La séance est ouverte à vingt et une heures.
(Mme Isabelle Rauch, Présidente)
La commission auditionne Mme Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 (n° 1269) et examine ce projet de loi (Mme Fabienne Colboc, rapporteure).
Nous accueillons Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, pour nous présenter le projet de loi, adopté par le Sénat le 23 mai dernier, relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, dont Mme Fabienne Colboc a été désignée rapporteure.
Le 23 mai dernier, j'ai eu l'honneur de présenter ce projet de loi devant le Sénat. Il a été adopté à l'unanimité, au terme d'une séance chargée de gravité et d'émotion.
Quatre-vingts ans après les faits, nos collections publiques et nos mémoires gardent l'empreinte des persécutions auxquelles ont été confrontés les Juifs, en France et dans toute l'Europe. Leurs biens ont été confisqués, pillés, spoliés. Il s'agissait, le plus souvent, d'objets du quotidien dont on n'a jamais retrouvé la trace. Ces objets ont été spoliés par l'Allemagne nazie, puis par l'État français lui-même, lequel s'était doté d'un commissariat général aux questions juives ayant décidé d'une politique d'aryanisation des biens mobiliers et culturels – livres, objets d'art manuscrits, etc.
Ce projet de loi a pour objectif de couvrir toutes les spoliations intervenues dans le contexte des persécutions antisémites, quel qu'ait été l'auteur de ces dernières : l'Allemagne nazie, les autorités des différents pays et territoires contrôlés, occupés ou influencés, ou le régime de l'État français. Pour ce dernier, nous avons eu plusieurs échanges au Sénat concernant la formulation à retenir. À cet égard, je remercie la rapporteure Fabienne Colboc pour son investissement, son travail de médiation et son travail partenarial afin d'aboutir à un consensus sur les mots, parce que chaque mot compte.
À l'origine, le Gouvernement, éclairé par le Conseil d'État, avait retenu l'expression de l'ordonnance du 9 août 1944 de rétablissement de la légalité républicaine, encore utilisée dans la jurisprudence du Conseil d'État : « l'autorité de fait se disant "gouvernement de l'État français" ». Cette expression a été partiellement revue par le Sénat, qui a amendé l'une des deux occurrences de la formule en écrivant à l'article 1er « l'autorité de fait du "régime de Vichy" ». Toutefois, cet amendement examiné en séance, alors qu'il aurait fallu avoir plus de temps, n'a pas été déposé à l'article 2, qui conserve la formule initiale. C'est la raison pour laquelle il est important de travailler avec vous pour clarifier les formules.
Cette formule ayant reçu un avis défavorable de la commission de la culture du Sénat et du Gouvernement, elle doit être modifiée. Nous avons poursuivi nos consultations dans cette optique. L'expression « l'État français », utilisée dans la loi du 10 juillet 2000, instaurant une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux Justes de France, semble s'imposer. Par le choix des termes comme par la reconnaissance des faits, ce projet de loi s'inscrit dans ce travail d'histoire et de mémoire consacré à la seconde guerre mondiale et à la Shoah depuis les années 1990. Je salue, à cet égard, l'importance du discours du président Chirac au Vélodrome d'Hiver en 1995, qui a reconnu notre responsabilité en affirmant la complicité de la France dans la déportation et l'assassinat des Juifs de France au cours de l'occupation du pays par les nazis.
Rappelons aussi l'importance de la mission Mattéoli, en 1997, qui a levé le voile sur le sujet longtemps oublié des spoliations des Juifs de France, en dénombrant les avoirs en déshérence dans les banques et les compagnies d'assurance et en dressant un bilan des œuvres spoliées encore à la garde des musées nationaux. Ces recherches ont permis de rappeler que les spoliations participaient de l'horreur du génocide, puisqu'elles procédaient de la même volonté de priver les victimes de tous leurs biens, préalable à leur annihilation. Individus et professionnels, tous ont été touchés – jusqu'aux galeries d'art appartenant à des Juifs, qui ont été aryanisées par le commissariat général aux questions juives, privant leurs propriétaires de leurs biens et de leur capacité même à exercer leur métier. Les historiens estiment qu'environ 100 000 œuvres et objets d'art ont été arrachés des mains de leurs propriétaires ou vendus sous la contrainte pour financer un exil.
Au lendemain de la guerre, certains de ces biens ont été retrouvés, notamment grâce au travail colossal et courageux de cette femme extraordinaire, Rose Valland. Attachée de conservation bénévole au musée du Jeu de Paume, où les œuvres des collections privées spoliées étaient entreposées avant de partir vers le Reich, elle a inventorié en secret tout ce qu'elle voyait passer. Grâce à ses notes, à son courage et à sa rigueur, on a pu retrouver dès 1945 la trace de milliers d'œuvres. Certaines ont été rendues à leur propriétaire légitime, d'autres pas. Quand elles n'ont pas été vendues au début des années 1950, elles ont été labellisées MNR, Musées nationaux récupération, et confiées à la garde des musées nationaux. Elles sont restituables lorsque la spoliation est établie et que les ayants droit de leurs propriétaires peuvent être identifiés. Mais des milliers d'œuvres spoliées n'ont jamais été identifiées comme telles. Elles ont été dissimulées, vendues, revendues parfois, y compris à des musées qui les ont acquises en ignorant tout de leur histoire sombre.
Je voudrais partager avec vous le parcours de quelques-uns de ces tableaux – par exemple Nus dans un paysage, de Max Pechstein, qu'Hugo et Gertrud Simon ont dû laisser derrière eux pour fuir au Brésil, loin de toute l'existence qu'ils avaient reconstruite après leur premier exil d'Allemagne en 1933. La majeure partie de leur collection a été pillée. Des années plus tard, ce tableau s'est retrouvé dans les collections du Musée national d'art moderne avant que les conservateurs du musée et l'arrière-petit-fils des Simon ne retracent son histoire et qu'il puisse être restitué en 2021. Vous avez aussi en tête l'exemple emblématique du tableau de Gustav Klimt, Rosiers sous les arbres, vendu sous la contrainte à un prix bien inférieur à celui du marché par Nora Stiasny qui avait tenté en vain de fuir l'Autriche en 1938, année de l'Anschluss. Elle sera déportée et assassinée en 1942. Ce n'est qu'après des investigations poussées menées par une chercheuse indépendante autrichienne, par la galerie du Belvédère à Vienne et, en France, par le musée d'Orsay et par nos équipes du ministère de la Culture, qu'il est apparu que ce tableau avait été spolié. L'année dernière, grâce à la loi d'espèce défendue par ma prédécesseure Roselyne Bachelot et que le Parlement a adoptée à l'unanimité, nous avons enfin pu restituer Rosiers sous les arbres aux ayants droit de Nora Stiasny. Le nombre d'œuvres qui ont connu des parcours similaires est impossible à évaluer, mais nous savons qu'il est élevé.
Alors que les derniers témoins de la Shoah sont encore parmi nous, mais plus pour très longtemps, nous devons progresser dans la voie des restitutions, en mémoire de leurs histoires et par devoir envers leurs ayants droit.
En l'état actuel du droit, même lorsque l'on sait qu'une œuvre entrée dans les collections publiques a été spoliée, même si la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation, la CIVS, s'est prononcée favorablement et même si toutes les parties sont d'accord, l'œuvre ne peut pas être restituée en raison du principe d'inaliénabilité de nos collections. Prenons l'exemple d'un des tableaux volés au galeriste d'avant-guerre Georges Bernheim, retrouvé dans les collections publiques du musée Utrillo-Valadon de la ville de Sannois en 2018. Malgré l'accord de toutes les parties, les investigations et la confirmation de la spoliation, il a fallu attendre quatre ans et la loi d'espèce votée par le Parlement l'an dernier pour qu'il puisse être restitué aux ayants droit de Georges Bernheim, qu'il n'aurait jamais dû quitter.
Il est nécessaire de faire évoluer ce cadre, pour éviter de retourner devant le Parlement à chaque cas ou d'attendre trop longtemps pour pouvoir regrouper plusieurs cas pour une loi d'espèce, et pour que ce qui est juste devienne un droit et non plus un combat ou un parcours du combattant.
Si cette loi est votée, toutes les collections publiques seront concernées, et pas uniquement celles des musées nationaux. Des années d'attente, d'interrogation et d'incompréhension pourront être apaisées. À chaque fois qu'une enquête aura attesté la provenance frauduleuse et la spoliation de l'œuvre entre 1933 et 1945, celle-ci sera restituée de droit. Pour l'État, un décret simple de la Première ministre suffira. Pour les collectivités, il faudra une décision de l'organe délibérant.
En parallèle, nous nous engagerons à développer les recherches de provenance. Elles sont nécessaires pour faire la lumière sur l'origine et sur l'entrée dans les collections de toutes nos œuvres. Avec cette loi, les établissements nationaux devront rendre publics chaque année, dans un rapport adressé au Parlement, les moyens qu'ils affectent à la recherche en provenance. Un dispositif de subvention sera instauré par nos directions régionales des affaires culturelles, les Drac, pour aider les autres musées à lancer des missions d'investigation, véritables enquêtes. Les collectivités pourront également être accompagnées lorsqu'elles souhaiteront solliciter une mission de recherche en provenance auprès d'historiens de l'art spécialisés. Selon les cas, il faudra aller chercher d'autres compétences.
Je suis fière de soutenir ce projet de loi devant vous. C'est le premier, depuis la Libération, à reconnaître la spoliation spécifique subie par les Juifs en France et ailleurs du fait de l'Allemagne nazie et des diverses autorités qui lui ont été liées – le « régime de Vichy », « l'État français » pour ce qui concerne notre pays.
Comme cela a été précisé au Sénat, rien ne saurait réparer la Shoah, ce drame terrible. Rien ne saurait réparer ce qui a été commis. Notre dette est imprescriptible, pour reprendre les mots du président Chirac en 1995. Les familles ne retrouveront jamais les livres, les cahiers, les ustensiles et les meubles qui faisaient l'intimité de leur foyer et qu'elles auraient dû transmettre à leurs enfants puis à leurs petits-enfants. Mais nous pouvons agir pour restituer les œuvres d'art spoliées. Le ministère de la Culture prendra ses responsabilités pour que les musées consacrent plus de temps et de moyens à ces recherches de provenance. Il y va de notre rapport à notre histoire, de notre rapport à la justice et de notre devoir de mémoire – devoir de mémoire qui se prolonge dans notre combat quotidien contre l'antisémitisme, qui n'a pas disparu avec la guerre et qui est encore trop présent. Nous devons le combattre sans relâche. Ce projet de loi est aussi un moyen de le faire, en préférant la restitution au déni ou au repli.
J'espère que ce texte recueillera votre confiance, en mémoire de celles et ceux qui ont lutté contre l'horreur, et par devoir envers ceux qui en portent l'héritage.
Le 17 janvier 2022, je présentais devant la commission des affaires culturelles le projet de loi devenu la loi du 21 février 2022, qui a conduit à la restitution de quinze biens spoliés issus des collections publiques. Je concluais alors mon propos avec l'idée que la loi d'espèce constituait le premier pas d'une démarche à prolonger et à accentuer. Je suis donc satisfaite de voir arriver le présent projet de loi-cadre à l'Assemblée nationale, car il constitue cette prolongation, attendue et nécessaire. Je remercie la ministre de l'avoir soutenu dès la première année de cette législature.
Le 23 mai dernier, ce texte a été adopté, à l'unanimité, en première lecture par le Sénat qui a souligné son caractère symbolique et reconnu la simplicité et la praticité du dispositif proposé. J'ai bon espoir que nous pourrons également parvenir à un accord unanime sur ce texte, qui constitue une réelle avancée dans la prise en compte par la France de la nécessité de restituer les biens culturels spoliés.
Les enjeux éthiques, artistiques, diplomatiques, juridiques et économiques de ces restitutions sont primordiaux. Celles-ci n'ont pas pour unique objet de compenser un préjudice matériel, mais aussi de rétablir un titre de propriété légitime et, surtout, de garantir le respect de la dignité des victimes de la barbarie nazie et des persécutions antisémites, auxquelles les autorités françaises ont contribué et qu'elles doivent reconnaitre dans toute la mesure de leurs moyens.
Si le terme de réparation est souvent utilisé dans ce projet de loi et dans le débat qui l'accompagne, cela s'explique par la force d'une habitude communément admise. Mais il ne s'agit en aucun cas de prétendre pouvoir réparer les persécutions et les crimes antisémites commis durant la seconde guerre mondiale – car on ne peut réparer, ni symboliquement ni financièrement, l'irréparable. On peut toutefois faire œuvre de reconnaissance, et ce n'est pas négligeable : cela contribue à restaurer un peu de l'identité de ceux dont on avait voulu l'effacer. On peut également aller vers plus de justice, en restituant aux ayants droit ce qui n'aurait jamais dû être spolié, en leur proposant des compensations, ou en convenant avec eux de la meilleure façon de faire vivre la mémoire des disparus, par exemple à travers l'exposition la plus adaptée de ces biens culturels. Dans la mesure où les biens culturels évoquent un patrimoine particulier, qui touche à l'intime, leur spoliation est l'instrument d'une volonté d'anéantissement innommable.
À travers cette loi-cadre, l'objectif est d'aller plus vite et plus loin dans le processus de restitution de biens culturels spoliés, dans lequel la France s'est malheureusement distinguée par une forme de retard face à d'autres grands pays comme les États-Unis ou l'Allemagne. Si la responsabilité historique particulière de cette dernière explique une politique plus volontariste, on ne peut nier que la France a longtemps fait preuve d'une forme de réticence à se pencher sur son passé, alors même que l'après-guerre y avait constitué une période très active pour la recherche des biens spoliés et leur restitution. Qu'il s'agisse des moyens accordés à ces efforts ou de la volonté politique affichée, la France s'est longtemps montrée trop timorée.
