le ministère des Sports et avec les autres ministères. Les échanges interministériels m'ont beaucoup appris. Nous devons apprendre les uns des autres.
Avec beaucoup d'humilité, lorsque je vois l'armée qui se trouve autour de nous, au plus haut niveau comme partout sur le territoire, je ne doute pas un seul instant que nous y arrivions.
Les freins se situent à tous les niveaux. Sans développer, ils représentent pour moi un combat quotidien. Alors que je devrais être aidée et soutenue, je me sens souvent très seule. Je ne me plains pas, je suis qui je suis, j'ai vécu ce que j'ai vécu et j'ai tout surmonté. Je veux transmettre cette force à tous les athlètes, à toutes les victimes. Les athlètes méritent de vivre dans un environnement protégé. Le sport, c'est la joie de vivre, la passion. Ce sont les émotions, les médailles, mais pas au détriment de la dignité humaine !
Nous sommes tout à fait d'accord. Je vous proposerai de revenir vers nous plus tard, par écrit, pour détailler les freins que vous avez constatés et vos propositions pour les lever.
Nous sommes également intéressés par les bonnes pratiques que vous avez constatées à l'international. Nous aimerions avoir des exemples.
Je pourrais en citer en Espagne par exemple.
Le travail que vous me demandez, je l'ai déjà fait. Je voulais me présenter devant vous sans papiers pour m'exprimer avec authenticité. Je vous transmettrai donc ce travail mais il existe tellement de niveaux qu'il est difficile pour moi de vous décrire sommairement ces freins. Les freins sont partout et à tous les niveaux. Je risquerais donc d'en oublier. D'ailleurs, dans le même temps, certaines situations sont en train de se débloquer.
Je pourrai vous citer des exemples au Canada. Je pense aussi à des initiatives du Conseil de l'Europe, qui est très actif. En Espagne par exemple, non seulement le gouvernement est très actif, mais le CNO local également. En Suisse également, ainsi que dans les pays nordiques, qui sont très en avance. Je vous transmettrai mes documents.
Le cabinet Mouvens est intervenu dans le cadre de notre état des lieux. Des préconisations ont été formulées – soixante puis quarante – dont certaines sont déjà déployées ou en cours. Je vous transmettrai également les documents.
Je ne désespère pas d'obtenir le document que je réclame depuis un certain temps. Je souhaite pouvoir vous transmettre des documents complets et circonstanciés.
Vous pourriez ainsi nous préciser quels documents vous souhaitez obtenir afin que nous puissions les réclamer. Nous les obtiendrons peut-être plus facilement.
Vous vous êtes demandé à plusieurs reprises ce qu'avait fait le sport français pendant trente ans. Lorsque nous avons entamé nos travaux, nous avons entendu que des fédérations étaient mécontentes qu'un travail soit engagé sur les dysfonctionnements au sein du mouvement sportif. Pensez-vous que les fédérations, et plus largement le mouvement sportif français, soient prêts à faire évoluer leurs pratiques ? Comme vous l'avez dit, il ne sera pas en capacité de se réformer tout seul, mais pensez-vous qu'il est prêt ? Pensez-vous que le moment soit venu pour le mouvement sportif de se réformer et d'entrer dans le vingt-et-unième siècle ?
J'aimerais revenir sur la loi de mars 2022, qui constitue une étape très importante pour le mouvement sportif. J'aimerais savoir si les mesures en matière de mixité au sein des organes de gouvernance et la limitation à trois mandats pourraient contribuer à l'évolution du contexte que vous décrivez ?
Ce sont effectivement des avancées constructives même si nous ne devons pas nous en contenter. Des avancées ont bien eu lieu, notamment sur le plan législatif, et c'est indispensable, mais la loi ne peut pas tout. J'aimerais revenir sur l'élection de Brigitte Henriques à la tête du CNOSF. Pendant ces deux ans, nous avons eu conscience que nous faisions un pas en avant vers l'ère olympique nouvelle. Son départ constitue quand même un séisme. Que va-t-il se passer après ?
Je tends la main, je souhaite travailler avec des personnes engagées et désireuses d'efficacité. La confiance fonctionne dans les deux sens. Je garde espoir.
Pensez-vous que le départ de Mme Henriques pourrait se traduire par un recul par rapport aux actions mises en place pendant son mandat ?
Son départ a des conséquences mais j'espère pouvoir m'entretenir avec le nouveau président du CNOSF car la situation du monde sportif français n'est pas satisfaisante.
