Merci pour votre invitation à m'exprimer devant votre commission d'enquête parlementaire. Je suis effectivement la première athlète de haut niveau à avoir brisé la loi du silence et à avoir mené un combat historique qui a ouvert la voie à d'autres. Mon affaire a fait jurisprudence.
En 1991, j'ai été effectivement victime d'agressions sexuelles aggravées de la part de membres de l'équipe de France qui avaient été encouragés par l'entraîneur national. Ma vie a soudain volé en éclat. Ma carrière sportive en pleine ascension a été pulvérisée. Mes études supérieures – je préparais l'agrégation – ont été stoppées net. J'ai vécu des problèmes familiaux au regard de cette situation, et également dans ma vie personnelle, parce que j'avais été élevée, dans mon enfance et mon adolescence, dans le respect des valeurs de la vie. À ce moment-là, tout était le néant, la mort, la brutalité, le silence, la désespérance. Si j'avais su le parcours du combattant qui m'attendait, je crois qu'à ce moment-là, j'aurais voulu mourir pour de vrai…
Pourtant, après avoir entendu : « Ma petite fille, vous êtes jeune et jolie, vous oublierez ! », j'ai compris que les faits étaient trop graves et que je devais parler. J'ai donc porté plainte. Mon affaire aurait dû passer devant les Assises, elle a été déqualifiée avec de très fortes pressions au plus haut niveau de l'État. Mais l'important est que mes agresseurs ont été condamnés, même si les peines sont dérisoires au regard du mal qui a été fait.
Les ministres qui se sont succédé ont privilégié la raison d'État au détriment de la justice et du droit individuel. Pour avoir dit la vérité et résisté, j'ai été bannie du sport français. J'ai connu des maltraitances et du harcèlement institutionnalisé. J'ai été victime de menaces, y compris de mort, de pressions, d'une mise à l'écart systématique et d'un discrédit qui perdure encore aujourd'hui.
Bien sûr, il y a eu une évolution et je ne suis plus la même car je me suis reconstruite grâce à quelques personnalités, en particulier des hommes, dont M. Maurice Herzog et son Altesse sérénissime Albert II de Monaco, qui m'ont consolée d'une désespérance que je croyais irrémédiable, qui m'ont permis de croire à nouveau dans les valeurs de l'olympisme, les principes éthiques, éducatifs, humanistes, environnementaux, qui sont le fondement même du sport et de la vie. Ils m'ont aussi permis de croire, avec d'autres amis, en la beauté de la vie, et de me rappeler combien la vie, au-delà du pire, peut s'avérer épanouissante, enrichissante et surprenante.
Et mon rôle, au-delà d'être la présidente de la commission de lutte contre les violences sexuelles dans le sport du CNOSF, est également d'être une ambassadrice. Je dois donner l'exemple, donner confiance, transmettre la bienveillance, l'espérance et cette exigence de vigilance, car quand il s'agit de la protection de l'intégrité physique et psychologique des enfants, des adolescents et des jeunes adultes, des hommes et des femmes également, il n'y a pas de questionnement : c'est une priorité qui est à la fois légale et vitale.
Je reviendrai aussi sur ma nomination, qui a été possible grâce à une femme, Mme Brigitte Henriques, élue présidente du CNOSF le 29 juin 2021. Lors d'une assemblée générale extraordinaire du CNOSF, j'ai été nommée présidente de la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport avec un co-président car il fallait une parité. Brigitte Henriques m'a aidée à prendre ma place, à prendre confiance, à m'affirmer, et j'ai souhaité une commission restreinte, qui soit un peu une commission « commando », parce que je ne suis pas là pour faire de la figuration ou simplement pour le plaisir de dire que je fais partie du CNOSF. Le CNOSF est une institution olympique, sous l'autorité du comité international olympique (CIO), et je rappelle que dès 2008, le CIO a rédigé un document concernant le harcèlement et les abus sur les athlètes, en donnant des directives aux fédérations internationales et à tous les comités nationaux olympiques. Qu'a-t-on fait de ce document en France et surtout, quelles actions ont été mises en place ?
Puisque mon propos se doit d'être constructif, j'aimerais aussi dire que cette commission m'honore, m'oblige et simultanément, qu'elle n'est pas suffisante en l'état actuel pour répondre à l'ampleur des violences dans le sport. Soyons sérieux. Des initiatives sont prises à tous les niveaux (ministériel, olympique) et dans les autres structures. Elles ont le mérite d'exister, je les soutiens et je les encourage, mais pour réfléchir sur ce qui se passe et avoir une vision de ce qu'il faudrait faire, je suis désolée d'avoir à le dire car mon propos se veut constructif et objectif, mais nous ne sommes en France pas à la hauteur des enjeux, en particulier dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Mais nous avons de bonnes raisons d'espérer.
J'aimerais dire aussi, pour terminer sur ce sujet, que j'ai vécu un système qui, lorsqu'il est confronté à une difficulté, s'organise pour broyer. Il nie, il rejette, il met hors d'état de nuire et il continue à discréditer si le problème ne disparaît pas de lui-même. Ce qui a été mon cas.