À ces raisons historiques, liées à la difficulté de regarder en face un passé aux heures sombres, s'ajoute la spécificité juridique française du caractère inaliénable des collections publiques, qui réduisait le champ des possibilités de restitution. Plusieurs voies juridiques existaient jusqu'à présent, chacune avec ses difficultés, pour dépasser ce caractère inaliénable.
D'abord, ce principe n'étant pas de rang constitutionnel, le législateur peut autoriser, par une dérogation limitée au caractère inaliénable d'un bien, le déclassement pour la sortie des collections publiques et le transfert de propriété d'une œuvre – sous réserve qu'il existe un motif d'intérêt général et que le déclassement ne porte pas une atteinte disproportionnée à la protection de la propriété publique. Tel est l'objet de la loi du 21 février 2022. Toutefois, l'impulsion donnée à la recherche de provenance par la création de la mission de recherche et de restitution du ministère de la Culture et la coordination de son action avec la CIVS pourraient donner lieu à la découverte de nombreux biens spoliés. Bien qu'il soit encore difficile d'estimer ce nombre, la multiplication possible de ces situations pose la question de la pertinence de lois ad hoc à répétition. Une loi-cadre, en revanche, permettra d'accélérer le rythme des restitutions et constitue une réponse globale et un signe fort d'engagement de la part de la France.
Ensuite, la restitution de biens spoliés peut également être obtenue par la voie judiciaire. Le juge peut la prononcer sur le fondement de l'ordonnance du 21 avril 1945, laquelle frappe de nullité tout acte de spoliation commis en France par l'occupant ou par les autorités en place, et impose la restitution des biens spoliés. Elle s'applique aussi aux biens qui auraient été intégrés aux collections publiques depuis leur spoliation. Cette action judiciaire connait toutefois des limites : elle n'est applicable qu'aux actes de spoliations commis en France, et non dans un État étranger, et l'action doit être engagée par l'ayant droit, ce qui ne laisse pas de place à l'initiative des institutions qui souhaitent effectuer des recherches de provenance. En l'occurrence, le projet de loi que nous examinons permet d'encourager et d'accompagner une démarche plus volontariste des établissements culturels, qui ont pris toute la mesure de l'enjeu consistant à être les conservateurs de collections « propres ».
Pour toutes ces raisons, les personnes auditionnées lors de nos travaux se sont montrées très favorables au dispositif envisagé.
L'article 1er du projet de loi institue une nouvelle procédure de déclassement des biens appartenant au domaine public, par dérogation au régime d'inaliénabilité. Ce dispositif permettra à la personne publique, après avis d'une commission administrative, de prononcer la restitution à son propriétaire ou à ses ayants droit de tout type de biens culturels ayant fait l'objet d'une spoliation. Ceux-ci ne se limitent pas aux œuvres d'art, mais peuvent également être des livres ou des instruments de musique. S'ils n'ont pas nécessairement de valeur financière, ils peuvent revêtir une importance symbolique et intime.
La commission prévue par le texte s'inscrira dans les pas de la CIVS. Instaurée en 1999, celle-ci a vu ses compétences renforcées et élargies en 2018. Le travail remarquable qu'elle effectue pourra se poursuivre et son expérience unique sera capitalisée. L'existence d'avis scientifiques et indépendants constitue une garantie d'impartialité pour l'action publique dans les restitutions, et il faut s'en féliciter.
Bien que la restitution doive demeurer la priorité et la règle générale, l'article affirme également la possibilité d'autres modalités d'accord entre les personnes publiques et les ayants droit, qui ne se limiteront pas à des compensations financières. On peut ainsi imaginer que les ayants droit souhaitent voir certains biens culturels continuer à être exposés dans les collections publiques, encadrés par un dispositif de médiation spécifique favorisant la connaissance des persécutions antisémites commises entre 1933 et 1945.
L'article 2 permet l'application de la procédure administrative dérogatoire prévue à l'article 1er aux biens des collections des musées privés ayant reçu le label « musée de France », acquis par dons et legs ou avec le concours de l'État ou d'une collectivité territoriale. Cette capacité donnée aux musées privés est susceptible de créer une impulsion intéressante dans leur prise en compte de l'enjeu des restitutions de biens spoliés.
L'article 3 rend possible l'application de la loi aux demandes de restitution en cours, dès lors qu'elles ont été reçues à la date de sa publication.
L'article 4, ajouté en séance au Sénat, prévoit un rapport du Gouvernement permettant l'information du Parlement quant aux biens culturels spoliés et ayant fait l'objet d'une restitution durant l'année écoulée.
Vous l'aurez compris, ce projet de loi apparaît cohérent et nécessaire, et répond à un besoin de simplification qui facilitera les processus de restitution. Il permettra à la France de mieux se conformer aux principes de Washington de 1998, pour la recherche de solutions « justes et équitables ». Je proposerai quelques amendements visant à préciser des points rédactionnels et à rétablir la cohérence pour la dénomination du régime français visé par les deux premiers articles.
Je rappelle que l'application de la loi ne doit pas conduire à écarter le Parlement. Il nous reviendra d'user des instruments dont nous disposons pour continuer à faire vivre la mémoire de ces évènements et à suivre l'avancée des restitutions. Cela pourra passer par l'audition régulière de la commission qui sera instaurée, ou par des travaux d'information et d'évaluation des résultats obtenus. Ce suivi devra nous permettre d'alerter le Gouvernement, le cas échéant, quant aux besoins de moyens supplémentaires.
Qu'il me soit permis, pour conclure, de rendre hommage à toutes les personnes qui se sont engagées, individuellement ou collectivement, à la défense des familles juives dépossédées. Je pense à Rose Valland, qui a œuvré à ce que soient documentés un grand nombre de transferts de biens culturels. Je pense aussi à Jean Mattéoli, dont le rapport de 1997 sur la spoliation des Juifs de France a fait date, ainsi qu'à toutes les institutions culturelles qui se sont emparées de ce sujet, avec l'appui de la mission de recherche et de restitution des biens spoliés dirigée par David Zivie, et à la CIVS, présidée par M. Michel Jeannoutot. Je remercie enfin les historiens consultés lors de notre réflexion, pour leurs éclairages précieux sur une période complexe et difficile pour la France – Mme Claire Andrieu, Mme Annette Wieviorka, M. Laurent Joly et M. Johann Chapoutot.
Dans ma circonscription, un passage discret porte le nom de Rose Valland. Conservatrice au musée du Jeu de Paume, cette formidable résistante a permis de cacher et de lister des centaines de milliers d'œuvres d'art réquisitionnées par le régime nazi, et contribuer ainsi, des années plus tard, à leur restitution.
La restitution des œuvres d'art spoliées est, non pas une question d'argent, mais d'histoire et de mémoire – la mémoire des souffrances endurées par tant de familles juives, dont la mienne, françaises et étrangères qui ont connu la persécution, bien souvent avant les arrestations, dès 1933, mais aussi lors de la déportation et de l'extermination. Il y eut les vols, les pillages, les confiscations, les aryanisations ou encore les ventes sous contrainte.
La spoliation est un acte civil, dont il faut mesurer les conséquences dévastatrices. Au-delà de la dépossession, elle constitue une atteinte grave à la dignité des individus. Elle est la négation même de leur mémoire, de leurs souvenirs, de leurs émotions. La spoliation des biens juifs n'était pas une obsession pour l'art, mais l'obsession d'annuler une culture tout entière et, en définitive, une part de notre humanité. Si rien ne peut ramener les victimes d'hier et si leur peine reste imprescriptible, nous pouvons néanmoins rendre plus facile la restitution des biens culturels à leurs familles et à leurs ayants droit. Nous le devons, pour rendre un fragment d'histoire familiale et pour que ce qui est juste ne soit plus un combat législatif sans fin, mais un droit.
Depuis 1995, date à laquelle Jacques Chirac a reconnu officiellement la participation et la responsabilité de la France dans les exactions et dans les déportations dont les Juifs de France furent l'objet, nos gouvernements successifs cherchent à faire la lumière sur les spoliations et à indemniser les spoliés et leurs descendants. La mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, créée en 2019, a étendu ces recherches aux œuvres entrées en toute légalité dans les collections publiques, parfois bien des années, voire des décennies après la guerre. Pour autant, lorsque les recherches aboutissent, lorsqu'une œuvre spoliée est repérée comme telle dans les collections publiques, lorsque ses propriétaires sont identifiés et lorsque les parties s'accordent sur le principe de la restitution, il reste impossible de le faire sans passer soit par une procédure judiciaire, soit par une loi spécifique au cas par cas, pour déroger au principe d'inaliénabilité des collections publiques.
Ce projet de loi-cadre permet de simplifier le processus de restitution en instaurant une procédure administrative dérogeant au principe d'inaliénabilité des collections publiques, et en étendant ce principe aux musées privés bénéficiant de l'appellation « Musée de France » pour restituer des biens spoliés, acquis soit par don ou legs, soit avec le concours financier de l'État ou d'une collectivité territoriale. Est également prévue une information annuelle du Parlement concernant les biens culturels restitués. Cette information sera, à n'en pas douter, une source précieuse pour raviver le souvenir des victimes et transmettre aux générations futures cette exigence du devoir de mémoire. Nous continuerons ainsi à tracer ce chemin de justice et de vérité ouvert par tous ceux qui se sont battus pour rendre les restitutions possibles, considérant qu'il ne peut y avoir de progrès s'il n'est pas rendu justice à ceux qui ont souffert par le passé. Telle est la portée de cette nouvelle mission qui nous engage et nous oblige. C'est pourquoi notre groupe votera avec conviction pour ce projet de loi.
L'horreur des années 1933 à 1945 a donné lieu aux exactions, persécutions et crimes contre l'humanité que nous connaissons et dénonçons. Entre l'accession au pouvoir d'Hitler le 30 janvier 1933 et la capitulation allemande le 8 mai 1945, le régime nazi s'est livré à des spoliations avérées de biens appartenant aux populations juives en Allemagne et dans les territoires qu'elle a annexés, occupés, dominés et influencés. Ces appropriations et ventes forcées, ces dizaines de milliers de biens spoliés constituent autant de pillages et de vols, mais aussi de destruction morale, d'intrusion, de volonté de déracinement, d'arrachage, de logique d'éradication des hommes, des femmes et des enfants visés. S'attaquer à des biens familiaux, à des héritages et à leur valeur sentimentale, c'est s'attaquer au cœur d'une famille, à son intimité et à son histoire.
Parmi ces biens, des œuvres, des tableaux et des objets d'art, mais aussi des livres – les spoliations nazies ont conduit à la saisie de bibliothèques entières, modestes ou importantes, appartenant dans leur grande majorité à des Juifs, mais également à des opposants politiques. L'occupant allemand l'a fait sur notre territoire national, avec la complicité des autorités locales. Si, dès la Libération, plusieurs œuvres ont été restituées, d'autres ont connu un parcours différent, intégrant parfois les collections nationales.
Il nous est possible d'ouvrir ce nouveau chapitre pour travailler à réparer ce qui peut l'être. Ce projet de loi marque une évolution importante en fixant un cadre général applicable et ne désignant plus seulement des biens précis. La restitution de l'œuvre ainsi facilitée se fera de droit après enquête et reconnaissance de la spoliation par la commission compétente et le propriétaire, pour l'État par décret et pour une collectivité locale par décision de l'organe délibérant.
Ce projet marque une nouvelle étape dans la politique de réparation des spoliations antisémites et dans la réconciliation de notre mémoire nationale. Retrouver ces biens culturels et les restituer aux ayants droit des victimes n'est que justice. C'est aussi donner le droit aux descendants des familles juives de renouer avec leur histoire personnelle et avec leur mémoire. La restitution des biens culturels dont les Juifs furent spoliés par l'Allemagne nazie est une œuvre de justice et d'humanité, dont la signification morale et politique dépasse les valeurs matérielles.
Nous proposons d'enrichir ce texte en précisant certains points sur lesquels nous reviendrons lors de l'examen des amendements. Le Rassemblement national votera ce texte, qu'il soutient et dont il partage les ambitions.
Un grand pays célèbre ses victoires, mais il se doit aussi de ne pas tourner le dos aux dimensions plus sombres de son histoire et d'en assumer les conséquences. Nous avons des leçons à tirer du discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 reconnaissant la responsabilité de la France aux côtés de l'Allemagne nazie dans la déportation des Juifs de France.
Sur le plan international, la question de la restitution des œuvres d'art spoliées s'est progressivement imposée, aboutissant à l'adoption par quarante-quatre États, en 1998, des principes de Washington. Ceux-ci constituent une référence pour trouver une solution juste et équitable dans l'intérêt des familles spoliées. Ce projet de loi suit donc la marche de l'histoire, et permet d'éviter la multiplication des projets de loi traitant de cas spécifiques, comme celui de l'an dernier qui autorisait la sortie de treize œuvres des collections nationales et d'une œuvre des collections de la ville de Sannois. Il permet donc de simplifier la procédure.
La France évalue traditionnellement à 100 000 le nombre d'œuvres, objets d'art et instruments de musique spoliés, sans compter les millions de livres, mais ce nombre est sans doute sous-estimé, car il est fondé sur les seules réclamations faites au lendemain de la guerre, dont on sait qu'elles sont incomplètes.
Nous devons nous montrer à la hauteur de l'histoire. Pour que ce projet de loi ne reste pas lettre morte, les effectifs de la CIVS et de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés devront être renforcés, et le travail de recherche de provenance devra être intensifié. Or le ministère de la Culture n'envisagerait pas d'augmenter la faible dotation de 200 000 euros dont dispose la mission de restitution des biens spoliés ! C'est ce que nous apprend un article du journal Le Monde du 16 janvier 2023. Avouez que c'est un peu gênant. Il ne suffit pas d'affirmer que nous mettrons les moyens, madame la ministre. Il faut des actes concrets.