Non. J'ai fait trois demandes mais je ne l'ai pas encore rencontré. Je m'efforce de prendre de la hauteur et de tendre la main…
Le fait que vous ne l'ayez pas encore rencontré malgré vos trois demandes est important. Cela donne une indication sur l'importance qu'il accorde au sujet que vous traitez.
Je ne veux pas porter de jugement avant de m'être entretenue avec lui. Je suis quelqu'un de loyal et je suis respectueuse de l'institution. S'il décide de me faire confiance, ce sera merveilleux parce que nous pourrons avancer en confiance ensemble. Cependant, vous avez pointé une réalité, et je ne suis responsable que d'une petite commission. Brigitte Henriques ne m'a pas nommée par hasard, et j'ai donné une dimension inédite à cette commission. J'ai fait exploser le plafond de verre mais j'ai conscience de la réalité et je sais que cela ne suffit pas. Si le président du CNOSF est désireux d'avancer, je serai naturellement à ses côtés. Je ne suis pas au cœur du système pour le critiquer mais parce que nous n'avons pas le choix : nous devons et nous allons gagner avant les Jeux de 2024. Le sport français est en retard mais il a une opportunité de rattraper son retard. Tout le monde peut comprendre que tous les problèmes ne peuvent être traités simultanément. Ce qui compte, c'est la volonté sur la durée. Les mots n'ont de sens que s'ils sont concrétisés sur la durée. Le public se lasse des effets d'annonce qui ne sont pas suivis d'effets. Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis et c'est ce dont les gens ont besoin. Je suis aussi animée par la volonté de replacer l'humanité au cœur du système. Je suis bien consciente que les intérêts supérieurs de l'État, les principes de réalité et les exigences de haut niveau doivent être pris en compte, mais jamais au détriment de l'intégrité physique et psychologique des athlètes, des sportifs, des victimes.
La question n'est pas : le sport français peut-il se transformer ? Nous allons l'obliger à se transformer ! Ce n'est pas peut-être, ce n'est pas demain, c'est ici et maintenant ! Nous devons nous réveiller ! Nous devons absolument nous lever tous ensemble, et je ne parle pas là seulement du sport français mais de l'ensemble de la société. Nous devons dire que nous ne voulons plus des violences. Ce n'est pas aussi simple, j'en conviens, mais la volonté d'avancer doit être partagée. Nous devons aussi aider le Président et le gouvernement dans cette perspective plutôt que d'adopter une posture d'opposition systématique. Nous devons essayer de nous unir, chacun à notre place, dans cette course de relais. Au bout de cette course de relais, la victoire nous attend. La victoire de la France olympique et paralympique, du sport et de la culture !
Merci à vous de m'avoir écoutée. Je suis à votre disposition comme je suis au service du sport français et au service de la France, avec humilité.
J'ai déjà fait le travail que vous m'avez demandé mais les freins sont nombreux et existent à différents niveaux, tant et si bien qu'il serait trop compliqué de vous les décrire en quelques minutes.
Bien sûr. N'hésitez pas à nous écrire à ce sujet. Nous sommes intéressés également par vos propositions et vos exemples de bonnes pratiques à l'international. Nous comptons sur votre contribution à cette commission d'enquête.
J'aimerais vous remercier pour votre courage car ce n'est pas évident. Je suis interpellée par la manière dont le sport français cherche à se défendre plutôt que d'attaquer. Nous devons avancer tous ensemble dans la lutte contre les violences et les discriminations. J'ai bien compris que ceux qui ont voulu m'anéantir et me faire disparaître étaient toujours là mais seulement, la petite Catherine a grandi et mûri et aujourd'hui elle est conseillée, entourée et protégée. Je tenais à vous remercier pour cette commission d'enquête. Au lieu de la critiquer, il faudrait vous encourager et vous soutenir. Je sais que votre but n'est pas de détruire le sport français mais de trouver des solutions pour que nous l'assainissions et pour que ses valeurs fondatrices soient au cœur des préoccupations. Sans la dignité humaine, le sport ne peut pas avoir de fondement. Le sport fait aussi partie intégrante de la société. Il a des bienfaits innombrables sur la santé. Il peut permettre de se reconstruire, il favorise l'inclusion. Le sport français doit être valorisé comme il le mérite. Les champions et les championnes français aussi mais un champion doit être exemplaire. Tout comme un entraîneur ne doit pas seulement être un bon technicien. Il doit avant tout être un éducateur. Vous avez tout mon soutien. Merci beaucoup.
La séance s'achève à dix-sept heures trois.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Béatrice Bellamy, Mme Fabienne Colboc, Mme Sabrina Sebaihi
Excusé. – Mme Claudia Rouaux
Assistait également à la réunion. – M. Karl Olive