Je ne crois pas qu'en profondeur, le système ait évolué. Je crois que le milieu du sport français est incapable de se remettre en cause. Je crois que ce système, le milieu du sport français, n'a pas tiré les leçons pendant ces trois décennies, et pourtant Dieu sait si les affaires ont été nombreuses. Merci à #MeToo d'être passé par là et d'être arrivé en France – pas simplement dans le sport, mais dans l'ensemble de la société. Avec ses excès, il faut aussi le dire. Le but n'est pas de travailler en opposition les uns avec les autres mais de nous réunir, de nous rassembler, et dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, nous avons un devoir de résultat. Nous avons une chance historique. Nous avons une opportunité exceptionnelle de nous réunir, de montrer que le sport est en train de changer, qu'il est un levier pour la société, et qu'ensemble, nous pouvons à réenchanter le sport et la société. Avec beaucoup d'humilité, car en voyant ce qui se passe à l'international, je constate que la France est très en retard. La société a plus évolué que le sport français. En même temps, on voit des avancées dans le sport français. Tout n'est pas négatif. Mais sur la question de la lutte contre les violences sexuelles et les discriminations, la manière dont les victimes sont traitées… Notre priorité est aussi que les milliers d'athlètes, hommes et femmes, garçons et filles, ne soient jamais victimes de ces violences. D'ailleurs, en vous parlant, je pense à Alexandre, Emma, Angélique, Claire, Chloé, Eléa, Sarah, Sébastien, Camille, Hélène, Cécile, Florence, Adèle, Andréa et à ces milliers de victimes encore emprisonnées dans le silence, la violence et l'indifférence.
Nous avons une obligation de résultat mais ce n'est pas chacun et chacune dans notre coin, mais chacun et chacune à notre niveau de responsabilité et d'action, à notre juste place, que nous devons communiquer ensemble, ouvrir en transversalité, et agir en ayant pleinement conscience que ce problème est légal et vital et que nous n'avons plus le temps. Il s'agit de sauver, de préserver et de consoler des vies.
L'une des leçons que je tire de mon histoire, c'est que le système est incapable, s'il n'est pas aidé par l'extérieur, et notamment par la société, de se remettre en cause. C'est un système clanique, qui vit en vase clos, qui s'auto-congratule et élimine ceux qui ne sont pas d'accord avec les décisions prises. Ce qui me donne beaucoup d'espoir, c'est qu'il y a beaucoup de femmes et d'hommes, dans les fédérations et sur l'ensemble du territoire national, qui sont prêts et dans l'attente d'un signal fort. Ce signal ne peut venir que du plus haut niveau de l'État : le Président de la République française. Et je ne doute pas un seul instant que M. Emmanuel Macron, Mme Brigitte Macron – qui m'a reçue – et les membres du gouvernement – qui sont mobilisés sur tous les fronts – aient la volonté de s'engager. Simplement, ce n'est pas suffisant au regard de l'ampleur des violences qui doivent s'arrêter. C'est un problème de société qui ne touche naturellement pas que le sport mais il faut qu'au plus haut niveau de l'État, des mesures beaucoup plus ambitieuses soient prises.
Il faut que le monde sportif, qui fait partie de la société, se rende compte qu'il ne relève plus d'un système d'exception. C'est terminé. Le sport français doit respecter la loi ordinaire. Il doit se conformer à la loi, aux règles, comme n'importe quel citoyen.
Je ne voudrais pas être trop longue pour laisser le temps aux questions mais je pourrais décrire mon travail au sein de la commission.
J'ai été accusée d'avoir terni l'image du sport pour avoir dit la vérité et résisté. J'ai été considérée comme la mauvaise conscience du sport français mais aujourd'hui, je vois, partout sur le territoire et à la tête de certaines fédérations, que je suis capable de transmettre à travers le symbole que je suis, mon exemple et la confiance que j'essaie de renouer… Cette confiance est indispensable mais empêchée par le système. Au contraire, il faut que nous nous fassions confiance. J'ai donc pris la décision de prendre de la hauteur, de tendre la main, de ne pas trop me retourner sur le passé mais de m'engager au présent pour l'avenir. C'est le combat de toute une vie. Je n'ai pas traversé l'Enfer pendant toutes ces années pour abdiquer aujourd'hui. Mon engagement est à la hauteur des épreuves que j'ai traversées mais aussi de ce que vivent les victimes et de ce que ne doivent pas vivre les milliers d'athlètes. Quand je vois qu'ils m'entourent, sachant à quel point ils peuvent compter sur moi, j'ai de l'espoir.
Il y a beaucoup de défaillances et de problèmes et les affaires vont continuer à ressurgir mais je remarque que dans certaines fédérations, des présidents et présidentes ont pris conscience de l'importance et de l'urgence de la situation.
Je suis aujourd'hui encore discréditée. Mes actions et mes paroles sont systématiquement minimisées et occultées au nom d'autres personnes ou d'autres intérêts. Tout le monde a sa place mais je m'interroge : comment se fait-il que la première athlète de haut niveau qui s'est battue seule contre tous pendant vingt ans, qui a dit et fait tout avant tout le monde, voie sa parole occultée ? Pourquoi, encore aujourd'hui, des pressions sont-elles exercées et des freins sont actionnés pour faire en sorte que je ne puisse pas m'exprimer et rayonner comme je devrais le faire ? Bien sûr que je le fais, parce que de plus en plus de personnalités savent qui je suis et m'invitent. Vendredi dernier par exemple, j'ai été invitée par les États-majors et les équipes du ministère des Armées. J'ai été présentée comme la Marianne du sport. Vous ne pouvez pas imaginer que cela signifiait pour moi. La société commence à faire attention à moi et à me reconnaître. J'aimerais bien avoir une place qui soit la mienne, mais pas pour moi, parce que je suis au service des autres. Je rappelle que je suis bénévole, et je travaille vingt-six heures sur vingt-quatre car je veux trouver des solutions. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation car il y a des vies en jeu et car le sport se doit d'être exemplaire. Il doit être un levier pour la société et dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, nous devons être à la hauteur. Nous serons à la hauteur et nous avons un prix à gagner. Il me faut que cette médaille d'or olympique incrustée de diamants multicolores, nous la partagions tous ensemble pour aller toujours plus haut, plus fort, plus loin, pour la dignité humaine, pour cette humanité sans qui le sport ne pourrait pas avoir de sens !