Les musées devront également disposer de nouveaux moyens pour recruter des chercheurs. Mais, face à l'envolée des coûts, notamment ceux de l'énergie, le défi est immense.
Par ailleurs, la question des collections privées n'est pas abordée dans ce texte. C'est une lacune fondamentale.
Enfin, c'est aussi parce que nous devons nous montrer à la hauteur de l'histoire que nous ne devons pas laisser le RN déresponsabiliser l'État français par ses amendements, sous prétexte de reformulations qui sont autant de périphrases étranges. Nous serons vigilants face à toute entreprise de relecture de l'histoire. Nous savons d'où vient le RN. Élisabeth Borne l'a fort bien rappelé elle-même, en indiquant qu'il était l'héritier de Pétain, et nous regrettons qu'elle n'ait pas reçu le soutien adéquat du plus haut sommet de l'État.
En France, environ 100 000 œuvres et objets d'art ont été spoliés, auxquels s'ajoutent au moins 5 millions de livres. Ces chiffres fondés sur les réclamations faites au lendemain de la guerre soulignent l'ampleur et la gravité des crimes antisémites commis par les nazis. Reconnaître les fautes du passé, c'est défendre une idée de l'homme, de sa liberté et de sa dignité, affirmait Jacques Chirac lors des cérémonies de commémoration du 53e anniversaire de la rafle du Vel d'Hiv.
Dans la continuité de ce discours historique, le groupe Les Républicains soutient la simplification de la procédure de restitution des biens culturels relevant du domaine public et ayant fait l'objet de spoliations lors des persécutions antisémites. C'est la modeste réparation d'un préjudice inqualifiable et irréparable. Pour les Juifs qui ont été spoliés, retrouver une œuvre ou un objet, parfois ultime témoignage du quotidien de leurs parents, a une portée considérable. Je pense au film La femme au tableau, qui relate le combat de Maria Altmann pour la restitution du tableau le plus célèbre de Klimt.
La sémantique choisie par le Sénat, attribuant les persécutions perpétrées à l'autorité de fait du « régime de Vichy » pose question. Le président Chirac avait souligné que la folie criminelle de l'occupant avait été secondée par l'État français. Nous soutenons l'utilisation du terme « gouvernement de l'État français né du vote du 10 juillet 1940 », conformément à l'amendement proposé par Nicolas Ray, afin de rappeler l'existence et le rôle majeur de la France libre. Nous saluons également la possibilité offerte aux parties de conclure un accord amiable sur les modalités de réparation autres que la restitution. Elle permettra le maintien d'œuvres remarquables dans les collections publiques, tout en assurant une contrepartie aux héritiers des victimes spoliées si gravement, comme cela a été le cas de la tapisserie acquise par le musée Labenche de Brive-la-Gaillarde. Cependant, la faiblesse des crédits d'acquisition doit nous alerter.
Nous regrettons que la recherche publique soit l'angle mort de ce projet. Une politique ambitieuse doit être instaurée afin que les recherches de provenance puissent être effectuées par des acteurs institutionnels autres que les entreprises de vente aux enchères. L'attribution de bourses doctorales annuelles et la création de cours, évoquées dans les auditions, nous paraissent pertinentes.
Le groupe Les Républicains sera attentif à la présentation d'autres textes relatifs aux objets et œuvres ethnographiques, et aux restes humains, afin que la dérogation au principe d'inaliénabilité des biens appartenant au domaine public demeure circonscrite et que le Parlement conserve un rôle actif. Si la restitution des œuvres spoliées dans le cadre des persécutions antisémites ne souffre d'aucune contestation, la légitimité de l'acquisition d'autres biens doit être discutée de manière différente et singulière pour ne pas exposer la France à des demandes de restitution tous azimuts, au prix de la qualité et de la conservation des collections. À cet égard, la formulation de Mme la rapporteure, soulignant l'intérêt d'une loi-cadre pour une réponse globale, paraît ambiguë et mérite une clarification.
L'étude de textes ayant trait à notre histoire représente toujours un moment particulier pour notre commission, souvent objet de tensions, a fortiori lorsque nous abordons les années d'occupation de notre nation par l'Allemagne nazie et la cruelle responsabilité de la France dans les actes commis, irréparables comme les qualifiait le président Chirac – en l'occurrence, les persécutions perpétrées dans les territoires contrôlés par le régime nazi ou par des autorités qui lui étaient liées, de l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler à la capitulation allemande. Ces atrocités recouvrent les spoliations de biens.
Quand vient la question des réparations, le débat se tend davantage. Le chemin étroit, exigeant et juste qui doit être le nôtre se situe entre deux écueils. D'une part, l'autoflagellation, qui voudrait qu'on déteste l'entièreté du passé de la France au détriment de la profondeur de l'histoire, au prix des anachronismes et des jugements à l'emporte-pièce qui nourrissent la haine entre les peuples et entre les classes. C'est là le terreau du déni et de la surenchère constante dans la recherche ravageuse et totalitaire d'une histoire convenable. D'autre part, la surréaction au premier écueil. C'est l'œuvre de ceux qui caricaturent la restitution des biens culturels pour faire croire que notre pays se dépouille et qu'il abandonne sa grandeur. C'est faux. Il faut dire clairement aux Français ce que nous faisons : les restitutions demeurent limitées aux œuvres spoliées en fonction de critères antisémites, par un État que nous condamnons tous.
Agir avec justesse, c'est ce que propose ce projet de loi. Le groupe Démocrate salue votre travail, madame la ministre. Malgré les difficultés que je viens de citer, il a été adopté à l'unanimité par la Chambre haute.
Lors du mandat précédent, grâce à l'impulsion d'Emmanuel Macron, nous rendions au Bénin et au Sénégal des œuvres d'art qui leur appartenaient. Notre groupe défendait déjà l'idée d'une loi-cadre qui apporterait une procédure claire et lisible aux restitutions et qui dépendrait, non pas du bon vouloir d'un décideur, mais d'un travail historique étayé concernant l'origine de nos œuvres. En dépit de l'honneur qui nous est donné d'échanger sur notre histoire et sur l'art, cette loi-cadre vise à nous solliciter un peu moins. Le Conseil d'État, dans son avis du 7 octobre 2021, avait recommandé l'élaboration d'une telle loi afin d'accélérer les restitutions. Deux autres viendront, permettant à la France d'encore mieux regarder en face d'autres périodes avec courage, justice et justesse. Car comment défendre notre humanisme si nous n'appliquons pas ces préceptes ?
Les représentants du monde culturel et d'instances mémorielles auditionnés saluent ce projet de loi. Un point est souvent revenu. Il est important, même s'il ne doit pas nous détourner de l'objet premier du texte : celui de la dénomination de l'État français sous l'Occupation.
Le groupe Démocrate votera en faveur de ce projet de loi.
Avec ce texte, notre commission aborde avec émotion et douleur la période du régime nazi et toutes ses victimes, opposants et Juifs. C'est la deuxième fois que le Parlement examine un texte consacré à ce sujet, après l'adoption à l'unanimité de la loi de restitution de biens spoliés pendant la période du 3e Reich, qui a permis la restitution de quinze biens.
Ce projet de loi vise à créer, dans le code de patrimoine, une dérogation au principe d'inaliénabilité des biens culturels du domaine public, afin de faciliter la restitution des biens spoliés. En effet, les biens culturels appartenant aux collections publiques sont frappés d'inaliénabilité, principe de valeur législative. Le groupe Socialistes et apparentés salue cette facilitation du dispositif de restitution, qui permet d'éviter de passer au cas par cas devant le Parlement. Il faut accélérer le rythme des restitutions. L'encombrement de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et du Sénat ainsi que la complexité de la procédure parlementaire ne doivent pas constituer un frein.
Ce projet de loi-cadre permet aussi de rendre le processus de restitution plus fiable et plus transparent. Son adoption marque l'engagement de la France au-delà de la voie judiciaire existante face à la très probable multiplication des restitutions. Cette future loi constituera une nouvelle étape dans la politique constante de la France, depuis 1945, de réparation des spoliations antisémites. Néanmoins, avec elle, notre Parlement perdra sa capacité d'examen et d'appréciation du bien-fondé de ces restitutions. Nous pensons donc utile de prévoir une information de qualité du Parlement concernant l'évolution de ces restitutions. Le nouvel article 4, inséré par nos collègues sénateurs pour prévoir la remise d'un rapport annuel au Parlement par le Gouvernement, est nécessaire et nous le soutenons.
Ce projet de loi facilitera la perspective des restitutions, mais un immense travail reste nécessaire pour que celles-ci puissent intervenir. À la demande de tous les ministres de la Culture depuis dix ans, les bibliothèques et les musées nationaux ont entamé un travail d'identification des biens spoliés.
Quel est l'ordre de grandeur du nombre d'œuvres spoliées présentes dans le domaine public ? Augmenterez-vous les moyens financiers et humains, notamment les effectifs de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 ?
Je souhaite aussi aborder la question de la composition de la CIVS, compétente pour se prononcer sur la spoliation. Dans son avis sur ce projet de loi, le Conseil d'État estime fondamental que cette commission soit créée par la loi. Jusqu'alors, la CIVS ne disposait pas de base légale : ce projet de loi lui en octroie une. Je me félicite de cette avancée.
La haute juridiction a aussi estimé que sa composition garantira l'indépendance et l'expertise nécessaires à une instruction approfondie de la traçabilité de l'œuvre et des circonstances de la dépossession. Cette composition constituera un élément de l'équilibre d'ensemble entre le respect de la propriété publique et la restitution des biens culturels spoliés à leur légitime propriétaire. Mon groupe propose un seul amendement, visant à donner une base légale, à droit constant, à la composition de la CIVS prévue par l'article 3 du décret du 10 septembre 1999, en y ajoutant un parlementaire de chacune des deux assemblées. Cela permettrait de garantir un droit de regard du Parlement quant aux demandes de restitution. Êtes-vous favorable à cette proposition ?
Le groupe Socialistes et apparentés apportera son plein soutien à ce projet de loi.
« Jamais je n'oublierai cette nuit, la première nuit de camp qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée. Jamais je n'oublierai cette fumée. Jamais je n'oublierai les petits visages des enfants dont j'avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet. Jamais je n'oublierai ces flammes. Jamais je n'oublierai ce silence nocturne qui m'a privé pour l'éternité du désir de vivre. Jamais je n'oublierai cela, même si j'étais condamné à vivre aussi longtemps. » Merci, madame la ministre, de contribuer avec ce projet de loi à éclairer cette longue nuit que décrit ici Élie Wiesel.
Je salue la portée historique inédite de ce texte, le premier d'une série de trois lois-cadres dédiées aux restitutions d'œuvres. C'est un pas essentiel sur le plan symbolique, même s'il ne sera jamais possible de réparer les crimes innommables commis pendant la Shoah et ces 6 millions de Juifs, soit les deux tiers des Juifs d'Europe, dont un million et demi d'enfants, qui furent assassinés. Même s'ils n'effacent pas la douleur des familles, les assassinats et le souvenir des atrocités du nazisme, chaque nouvelle restitution représente un nouvel acte de justice et un témoignage de l'indispensable travail de mémoire que nous devons continuer à mener dans notre pays. Nous ne pouvons pas rendre les enfances ou les vies volées, mais nous pouvons faciliter la restitution, aux familles des victimes et à leurs ayants droit, de leurs œuvres massivement spoliées, pillées ou qui firent l'objet de ventes forcées. Il s'agissait là d'un des premiers degrés de l'horreur nazie, le pouvoir hitlérien et les régimes de collaboration commençant par confisquer les biens matériels avant de détruire les vies en pourchassant ces hommes, ces femmes et ces enfants, en les condamnant à la clandestinité, à l'exil ou à la mort.
Il était indispensable que la spécificité de la spoliation des Juifs en raison des politiques antisémites de l'Allemagne nazie et des autorités complices soient reconnues par une loi française. C'est chose faite, grâce à ce projet de loi qui, par son ambition mémoriale, s'inscrit dans le prolongement du discours tenu par Jacques Chirac en 1995 lors des cérémonies commémorant la rafle du Vel' d'Hiv. Un peu moins de quatre-vingts ans après la fin de l'Occupation, ce texte marquera une nouvelle pierre blanche sur le chemin de la reconnaissance et de la justice pour les victimes de persécutions antisémites. Au-delà de notre devoir de mémoire collective, ce texte est aussi indispensable du point de vue matériel et technique, car il renouvelle les bases légales des démarches de restitution.
Si de nombreuses initiatives ont été prises en matière d'identification et de restitution, de nombreux biens culturels n'ont pas encore été identifiés, y compris dans les collections nationales. Une nouvelle loi était donc nécessaire pour adapter le cadre législatif à l'ampleur du travail qui reste à accomplir.
Je salue l'engagement de la mission Mattéoli, de la CIVS et de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945. Le rythme des restitutions reste lent compte tenu des dizaines de milliers d'œuvres concernées. Nous avons du travail. Les députés du groupe Horizons voteront unanimement ce texte. J'espère que nous arriverons à trouver une écriture qui respectera à la fois l'histoire et la mémoire de cette période sombre.
Enfin, je rends hommage aux Justes de France, qui ont aussi éclairé cette longue nuit, et à Rose Valland qui, au péril de sa vie, a inventorié les œuvres spoliées.
Ne pas oublier, pour toutes les victimes de la Shoah, leurs enfants et leurs petits-enfants. Ne pas oublier qu'en France, les spoliations n'ont pas seulement été le fait de nazis, mais aussi de Français, dignitaires du régime de Vichy ou anonymes, qui ont acquis des œuvres avec des procédures de vol légal. Ne pas oublier que la France a participé à la privation des Juifs de leur héritage patrimonial mais surtout culturel, dans une volonté de priver un peuple de son histoire et de son humanité. Ne pas oublier que derrière la spoliation culturelle des Juifs, se cachait la volonté du régime nazi et de l'extrême droite française au service du gouvernement de Vichy d'annihiler leur individualité, leur histoire et leur héritage.
Il est de notre devoir de ne pas oublier la pente fasciste délibérément prise par la France, cette pente réactionnaire engagée avant la défaite de 1940 par une défaite morale faite de la stigmatisation des réfugiés et d'une vindicte des discours publics à l'encontre de la démocratie parlementaire ou des étrangers désignés comme responsables du déclin de la France. Ce terme d'étrangers désignait alors les Juifs français ou européens, pour ceux d'entre eux qui fuyaient les pays annexés par Hitler. Une pente qui a commencé par la superposition de décrets-lois contre l'immigration, pour finir par les lois raciales antisémites et scélérates de Vichy.
Devoir de mémoire, devoir d'histoire pour se souvenir, pour réparer, pour comprendre les mécanismes qui entraînent de tels faits dans un contexte précis et pour comprendre ce qui peut se jouer sous notre nez, aujourd'hui. Le refoulement des crimes passés est le terreau des malheurs à venir. Nous ne pouvons pas effacer notre passé, mais nous pouvons travailler à le réparer. Assumer, c'est apaiser. Ce devoir de réparation nous incombe de manière imprescriptible, comme le sont les crimes contre l'humanité perpétrés pendant la seconde guerre mondiale. Chaque restitution est un acte de justice. Réparer le mal au service des descendants des victimes spoliées, c'est bâtir l'avenir des générations futures sur des bases meilleures.
Aussi longtemps qu'il le faudra, le Parlement prendra les actes nécessaires pour restituer les biens spoliés par les actes antisémites. C'est grâce à l'héroïque action d'inventaire de Rose Valland, cette résistante attachée de conservation du musée du Jeu de Paume, qui a identifié plus de 60 000 œuvres pillées sur les 100 000 estimées et gardé la trace de leurs mouvements, de leur provenance et de leur destination pendant quatre ans, que 45 000 œuvres ont pu être restituées à la Libération. Ensuite, la dynamique de restitution s'est essoufflée. Les principes de Washington, actés en 1998, se sont heurtés à l'inertie de la législation. Si les restitutions annoncées en grande pompe n'ont jamais cessé, elles n'en demeurent pas moins exceptionnelles.
Les travaux de la sénatrice écologiste Corinne Bouchoux, en 2012, ont permis de mettre en lumière la négligence des pouvoirs publics pour certaines œuvres au passé flou, et de relancer le débat sur la nécessité d'une véritable loi-cadre permettant une politique volontariste de restitution des œuvres spoliées pendant la seconde guerre mondiale, mais aussi dans le cadre du passé colonial français. Dans les collections publiques, un immense travail d'inventaire s'impose pour comprendre le parcours juridique d'appropriation de ces œuvres. Une loi-cadre permettrait d'inscrire ces restitutions dans une démarche scientifique et transparente, dans un travail de fond plutôt qu'à travers des décisions dictées par l'urgence ou des considérations diplomatiques.
Au-delà de ces limites, nous saluons la présente initiative gouvernementale. La procédure de sortie de biens culturels spoliés qu'elle instaure lève le frein d'inaliénabilité à la restitution des œuvres publiques, avec un élargissement de la période historique de recherche et une ouverture aux collections privées. Je salue les multiples apports du Sénat, venant notamment inscrire la reconnaissance de la responsabilité de la spoliation par le régime de Vichy dans le code du patrimoine, et donner un caractère public et transparent aux avis de la commission compétente en matière de réparation des préjudices. J'espère que ce projet de loi en appellera d'autres. Nous savons que nos musées regorgent d'œuvres résultant d'autres massacres et pillages. Or nous ne pourrons pas écrire notre avenir sans avoir tiré au clair notre passé.
En facilitant les restitutions des biens culturels spoliés aux juifs entre 1933 et 1945, ce texte est un projet de loi de justice. Il n'a pas vocation à réparer les crimes du passé, encore moins à compenser quoi que ce soit. Il consiste à rendre aux familles et aux ayants droit ce qui leur appartient.
Lorsqu'il s'agit de mémoire, il est important d'aller au-delà des symboles. Une loi fixant un cadre général pour les restitutions par la voie administrative sans passer par une voie spécifique fait œuvre utile. Je salue l'action du Gouvernement et du Parlement pour permettre à ce texte d'aboutir. La méthode utilisée est la bonne. Espérons qu'il en sera de même pour le texte sur la restitution des restes humains et celui sur les biens volés pendant la colonisation.
Le nombre de 100 000 biens spoliés est sans doute sous-estimé. Depuis les années 1990, après des décennies de déni, l'État français s'est enfin penché sur la question et s'est doté des moyens nécessaires pour restituer les biens et retrouver les propriétaires ou ayants droit grâce à la mission Mattéoli et à la création de la CIVS. Cette question des moyens humains pour permettre une démarche proactive dans l'identification des œuvres et de leur histoire, et pour retrouver à qui elles appartiennent, est incontournable pour la pleine application des objectifs de ce texte. Nous espérons que l'État accompagnera ce dispositif de moyens renforcés, et nous souhaitons disposer de toutes les précisions réglementaires pour son application.
Malheureusement, ce texte se conjugue aussi au présent. Penser que tout cela appartient au passé serait une erreur. Un candidat aux élections présidentielles, qui a eu une tribune libre dans la presse et l'audiovisuel pendant des années, a osé dire et écrire que Pétain avait sauvé les Juifs français. Le mythe d'un Pétain sauveur de la France et des Français est tenace, même si tous les travaux historiques ont démontré le contraire. Ne sous-estimons pas non plus la menace de ces groupes d'extrême droite qui défilent dans les rues avec des slogans fascistes et nostalgiques de Pétain. N'oublions jamais que c'est aussi l'État français qui a commis ces crimes contre les Juifs, participant activement aux pillages, aux vols, aux tortures et aux déportations.
Nous nous inscrivons pleinement dans les mots de Jacques Chirac, lors de son célèbre discours du Vel d'Hiv : mon parti ne connaît que trop bien le prix du combat contre le nazisme, contre le régime de Vichy et contre des collaborateurs dont certains prospérèrent politiquement après la guerre. Au moment où nous parlons de Manouchian n'oublions pas que c'est la police française qui l'a arrêté, ainsi que ses collègues, et qui l'a torturé. L'une des manières de réparer les spoliations consiste aussi à ne pas oublier cette période, les crimes commis, leurs auteurs et, surtout, à ne pas recréer les conditions d'un retour au pouvoir de leurs héritiers.
Nous proposerons plusieurs amendements, notamment de coordination entre les articles 1er et 2. Il n'est pas possible de conserver la formule « autorité de fait se disant gouvernement de l'"État français" » supprimée à l'article 1er mais maintenue à l'article 2.
Nous nous inscrivons dans les pas de nos collègues du Sénat, conscients de l'intérêt majeur de cette loi – intérêt pour la justice, mais aussi intérêt historique. Notre vote sera favorable.
Dans l'horreur de la seconde guerre mondiale et de l'Occupation, des personnes courageuses ont su s'élever contre l'antisémitisme destructeur. Leurs actes d'hier nous aident à maintenir, des décennies plus tard, le souvenir de petites histoires porteuses d'espoir dans cette grande histoire tragique. Je pense à Rose Valland, qui a joué un rôle décisif dans le sauvetage de plus de 60 000 œuvres d'art spoliées. Son travail a préfiguré le vaste mouvement de restitution d'œuvres vers les familles juives, une tâche immense que nous devons continuer à accomplir.
Notre groupe se réjouit de ce projet de loi relatif à la restitution des biens culturels spoliés dans le cadre des persécutions antisémites. Lors du précédent quinquennat, nous avons adopté un texte pour sortir des collections publiques certaines œuvres dont il était avéré qu'elles avaient été mal acquises – les Rosiers sous les arbres de Klimt, ou Le Père de Chagall. Nous étions déjà plusieurs à appeler une loi-cadre pour accompagner plus largement le mouvement de restitution. En effet, le travail de recherche et de retour qu'il reste à faire est considérable. Mais nous le devons aux victimes, à leurs familles et à leurs ayants droit. Nous le leur devons, car l'État français a malheureusement sa responsabilité dans ces drames. Il a sa responsabilité dans la collaboration et dans la déportation des Juifs de France.
En accompagnant et en accélérant le mouvement de restitution et de réparation, nous continuons de reconnaître les responsabilités de l'État français et nous participons à perpétuer ce devoir essentiel de mémoire et de transmission, pour que plus jamais une telle horreur ne se reproduise.
Notre groupe soutiendra sans réserve ce projet de loi. Quels moyens humains et financiers seront cependant déployés dans la CVIS, qui risque d'être confrontée à une augmentation des demandes ? Nous proposerons d'inscrire dans la loi l'existence de cette commission, car elle prendra une importance particulière. Nous avons également besoin de davantage de moyens pour accentuer l'effort de recherche de provenance, intervenu tardivement. Il implique de mieux former les jeunes diplômés professionnels à l'activité de chercheur en provenance, et de soutenir les établissements culturels dans leur rôle de médiation. Enfin, nous avons besoin de moyens financiers pour soutenir les collectivités. En effet, le projet prévoit que des modalités de réparation autres que la restitution, d'un commun accord avec le propriétaire spolié ou ses ayants droit. Une transaction financière pourrait ainsi être proposée : certaines collectivités pourraient alors avoir besoin d'un accompagnement de l'État, faute de quoi cette disposition ne pourrait être appliquée.
Notre groupe soutient avec conviction ce projet de loi-cadre. C'est la raison pour laquelle nous appelons des garanties maximales pour sa future application.
En 2018, lors de la commémoration de la rafle du Vel' d'Hiv', Édouard Philippe avait demandé à la CIVS et au ministère de la Culture d'intensifier la recherche de provenance et d'accroître la restitution des biens culturels spoliés. En 2019, la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 a été créée au sein du ministère de la Culture. Les musées se sont également engagés dans ce processus et y consacrent des moyens. Trois postes ont ainsi été créés au Louvre et un au musée d'Orsay.
S'agissant des musées territoriaux, nous prévoyons que les Drac puissent octroyer des subventions afin de faciliter les recherches de provenance, même si le budget n'est pas très élevé. Dès 2023, nous l'avons augmenté de 100 000 euros, le portant ainsi à 300 000 euros. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2024.
La formation à la recherche de provenance doit être encore renforcée. Un nouveau master a été créé à Nanterre et, avec l'Institut national du patrimoine, nous développons des formations obligatoires pour les conservateurs du patrimoine.
La commission de référence prévue dans la loi est la CIVS qui, depuis sa création en 1999, a fait preuve de sa légitimité. Elle est composée de magistrats en activité ou en retraite, de deux professeurs d'université, de personnalités qualifiées, d'un historien de la seconde guerre mondiale, d'un juriste spécialisé dans le droit du patrimoine, d'un historien de l'art et d'un spécialiste du marché de l'art, qui travaillent tous dans la plus totale indépendance.
S'agissant de la réponse globale aux demandes de restitutions dans une loi-cadre, je songeais essentiellement au texte dont nous discutons, qui élargit le périmètre géographique concerné puisqu'il vise les biens dont la spoliation est intervenue en France mais, également, en dehors du territoire national. Le périmètre temporel est également élargi puisque seront désormais concernées les spoliations commises entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945 et non après le 16 juin 1940, comme en dispose l'ordonnance du 21 avril 1945.
Je vous remercie pour ce texte, madame la ministre, dont nous discutons plus de quatre-vingts ans après le pillage organisé ou sauvage des Juifs de notre pays accompli ou encouragé par le régime nazi et les autorités qui ont collaboré avec lui. Rien ne pourra effacer cette sombre période, rien ne pourra consoler des cœurs à jamais meurtris par la Shoah, la déportation, le massacre de tant d'innocents. Ce texte apporte seulement un peu de justice. Je remercie également Mme la rapporteure pour son travail et les passionnantes auditions qu'elle a menées.
La recherche de provenance est complexe. Si je salue la création d'un diplôme d'université (DU) à Nanterre, il convient d'enrichir l'offre de formation et de recherche dans ce domaine car l'engagement de la France, en termes humains et académiques, reste modeste en comparaison de celui de nos voisins européens. L'encouragement à la création de quelques postes d'enseignants-chercheurs représente des possibilités nouvelles d'encadrement de master et de doctorat mais aussi d'apprentissage et de stage.
Voilà deux ans, le Gouvernement a présenté un projet de loi relatif à la restitution ou à la remise de certains biens aux ayants droit de victimes de persécutions antisémites. Nous avions alors unanimement conclu à la nécessité d'appliquer une loi-cadre : c'est aujourd'hui le cas.
Ce texte fédérateur et réparateur fait ressurgir l'une des périodes les plus douloureuses de notre histoire. Chaque objet, chaque œuvre spoliés est unique et, au-delà de sa valeur artistique ou marchande, s'inscrit dans un récit familial. Seul un travail ambitieux d'étude et de conservation, y compris au sein des musées dépendant des collectivités locales, permettra d'aboutir à la restitution effective de tous les biens concernés.
Comment l'État accompagnera-t-il les collectivités locales pour mener à bien les recherches des ayants droit, les restitutions des œuvres ou, le cas échéant, pour procéder aux réparations financières ? Quels sont les dispositifs envisagés pour financer la restitution de biens qui ont été envoyés dans des musées étrangers ?
Je salue l'ambition de ce texte essentiel pour la justice et l'apaisement des mémoires. Néanmoins, ce projet, qui vise à passer d'un régime de loi d'exception à un régime administratif, présente un petit écueil dès lors qu'il contribue à dépolitiser l'acte de restitution. Certes, les parlementaires sont invités à se saisir de leur mission de contrôle de l'effectivité de cette politique dans le cadre de la remise d'un rapport annuel par le Gouvernement remis aux assemblées, mais l'acte, en lui-même, perd sa portée symbolique puisqu'il n'appartiendra plus à la représentation nationale de lui donner la force de la loi. Comment, dès lors, lui redonner un écho dans la société ? Comment le réinscrire dans un rituel de transmission de la mémoire, plus que jamais nécessaire face à la banalisation de l'extrême droite ?
Ce texte constitue une mesure de justice, donc, de concorde. Il est étonnant que, soixante-dix-huit ans après la seconde guerre mondiale, nous ayons encore besoin de travailler sur cette question.
Il serait toutefois terrible qu'un tel travail se limite à l'adoption d'une loi et que nous ne puissions pas lui donner un caractère pratique afin que cette restitution soit effective. Je veux ainsi soulever la question des moyens. La ministre a fait valoir un certain nombre d'entre eux mais que sont 200 000 euros quand nos collègues allemands, depuis quinze ans, ont consacré 40 millions à une mission comparable ? Le temps est passé, la tâche de restitution est encore plus ardue : l'État doit donc débloquer des moyens supplémentaires.
En 1995, le Président de la République Jacques Chirac reconnaissait la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs de France et, en 1998, la France adoptait les Principes de Washington. Notre pays promeut donc depuis des années une véritable politique publique de réparation des spoliations antisémites, examinées au cas par cas. Les œuvres intégrées aux collections publiques sont protégées par les principes d'inaliénabilité. Leur sortie, sur l'initiative de l'État, doit nécessairement être autorisée par la loi. D'où la loi du 21 février 2022.
Les opérateurs de ventes volontaires pourront-ils quant à eux suivre des cours de sensibilisation lors des formations de commissaires-priseurs et de commissaires de justice ? Ne craignez-vous pas, en outre, qu'une loi-cadre ouvre la boîte de Pandore et que se multiplient les réclamations d'œuvres qui ne répondraient pas forcément aux critères de spoliation antisémite ?
Il importe de mener dans chaque musée national un véritable travail de recherche de provenance, comme c'est le cas aux musées du Louvre et d'Orsay notamment.
Votre objectif est de parvenir à un texte large, stable dans le temps et répondant de manière concrète au problème des restitutions. L'article 1er dispose qu'un décret en Conseil d'État fixera les règles relatives à la composition de la commission administrative auprès du Premier ministre. Le travail de cette commission est vital dans l'instruction de ces dossiers complexes, comme l'explique l'avis du Conseil d'État. Comment envisagez-vous sa composition ?
Je remercie les institutions, les spécialistes, généalogistes, historiens de l'art, bibliothécaires, archivistes, ces formidables chercheurs de la mémoire qui ont consacré beaucoup d'énergie à faire la lumière sur la provenance des acquisitions réalisées par les musées entre 1933 et 1945.
J'appelle néanmoins votre attention sur les moyens consacrés à cette mission car, au-delà de la question de l'identification et de la restitution des biens spoliés, du soutien nécessaire à la mission de recherche et de restitution et du financement de la CIVS, il est indispensable d'accroître les moyens consacrés à « l'après » : quelles sont les conséquences d'une restitution pour les descendants de personnes spoliées ? Que signifie, pour eux, une restitution, alors qu'ils se trouvent parfois aux prises avec une mémoire difficile à affronter ? Que signifie-t-elle pour les musées, d'où partent des œuvres jusque-là exposées au public ? Autant de sujets d'étude qui doivent être soutenus par des programmes de recherche pouvant associer le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche. Quelles sont vos actions dans ce domaine ?
Une fois n'est pas coutume, nous saluons haut et fort un projet de loi du Gouvernement. Cette première loi constitue une avancée historique qui intègre d'indispensables mesures de justice envers les familles et les ayants droit et approfondit la reconnaissance, par la France, de ses responsabilités dans ces persécutions et spoliations antisémites. Je formule le vœu qu'elle soit non seulement adoptée mais renforcée.
Puisque la ministre nous a assuré du développement de la recherche de provenance et du déblocage de nouvelles subventions pour les Drac, rien ne devrait s'opposer à l'adoption de nos amendements qui vont dans ce sens et visent à lever le doute sur les moyens, lequel s'est fait jour depuis que Le Monde a révélé que le ministère de la Culture ne voudrait pas aller au-delà des 200 000 euros dont dispose la mission de restitution.
J'espère, en outre, que le texte tel qu'il sera voté ne laissera pas penser que l'on minimise la responsabilité de la France à travers telle ou telle reformulation.
Songez-vous à un dispositif législatif concernant la restitution d'œuvres faisant partie de collections privées ?
L'ambition de ce texte est louable mais quid des moyens nécessaires pour mener la politique de réparation souhaitée par le Gouvernement dans un délai raisonnable ? Les possibilités de négociation offertes aux personnes publiques buteront nécessairement sur des questions financières. Combien de collectivités pourront verser une seconde fois la valeur du bien sans aide de l'État ?
De plus, une action importante de sensibilisation des établissements culturels et des collectivités territoriales quant à la réparation des spoliations, à l'intensification du travail de recherche et d'identification des propriétaires et ayants droit demandera à la fois du temps et de l'argent. Le ministère de la Culture peut-il garantir que chaque spoliation sera traitée dans un délai raisonnable ?
Pendant la période sombre de 1933 à 1945, les Juifs ont été soumis à une persécution systématique et à une dépossession de leurs biens. Parmi les nombreuses atrocités commises, les nazis ont spolié de nombreux biens culturels. La nécessité de les rendre à leurs propriétaires ou à leurs ayants droit va bien au-delà de la simple restitution matérielle : ces objets ont une valeur symbolique et historique inestimable pour la communauté juive et pour l'ensemble de l'humanité. Les restituer constitue un acte de justice et de réparation morale.
Il est sans doute difficile de quantifier précisément le nombre d'œuvres spoliées ; 100 000 d'entre elles l'auraient été en France pendant la seconde guerre mondiale mais ce nombre est vraisemblablement sous-estimé car il s'appuie sur des déclarations effectuées au sortir de la guerre. Auriez-vous des informations sur le nombre effectif de familles juives spoliées ?
La restitution des œuvres est dictée par un impératif de justice et de réparation. L'organiser, c'est poursuivre le combat contre les horreurs nazies, mettre en échec les odieux desseins de ce régime de haine et de ses complices. C'est également veiller à l'irréprochabilité des collections publiques afin que nos musées demeurent de lumineux temples des arts et du savoir et à ce qu'aucune ombre ne vienne assombrir leurs collections.
De tels enjeux justifient que l'on déroge au principe d'inaliénabilité des collections publiques. La CIVS a permis de rétablir la vérité sur l'histoire de certaines œuvres dont le parcours a été tumultueux. Dès lors, pourquoi renvoyer à un décret plutôt que de graver dans la loi sa désignation comme commission administrative chargée de rendre un avis dans le cadre de cette nouvelle procédure ?
Nous sommes tous conscients de cet enjeu qu'est le développement de la formation. J'ai évoqué le nouveau DU de Nanterre et le travail engagé avec l'Institut national du patrimoine mais je signale également la création d'un nouveau master « Recherche de provenance », à partir de la rentrée, à l'École du Louvre. Depuis cette année, les élèves commissaires-priseurs reçoivent une formation sur ce sujet. Nous avons aussi commencé à travailler avec le conseil des ventes volontaires et avec la CIVS afin de mutualiser nos forces sur cet enjeu.
Les moyens consacrés à cette question constituent un enjeu global mais il importe surtout de les concentrer dans le domaine de la formation et des postes au sein des musées. Avec nos Drac, nous déploierons les aides nécessaires et nous nous tiendrons aux côtés des collectivités et des musées territoriaux qui en ont besoin. L'enjeu principal est de « muscler » les moyens humains afin d'organiser des task forces qui, dans les musées, se consacreront aux recherches de provenance. L'exemple des musées du Louvre et d'Orsay ouvre la voie.
Conformément aux procédures habituelles, le texte a été rédigé en lien avec le Conseil d'État, y compris s'agissant de la CIVS, qui est la structure la plus légitime et dont la composition ne changera pas.
Je rappelle que l'inaliénabilité des collections n'existe pas en Allemagne et que le Bundestag n'a donc jamais débattu de ces problèmes. Notre Parlement, avec la loi d'espèce de 2022 et cette loi-cadre, peut débattre d'une manière solennelle. À nous de faire vivre ses préconisations ! Le podcast « À la trace » du ministère de la Culture permet d'humaniser cette question et les recherches de provenance. Avec nos musées et nos services d'archive, nous continuerons à faire vivre les questions liées aux restitutions. Attendre chaque fois quatre ou cinq ans le vote d'une loi d'espèce reviendrait à affaiblir la perspective qui nous est commune. La solennité, la gravité, la force que vous donnerez à cette loi-cadre votée à l'unanimité au Sénat et, je l'espère, dans cette assemblée, marqueront l'histoire. La force politique de ces dispositions n'est en rien atténuée, bien au contraire.
Juridiquement, il n'est pas possible d'intervenir dans le domaine des collections privées mais le mouvement global en cours implique la conscience et la vigilance de tous. Faisons confiance à ce mouvement collectif !
Quid de l'ouverture possible à la restitution de biens spoliés sans lien avec les persécutions antisémites ?
Ce n'est pas l'objet de cette loi-cadre.
Une proposition de loi sénatoriale de Mme Morin-Desailly concernera les restes humains et une troisième loi-cadre visera les biens culturels africains. Un rapport a été demandé à ce sujet à Jean-Luc Martinez, ancien président du Louvre, ambassadeur thématique chargé de la coopération internationale dans le domaine du patrimoine, visant à définir un cadre de travail et des critères de restitution. Des consultations sont en cours.
Ces lois ne visent en rien à vider nos musées. Nous suivons le chemin rigoureux, scientifique, de la reconnaissance et non celui du déni ou de la repentance. Le dialogue avec les pays africains doit avoir lieu dans le cadre d'une doctrine claire. La loi dont nous discutons est spécifique et résulte de trente ans de réflexion. Les contextes historiques ne sont absolument pas comparables. Chaque chose en son temps : la question des biens africains sera abordée.
Article 1er : Création d'une procédure administrative pour la restitution des biens culturels spoliés intégrés aux collections publiques
La commission adopte l'amendement rédactionnel AC33 de Mme Fabienne Colboc, rapporteure.
Amendements AC5 et AC7 de M. Philippe Ballard.
Ils visent à étendre la date de prise en compte des spoliations jusqu'au 11 mai 1945. En effet, les combats ne se sont pas arrêtés le 8 mai dans notre pays, le dernier territoire français ayant été libéré le 11 mai avec la fin de la résistance allemande dans la poche de Saint-Nazaire. Il convient donc de tenir compte de potentiels pillages militaires.
La date du 8 mai 1945 est celle de la capitulation de l'Allemagne nazie et constitue une référence claire, compréhensible par tous. C'est d'ailleurs la date retenue par le Conseil d'État dans le point 6 de son avis. Il est vrai que les combats se sont poursuivis dans la poche de Saint-Nazaire jusqu'à la reddition des troupes allemandes qui s'y trouvaient, le 11 mai. Toutefois, ces troupes étaient assiégées par les forces armées alliées et résistantes dans la ville de Saint-Nazaire encerclée ; à la libération de la ville, les soldats allemands encore présents ont été faits prisonniers. Cette situation de siège a donc conduit, non pas à un retrait en forme de fuite des troupes allemandes vers l'Allemagne, comme cela a pu se produire lors de la libération d'autres parties du territoire, mais bien à la détention des soldats allemands après leur reddition. Avis défavorable.
Nous avons échangé avec de nombreux historiens et la date du 8 mai 1945 vaut à leurs yeux référence. Toutes les spoliations intervenues dans le contexte des persécutions antisémites sont bien couvertes.
Tout le monde sait que la date officielle de la fin de la guerre est le 8 mai 1945 mais le rétablissement des autorités légitimes sur le territoire n'a pas été effectif du jour au lendemain. La détresse morale, l'indigence matérielle de familles persécutées ont pu entraîner des abus après cette date. Fixer dans la loi la date du 8 mai 1945 et non celle du 11 pourrait exclure des revendications légitimes
Je rappelle à nos collègues du Rassemblement national que l'armée nazie a perdu le 8 mai 1945. Je ne comprends pas l'intérêt de ce report de date, si ce n'est de vouloir effacer celle du 8 mai. Il n'y a pas eu trois jours supplémentaires de combat ayant entraîné d'autres spoliations. Vous laissez penser que l'armée nazie se serait retirée tranquillement et qu'elle aurait pu emporter des biens entre le 8 et le 11 mai, or, je vous rappelle qu'elle a été vaincue et que la Résistance l'a emporté, ce que certains fondateurs de votre parti, d'ailleurs, regrettent peut-être.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements identiques AC2 de Mme Caroline Parmentier et AC13 de M. Stéphane Peu.
Mon amendement propose de préciser qu'à l'article 1er, alinéa 7, l'Allemagne nazie a non seulement occupé, contrôlé et influencé des territoires mais qu'elle en a également « annexé ». Cette précision est importante dès lors que l'annexion implique l'incorporation d'un territoire dans un autre État, même temporairement, quand l'occupation désigne le contrôle d'un territoire sans l'incorporation. En ce sens, au cours de la deuxième guerre mondiale, l'Alsace-Moselle a été annexée.
L'étude d'impact fait d'ailleurs la distinction en évoquant à la page 16 les « territoires annexés, occupés, alliés de l'Allemagne, à travers des actes commis par les autorités allemandes, par les autorités locales ou, dans ce contexte, par divers individus sous l'inspiration des unes ou des autres ».
Cet ajout semble nécessaire afin de prévoir l'ensemble des situations dans le contexte des persécutions nazies perpétrées entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945.
Ces amendements sont satisfaits car les territoires annexés sont considérés comme incorporés à « l'Allemagne nazie », mentionnée à l'alinéa 7. L'historienne Claire Andrieu, précisément consultée sur ce point, a rappelé que durant la seconde guerre mondiale, l'Alsace-Moselle était intégrée à l'Allemagne suite à son annexion. La liste des termes comprise dans le projet de loi comporte déjà tous les cas de figure envisageables. Demande de retrait.
La réalité que revêt le terme « annexé » n'est ni contestée ni contestable mais ce n'est pas exactement la même chose. Le droit français, au sein du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, comporte une section intitulée « patriotes réfractaires à l'annexion de fait » concernant les départements du Rhin, de l'Alsace et de la Moselle. Nous devons nous montrer rigoureux.
L'annexion implique une incorporation à l'Allemagne nazie, en effet mentionnée à l'alinéa 7. La mention « des territoires qu'elle a occupés, contrôlés ou influencés » englobe tous les autres cas de persécutions antisémites durant cette période.
L'ajout du terme « annexé » s'impose car les « territoires » que l'Allemagne nazie « a occupés, contrôlés ou influencés » n'incluent pas l'Alsace-Moselle, l'annexion étant un statut administratif, juridique et historique différent.
Les faits sont têtus. Je suis élue de la Moselle et, qu'on le veuille ou non, ce département était alors, malheureusement, allemand.
L'amendement AC13 est retiré.
La commission rejette l'amendement AC2.
Amendement AC43 de Mme Fabienne Colboc et sous-amendement AC47 de Mme Caroline Parmentier, et amendement AC1 de M. Nicolas Ray (discussion commune).
Cet amendement a fait l'objet de nombreux débats et je tiens à associer les députés de la majorité aux explications que je vais présenter. Au Sénat, la discussion du projet de loi en séance a conduit à la substitution, au septième alinéa de l'article 1er, de l'expression « l'autorité de fait du "régime de Vichy" » au texte originel qui évoquait « l'autorité de fait se disant "Gouvernement de l'État français" ». Cela est d'autant plus regrettable que le texte de l'article 2, demeuré inchangé, reprend l'expression d'abord employée dans la rédaction initiale de l'article 1er, créant de fait une incohérence entre les deux articles.
Afin de nous inscrire pleinement dans la continuité de la reconnaissance par la France de la responsabilité de l'État dans les persécutions antisémites ayant conduit aux faits de spoliation dont le projet de loi vise à faciliter la réparation, je propose d'adopter l'expression « l'État français entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944 ».
Cette expression s'inscrit dans la ligne du mouvement engagé par le discours du président Jacques Chirac lors des cérémonies commémorant la grande rafle des 16 et 17 juillet 1942 et poursuivi avec la constitution de la commission Mattéoli, puis la création de la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation.
Les persécutions antisémites telles que les spoliations ont été commises sous l'autorité de l'État français et à la faveur des lois décidées par lui et qu'il a fait appliquer durant la période de l'Occupation. S'il l'a fait sous l'influence de l'Allemagne nazie, l'État français n'en porte pas moins une part de responsabilité propre qu'il convient de rappeler. En aucun cas cela ne remet en cause le fait que, parallèlement à ce régime inique, se constituait progressivement dans l'ombre une autorité qui parviendrait ensuite à rétablir la République à partir de l'ordonnance du 9 aout 1944. Le 24 août 1944 paraissait le dernier numéro du Journal Officiel du régime de l'État français.
Je souligne à cet égard l'importance du rôle de la Résistance dans l'information recueillie lors des spoliations et pillages des biens culturels et dans leur sauvegarde, et rends hommage aux résistants qui, comme Rose Valland, ont permis que les restitutions puissent ensuite avoir lieu.
En choisissant cette expression d'« État français entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944 », il ne s'agit donc nullement de dire que le régime de Vichy représentait toute la France, car une autre France combattante existait bien, mais d'accepter en conscience que les autorités françaises qui ont assumé le rôle de l'État durant cette période portent une responsabilité indéniable dans les spoliations.
En tant que député de la 3e circonscription de l'Allier, qui comprend la ville de Vichy, où je suis né, j'ai été profondément choqué qu'on puisse utiliser, en 2023, l'appellation « régime de Vichy » dans un texte de loi. L'amendement AC1 vise donc à supprimer cette appellation introduite au Sénat dans des conditions assez confuses pour la remplacer par une sémantique plus proche de la rédaction initiale du projet de loi : « Gouvernement de l'État français né du vote du 10 juillet 1940 ».
L'expression « régime de Vichy » est en effet insultante et stigmatisante pour les habitants de la ville de Vichy, qui n'ont pas à porter seuls cet héritage si lourd et qui concerne toute notre nation. Cette sémantique néfaste pour les Vichyssois revient à résumer une ville riche de deux mille ans d'une histoire marquée notamment par le thermalisme à quatre années sombres, qu'ils ont été les premiers à subir. Le général de Gaulle le disait lui-même : « La ville de Vichy, qui n'eut point à choisir de 1940 à 1944 son destin, ne saurait être associée à la déchéance du Gouvernement qui lui fut alors arbitrairement imposé. »
L'amalgame entre la ville de Vichy et le régime du maréchal Pétain revient aussi à occulter le grand acte de résistance par lequel quatre-vingts parlementaires ont refusé de voter les pleins pouvoirs à celui-ci.
L'expression « régime de Vichy » ne nuit pas seulement aux habitants de Vichy, mais aussi au nécessaire devoir de mémoire. En revanche, les termes « Gouvernement de l'État français » permettent de rappeler que nos institutions, bien que démocratiques, sont faillibles.
Enfin, cet amendement s'inscrit dans la logique du célèbre discours dans lequel le président Chirac a utilisé l'expression « État français ».
Le combat mené pour bannir les termes « régime de Vichy » est ancien et a été engagé par mon prédécesseur, le député Gérard Charasse, initiateur de plusieurs propositions de loi, qui est décédé dimanche dernier. Il est encore mené régulièrement par le maire de Vichy dès qu'un homme politique ou un journaliste utilise ce terme.
Pour le respect des citoyens de la ville de Vichy et le rigoureux travail de mémoire que nous devons mener, ainsi que pour l'ensemble des motifs que je viens d'exposer, je vous remercie d'adopter cet amendement.
Monsieur Ray, c'est en raison de la charge symbolique, historique et émotionnelle de votre amendement que je vous ai laissé le présenter longuement.
Le sous-amendement AC47 vise à compléter l'amendement AC43 en affirmant que ce n'était pas l'État français qui était à Vichy, mais bien l'autorité de fait usurpée et illégale se disant « Gouvernement de l'État français » entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944. L'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental affirme dès son article 1er que « la forme du Gouvernement de la France est et demeure la République. En droit celle-ci n'a pas cessé d'exister. » En effet, la France a, durant ces années sombres, perduré en la personne du général de Gaulle à Londres.
Ce débat sur les mots désignant l'État français est important. Certaines manières de parler de la responsabilité de la France durant la période de l'occupation par l'Allemagne nazie et dans les crimes perpétrés contre les juifs de France, contre les opposants et contre d'autres populations charrient bien des choses, notamment une volonté de nier ce qui s'est passé en France durant ces années et la part de collaboration qui entache la mémoire et l'histoire de notre pays. En évoquant un État usurpé et illégitime, vous effacez ou occultez la réalité – qui vous dérange peut-être – que si une partie de la France a résisté, une autre partie a collaboré. Nous souscrivons donc à l'amendement de Mme la rapporteure et nous opposons fermement à des reformulations qui, sans le dire, nient la réalité de la collaboration – nous savons quel intérêt vous avez à le faire.
L'amendement AC43 et bienvenu. D'abord, en effet, il s'inscrit dans le courant de la reconnaissance de la responsabilité de la France dans les persécutions antisémites, qu'a consacrée le discours très émouvant prononcé par le Président Chirac le 16 juillet 1995, discours qui n'oublie pas pour autant la folie criminelle de l'occupant et le délire de son projet de pureté raciale, ni le rôle des Justes et la solidarité de nombreux Français envers les persécutés de confession juive
Il faut désigner les choses : le 10 juillet 1940, c'est bien l'Assemblée nationale, réunie au théâtre du casino de Vichy, qui a voté, par 569 voix pour et 80 voix contre, les pleins pouvoirs à Philippe Pétain, mettant fin à la République et instituant ce qui sera alors désigné comme l'État français.
Nous devons nous situer sur ce même chemin, comme l'a fait d'ailleurs la loi du 10 juillet 2000 instaurant une journée nationale à la mémoire des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux Justes de France, qui emploie bien l'expression « État français ».
Dès qu'elle est évoquée, cette question sensible ravive des débats que nous ne pouvons occulter.
Je vous remercie, madame la rapporteure, d'avoir donné suite à la demande de notre collègue Nicolas Ray, député de Vichy. On peut en effet comprendre la sensibilité des habitants de cette ville, qui ne souhaitent pas voir constamment associer le nom de celle-ci à des événements aussi douloureux.
Il n'est, par ailleurs, pas contestable qu'il faille faire référence à l'État français – je me réjouis, du reste, de constater que, ce soir, tout le monde ou presque est chiraquien.
(Sourires.)
La formulation proposée par M. Ray est néanmoins intéressante car, en l'espèce, les termes « État français » désignent le gouvernement de l'État entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944 : les bornes chronologiques que vous proposez sont donc bonnes. Je suggère toutefois que nous conservions la formulation de « gouvernement de l'État français », qui contextualise historiquement la situation. Il aurait ainsi été possible de sous amender l'amendement de M. Ray en ce sens.
Je rappelle à nos collègues du groupe Rassemblement national cette phrase d'Albert Camus, que Mme Marine Le Pen a d'ailleurs citée dans une tribune au New York Times en 2015 : « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. » Vous êtes en train de réécrire l'histoire, or à chaque débat que nous avons sur ce thème se pose la question de savoir si la France était à Vichy ou à Londres, mais ce n'est pas le sujet. Comme l'a justement rappelé Fabrice Le Vigoureux, un vote légitime a eu lieu.
Ne réécrivez pas l'histoire et contentez-vous de l'équilibre proposé par Jacques Chirac en 1995, qui reconnaissait les agissements de l'État français et saluait en même temps la France libre et généreuse, celle des Justes qui ont sauvé 75 % des juifs français.
Madame Genevard, permettez-moi de vous dire amicalement que les communistes n'ont pas attendu le discours de Jacques Chirac pour demander que l'on parle d'État français. Par ailleurs, la légitimité du vote du 10 juillet 1940 est discutable, ne serait-ce que parce que le groupe du Parti communiste était interdit et ne pouvait pas siéger.
Je suis également en désaccord avec la distinction que vous faites entre le gouvernement et l'État. De fait, les juges qui ont condamné à mort les résistants ou les policiers qui ont arrêté Manouchian n'étaient pas membres du gouvernement, mais agissaient en tant qu'agents de l'État français.
Je souscris donc à la proposition de la rapporteure, car cette formulation est meilleure que celle de « régime de Vichy », qui est impropre, qui pose problème aux habitants de Vichy et dont la définition est floue.
Ce débat devient quelque peu byzantin et on voit bien les arrière-pensées des uns et des autres. Un collègue nous dit qu'il ne faut pas réécrire l'histoire, mais c'est le général de Gaulle qui l'a réécrite en forgeant, dans l'ordonnance du 9 août 1944, la formule historique évoquant un « autorité de fait se disant "gouvernement de l'État français" ». Pourquoi ne pas retenir cette formule ?
Enfin, entendre les députés du groupe LFI, héritiers du Front populaire qui a voté les pleins pouvoirs à Pétain, nous traiter de négationnistes est particulièrement piquant. Je vous prie donc de ne pas ajouter l'injure à l'inculture.
Je suis évidemment opposée à ce sous-amendement. On ne peut pas à la fois se féliciter d'un texte qui prend en compte la part prise par la France dans les spoliations et renier cette sombre période de son histoire.
Madame Genevard, il serait injuste de ne citer que le gouvernement de l'État français, car son administration aussi a collaboré.
Ce travail, mené sur la base de nombreuses auditions, a été marqué par de nombreuses hésitations, notamment entre les dates du 24 et du 9 août, date de l'ordonnance rétablissant la légalité de la République. Les choses n'ont pas été faites à la légère et c'est la raison pour laquelle je n'ai déposé cet amendement que cet après-midi. De fait, même si on ne fait pas l'histoire, il importe de réunir le consensus le plus large possible parmi les députés des différents groupes, en tenant compte notamment des débats tenus au Sénat.
Il était en outre important pour moi d'en finir avec l'expression « régime de Vichy », qui stigmatise cette ville qui a d'autres vertus à mettre en valeur. Il s'agit donc de trouver les mots et la période les plus justes pour parler de notre histoire commune sans tabou et sans renier cette histoire.
Madame la rapporteure, je vous remercie pour ce travail minutieux. Vous avez trouvé la bonne formule, qui se réfère au discours de Jacques Chirac reconnaissant la responsabilité de la France pour les actes commis par l'État français et à la loi du 10 juillet 2000, qui instaure une journée de mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites commis par l'État français. L'expression retenue, qui se situe dans la continuité de ces deux moments très marquants, est donc très légitime. Le fait de l'encadrer par les dates entre lesquelles le régime du maréchal Pétain a été actif permet d'être très clair : il s'agit de la période du 10 juillet 1940, jour du vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain, au 24 août 1944, jour de la dernière publication du Journal officiel de l'État français et de la libération de Paris, laquelle sera définitivement scellée le lendemain, 25 août. Rappelons que le maréchal Pétain, chef de l'État français, a quitté Vichy le 20 août.
Ces bornes temporelles et l'expression « État français » constituent la juste formule, après l'émoi et les débats qu'a connus le Sénat, qui n'a pas eu le temps, pour amender le texte, de faire ce travail fin que vous avez fait. Reconnaître la responsabilité du gouvernement du maréchal Pétain et le nommer « État français » n'est pas contradictoire avec le fait de rappeler qu'au même moment, la France était aussi à Londres et avec la résistance intérieure.
La commission rejette le sous-amendement AC47 et adopte l'amendement AC43. En conséquence, l'amendement AC 1 tombe.
Amendement AC41 de Mme Fabienne Colboc.
Sur la base du rapport de Jean-Luc Martinez relatif à la législation française en matière de restitution des biens culturels, qui a été remis au Président de la République en avril dernier et identifie une disposition du code du patrimoine pouvant constituer un verrou législatif aux restitutions de biens culturels issus de dons ou de legs, cet amendement vise à ajouter un nouvel alinéa à l'article L. 115‑2 du code du patrimoine, permettant de déroger à l'article L. 451‑7 du même code, afin d'assurer que les restitutions de biens intégrés aux collections publiques soient possibles même lorsque ces biens ont été acquis par dons ou legs. Cette disposition renforce la pleine effectivité du texte et la cohérence des articles nouvellement créés avec l'ensemble du code du patrimoine.
Avis favorable. La commission de la culture de l'éducation et la communication du Sénat ayant inséré une dérogation à l'article L. 451-7 du code du patrimoine dans la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques, il est nécessaire de consacrer également cette dérogation dans le projet de loi dédié aux spoliations, dans un souci d'exhaustivité et de cohérence et afin d'éviter tout effet d'opposition avec le dispositif applicable à la restitution des restes humains.
La commission adopte l'amendement.
Amendement AC18 de Mme Béatrice Descamps.
Le projet de loi prévoit que d'autres modalités de réparation de la spoliation que la restitution peuvent être envisagées d'un commun accord entre la personne publique et le propriétaire spolié ou ses ayants droit. Une transaction financière peut, par exemple, être conclue avec le maintien du bien dans la collection publique, au lieu de la restitution.
Or cette proposition intéressante risque de se heurter à un problème de moyens financiers. L'amendement vise donc à préciser que, dans le cas où la personne publique et les ayants droit conviennent d'autres modalités de réparation, la personne publique peut bénéficier de l'accompagnement de l'État.
Il est vrai que la question des moyens dédiés devra être étudiée, mais cette discussion aura plutôt sa place, selon moi, dans le cadre des débats budgétaires, lorsque nous examinerons les crédits destinés par exemple aux acquisitions des musées, votés dans le cadre du programme 175, Patrimoines. Dans le passé, l'État a pu mobiliser des fonds pour proposer des dédommagements aux ayants droit d'œuvres spoliées, parfois en étalant les versements sur plusieurs années. Il faudra donc imaginer différents types de solutions pour que les ayants droit puissent recevoir compensation – Mme la ministre a ainsi évoqué tout à l'heure le soutien de la Drac, la direction régionale des affaires culturelles, aux collectivités territoriales. Avis défavorable.
Nous pourrons certes, lors du débat budgétaire, examiner les lignes consacrées à la restitution des biens spoliés, et nous ne manquerons pas de le faire avec attention, mais le projet de loi dont nous débattons doit être un instrument efficace. Si j'ai bien compris la leçon des événements récents, un amendement n'est recevable que s'il ne crée pas de charge, mais puisqu'il ne s'agit ici que d'inscrire dans la loi que les musées et les administrations recevront des moyens pour ce travail, ne pourriez-vous, madame la rapporteure, réviser votre avis sur ces amendements ?
Je suis favorable à cet amendement, qui pose un principe général. Il y a en effet un intérêt général à ce que certaines œuvres issues de spoliations, dès lors que leur propriétaire légitime accepte une compensation financière, demeurent visibles de tous dans une institution muséale. La question posée par cet amendement est donc on ne peut plus légitime et la situation visée sera sans doute assez courante.
Le projet de loi prévoit déjà d'autres modalités que la restitution si les parties s'accordent sur ces modalités. Il peut s'agir par exemple de la conservation de l'œuvre dans le musée où elle est exposée en échange d'une compensation financière pour les ayants droit. Certaines familles peuvent vouloir laisser le bien en dépôt, ou même le donner, moyennant l'engagement que l'histoire de leurs aïeux et le parcours du bien seront bien présentés au public. Il est ainsi prévu de donner une valeur législative à de tels accords. Je demande donc le retrait de l'amendement.
Je le répète, le principe d'un recours à d'autres modalités que la restitution, comme des transactions financières ou des compensations, est déjà prévu par le projet de loi.
Du reste, la CIVS est également compétente depuis longtemps en matière d'indemnisation, et les montants correspondants ne relèvent pas du budget du ministère de la Culture. Si l'œuvre n'est pas retrouvée ou localisée, la CIVS peut recommander une indemnisation. Si enfin l'œuvre est trouvée et identifiée dans les collections publiques, il peut y avoir restitution ou recours à d'autres modalités d'accord avec les ayants droit, comme une compensation financière.
La commission adopte l'amendement.
Amendements AC19 de Mme Béatrice Descamps, AC11 de Mme Caroline Parmentier et AC21 de Mme Claudia Rouaux (discussion commune).
L'amendement AC11 tend à inscrire l'existence de la CIVS dans le code du patrimoine. Cette inscription au sein du code paraît nécessaire compte tenu de l'importance que va prendre la CIVS avec l'adoption de ce projet de loi, et donc de l'augmentation significative du nombre de pièces à restituer dans les années à venir, qu'il convient d'anticiper.
L'amendement propose par ailleurs de faire siéger deux parlementaires au conseil d'administration de la CIVS.
L'amendement AC11 a pour objet de préciser que la commission administrative compétente en matière de réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens intervenues du fait des persécutions antisémites doit être composée d'au moins un député et un sénateur, en raison du rôle et de la portée de son mandat. Cette commission ayant pour mission d'apprécier l'existence de spoliations et leurs circonstances, elle devra également comporter des spécialistes des domaines historique et juridique, dont la liste sera établie par décret.
Afin de garantir un droit de regard au Parlement sur des demandes de restitution qui seront sans doute de plus en plus nombreuses, le groupe Socialistes et apparentés propose d'ajouter deux parlementaires – un de chaque assemblée – à la composition de la CIVS.
Après y avoir moi-même réfléchi, et après avoir aussi auditionné la CIVS et vu la technicité de son travail et de son expertise en matière de recherche d'ayants droit, il ne me semble pas qu'il y ait lieu que des parlementaires y siègent. Il serait bon, en revanche, que notre commission mène une discussion plus approfondie avec la CIVS lors du débat budgétaire ou, comme nous l'évoquerons à l'occasion d'autres amendements, avec la commission qui sera créée dans la ligne de la CIVS, afin de mieux connaître leur travail, leurs besoins et leurs rapports d'activité. Je le répète cependant : aussi passionnant cela puisse-t-il être, la présence de parlementaires au sein de la CIVS n'apporterait pas grand profit ni à cette dernière ni au travail parlementaire. Avis défavorable.
Même avis. Le Conseil d'État nous a indiqué que la composition de la commission n'était pas une compétence législative. De fait, si cette institution, dans son avis sur le projet de loi, reconnaît que la commission est « un élément de l'équilibre d'ensemble entre le respect de la propriété publique et la restitution des biens culturels spoliés à leurs légitimes propriétaires », elle se contente toutefois d'ajouter que sa « composition garantira l'indépendance et l'expertise nécessaire à une instruction approfondie relative à la traçabilité de l'œuvre et aux circonstances de la dépossession », rejetant l'idée selon laquelle le détail de sa composition devait être précisé dans la loi.
Pour ce qui est de la présence des parlementaires, la CIVS fonctionne aujourd'hui avec deux collèges : l'un, de dix membres, chargé des spoliations matérielles hors bien culturels et l'autre, de quatorze membres, chargé des biens culturels, réunissant des spécialistes d'histoire de l'art, du marché de l'art, du droit du patrimoine culturel, d'histoire, voire de généalogie. Il s'agit là de débats et d'expertises techniques.
Le Parlement en sera informé très régulièrement, notamment par la remise du rapport désormais prévu à l'article 4 du projet de loi, ajouté par le Sénat. Je précise que, lors des débats au Sénat, la majorité sénatoriale n'a pas souhaité ajouter deux membres du Parlement à la composition de la CIVS, et que ce point a fait consensus.
Il ne me paraît pas recevable de refuser notre proposition d'amendement au motif que la commission serait trop technique, car il existe de nombreuses commissions techniques au sein desquelles siègent des parlementaires, comme le Conseil supérieur des programmes du ministère de l'Éducation nationale, dont le travail est certes très technique, mais où les parlementaires sont tout à fait à leur place.
Vous ne voyez pas la portée symbolique de cette proposition. Permettre à des représentants de chaque chambre de siéger au sein de la commission montre la sollicitude et l'intérêt que le Parlement porte à cette question.
Madame la ministre, la spoliation des biens juifs s'inscrit dans un contexte historique précis. Pourrait-on imaginer d'élargir un jour la compétence de la CIVS à tous les types de spoliation – ce qui interrogerait le principe d'inaliénabilité et intéresserait au premier chef le législateur ? Je comprends l'argument lié à la technicité, et il est très bien que siègent dans cette commission des magistrats, conseillers d'État et conseillers maîtres à la Cour des comptes, mais si l'on décidait de donner une portée plus générale à la CIVS, le regard du législateur serait nécessaire.
Au-delà de la participation de parlementaires à la CIVS, ma proposition principale visait à inscrire cette commission dans la loi, ce qui me paraît très important. Comment cela serait-il possible ?
Nous n'envisageons pas d'élargir la CIVS à d'autres spoliations que celles liées aux persécutions antisémites. D'abord, il y a une spécificité du sort réservé aux juifs durant cette période. Ensuite, le Conseil d'État s'est exprimé clairement sur la question. Enfin, la CIVS se consacre à cette mission depuis 1999 ; compte tenu de sa légitimité, nous souhaitons qu'elle soit la commission de référence en la matière.
Le décret en conseil d'État comprendra une section d'application créant des articles réglementaires dans le code du patrimoine. L'un d'entre eux concernera la CIVS, qui s'y trouvera ainsi consacrée.
Nous avons travaillé sur le texte pendant six mois, ce qui a donné lieu à plusieurs allers-retours avec le Conseil d'État. Je pensais moi aussi que nous pourrions inscrire la CIVS dans la loi, mais le Conseil d'État a estimé qu'une telle disposition ne relevait pas du domaine de la loi – d'où le recours au décret.
L'amendement AC21 est retiré.
La commission rejette successivement les amendements AC19 et AC11.
Amendement AC15 de M. Stéphane Peu.
Certaines choses paraissent évidentes mais méritent tout de même d'être explicitées. Nous proposons ainsi que la restitution soit prononcée après avis conforme de la CIVS. Certes, on imagine mal un musée ne pas suivre l'avis de cette commission, mais il convient de le préciser dans la loi. Cela permet à la fois de garantir l'effectivité de la mesure et d'éviter des procédures judiciaires pour obtenir une restitution demandée par la commission et refusée par la personne publique concernée.
Je comprends votre souhait de faire en sorte que le processus de restitution aille jusqu'à son terme, mais les avis de la CIVS ont toujours été très largement suivis. Par ailleurs, dans le cas peu probable où une personne publique déciderait de rejeter une demande contre l'avis de la commission, l'ayant droit pourrait contester cette décision devant le juge administratif. Qui plus est, les sénateurs ont adopté un amendement assurant la publication de l'avis de la CIVS : l'ayant droit pourra s'appuyer dessus pour contester la décision faisant grief. Je préfère donc en rester à un avis simple et vous demande de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, avis défavorable.
Je ne le retirerai pas. Les réalités d'aujourd'hui ne sont pas forcément celles de demain : ce n'est pas parce que l'on ne connaît pas d'exemple de refus de restitution après avis favorable de la CIVS qu'il ne faut pas s'assurer qu'il n'y en aura pas à l'avenir. La disposition que nous vous proposons d'adopter est en adéquation avec la logique du texte et ne fait que sécuriser le processus.
En cas de litige, l'avis de la CIVS sera une pièce déterminante au moment du jugement, mais, en tout état de cause, la commission ne peut pas se substituer à la décision du juge.
N'oublions pas non plus le cas des musées territoriaux : une fois que la CIVS a émis un avis, la collectivité qui en a la responsabilité délibère. Nous ne saurions ôter aux collectivités la possibilité de délibérer sur la restitution ou d'autres modalités de compensation – par exemple une transaction financière. C'est ainsi que les choses se passent depuis 1999 et cet équilibre me semble satisfaisant.
Je ne suis pas d'accord avec cet argument : l'avis des architectes des bâtiments de France – pour rester dans le champ de votre ministère –notamment en matière de permis de construire, s'impose aux collectivités. Celles-ci n'ont pas la possibilité de délibérer dans un sens opposé.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AC9 de M. Carlos Martens Bilongo.
Nous souhaitons inscrire dans le texte la phrase suivante : « La commission dispose des moyens nécessaires pour remplir ses missions ». La rapporteure du Sénat, Béatrice Gosselin, souligne que « l'engagement de la France en termes humains et financiers reste modeste en comparaison de plusieurs de nos voisins européens, à commencer par l'Allemagne, dont l'État fédéral et les Länder ont consacré, depuis quinze ans, plus de 40 millions d'euros en matière de recherche de provenance sur les biens spoliés ». En outre, dans un article du journal Le Monde en date du 16 janvier 2023, il est indiqué que « le ministère de la Culture n'envisage […] pas d'augmenter la faible dotation de 200 000 euros ».
Vous avez fait état, madame la ministre, de trois lois-cadres prévues en 2023. J'espère que les moyens suivront. Vous connaissez mon engagement en faveur de la restitution des œuvres spoliées.
En tant que parlementaires, nous devrons veiller à ce que les moyens soient suffisants. Jusqu'à présent, l'État a fait en sorte que ce que soit le cas, notamment en 2019, quand a été créée la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, dirigée par David Zivie. De même, quand la CIVS a eu besoin de faire appel à des experts, des moyens supplémentaires lui ont été fournis. Lors de leur audition, les représentants de cette commission ne m'ont pas dit qu'ils manquaient de moyens. Quoi qu'il en soit, nous devrons être vigilants, dans le cadre de la discussion budgétaire et de notre mission d'évaluation des politiques publiques. Avis défavorable.
Il convient d'éviter les confusions : le mot « commission », dans ce texte, désigne bien la CIVS – le décret clarifiera ce point. Depuis 1999, la CIVS a versé environ 500 millions d'euros aux familles spoliées, tous domaines confondus – car les biens culturels ne sont pas seuls concernés.
Il n'est question ici ni du budget de la mission dirigée par David Zivie ni de celui dédié, dans les musées, à la recherche de provenance, ni de celui de la formation à cette tâche dans le cadre de l'Institut national du patrimoine ou de l'École du Louvre.
Par ailleurs, nous n'en sommes pas encore au débat budgétaire. Pour le moment, la CIVS a largement les moyens de remplir ses missions, comme cela a toujours été le cas depuis 1999 – un consensus existe sur ce point –, mais j'en discuterai avec plaisir au moment de l'examen du projet de loi de finances.
En adoptant l'amendement AC18, nous avons fixé un principe qui sera utile, notamment pour les collectivités territoriales possédant des œuvres issues de spoliations et qu'elles devront restituer, alors même qu'elles les ont parfois acquises à des prix très élevés. Ainsi, la somme nécessaire pour acquérir la tapisserie du musée Labenche, à Brive-la-Gaillarde, représentait l'équivalent de trois années du budget de fonctionnement de la collectivité. La question des moyens se pose donc, notamment pour les collectivités qui doivent indemniser les propriétaires.
L'amendement que nous vous proposons ne coûte rien. Il vise simplement à manifester notre volonté de faire en sorte que les objectifs fixés par la loi soient pleinement atteints – ce qui suppose d'y affecter les moyens nécessaires. Par ailleurs, il témoigne d'une forme de vigilance : l'an dernier, le débat budgétaire a été conclu par un 49-3, et il est tout à fait envisageable, sinon probable, que pareil moyen autoritaire soit utilisé cette année encore par le Gouvernement, réduisant ainsi à néant notre capacité à décider de l'allocation des moyens aux divers objectifs. C'est la raison pour laquelle il nous paraît nécessaire d'inscrire dès à présent dans la loi le principe énoncé à travers l'amendement AC9.
L'amendement n'est pas opérationnel : le financement de la CIVS ne dépend pas du ministère de la Culture. En outre, vous avez mentionné la formation et la recherche de provenance. Tel n'est pas l'objet de notre débat.
En ce qui concerne l'aide aux collectivités, l'indemnisation ne viendra pas forcément de l'État. Dans le cas du tableau de Sannois, par exemple, le commissaire priseur a remboursé la collectivité.
La commission rejette l'amendement.
La commission adopte successivement les amendements rédactionnels AC34 et AC35 de Mme Fabienne Colboc, rapporteure.
Amendement AC23 de Mme Caroline Yadan.
L'une des innovations du projet de loi consiste à offrir aux parties la possibilité de conclure un accord amiable prévoyant des modalités de réparation autres que la restitution, une fois que les victimes ont obtenu gain de cause sur ce principe. La disposition vise à permettre de conserver des biens significatifs du point de vue de l'intérêt ou de la cohérence des collections publiques en contrepartie d'une compensation financière ou de tout autre engagement de la part de l'établissement – une reconnaissance mémorielle, par exemple ; les victimes ou les ayants droit peuvent aussi décider de laisser le bien en dépôt. Dans le cas du musée Labenche, les héritiers ont ainsi exigé de l'établissement que le parcours de la tapisserie soit retracé dans la salle où elle est exposée.
Outre le fait que ces modalités de réparation alternatives doivent reposer sur l'accord des personnes concernées, il semble nécessaire qu'elles soient précisées par décret en Conseil d'État, conformément à la recommandation que celui-ci a énoncée dans son avis. Tel est le sens de cet amendement.
Suivant l'avis de la rapporteure, la commission adopte l'amendement.
La commission adopte l'article 1er modifié.
Article 2 : Procédure dérogatoire de sortie des collections des « musées de France »
Suivant l'avis de la rapporteure, la commission rejette l'amendement AC6 de M. Philippe Ballard.
Amendements identiques AC3 de Mme Caroline Parmentier et AC14 de M. Stéphane Peu.
Par cohérence avec l'amendement AC2, je propose de préciser que l'Allemagne nazie a non seulement occupé, contrôlé et influencé des territoires, mais qu'elle en a également annexé certains.
Dès lors que j'ai retiré un amendement similaire portant sur l'article 1er, je retire aussi l'amendement AC14.
L'amendement AC14 est retiré.
Suivant l'avis de la rapporteure, la commission rejette l'amendement AC3.
Amendement AC44 de Mme Fabienne Colboc, sous-amendement AC48 de Mme Caroline Parmentier et amendement AC12 de M. Stéphane Peu (discussion commune).
Il s'agit, par coordination avec la formulation que nous avons adoptée à l'article 1er, de modifier la désignation du régime entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944.
Le sous-amendement AC48 et l'amendement AC12 sont retirés.
La commission adopte l'amendement AC44.
Amendement AC17 de M. Stéphane Peu.
Nous proposons de remplacer les mots « peuvent être » par le mot « sont », pour garantir la restitution des œuvres.
Vous souhaitez obliger les musées privés à restituer les biens spoliés. Malheureusement, ce serait contraire à la Constitution. Toutefois, comme je le disais, l'adoption du projet de loi aura pour effet de sensibiliser l'ensemble du marché de l'art à la question. Les musées privés prêteront plus attention, eux aussi, à la provenance des œuvres qu'ils abritent et à la possibilité d'engager leur restitution.
J'entends bien, mais la formulation que je propose est plus contraignante. Si un musée privé ne souhaite pas restituer un bien issu d'une spoliation, il aura toujours la possibilité de former un recours devant la justice.
Philosophiquement, je partage votre approche, monsieur Peu, mais il est impossible, juridiquement, de contraindre un musée privé à restituer un tel bien. Le Conseil d'État l'a souligné lorsqu'il a examiné le projet de loi : le pouvoir législatif ne peut pas décider du transfert de propriété d'un bien entre deux personnes morales de droit privé, à moins d'entrer dans le régime des expropriations, qui implique des garanties particulières au regard de la Constitution. Nous pouvons suggérer, inciter, rappeler que c'est possible, mais pas contraindre à procéder à cette restitution.
Je partage l'avis de M. Peu : la formulation retenue est beaucoup trop faible. Je ne sais pas quels termes conviendraient davantage, mais ceux qui figurent dans le projet de loi ne donnent vraiment pas l'impression que l'on incite les musées privés à restituer les biens spoliés.
La commission rejette l'amendement.
La commission adopte l'amendement rédactionnel AC36 de Mme Fabienne Colboc, rapporteure.
L'amendement AC16 de M. Stéphane Peu est retiré.
La commission adopte l'amendement rédactionnel AC37 de Mme Fabienne Colboc, rapporteure.
La commission adopte l'article 2 modifié.
Article 3 : Application de la présente loi aux demandes de restitution en cours à la date de publication
La commission adopte l'article 3 non modifié.
Article 4 : Demande de rapport annuel au Gouvernement
Amendement AC31 de M. Jérémie Patrier-Leitus et sous-amendement AC45 de Mme Fabienne Colboc.
Nous proposons que le rapport soit publié non pas chaque année mais tous les deux ans. Au 18 avril 2023, 184 biens identifiés « musées nationaux récupération » – ou un équivalent – avaient été restitués au total. Compte tenu du temps que prend la procédure, et même si l'ambition du texte est d'augmenter le nombre de restitutions, une parution biennale étoffée paraît plus adaptée.
Le sous-amendement a pour objet de mettre la fin de la phrase visée en cohérence avec le dispositif de l'amendement.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l'amendement sous-amendé.
La commission adopte successivement les amendements AC38, rédactionnel, et AC39, de précision, de Mme Fabienne Colboc, rapporteure.
Amendement AC25 de M. Fabrice Le Vigoureux.
Dans la même logique que celle de l'amendement AC23, qui portait sur l'article 1er, nous proposons que le rapport fasse aussi l'inventaire des autres modalités de réparation, qu'il s'agisse de reconnaissance mémorielle ou de compensations financières.
Suivant l'avis de la rapporteure, la commission adopte l'amendement.
L'amendement AC30 de M. Jérémie Patrier-Leitus est retiré.
Amendement AC10 de M. Carlos Martens Bilongo.
En complément de l'amendement de M. Le Vigoureux, nous proposons que le rapport fasse état des démarches réalisées vis-à-vis des propriétaires et des ayants droit.
Le rapport vise à dresser l'inventaire des biens culturels des collections publiques, des collections des musées de France de droit privé à but non lucratif et des biens figurant à l'inventaire « musées nationaux récupération » ayant fait l'objet d'une restitution à leurs ayants droit au cours des deux années écoulées.
La recherche de provenance est un enjeu capital pour garantir l'effectivité du dispositif. À cet égard, il est également nécessaire de développer des formations adaptées et de faire en sorte que des professionnels de la question travaillent dans les établissements publics concernés. Néanmoins, le sujet s'éloigne de l'objet même du rapport. Si je vous rejoins quant à la nécessité de s'intéresser aux moyens alloués à la recherche de provenance, il me semble que l'examen du budget donnera toute possibilité à la représentation nationale d'ouvrir ce débat. Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
La commission adopte l'article 4 modifié.
Après l'article 4
Amendement AC32 de M. Jérémie Patrier-Leitus.
Cet amendement ne relève sans doute pas du législatif et vous allez me demander de le retirer – ce que je ferai –, mais il me permet d'insister sur un moment solennel qu'il convient d'instaurer et sur lequel je souhaite que vous vous engagiez, madame la ministre, madame la rapporteure.
La restitution d'œuvres spoliées donnera donc lieu, tous les deux ans, à la publication d'un rapport. La lecture des noms est une pratique mémorielle déjà utilisée pour commémorer les victimes du génocide et les héros de la résistance juive lors de la journée de la Shoah, organisée au Mémorial de la Shoah. Une lecture publique à l'Assemblée nationale et au Sénat, dont les modalités précises seraient définies par décret, permettrait à la fois de faire connaître les œuvres concernées par les restitutions – ou les autres modalités de réparation – et de commémorer les victimes des spoliations.
Je comprends tout à fait votre préoccupation : vous souhaitez que le Parlement se saisisse de la question des restitutions. C'était aussi le souhait de notre collègue Raphaël Gérard. Il y a une dimension solennelle dans les restitutions, et la loi de février 2022 avait suscité beaucoup d'intérêt et d'émotion parmi le grand public. Néanmoins, c'est à nous de trouver les moyens de nous emparer de la question. Du reste, votre amendement ne relève pas du domaine de la loi. Je vous demande donc de bien vouloir le retirer.
L'amendement est retiré.
La commission adopte l'ensemble du projet de loi modifié.
Je tiens à remercier Mme la rapporteure et Mme la ministre pour les précisions qu'elles ont apportées.
Je vous remercie également toutes et tous, chers collègues, pour la bonne tenue de nos débats. Nous examinions ce soir un projet très important pour l'ensemble de la nation.
La séance est levée à minuit.
Présences en réunion
Présents. – Mme Ségolène Amiot, Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Bénédicte Auzanot, M. Philippe Ballard, Mme Géraldine Bannier, M. Quentin Bataillon, M. Belkhir Belhaddad, M. Bruno Bilde, Mme Sophie Blanc, Mme Anne Brugnera, Mme Céline Calvez, M. Roger Chudeau, Mme Fabienne Colboc, M. Alexis Corbière, M. Laurent Croizier, M. Hendrik Davi, Mme Béatrice Descamps, M. Inaki Echaniz, M. Laurent Esquenet-Goxes, Mme Estelle Folest, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Annie Genevard, M. Raphaël Gérard, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Sarah Legrain, M. Christophe Marion, M. Stéphane Mazars, Mme Sophie Mette, M. Maxime Minot, Mme Caroline Parmentier, M. Jérémie Patrier-Leitus, M. Stéphane Peu, Mme Béatrice Piron, Mme Lisette Pollet, M. Alexandre Portier, Mme Angélique Ranc, Mme Isabelle Rauch, M. Jean-Claude Raux, Mme Cécile Rilhac, Mme Claudia Rouaux, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier, M. Léo Walter, Mme Caroline Yadan
Excusés. – Mme Aurore Bergé, Mme Soumya Bourouaha, M. Frantz Gumbs, M. Stéphane Lenormand, M. Frédéric Maillot, M. Boris Vallaud
Assistaient également à la réunion. – M. Carlos Martens Bilongo, M. Pierre Cordier, M. Nicolas Ray, Mme Ersilia Soudais, M. Jean-Philippe Tanguy